HISTOIRE DE LA TURQUIE - HAMIT BOZARSLAN De l'Empire ottoman à nos jours - Numilog
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HAMIT BOZARSLAN HISTOIRE DE LA TURQUIE De l’Empire ottoman à nos jours ÉDITION ACTUALISÉE TEXTO
Texto est une collection des éditions Tallandier Cartographie : © Éditions Tallandier/Flavie Mémet, 2021 © Éditions Tallandier, 2013, 2015 et 2021 pour la présente édition 48, rue du Faubourg-Montmartre – 75009 Paris www.tallandier.com ISBN : 979-10-210-4785-3
À la mémoire de Gani Bozarslan (1952-1978) et Fatma Bozarslan (1938-2000).
SOMMAIRE Remerciements ................................................................. 15 Note sur la transcription des mots turcs ..................... 17 Préface à la nouvelle édition .......................................... 19 Introduction ...................................................................... 47 Première partie UN « EMPIRE UNIVERSEL » Chapitre 1. Le décor impérial et son envers ............. 59 Du beylicat à l’empire, p. 59. – Destin impérial ou devenir impérial : de la période de fetret à la conquête de Constantinople, p. 61. – Une puissance européenne et musulmane, p. 64. – Les généalogies ottomanes, p. 67. – Les dynamiques d’expansion et le virage doctrinaire sunnite, p. 71. – L’ingénierie impériale et la sacralisation du sultan, p. 75. – Tuer le frère pour sacrer l’État, p. 79. – La « mise à mort politique » comme principe de gouvernement, p. 82. – Le sultan et son grand vizir, p. 83. – Le pou- voir de l’argent, p. 87. – L’élite dirigeante ou la « classe militaire », p. 89. – La terre et les armes : les vrais militaires et le régime foncier de l’empire, p. 96. – Le divan du sultan, p. 98. – Un empire plu- 9
HISTOIRE DE LA TURQUIE riel et… inégalitaire, p. 100. – Administrer l’espace urbain, p. 106. – Des entités aux statuts dérogatoires, p. 110. Chapitre 2. Subir l’empire, contester l’empire .......... 113 Le contrat tacite ottoman, p. 113. – Contestations religieuses, révoltes populaires, p. 119. – L’effon- drement anatolien : les révoltes celalis, p. 122. – La restauration de pouvoir, p. 128. Chapitre 3. Mélancolies impériales .............................. 131 Gérer une économie impériale, p. 132. – Mysticisme et nouvelles ingénieries économiques, p. 136. – Crise de l’ordre ottoman, p. 141. – L’empire dans une nouvelle Europe, p. 146. – Retourner en arrière ou aller de l’avant ?, p. 148. – Un narcissisme ottoman ?, p. 152. – Un État sans armée, une armée contre son État, p. 154. Deuxième partie UN « ORDRE NOUVEAU » Chapitre 4. L’épuisement du système ottoman ......... 161 Qu’est-ce que le Nizam-ı Cedid ?, p. 167. – Selim III : de la nostalgie du passé aux réformes, p. 171. – Nouvel ordre, nouvelle armée, p. 174. – La « charte de l’Alliance », p. 177. Chapitre 5. Réorganiser l’État : les Tanzimat ............ 181 Les « Réorganisations », p. 181. – Les Tanzimat et les dualités ottomanes, p. 187. – Autoritarisme et libé- ralisme, p. 192. – L’épreuve internationale, p. 197. 10
SOMMAIRE – Les oppositions aux Tanzimat, p. 200. – Le réveil des nationalités, p. 205. – La fin des Tanzimat, p. 211. Chapitre 6. Abdülhamid II ou la réinvention d’un empire ...................................................................... 215 Une constitution ottomane, p. 215. – L’opposition jeune-ottomane, p. 219. – L’absolutisme hamidien, p. 222. – « Un règne de 33 ans », p. 226. – La pensée hamidienne, p. 231. – Le « noyau turc » de l’empire et sa périphérie, p. 236. – Le panislamisme, p. 238. – Le pro- blème arménien, p. 242. – Concevoir l’espace ottoman comme un empire colonial, p. 247. Chapitre 7. De l’humanisme des Tanzimat au darwinisme social ...................................................... 253 Le bilan d’un siècle, p. 253. – En quête de doctrine, p. 258. – L’occidentalisation de l’empire, p. 259. – L’hégé- monie du darwinisme social, p. 263. – Redéfinitions de l’islam, p. 267. Troisième partie LA TURQUIE UNIONISTE ET KÉMALISTE Chapitre 8. La « Jeune-Turquie » ................................. 273 Les dissidences musulmanes, p. 274. – De l’exil au pou- voir : l’opposition jeune-turque, p. 276. – Une révolu- tion conservatrice, p. 285. – Comité Union et Progrès : de l’exil au parti unique, p. 294. – Le pouvoir unioniste, p. 303. – Les leviers du pouvoir unioniste, p. 305. – Limites des oppositions anti-unionistes, p. 309. Chapitre 9. 1908-1918 : une décennie de guerres .... 313 Les tempêtes balkaniques, p. 313. – La Première Guerre mondiale, p. 320. – Gérer la Grande Guerre, p. 324. – La perte des provinces arabes, p. 329. – Le nationa- 11
