LA SEMAINE JURIDIQUE - Tendance Droit

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LA SEMAINE JURIDIQUE - Tendance Droit
LA SEMAINE
JURIDIQUE
ÉDITION GÉNÉRALE

SUPPLÉMENT AU N° 51, 17 DÉCEMBRE 2018 ISSN 0242-5777

         L’obsolescence programmée du juge ?
  Justice judiciaire, justice amiable, justice numérique
                   ENM, 5 octobre 2018

                                                 LA PERTINENCE DE LA SÉLECTION, LA FIABILITÉ DES ANALYSES
LA SEMAINE JURIDIQUE - Tendance Droit
LEXISACTU.FR                                                                                                           UNE INFORMATION FIABLE
                                                                                                                                                               Une équipe éditoriale dédiée
                                                                                                                                                               qui scrute l’actualité pour vous

                                        Recevez votre veille juridique
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                                                                                                                                                                une cinquantaine de sujets traités
                                                                                                                                                                par jour

                                                                                                                                                                Votre flux personnalisé
                                                                                                                                                                Un format éditorial adapté pour
                                                                                                                                                                concevoir vos veilles par matière et
                                                                                                                                                                ajuster la fréquence de réception
                                                                                                                                                                des Newsletters
                                                                                                                              U
                                                                                                   NOUVEA
   PHOTO © GSTOCKSTUDIO - FOTOLIA.COM

                                                                                                                                                               ACCÈS INDIVIDUALISÉS

                                                                                                                                                                                                                      552 029 431 RCS PARIS
                                                                                                                                                               Créez des comptes personnalisés
                                                                                                                                                               et sécurisés pour chacun de vos
                                                                                                                                                               collaborateurs

                                                                                                                                                                 Accès à tout moment

                                                                                                                                                                                                                      17ALLMD081 - 05/2017
                                                                                                                                                                 Web / Tablette / Mobile

LA SEMAINE JURIDIQUE                                                        Rédactrice en chef adjointe : Élise Fils                                Prix de vente au numéro :
                                                                                                                                                    • France (métropole) : 25,53 euros TTC (25 euros HT)
                                                                            Tél. : 01.45.58.92.86 - elise.fils@lexisnexis.fr
Juris-Classeur Périodique (JCP)                                             Éditeur : Florence Creux-Thomas                                         • DOM-TOM et pays étrangers : 28 euros HT
92e année                                                                   Tél. : 01.45.58.92.42 - Florence.creux-thomas@lexisnexis.fr
                                                                                                                                                    Offre « spéciale étudiants » :
                                                                                                                                                    http://etudiant.lexisnexis.fr/
Président Directeur Général, Directeur de la publication :                  Merci à Marianne Vasquez pour la mise en page de ce numéro
Philippe Carillon
Directrice éditoriale :                                                     Publicité :                                                             LexisNexis SA
Caroline Sordet                                                             Direction marketing opérationnel : Catherine Thevin                     SA au capital de 1.584.800 euros
carolinesordet@lexisnexis.fr                                                Tél. : 01 45 58 93 05                                                   552 029 431 RCS Paris
                                                                            Catherine.thevin@lexisnexis.fr                                          Principal associé : Reed Elsevier France SA
Directeur scientifique : Nicolas Molfessis                                                                                                          Siège social : 141, rue de Javel - 75747 Paris Cedex 15
                                                                            Correspondance :
Comité scientifique : D. Bureau, L. Cadiet, C. Caron,                       Mme Hélène Béranger
                                                                                                                                                    Imprimeur : Evoluprint - SGIT SAS
J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein,                              La Semaine Juridique (Édition générale)
                                                                                                                                                    Parc Industriel Euronord, 10, rue du Parc, 31150 Bruguières
B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod,                                       141, rue de Javel - 75747 Paris Cedex 15
B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel-Munck,                                                                                                          N° Imprimeur : 5881
F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck                                              Relations clients :                                                     N° Éditeur : 5779
                                                                            Tél. : 0 821 200 700                                                    Dépôt légal : à parution
Comité d’experts : C. Champalaune, W. Feugère,                              0,112 euros puis 0,09 euros /min à partir d’un poste fixe               Commission paritaire : n° 1121 T 80376
J.-P. Jean, D. Musson, É. Negron, B. Stirn, L. Vallée,                      www.lexisnexis.fr
E. Vasseur                                                                                                                                          Photo de couverure : © Nadla - GettyImages
                                                                            Abonnement annuel 2018 :                                                Photos intérieur : ENM
Rédactrice en chef : Hélène Béranger                                        • France (métropole) : 714,70 euros TTC (700 euros ht)
Tél. : 01.45.58.93.24 - helene.beranger@lexisnexis.fr                       • DOM-TOM et pays étrangers : 770 euros ht                              Supplément gratuit pour les abonnés. Ne peut être vendu.

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LA SEMAINE JURIDIQUE - Tendance Droit
Sommaire
       La Semaine Juridique - Édition Générale - Supplément au N° 51, 17 décembre 2018

             L’obsolescence programmée du juge ?
      Justice judiciaire, justice amiable, justice numérique
                       ENM, 5 octobre 2018

                                   Ouverture du colloque
Colloque en partenariat avec l’École nationale de la magistrature, l’Université de Nanterre, UFR de Droit et science politique,
le Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique Université de Nanterre, UFR de Droit et science politique et
LexisNexis

1 Propos d’accueil                                                   2 L’obsolescence programmée du juge ? Propos introductifs
➜ Olivier Leurent, directeur de l’École nationale de la              ➜ Soraya Amrani-Mekki, professeure à l’université Paris Nan-
magistrature (ENM)                                           P. 5   terre, directrice de l’axe Justice judiciaire, amiable et numérique,
                                                                     Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique P. 6

                                             1re table ronde :
                      Justice judiciaire et justice amiable
3 L’obsolescence programmée du juge ?                                5 Mesure de l’essor des différentes pratiques amiables
Propos liminaires sur l’irruption de la justice amiable              ➜ Carine Denoit-Benteux, avocat et médiateur, ancien
dans la justice judiciaire                                           membre du Conseil de l’Ordre, présidente de la Commission
➜ Boris Bernabé, professeur à l’université Paris-Sud, Paris-         Textes du Conseil national des barreaux, responsable du
Saclay, doyen de la faculté Jean Monnet Droit – Économie –           Centre national de médiation des avocats du CNB        P. 22
Gestion (Sceaux)                                            P. 16
                                                                     6 Le notaire, un « magistrat de l’amiable » est-il lui aussi
4 Une politique de juridiction volontariste dans la promo-           menacé par une obsolescence programmée ?
tion des modes amiables de règlement des différends                  ➜ Jean-Claude Jacob, notaire, coordinateur national
➜ Stéphane Noël, président du tribunal de grande instance            des Centres de médiation notariaux                        P. 27
de Créteil                                              P. 20

