Le plateau des Mille Etangs : un fjell de basse altitude

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Le plateau des Mille Etangs : un fjell de basse altitude
Revue Géographique de l'Est
                          vol. 60/1-2 | 2020
                          Les Mille Etangs : territoire, ruralité et patrimoines

Le plateau des Mille Etangs : un fjell de basse
altitude
Dominique Harmand

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/rge/9703
DOI : 10.4000/rge.9703
ISSN : 2108-6478

Éditeur
Association des géographes de l’Est

Référence électronique
Dominique Harmand, « Le plateau des Mille Etangs : un fjell de basse altitude », Revue Géographique de
l'Est [En ligne], vol. 60/1-2 | 2020, mis en ligne le 10 mai 2022, consulté le 12 mai 2022. URL : http://
journals.openedition.org/rge/9703 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rge.9703

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Tous droits réservés
Le plateau des Mille Etangs : un fjell de basse altitude
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    Le plateau des Mille Etangs : un fjell
    de basse altitude
    Dominique Harmand

    Introduction
1   La région ou pays des Mille Etangs se trouve au Sud du Massif vosgien, plus
    particulièrement sur le versant haut-saônois, au sud du versant lorrain (fig. 1, 2). Elle
    appartient en quasi-totalité au département de la Haute Saône (région Bourgogne –
    Franche-Comté). Seule l’extrémité nord, qui domine la vallée de la Moselle supérieure
    appartient à la région Grand Est.
2   La plus grande partie des étangs se localisent dans des cuvettes de surcreusement
    glaciaire. En effet, dans les Vosges, la région des Mille Etangs est le « secteur où les traces
    d’érosion et les dépôts glaciaires sont les plus nombreux, variés, et souvent spectaculaires »
    (Flageollet, 2002). Comme sur les versants lorrain et alsacien, on y trouve les limites des
    trois glaciations mises en évidence dans le Massif vosgien depuis le milieu du XIXe
    siècle (Flageollet, 2002, fig. 3).

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Fig. 1 : Cadres morphologique du Massif vosgien et morphotectonique des Vosges du sud.

Fig. 2 : Carte orohydrographique du pays des Mille Étangs et de ses bordures.

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    Fig. 3 : Carte des limites extrêmes des 3 glaciations sur les versants lorrains et hauts-saônois des
    Vosges (A) et spectres polliniques de la tourbière de la Grande Pile (d’après Sret, 1965, 1980 ; Séret
    et al., 1990).

3   Le site le plus emblématique du pays des Mille Etangs est la tourbière de la Grande Pile
    qui constitue depuis les années 1970 (Woillard, 1978, 1979 ; Woillard et Mook, 1982 ;
    Séret et al., 1990, 1992 ; Rousseau et al., 2006) une référence internationale dans la
    mesure où les spectres polliniques révèlent une alternance fine des périodes tempérées
    et froides qui se sont succédées depuis 127 000 ans (fig. 3). Ces dernières ont pu être
    corrélées avec les stades isotopiques marins caractérisés par les rapports O 18/O16 des
    coquilles de foraminifères marins (Shackleton et Opdyke, 1973 ; Shackleton, 1987 ;
    Kukla et al., 2002). Ainsi, la tourbière de la Grande Pile a attiré des chercheurs
    internationaux, appartenant à des laboratoires de renommée mondiale, comme le
    CEREGE à Aix en Provence, ou le Lamont-Doherty Earth Observatory of Columbia
    University à New-York, etc. Les différents travaux reprennent la terminologie locale
    des périodes froides et tempérées de la dernière glaciation européenne (Würm-
    Weichsel, Woillard, 1978) qui sont une référence dans le monde scientifique
    international et qui portent les noms de toponymes de la région des Mille Etangs : Lure,
    Saint-Germain, Mélisey, etc. (fig. 3, 4).

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    Fig. 4 : Carte géologique du pays des Mille Etangs (d’après divers auteurs).

4   Pourtant, la renommée internationale de la Grande Pile a eu peu de répercussions à
    l’échelle régionale, et les vestiges glaciaires du pays des Mille Etangs ont peu été mis en
    valeur jusqu’à présent. En outre, il n’existait pas de valorisation de l’ensemble du
    territoire, qui compte également d’autres sites localisés notamment dans le socle
    varisque, en particulier dans les formations volcano-sédimentaires. Le socle des Vosges
    du sud contient également des ressources autrefois exploitées qui constituent des
    éléments fort du patrimoine. Citons par exemple, les mines métalliques de Château-
    Lambert et les houillères de Ronchamp situées à proximité du pays des Mille Etangs. La
    volonté du Conseil départemental de Haute Saône de développer un projet de territoire
    pour le Pays des Mille Etangs nécessite de réaliser une synthèse des connaissances sur
    le cadre géomorphologique qui pourra servir de support à une mise en valeur des sites
    et paysages, mais aussi à les préserver.
5   Cette contribution a pour objectif de : 1) mieux définir et localiser le pays des Mille
    Etangs en précisant ses limites et son cadre morpho-structural, 2) d’effectuer la
    synthèse des connaissances sur l’évolution géologique des Vosges du sud depuis le
    Paléozoïque, 3) d’effectuer la synthèse des travaux sur les vestiges glaciaires sensu lato
    en les replaçant dans le cadre des glaciations du Massif vosgien et en les comparant en
    particulier à ceux des Vosges lorraines, 4) de localiser les éléments du patrimoine
    naturel susceptibles d’être mis en valeur.
6   Plus d’un demi-siècle après les travaux de G. Séret sur le glaciaire vosgien sensu stricto,
    plus de 40 ans après la parution de la carte géologique de France au 1/50000 e (feuille de
    Giromagny) et au terme de plusieurs décennies de recherche sur la tourbière de la
    Grande Pile, il est nécessaire de présenter une cartographie synthétique des formes et
    des formations glaciaires, fluvio-glaciaires, glacio-lacustres et fluviatiles, en montrant
    l’apport des différents auteurs (Séret, 1965, 1980, Séret et al., 1990, 1992, Flageollet,

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    1988, 2002 ; Théobald et al., 1970, 1973 ; Théobald et Thiébaut, 1976 ; fig. 5). Cette
    synthèse est d’autant plus indispensable, que les Sciences de la Terre ont connu dans
    les années 1980 une 2e révolution – après celle de la tectonique des plaques dans les
    années 1960 et 1970 – qui a bouleversé la stratigraphie traditionnelle du Quaternaire.
    En effet, la recherche sur cette période est passée d’une conception quadriglacialiste
    (qui s’appuyait sur les quatre glaciations mises en évidences au début du XXe siècle sur
    le piedmont bavarois des Alpes, Penck et Brückner, 1909) à une conception
    multiglacialiste qui nécessite une révision complète des stratigraphies régionales
    (Shackleton, 1987 ; Lisiecki & Raymo,2005).