HISTOIRE DE LA TURQUIE lisme unioniste et les communautés chrétiennes, p. 331. – Le pantouranisme, p. 337. – Le génocide arménien, p. 341. Chapitre 10. La naissance de la Turquie kémaliste .... 357 L’interrègne, p. 357. – Les dynamiques de la résistance kémaliste, p. 362. – Le kémalisme et l’unionisme, p. 366. – L’Assemblée nationale d’Ankara, p. 369. – Une Tur- quie kémaliste, p. 374. – Un pouvoir sans opposition ?, p. 376. – Le régime de parti unique, p. 381. – L’épreuve de 1930, p. 383. Chapitre 11. République révolutionnaire et nationaliste ................................................................... 389 Quelle idéologie kémaliste ?, p. 389. – La république kémaliste et son ennemi : le « passé ottoman », p. 395. – La révolution, l’homme nouveau et la construction des « têtes en béton », p. 397. – Rencontres avec le nazisme, p. 400. – Le nationalisme kémaliste, p. 404. – Les années de la Deuxième Guerre mondiale, p. 411. – Politiques kurde et arabe de la République, p. 417. Quatrième partie LA TURQUIE D’AUJOURD’HUI Chapitre 12. Le régime pluraliste ................................. 425 Pluralisme politique et régimes militaires, p. 425. – De Turgut Özal à Recep Tayyip Erdoğan (1983-2012), p. 444. – 1945-2012 : continuités et ruptures, p. 452. Chapitre 13. Le tissu démographique, économique et social ...................................................... 461 Ankara versus Istanbul : rompre avec l’empire, p. 461. – Émergence d’une société urbaine, p. 465. – Le monde associatif comme miroir de la société, p. 471. 12
SOMMAIRE Chapitre 14. Espaces étatiques et réalités politiques ... 475 Définir l’État en Turquie, p. 475. – L’État à l’échelle locale, l’État à l’échelle nationale, p. 484. – La formation de l’espace politique, p. 487. – Les ressorts du conserva- tisme politique et social, p. 491. – La politique par les marges : les courants radicaux, p. 497. Chapitre 15. Faits religieux, espaces minoritaires ... 507 L’espace religieux sunnite, p. 508. – Oppositions et alliances entre l’État et les acteurs religieux, p. 515. – L’espace minoritaire, p. 523. – L’alévisme, p. 526. – La question kurde, p. 531. En guise de conclusion. Les incertitudes des années 2010 ................................................................ 537 Notes .................................................................................. 549 Cartes ................................................................................. 625 1. L’Empire ottoman ............................................................. 610 2. L’Empire ottoman en 1914 .............................................. 611 3. Turquie actuelle ................................................................. 612 4. Espace kurde en Turquie et au Proche-Orient ............ 613 Annexes ............................................................................. 631 Postface à l’édition de 2015 ............................................ 633 Chronologie ............................................................................ 641 Notices biographiques sélectives ........................................ 655 Principaux partis, organisations et courants politiques ............................................................................ 675 Glossaire .................................................................................. 681 Bibliographie sélective ..................................................... 687 Index ................................................................................... 695
REMERCIEMENTS L’idée de ce livre nous fut, pour la première fois, insuf- flée par Robert Paris de l’EHESS, qui fut aussi le premier à nous initier au métier de l’historien. Elle prit corps sur la suggestion des Messieurs Charles-Henri de Boissieu et Xavier de Bartillat, présidents-directeurs généraux succes- sifs de la maison d’édition Tallandier. Elle n’aurait pas pu se réaliser sans l’aimable concours de Mme Anne-Laure Bonnet et la relecture attentive de Mme Cristina Crame- rotti. Enfin, elle se nourrit de débats passionnés avec de nombreux collègues, dont certains nous quittèrent beau- coup trop tôt en nous laissant seuls avec le souvenir de leurs amitiés. Qu’ils en soient ici tous vivement remerciés. 15
NOTE SUR LA TRANSCRIPTION DES MOTS TURCS c se prononce dj (comme adjectif) ç se prononce tch (comme tchèque) i après e se prononce à peu près comme y (comme youyou) ; après o, ö, u, ü, à peu près w (comme western) ; après a, i est à peine prononcé mais allonge la voyelle précédente h est toujours aspiré (ou plutôt « expiré ») ı sans point : sa prononciation est entre e et i ö se prononce eu (comme seul) s toujours s (jamais z) ş se prononce ch (comme cheval) u se prononce ou (comme toujours) ü se prononce u (comme lumière) (Extrait de B. Lewis, Islam et Laïcité. Naissance de la Turquie moderne, Paris, Fayard, 1988.) En même temps que le passage à l’alphabet latin en 1928, le régime kémaliste réalisa une réforme de la langue modifiant l’orthographe de certaines consonnes (b, p, d, t). Ainsi, les pré- noms Receb et « Cahid » s’orthographiaient désormais Recep ou Cahit. Nous avons utilisé dans cet ouvrage les deux formes en res- pectant la rupture chronologique. Pour ne pas alourdir la lecture, nous avons, sauf exception, omis les « â », utilisés dans certains noms d’origine arabe, comme « Hâluk ». 17
HISTOIRE DE LA TURQUIE La Turquie adopta une réforme du statut civil dotant chaque citoyen d’un nom de famille seulement en 1934. Pour les périodes antérieures, nous avons répercuté cette information en mettant le nom de famille de la personne entre parenthèses, à l’instar de Mehmet Akif (Ersoy). Nombre de noms de localité changèrent au cours de la répu- blique, à l’instar de Diyarbékir devenu Diyarbakır. Nous avons utilisé les deux formes selon les périodes évoquées. Enfin, tout élément explicatif apporté au cœur d’une citation est signalé par des parenthèses crochées []. Pour les mots d’origine arabe, ottomane et turque, voir le glos- saire en annexe.