                                              2e table ronde :
                     Justice judiciaire et justice numérique
7 Le greffe, acteur du changement numérique et garant                9 Justice numérique et justice judiciaire, contradiction
de la procédure numérique                                            et aléa
➜ Edith Thevenet, directrice des services de greffe, chargée         ➜ Louis Degos, avocat à la Cour, président de Commission
de mission du projet Procédure pénale numérique au                   au Conseil national des barreaux, directeur, fondateur de
Secrétariat général du Ministère de la justice            P. 31     la Revue pratique de la prospective et de l’innovation
                                                                     (RPPI - LexisNexis)                                      P. 38
8 La transformation numérique : un projet politique
au service du justiciable et des métiers de justice
➜ Stéphane Hardouin, directeur, secrétaire général adjoint,
ministère de la Justice                                  P. 33
LA SEMAINE JURIDIQUE - Tendance Droit
3e table ronde :
                     Justice numérique et justice amiable
10 Règlement en ligne des litiges : (re)faites entrer le juge !         12 Justice alternative et numérique : des expériences
➜ Yannick Meneceur, magistrat détaché, conseiller en poli-              mitigées aux Pays-Bas
tiques de transformation numérique au Conseil de l’Europe,              ➜ Charlotte Pavillon, professeur ordinaire de droit privé,
chercheur associé à l’Institut des hautes études sur la justice         en particulier de droit de la consommation, université de
(IHEJ)                                                         P. 40   Groningen, Pays-Bas                                          P. 51

11 Le numérique, relance ou révolution de l’amiable ?                   13 Une justice numérique pour une justice plus humaine
Vers un remaniement du rôle du juge                                     ➜ Thomas Saint-Aubin, président du consortium eJustice,
➜ Sophie Sontag Koenig, maître de conférences à l’université            chercheur associé à l’Institut de recherche juridique de Paris 1-
Paris Nanterre, membre du CEDCACE, Axe justice judiciaire,              Panthéon Sorbonne                                            P. 56
amiable et numérique, chargée de mission à l’Institut des
hautes études sur la justice                             P. 45

                                   La renaissance du juge ?
14 La renaissance du juge ?
➜ Thomas Andrieu, directeur des Affaires civiles et du sceau                                                                         P. 63

                                                                                                                                              © RYZHI - GETTYIMAGES
LA SEMAINE JURIDIQUE - Tendance Droit
L’OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE DU JUGE ? JUSTICE JUDICIAIRE, JUSTICE AMIABLE, JUSTICE NUMÉRIQUE

1 Propos d’accueil
                                                                        ter dans un combat mortel qui pourrait se résumer à : « Que le
                                                                        meilleur gagne ! »
              Olivier Leurent,                                          Deux griefs sont régulièrement faits à l’encontre de l’ENM :
              directeur de l’École nationale de la                      - premier grief : les magistrats y vivent et y réfléchissent en au-
              magistrature (ENM)
                                                                          tarcie, recroquevillés sur eux-mêmes ;
                                                                        - second grief : l’École étant une école du ministère de la Justice,
                                                                          comment pourrait-elle être le lieu de débats véritablement
                                                                          libres ?

M
            esdames et Messieurs les Hautes autorités,                  Merci, Madame le professeur Amrani-Mekki de nous permettre
            Mesdames et Messieurs les professeurs,                      de démontrer que ces deux griefs sont totalement erronés :
            Mesdames et Messieurs les avocats, notaires, huis-          L’ENM est un lieu d’ouverture et d’échanges avec toutes les pro-
siers, greffiers,                                                       fessions du Droit et avec toutes les composantes de la société, au
Mes chers collègues,                                                    premier rang desquelles l’Université bien entendu.
Chers étudiants,                                                        Un seul chiffre pour vous en convaincre : 22 % de nos publics en
Vous avez dit : « obsolescence programmée du juge ? »                   formation continue, ne sont pas des magistrats mais des avocats,
Obsolescence crainte par les uns… obsolescence certaine pour            des greffiers, des notaires, des enquêteurs, des éducateurs….
les autres… obsolescence souhaitée par d’autres encore… ?               L’ENM est également un lieu de liberté de réflexion et d’expression.
Et pourquoi pas renaissance d’un juge modernisé, connecté,              Cette liberté, je dirais cette indépendance, fait même partie de
numérisé mais toujours humain ?                                         son ADN.
L’avenir est toujours par définition anxiogène puisqu’il est inconnu.   Il n’y pas de question taboue à l’École !
Tout particulièrement lorsque l’évolution des pratiques pro-            C’est donc un honneur pour l’École que de vous accueillir ce
fessionnelles, les révolutions technologiques et les réformes           matin afin de réfléchir ensemble et dans le respect de nos diver-
législatives ont un impact direct sur l’office d’une profession         gences, non pas seulement à l’avenir du juge mais bien, à travers
qui n’est pas tout à fait comme les autres puisqu’il s’agit de celle    lui, à l’avenir de la justice, de notre justice.
chargée de rendre la justice.                                           Merci à vous tous d’avoir pris sur votre temps pour enrichir
La justice amiable existe maintenant depuis des années et elle          cette réflexion collective.
n’a pas pour autant rendu la justice judiciaire obsolète !              Je vous souhaite, je nous souhaite, des débats à la hauteur des
La justice numérique en gestation pourra-t-elle se substituer à         enjeux soulevés par la transformation numérique et amiable de
l’appréciation humaine du magistrat, à l’individualisation de           la justice.
l’application de la Loi ?                                               Je vous remercie de votre attention. ■
Justice judiciaire, justice amiable, justice numérique se com-
plètent-elles ou ont-elles nécessairement vocation à se confron-

Olivier Leurent, directeur de l’ENM

LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - SUPPLÉMENT AU N° 51 - 17 DÉCEMBRE 2018 - © LEXISNEXIS SA                                              Page 5
LA SEMAINE JURIDIQUE - Tendance Droit
L’OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE DU JUGE ? JUSTICE JUDICIAIRE, JUSTICE AMIABLE, JUSTICE NUMÉRIQUE

         2 L’obsolescence
         programmée du juge ?
         Propos introductifs
                                                                                              justice. Ce décalage temporel est pourtant de l’essence même
                          Soraya Amrani-Mekki,                                                de la justice3 ce que le justiciable, devenu consommateur, aurait
                          professeure à l’université Paris Nanterre, directrice               du mal à accepter au point de penser que la manière de rendre
                          de l’axe Justice judiciaire, amiable et numérique,                  justice est obsolète.
                          Centre de droit civil des affaires et du contentieux
                          économique
                                                                                              Le juge serait encore dépassé par ses modalités de fonction-
                                                                                              nement, évidemment par manque de ressources budgétaires.
                                                                                              L’augmentation du budget du ministère de la Justice (4,5 %
                                                                                              cette année) est le plus souvent affectée à celui de l’administra-