    Fig. 5 : Carte des vestiges glaciaires, des limites de glaciations et des sites naturels remarquables
    du pays des Mille Étangs.

7   En outre, concernant les formations superficielles sensu lato du pays des Mille Etangs il
    existe des divergences en terme de notations, de cartographie et d’interprétation entre
    les différents auteurs. Signalons tout d’abord, que nous avons distingué
    scrupuleusement les formes et les formations, en réservant par exemple, le terme de
    moraines aux formes et celui de tills aux formations glaciaires sensu stricto (Lebret et al.,
    1993).
8   Concernant la cartographie des moraines de la glaciation moyenne, nous avons repris
    l’essentiel des contours, plus précis, de la carte géologique de France. En revanche,
    pour les formations nous nous sommes appuyés essentiellement sur les travaux des
    années 1960 de Séret, dans la mesure où celui-ci a bénéficié de nombreuses coupes qui
    existaient dans les anciennes sablières aujourd’hui disparues. C’est notamment le cas
    des formations glacio-lacustres rarement évoquées par les autres auteurs. Les limites
    externes précises des glaciers successifs qui ont recouverts le pays des Mille Étangs ont
    présenté davantage de problème dans la mesure où l’harmonisation dans le cadre de la
    carte géologique de France au 1/50 000e n’a pu être réalisée totalement. C’est le cas

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     pour les formations glaciaires, fluvio-glaciaires et fluviatiles dont les limites se
     raccordent imparfaitement sur les feuille de Giromagny et de Luxeuil-les-Bains. Nous
     avons dû aussi ajuster les limites de la glaciation moyenne par rapport à la localisation
     des vestiges glaciaires rapportés à cette glaciation et à celle de la Grande Pile.

     1.- Cadre morphostructural, originalités de l’histoire
     géologique
     1.1.- Limites du pays et du plateau des Mille Etangs

9    Il est nécessaire tout d’abord de distinguer le pays et le plateau des Mille Étangs. Le pays
     des Mille Etangs se situe entre la limite de bassin versant Moselle – Saône au nord-est,
     et la dépression alluviale localisée entre Luxeuil-les-Bains et Lure, au sud-ouest. Les
     altitudes sont comprises entre 800-760 m au nord et environ 300 m au sud. La
     dépression qui s’étend de Luxeuil-les-Bains au nord-ouest à Lure, au sud-est,
     correspond partiellement aux marnes du Muschelkalk recouvertes par les alluvions de
     fonds de vallée et les basses et moyennes terrasses des bassins de la Lanterne et de
     l’Ognon. La dépression du Muschelkalk se localise, plus précisément à des altitudes
     variant de 260 m vers Luxeuil-les-Bains à 350 m à la limite des deux bassins-versants de
     l’Ognon et de la Lanterne. Cette dépression est limitée plus au sud par la côte de l’Infra-
     Lias (appelée côte de la Seille ou de St-Nicolas-de-Port, en Lorraine, Harmand et al.,
     2019), côte localement bien marquée avec un commandement d’environ 150 m.
10   Le plateau des Mille Etangs où se trouve la plus grande densité d’étangs se situe, quant
     à lui, du nord vers le sud sur les formations granitiques et volcano-sédimentaires du
     socle varisque des Vosges du sud et sur la couverture gréso-conglomératique du
     Buntsandstein (Théobald, 1976 ; von Eller, 1976, fig. 5). Les limites entre le plateau des
     Mille Etangs et la dépression alluviale de Luxeuil-Lure se situent à environ 330-350 m.
     C’est sur le plateau des Mille Etangs et dans les vallées qui le traversent que se trouvent
     les vestiges glaciaires les plus nombreux et les plus spectaculaires. C’est pourquoi, nous
     lui consacrerons l’essentiel de notre étude. D’ouest en est, le plateau des Mille Etangs se
     localise approximativement entre le Breuchin, tributaire de la Lanterne et de la Saône
     supérieure et l’Ognon, vallées glaciaires encaissées de 100 m à plus de 200 m en
     contrebas du plateau des Mille Etangs (fig. 1, 2, 4, 5).
11   Une coupe topographique tracée du nord-est au sud-ouest et passant à l’ouest de
     l’Ognon montre la régularité de la pente topographique qui s’abaisse vers le sud-ouest
     avec une inclinaison d’environ 4% (fig. 6). Cette pente régulière – dans les secteurs qui
     ne comportent pas de compartiments relevés ou abaissés par faille – coïncide avec la
     surface d’érosion infra-triasique qui s’ennoie sous la couverture de Buntsandstein au
     sud d’une ligne Breuchotte – Mélisey. Cependant, la surface pré-triasique a été entaillée
     par le Breuchin, la Lanterne, l’Ognon et leurs affluents qui s’encaissent dans le socle sur
     plusieurs dizaines de mètres.

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     Fig. 6 : Coupes résumant l’évolution géologique du pays des Mille Étangs depuis le Paléozoïque.

12   La surface infra-triasique est souvent dominée entre Faucogney et Mélisey par des
     pseudo-buttes-témoins de grès triasique qui portent localement le nom de « sigles » (le
     Grand Sigle au nord-ouest de Mélisey ; fig. 5). En fonction de la nature des formations
     géologiques, on peut distinguer deux types de buttes-témoins : les premières le plus
     nombreuses sont constituées par la superposition du Grès vosgien, du Conglomérat

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     principal et des Grès intermédiaires. Dans le deuxième type de buttes-témoins, il existe
     au sommet des buttes-témoins des Grès à Volzia.