PRÉFACE À LA TROISIÈME ÉDITION (2021) Publiée début 2013, la première édition de ce livre prenait ses distances avec l’opinion, encore largement répandue, selon laquelle la Turquie d’Erdoğan représentait une « démocratie musulmane » en puissance, susceptible de servir de modèle au monde arabe alors en pleine ébullition révolutionnaire. Nous référant notamment à la permanence de la répression contre les opposants, nous soulignions au contraire que le « nouveau régime » n’avait nullement rompu avec un lourd passé fait d’autoritarisme, de violences de masse, de crispation identi- taire et de discours de haine, de complexes de supériorité et d’infériorité, vécus simultanément, mais tout aussi violem- ment, dans la chair, pour conclure sur de sombres présages. La postface de l’édition du printemps 2015, incluse désormais dans la section consacrée aux annexes, prenait à son tour note du processus d’autoradicalisation dans lequel s’était engagé l’erdoğanisme au cours des deux courtes années écoulées ; ins- crite dans la continuité d’une « Turquie ancienne », autrefois honnie par le président turc, tout en se distinguant d’elle dans ses formes esthétiques, son architecture grandiose, son lan- gage autant nationaliste qu’islamiste, ses techniques du corps et ses pratiques guerrières, « la nouvelle Turquie » de 2015 constituait en réalité l’un des modèles les plus inquiétants des anti-démocraties du XXIe siècle1. 19
HISTOIRE DE LA TURQUIE Depuis le début des années 2010, en effet, la Turquie est entrée dans une longue nuit qu’Erdoğan, son homme fort tout à sa propre gloire, vante pourtant comme le début d’un nouvel âge d’or digne de ses lointains prédécesseurs seldjoukides et ottomans. À l’instar des totalitarismes du passé, qu’Hannah Arendt définissait comme des régimes de mouvement sans répit2, celui du Reis turc est un régime de crises permanentes, qui ne se survit que par sa radica- lisation perpétuelle, en paroles aussi bien qu’en actes. D’où le trop-plein d’événements et de crises, qui rend particu- lièrement malaisée l’élaboration d’une « chronologie rai- sonnée » de la « Turquie politique » des dernières années et nous contraint à un exercice de « simplification » pour nous limiter à quelques bornes chronologiques. Commen- çons par les élections législatives du 1er juin 2015 : ce jour- là, l’AKP obtenait 40,87 % des voix, mais perdait pour la première fois de son histoire la majorité absolue au Parle- ment. Le score élevé de 13,12 % du HDP (Parti de la démo- cratie du peuple), dont l’essentiel de l’électorat vient de la communauté kurde, ne mettait pas seulement un terme au règne sans partage de l’AKP, mais rendait encore impos- sible le projet de présidentialiser le système politique turc qu’Erdoğan caressait en rêve. D’une rare brutalité, la réponse du président fut d’arrêter le processus de négocia- tion avec le HDP en vue de trouver une solution politique à la question kurde, avant de se livrer à une véritable guerre contre les régions kurdes, détruisant une demi-douzaine de centres urbains dont Cizre, Şırnak ou encore le cœur his- torique de Diyarbakır, pourtant inscrit au patrimoine uni- versel de l’humanité, où le HDP avait obtenu des scores écrasants et où une jeunesse déterminée mais particulière- ment mal équipée contre les obus des tanks s’était juré de préserver l’« autogestion municipale » à tout prix. Cette 20
PRÉFACE À LA TROISIÈME ÉDITION (2021) répression, qui fit des centaines de morts, combinée à une série d’attentats-suicides perpétrés par des militants de l’État islamique, que le pouvoir ne se souciait guère de prévenir3, créa une atmosphère de terreur absolue, permet- tant à Erdoğan de rejeter de facto le résultat des élections et de les renouveler (24 novembre) pour les emporter avec un score de près 50 %. Malgré l’extrême brutalité de la « nouvelle Turquie » à son égard, le HDP se maintenait au- dessus de 10 % des votes à l’issue de cette consultation, seuil indispensable pour garder sa place au Parlement ; tou- tefois, Erdoğan retrouvait sa majorité absolue grâce au chantage sécuritaire exercé sur le corps électoral. La répression contre les opposants