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LA SEMAINE JURIDIQUE ÉDITION GÉNÉRALE SUPPLÉMENT AU N° 51, 17 DÉCEMBRE 2018 ISSN 0242-5777 L’obsolescence programmée du juge ? Justice judiciaire, justice amiable, justice numérique ENM, 5 octobre 2018 LA PERTINENCE DE LA SÉLECTION, LA FIABILITÉ DES ANALYSES
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Sommaire La Semaine Juridique - Édition Générale - Supplément au N° 51, 17 décembre 2018 L’obsolescence programmée du juge ? Justice judiciaire, justice amiable, justice numérique ENM, 5 octobre 2018 Ouverture du colloque Colloque en partenariat avec l’École nationale de la magistrature, l’Université de Nanterre, UFR de Droit et science politique, le Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique Université de Nanterre, UFR de Droit et science politique et LexisNexis 1 Propos d’accueil 2 L’obsolescence programmée du juge ? Propos introductifs ➜ Olivier Leurent, directeur de l’École nationale de la ➜ Soraya Amrani-Mekki, professeure à l’université Paris Nan- magistrature (ENM) P. 5 terre, directrice de l’axe Justice judiciaire, amiable et numérique, Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique P. 6 1re table ronde : Justice judiciaire et justice amiable 3 L’obsolescence programmée du juge ? 5 Mesure de l’essor des différentes pratiques amiables Propos liminaires sur l’irruption de la justice amiable ➜ Carine Denoit-Benteux, avocat et médiateur, ancien dans la justice judiciaire membre du Conseil de l’Ordre, présidente de la Commission ➜ Boris Bernabé, professeur à l’université Paris-Sud, Paris- Textes du Conseil national des barreaux, responsable du Saclay, doyen de la faculté Jean Monnet Droit – Économie – Centre national de médiation des avocats du CNB P. 22 Gestion (Sceaux) P. 16 6 Le notaire, un « magistrat de l’amiable » est-il lui aussi 4 Une politique de juridiction volontariste dans la promo- menacé par une obsolescence programmée ? tion des modes amiables de règlement des différends ➜ Jean-Claude Jacob, notaire, coordinateur national ➜ Stéphane Noël, président du tribunal de grande instance des Centres de médiation notariaux P. 27 de Créteil P. 20 2e table ronde : Justice judiciaire et justice numérique 7 Le greffe, acteur du changement numérique et garant 9 Justice numérique et justice judiciaire, contradiction de la procédure numérique et aléa ➜ Edith Thevenet, directrice des services de greffe, chargée ➜ Louis Degos, avocat à la Cour, président de Commission de mission du projet Procédure pénale numérique au au Conseil national des barreaux, directeur, fondateur de Secrétariat général du Ministère de la justice P. 31 la Revue pratique de la prospective et de l’innovation (RPPI - LexisNexis) P. 38 8 La transformation numérique : un projet politique au service du justiciable et des métiers de justice ➜ Stéphane Hardouin, directeur, secrétaire général adjoint, ministère de la Justice P. 33
3e table ronde : Justice numérique et justice amiable 10 Règlement en ligne des litiges : (re)faites entrer le juge ! 12 Justice alternative et numérique : des expériences ➜ Yannick Meneceur, magistrat détaché, conseiller en poli- mitigées aux Pays-Bas tiques de transformation numérique au Conseil de l’Europe, ➜ Charlotte Pavillon, professeur ordinaire de droit privé, chercheur associé à l’Institut des hautes études sur la justice en particulier de droit de la consommation, université de (IHEJ) P. 40 Groningen, Pays-Bas P. 51 11 Le numérique, relance ou révolution de l’amiable ? 13 Une justice numérique pour une justice plus humaine Vers un remaniement du rôle du juge ➜ Thomas Saint-Aubin, président du consortium eJustice, ➜ Sophie Sontag Koenig, maître de conférences à l’université chercheur associé à l’Institut de recherche juridique de Paris 1- Paris Nanterre, membre du CEDCACE, Axe justice judiciaire, Panthéon Sorbonne P. 56 amiable et numérique, chargée de mission à l’Institut des hautes études sur la justice P. 45 La renaissance du juge ? 14 La renaissance du juge ? ➜ Thomas Andrieu, directeur des Affaires civiles et du sceau P. 63 © RYZHI - GETTYIMAGES
L’OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE DU JUGE ? JUSTICE JUDICIAIRE, JUSTICE AMIABLE, JUSTICE NUMÉRIQUE 1 Propos d’accueil ter dans un combat mortel qui pourrait se résumer à : « Que le meilleur gagne ! » Olivier Leurent, Deux griefs sont régulièrement faits à l’encontre de l’ENM : directeur de l’École nationale de la - premier grief : les magistrats y vivent et y réfléchissent en au- magistrature (ENM) tarcie, recroquevillés sur eux-mêmes ; - second grief : l’École étant une école du ministère de la Justice, comment pourrait-elle être le lieu de débats véritablement libres ? M esdames et Messieurs les Hautes autorités, Merci, Madame le professeur Amrani-Mekki de nous permettre Mesdames et Messieurs les professeurs, de démontrer que ces deux griefs sont totalement erronés : Mesdames et Messieurs les avocats, notaires, huis- L’ENM est un lieu d’ouverture et d’échanges avec toutes les pro- siers, greffiers, fessions du Droit et avec toutes les composantes de la société, au Mes chers collègues, premier rang desquelles l’Université bien entendu. Chers étudiants, Un seul chiffre pour vous en convaincre : 22 % de nos publics en Vous avez dit : « obsolescence programmée du juge ? » formation continue, ne sont pas des magistrats mais des avocats, Obsolescence crainte par les uns… obsolescence certaine pour des greffiers, des notaires, des enquêteurs, des éducateurs…. les autres… obsolescence souhaitée par d’autres encore… ? L’ENM est également un lieu de liberté de réflexion et d’expression. Et pourquoi pas renaissance d’un juge modernisé, connecté, Cette liberté, je dirais cette indépendance, fait même partie de numérisé mais toujours humain ? son ADN. L’avenir est toujours par définition anxiogène puisqu’il est inconnu. Il n’y pas de