Le combat d'Irène Frachon, sous l'oeil de la caméra

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Publié le 5 mai 2021(Mise à jour le 6/05)
Par Laure Salamon

Le combat d’Irène Frachon, sous
l’oeil de la caméra
Un documentaire, réalisé par Anne Richard, relate le combat d’Irène Frachon
contre le Mediator, en se focalisant sur le procès dont le verdict a été présenté fin
mars.

Irène Frachon, Droit au cœur démarre au Tribunal de Paris lors de l’ouverture du
procès du Mediator en septembre 2019. Les malades attendent cet instant depuis
longtemps. Irène Frachon, pneumologue et lanceuse d’alerte sur les dangers de
ce médicament, ne veut pas prendre la parole devant les médias. C’est le temps
du procès, elle a suffisamment parlé. « J’ai tout dit à la presse ! ». Elle ne veut pas
créer d’interférences dans le procès où elle est citée comme témoin.

La réalisatrice Anne Richard qui suit Irène Frachon dans son combat depuis
longtemps remonte un peu le temps pour contextualiser le procès du Mediator
entre les 6500 dossiers des victimes constituées comme parties civiles face aux
laboratoires Servier et leur armée d’avocats. Des flashbacks reviennent sur les
premiers dossiers de patients dont les valves du cœur sont abîmées. Egalement
sur la rencontre avec le sénateur Gérard Bapt qui va devenir un soutien dans
cette lutte.
Telle une petite souris qui la suit
En suivant la caméra d’Anne Richard, on observe telle une petite souris la
manière dont Irène Frachon se comporte avec les journalistes, avec les avocats
des parties civiles, et surtout avec ses patients. Par exemple, on découvre
l’histoire de Céférina, une de ses patientes décédée en 2020. La caméra explore
aussi les arcanes d’un procès-fleuve que le docteur Frachon a suivi entre
septembre 2019 et juin 2020 (en dehors de la période du confinement), ainsi que
l’annonce du verdict.

Le téléspectateur découvre une femme combattive qui mène son enquête pour
rassembler les preuves, qui n’hésite pas à interpeler les médias et faire de la
pédagogie pour convaincre l’opinion publique que c’est une injustice. Elle se bat
contre les tentatives de déstabilisation contre elle. Avec sa croix huguenote
autour du cou, telle la foi chevillée au corps, elle ne lâche rien et reste en colère
contre ces comportements, cette impunité. Les trémolos dans la voix, elle raconte
encore et encore comment cette histoire lui est tombée dessus, et pourquoi elle se
bat pour ses patients. Certains passages sont saisissants d’humanité et fort en
intensité.

Un condensé de ces dix années de lutte en 52 minutes pour entrer dans les
coulisses de son combat et approcher un peu plus près la personnalité de cette
grande dame.

À voir
Irène Frachon, droit au coeur, Anne Richard, à revoir jusqu’au 28 juin 2021, sur
France.tv
Publié le 31 mars 2021(Mise à jour le 3/04)
Par Laure Salamon

Mediator : Irène Frachon regrette
une “occasion ratée”
La pneumologue Irène Frachon, lanceuse d’alerte sur le Mediator, a réagi à
l’annonce du verdict, mardi 30 mars 2021.

Lundi 29 mars, le tribunal correctionnel de Paris a reconnu coupable le groupe
pharmaceutique Servier de « tromperie aggravée » et d’« homicides et blessures
involontaires » dans l’affaire du Mediator. Les laboratoires ont été condamnés à
payer une amende de 2,718 millions d’euros. “On y est mais pas encore,
commente la pneumologue Irène Frachon, mardi 30 mars. C’est une occasion
ratée. Avec toutes les preuves que nous leur avons fournies (éléments de mon
livre Mediator 150 mg, rapport de l’IGAS sur l’histoire de ce médicament, des
victimes identifiables…), les juges avaient les moyens de prononcer un verdict
exemplaire. Je croyais qu’avec ces éléments nous n’irions pas dans le mur comme
beaucoup de scandales de santé publique. Et pourtant. Les peines sur le plan
pénal sont prononcées avec du sursis, bien en deçà des réquisitions du parquet.
Le message envoyé est difficilement compréhensible. Le tribunal dit que c’est très
grave, que les laboratoires Servier sont coupables mais derrière la sanction ne
suit pas.”
Pourtant, les moyens déployés pour cette affaire sont gigantesques : dix ans
d’enquête, dix mois de procès.

Pour la pneumologue à l’origine de la bataille contre ce médicament, la
dissonance est choquante. “Une des victimes me disait à la sortie du tribunal : ils
sont condamnés à quoi ? À rien. Nous restons sur notre faim. Le tribunal avait
tous les éléments pour condamner, punir. Je me demande pourquoi il ne l’a pas
fait. La justice n’est-elle pas la même pour tout le monde ? Non visiblement, les
cols blancs sont épargnés. Nous avons un gigantesque problème car cette firme
est dangereuse. Quand un boucher vend des produits avariés, on lui ferme sa
boutique. Là, ils vendent des produits dangereux pour la santé et on les laisse
faire. Ils répètent les mêmes mensonges qu’il y a 10 ans. Le tribunal a reconnu
que c’était un coupe faim, dérivé d’amphétamine.”