     1.2.- Le cadre morphostructural du socle varisque et de sa
     couverture gréseuse

13   Le socle varisque est constitué au sud par des séries volcano-sédimentaires d’âge viséen
     (Mississipien, Carbonifère), et recoupées au nord-est d’une ligne Esmoulières –
     Servance par des granites intrusifs (Skrzypek, 2011 ; fig. 5). Ces derniers sont
     représentés par le complexe des granites des Ballons à amphibole et biotite (Fluck et al.,
     1987). Les blocs erratiques de granite sur le plateau des Mille Étangs sont autant
     d’éléments marqueurs et témoignent d’un mouvement des glaciers du nord vers le sud.
14   En fait, l’origine des glaces qui ont recouvert les Vosges saônoises s’explique aisément
     par le dispositif morphostructural décrit ci-dessus. Ce dernier est tout d’abord marqué
     par la dissymétrie de la vallée de la Moselle, le versant étant plus élevé en rive droite
     qu’en rive gauche, les altitudes atteignant plus de 900 m à moins de 4 km au NE du
     cours d’eau et rarement plus de 800 m au SO de celui-ci. Il existe ensuite, dans le
     prolongement amont des vallées de l’Ognon et du Breuchin, deux cols, respectivement
     le col des Croix (683 m) à l’est et le col du Mont de Fourches (620 m) à l’ouest, cols situés
     « seulement » à environ 200 m au-dessus du fond de vallée actuel de la Moselle (fig. 3).
     Ces deux cols ont permis de canaliser les langues diffluentes de glacier de la Moselle
     vers le sud-ouest lorsque le glacier de la Moselle avait une épaisseur suffisante pour
     déborder vers le bassin de la Saône. En outre, l’existence de blocs erratiques sur le
     sommet de l’interfluve Moselle – Saône, plus précisément au Bambois, butte de Grès
     vosgien culminant à 819 m à l’extrémité nord-ouest du plateau des Mille Étangs (Seret,
     1965 ; fig. 5) implique : 1) qu’ils n’ont pu être déposés que par un glacier issu de la vallée
     de la Moselle, 2) que toute la ligne de crête située à une altitude plus basse a été
     recouverte par les glaces, 3) que le glacier avait plus de 400 m d’épaisseur, dénivellation
     qui sépare le Bambois du fond de la vallée en aval de Rupt-sur-Moselle.

     1.3.- Originalités de l’évolution géologique varisque et post-varisque

15   Les séries volcano-sédimentaires sont d’âge famennien (Dévonien) sur la feuille de Lure
     (n° 443, Contini, 2000) et viséen inférieur (série de Plancher-Bas), dans le pays des Mille
     Etangs, sur la feuille de Giromagny (n° 411, Théobald et Thiébaut, 1974). Les roches
     détritiques sont associées à un cortège volcanique de type spilite-kératophyre, roches
     volcaniques effusives contenant des feldspaths sous la forme d’albite, des minéraux
     ferromagnésiens hydratés et de la calcite qui se déclinent en roches vertes, les spilites,
     et en roches rouges, les kératophyres. Les spilites sont souvent associées à des coulées
     volcaniques à pillows-lavas et constituent le faciès le plus répandu des blocs erratiques
     du plateau des Mille Etangs (Théobald et Thiébaut, 1974). Les kératophyres sont des
     roches légèrement métamorphisées, acides, de composition analogue à celle des
     trachytes.
16   Récemment la thèse d’Étienne Skrypeck (2011) a permis de préciser le contexte
     géotectonique et la mise en place des roches du socle des Vosges du sud. En effet, le
     pays des Mille Etangs se trouve au cœur du dispositif en éventail de la chaîne de
     collision varisque d’Europe (Debelmas et Mascle, 1991). Les Vosges du sud se situent à

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     l’emplacement d’un bassin d’arrière-arc lié à une subduction vers le nord de l’océan
     Paléo-Téthys, ce dernier se trouvant au sud des Vosges et au nord du Gondwana avant
     la phase de collision polyphasée, culminant au Carbonifère inférieur (Skrypeck, 2011,
     fig. 6). Ces séries volcano-sédimentaires autochtones sont déformées essentiellement
     par des plis d’axe NO-SE, tandis que le complexe magmatique des Ballons se met en
     place vers 345-340 M années. Ce substratum des Vosges du sud est chevauché plus au
     nord par les nappes de charriage viséennes, alors que la mise en place des magmas est
     de plus en plus récent vers le nord, l’âge des granites étant de 335-330M années dans les
     Vosges du nord (Skrypeck, 2011).
17   L’érosion de la chaîne varisque dans les Vosges du sud s’accompagna de l’accumulation
     dans des bassins localisés au Carbonifère et des bassins plus vastes au Permien de
     sédiments épais de plusieurs centaines de mètres d’épaisseur. Le forage 411/5/5 de
     Saint-Germain, situé au SE du pays des Mille Etangs (fig. 4) a traversé 118 m de grès et
     d’argiles permiennes et 117 m de grès et schistes contenant des veinules de houille (site
     Infoterre). Le bassin permien qui existe au sud et sud-est du pays des Mille Étangs
     s’étendait à l’origine du nord de la Suisse jusqu’à proximité de Dijon vers l’ouest, au
     sud, et jusqu’au Val d’Ajol, au nord (Le Roux et al., 2016). Le bassin stéphanien
     (Pennsylvanien, Carbonifère) de Ronchamp exploité jusqu’en 1958 fut l’un des plus
     profonds de France (puits Arthur-de-Buyer foré en 1900 : 1 010 mètres), les vestiges de
     l’exploitation constituant actuellement un patrimoine situé sur les limites sud-est du
     pays des Mille Etangs.
18   Dès le début du Permien, les reliefs de la chaîne varisque sont très atténués, tandis qu’à
     la fin de la période, se réalise la pédiplaine anté-triasique sous des climats tropicaux
     secs. Contrairement à la Lorraine, les épaisseurs du Buntsandstein moyen et supérieur
     sont faibles, le Grès vosgien pouvant même être lacunaire, en raison des conditions
     paléogéographiques au début du Trias. En effet, la sédimentation fluviatile du
     Buntsandstein (Olénékien) s’est effectuée sur le relief de l’éperon bourguignon (Durand,
     2010).
19   Postérieurement, l’histoire géologique du pays des Mille Etangs est comparable à celle
     de l’Est du Bassin parisien, en Lorraine et est marqué par les transgressions marines de
     la mer du Muschelkalk au Trias moyen, puis l’installation d’un régime marin du Trias
     supérieur jusqu’à la fin du Jurassique (Durand, 2010 ; Le Roux et Harmand, 2016), enfin
     le retour probable de la mer au Crétacé supérieur (Le Roux, 2000).
20   Le soulèvement régional du Massif vosgien – Forêt Noire qui entraîne l’érosion de la
     couverture sédimentaire d’âge mésozoïque débute à la fin du Jurassique et s’accentue
     au milieu du Tertiaire lorsque l’affaissement du Fossé du Rhin supérieur s’accompagne
     du soulèvement des massifs bordiers : Vosges et Forêt noire (Le Roux et Harmand,
     2011). Le relief actuel est dû au soulèvement du Massif consécutivement au bombement
     lithosphérique au front de l’arc alpin à partir du Miocène moyen (Dèzes et al., 2004).