question taboue à l’École ! Tout particulièrement lorsque l’évolution des pratiques pro- C’est donc un honneur pour l’École que de vous accueillir ce fessionnelles, les révolutions technologiques et les réformes matin afin de réfléchir ensemble et dans le respect de nos diver- législatives ont un impact direct sur l’office d’une profession gences, non pas seulement à l’avenir du juge mais bien, à travers qui n’est pas tout à fait comme les autres puisqu’il s’agit de celle lui, à l’avenir de la justice, de notre justice. chargée de rendre la justice. Merci à vous tous d’avoir pris sur votre temps pour enrichir La justice amiable existe maintenant depuis des années et elle cette réflexion collective. n’a pas pour autant rendu la justice judiciaire obsolète ! Je vous souhaite, je nous souhaite, des débats à la hauteur des La justice numérique en gestation pourra-t-elle se substituer à enjeux soulevés par la transformation numérique et amiable de l’appréciation humaine du magistrat, à l’individualisation de la justice. l’application de la Loi ? Je vous remercie de votre attention. ■ Justice judiciaire, justice amiable, justice numérique se com- plètent-elles ou ont-elles nécessairement vocation à se confron- Olivier Leurent, directeur de l’ENM LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - SUPPLÉMENT AU N° 51 - 17 DÉCEMBRE 2018 - © LEXISNEXIS SA Page 5
L’OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE DU JUGE ? JUSTICE JUDICIAIRE, JUSTICE AMIABLE, JUSTICE NUMÉRIQUE 2 L’obsolescence programmée du juge ? Propos introductifs justice. Ce décalage temporel est pourtant de l’essence même Soraya Amrani-Mekki, de la justice3 ce que le justiciable, devenu consommateur, aurait professeure à l’université Paris Nanterre, directrice du mal à accepter au point de penser que la manière de rendre de l’axe Justice judiciaire, amiable et numérique, justice est obsolète. Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique Le juge serait encore dépassé par ses modalités de fonction- nement, évidemment par manque de ressources budgétaires. L’augmentation du budget du ministère de la Justice (4,5 % cette année) est le plus souvent affectée à celui de l’administra- L e déploiement du numérique annonce-t-il la mort du tion pénitentiaire aux besoins criants. La justice civile n’en bé- juge ou sa renaissance ? Outil d’une indéniable utilité, le néficie que peu. D’un point de vue matériel, l’absence d’intero- numérique accompagne un changement profond dans pérabilité des logiciels4, la vétusté du matériel informatique qui l’office du juge. Le présent article tente de faire la part des peine à gérer plusieurs utilisateurs simultanément, les difficultés choses entre ce qui est nécessaire pour répondre au besoin de liées à la mise en place de Cassiopée, le retard mis à au déploie- justice, moderniser l’institution et ce qui risque d’en atteindre ment de Portalis sont autant de critiques actuelles alimentant le l’essence même. besoin de changer le mode de résolution des différends. 1 - Obsolescence du juge ? - Evoquer l’obsolescence program- 2 - Programmation contre l’obsolescence du juge. - Sans parler, mée du juge au sein de l’École nationale de la magistrature, qui comme l’avait fait un ancien ministre, de « clochardisation de la a vocation à les former, peut sembler entreprise périlleuse. Elle justice », la justice civile ne permettrait plus au juge de remplir est au contraire nécessaire et y trouve là sa juste place. L’obso- correctement son office au point que son usage pourrait être dé- lescence se définit comme le « fait d’être périmé. Dépréciation passé par le recours à des modes amiables et/ou numériques de d’un matériel ou d’un équipement avant son usure matérielle »1. résolution des litiges considérés comme « plus performants ». Envisagée comme la dépréciation de l’intervention d’un juge La programmation politique servirait dès lors non pas à consa- avant son usure (matérielle ? psychologique ?), l’obsolescence crer la fin du recours au juge mais au contraire à l’éviter. Les rap- est d’ailleurs une question actuelle en sorte que l’idée même de ports, commissions, projets se succèdent dans le temps5 pour programmation pourrait être superfétatoire. tenter de reconnecter le juge aux besoins de la société civile. Le juge serait dépassé par le besoin de justice. La masse conten- Recourir à l’amiable pour pacifier les relations sociales ; recourir tieuse serait telle qu’il ne pourrait répondre à la demande dans au numérique pour moderniser le rapport au juge. des délais satisfaisants ni selon une charte qualité parfaitement Il est dès lors envisagé dans les textes les plus récents, quels que identifiée et contrôlée. Ni la productivité ni la qualité ne seraient soient les gouvernements en place, l’idée de recentrer le juge sur en somme au rendez-vous. L’intervention du juge serait même son cœur de mission pour lui permettre de moins juger pour déconnectée du besoin social ; le temps de la justice n’est pas ou mieux juger. Créer des circuits de dérivation amiables et/ou n’est plus celui de la société. La société de l’instantanéité, parfai- tement mise en lumière par Hartmut Rosa2, serait en décalage 3 V. not. A. Garapon, Les enjeux de la justice prédictive : JCP G 2017, doctr. avec le temps de maturation nécessaire aux affaires judiciaires. 31, n° 21 : « Le procès était le fruit d’un rapport au temps, à l’espace et à un référent symbolique. Il déplaçait le conflit dans un temps et un espace Ce décalage n’est pas propre au contentieux des affaires, la pos- particuliers adossés à un rituel qui était celui de la procédure et reformulait sibilité d’obtenir tout, tout de suite, sans se déplacer, s’accom- le litige en des termes nouveaux. ». mode mal avec le rythme inhérent au fonctionnement de la 4 Il faut souligner les difficultés de mise en place du système Cassiopé comme de Portalis. 