Ni effondrée ni remplie d’amertume mais
déçue
Irène Frachon n’est pas effondrée ni remplie d’amertume, mais déçue par le
jugement. Elle est quand même satisfaite que les laboratoires Servier soient
condamnés pour “tromperie aggravée”. Autre motif de satisfaction,
l’indemnisation pour les parties civiles qui attaquaient les laboratoires pour
“tromperie”. Le tribunal demande une indemnisation à hauteur de 158 millions
d’euros au motif du préjudice d’anxiété. “C’est une bonne chose”, s’est-elle
réjouie.

Enfin, Irène Frachon se disait, mardi soir, satisfaite que l’entreprise soit enfin
reconnue coupable car de “scandale médiatique” la firme devient “pharmaco-
délinquante”. “Maintenant le monde médical qui continue de se faire entretenir,
payer des colloques, congrès et autres subventions par le groupe Servier ne
pourra plus se cacher derrière sa soi-disant présomption d’innocence. Si nous
voulons que les patients retrouvent confiance dans le discours médical, il faut que
les médecins laissent de côté cette entreprise.”

Une petite consolation pour la pneumologue qui a passé tant d’années, soutenue
par quelques-uns, à dénoncer la responsabilité des laboratoires et à défendre les
victimes.
Elle espère que le parquet fera appel de la décision et va continuer à
accompagner les victimes auprès de l’Office National d’Indemnisation des
Accidents Médicaux et poursuivre son travail à l’hôpital de Brest.

Laure Salamon

  Procès Mediator : les laboratoires Servier condamnés

  Procès Mediator : la ténacité d’Irène Frachon récompensée

Publié le 30 mars 2021(Mise à jour le 3/04)
Par Nathalie Leenhardt

Procès Mediator : la ténacité
d’Irène Frachon récompensée
L’ancienne directrice de Réforme Nathalie Leenhardt partage sa réaction face au
verdict du procès Mediator, elle qui fut une des premières à écrire sur l’affaire
Mediator en 2010 lors de la publication du livre d’Irène Frachon.
En écoutant en boucle, lundi 29 mars, le verdict du procès Servier sur France
Info, je n’ai pu m’empêcher de me laisser aller à l’émotion. Et à la rage. Émotion
en repensant au combat long, acharné, périlleux mené par Irène Frachon. J’ai
partagé de loin la lutte de la pneumologue de Brest contre ce Mediator de mort.
La première dans la presse française, j’ai rédigé le portrait d’Irène, paru le 23
septembre 2010 dans Réforme. J’ai su la solitude terrible des débuts puis la
médiatisation et la belle aventure du film (La Fille de Brest). À chaque échange
avec Irène, j’ai été frappée par sa ténacité, son ancrage dans ses racines
protestantes et sa foi, sa volonté farouche de persévérer, en dépit des menaces de
Servier ou du dédain d’une grande partie de ses pairs. Irène a tenu bon. Et n’a
jamais lâché ses patientes.

Mais j’ai aussi ressenti beaucoup de colère : que sont ces 2,7 millions d’euros
pour “tromperie aggravée” et “homicides et blessures involontaires” infligés à
Servier, rapportés aux 400 millions d’euros amassés grâce au Mediator prescrit
comme coupe-faim ? Que sont ces quatre années de prison avec sursis et 90600
euros d’amende pour le numéro 2 de la société, Jean-Philippe Sera, face à la mort
de tant de femmes, à la maladie de tant d’autres, dont la vie est à jamais entravée,
diminuée, abîmée ? Tant et tant de patientes qui ont subi la morgue des avocats
de Servier et qu’Irène soutenait, inconditionnellement.

En colère
Oui je suis en colère. Certes le tribunal a infligé à Servier le maximum de la peine
encourue pour les délits dont il s’est rendu coupable, mais la relaxe pour
escroquerie l’a bien aidé. Alors que les prévenus savaient et n’ont rien fait ou
plutôt ont tout fait pour retarder la prise de conscience des effets secondaires du
médicament.

Puisse ce procès et la condamnation de l’Agence du médicament “d’avoir
gravement failli à sa mission” ouvrir un chemin où l’appât du gain ne soit plus le
seul moteur de certains, notamment dans l’industrie pharmaceutique. Puisse les
prises illégales d’intérêt et les dérives de pantouflage ne plus se reproduire
impunément. Puisse, en un mot, l’éthique trouver enfin sa place.

Irène Frachon n’a pas caché “son amertume” à l’énoncé du verdict. Et pour
cause. Qu’elle sache combien une foule de citoyens anonymes sont infiniment
reconnaissants de son combat et admiratifs de son courage.

Nathalie Leenhardt, ancienne directrice de la rédaction de Réforme

  Procès du Mediator : entretien avec la pneumologue Irène Frachon

  “La Fille de Brest” : le combat d’Irène Frachon au cinéma

  Irène Frachon : Au nom de ses malades

Publié le 30 mars 2021(Mise à jour le 3/04)
Par Laure Salamon
Procès Mediator : les laboratoires
Servier condamnés
Le tribunal correctionnel de Paris a reconnu la culpabilité des laboratoires
Servier pour “tromperie aggravée” et d’”homicides et blessures involontaires”
dans l’affaire du Mediator, mais n’a pas retenu le délit d’escroquerie.