         L
               e déploiement du numérique annonce-t-il la mort du                             tion pénitentiaire aux besoins criants. La justice civile n’en bé-
               juge ou sa renaissance ? Outil d’une indéniable utilité, le                    néficie que peu. D’un point de vue matériel, l’absence d’intero-
               numérique accompagne un changement profond dans                                pérabilité des logiciels4, la vétusté du matériel informatique qui
         l’office du juge. Le présent article tente de faire la part des                      peine à gérer plusieurs utilisateurs simultanément, les difficultés
         choses entre ce qui est nécessaire pour répondre au besoin de                        liées à la mise en place de Cassiopée, le retard mis à au déploie-
         justice, moderniser l’institution et ce qui risque d’en atteindre                    ment de Portalis sont autant de critiques actuelles alimentant le
         l’essence même.                                                                      besoin de changer le mode de résolution des différends.

         1 - Obsolescence du juge ? - Evoquer l’obsolescence program-                         2 - Programmation contre l’obsolescence du juge. - Sans parler,
         mée du juge au sein de l’École nationale de la magistrature, qui                     comme l’avait fait un ancien ministre, de « clochardisation de la
         a vocation à les former, peut sembler entreprise périlleuse. Elle                    justice », la justice civile ne permettrait plus au juge de remplir
         est au contraire nécessaire et y trouve là sa juste place. L’obso-                   correctement son office au point que son usage pourrait être dé-
         lescence se définit comme le « fait d’être périmé. Dépréciation                      passé par le recours à des modes amiables et/ou numériques de
         d’un matériel ou d’un équipement avant son usure matérielle »1.                      résolution des litiges considérés comme « plus performants ».
         Envisagée comme la dépréciation de l’intervention d’un juge                          La programmation politique servirait dès lors non pas à consa-
         avant son usure (matérielle ? psychologique ?), l’obsolescence                       crer la fin du recours au juge mais au contraire à l’éviter. Les rap-
         est d’ailleurs une question actuelle en sorte que l’idée même de                     ports, commissions, projets se succèdent dans le temps5 pour
         programmation pourrait être superfétatoire.                                          tenter de reconnecter le juge aux besoins de la société civile.
         Le juge serait dépassé par le besoin de justice. La masse conten-                    Recourir à l’amiable pour pacifier les relations sociales ; recourir
         tieuse serait telle qu’il ne pourrait répondre à la demande dans                     au numérique pour moderniser le rapport au juge.
         des délais satisfaisants ni selon une charte qualité parfaitement                    Il est dès lors envisagé dans les textes les plus récents, quels que
         identifiée et contrôlée. Ni la productivité ni la qualité ne seraient                soient les gouvernements en place, l’idée de recentrer le juge sur
         en somme au rendez-vous. L’intervention du juge serait même                          son cœur de mission pour lui permettre de moins juger pour
         déconnectée du besoin social ; le temps de la justice n’est pas ou                   mieux juger. Créer des circuits de dérivation amiables et/ou
         n’est plus celui de la société. La société de l’instantanéité, parfai-
         tement mise en lumière par Hartmut Rosa2, serait en décalage                         3 V. not. A. Garapon, Les enjeux de la justice prédictive : JCP G 2017, doctr.
         avec le temps de maturation nécessaire aux affaires judiciaires.                       31, n° 21 : « Le procès était le fruit d’un rapport au temps, à l’espace et à
                                                                                                un référent symbolique. Il déplaçait le conflit dans un temps et un espace
         Ce décalage n’est pas propre au contentieux des affaires, la pos-                      particuliers adossés à un rituel qui était celui de la procédure et reformulait
         sibilité d’obtenir tout, tout de suite, sans se déplacer, s’accom-                     le litige en des termes nouveaux. ».
         mode mal avec le rythme inhérent au fonctionnement de la                             4 Il faut souligner les difficultés de mise en place du système Cassiopé
                                                                                                comme de Portalis.
                                                                                              5 A. Garapon in Rapport de l’IHEJ. La prudence et l’autorité : l’office du juge
                                                                                                au XXIe siècle : La Documentation français, juill. 2013. – P. Delmas-Goyon,
         1 Dictionnaire Larousse.                                                               Rapport à Mme la garde des Sceaux, ministre de la Justice. « Le juge du
         2 H. Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps (2005), trad. D.                21ème siècle ». Un citoyen acteur, une équipe de justice : La Documentation
           Renault : La découverte, 2010, p. 36 : « l’expérience de la modernisation            française, déc. 2013. – D. Marshall, Rapport à Mme la garde des Sceaux,
           est une expérience de l’accélération (...). L’accélération sociale est la carac-     ministre de la Justice. Les juridictions du XXIe siècle. Une institution qui,
           téristique centrale de la transformation des structures temporelles et est           en améliorant qualité et proximité, s’adapte à l’attente des citoyens, et aux
           ainsi une force majeure de la culture de la modernité ». Adde, sur la théorie        métiers de la justice : La Documentation française, déc. 2013. – F. Agostini
           du présentisme qui veut que le présent l’emporte sur tout, passé et avenir,          et N. Molfessis, Chantiers de la justice. Amélioration et simplification de la
           Fr. Hartog, Régimes d’historicité : présentisme et expériences du temps :            procédure civile : Ministère de la Justice. – V. JCP G 2018, act. 237, Aperçu
           Culture & Musées, 2004, vol. 4, n° 1, p. 128.                                        rapide J. Théron.

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LA SEMAINE JURIDIQUE - Tendance Droit
L’OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE DU JUGE ? JUSTICE JUDICIAIRE, JUSTICE AMIABLE, JUSTICE NUMÉRIQUE