s’intensifia après la publication d’une pétition signée par 1 128 universitaires et chercheurs dits « pour la paix » (« Nous ne serons pas com- plices de ce crime », 11 janvier 2016), dénonçant la destruc- tion des villes kurdes : copieusement insultés par Erdoğan (« brouillons d’intellectuels », « traîtres à la patrie »…), les pétitionnaires furent victimes de purges et condamnés à la mort civique, trouvant refuge, pour une partie d’entre eux, en Europe. La vague de répression la plus brutale commença cependant après la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016, qui fit quelque 250 victimes. Quatre ans après, on est toujours dans l’obscurité quant aux auteurs de ce putsch raté, bien que le pouvoir ait immédiatement accusé la com- munauté de Fethullah Gülen, ancienne alliée rebaptisée FETÖ4 : « Organisation terroriste fethullahiste ». Erdoğan, qui par ailleurs ne manqua pas de qualifier le putsch de « bénédiction divine5 », grâce à l’octroi des pleins pouvoirs, riposta par l’état d’exception visant les sympathisants de Gülen mais aussi, voire surtout, les intellectuels libéraux, de gauche ou encore la mouvance kurde : les prisons ont été vidées de leurs détenus de droit commun pour faire place à 21
HISTOIRE DE LA TURQUIE 70 000 personnes arrêtées (dont au moins 38 se sont suici- dées sans que leur sort donne lieu à une quelconque enquête judiciaire), quelque 120 000 personnes furent licenciées de la fonction publique ou des universités, des centaines d’organes de médias interdits, des entreprises « gülenistes », dont le chiffre d’affaires cumulé s’élevait à 15 milliards d’euros, expropriées sans indemnité aucune. Le HDP ne fut pas interdit, mais ses maires démis de leurs fonctions, plu- sieurs milliers de ses membres emprisonnés, à commencer par les deux coprésidents du parti, Füsun Üstündağ et le célébrissime Salahattin Demirtaş, qui allait obtenir plus de 8 % de voix lors des élections présidentielles de 2018 après une campagne organisée depuis sa cellule. Parmi les personnes incarcérées figuraient également Nazlı Ilıcak, journaliste âgée de 70 ans, Ahmet Altan, romancier mondialement renommé, son frère Mehmet, professeur d’économie, ainsi qu’Osman Kavala, mécène libéral de gauche qui avait beaucoup œuvré pour un rapprochement arméno-turc, accusé notamment d’avoir été le principal instigateur de la contestation du parc Gezi à Istanbul à l’été 2013. La Turquie d’après le 15 juillet 2016 fut saisie d’un ver- tige conspirationniste savamment entretenu par la presse de l’AKP et l’appareil judiciaire : les gülenistes utiliseraient des billets de banque américains d’un dollar « série F » (en référence à Fethullah Gülen) pour mieux se reconnaître entre eux ; après une réunion organisée par la CIA à Istanbul, ils auraient oublié une statue représentant la Pennsylvanie, lieu de résidence de cet imam dont l’orga- nisation longtemps adulée par Erdoğan s’apparente à un Opus Dei islamique ; Henry Barkey, professeur de confes- sion juive né à Istanbul, spécialiste notamment de la ques- tion kurde, très proche des milieux démocrates aux États-Unis 22
PRÉFACE À LA TROISIÈME ÉDITION (2021) où il enseigne, serait venu en Turquie pour superviser per- sonnellement, à la demande de la Maison Blanche (à moins que ce soit à celle de la CIA ou du Mossad ?), l’organisation du putsch… Mais la tentative de coup d’État a surtout accé- léré le processus de rapprochement, entamé dès 2015, entre l’AKP, le MHP de droite radicale de Devlet Bahçeli, et le courant ulusalcı (« nationalistes kémalistes »), sur lequel nous terminions notre édition de 2013. Cette alliance basée sur un nationalisme radical en interne autant qu’en externe ouvrit la voie à l’instauration d’un système présidentiel « à la turque », permettant à Erdoğan d’être à la fois le leader en titre de son parti, donc de la majorité parlementaire, et le chef de l’État, le chef des armées et de facto le maître de l’appareil judiciaire, supprimant ainsi le principe même de la séparation des pouvoirs. Le référendum à cet effet du 16 avril 2017, gagné avec une marge étriquée (51,41 % des votes), mais entaché de nombreuses