Les laboratoires Servier ont été condamnés à payer une amende de 2,718 millions
d’euros en raison de leur culpabilité pour “tromperie aggravée” et d’”homicides
et blessures involontaires” dans l’affaire du Mediator. Le tribunal correctionnel
de Paris a rendu lundi 29 mars son verdict après de long mois de délibération et
un procès qui s’est tenu entre septembre 2019 et juillet 2020.

Le Mediator, à l’origine d’un des plus importants scandales sanitaires, avait
initialement été mis sur le marché pour le traitement du diabète, avant d’être
largement prescrit comme coupe-faim. Le tribunal a reconnu que les laboratoires
Servier avaient caché les propriétés anorexigènes et les dangereux effets
secondaires de ce médicament. “Malgré la connaissance qu’ils avaient des risques
encourus depuis de très nombreuses années (…) ils n’ont jamais pris les mesures
qui s’imposaient et ont ainsi trompé” les consommateurs du Mediator, a déclaré
la présidente du tribunal correctionnel, Sylvie Daunis.

Le délit d’escroquerie n’a, lui, pas été retenu. Jean-Philippe Seta, ancien numéro 2
du laboratoire, dont le président Jacques Servier est décédé en 2014, a été
condamné à quatre ans de prison avec sursis pour “blessures et homicides
involontaires”. Il devra payer une amende de 90 600 euros.

Déception du côté des victimes soutenues
par Irène Frachon
Du côté des nombreuses victimes, c’est une déception. Elles considèrent que,
malgré les faits d’une extrême gravité reprochés aux laboratoires, les sanctions
envers les responsables se sont pas à la hauteur. Plusieurs dizaines de personnes
constituées en parties civiles ont assisté à la lecture du jugement du tribunal ce
lundi, sur les 6500 dossiers impliqués dans le procès. “C’est incompréhensible au
regard du délit commis et de sa gravité”, a dénoncé, à la sortie du tribunal, Irène
Frachon devant les caméras de BFM-TV. Même si la pneumologue s’est réjouie de
voir “la facture s’alourdir pour dédommager les victimes de cette tromperie. C’est
une chose positive, ces victimes peuvent attendre une indemnisation importante
si elles ont été exposées longtemps au mediator.” En effet, le tribunal a exigé que
les laboratoires payent plus 180 millions d’euros aux victimes.

Le tribunal reconnait la dangerosité du
Mediator
Malgré l’amertume face aux faibles peines, Irène Frachon était heureuse: “Le
tribunal reconnaît ce que je dis depuis 14 ans : le Mediator était une
amphétamine dangereuse, Servier le savait parfaitement, a sciemment trompé
des millions de consommateurs”.

Assistant aux 517 heures d’audiences, la pneumologue avait été la première à
faire le lien entre les maladies de ses patientes et la prise de ce médicament. Elle
s’est d’abord battue pour le faire interdire. Sa commercialisation a été finalement
stoppée en novembre 2009. Irène Frachon s’est ensuite battue pour médiatiser
l’affaire en publiant en juin 2010 Mediator 150 mg, dont le sous-titre « Combien
de morts ? » fut un temps interdit par le laboratoire. La censure du titre servira
pourtant son combat, connu au point d’inspirer un film La fille de Brest (2016).

Lanceuse d’alerte au nom de sa foi
Enfin, depuis quatorze ans, cette protestante n’a eu de cesse de défendre ces
femmes issues pour qu’elles obtiennent justice et de dénoncer la responsabilité
des laboratoires Servier envers et contre tous. Face aux intimidations et aux
rumeurs, elle a tenu bon, soutenue par quelques-uns, comme les ministres de la
santé qui ont permis la tenue de ce procès, comme elle le disait en septembre
2019 au démarrage du procès dans un entretien accordé à Réforme. Elle a
relancé sans cesse pour que les victimes ne baissent pas les bras comme en 2015
en lançant le manifeste des 30.

Pour celle qui se sépare rarement de sa croix huguenote, défendre les malades
allait de soi. “Je me suis mise du côté des victimes, comme m’y invite la foi”,
témoignait-elle dans Réforme en septembre 2010. Mais elle refusait la
comparaison biblique de David contre Goliath et publiait en mars 2011 une
tribune dans laquelle elle écrivait : “Je ne combats personne, je révèle des faits à
l’opinion publique et l’on découvre alors qu’il y a des David contre Goliath.” Et le
verdict, rendu lundi 29 mars, a bien montré que les David ont fait plier Goliath.

Laure Salamon (Avec AFP)

  Procès du Mediator : entretien avec la pneumologue Irène Frachon

  “La Fille de Brest” : le combat d’Irène Frachon au cinéma

  Irène Frachon : “La fronde de David face aux forces de Goliath”

  Irène Frachon : Au nom de ses malades
Publié le 18 septembre 2019(Mise à jour le 3/04)
Par Nathalie Leenhardt

Procès du Mediator : entretien
avec la pneumologue Irène
Frachon
Le procès du laboratoire Servier, poursuivi pour avoir sciemment commercialisé
un médicament qui a entraîné la mort de centaines de malades, débute le
23 septembre.