numériques pour des litiges, parfois qualifiés de « basse inten-          nomicus en sorte que l’obsolescence de son office conduit à celle
sité » pour reprendre une formulation québécoise, permettrait             de son recours (2).
de libérer le juge qui offrirait sa plus-value aux seules affaires qui
le méritent. Le recours au juge deviendrait un mode alternatif
de résolution des litiges. Le principe serait de régler les litiges
                                                                          1. L’obsolescence de l’office du juge ?
hors la juridiction par une sorte de pré instance dont il ne serait
plus alors que le superviseur éventuel.                                   5 - Le juge tranche le litige par application des règles de droit.
Il y a là de saines intentions visant à « recycler » le juge dont l’an-   L’incitation à l’amiable comme le recours au numérique risquent
cien usage serait obsolète. Le juge doit savoir, dans ce contexte,        de profondément changer son office juridictionnel, puisque
se réinventer. Charles Peguy ne disait-il pas un juge habitué est         l’objet de ce qu’il aura à juger comme sa manière de juger sont
un juge mort pour la justice ?                                            de nature à évoluer et interrogent sur le juste positionnement
                                                                          du juge. Moins directement flagrante est la modification de son
3 - Programmation de l’obsolescence du juge ? La question                 office processuel par la mise en état conventionnelle et/ou nu-
est alors de savoir si les projets de réforme, pour sauver le juge        mérique des affaires qui amène à s’interroger sur l’intérêt même
d’une obsolescence programmée, ne risquent pas au contraire               qu’il y aura à y impliquer un juge. L’office processuel pourrait
d’en accélérer le processus. Les débats actuels autour du projet          se déplacer (A) alors que son office juridictionnel serait trans-
de loi de programmation pour la- justice 2018-2022 et la réac-            formé (B).
tion du Défenseur des droits dans son avis n° 18-22 du 27 sep-
tembre dernier en attestent.                                              A. – Office processuel : Un office déplacé
Derrière l’obsolescence technique de l’intervention du juge se
profile une obsolescence plus profonde du système judiciaire              6 - Le juge doit, avant de trancher, s’assurer que l’affaire est en
voire de la capacité du droit à réguler les comportements so-             état d’être jugée. L’idée révolutionnaire selon laquelle les juge-
ciaux. Autrement dit, un changement social bien plus radical              ments seraient rendus sur le champ a vécu et il faut convenir
est aujourd’hui à l’œuvre. Il ne s’agit plus de parler de déjudi-         que la procédure est, selon les termes du doyen Jean Carbonnier,
ciarisation ou de modernisation mais bien de déjuridicisation             « l’institution d’une mise en doute avec une décision au bout »6.
de la société. Au-delà des juges, ce sont alors les représentants         Cette institution requiert du temps et des actes de procédure
de la Nation qui sont interpellés dans leur capacité à faire le           dont le recours au numérique (1°) comme à l’amiable (2°) pour-
droit et même à faire société. La force symbolique attachée à             rait faire l’économie.
l’intervention du juge dépasse la seule autorité judiciaire. Elle
engage une certaine vision de la société qui pourrait elle-même           1° La procédure numérique
être dépassée.
Loin de nous l’idée de faire du catastrophisme. Le constat est            7 - Dématérialisation de la procédure et disparition du juge. -
plutôt aujourd’hui celui d’un recours insuffisant à l’amiable             La transformation numérique est en cours afin de moderniser
et d’une justice prédictive non encore effective. Par ailleurs,           l’office du juge qui ne dispose pas d’outils suffisamment per-
les craintes associées à leur déploiement ne peuvent s’analyser           formants pour exercer avec efficacité sa mission. La procédure
qu’en contemplation des apports indéniables qu’ils peuvent                numérisée est un outil de simplification et de démocratisation
offrir. L’ambition de cette journée scientifique est toutefois, le        de l’accès au juge. Il en est ainsi potentiellement de la saisine
rythme des réformes s’accélérant, d’anticiper sur les évolutions          numérique des juridictions comme de la possibilité d’obtenir
de l’office du juge pour les accompagner ou les regretter.                une date d’audience de manière dématérialisée. Le justiciable
                                                                          ne peut que s’en réjouir à condition toutefois que cette dématé-
4 - Obsolescence ou renaissance ? L’obsolescence, même pro-               rialisation n’implique pas sa disparition physique des prétoires.
grammée, du juge doit inciter à penser sa renaissance. Comme              L’outil informatique n’est jamais neutre. Il ne faudrait pas que
tout être vivant, il doit s’adapter à son milieu. C’est là la force       le progrès associé à la modernisation des outils délégitime par
de l’homo sapiens. L’amiable comme le numérique lui en four-              principe toute interrogation réduite à une posture rétrograde.
nissent les moyens. Cependant, justices judiciaire, amiable et            L’outil véhicule une certaine conception de l’office du juge. Il
numérique s’entremêlent dans des liaisons possiblement dange-             en est ainsi lorsque la dématérialisation est connectée à la dis-
reuses pour le juge qui pourrait disparaître au profit du couple          parition des audiences alors même qu’elle concerne des petits
amiable-numérique.                                                        litiges sans représentation par avocat. Le couple petits litiges/
Afin d’envisager le risque d’obsolescence du juge et l’espoir             dématérialisation impliquerait un désengagement au moins
d’une renaissance, il convient d’aborder, en premier lieu,                physique du juge. Le temps de l’audience est pourtant un temps
l’obsolescence de son office tel que traditionnellement conçu.            utile voire indispensable et c’est pourquoi les procédures ibéro-
L’amiable et le numérique invitent en effet à repenser cet office         américaines consacrent un principe de présence7. L’audience est
qui pourrait être adapté aux évolutions, même si le présupposé            le moment où le justiciable est entendu, peut revendiquer ses
selon lequel la mutation est nécessaire reste à éprouver (1).
Cette mutation risque, en second lieu, de mettre en péril l’utilité
persistante à recourir à son office. L’effort déployé devant le juge
                                                                          6 J. Carbonnier, Sociologie juridique : PUF, 1994, spéc. p. 321.
est-il proportionné au gain espéré ? C’est le recours au juge qui         7 A. Danet, La présence en droit processuel : Dalloz, coll. Bibliothèque de la
risque d’en pâtir s’il ne respecte pas les attentes de l’homo eco-          justice, 2018.

LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - SUPPLÉMENT AU N° 51 - 17 DÉCEMBRE 2018 - © LEXISNEXIS SA                                                         Page 7
LA SEMAINE JURIDIQUE - Tendance Droit
L’OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE DU JUGE ? JUSTICE JUDICIAIRE, JUSTICE AMIABLE, JUSTICE NUMÉRIQUE

