Le populisme s'épanouit en Suisse, mais sous contrôle

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Le populisme s'épanouit en Suisse, mais sous contrôle
DÉMOCRATIE DIRECTE

            Le populisme s’épanouit en
             Suisse, mais sous contrôle
                                  Par Domhnall O'Sullivan

30. AOÛT 2019 - 16:00

 Une mascotte de l'UDC en février 2019. La face souriante du populisme?
 (© Keystone / Peter Klaunzer)

Que signifie la montée du populisme pour l’avenir de la démocratie? En Suisse au
moins, les ambitions populistes et démocratiques semblent prospérer main dans la
main.

Sur la base de nombreux critères qui définissent ce terme, la Suisse est l’un des pays les
plus populistes d’Europe. L’Union démocratique du centre (UDC), le grand parti
conservateur de droite qui combat l’immigration, est la première formation politique du
pays, l’antiélitisme y fleurit et le système de démocratie directe peut mener à des accès
de colère populaire très controversés.

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Le populisme s'épanouit en Suisse, mais sous contrôle
D’un autre côté cependant, presque tous les indicateurs désignent la Suisse comme un
modèle de stabilité politique, de prospérité économique, de qualité de vie, de
multiculturalisme (25% des résidents sont étrangers) et de santé démocratique.

Est-ce un paradoxe? C’est en tout cas l’impression que peuvent avoir ceux qui considèrent
le pays de l’extérieur. Mais la nature particulière du «populisme alpin» suisse repose sur
des éléments qui le distinguent clairement des versions qui se répandent dans toute
l’Europe.

Sommets et creux de la vague

D’abord, le timing est différent. Le politologue Claude Longchamp, fondateur de l’institut
de recherche gfs.bern, chroniqueur régulier de swissinfo.ch, relève que le populisme en
Suisse est déjà sur la pente descendante de la vague qui déferle actuellement en France,
en Italie, en Autriche, en Hongrie et en Pologne. «Nous avons déjà eu ces discussions, dit-
il. Ici, le populisme ne progresse pas, contrairement à d’autres pays où nous avons vu se
développer depuis l’élection de Donald Trump en 2016 un populisme d’un nouveau type
qui cherche à conquérir le centre.»

Un des sommets en Suisse a été atteint autour de 2007, dit-il. Le patron de l’UDC
Christoph Blocher était alors au gouvernement et animait les mouvements qui devaient
déboucher en 2010 sur un vote populaire en faveur de l’expulsion des criminels
étrangers. Un autre pic s’est manifesté dans la période 2013-2015, quand les
conséquences de la crise financière ont incité l’électorat suisse à se replier sur lui-même
et à limiter l’immigration venant de l’Union européenne.

Depuis cependant, l’influence de l’UDC et de ses positions populistes stagne, note le
politologue. Après les défaites qu’ils ont enregistrées lors de plusieurs votations fédérales
et élections régionales, les conservateurs sont sur la défensive. Les élections fédérales
d’octobre en Suisse devraient comme ailleurs voir une progression des Verts. En
revanche, une progression des populistes analogue à celles qu’ont connues d’autres pays
européens est peu probable.

Mouvements contraires

Pourquoi ce décalage entre la Suisse et le reste de l’Europe? Pour Claude Longchamp, il
s’explique en partie simplement par des cycles différents: les hauts et les bas du vote
protestataire sont une composante de la démocratie. La stabilité du système en place
dépend de sa capacité à satisfaire assez de monde pour éviter le recours à des solutions
extrêmes.

Vu sous cet angle, la Suisse traversait déjà sa crise populiste en 2007 lorsque l’Europe
plongeait la tête la première dans une brutale crise financière. Une décennie plus tard,
alors que les démocraties de l’UE paient le prix politique de la stagnation et du manque
de perspectives, l’économie suisse les regarde confortablement installée dans ses
montagnes.

Mais ce n’est pas tout. Plus récemment, la Suisse a vu émerger en réaction au populisme
une dynamique progressiste qui a contribué à développer de nouvelles stratégies de
communication pour répondre à celle, extrêmement efficace, de l’UDC.
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  Opération Libero en est un exemple. Le quotidien britannique The Guardian l’a
récemment créditée d’être parvenue à « battre le populisme». Au cours des quatre
dernières années, ce groupe issu des milieux urbains et libéraux s’est mobilisé contre les
initiatives de la droite nationaliste, gagnant toutes les batailles dans lesquelles il s’est
engagé, en particulier celle qu’il a menée contre une nouvelle tentative pour expulser les
criminels étrangers. Énergiques, ses campagnes présentaient les enjeux sous des angles
et dans des contextes totalement différents. Pour les élections fédérales d’octobre, ce
groupe appuie maintenant des candidats issus de plusieurs partis autour d’un projet
commun.