Questions à Irène Frachon, pneumologue

Le procès au pénal du Mediator débutera le 23 septembre. C’est le plus
gros scandale sanitaire depuis celui du sang contaminé. Irène Frachon est
à l’origine de la révélation de la dangerosité du Mediator. Pneumologue à
Brest, elle a mené l’enquête, a fini, avec d’autres, par obtenir le retrait du
médicament et a continué inlassablement à accompagner les malades
dans leur lutte pour être indemnisés par le laboratoire Servier.

Dans quel état d’esprit abordez-vous ce procès ?

Je suis infiniment heureuse parce que nous avons vécu dix années
extraordinairement difficiles, plus difficiles que le combat pour faire interdire le
Mediator. Ce qu’a fait le laboratoire Servier dépasse l’entendement. Ses avocats,
sa direction ont été cyniques et manipulateurs. Je suis outrée que la justice ait
laissé, jusqu’à présent, les victimes seules face à eux. Des femmes sont mortes
pendant ces dix années, d’autres sont exsangues. Nous avons vécu dans une
maltraitance constante. Certes, certaines victimes ont été indemnisées mais
l’indemnisation ne remplace pas la justice. Les malades et leurs familles avaient
besoin de justice. Nous y sommes.

Comment avez-vous vécu vous-même ces dix années ? Avez-vous été
soutenue par vos collègues ?

Le corps médical français a été totalement aux abonnés absents. Bien sûr, comme
dans la Bible, il y a eu quelques justes. Une minorité de médecins, d’experts se
sont levés face à la puissance de Servier, mais dans l’ensemble très peu. Moi-
même j’ai été confrontée au mieux à une vaste indifférence, au pire à une franche
hostilité, y compris sur les réseaux sociaux.

J’ose dire que face à cette tragédie nationale, les hautes autorités médicales, les
académies, les sociétés savantes sont restées dans le déni le plus détestable. Je
crois que derrière cette indifférence hautaine se cache un mépris des castes.
N’oublions pas que la grande majorité des victimes sont des femmes issues de
milieux populaires. Elles ont été outragées et mal accompagnées.

Les politiques ont-ils fait de même ?

Clairement non. Je tiens à dire que sans la détermination de trois ministres de la
Santé (Xavier Bertrand, Marisol Touraine et Agnès Buzyn), de leurs cabinets, des
hauts fonctionnaires de la direction générale de la Santé, constamment
préoccupés du sort des victimes, nous ne serions pas parvenus à ce procès. Leurs
interventions, leurs décisions, les décrets publiés ont toujours été pertinents.
Sans eux tout ce processus aurait été un fiasco.

Comment expliquer que le laboratoire Servier ait tant de puissance ?

Avec l’attitude du corps médical, c’est le second point profondément choquant de
ce scandale. Servier est resté un interlocuteur, un objet de collaboration à
différents niveaux. Pourquoi un tel aveuglement de la part de l’Inserm ou de l’AP-
HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) ? Près de la moitié des médicaments
commercialisés par Servier ont été retirés au fil des années du fait de leur
dangerosité.

Le Vectarion, un stimulant respiratoire, a été interdit en 2014. Si quelqu’un y
regarde de plus près, on peut retrouver les mêmes mécanismes que ceux du
Mediator. Le bilan du Vectarion est de plus de 2000 victimes souffrant de graves
atteintes nerveuses. Comment est-ce possible dans notre pays ? Pourquoi Valérie
Pécresse, Cédric Villani… encouragent-ils Servier à installer un énorme centre de
prétendues recherches sur le plateau de Saclay, au prétexte qu’il faut tourner la
page ?

Aujourd’hui Servier, dont l’image s’est quand même ternie en France, réalise
l’essentiel de son chiffre d’affaires à l’étranger au Brésil ou en Russie… Ce procès
doit éclairer sur le phénomène occulté de criminalité en col blanc, voire en blouse
blanche !

Ce procès relève-t-il du fameux “class action” américain ?

Il s’apparente en effet à ce mécanisme qui permet à un grand nombre de victimes
de déposer plainte ensemble. Ainsi près de 4 000 victimes vont-elles se porter
partie civile pour tromperie aggravée, escroquerie. Par contre, les procédures
restent individuelles pour les faits d’homicides et blessures involontaires, mais
jointes à ce procès. Beaucoup ont des avocats communs. Elles vont pouvoir, au
long de ces six mois, faire entendre ce qu’elles ont vécu, les souffrances, les
opérations, les réponses de Servier quand elles ont demandé des indemnisations
(procédure civile). Ici, au pénal, on va leur rendre justice. Moi-même je serai
appelée comme témoin et j’assisterai autant que possible aux audiences. Des
experts, à charge et à décharge, vont s’exprimer. Ces auditions sont publiques. Ce
sera vraiment le procès du Mediator.

Le film La Fille de Brest sur votre combat a-t-il été utile ?