         droits les plus fondamentaux et peut percevoir le fonctionne-                       largement, c’est faire fi du fait qu’il rend des ordonnances ayant
         ment de la justice.                                                                 autorité de chose jugée qui sont susceptibles d’appel. Il faudrait
         La proximité numérique ne remplace pas mécaniquement la                             sans doute distinguer plus nettement ce qui relève d’une mise
         proximité géographique. C’est pourtant le calcul opéré avec                         en état quasi technique du dossier de sa mise en état juridique.
         la création d’une juridiction nationale pour les injonctions de                     Or, la frontière est difficile à tracer.
         payer. Certes, le contradictoire rétabli par une procédure d’op-                    Les contraintes informatiques créent de nouvelles règles procé-
         position retrouvera sa place dans la juridiction théoriquement                      durales non codifiées. Un exemple topique concerne les jonc-
         compétente. Cependant, dans sa première phase, rarement                             tions de procédures. En principe, des procédures sont jointes
         contestée, la solution est rendue parce que la créance paraît                       car il est de l’intérêt d’une bonne administration de la justice
         fondée en son principe, selon des formulaires dont il a déjà été                    de les traiter ensemble. Elles demeurent cependant autonomes
         dénoncé au niveau européen leur caractère réducteur. La part de                     et ne sont pas fusionnées, ce qui a notamment pour effet que
         la preuve et du vrai y est en effet réduite. Les juges qui auront à                 les délais de procédure doivent être calculés séparément dans
         gérer cette phase numérisée et nationalisée seront donc amenés                      chacune d’elles. À cette jonction juridique s’ajoute aujourd’hui
         à certifier des procédures formulaires quasi mécaniquement au                       une jonction technique, rendue nécessaire par le seul fait que
         point qu’on pourra se demander si leur présence est tout à fait                     le RPVA ne permet pas de régulariser une déclaration d’appel
         nécessaire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le défenseur                   mais nécessite d’en faire une nouvelle générant informatique-
         des droits vient de recommander que « la création d’une juridic-                    ment un nouveau numéro de rôle. Deux instances sont ainsi
         tion centralisée et dématérialisée ne conduise pas à terme à une                    fictivement créées qui sont jointes. La jonction, non connue du
         automatisation du traitement des requêtes ou au pré-examen                          Code de procédure civile conduit ici à la fusion des procédures
         des requêtes par des délégataires privés »8. Pourtant, et même si                   et notamment au fait que le délai pour conclure court du jour de
         cela demeure quantitativement marginal, cette première phase                        la première déclaration d’appel9. Les règles de procédure civile
         d’un contentieux qualifié d’inversé permet un contrôle de qua-                      s’adaptent aux contraintes informatiques au lieu d’adapter le
         lité de la part de juges d’instance du fait de leur connaissance                    système aux règles de droit. C’est la machine qui dicte sa loi.
         approfondie du droit qu’ils appliquent parallèlement dans les                       « Code is law ».
         procédures ordinaires. L’utilité est certaine mais quantitative-                    Ce recul de l’intervention du juge débarrassé de contraintes
         ment résiduelle, ce qui conduit à en faire l’économie.                              dont la machine pourrait lui faire l’économie est également
                                                                                             souhaité par voie de contractualisation.
         8 - La mise en état électronique et création de règles procédu-
         rales. - La mise en état électronique est quant à elle déjà à l’œuvre               2° La procédure amiable
         depuis que l’usage du réseau privé virtuel avocat (RPVA) est
         devenu obligatoire devant les cours d’appel et sera renforcé avec                   9 - Procédure participative de mise en état.- La contractualisa-
         son extension devant les tribunaux de grande instance au 1er                        tion de la mise en état est possible depuis la loi dite J21 n° 2016-
         septembre 2019. Or, cette mise en état électronique a marqué                        1547 du 18 novembre 2016. L’article 2062 du Code civil dis-
         une distance entre le juge et les avocats. Il n’existe plus d’au-                   pose que la procédure participative, initialement prévue pour
         dience physique de mise en état. La dématérialisation renforcée                     résoudre les différends avant de saisir le juge, peut désormais
         des procédures conduit aujourd’hui à penser que l’intervention                      être utilisée en vue de mettre l’affaire en état d’être jugée10. Il
         d’un juge pourrait ne plus se justifier. Il a ainsi été suggéré de                  ne s’agit alors plus de résoudre le litige amiablement mais d’en
         supprimer purement et simplement l’intervention du juge de                          assurer le traitement par une forme d’externalisation de la mise
         la mise en état pour attribuer ses fonctions au greffier. Moder-                    en état.
         nisation et déjuridictionnalisation iraient de pair. Il y a là un                   Celle-ci serait doublement profitable. D’abord pour les avocats
         certain paradoxe à l’heure où le rapport sur la simplification et                   qui pourraient ainsi se réapproprier le principe dispositif en
         l’amélioration de la procédure civile préconise par ailleurs de                     décidant du calendrier de la procédure, du nombre d’échanges,
         lui confier le pouvoir de statuer sur les fins de non-recevoir. Plus                des informations communiquées ainsi que des mesures d’ins-
                                                                                             truction diligentées à l’amiable. Ainsi, l’expert serait choisi par
         8 Déf. droits, avis. n° 18-22, 27 sept. 2018, p. 9-10-11 : « A défaut d’infor-      les parties qui définiraient elles-mêmes sa mission et les modali-
           mation sur les moyens humains mis à disposition de cette juridiction et           tés de rétribution de ses honoraires. Pour les magistrats, ensuite,
           de précisions sur les modalités de traitement des requêtes en injonction          il y aurait là une réattribution de leur tâche de mise en état qui
           de payer, on peut s’interroger, compte tenu de la masse du contentieux qui
           devra être traitée, sur une volonté gouvernementale de recourir à terme           leur permettrait de se recentrer sur leur activité « purement et
           à une automatisation du traitement des requêtes ou au pré-examen des              strictement » juridictionnelle.
           requêtes par des délégataires privés, ce qui ne serait pas sans poser de diffi-
           cultés.
           Ainsi, dans le cadre du traitement des réclamations en matière de conten-
           tieux routier, le Défenseur des droits a constaté les difficultés soulevées
           par une telle privatisation dans le traitement des requêtes en exonération
           qui relève de la compétence du centre national de traitement de Rennes            9 Cass. 2e civ., 16 nov. 2017, n°16-23.796 : JurisData n° 2017-022974 ; JCP G
           ou encore plus récemment dans le cadre de la réforme du stationnement.               2017, act. 1274, obs. R. Guinchard.
           L’agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI)               10 Sur le concept de procédure participative de mise en état, S. Amrani Mek-
           en charge du traitement des infractions constatées par les radars a ainsi            ki, L’avocat du 21ème siècle - Projet J21, procédure participative et acte de
           délégué une partie de ses activités à un prestataire privé qui s’occupe de           procédure d’avocats : JCP G 2015, act. 1052. – L’acte de procédure d’avo-
           pré-imputer l’infraction à un véhicule en faisant examiner à ses employés            cats : signe d’une nouvelle ère de la procédure civile ? in 40 ans après…Une
           les plaques d’immatriculation et les véhicules ainsi que la vérification des         nouvelle ère pour la procédure civile, C. Bléry et L. Raschel (dir.) : Dalloz,
           mentions de contestation ».                                                          coll. Thèmes et commentaires, 2016, p. 17 et s.