fraudes6, fut suivi par les élections présidentielles anticipées du 24 juin 2018, où Erdoğan obtint 52,6 % des voix grâce à son alliance avec le MHP. Baptisée Cumhur İttifakı (« Alliance du peuple »), cette coalition gagna également par 53,7 % des voix aux élections parlementaires tenues le même jour, s’assurant ainsi la majorité absolue. Refusant toute alliance avec le HDP (8,4 % des voix aux présidentielles, 11,7 % aux légis- latives), l’« Alliance de la nation » (Millet İttifakı), coalition formée du CHP de Kılıçdaroğlu et de l’İYİ Parti (le « Bon Parti ») de Meral Akşener (une scission de MHP), se contenta de 30,6 % des voix aux présidentielles et de 44,9 % aux législatives. L’Alliance du peuple ne parvint cependant pas à renou- veler son succès lors des élections municipales du 31 mars 2019 : elle perdit la plupart des villes kurdes (dont les maires fraîchement élus furent démis de leurs fonctions peu de 23
HISTOIRE DE LA TURQUIE temps après), mais aussi Ankara, Izmir et surtout Istanbul, ville qui avait propulsé Erdoğan sur le devant de la scène nationale en l’élisant maire en 1994. Dans cette mégalopole, Binali Yıldırım, candidat de l’AKP, qui obtint 48,55 % des voix, fut devancé d’une courte tête par le jeune candidat de l’opposition unie, Ekrem Imamoğlu (48,80 %). L’AKP contesta le résultat des élections et, malgré l’absence totale de preuves indiquant une quelconque fraude, obtint leur annu- lation. Lors des élections renouvelées du 23 juin, cependant, Yıldırım (44,99 %) était battu avec un score infiniment plus ample (54,21 %). Depuis, le système erdoğaniste est stabilisé, mais terne, avec un AKP devenu une coquille vide dont la seule fonction consiste désormais à produire des matériaux apologétiques à la gloire de son leader. La plupart des anciens ténors du parti, comme Abdullah Gül, ancien président, l’abandonnè- rent de fait ou furent marginalisés ; d’autres démissionnè- rent, dont Ahmet Davutoğlu, qui avait pourtant été intronisé par un congrès digne de Nuremberg le 28 août 2014 avant d’être jeté sur le carreau après une campagne de lynchage d’une rare virulence orchestrée par ses camarades du Parti et quelques-uns de ses ministres (22 mai 2016), ou Ali Baba- can, longtemps ministre de l’Économie respecté dans les milieux financiers. Aucune de ces deux grandes figures de l’erdoğanisme « à l’ancienne » ne fit un examen critique de son rôle dans la situation actuelle de la Turquie, mais en bons égocrates, chacune créa son propre parti, le « Parti de l’avenir » (Gelecek Partisi) pour l’une, le « Parti du remède » (DEVA Partisi – acronyme du « Parti du développement et du progrès ») pour l’autre, crédités ensemble de 3 à 4 % des intentions de votes par les instituts de sondages. 24
PRÉFACE À LA TROISIÈME ÉDITION (2021) La politique étrangère Iphones brisés contre des parvis, billets, supposément réels, de dollars brûlés, vaches égorgées et tulipes piétinées car originaires des Pays-Bas, Angela Merkel traitée à foison de nazie, Emmanuel Macron invité à faire contrôler son état cérébral : rarement un pays aura autant mérité son sobriquet de « nation colérique7 ». La politique étrangère turque de 2015 à la fin de 2020 ne se limita cependant pas à ces crises successives dont le paroxysme est précédé de quelques semaines de campagne médiatique particulièrement viru- lente, ou de discours enflammés d’Erdoğan lors de ses très nombreux meetings hebdomadaires, pour retomber ensuite. À l’inverse de ces crises « systémiques », qui ont un coût éco- nomique exorbitant, mais restent néanmoins « pacifiques », les guerres et les conflits régionaux que déclenche Erdoğan sont souvent très meurtriers ; obéissant aux exigences d’un nationalisme revanchard, ils illustrent comment le recours à la « puissance de nuisance » se transforma au fil des années en arme principale de son régime et sans doute aussi en technique privilégiée pour immobiliser l’armée, dont il se méfie toujours, sur le plan domestique. Le 24 novembre 2015, alors qu’Erdoğan s’était engagé dans une guerre froide avec Moscou et Téhéran, alliés indé- fectibles du président syrien Bachar al-Assad qu’il voulait à tout prix renverser, la défense turque abattait un avion mili- taire russe survolant son espace aérien durant quelques secondes seulement. Le Premier ministre d’alors, Ahmet Davutoğlu, précisa, non sans fierté, qu’il avait lui-même donné l’ordre de tirer. Pour aggraver la situation, les mili- tants djihadistes syriens pro-turcs exécutèrent l’un des deux pilotes qui avait sauté en parachute alors qu’il allait atterrir 25