La Fille de Brest, qui me paraît si juste, a été visionné dans les facultés de
médecine. De nombreuses corpos ont organisé des soirées débats. Les étudiants
ont compris les risques de conflit d’intérêts qui existent dans le monde médical.
Cela m’a fait du bien, tant j’ai été ostracisée par mes confrères, à l’exception de
l’équipe de Brest, toujours aussi soudée.

Propos recueillis par Nathalie Leenhardt

Un procès comparable par son ampleur à
celui du sang contaminé
Le procès qui démarre le 23 septembre va marquer l’histoire judiciaire française
par son ampleur. Le Mediator, prescrit comme coupe-faim à des personnes en
surpoids, dans les années 1990, a provoqué la mort de 500 à 2 000 personnes.
Pendant six mois, à raison de quatre demi-journées par semaine, les juges vont
entendre un grand nombre de témoins. Quatre mille victimes et ayants droit des
victimes se sont constitués partie civile pour réclamer la réparation d’un
préjudice. Leur plainte a été jugée recevable par la justice. D’autres plaintes ont
dû être rejetées, faute d’avoir pu fournir la preuve de la prise de Médiator
pendant au moins deux ou trois mois (ordonnances, remboursements).

Quatorze prévenus et 11 personnes morales, dont le laboratoire Servier, sont
poursuivis pour « tromperie aggravée », « escroquerie » et « homicides et
blessures involontaires ».

Si les premières alertes ont eu lieu à la fin des années 1990, le Mediator sera
interdit en France en 2009, soit onze ans après la Suisse et six ans après
l’Espagne…

À lire
Visages du Médiator
photographies de Marc Dantan et textes d’Irène Frachon
Prescrire, 24,50 €.
Publié le 14 avril 2017(Mise à jour le 14/04)
Par Nathalie Chaumet

Théâtre : “Mon cœur” l’affaire
Mediator sur le devant de la scène
La pasteure Nathalie Chaumet attire l’attention sur une pièce de théâtre qui
met en scène une victime du Mediator luttant pour faire reconnaître ses droits.

Mon cœur est une pièce de théâtre écrite par Pauline Bureau et jouée pour la
première fois sur la scène du Volcan au Havre. Après une série de représentations
au théâtre des Bouffes-du-Nord à Paris, elle est aujourd’hui en tournée dans toute
la France. Cette pièce met en scène le combat d’une femme qui doit subir en
urgence une grave opération cardiaque après de longs mois d’affaiblissement et
d’essoufflement.

Avec la médiatisation des révélations d’Irène Frachon sur les effets délétères du
Mediator, elle découvre soudainement qu’elle n’est pas malade sans raison. En
effet, elle fait partie de ces femmes qui ont, sur prescription médicale, pris du
Mediator. La pièce décrit alors le long combat qu’elle entame contre les
laboratoires pour obtenir tout d’abord la reconnaissance de son statut de victime
et un dédommagement financier à hauteur des préjudices subis.

Or si le préjudice peut être facilement chiffré dans certains domaines (comme la
perte d’emploi pour incapacité physique), comment évaluer d’autres formes de
préjudice telles que la solitude, la fatigue et le découragement d’elle-même qui
ont réduit son existence à si peu ou l’angoisse qui a envahi son fils ?

Sans pathos aucun, avec finesse, justesse et émotion, cette pièce met alors en
scène le long chemin d’expertises et de contre-expertises auquel la plaignante
doit faire face en sus de sa maladie. Cette œuvre théâtrale fait écho au film La
Fille de Brest qui retrace la découverte puis le combat de la pneumologue Irène
Frachon pour dénoncer les effets du Mediator et obtenir le retrait de ce
médicament, décision prise en 2009.

Responsabilités croisées
En rejoignant nos salles de spectacle en 2017, le film et la pièce dénoncent
aujourd’hui une situation qui s’est enlisée judiciairement. Car, pour chacune des
victimes, obtenir réparation relève d’un véritable parcours d’obstacle.

Il a fallu attendre 2016 pour que la responsabilité civile des laboratoires Servier
soit confirmée et cette même année pour qu’un décret limite le risque de
compensations financières au rabais. Malgré cela, à ce jour aucune date n’a
encore été fixée pour un procès au pénal. En haut lieu l’imputation des
responsabilités se révèle complexe. Car qu’en est-il du rôle de pharmaco-vigilance
de l’État lors de la mise sur le marché d’un médicament ? Les responsabilités
croisées de ce dernier et des laboratoires viennent complexifier le processus
d’indemnisation.

Par ailleurs, les chiffres les plus divers sont avancés. Car s’il y a les victimes
établies (preuves à l’appui), comment évaluer les victimes potentielles (décès dont
on peut présumer qu’ils ont pour cause le médicament, sans preuves
suffisamment avérées) ? Or le doute ne profite pas toujours aux malades.

Ainsi là où certains s’obstinent à ne voir que la partie émergée de l’iceberg,
d’autres tentent de ne pas oublier toutes ces victimes de l’ombre. Enfin, cette
affaire a mis en évidence des conflits d’intérêts entre les laboratoires et certains
responsables sanitaires empêchant à l’époque une indépendance pleine et entière
de l’Agence française du médicament.