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LA SEMAINE JURIDIQUE - Tendance Droit
L’OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE DU JUGE ? JUSTICE JUDICIAIRE, JUSTICE AMIABLE, JUSTICE NUMÉRIQUE

Propos introductifs avec Soraya Amrani-Mekki

10 - Procédure participative hors le juge ? - Le système de vases                   phase judiciaire. Décidément, la procédure est irréductible au
communicants n’est pourtant pas mécanique et soulève de nom-                        calcul arithmétique.
breuses questions qui sont liées les unes aux autres. D’abord, il
ne saurait y avoir un passage radical à une « conventionnalisa-                     11 - Disparition de la mise en état ? - L’ambition est de délester
tion » de la mise en état sans passerelle judiciaire possible. En                   le juge d’un office de mise en état, par l’usage du numérique ou
effet, il faudra bien qu’un juge intervienne en cas d’exceptions                    de l’accord, afin de le libérer de certaines contraintes. Le constat
de procédure ou d’incidents soulevés par une partie, sauf à ima-                    pourrait effectivement être fait en pratique que la plus-value
giner que le passage par l’amiable emporte renonciation à un                        de son intervention est réduite. Est-elle malgré tout nécessaire
pan entier de la procédure civile.                                                  voire indispensable ?
Ensuite, la question demeure de savoir si, au moment du réta-                       La mise en état n’est pas pure et stricte administration de la
blissement de l’affaire, la mise en état est nécessairement close,                  justice. Elle implique des décisions juridictionnelles du juge
en sorte qu’il ne resterait plus qu’à entendre les plaidoiries et à                 notamment sur la régularité de la demande en justice. Il serait
juger, ou si une évolution de la matière litigieuse serait encore                   possible de préserver son office en l’imposant dans une phase
possible jusqu’à l’ordonnance de clôture. Dans le premier cas,                      préalable à la phase conventionnelle où toutes les questions
la concentration des prétentions et des moyens serait assurée                       procédurales seraient soulevées. La première audience dite
conventionnellement11. Dans le second cas, celui d’une évolu-                       d’orientation permettrait ainsi de purger l’affaire des questions
tion possible de la matière litigieuse, conformément au droit                       procédurales ce qui induirait une modification de certaines ex-
commun du procès civil, jusqu’à l’ordonnance de clôture, cette                      ceptions de procédure qui ne pourraient plus être soulevées en
phase amiable peut se transformer en pré mise en état décalant                      tout état de cause. Si le juge de la mise en état se voyait confier le
mais ne supprimant pas l’office du juge.                                            pouvoir de statuer sur les fins de non-recevoir comme cela a pu
Enfin, mais tout est lié, la question de savoir si le recours à la                  être proposé, il en serait de même pour celles-ci. C’est ainsi plus
phase amiable de mise en état pourra être obligatoire ou forte-                     profondément le Code de procédure civile qu’il faudra refondre.
ment incitée n’est pas neutre. Le rapport sur la simplification et                  Numérisation et contractualisation conduisent ainsi à rendre le
l’amélioration de la procédure civile a semblé sur ce point hési-                   Code de procédure civile lui-même obsolète.
tant12. L’économie procédurale pourrait conduire à en souhai-
ter l’automaticité. Mais la conception même de la contractuali-
sation s’accommode mal d’une phase obligatoire qui pourrait                         B. – Office juridictionnel : un office
se transformer en une perte de temps avant de basculer vers la
                                                                                    renouvelé
11 Outre que cette conséquence n’est pas toujours parfaitement perçue,
   encore faudrait-il que les plaidoiries suivent de très peu le rétablissement     12 - L’office du juge consiste à trancher les litiges conformément
   pour qu’aucune évolution de la matière litigieuse ne puisse intervenir : faits
   nouveaux, revirement de jurisprudence, intervention de tiers, demandes
                                                                                    aux règles de droit applicables. Cette fonction traditionnelle
   incidentes… Notons qu’il est préconisé un « audiencement » rapide après          pourrait demain être réservée à des litiges de « haute intensité »
   procédure participative de mise en état mais encore faudra-il savoir dans        (juridique ? financière ?) en partant de l’idée qu’elle est, dans les
   quelle mesure.
12 F. Agostini et N. Molfessis, préc. note 5, spéc. § 3, p. 21 : « D’ailleurs, le   autres domaines, devenue inutile : soit l’amiable offrirait une
   recours à la procédure participative devrait également devenir le mode           solution de meilleure qualité, soit une connaissance algorith-
   normal d’échanges pour les parties assistées dans le cadre d’une procédure       mique de la solution permettrait son application hors le juge.
   orale » et p. 26 : « Dès lors que les parties sont assistées par un avocat,
   imposer le recours à la procédure participative pour la mise en état des         Dans tous les cas, l’office du juge s’en trouve modifié. Le juge,
   affaires comme proposé ci-après ». V. cep. prop. n° 19, p. 22 et s.              retranché dans un office de contrôle ou de supervision, devrait

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L’OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE DU JUGE ? JUSTICE JUDICIAIRE, JUSTICE AMIABLE, JUSTICE NUMÉRIQUE