     1.4.- Le cadre morpho-tectonique régional

21   Morphologiquement, le plateau des Mille Etangs s’inscrit dans un compartiment
     abaissé entre le horst de Luxeuil-les-Bains à l’ouest (377 m au sud, et plus de 800 m au
     nord, sur la ligne de crête dominant la Moselle) et le horst de Servance (1216 m) [ou de
     la Planche-des-Belles-Filles à l’est (1148 m)] (fig. 2, 4, 5). La direction des vallées
     incisant le plateau reflète les deux directions de failles régionales : NE-SO et NO-SE qu’il

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     est possible de mettre en évidence jusque dans la Vôge (Durand et al., 1971 ; Le Roux et
     Harmand, 2009, 2011, fig. 1).
22   La direction NE-SO correspondent à la direction de l’Ognon et du Breuchin à Faucogney
     et à Luxeuil. La principale faille est celle de l’Ognon (rejet de 300 m), qui se poursuit
     vers le sud-ouest, le long de la rive gauche de l’Ognon jusqu’au massif de la Serre sur
     150 km et vers le nord, vers Sainte-Marie-aux-Mines (Flageollet, 2008). L’escarpement
     de ligne de faille, au regard orienté vers le nord-ouest, constitue la limite orientale du
     pays des Mille Etangs (photo 1) La direction NO-SE est celle des nombreux sillons qui
     existent sur le plateau des Mille Etangs, par exemple entre Faucogney et le hameau de
     la Mer ou au Nord-Ouest de Ternuay. Ces sillons qui en fait forment un réseau
     orthogonal de direction NO-SE et NE-SO seraient le résultat conjoint d’un défonçage
     périglaciaire (Boyé, 1952, in Séret, 1965) et d’une érosion glaciaire. La cryoclastie étant
     en effet plus active dans les secteurs de roches fracturée par failles et par diaclases,
     l’exportation ultérieure des sables et éléments grossiers à la base du glacier en est
     facilitée (Séret, 1965).

     1.5.- Les sites naturels remarquables du socle et de sa couverture

23   Les sites naturels du substratum proposés pour l’Inventaire Régional du Patrimoine
     Géologique du département de la Haute Saône (Bichet et al., 2014) se situent surtout
     dans la partie nord-est du département. Ils concernent essentiellement des sites situés
     sur le horst de la Planche des Belles Filles. Toutefois, trois d’entre eux concernent le
     pays des Mille Etangs, et sont situés en rive gauche de l’Ognon, sur les verrous localisés
     sur le territoire de la commune de Ternuay, pour deux d’entre eux, et à Saint-
     Barthélémy. Le premier site correspondant à des « orgues de trachyte », le deuxième à
     une ancienne carrière de « porphyre vert » qui a fourni dans la seconde moitié du XIXe
     siècle et dans la première moitié du XXe siècle, notamment des colonnes destinées à la
     basilique de Fourvière à Lyon (Boisson et Cudey, 1973 ; Tritenne, 2003). Le troisième site
     présente des laves en coussins d’âge dinantien, la forme des pillows-lavas impliquant
     une mise en place en milieu aquatique (Griveaux,1964). Ce dernier pourrait par
     conséquent correspondre au bassin arrière-arc situé vers 360 M a au nord de la
     subduction Gondwana – Vosges du sud (Skrzypek, 2011). Ces sites remarquables
     permettent en outre de comprendre la nature des roches vertes et des roches rouges
     qui constituent un nombre élevé de blocs erratiques sur le plateau des Mille Étangs.

     2.- Le pays des Mille Étangs : des traces glaciaires
     remarquables
     2.1.- Des vestiges glaciaires appartenant à 3 glaciations

24   Les traces glaciaires sont omniprésentes dans le pays des Mille Etangs et se déclinent
     sous la forme de modelés : ombilics dans les vallées et sur le plateau, verrous, roches
     moutonnées et stries, moraines, blocs erratiques, drumlins, etc., et de formations
     glaciaires, fluvio-glaciaires, glacio-lacustres et fluviatiles, ces dernières formations
     constituant des complexes morainiques formés dans les vallées lors de la plus grande
     extension glaciaire (fig. 4 & 5). Leur appartenance à 3 glaciations est justifiée par
     l’existence de 3 ensembles de moraines externes, intermédiaires et internes, qu’il est

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Le plateau des Mille Etangs : un fjell de basse altitude   11

     possible d’observer notamment à Lure, Écromagny et Servance (Séret, 1965). Les deux
     premiers ensembles correspondent à des glaciers de piedmont issus de la vallée de la
     Moselle supérieure, qui ont recouvert le plateau des Mille Etangs et se sont avancés
     dans les vallées de l’Ognon et du Breuchin, respectivement jusqu’à Lure et Mélisey dans
     le première et Froideconche et Raddon-et-Chapendu dans le seconde (Fig. 4, 6). Les
     vestiges glaciaires les plus internes n’existent que dans les vallées et montrent que les
     derniers glaciers se sont avancés jusqu’en aval de Corravillers dans la vallée du
     Breuchin et de Servance dans celle de l’Ognon (Séret, 1965).
25   Ce dernier auteur avait rattaché ces trois glaciations (appelées en 1980 glaciations d’âge
     ancien, moyen et récent ; Séret, 1980) aux trois dernières glaciations alpines mises en
     évidence au début du XXe siècle sur le piémont des Alpes de Bavière : Würm, Riss et
     Mindel (Penck et Brückner, 1909). Flageollet (1988) distingue également 3 glaciations
     qu’il nomme glaciation ancienne, avant-dernière et dernière glaciation aux 3
     glaciations alpines traditionnelles. Toutefois, les enseignements des forages océaniques
     et du rapport O18/O16 obtenus sur les coquilles de foraminifères (Shackleton, 1987),
     d’une part, et les données palynologiques de la tourbière de la Grande Pile (Woillard,
     1978,1979 ; Woillard & Mook, 1982), d’autre part, et les datations 14C, enfin, ont conduit
     à un rajeunissement des glaciations vosgiennes (Séret et al., 1990).