5 A. Garapon in Rapport de l’IHEJ. La prudence et l’autorité : l’office du juge au XXIe siècle : La Documentation français, juill. 2013. – P. Delmas-Goyon, 1 Dictionnaire Larousse. Rapport à Mme la garde des Sceaux, ministre de la Justice. « Le juge du 2 H. Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps (2005), trad. D. 21ème siècle ». Un citoyen acteur, une équipe de justice : La Documentation Renault : La découverte, 2010, p. 36 : « l’expérience de la modernisation française, déc. 2013. – D. Marshall, Rapport à Mme la garde des Sceaux, est une expérience de l’accélération (...). L’accélération sociale est la carac- ministre de la Justice. Les juridictions du XXIe siècle. Une institution qui, téristique centrale de la transformation des structures temporelles et est en améliorant qualité et proximité, s’adapte à l’attente des citoyens, et aux ainsi une force majeure de la culture de la modernité ». Adde, sur la théorie métiers de la justice : La Documentation française, déc. 2013. – F. Agostini du présentisme qui veut que le présent l’emporte sur tout, passé et avenir, et N. Molfessis, Chantiers de la justice. Amélioration et simplification de la Fr. Hartog, Régimes d’historicité : présentisme et expériences du temps : procédure civile : Ministère de la Justice. – V. JCP G 2018, act. 237, Aperçu Culture & Musées, 2004, vol. 4, n° 1, p. 128. rapide J. Théron. Page 6 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - SUPPLÉMENT AU N° 51 - 17 DÉCEMBRE 2018
L’OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE DU JUGE ? JUSTICE JUDICIAIRE, JUSTICE AMIABLE, JUSTICE NUMÉRIQUE numériques pour des litiges, parfois qualifiés de « basse inten- nomicus en sorte que l’obsolescence de son office conduit à celle sité » pour reprendre une formulation québécoise, permettrait de son recours (2). de libérer le juge qui offrirait sa plus-value aux seules affaires qui le méritent. Le recours au juge deviendrait un mode alternatif de résolution des litiges. Le principe serait de régler les litiges 1. L’obsolescence de l’office du juge ? hors la juridiction par une sorte de pré instance dont il ne serait plus alors que le superviseur éventuel. 5 - Le juge tranche le litige par application des règles de droit. Il y a là de saines intentions visant à « recycler » le juge dont l’an- L’incitation à l’amiable comme le recours au numérique risquent cien usage serait obsolète. Le juge doit savoir, dans ce contexte, de profondément changer son office juridictionnel, puisque se réinventer. Charles Peguy ne disait-il pas un juge habitué est l’objet de ce qu’il aura à juger comme sa manière de juger sont un juge mort pour la justice ? de nature à évoluer et interrogent sur le juste positionnement du juge. Moins directement flagrante est la modification de son 3 - Programmation de l’obsolescence du juge ? La question office processuel par la mise en état conventionnelle et/ou nu- est alors de savoir si les projets de réforme, pour sauver le juge mérique des affaires qui amène à s’interroger sur l’intérêt même d’une obsolescence programmée, ne risquent pas au contraire qu’il y aura à y impliquer un juge. L’office processuel pourrait d’en accélérer le processus. Les débats actuels autour du projet se déplacer (A) alors que son office juridictionnel serait trans- de loi de programmation pour la- justice 2018-2022 et la réac- formé (B). tion du Défenseur des droits dans son avis n° 18-22 du 27 sep- tembre dernier en attestent. A. – Office processuel : Un office déplacé Derrière l’obsolescence technique de l’intervention du juge se profile une obsolescence plus profonde du système judiciaire 6 - Le juge doit, avant de trancher, s’assurer que l’affaire est en voire de la capacité du droit à réguler les comportements so- état d’être jugée. L’idée révolutionnaire selon laquelle les juge- ciaux. Autrement dit, un changement social bien plus radical ments seraient rendus sur le champ a vécu et il faut convenir est aujourd’hui à l’œuvre. Il ne s’agit plus de parler de déjudi- que la procédure est, selon les termes du doyen Jean Carbonnier, ciarisation ou de modernisation mais bien de déjuridicisation « l’institution d’une mise en doute avec une décision au bout »6. de la société. Au-delà des juges, ce sont alors les représentants Cette institution requiert du temps et des actes de procédure de la Nation qui sont interpellés dans leur capacité à faire le dont le recours au numérique (1°) comme à l’amiable (2°) pour- droit et même à faire société. La force symbolique attachée à rait faire l’économie. l’intervention du juge dépasse la seule autorité judiciaire. Elle engage une certaine vision de la société qui pourrait elle-même 1° La procédure numérique être dépassée. Loin de nous l’idée de faire du catastrophisme. Le constat est 7 - Dématérialisation de la procédure et disparition du juge. - plutôt aujourd’hui celui d’un recours insuffisant à l’amiable La transformation numérique est en cours afin de moderniser et d’une justice prédictive non encore effective. Par ailleurs, l’office du juge qui ne dispose pas d’outils suffisamment per- les craintes associées à leur déploiement ne peuvent s’analyser formants pour exercer avec efficacité sa mission. La procédure qu’en contemplation des apports indéniables qu’ils peuvent numérisée est un outil de simplification et de démocratisation offrir. L’ambition de cette journée scientifique est toutefois, le de l’accès au juge. Il en est ainsi potentiellement de la saisine rythme des réformes s’accélérant, d’anticiper sur les évolutions numérique des juridictions comme de la possibilité d’obtenir de l’office du juge pour les accompagner ou les regretter. une date d’audience de manière dématérialisée. Le justiciable ne peut que s’en réjouir à condition toutefois que cette dématé- 4 - Obsolescence ou renaissance ? L’obsolescence, même pro- rialisation n’implique pas sa