Le courage d’Irène Frachon
En attendant, dans l’expectative d’un procès au pénal, des plaignants décèdent,
d’autres renoncent, le temps joue en défaveur des malades.

Cette pièce de théâtre met en lumière ces victimes de nos violences sociétales si
souvent passées sous silence et parfois bien démunies face aux puissances
qu’elles doivent affronter.
C’est pourquoi nous pouvons ici saluer le courage d’Irène Frachon dans ce
combat pour chercher à faire la lumière et permettre que les victimes ne
disparaissent pas dans l’obscurité des enjeux financiers.

Ne l’oublions pas, à Pâques, si la lueur de l’espérance jaillit au cœur du tombeau,
c’est aussi pour que nous ayons parfois le courage de brandir des lumières là où
l’ombre semble profitable à certains.

Publié le 22 septembre 2011(Mise à jour le 25/10)
Par Frédérick Casadesus

« La culture familiale du groupe
Servier l’a emporté sur tout »
Chercheur pendant plus de vingt-cinq ans au sein du laboratoire Servier, Claude
(1) analyse la culture de l’entreprise et les liens particuliers entre les laboratoires
et l’État.

Le laboratoire Servier est le prototype de l’affaire familiale et du paternalisme.
Jacques Servier en est le seul patron et tous les circuits de décision remontent
jusqu’à lui. Lors du recrutement d’un salarié, une enquête professionnelle et
personnelle est menée sur le candidat. Une fois la grille de sélection franchie, le
nouvel embauché va recevoir une formation complète de un à six mois pour
découvrir quelques-uns des métiers qui constituent l’entreprise. Certes, ces
fameuses enquêtes peuvent dériver du côté du contrôle de personnalité.

Le laboratoire Servier est le prototype de l’affaire familiale et du paternalisme.
Jacques Servier en est le seul patron et tous les circuits de décision remontent
jusqu’à lui. Lors du recrutement d’un salarié, une enquête professionnelle et
personnelle est menée sur le candidat. Une fois la grille de sélection franchie, le
nouvel embauché va recevoir une formation complète de un à six mois pour
découvrir quelques-uns des métiers qui constituent l’entreprise. Certes, ces
fameuses enquêtes peuvent dériver du côté du contrôle de personnalité. Mais la
politique sociale et salariale développée dans l’entreprise compense ces
inconvénients.

En définitive, cette procédure permet au patron de choisir des salariés
correspondant à son état d’esprit, celui d’un bourgeois traditionnel d’Orléans, qui,
disons-le avec humour, cherche plutôt à identifier des jeunes filles sages et des
jeunes hommes bien élevés. On peut estimer qu’en écartant des individus au
tempérament rebelle, le laboratoire s’est privé de ressources intellectuelles
audacieuses. Mais cette méthode a été compensée en partie par l’ouverture au
monde : le groupe est en effet présent dans 130 pays, ce qui assure un accès à
des cultures différentes.

Comment interpréter la réaction, qui a pu choquer, de Jacques Servier, quand le
scandale du Mediator a éclaté ?

Culture spécifique

Il faut se souvenir que Jacques Servier a créé son laboratoire au lendemain de la
guerre, à partir de la pharmacie héritée de son père. À cette époque, presque tout
était à inventer. Nous sommes passés en 20 ans d’une pharmacie de « remèdes »
à une pharmacopée de « médicaments ». Dans ce contexte, la société tolérait
qu’en soignant 999 999 personnes, un médicament puisse provoquer le décès
d’un millionième patient. C’est ainsi que les premiers vaccins ou les traitements
contre la tuberculose étaient accueillis avec enthousiasme, en dépit des effets
secondaires qu’ils pouvaient entraîner.
D’ailleurs, lorsqu’un laboratoire met un médicament sur le marché, il ne connaît
pas encore tous ses effets indésirables : sur les notices ne sont notés que ceux qui
ont été observés pendant les études cliniques réalisées sur une population très
réduite. Au départ, les malades sont donc aussi des expérimentateurs.

Dans la culture des entreprises pharmaceutiques, le fait qu’un médicament
pouvait provoquer le décès d’un patient ne constituait pas nécessairement une
cause suffisante pour le retirer si le bénéfice thérapeutique était par ailleurs
important pour les autres patients traités. Ce n’est qu’à partir des années
soixante-dix que les laboratoires – et Servier lui-même – se sont consacrés à la
fabrication de médicaments mieux ciblés, qui ne se contentaient plus seulement
de sauver des vies, mais présentaient aussi moins d’effets secondaires pour le
patient.

Il faut ajouter qu’en France, et je crois que nulle part ailleurs une situation
semblable existe avec un tel interventionnisme, le seul interlocuteur des
laboratoires, c’est l’État, par le biais des agences et des commissions qu’il a
créées. C’est lui qui fixe les règles de mise sur le marché, le prix et le
remboursement des médicaments. Quand le scandale a éclaté, le laboratoire s’est
tourné vers lui, non, comme on a pu le penser, parce qu’il y avait collusion
d’intérêts privés, mais parce que l’État avait donné son accord à la
commercialisation du médicament et se trouvait donc directement impliqué dans
l’affaire.