          adapter ses méthodes de travail et son positionnement, qu’il                         tir d’un acte qui lui est soumis, en sorte que l’office du juge se
          s’agisse d’intervenir après une procédure amiable (1°) ou en                         recentrerait sur l’accord, peu important la nature de la matière
          prenant en compte l’utilisation d’algorithmes (2°).                                  litigieuse initiale. Lorsqu’il intervient en seconde ligne, il n’est
                                                                                               plus juge de la famille, de la responsabilité ou de la construction.
          1° Office du juge face à la solution amiable                                         Il devient juge du contrat, ce qui pose de nombreuses questions
                                                                                               procédurales et d’administration de la justice.
          13 - Juge contrôleur de l’accord amiable. - Partant du principe                      La déjudiciarisation que permet le recours aux modes amiables
          que le jugement a ses limites et qu’il est parfois inapte à régler                   s’accompagne ainsi d’une rejudiciarisation sur un litige diffé-
          le conflit sous-jacent à son expression juridique, le déploiement                    rent où il n’est plus amené à trancher le litige conformément aux
          des modes amiables se fait de manière exponentielle. La palette                      règles de droit applicables16. Il fonctionne comme juge d’appui,
          d’offre amiable s’étoffe alors que le passage par l’amiable est de                   lorsque son recours est nécessaire pendant une phase amiable,
          plus en plus vigoureusement incité pour faire en sorte que le                        ou comme superviseur en cas de contestation de l’accord ; mais
          juge n’intervienne que de manière subsidiaire, comme ultime                          l’objectif premier est bien de se passer autant que faire se peut
          recours. La question est aujourd’hui de savoir s’il faut en faire                    de son office.
          un préalable obligatoire au recours au juge13. On notera avec
          intérêt que le Défenseur des droits est favorable à des mesures                      14 - Juge promoteur de la solution amiable. - Le juge devient
          incitatives, sans préciser lesquelles, « dès lors que les parties ont                promoteur des modes amiables. Même s’il n’existe pas (encore)
          la faculté d’y mettre fin, avec ou sans motif, et que leur retrait n’a               d’indicateurs de performance fondés sur le recours à l’amiable,
          pas de conséquences défavorables à leur égard dans les étapes                        les incitations se font de plus en plus vigoureuses. Certains
          suivantes du litige.                                                                 magistrats n’hésitent pas à afficher une utilisation de l’article
          À cet égard, il recommande au législateur d’introduire des ga-                       700 du Code de procédure civile pour inciter les avocats à user
          ranties afin que les droits des parties soient préservés, et que ces                 des modes amiables. Devant certaines juridictions, la proposi-
          dernières ne puissent pas faire l’objet de mesures défavorables,                     tion amiable est systématiquement faite au moment des débats
          en cas d’échec de la médiation, notamment dans l’hypothèse                           en appel alors même que plusieurs années de procédures et
          où celle-ci aurait été enjointe par le juge »14. Il existe en effet                  d’échanges de conclusions auront semblé inutiles. D’autres ma-
          des systèmes où le refus d’un accord plus favorable que la dé-                       gistrats inventent des circuits de sélection des affaires pouvant
          cision de justice finalement rendue entraîne la condamnation                         utilement profiter d’un passage par l’amiable là où, demain, la
          du demandeur à la totalité des frais du procès. Pour l’heure il                      généralisation de l’injonction de rencontrer un médiateur, voire
          a seulement été préconisé en France une sanction par usage de                        de tenter une médiation, affirmera encore un peu plus le pou-
          l’article 700 du Code de procédure civile, ce qui se fait déjà par-                  voir du juge.
          fois en pratique, en cas de refus de satisfaire à une injonction de                  Là où actuellement l’article 21 du Code de procédure civile in-
          rencontrer le médiateur.                                                             dique qu’il entre dans la mission du juge de concilier, il faudra
                                                                                               bientôt lire qu’il entre dans la mission du juge de faire en sorte
          L’office du juge se trouve mécaniquement modifié en cas de                           que les parties tentent de se concilier avant de juger.
          recours à l’amiable car son rôle est alors différé et différent15.                   Il faut alors veiller à ce que la promotion de l’amiable ne prenne
          Le juge n’intervient plus ab initio pour régler un litige mais a                     pas le pas sur la fonction juridictionnelle. La proposition de
          posteriori pour traiter du contentieux né de l’accord ou pour en                     recours à l’amiable doit se faire sur la base de critères discutés au
          consolider les termes.                                                               sein des juridictions, voire des unités de médiation judiciaire qui
          Lorsqu’il agit en qualité de juge homologateur, il n’opère plus                      ont l’avantage d’impliquer également les autres professionnels
          en principe qu’un contrôle léger de conformité à l’ordre public                      du droit, pour éviter que l’amiable devienne la variable d’ajus-
          et aux bonnes mœurs. Par exception, il peut être amené à véri-                       tement des flux judiciaires. Il ne faut pas renoncer à juger ce qui
          fier que l’intérêt d’une partie vulnérable ou d’une collectivité de                  doit l’être, ce qui suppose une réflexion par type de contentieux
          personnes représentées est respecté. Il peut alors aller jusqu’à                     pour distinguer les causes en préservant toujours la faculté de
          demander une révision de l’accord. Cependant, même dans                              revenir à un circuit classique. Il y va aussi de la déontologie des
          cette dernière hypothèse, il ne dit pas le droit sur un litige mais                  magistrats qui ne doivent pas passer le Rubicon en indiquant la
          contrôle l’accord. Il intervient alors en seconde analyse à par-                     solution probable pour inciter à l’amiable. L’incitation ne doit
                                                                                               pas se muer en pression.
          13 Le projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022 prévoit pour
             l’heure un passage obligatoire par l’amiable en matière de conflit de voisi-      2° Office du juge face à l’accès numérique aux
             nage et pour les litiges d’un montant à fixer par décret en Conseil d’État. Il    décisions
             précise que cet amiable obligatoire pourra prendre la forme d’une conci-
             liation devant un conciliateur de justice, une médiation ou une procédure
             participative. L’injonction de rencontrer un médiateur est en outre géné-         15 - Un office amélioré. - L’un des maux dont souffrirait actuel-
             ralisée mais il faudra attendre le résultat des débats parlementaires pour        lement la justice serait l’aléa judiciaire. L’utilisation du condi-
             mesurer exactement l’étendue de ces obligations.
          14 V. Déf. droits, préc. note 8, spéc. p. 17 : « Le Défenseur des droits est favo-   tionnel est faite à dessein car sans aléa, sans place pour le doute,
             rable aux mesures tendant à inciter au règlement amiable des litiges ».           l’idée même de procédure à suivre est douteuse. En vérité, il y a
          15 S. Amrani Mekki, Déjudiciarisation et professions juridiques in Le plura-         souvent confusion entre décision aléatoire et décision d’espèce.
             lisme des professions juridiques en France : Rev. Assoc. H. Capitant 2012,
             p. 127 et s. – Déjudiciarisation et professions juridiques in La déjudicia-
             risation, O. Boscovic (dir) : Mare et Martin, coll. Droit privé et sciences       16 A. Jeammaud, V°Judiciarisation, déjudiciarisation, rejudiciarisation in
             criminelles, 2012, p. 117 et s.                                                      Dictionnaire de la justice, L. Cadiet (dir.) : PUF, 2004.

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L’OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE DU JUGE ? JUSTICE JUDICIAIRE, JUSTICE AMIABLE, JUSTICE NUMÉRIQUE