disparition physique des prétoires. grammée, du juge doit inciter à penser sa renaissance. Comme L’outil informatique n’est jamais neutre. Il ne faudrait pas que tout être vivant, il doit s’adapter à son milieu. C’est là la force le progrès associé à la modernisation des outils délégitime par de l’homo sapiens. L’amiable comme le numérique lui en four- principe toute interrogation réduite à une posture rétrograde. nissent les moyens. Cependant, justices judiciaire, amiable et L’outil véhicule une certaine conception de l’office du juge. Il numérique s’entremêlent dans des liaisons possiblement dange- en est ainsi lorsque la dématérialisation est connectée à la dis- reuses pour le juge qui pourrait disparaître au profit du couple parition des audiences alors même qu’elle concerne des petits amiable-numérique. litiges sans représentation par avocat. Le couple petits litiges/ Afin d’envisager le risque d’obsolescence du juge et l’espoir dématérialisation impliquerait un désengagement au moins d’une renaissance, il convient d’aborder, en premier lieu, physique du juge. Le temps de l’audience est pourtant un temps l’obsolescence de son office tel que traditionnellement conçu. utile voire indispensable et c’est pourquoi les procédures ibéro- L’amiable et le numérique invitent en effet à repenser cet office américaines consacrent un principe de présence7. L’audience est qui pourrait être adapté aux évolutions, même si le présupposé le moment où le justiciable est entendu, peut revendiquer ses selon lequel la mutation est nécessaire reste à éprouver (1). Cette mutation risque, en second lieu, de mettre en péril l’utilité persistante à recourir à son office. L’effort déployé devant le juge 6 J. Carbonnier, Sociologie juridique : PUF, 1994, spéc. p. 321. est-il proportionné au gain espéré ? C’est le recours au juge qui 7 A. Danet, La présence en droit processuel : Dalloz, coll. Bibliothèque de la risque d’en pâtir s’il ne respecte pas les attentes de l’homo eco- justice, 2018. 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L’OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE DU JUGE ? JUSTICE JUDICIAIRE, JUSTICE AMIABLE, JUSTICE NUMÉRIQUE droits les plus fondamentaux et peut percevoir le fonctionne- largement, c’est faire fi du fait qu’il rend des ordonnances ayant ment de la justice. autorité de chose jugée qui sont susceptibles d’appel. Il faudrait La proximité numérique ne remplace pas mécaniquement la sans doute distinguer plus nettement ce qui relève d’une mise proximité géographique. C’est pourtant le calcul opéré avec en état quasi technique du dossier de sa mise en état juridique. la création d’une juridiction nationale pour les injonctions de Or, la frontière est difficile à tracer. payer. Certes, le contradictoire rétabli par une procédure d’op- Les contraintes informatiques créent de nouvelles règles procé- position retrouvera sa place dans la juridiction théoriquement durales non codifiées. Un exemple topique concerne les jonc- compétente. Cependant, dans sa première phase, rarement tions de procédures. En principe, des procédures sont jointes contestée, la solution est rendue parce que la créance paraît car il est de l’intérêt d’une bonne administration de la justice fondée en son principe, selon des formulaires dont il a déjà été de les traiter ensemble. Elles demeurent cependant autonomes dénoncé au niveau européen leur caractère réducteur. La part de et ne sont pas fusionnées, ce qui a notamment pour effet que la preuve et du vrai y est en effet réduite. Les juges qui auront à les délais de procédure doivent être calculés séparément dans gérer cette phase numérisée et nationalisée seront donc amenés chacune d’elles. À cette jonction juridique s’ajoute aujourd’hui à certifier des procédures formulaires quasi mécaniquement au une jonction technique, rendue nécessaire par le seul fait que point qu’on pourra se demander si leur présence est tout à fait le RPVA ne permet pas de régulariser une déclaration d’appel nécessaire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le défenseur mais nécessite d’en faire une nouvelle générant informatique- des droits vient de recommander que « la création d’une juridic- ment un nouveau numéro de rôle. Deux instances sont ainsi tion centralisée et dématérialisée ne conduise pas à terme à une fictivement créées qui sont jointes. La jonction, non connue du automatisation du traitement des requêtes ou au pré-examen Code de procédure civile conduit ici à la fusion des procédures des requêtes par des délégataires privés »8. Pourtant, et même si et notamment au fait que le délai pour conclure court du jour de cela demeure quantitativement marginal, cette première phase la première déclaration d’appel9. Les règles de procédure civile d’un contentieux qualifié d’inversé permet un contrôle de qua- s’adaptent aux contraintes informatiques au lieu d’adapter le lité de la part de juges d’instance du fait de leur connaissance système aux règles de droit. C’est la machine qui dicte sa loi. approfondie du droit qu’ils appliquent parallèlement dans les « Code is law ». procédures ordinaires. L’utilité est certaine mais quantitative- Ce recul de l’intervention du juge débarrassé de contraintes ment résiduelle, ce qui conduit à en faire l’économie. dont la machine pourrait lui faire l’économie est également souhaité par voie de contractualisation. 8 - La mise en état électronique et création de règles procédu- rales. - La mise en état électronique est quant à elle déjà à l’œuvre 2° La procédure amiable depuis que l’usage du réseau privé virtuel avocat (RPVA) est devenu obligatoire devant les cours d’appel et sera renforcé avec 9 - Procédure participative de mise en état.