Le rôle des médecins doit aussi être évoqué. Présents dans tous les laboratoires (y
compris chez Servier), ils comptent parmi les experts mandatés par l’État, tout en
étant aussi au cœur du système de distribution des médicaments. Cela crée des
relations très complexes, en tout cas confusionnelles.

Enfin, la fabrication d’un médicament exige un investissement compris entre 1 et
2 milliards d’euros sur dix ans. Il arrive parfois qu’après un an de
commercialisation le retrait du médicament s’impose pour cause d’effets
secondaires inacceptables.

De plus, après une dizaine d’années de commercialisation, l’État peut, et c’est
souvent le cas, autoriser la mise sur le marché de copies (que l’on appelle des
« génériques ») à des prix très inférieurs.

Tous les laboratoires cherchent donc à tirer le meilleur parti d’un médicament
pendant les 10 ans de brevet de la molécule qu’il contient, tout en restant à
l’intérieur des limites tracées par l’État.

Je ne cherche pas à déculpabiliser le laboratoire Servier mais à faire comprendre
qu’un laboratoire fonctionne dans une société dont les attentes et les exigences,
au fil du temps, ont pu varier. Le rapport que les Français entretiennent avec leur
santé n’a plus rien à voir avec celui qui était le leur en 1950. Le laboratoire
Servier, comme les autres, a suivi l’évolution des mentalités, mais il est lui-même
l’objet de pressions différentes, notamment celles de l’État, des médecins et de
l’environnement économique.

Réflexes internes

Quand le scandale du Mediator a éclaté, la culture familiale du groupe l’a
emporté sur tout autre considération : on ne parle pas à l’extérieur de la famille
des difficultés que l’on a à l’intérieur, tel a été le mot d’ordre implicite. Ce réflexe
a été d’autant plus fort que les résultats transmis, en interne, par les bases de
données se révélaient beaucoup moins alarmants que ceux annoncés à l’extérieur.
Il est probable que chez Servier une poignée de gens, obsédés par le chiffre
d’affaires, a pensé que le groupe se trouvait encore à l’intérieur des limites fixées
par l’État pour le Mediator. D’autres, extérieurs au groupe Servier, se sont battus
pour dire une autre vérité sur le Mediator.

Je ne me résigne pas à ce que les années passées dans le groupe Servier se
résument à cette affaire. Aujourd’hui, les salariés du groupe sont particulièrement
concernés par le scandale. D’abord parce qu’ils ont de la compassion pour les
victimes parmi lesquelles se trouvent certains de leurs proches. Ils sont
également touchés parce qu’on les traite comme des voyous voire des criminels.
Pourquoi des milliers de salariés payeraient-ils les fautes de quelques-uns ?
Comme beaucoup de personnes du groupe, je ne dis plus que je travaille pour le
laboratoire Servier. Invité dans une soirée, je préfère me présenter comme
chercheur en biochimie.

Tirant les leçons de cette affaire, le laboratoire Servier gagnerait à se développer
encore plus vers les nouvelles technologies en biologie, qui constituent l’avenir de
notre métier.

(1). Le prénom a été changé.

Propos recueillis par Frédérick Casadesus

Publié le 24 mars 2011(Mise à jour le 30/03)
Par Irène Frachon
Irène Frachon : “La fronde de
David face aux forces de Goliath”
Irène Frachon, l’auteur de “Mediator 150 mg, Combien de morts ?”, plaide pour
que les victimes du médicament puissent mener un combat commun contre le
laboratoire Servier.

Réforme a été, avec le Nouvel Observateur, l’un des premiers hebdomadaires
français à consacrer un long article au drame du Mediator (1), devenu depuis un
scandale sanitaire retentissant aux allures d’affaire d’État. Je soulignais alors mes
inquiétudes face aux obstacles multiples, notamment juridiques, que ne
manqueraient pas de rencontrer les patientes désireuses de faire reconnaître leur
préjudice, bien seules face au laboratoire Servier. Ce dernier, responsable de la
commercialisation du Mediator, persiste encore dans un déni de responsabilité
aussi farouche qu’inquiétant. J’évoquais aussi mes espérances en l’action de
politiques engagés dans cette affaire comme le député et cardiologue Gérard
Bapt, auquel se sont joints depuis le sénateur François Autain et jusqu’au ministre
de la santé Xavier Bertrand.