     2.2.- Les enseignements de la tourbière de la Grande Pile

26   La tourbière de la Grande Pile se localise à la limite des bassins versants de l’Ognon et
     de la Lanterne, à une altitude de 325-328 m, soit à une quinzaine de mètres au-dessus de
     l’Ognon à Saint-Germain. Elle se trouve plus précisément dans une cuvette de
     surcreusement glaciaire de 35 m de profondeur (sous la surface de la tourbière, Séret,
     1991), sur un bas plateau inscrit dans le Muschelkalk basal (Grès coquillier, Anisien,
     Durand, 2010). Sa situation entre les moraines externes et intermédiaires, en fait un
     marqueur chronologique essentiel (fig. 4, 5). En effet, la tourbière, nécessairement
     postérieure aux premières, n’a pas été atteinte par les glaciers contemporains des
     secondes. L’analyse pollinique permet de mettre en évidence, d’après la proportion des
     pollens d’arbres et d’herbacées de la toundra arctique, les deux glaciations situées
     respectivement avant 130 ka (130 000 ans) et entre environ 70 ka et 12 ka intercalées
     avec la période interglaciaire de l’Éémien (fig. 3). En réalité, les spectres polliniques
     permettent de montrer surtout les nombreuses fluctuations climatiques de la dernière
     glaciation du Würm.
27   Au-dessus de formations superficielles non traversées par des forages mécaniques et
     interprétées par sondages électriques comme étant des tills de fond, on trouve une
     alternance de gyttja et de tourbe sur plus de 18 m de profondeur (Séret, 1991), ce qui
     suppose, d’après ce dernier auteur, l’existence d’un lac comblé progressivement par des
     sédiments anorganiques fins, et par de la matière organique se déposant dans un milieu
     anoxique. Ce modèle de remplissage est classique et a été observé ailleurs dans les
     Vosges, sur les deux versants saônois et lorrain, comme dans le cirque du Frère Joseph
     à Ventron (Séret, 1991).
28   La base de la tourbière de la Grande Pile correspond à un paysage de graminées et à la
     fin d’une période froide appelée glaciation de Linexert (Séret, 1980) laquelle peut être
     corrélée avec le stade isotopique marin 6, antérieur à environ 130 ka (équivalent de la
     glaciation du Riss alpin pro parte). Au-dessus, une unité de tourbière riche en pollens

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Le plateau des Mille Etangs : un fjell de basse altitude   12

     d’arbres (jusqu’à 90%, Woillard, 1978) correspond à l’interglaciaire de Lure. Cette période
     tempérée qui dure environ 20 000 ans bien corrélée avec les données de forages
     océaniques (Kukla et al., 2002) coïncide avec l’Éémien (daté d’environ 129 ka à 116 k a ou
     130.9 ± 1 ka à 117.5 ± 0.5 ka, (Salonen et al., 2018). De nouveaux résultats obtenus au
     début des années 2000 à partir des données de la Grande Pile ont montré que l’optimum
     climatique de l’Éémien se place entre 125 et 124 ka (Rousseau et al., 2006). La fin de
     l’interglaciaire est marqué par une détérioration climatique qui précède une période
     froide appelée Mélisey 1 pendant laquelle les pollens d’arbres ne représentent plus que
     30 à 40% du total. Cette période froide se situe à la base de la dernière glaciation (Würm
     alpin).
29   L’enregistrement pollinique de la Grande Pile a révélé pour la première fois en Europe
     occidentale les nombreuses et rapides fluctuations climatiques de la dernière
     glaciation. Ainsi, la base du Würm, caractérisé par une « période préglaciaire » ou
     Würmien précoce (Montjuvent et Nicoud, 1988), d’environ 35 k à 40 ka est marqué par
     une alternance de périodes tempérées forestières (Saint-Germain I et II, respectivement
     5c et 5a) et de périodes froides plus courtes (Mélisey I et II, respectivement 5d et 5b). Le
     faible pourcentage de pollens d’arbres (30 %) a incité Woillard (1978), puis Séret et al.
     (1990) à y voir une avancée des glaciers, surtout pendant la phase de Mélisey II (5b) au
     froid plus rigoureux.
30   À l’opposé, la période froide qui se situe entre 70 ka et 12 ka connut de brusque
     réchauffements marqués par une réavancée de la forêt, mais dans une ambiance
     climatique froide. La période la plus froide de la dernière glaciation qui correspond aux
     stades isotopiques marins 4, 3 et 2, avait été appelée glaciation de Lanterne,
     respectivement Lanterne I, II et III (Woillard, 1978). Séret et al. (1990) distinguent deux
     glaciations : la glaciation d’Écromagny dont les interstades ont été respectivement
     nommés Ognon I, II et II, Goulotte, Pile, Charbon et Grand Bois, et la glaciation de Servance
     plus récente. Il est à noter que la partie supérieure de la Grande Pile est moins détaillée
     car le Tardiglaciaire y est mal représenté.
31   Dans les années 1990, une étude paléoentomologique réalisée à partir d’une carotte de
     la tourbe de la Grande Pile a permis de corréler les résultats fournis par les deux
     approches floristiques et faunistiques (Ponel, 1995) et a confirmé les alternances
     paléoclimatiques mises en évidence par Woillard (1978). Toutefois, l’abondance de
     coléoptères d'eau courante dans la partie inférieure du remplissage de la tourbière
     soulève des questions quant à l'origine lacustre des sédiments à la base de la Grande
     Pile (Ponel, 1995).
32   Les données de la Grande Pile et les datations 14C (non calibrées) et la localisation des
     moraines intermédiaires et internes ont incité Séret et al. (1990) à rattacher la glaciation
     d’Écromagny aux périodes les plus humides et au froid modéré du stade 3 et
     probablement du stade 5b et la glaciation de Servance au stade 2 qui correspond à une
     période la plus froide, mais peu humide (Séret et al., 1990). Ce modèle est conforme à
     celui de Montjuvent et Nicoud (1988) qui ont montré que dans les autres massifs
     français englacés, les deux stades froids et secs 4 et 2 correspondaient à des glaciers peu
     développés.