- La contractualisa- son extension devant les tribunaux de grande instance au 1er tion de la mise en état est possible depuis la loi dite J21 n° 2016- septembre 2019. Or, cette mise en état électronique a marqué 1547 du 18 novembre 2016. L’article 2062 du Code civil dis- une distance entre le juge et les avocats. Il n’existe plus d’au- pose que la procédure participative, initialement prévue pour dience physique de mise en état. La dématérialisation renforcée résoudre les différends avant de saisir le juge, peut désormais des procédures conduit aujourd’hui à penser que l’intervention être utilisée en vue de mettre l’affaire en état d’être jugée10. Il d’un juge pourrait ne plus se justifier. Il a ainsi été suggéré de ne s’agit alors plus de résoudre le litige amiablement mais d’en supprimer purement et simplement l’intervention du juge de assurer le traitement par une forme d’externalisation de la mise la mise en état pour attribuer ses fonctions au greffier. Moder- en état. nisation et déjuridictionnalisation iraient de pair. Il y a là un Celle-ci serait doublement profitable. D’abord pour les avocats certain paradoxe à l’heure où le rapport sur la simplification et qui pourraient ainsi se réapproprier le principe dispositif en l’amélioration de la procédure civile préconise par ailleurs de décidant du calendrier de la procédure, du nombre d’échanges, lui confier le pouvoir de statuer sur les fins de non-recevoir. Plus des informations communiquées ainsi que des mesures d’ins- truction diligentées à l’amiable. Ainsi, l’expert serait choisi par 8 Déf. droits, avis. n° 18-22, 27 sept. 2018, p. 9-10-11 : « A défaut d’infor- les parties qui définiraient elles-mêmes sa mission et les modali- mation sur les moyens humains mis à disposition de cette juridiction et tés de rétribution de ses honoraires. Pour les magistrats, ensuite, de précisions sur les modalités de traitement des requêtes en injonction il y aurait là une réattribution de leur tâche de mise en état qui de payer, on peut s’interroger, compte tenu de la masse du contentieux qui devra être traitée, sur une volonté gouvernementale de recourir à terme leur permettrait de se recentrer sur leur activité « purement et à une automatisation du traitement des requêtes ou au pré-examen des strictement » juridictionnelle. requêtes par des délégataires privés, ce qui ne serait pas sans poser de diffi- cultés. Ainsi, dans le cadre du traitement des réclamations en matière de conten- tieux routier, le Défenseur des droits a constaté les difficultés soulevées par une telle privatisation dans le traitement des requêtes en exonération qui relève de la compétence du centre national de traitement de Rennes 9 Cass. 2e civ., 16 nov. 2017, n°16-23.796 : JurisData n° 2017-022974 ; JCP G ou encore plus récemment dans le cadre de la réforme du stationnement. 2017, act. 1274, obs. R. Guinchard. L’agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI) 10 Sur le concept de procédure participative de mise en état, S. Amrani Mek- en charge du traitement des infractions constatées par les radars a ainsi ki, L’avocat du 21ème siècle - Projet J21, procédure participative et acte de délégué une partie de ses activités à un prestataire privé qui s’occupe de procédure d’avocats : JCP G 2015, act. 1052. – L’acte de procédure d’avo- pré-imputer l’infraction à un véhicule en faisant examiner à ses employés cats : signe d’une nouvelle ère de la procédure civile ? in 40 ans après…Une les plaques d’immatriculation et les véhicules ainsi que la vérification des nouvelle ère pour la procédure civile, C. Bléry et L. Raschel (dir.) : Dalloz, mentions de contestation ». coll. Thèmes et commentaires, 2016, p. 17 et s. Page 8 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - SUPPLÉMENT AU N° 51 - 17 DÉCEMBRE 2018
L’OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE DU JUGE ? JUSTICE JUDICIAIRE, JUSTICE AMIABLE, JUSTICE NUMÉRIQUE Propos introductifs avec Soraya Amrani-Mekki 10 - Procédure participative hors le juge ? - Le système de vases phase judiciaire. Décidément, la procédure est irréductible au communicants n’est pourtant pas mécanique et soulève de nom- calcul arithmétique. breuses questions qui sont liées les unes aux autres. D’abord, il ne saurait y avoir un passage radical à une « conventionnalisa- 11 - Disparition de la mise en état ? - L’ambition est de délester tion » de la mise en état sans passerelle judiciaire possible. En le juge d’un office de mise en état, par l’usage du numérique ou effet, il faudra bien qu’un juge intervienne en cas d’exceptions de l’accord, afin de le libérer de certaines contraintes. Le constat de procédure ou d’incidents soulevés par une partie, sauf à ima- pourrait effectivement être fait en pratique que la plus-value giner que le passage par l’amiable emporte renonciation à un de son intervention est réduite. Est-elle malgré tout nécessaire pan entier de la procédure civile. voire indispensable ? Ensuite, la question demeure de savoir si, au moment du réta- La mise en état n’est pas pure et stricte administration de la blissement de l’affaire, la mise en état est nécessairement close, justice. Elle implique des décisions juridictionnelles du juge en sorte qu’il ne resterait plus qu’à entendre les plaidoiries et à notamment sur la régularité de la demande en justice. Il serait juger, ou si une évolution de la matière litigieuse serait encore possible de préserver son office en l’imposant dans une phase possible jusqu’à l’ordonnance de clôture. Dans le premier cas, préalable à la phase conventionnelle où toutes les questions la concentration des prétentions et des moyens serait assurée procédurales seraient soulevées. La première audience dite conventionnellement11. Dans le second cas, celui d’une évolu- d’orientation permettrait ainsi de purger l’affaire des questions tion possible de la matière litigieuse, conformément au droit procédurales ce qui induirait une modification de certaines ex- commun du procès civil, jusqu’à l’ordonnance de clôture, cette ceptions de procédure qui ne