HISTOIRE DE LA TURQUIE et jugèrent bon de filmer la scène pour la diffuser sur les réseaux sociaux. La Russie ne répondit pas militairement, mais lança une campagne médiatique dénonçant les com- plicités d’Ankara avec al-Qaïda et l’État islamique en Syrie, assortie d’embargo contre la Turquie dont le coût fut estimé à 11 milliards de dollars sur un an. Quelques mois après le coup d’État raté du 15 juillet 2016, durant lequel les services secrets russes semblent avoir fourni de précieux renseigne- ments à leurs homologues turcs sur ce qui se passait dans leur pays, on assista cependant à un spectaculaire rappro- chement entre les deux capitales avec des visites fréquentes, la mise en place du processus dit d’Astana incluant égale- ment Téhéran, officiellement pour mettre un terme à la guerre civile en Syrie (accord du 4 mai 2017), et surtout l’achat, par Ankara, pour 2,5 milliards de dollars, de S-400 russes (livrés à l’été 2019). Ce dernier pas ne pouvait que susciter une vive colère à Washington, laquelle fut néan- moins « refroidie » par les interventions personnelles de Donald Trump. Dans le sillage de ce rapprochement, la Turquie intervint en Syrie, d’abord dans la région d’al-Bab pour empêcher l’établissement d’une ligne de front kurde allant de la fron- tière irakienne à la ville d’Afrin, peuplée très majoritaire- ment de Kurdes mais coupée du reste du Kurdistan syrien en conséquence du tracé des frontières entre les deux pays en 1920. Puis, de manière bien plus brutale et avec le feu vert implicite du Moscou, qui refusa de fermer l’espace aérien syrien qu’il contrôlait, elle lança une opération massive contre cette ville (opération dite Rameau d’olivier). Bom- bardée pendant plus de soixante-dix jours, la ville tomba avec ses campagnes riches en oliviers (18 mars 2018) pour être livrée aux djihadistes, qui s’empoignèrent aussitôt dans une guerre interne pour se partager le butin. La deuxième 26
PRÉFACE À LA TROISIÈME ÉDITION (2021) étape fut franchie cette fois-ci avec la complicité de la pré- sidence Trump dans la bande de 120 kilomètres allant de Ras al-Aïn (Serê Kaniye en kurde) à Tel Abyad (Gire Spi), même si l’intervention de Mike Pence, vice-président amé- ricain dépêché en urgence à Ankara, parvint à réduire la zone d’intervention turque (opération dite Source de la paix, 13 octobre 2019). Le Pentagone, dont l’ancien chef James Mattis avait démissionné le 20 décembre 2018 pour expri- mer son désaccord avec Trump et son intention de se retirer de la Syrie en abandonnant les Kurdes à leur sort – sans les- quels la victoire contre l’État islamique n’aurait pourtant pas pu être possible –, était de nouveau sous le choc : plus tôt en 2019, l’état-major américain avait en effet accepté de monter des patrouilles conjointes avec la Turquie et convaincu les Kurdes syriens de démanteler leur ligne de défense dans le cadre d’un accord avec Ankara, avant qu’Erdoğan ne rejette totalement ce texte dont l’encre était encore fraîche. Le même scénario de djihadisation et d’intégration dans la zone économique turque qu’à Afrin fut rapidement mis en œuvre dans ce nouveau territoire, « libéré du terrorisme » dans le langage d’Ankara. Enfin, si en 2016 la Turquie permit à la Russie de bom- barder pendant des mois la province d’Alep, transformée selon l’ONU en un « cimetière à ciel ouvert », avant d’être reprise par l’armée de Bachar al-Assad, elle s’implanta en contrepartie durablement dans la province d’Idlib abritant quelque trois millions de personnes, pour la plupart des réfugiés venus d’autres régions syriennes, largement contrô- lée par les forces djihadistes dont Hayat Tahrir al-Sham (« Organisation de libération du Levant »), nouvelle appel- lation du front al-Nusra, ancienne branche d’al-Qaïda. Ankara et Moscou se partagent ainsi depuis quelques années la Syrie en bonne entente, mais non sans quelques « petits 27