     Revue Géographique de l'Est, vol. 60/1-2 | 2020
Le plateau des Mille Etangs : un fjell de basse altitude   13

     2.3.- Vestiges glaciaires sur les interfluves et dans les vallées

33   Le modelé glaciaire du plateau des Mille Etangs et des vallées glaciaires présente des
     différences significatives. Dans premier cas, les vestiges glaciaires sont plus nombreux
     et plus diversifiés. Dans le second, les complexes glaciaires terminaux associent formes
     et formations glaciaires à celles dues aux eaux de fonte. Le modelé des plateaux est
     contemporain des deux glaciations de Linexert et d’Écromagny, tandis que celui des
     vallées date des 3 glaciations vosgiennes mises en évidence.

     Fig. 7 : Carte du complexe glaciaire terminal de l’Ognon à Servance (d’après Flageollet, 2002,
     modifié)

     2.3.1.- Vestiges glaciaires des vallées de l’Ognon et du Breuchin

34   Le complexe glaciaire terminal de l’Ognon à Servance construit à la fin de la glaciation
     éponyme (ou glaciation récente, Séret, 1980 ; Séret et al., 1990) coïncide avec un secteur
     de verrous associés à des roches moutonnées. Ces verrous du Saut de l’Ognon et du
     Champ Journet, sont modelés dans des roches volcaniques rouges, comme les
     kératophyres (fig. 6 ; Flagollet, 1988, 2002). Ils séparent les 3 ombilics de Servance, des
     Ronds de Planches et de Ternuay dans lesquels l’Ognon se trouve respectivement vers
     400 m, 380 et 360 m. En fait, ce complexe terminal juxtapose 2 secteurs : 1) dans la
     vallée de l’Ognon on trouve, entre les roches moutonnées, des terrasses étagées :
     terrasse de kame des Rond de Planches, moyenne et basse terrasses séparées par
     quelques mètres de dénivelée ; 2) dans les vallées affluentes de la Vannoise en rive
     droite et de la Doue de l’Eau, on trouve dans chaque vallée une moraine terminale liée à
     une langue glaciaire diffluente. Ces moraines ont par conséquent une convexité
     tournée vers l’amont et dominent des terrasses glacio-lacustres, indiquant la présence

     Revue Géographique de l'Est, vol. 60/1-2 | 2020
Le plateau des Mille Etangs : un fjell de basse altitude   14

     de lacs proglaciaires en raison de l’interruption du drainage vers la vallée de l’Ognon.
     Dans la vallée du Breuchin, il n’existe pas de complexe terminal comparable, mais
     seulement un secteur de verrous en aval de Corravillers (Séret, 1965).
35   Les complexes terminaux de la glaciation moyenne sont bien représentés dans les deux
     vallées de l’Ognon et du Breuchin. Ils se trouvent entre Mélisey et Montesseaux dans la
     première et entre Sainte-Marie-en-Chanois et Raddon-et-Chapendu dans la seconde. Le
     point commun entre les deux sites est l’existence de deux séries d’arcs témoignant de
     deux pulsations froides successives, chaque série d’arcs étant formée par plusieurs
     moraines (fig. 4, 5). Mieux conservés dans la vallée de l’Ognon, les arcs morainiques de
     Montesseaux, les plus externes, larges de 4 km, sont formés de 5 à 6 cordons d’après
     von Eller (1976). Quatre d’entre aux existent sur la bordure ouest de l’arc morainique
     en rive droite de l’Ognon, au lieu-dit la Goulotte (Bichet et al., 2014). Orientés nord-sud,
     ces derniers sont constitués d’arcs parallèles les uns aux autres et distants de quelques
     dizaines de mètres à centaines de mètres. Les arcs les plus internes de Mélisey-Saint-
     Barthélémy renferment 3 vallums principaux et sont distants de 2,5 km des précédents
     (Séret, 1965).
36   Deux séries d’arcs morainiques existent également dans la vallée diffluente du Raddon,
     vallée ouest-est, tributaire de l’Ognon, et perchée à l’est, à 140 m au-dessus du Rahin
     (fig. 8 ; Flageollet, 2002). Les deux séries de moraines à convexité tournée vers l’est,
     sont des vallums déposés par une langue diffluente du glacier de l’Ognon : les 3 arcs les
     plus à l’est, situés au lieu-dit les Potets correspondent au stade 1, la moraine du Magny-
     de-Fresse qui domine de 40 m la vallée du Raddon, et de 120 m la vallée de l’Ognon,
     souligne l’épaisseur du glacier qui avait au moins une valeur égale (von Eller, 1976). Le
     barrage morainique que constitue la moraine du Magny-de-Fresse et explique
     l’abandon du drainage par le Raddon à l’ouest de la moraine et l’encaissement du
     Raddon dans le socle au sud de l’interfluve du Chatelet (477 m) ; l’incision n’ayant pu
     s’effectuer que par un processus de creusement sous-glaciaire. Enfin, la vallée du
     Raddon possède au lieu-dit les Potets, une seconde série d’arc morainiques à convexité
     tournée vers le sud-est. Ces derniers sont la marque de glaciers locaux issus des trois
     cirques dont le fond se situait vers 600 m d’altitude.

     Revue Géographique de l'Est, vol. 60/1-2 | 2020
Le plateau des Mille Etangs : un fjell de basse altitude   15

     Fig. 8 : Les vestiges glaciaires de la vallée du Raddon (d’après Flageollet, 2002)