pourraient plus être soulevées en phase amiable peut se transformer en pré mise en état décalant tout état de cause. Si le juge de la mise en état se voyait confier le mais ne supprimant pas l’office du juge. pouvoir de statuer sur les fins de non-recevoir comme cela a pu Enfin, mais tout est lié, la question de savoir si le recours à la être proposé, il en serait de même pour celles-ci. C’est ainsi plus phase amiable de mise en état pourra être obligatoire ou forte- profondément le Code de procédure civile qu’il faudra refondre. ment incitée n’est pas neutre. Le rapport sur la simplification et Numérisation et contractualisation conduisent ainsi à rendre le l’amélioration de la procédure civile a semblé sur ce point hési- Code de procédure civile lui-même obsolète. tant12. L’économie procédurale pourrait conduire à en souhai- ter l’automaticité. Mais la conception même de la contractuali- sation s’accommode mal d’une phase obligatoire qui pourrait B. – Office juridictionnel : un office se transformer en une perte de temps avant de basculer vers la renouvelé 11 Outre que cette conséquence n’est pas toujours parfaitement perçue, encore faudrait-il que les plaidoiries suivent de très peu le rétablissement 12 - L’office du juge consiste à trancher les litiges conformément pour qu’aucune évolution de la matière litigieuse ne puisse intervenir : faits nouveaux, revirement de jurisprudence, intervention de tiers, demandes aux règles de droit applicables. Cette fonction traditionnelle incidentes… Notons qu’il est préconisé un « audiencement » rapide après pourrait demain être réservée à des litiges de « haute intensité » procédure participative de mise en état mais encore faudra-il savoir dans (juridique ? financière ?) en partant de l’idée qu’elle est, dans les quelle mesure. 12 F. Agostini et N. Molfessis, préc. note 5, spéc. § 3, p. 21 : « D’ailleurs, le autres domaines, devenue inutile : soit l’amiable offrirait une recours à la procédure participative devrait également devenir le mode solution de meilleure qualité, soit une connaissance algorith- normal d’échanges pour les parties assistées dans le cadre d’une procédure mique de la solution permettrait son application hors le juge. orale » et p. 26 : « Dès lors que les parties sont assistées par un avocat, imposer le recours à la procédure participative pour la mise en état des Dans tous les cas, l’office du juge s’en trouve modifié. Le juge, affaires comme proposé ci-après ». V. cep. prop. n° 19, p. 22 et s. retranché dans un office de contrôle ou de supervision, devrait LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - SUPPLÉMENT AU N° 51 - 17 DÉCEMBRE 2018 - © LEXISNEXIS SA Page 9
L’OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE DU JUGE ? JUSTICE JUDICIAIRE, JUSTICE AMIABLE, JUSTICE NUMÉRIQUE adapter ses méthodes de travail et son positionnement, qu’il tir d’un acte qui lui est soumis, en sorte que l’office du juge se s’agisse d’intervenir après une procédure amiable (1°) ou en recentrerait sur l’accord, peu important la nature de la matière prenant en compte l’utilisation d’algorithmes (2°). litigieuse initiale. Lorsqu’il intervient en seconde ligne, il n’est plus juge de la famille, de la responsabilité ou de la construction. 1° Office du juge face à la solution amiable Il devient juge du contrat, ce qui pose de nombreuses questions procédurales et d’administration de la justice. 13 - Juge contrôleur de l’accord amiable. - Partant du principe La déjudiciarisation que permet le recours aux modes amiables que le jugement a ses limites et qu’il est parfois inapte à régler s’accompagne ainsi d’une rejudiciarisation sur un litige diffé- le conflit sous-jacent à son expression juridique, le déploiement rent où il n’est plus amené à trancher le litige conformément aux des modes amiables se fait de manière exponentielle. La palette règles de droit applicables16. Il fonctionne comme juge d’appui, d’offre amiable s’étoffe alors que le passage par l’amiable est de lorsque son recours est nécessaire pendant une phase amiable, plus en plus vigoureusement incité pour faire en sorte que le ou comme superviseur en cas de contestation de l’accord ; mais juge n’intervienne que de manière subsidiaire, comme ultime l’objectif premier est bien de se passer autant que faire se peut recours. La question est aujourd’hui de savoir s’il faut en faire de son office. un préalable obligatoire au recours au juge13. On notera avec intérêt que le Défenseur des droits est favorable à des mesures 14 - Juge promoteur de la solution amiable. - Le juge devient incitatives, sans préciser lesquelles, « dès lors que les parties ont promoteur des modes amiables. Même s’il n’existe pas (encore) la faculté d’y mettre fin, avec ou sans motif, et que leur retrait n’a d’indicateurs de performance fondés sur le recours à l’amiable, pas de conséquences défavorables à leur égard dans les étapes les incitations se font de plus en plus vigoureuses. Certains suivantes du litige. magistrats n’hésitent pas à afficher une utilisation de l’article À cet égard, il recommande au législateur d’introduire des ga- 700 du Code de procédure civile pour inciter les avocats à user ranties afin que les droits des parties soient préservés, et que ces des modes amiables. Devant certaines juridictions, la proposi- dernières ne puissent pas faire l’objet de mesures défavorables, tion amiable est systématiquement faite au moment des débats en cas d’échec de la médiation, notamment dans l’hypothèse en appel alors même que plusieurs années de procédures et où celle-ci aurait été enjointe par le juge »14. Il existe en effet d’échanges de conclusions auront semblé inutiles. D’autres ma- des systèmes où le refus d’un accord plus favorable que la dé- gistrats inventent des circuits de sélection des affaires pouvant cision de justice finalement rendue entraîne la condamnation utilement