HISTOIRE DE LA TURQUIE meurtres entre amis », qui font des centaines de morts parmi leurs alliés respectifs, voire, concernant la Turquie, dans les rangs de ses soldats. Entre amis ? Étienne de La Boétie aurait sans doute répondu qu’« il ne peut y avoir d’amitié là où est la cruauté, là où est l’injustice. Et entre les meschans, quand ils s’assemblent, c’est un complot, non pas une compaignie. Ils ne s’entr’aiment pas, mais ils s’entrecraignent ; ils ne sont pas amis mais ils sont complices8 ». La Libye constitua le deuxième terrain d’intervention turque. En pleine recomposition des alliances en Méditer- ranée de l’Est entre Chypre, la Grèce, l’Égypte et Israël excluant la Turquie, Ankara signa un accord unifiant les espaces maritimes des deux pays avec le gouvernement dit d’Union nationale (reconnu par l’ONU) de tendance Frères musulmans de Fayez al-Sarraj. Ce premier pas fut suivi d’une implantation militaire turque, accompagnée de djiha- distes syriens organisés en une prétendue « Armée nationale syrienne », armée et salariée par la Turquie, contre les forces du « maréchal » Khalifa Haftar, qui contrôlaient une grande partie du territoire et menaçaient la capitale. L’intervention turque permit à al-Faraj de faire reculer Haftar soutenu par Le Caire, ainsi que la « Compagnie Wagner », armée privée de Moscou, et de sécuriser Tripoli. Mais les forces d’al-Faraj durent s’arrêter elles-mêmes aux portes de Syrte sans par- venir à contrôler les champs de pétrole. Le bombardement de la base militaire al-Watiyya, située à 125 kilomètres à l’est de Tripoli (6 juillet 2020), où était stationnés une partie de ses soldats et ses mercenaires, contraignit d’ailleurs la Tur- quie à limiter son champ d’action et à accepter la tenue de pourparlers de paix entre les deux parties sous l’égide de Berlin, desquels elle est exclue. La Méditerranée orientale constitua la troisième zone de conflit, plus pacifique, mais à l’origine d’une crise régionale 28
PRÉFACE À LA TROISIÈME ÉDITION (2021) et internationale : provoquant l’ire de l’Union européenne – qui resta cependant profondément désunie et freinée par la chancelière allemande face à la demande de certains de ses membres, notamment Chypre, la Grèce et la France, d’adop- ter des sanctions à son encontre –, la Turquie procéda tout au long de l’automne 2020 à des sondages de recherche gazière dans les eaux territoriales chypriotes et grecques. Certes, elle sut aussi faire marche arrière juste avant les som- mets européens pour éviter des sanctions, sans renoncer cependant à son projet de « Patrie bleue », développé par les alliés ultranationalistes d’Erdoğan, visant à élargir son espace maritime au détriment de Chypre et de la Grèce. Quatrième dossier, enfin : profitant de l’attitude fausse- ment indignée mais parfaitement cynique de la Russie, et sur- tout de l’incertitude qui entourait les élections présidentielles américaines dans un contexte particulièrement tendu, Ankara s’imposa comme la pièce maîtresse de la guerre de l’Azerbaïdjan contre le Haut-Karabakh (septembre-novembre 2020), pro- vince peuplée majoritairement d’Arméniens, qui avait fait sécession à la suite du refus de Bakou de lui accorder un statut d’autonomie satisfaisant au début des années 1990. Abonde- ment équipées par la Turquie, ainsi que par Israël, en drones, les forces azéries pouvaient en outre s’appuyer sur les merce- naires syriens d’Ankara, payés jusqu’à 2 000 dollars par mois (plusieurs centaines de ces combattants sunnites engagés officiellement dans un djihad contre le pouvoir « impie » et « hérétique » de Bachar al-Assad trouvèrent la mort sur cette terre étrangère et – à la colère de certains d’entre eux – non pas pour servir leur propre cause, mais pour soutenir un régime « laïc », chiite de surcroît). En dernière instance, c’est la volonté du Kremlin, arbitre ultime du conflit, qui obligea, couteau sur la gorge, le Haut-Karabakh et Erevan à avaliser les gains territoriaux de Bakou et à se retirer de plusieurs 29