Les justiciables auraient le sentiment que la distribution d’une                    (…) en faveur d’un renoncement à la liberté de juger, il risque
affaire à un juge plutôt qu’à un autre pourrait impacter la déci-                   de dénaturer la saveur du moment du jugement qui doit tenir à
sion au-delà du raisonnable sans qu’on puisse y faire quoi que                      l’écart le poids de la société et de ses mécanismes comme celui
ce soit en raison de l’indépendance juridictionnelle, garantie                      du bouc émissaire ou celui du poids de la norme sociale20 ».
pourtant essentielle à toute bonne justice. Concrètement, les                       S’il ne préserve pas le sens de son intervention, le risque est
entreprises peuvent difficilement supporter un aléa compliqué                       de congeler la jurisprudence dans l’état dans lequel elle est au
à provisionner. Améliorer la lisibilité des décisions de justice                    moment du traitement algorithmique. N’oublions pas que la
tout en assurant une égalité de traitement des justiciables sont                    justice prédictive ne singe pas le raisonnement d’un juge. Il ne
évidemment des objectifs louables. L’ambition est de renforcer                      s’agit pas de raisonner à la place du juge, mais de reprendre le
la confiance du citoyen dans la justice, socle de sa légitimité17.                  sens de ses décisions dans des espèces analogues. Or, s’il n’y a
Depuis que la loi sur la République numérique a acté le principe                    pas de droit acquis à une jurisprudence figée, comme le rap-
d’un accès à toutes les décisions de justice que le big data permet                 pelle de manière constante la Cour de cassation, ne devrait-il
de traiter, la connaissance des décisions de justice est améliorée.                 pas y avoir un droit à une jurisprudence évolutive ? Un droit à
Par l’usage d’algorithmes, il est possible de prévoir, sinon pré-                   une jurisprudence adaptée au cas d’espèce ou renouvelée par de
dire, le sens de la décision à rendre. La justice prédictive servirait              nouveaux débats ?21.
alors le besoin de révélation de la jurisprudence afin d’en amé-
liorer l’accessibilité, la lisibilité et la compréhension18. Les logi-              17 - Un office altéré ? - Le risque de la justice prédictive est aussi
ciels rendent visible ce qui pendant longtemps est resté invisible.                 celui d’un « déterminisme juridictionnel ». La solution du juge
Cela serait de nature à harmoniser en douceur les décisions de                      serait contrainte par les résultats de l’algorithme. Il y aurait une
justice par la création par voie numérique d’une « collégialité                     inversion de la chronologie judiciaire. D’abord la décision pré-
élargie. Le recul de la solitude du juge qui accompagnera ce                        visible puis la procédure pour tenter d’en réorienter le sens22
mouvement favorisera la cohérence des décisions judiciaires et                      à la manière des contentieux inversés que l’on connaît déjà en
leur prévisibilité. On le voit : open data et évolution des pro-                    matière d’injonction de payer. Le rapport au temps évolue. De
cédures, des métiers, des comportements et des cultures sont                        l’information, on passe alors à la reproduction. Le précédent
étroitement liés » 19.                                                              n’est pas loin. Comme en matière de barèmes, la réflexion du
La prédiction permettrait de révéler le sens de leur jurispru-                      juge sera alors de se demander s’il a des raisons de s’en écarter.
dence. Cependant, le risque est de passer d’une révélation de la                    Le magistrat pourrait devoir motiver dans sa décision les raisons
jurisprudence à une transformation, voire à une congélation de                      éventuelles qui l’amèneraient à s’écarter du résultat du logiciel.
celle-ci par un effet performatif.                                                  Ainsi, « Si un juge prétend s’écarter de la décision “normale”, il
                                                                                    semblerait logique qu’il s’en explique au vu des circonstances
16 - Un office transformé. - Il existe un risque sérieux que les                    particulières »23. Il n’est plus question de syllogisme judiciaire,
juges se conforment au résultat des algorithmes, passant du                         d’une application du droit au fait, mais d’un travail sur la par-
stade de l’information sur les décisions rendues à la reproduc-                     ticularité des faits de l’espèce pour s’éloigner de la solution
tion automatique et en chaîne de celles-ci. La vigilance doit                       prévisible. C’est un mouvement de « factualisation du droit »
alors porter sur l’indépendance juridictionnelle qui ne vise pas                    auquel on assiste24, le droit devenant « une information dont
que les relations entre le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et               il faut tenir compte et rien d’autre. Tout le droit devient un fait
l’autorité judiciaire mais aussi l’indépendance d’esprit des ma-                    et réciproquement n’importe quel fait, légitime ou non, devient
gistrats. C’est leur capacité à s’extraire du conformisme appa-                     normatif »25.
rent des décisions pour rendre une décision in concreto, adaptée                    L’office traditionnel du juge pourrait dès lors devenir obsolète
à la situation particulière, qui fait leur valeur ajoutée.                          en ce que « le juge étatique devient pour l’essentiel non plus
La reproduction pourrait conduire à l’éviction du juge deve-                        l’autorité qui tranche le conflit et dit le droit, mais le régula-
nu obsolète. En effet, la pression du rendement peut parfois                        teur des prestataires privés, eux-mêmes créateurs d’une forme
amener à une reproduction efficace en termes de productivité                        de jurisprudence »26. L’office des avocats évoluerait en consé-
au mépris du droit d’accès effectif au juge. Le traitement des                      quence27.
contentieux de masse ne doit pas amener à produire des déci-
sions par mimétisme, lesquelles sont censées être le résultat                       20 A. Garapon, préc. note 3., spéc. n° 37. – H. Croze, La factualisation du
d’une norme sinon acceptée, du moins révélée. L’accès à un juge                        droit : JCP G 2017, act. 101, Libres propos : « Il faut maintenir le principe
                                                                                       de l’indépendance des juges et donc rappeler que la décision “calculée” ne
indépendant et impartial est en cause car « ce savoir prédictif est                    s’impose pas. ».
                                                                                    21 Cass. 1re civ., 21 mars 2000, n° 98-11.982 : JurisData n° 2000-001121 ;
                                                                                       JCP G 2000, IV, 1816, la Cour de cassation a ainsi elle-même précisé que
17 B. Louvel, Discours prononcé en ouverture du colloque La jurisprudence              « la sécurité juridique invoquée ne saurait consacrer un droit acquis à une
   dans le mouvement de l’open data : https://www.courdecassation.fr/                  jurisprudence figée, l’évolution de la jurisprudence relevant de l’office du
   publications_26/discours_entretiens_2039/discours_2202/premier_pres-                juge dans l’application du droit ».
   ident_7084/jurisprudence_mouvement_open_data_35268.html                          22 J. Carbonnier, préc. note 6, spéc. p. 321.
18 Cons. const. 16 déc. 1999, n° 99-421 DC : JO 22 déc. 1999, p. 19041.             23 H. Croze, préc. note 20.
19 B. Louvel, ouverture in La justice prédictive, Ordre des avocats au Conseil      24 H. Croze, préc, note 20.
   d’État et à la Cour de cassation (dir.) : Dalloz, coll. Thèmes et commentaires   25 H. Croze, préc, note 20.
   2018, p. 15 et s., spéc p 18 : Le postulat de départ serait que les magistrats   26 G. Canivet in rapp. Justice, faites entrer le numérique, Institut Montaigne,
   méconnaissent parfois eux-mêmes leur propre jurisprudence. Cela est en              13 nov. 2017, p. 61.
   lien avec la forte mobilité des magistrats mais aussi avec la diversité des      27 Les avocats devront combattre les algorithmes. La bataille de logiciels
   contentieux qu’ils ont parfois à connaître, notamment dans les juridictions         remplacera celle d’experts. Il faudra justifier des raisons pour lesquelles
   de taille réduite.                                                                  l’espèce s’éloigne des situations ayant donné lieu à la solution prévisible.

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