profiter d’un passage par l’amiable là où, demain, la du demandeur à la totalité des frais du procès. Pour l’heure il généralisation de l’injonction de rencontrer un médiateur, voire a seulement été préconisé en France une sanction par usage de de tenter une médiation, affirmera encore un peu plus le pou- l’article 700 du Code de procédure civile, ce qui se fait déjà par- voir du juge. fois en pratique, en cas de refus de satisfaire à une injonction de Là où actuellement l’article 21 du Code de procédure civile in- rencontrer le médiateur. dique qu’il entre dans la mission du juge de concilier, il faudra bientôt lire qu’il entre dans la mission du juge de faire en sorte L’office du juge se trouve mécaniquement modifié en cas de que les parties tentent de se concilier avant de juger. recours à l’amiable car son rôle est alors différé et différent15. Il faut alors veiller à ce que la promotion de l’amiable ne prenne Le juge n’intervient plus ab initio pour régler un litige mais a pas le pas sur la fonction juridictionnelle. La proposition de posteriori pour traiter du contentieux né de l’accord ou pour en recours à l’amiable doit se faire sur la base de critères discutés au consolider les termes. sein des juridictions, voire des unités de médiation judiciaire qui Lorsqu’il agit en qualité de juge homologateur, il n’opère plus ont l’avantage d’impliquer également les autres professionnels en principe qu’un contrôle léger de conformité à l’ordre public du droit, pour éviter que l’amiable devienne la variable d’ajus- et aux bonnes mœurs. Par exception, il peut être amené à véri- tement des flux judiciaires. Il ne faut pas renoncer à juger ce qui fier que l’intérêt d’une partie vulnérable ou d’une collectivité de doit l’être, ce qui suppose une réflexion par type de contentieux personnes représentées est respecté. Il peut alors aller jusqu’à pour distinguer les causes en préservant toujours la faculté de demander une révision de l’accord. Cependant, même dans revenir à un circuit classique. Il y va aussi de la déontologie des cette dernière hypothèse, il ne dit pas le droit sur un litige mais magistrats qui ne doivent pas passer le Rubicon en indiquant la contrôle l’accord. Il intervient alors en seconde analyse à par- solution probable pour inciter à l’amiable. L’incitation ne doit pas se muer en pression. 13 Le projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022 prévoit pour l’heure un passage obligatoire par l’amiable en matière de conflit de voisi- 2° Office du juge face à l’accès numérique aux nage et pour les litiges d’un montant à fixer par décret en Conseil d’État. Il décisions précise que cet amiable obligatoire pourra prendre la forme d’une conci- liation devant un conciliateur de justice, une médiation ou une procédure participative. L’injonction de rencontrer un médiateur est en outre géné- 15 - Un office amélioré. - L’un des maux dont souffrirait actuel- ralisée mais il faudra attendre le résultat des débats parlementaires pour lement la justice serait l’aléa judiciaire. L’utilisation du condi- mesurer exactement l’étendue de ces obligations. 14 V. Déf. droits, préc. note 8, spéc. p. 17 : « Le Défenseur des droits est favo- tionnel est faite à dessein car sans aléa, sans place pour le doute, rable aux mesures tendant à inciter au règlement amiable des litiges ». l’idée même de procédure à suivre est douteuse. En vérité, il y a 15 S. Amrani Mekki, Déjudiciarisation et professions juridiques in Le plura- souvent confusion entre décision aléatoire et décision d’espèce. lisme des professions juridiques en France : Rev. Assoc. H. Capitant 2012, p. 127 et s. – Déjudiciarisation et professions juridiques in La déjudicia- risation, O. Boscovic (dir) : Mare et Martin, coll. Droit privé et sciences 16 A. Jeammaud, V°Judiciarisation, déjudiciarisation, rejudiciarisation in criminelles, 2012, p. 117 et s. Dictionnaire de la justice, L. Cadiet (dir.) : PUF, 2004. Page 10 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - SUPPLÉMENT AU N° 51 - 17 DÉCEMBRE 2018
L’OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE DU JUGE ? JUSTICE JUDICIAIRE, JUSTICE AMIABLE, JUSTICE NUMÉRIQUE Les justiciables auraient le sentiment que la distribution d’une (…) en faveur d’un renoncement à la liberté de juger, il risque affaire à un juge plutôt qu’à un autre pourrait impacter la déci- de dénaturer la saveur du moment du jugement qui doit tenir à sion au-delà du raisonnable sans qu’on puisse y faire quoi que l’écart le poids de la société et de ses mécanismes comme celui ce soit en raison de l’indépendance juridictionnelle, garantie du bouc émissaire ou celui du poids de la norme sociale20 ». pourtant essentielle à toute bonne justice. Concrètement, les S’il ne préserve pas le sens de son intervention, le risque est entreprises peuvent difficilement supporter un aléa compliqué de congeler la jurisprudence dans l’état dans lequel elle est au à provisionner. Améliorer la lisibilité des décisions de justice moment du traitement algorithmique. N’oublions pas que la tout en assurant une égalité de traitement des justiciables sont justice prédictive ne singe pas le raisonnement d’un juge. Il ne évidemment des objectifs louables. L’ambition est de renforcer s’agit pas de raisonner à la place du juge, mais de reprendre le la confiance du citoyen dans la justice, socle de sa légitimité17. sens de ses décisions dans des espèces analogues. Or, s’il n’y a Depuis que la loi sur la République numérique a acté le principe pas de droit acquis à une jurisprudence figée, comme le rap- d’un accès à toutes les décisions de justice que le big data permet pelle de manière constante la Cour de cassation, ne devrait-il de traiter, la connaissance des décisions de justice est améliorée. pas y avoir un droit à une jurisprudence évolutive ? Un droit à Par l’usage d’algorithmes, il est possible de prévoir, sinon