HISTOIRE DE LA TURQUIE autres localités. La Russie s’implanta militairement dans la région, contrôlant le corridor reliant Stepanakert, capitale du Haut-Karabakh, à l’Arménie. La Turquie, qui montra une fois de plus qu’elle n’hésiterait pas à utiliser avec un maximum de détermination sa puissance de nuisance, ne sortit certainement pas grande gagnante de ce conflit, mais elle obtint que l’Arménie en soit la grande perdante. À d’autres moments, cependant, l’hubris du régime d’Erdoğan, ce sentiment de surpuissance que les Anciens Grecs craignaient tant, se brisa sur des murs plus puissants qu’elle. Ainsi, l’arrestation du pasteur américain Andrew Brunson suscita une réelle crise avec les États-Unis. Erdoğan justifiait la détention de ce religieux par le fait qu’« ils ont un prêtre [à nous] chez eux [F. Gülen], et nous avons un prêtre à eux chez nous [Brunson] ; qu’ils nous rendent le nôtre, nous leur rendrons le leur9 ». Les sanc- tions, pourtant légères, que le président Trump décida alors à l’encontre de la Turquie firent grimper le dollar américain de 3,50 livres à plus de 6, obligeant le Reis turc à revenir très rapidement sur sa promesse de ne jamais libérer le pasteur « tant que votre serviteur restera à ce poste ». De même, avec la perspective d’hypothétiques cré- dits chinois, alors qu’il se présente comme le « Nouveau Saladin », protecteur et défenseur des musulmans de par le monde, de Gaza à la Birmanie en passant par l’Europe qui n’aurait d’autre fondement identitaire que l’islamophobie, le président turc resta (et demeure fin 2020) particulièrement silencieux concernant le sort, pourtant largement docu- menté, des Ouïgours, musulmans, turcophones de surcroît. 30
ANNEXES SIEYÈS, Emmanuel-Joseph : 48 TER MINASSIAN, Ruben : 279 ŞINASI, İbrahim : 182, 201 TEVFIK, Baha : 269 SINCAR, Mehmet : 447 THIERS, Adolphe : 187 SMITH, Adam : 307 TIMISI, Mustafa : 529 SMITIS, Kostas : 542 TOCQUEVILLE, Charles Alexis Clérel SOKULLU MEHMED PACHA : 123, 144 de : 263 SOYSAL, Mümtaz : 457 TOGAN, Zeki Velidi : 286 STALINE, Joseph : 393 TOKGÖZ, Ahmed İhsan : 264 STENDHAL, Henri Beyle, dit : 257 TOPAL OSMAN : 370-371, 391 SÜAVI, Ali : 201, 204, 213, 222, 239 TÖR, Vedat Nedim : 394, 397 SÜKLUN HOCA : 124 TOTT, François (baron de) : 168 SUKUTI, Ishak : 275, 286, 291 TOYNBEE, Arnold J. : 113, 376, 382- SÜLEYMAN HASBI : 240 383 SÜLEYMAN LE MAGNIFIQUE : 60-61, TRUMP, Donald : 26-27, 30, 44 68, 70, 83, 87-88, 90, 119, 122, TSEVI, Sabbatai : 115 124, 145, 235 TUNALI HILMI : 291 SÜLEYMAN PACHA : 140, 212 TURAN, Hüseyinzade Ali : 257, 275 SUNALP, Turgut : 443 TÜRKEȘ, Alparslan : 432, 435, 445, SUNAY, Cevdet : 457, 500 449, 457, 488, 499-501, 503-504 SUPHI, Mustafa : 497 TURSUN BEG : 79 SÜREYA, Rıfat : 343 U T ULAY, Sıtkı : 425, 432-433 TAĞMAÇ, Memduh : 437, 456 ÜLKEN, Hilmi Ziya : 188, 261, 337 TAHSIN PACHA : 231 ULUSU, Bülent : 440 TAHSIN, Hasan : 367 ÜSTRÜVANI MEHMED EFENDI : 95 TAINE, Hippolyte : 263-264 ÜSTÜNDAĞ, Füsun : 22 TALAT PACHA, Mehmet : 285, 297, UZER, Tahsin : 315, 348 304, 321, 327, 338-339, 342, 345, UZMAN, Mazhar Osman : 375 348-349, 352, 355, 357, 363-364, 417, 454, 506 TALLEYRAND, Charles Maurice de V Talleyrand-Périgord : 187 TALU, Naim : 436 VAHDETTI, Derviș : 281 TAMERLAN : 62-63, 463, 494 VAMBERY, Arminus : 292, 294 TANPINAR, Ahmed Hamdi : 152, VANDAL, Albert : 48 188, 204 VANDEMIR, Baki : 345 TANRIÖVER, Hamdullah Suphi : VANI MEHMED BISTAM EFENDI : 144 378 VAZOV, Ivan : 209 TEMO, İbrahim : 274, 286, 291, 295, VOLNEY, Constantin François 299, 304 Chassebœuf (comte de) : 256 702
INDEX VOLTAIRE, François-Marie Arouet, YILMAZ, Mesut : 444, 448, 483 dit : 256 YILDIRIM, Binali : 24 YUNUS PACHA : 83, 87 YURDAKUL, Mehmed Enim : 289, W 334, 472 YUSUF AGÂH EFENDI : 166 WAGNER, Armin T. : 352 WANGENHEIM, Hans Freiherr (von) : 323, 349 Z WERFEL, Franz : 409 WORMS, René : 266 ZAGANOS PACHA : 78-79 ZAGHLOUL, Saad : 266 ZANA, Leyla : 447 Y ZARAKOLU, Ragıp : 486 ZEKI PACHA : 246 YAHYA NACI EFENDI : 182 ZIYA PACHA : 201, 203, 221 YALÇIN, Süleyman : 442 ZOLA, Émile : 255, 257 YAZICIOĞLU, Muhsin : 502 ZORLU, Fatin Rüșdü : 432 703
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