37   Le deuxième point commun entre les complexes morainiques terminaux est la présence
     de formations glacio-lacustres s’adossant aux moraines des vallées du Breuchin et de
     l’Ognon, ainsi que dans les vallées diffluentes de l’Ognon (Doue de l’Eau, Vannoise et
     Raddon, fig. 8 ; Séret, 1965 ; von Eller, 1976). En témoignent les lits frontaux à pendage
     compris le plus souvent entre 20 et 25°, qui ont pu être mesurés par Séret (1965)
     lorsque les sablières étaient encore en exploitation (figure 5). La terrasse glacio-
     lacustre la plus caractéristique se situe à Sainte-Marie-en-Chânois. Elle montre
     l’existence de lacs pro-glaciaires développés entre le glacier en récession et la moraine
     de la glaciation moyenne la plus externe, aujourd’hui érodée, située en aval de Raddon-
     et-Chapendu (figure 4 ; Séret, 1965). Selon l’auteur, le lac proglaciaire était nourri en
     sédiments détritiques par des courants juxta-glaciaires venant du Nord-Est. La
     déformation des front-set beds observées sur plusieurs fronts de taille, dans les vallées
     du Breuchin (lieu-dit la Bassole à l’est de Ste-Marie-en-Chanois) et de l’Ognon (à l’est du
     village de Montesseaux) indique une réavancée glaciaire des glaciers des deux vallées
     aux dépends du lac proglaciaire (Séret, 1965).
38   Le troisième point commun concerne la transition entre le domaine glaciaire à l’amont
     et le domaine fluviatile en aval. Celle-ci s’effectue sous la forme d’un cône pro-glaciaire.
     Le plus vaste est celui de l’Ognon qui s’étale en éventail au sud des moraines de
     Montesseaux, de 340 m au nord (entre 15 et 30 m en contrebas des sommets des
     cordons morainiques) à 320 m au sud où il se raccorde avec la basse terrasse. C’est sur
     cette plaine alluviale d’environ 9 à 10 km2 que se trouve l’aérodrome de Lure-
     Malbouhans.
39   Plusieurs auteurs ont souligné la puissance des formations superficielles sous la surface
     du cône proglaciaire qui ont été traversées sur 21 m à Saint-Germain-lès-Lure
     (Infoterre, n° 411-5-11). Au-dessus d’un till de fond contenant des blocs de dimensions
     métriques altérés rattachés à la glaciation ancienne, repose des alluvions fluvio-

     Revue Géographique de l'Est, vol. 60/1-2 | 2020
Le plateau des Mille Etangs : un fjell de basse altitude   16

     glaciaires les matériaux d’épaisseur pluri-métrique (Théobald et Thiébaut, 1974). Ces
     derniers observés à Saint-Germain au lieu-dit les champs Meillet, sont typiques des
     environnements à courants puissants. En effet, les éléments grossiers, émoussés,
     atteignent jusqu’à 80 cm de longueur (Séret, 1965). L’unité de tourbe traversée par le
     forage le plus profond (21 m), située entre 12,5 et 13,5 m daterait de la fin de l’Éémien
     (Woillard, in Théobald, 1976). Plusieurs auteurs (Séret, 1965 ; Théobald et Thiébaut,
     1974) ont cartographié en fait deux terrasses étagées en aval du cône qui, au Sud-Est de
     Saint-Germain, se trouvent, en rive gauche de l’Ognon, respectivement à 10-12 m et
     +5-7 m au-dessus de l’Ognon (305 m), les alluvions étant notées Fy1 et Fy2. Vers l’aval,
     on ne trouve plus qu’une basse terrasse.
40   Le complexe glaciaire terminal de la glaciation ancienne est moins bien exprimé.
     Quelques blocs de plusieurs tonnes ont été signalés dans la vallée du Breuchin à 3 km
     en aval de Raddon-et-Chapendu, en avant de la limite d’extension maximale de la
     glaciation moyenne (Séret, 1965). De même, les moraines anciennes de l’Ognon sont
     plus rares, bien qu’on trouve deux cordons morainiques successifs entre Lure et la
     Grande Pile et quelques restes de moraines au Nord de la vallée de la Lanterne (Tête des
     Hêts, 359 m et Mont Tatie, 338 m auxquels il faut rajouter Haut du Mont (336 m), dont
     les matériaux sont marqués par leur hétérométrie, leur faible émoussé et leur
     altération. La complexité de cette région est due au fait que des formations glaciaires
     anciennes sont fossilisées par des dépôts pro-glaciaires de la glaciation moyenne (Séret,
     1965).
41   Dans le domaine fluviatile, la distinction entre les terrasses des glaciations moyenne et
     récente est plus aisée, dans la mesure où les altitudes relatives y sont plus élevées et les
     matériaux nettement plus altérés que dans les alluvions plus récentes (Séret, 1965 ;
     Théobald, 1968 ; Théobald et Thiébaut, 1974). Au SE de Lure comme au sud de Luxeuil,
     la terrasse des alluvions Fx domine les fonds de vallée de l’Ognon et de la Lanterne
     d’environ 20 m.

     2.3.2.- Vestiges glaciaires du Plateau des Mille Étangs

42   Le plateau des Mille Étangs présente une topographie irrégulière constituée de cuvettes
     de surcreusement (occupées souvent par des étangs ou des tourbières) et des accidents
     en relief, soit modelés dans les grès du Trias (sigles), soit correspondant à des cordons
     morainiques. Il mérite donc le terme de fjell, désignant un plateau autrefois recouvert
     par une calotte glaciaire, si bien que le surnom de « Petite Finlande » donné aux pays des
     Mille Étangs n’est pas usurpé.
43   En réalité, il existe deux types de cordons morainiques. On peut en effet distinguer les
     moraines orientées nord-ouest – sud-est, parallèles au front glaciaire, et les cordons
     orientés nord-est – sud-ouest, qui sont en fait des drumlidoïdes, comparables au champ
     de drumlins d’Esmoulières (fig. 4, 5). Ces derniers ne sont pas, au moins, pour certains
     d’entre eux de véritables drumlins, puisqu’ils se développent en partie dans des
     altérites du socle (Flageollet, 2002).
44   Quant aux moraines au sens strict, celles-ci se développent essentiellement entre
     Sainte-Marie-en-Chanois au nord et Mélisey au sud. Elles correspondent comme pour
     les arcs frontaux des vallées du Breuchin et de l’Ognon à des moraines de retrait. Il
     semblerait que leur nombre soit plus élevé que dans les vallées et une cartographie

     Revue Géographique de l'Est, vol. 60/1-2 | 2020
Le plateau des Mille Etangs : un fjell de basse altitude   17

     précise qui ne pourra être réalisée que par Lidar, en raison de la densité du couvert
     forestier.
45   Les moraines sont associées par de nombreux blocs erratiques qui attestent du
     mouvement des glaces du nord vers le sud et leur cartographie est loin d’être
     exhaustive. Si les blocs erratiques existent dans les vallées, comme à Servance (fig 7), ils
     sont plus nombreux sur les plateaux où il est possible d’en différencier 4 types d’après
     les faciès rocheux : roches volcaniques vertes et rouges, granite et grès triasique, les
     premiers étant prédominants (Théobald et Thiébaut, 1974). De même les blocs gréseux
     y sont relativement nombreux. L’importance de ces deux faciès s’explique par l’étendue
     et la proximité des affleurements. Il est à noter par ailleurs que les éléments clastiques
     se situant dans les formations glaciaires trouvent leur origine dans des affleurements
     proches du dépôt. Ainsi, un comptage lithologique réalisé dans les formations des
     cordons morainiques de la Goulotte, situés à proximité du plateau des Mille Étangs, a
     montré que 97% des cailloux était constitué de grès du Buntsandstein, tandis que dans
     l’axe de la vallée de l’Ognon, à Montesseaux, cette proportion descendait à un tiers, les
     faciès granitiques y étant davantage représentés (fig. 5 ; Séret, 1965).
46   Enfin, des formes mineures, comme les stries glaciaires renseignent sur l’écoulement
     nord-est – sud-ouest des glaces. Toutefois, celui-ci pouvait prendre des directions
     différentes si l’on s’appuie sur la direction N27 du « drumlin » le plus à l’ouest
     d’Esmoulières.