pré- une jurisprudence adaptée au cas d’espèce ou renouvelée par de dire, le sens de la décision à rendre. La justice prédictive servirait nouveaux débats ?21. alors le besoin de révélation de la jurisprudence afin d’en amé- liorer l’accessibilité, la lisibilité et la compréhension18. Les logi- 17 - Un office altéré ? - Le risque de la justice prédictive est aussi ciels rendent visible ce qui pendant longtemps est resté invisible. celui d’un « déterminisme juridictionnel ». La solution du juge Cela serait de nature à harmoniser en douceur les décisions de serait contrainte par les résultats de l’algorithme. Il y aurait une justice par la création par voie numérique d’une « collégialité inversion de la chronologie judiciaire. D’abord la décision pré- élargie. Le recul de la solitude du juge qui accompagnera ce visible puis la procédure pour tenter d’en réorienter le sens22 mouvement favorisera la cohérence des décisions judiciaires et à la manière des contentieux inversés que l’on connaît déjà en leur prévisibilité. On le voit : open data et évolution des pro- matière d’injonction de payer. Le rapport au temps évolue. De cédures, des métiers, des comportements et des cultures sont l’information, on passe alors à la reproduction. Le précédent étroitement liés » 19. n’est pas loin. Comme en matière de barèmes, la réflexion du La prédiction permettrait de révéler le sens de leur jurispru- juge sera alors de se demander s’il a des raisons de s’en écarter. dence. Cependant, le risque est de passer d’une révélation de la Le magistrat pourrait devoir motiver dans sa décision les raisons jurisprudence à une transformation, voire à une congélation de éventuelles qui l’amèneraient à s’écarter du résultat du logiciel. celle-ci par un effet performatif. Ainsi, « Si un juge prétend s’écarter de la décision “normale”, il semblerait logique qu’il s’en explique au vu des circonstances 16 - Un office transformé. - Il existe un risque sérieux que les particulières »23. Il n’est plus question de syllogisme judiciaire, juges se conforment au résultat des algorithmes, passant du d’une application du droit au fait, mais d’un travail sur la par- stade de l’information sur les décisions rendues à la reproduc- ticularité des faits de l’espèce pour s’éloigner de la solution tion automatique et en chaîne de celles-ci. La vigilance doit prévisible. C’est un mouvement de « factualisation du droit » alors porter sur l’indépendance juridictionnelle qui ne vise pas auquel on assiste24, le droit devenant « une information dont que les relations entre le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et il faut tenir compte et rien d’autre. Tout le droit devient un fait l’autorité judiciaire mais aussi l’indépendance d’esprit des ma- et réciproquement n’importe quel fait, légitime ou non, devient gistrats. C’est leur capacité à s’extraire du conformisme appa- normatif »25. rent des décisions pour rendre une décision in concreto, adaptée L’office traditionnel du juge pourrait dès lors devenir obsolète à la situation particulière, qui fait leur valeur ajoutée. en ce que « le juge étatique devient pour l’essentiel non plus La reproduction pourrait conduire à l’éviction du juge deve- l’autorité qui tranche le conflit et dit le droit, mais le régula- nu obsolète. En effet, la pression du rendement peut parfois teur des prestataires privés, eux-mêmes créateurs d’une forme amener à une reproduction efficace en termes de productivité de jurisprudence »26. L’office des avocats évoluerait en consé- au mépris du droit d’accès effectif au juge. Le traitement des quence27. contentieux de masse ne doit pas amener à produire des déci- sions par mimétisme, lesquelles sont censées être le résultat 20 A. Garapon, préc. note 3., spéc. n° 37. – H. Croze, La factualisation du d’une norme sinon acceptée, du moins révélée. L’accès à un juge droit : JCP G 2017, act. 101, Libres propos : « Il faut maintenir le principe de l’indépendance des juges et donc rappeler que la décision “calculée” ne indépendant et impartial est en cause car « ce savoir prédictif est s’impose pas. ». 21 Cass. 1re civ., 21 mars 2000, n° 98-11.982 : JurisData n° 2000-001121 ; JCP G 2000, IV, 1816, la Cour de cassation a ainsi elle-même précisé que 17 B. Louvel, Discours prononcé en ouverture du colloque La jurisprudence « la sécurité juridique invoquée ne saurait consacrer un droit acquis à une dans le mouvement de l’open data : https://www.courdecassation.fr/ jurisprudence figée, l’évolution de la jurisprudence relevant de l’office du publications_26/discours_entretiens_2039/discours_2202/premier_pres- juge dans l’application du droit ». ident_7084/jurisprudence_mouvement_open_data_35268.html 22 J. Carbonnier, préc. note 6, spéc. p. 321. 18 Cons. const. 16 déc. 1999, n° 99-421 DC : JO 22 déc. 1999, p. 19041. 23 H. Croze, préc. note 20. 19 B. Louvel, ouverture in La justice prédictive, Ordre des avocats au Conseil 24 H. Croze, préc, note 20. d’État et à la Cour de cassation (dir.) : Dalloz, coll. Thèmes et commentaires 25 H. Croze, préc, note 20. 2018, p. 15 et s., spéc p 18 : Le postulat de départ serait que les magistrats 26 G. Canivet in rapp. Justice, faites entrer le numérique, Institut Montaigne, méconnaissent parfois eux-mêmes leur propre jurisprudence. Cela est en 13 nov. 2017, p. 61. lien avec la forte mobilité des magistrats mais aussi avec la diversité des 27 Les avocats devront combattre les algorithmes. La bataille de logiciels contentieux qu’ils ont parfois à connaître, notamment dans les juridictions remplacera celle d’experts. Il faudra justifier des raisons pour lesquelles de taille réduite. l’espèce s’éloigne des situations ayant donné lieu à la solution prévisible. LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - SUPPLÉMENT AU N° 51 - 17 DÉCEMBRE 2018 - © LEXISNEXIS SA Page 11
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