“Des David contre Goliath”
L’article soulignait le côté disproportionné du « combat » d’un simple médecin
contre un laboratoire puissant, renvoyant à l’image biblique du combat de David
contre Goliath. Mais il n’y a pas un David contre Goliath. Je ne combats personne,
je révèle des faits à l’opinion publique et l’on découvre alors qu’il y a des David
contre Goliath. Des David, car le système juridique français actuel ne permet pas
à la multitude de victimes de constituer un corps puissant capable de s’opposer
efficacement au laboratoire responsable pour faire reconnaître son préjudice et
son droit à une réparation. Chaque victime, petit David, va s’armer comme elle le
peut, s’appuyant sans réel moyen de discernement (compte tenu de l’absence de
sources identifiées et cohérentes d’informations), qui, sur un avocat plus ou moins
dévoué à ses intérêts, qui, sur une association plus ou moins improvisée ou
aguerrie, qui, sur une commission de conciliation, qui, sur un poste de
gendarmerie… Rarement, trop rarement, Goliath vacille. Quelques rares
condamnations (trois à ma connaissance contre plusieurs dizaines de milliers aux
États-Unis) ont ainsi couronné des années éprouvantes de procédures dans
l’affaire du coupe-faim Isoméride, dont Mediator n’est qu’une réplique. Goliath
s’est relevé après ces chiquenaudes et, rassuré sur son invincibilité, c’est-à-dire
en clair sur son impunité, a pu reprendre sa quête effrénée de profits au mépris
de la vie des personnes.

Actions collectives
Citoyenne effarée, j’assiste aux premiers « combats » de ces David, les victimes
de Brest et d’ailleurs, combats qu’elles pourraient payer de leur vie physique
et/ou psychique. En atteste l’arrêt cardiaque miraculeusement récupéré d’une
victime du Mediator, malmenée lors d’une expertise judiciaire indigne, le 28
février dernier. En attestent les appels au secours que je reçois par courriers,
courriels ou appels téléphoniques : « Sachez Irène que s’ils restaient impunis [les
responsables du laboratoire, ndrl], ce serait comme si on m’arrachait le cœur une
deuxième fois. » Aussi j’appelle les magistrats, les juristes, les politiques de notre
pays à offrir, par une modification de nos lois, la possibilité à tous ces David de se
rassembler afin de peser de toutes leurs forces réunies contre les
Goliath/laboratoires/lobbies divers. Il doit être possible de définir les contours de
« class actions » à la française sans sombrer dans certains excès dont l’écho nous
revient parfois d’outre-Atlantique. Actions collectives avec mutualisation des
moyens de la défense, encadrement des expertises, limitation des durées et des
coûts des procédures s’agissant de victimes à la vie menacée et aux moyens
précaires, mise en place de procédures d’indemnisation rapides et surtout
anticipées (création d’un fonds alimenté par les industriels ?) lors de drames
sanitaires collectifs… Sans un rééquilibrage des forces, lobby (des
consommateurs) contre lobby (des industriels), la fronde des David restera bien
fragile face aux puissantes forces toujours renouvelées des Goliath du futur.

Attendre une meilleure protection des
concitoyens
Pourquoi insister sur ce point et ne pas simplement attendre une meilleure
protection des concitoyens par le moyen de réformes profondes du système de
santé, comme nous le promettent les responsables actuels ? Un premier rapport,
imparfait mais suggérant des pistes intéressantes des professeurs Debré et Even,
sera suivi de beaucoup d’autres dans les semaines à venir, à l’issue des auditions
des missions d’information parlementaire et sénatoriale, des travaux de
l’Inspection générale des Affaires sociales (Igas) et des Assises du médicament
convoquées par le ministre de la Santé. Le rapport fracassant de l’Igas a montré
l’obscurité qui avait régné sur toutes les étapes clés du contrôle de ce
médicament. Des gains substantiels en termes de transparence sont donc
possibles. S’agissant de la garantie d’indépendance des experts et de la
communauté médicale vis-à-vis des influences protéiformes exercées par
l’industrie pharmaceutique, je reste dubitative. D’une part, la structure libérale
de notre société encourage par nature une collaboration étroite public/privé.
S’agissant de l’industrie pharmaceutique, la mise au point de nouvelles
thérapeutiques suppose un travail conjoint entre médecins et laboratoires et, à
moins d’une révolution dans notre pays, la nationalisation de l’industrie
pharmaceutique ne paraît pas une option réaliste.

Réformer et résister
Diverses propositions seront néanmoins à promouvoir fortement et peuvent être
autant de mini-révolutions : encadrement strict du poids des industriels dans la
formation des médecins ; évolution majeure du concept d’expert chargé de
contrôler l’usage du médicament de manière à favoriser son indépendance.
D’autre part, force est de constater la très forte résistance qu’oppose notre
société, en particulier ses « élites » (puissants, sachants, possédants), face au
concept de conflit d’intérêts. Hormis la notion universellement condamnée de
corruption active, « lourde », il est frappant de voir l’absence de regard critique
des responsables (experts et, hélas, communauté médicale dans son ensemble)
sur le poids de conflits d’intérêts, criants dans le drame du Mediator. Qui n’a pas
remarqué cette cécité lors de précédents scandales dans d’autres domaines
comme celle de l’affaire dite « Woerth-Bettencourt » ? Aussi, à défaut de pouvoir
totalement dresser une barrière « étanche » entre responsables de santé et
puissances industrielles, de pouvoir changer en profondeur les mentalités de
sorte à faire comprendre que des liens d’intérêts, aussi ténus qu’ils puissent
paraître, sont d’emblée source de redoutables conflits, il me semble qu’il faut
également mieux « armer » l’autre camp, celui des victimes et des laissés-pour-
compte. Réformer, oui, toujours, mais résister, aussi !

(1). Voir Réforme n° 3384, 23 septembre 2010.
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