     2.4.- Les sites glaciaires remarquables du pays des Mille Étangs

47   L’Inventaire Régional du Patrimoine Géologique du département de la Haute Saône
     propose une dizaine de sites glaciaires pour le pays des Mille Étangs (Bichet et al., 2014).
     Nous proposons, quant à nous, d’accroître le nombre de sites et de distinguer les
     géosites qui renferment plusieurs sites et les sites isolés (fig. 4). Cependant, le site le
     plus emblématique, à classer à part, est la tourbière de la Grande Pile (3) qui constitue
     une référence internationale. Une valorisation par une série de panneaux et une
     protection du site nous semblent prioritaire. Concernant les géosites retenus, 5
     correspondent à des complexes glaciaires terminaux, dont 4 appartiennent à la
     glaciations moyenne, 5 correspondent à des sites plus ponctuels, 3 d’entre eux
     concernant des blocs erratiques remarquables.

     3.- Discussions et conclusion
48   Il existe de nombreuses similitudes entre les vestiges glaciairessdu versant lorrain et du
     versant haut-saônois des Vosges dont la comparaison dépasse le cadre de cette
     contribution. Sur le premier, existent également des moraines de retrait, des lits
     frontaux trahissant la présence de lacs proglaciaires, des structures glacitectoniques
     mettant en évidence une réavancée glaciaire ainsi que des complexes morainiques
     terminaux, comme celui de Noirgueux à l’extrémité du glacier de la Moselle (Séret, 1965
     ; Séret et al., 1990 ; Flageollet, 1988, 2002, 2007 ; Flageollet et Hameurt, 1971 ; Ochietti,
     2007). Toutefois, c’est le pays des Mille Etangs qui fournit, grâce à la Grande Pile, un
     cadre chronologique global pour les glaciations vosgiennes : la glaciation ancienne
     coïncidant avec le stade isotopique 6, la glaciation moyenne avec le stade 3 et peut-être
     les stades 5d et 5b, la glaciation récente avec le stade 2 (Séret et al., 1990). Sur le versant

     Revue Géographique de l'Est, vol. 60/1-2 | 2020
Le plateau des Mille Etangs : un fjell de basse altitude   18

     lorrain, les dépôts glaciaires non altérés, observés dans les vallées et sur les interfluves
     (Ménillet, 1978), tend à montrer qu’ils appartiennent seulement au Würm (André,
     1991), ce qui signifierait que le Massif vosgien a été recouvert part une calotte glaciaire
     de 450 à 600 m d’épaisseur pendant la glaciation moyenne. Le débordement des glaces
     sur le plateau des Mille étangs se serait effectué à cette période, non pas à partir du seul
     glacier de la Moselle, mais de la calotte qui aurait recouvert les Vosges jusqu’au nord de
     Gérardmer (Ménillet, 1978). L’existence d’une calotte glaciaire sur les versants ouest et
     sud des Vosges tend à être conforté par l’altitude basse des cirques glaciaires dont
     l’altitude du plancher correspond approximativement à l’altitude des neiges
     permanentes. Or cette altitude est d’environ de 700 m sur le horst de Servance (fig. 8) et
     dans le bassin supérieur de la Meurthe (Ménillet, 1978).
49   Sur le versant lorrain, comme sur le versant haut-saônnois, les dépôts glaciaires de la
     glaciation moyenne se raccorderaient avec la terrasse de +10 m, comme dans la vallée
     de la Meurthe (Le Roux et Harmand, 2020, à paraître), tandis que la glaciation ancienne
     correspondrait à la terrasse de +20 m, comme à Golbey, au Nord d’Épinal (Cordier et al.,
     2014). En effet, dans cette localité, les alluvions de la terrasse de +20 m ont été datées
     par ESR et OSL du stade 6 dans leur partie inférieure et moyenne. L’âge OSL de la partie
     supérieure du dépôt, datée du stade 5, tendrait à confirmer l’existence de glaciers dans
     le Massif vosgien pendant les sous-stades 5d et b (Séret et al., 1990).
50   Le dispositif alluvial constitué de plus de 10 terrasses étagées en aval d’Épinal, dans la
     vallée de la Moselle, notamment le cône terrasse situé à +70 m, tendent à montrer
     qu’antérieurement au stade 6, des glaciations étendues ont pu affecter le Massif
     vosgien, et par conséquent le pays des Mille Étang. Les terrasses de l’Ognon, situées à
     plus de 20 m (dont la cartographie réalisée par l’auteur de cet article est en cours)
     pourraient leur correspondre.
51   Toutefois, une meilleure connaissance des glaciations vosgiennes ne pourra être
     réalisée que grâce à des datations nouvelles, par cosmonucléides, à partir des blocs
     erratiques et roches moutonnées, ou par OSL ou IRSL à partir des dépôts sables des
     terrasses alluviales des vallées issues des versants lorrains et haut-saônois du Massif
     vosgien.

     BIBLIOGRAPHIE
     ANDRÉ M.-F. (1991). L’empreinte glaciaire dans les Vosges. Presses Universitaires de Nancy, 119
     p.

     BICHET V., CAMPY M., CORDIER S., RIOT G. (2014). Inventaire Régional du Patrimoine Géologique
     de Franche-Comté, département de Haute Saône, Commission Nationale du patrimoine
     Géologique, 101 p.

     BOISSON M., CUDEY C. (1973). Contribution à la pétrographie des roches volcaniques acides de la
     région de Ternuay-Servance. DES, Université de Franche-Comté, Besançon, 80 p.

     Revue Géographique de l'Est, vol. 60/1-2 | 2020
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