Les éloges du quotidien britannique sont peut-être exagérés. Mais l’idéologie libérale
d’Opération Libero, combinée avec sa dynamique et le populisme très particulier de sa
communicatio,n a certainement contribué à «changer le narratif», comme l’a écrit The
Guardian.

Simultanément, d’autres facteurs ont aussi coupé l’herbe sous les pieds des populistes
conservateurs: l’engagement des jeunes, les préoccupations liées au climat - qualifiées
d’«hystérie» dans un document interne de l’UDC - et un changement de sensibilité
politique dans les centres urbains de Suisse, en opposition aux régions rurales plus
conservatrices.

 Une campagne colorée d'Operation Libero - ici en faveur du mariage pour tous.
 (Keystone / Peter Schneider)

Le rôle de la démocratie directe

Cela ne signifie évidemment pas que la Suisse n’est pas menacée par le phénomène.
Selon une  étude publiée en 2016, elle offre toujours «des conditions favorables à la
montée du populisme», que ce soit la nature traditionnellement conservatrice et
isolationniste de sa géographie sociale ou la concentration de son paysage médiatique.         /
À cela vient s’ajouter la démocratie directe, un instrument très apprécié des populistes
pour faire avancer leur agenda et que vantent aussi bien Matteo Salvini en Italie que
Marine Le Pen en France. Elle permettrait de reprendre le pouvoir accaparé par les élites
et de le remettre directement aux mains du «peuple». Mais la démocratie directe pourrait
aussi être l’instrument qui à long terme permet d’endiguer les progrès des populistes.

Dans un système on l’on peut remettre en question les nouvelles lois (il faut pour cela
réunir 50’000 signatures) ou proposer des modifications de la Constitution (100’000
signatures), les problèmes politiques «font plus facilement surface, s’y dessinent plus
clairement et demandent d’être résolus», dit Claude Longchamp. Cela contribue à éviter
que le ressentiment sous-jacent couve trop longtemps. En outre, même si la participation
est faible, la possibilité de voter souvent donne aux gens l’impression qu’ils ont leur mot à
dire, ce qui à la fois stimule et tempère les exigences des populistes.

Laurent Bernhard, de l’Université de Lausanne, explique que le système de
gouvernement suisse basé sur le consensus produit un effet modérateur analogue. Il
garantit à chacun des grands partis politiques un siège au sein du Conseil fédéral. L’UDC y
est d’une certaine manière «cooptée» et en devient plus mesurée et pragmatique.

La droite conservatrice est ainsi un élément à part entière du système politique suisse, ce
qui n’est pas le cas dans des pays comme la France où les nationalistes sont maintenus à
l’écart par une sorte de «cordon sanitaire». Pendant des années, parler du Front national
comme d’un acteur politique légitime était un véritable tabou. Le système suisse de
consensus empêche en outre qu’un mouvement – populiste ou non – s’assure d’un
pouvoir suffisant pour procéder à des changements radicaux.

C’est pourquoi un glissement à droite vers un libéralisme autoritaire à la hongroise
s’avère très improbable. Et c’est aussi pourquoi à gauche les appels populistes en faveur
d’un bouleversement économique et d’un retour à la lutte des classes vont à contre-
courant. La présidente sortante de la Jeunesse socialiste suisse (JS Suisse) Tamara
Funiciello l’a exprimé en ces termes: «Il n’y aura jamais de révolution en Suisse».

Surtout du bruit

En fait, dans un système présentant de telles contraintes, la jeune politicienne voit plutôt
le populisme comme un exercice de communication: un moyen de capter l’attention des
médias pour faire passer un message simpliste, qu’il soit ou non populiste sur le fond.

Elle explique que la JS Suisse a pour l’essentiel copié le style de communication de l’UDC
après s’être convaincue de son efficacité au cours de la dernière décennie. Les
responsables d’Opération Libero sont également des communicateurs adroits lorsqu’ils
veulent faire un coup d’éclat médiatique. Et une  étude universitaire relève que même
les Verts, qui profitent actuellement des préoccupations de l’électorat, ne sont pas loin de
tenir un discours populiste.

Claude Longchamp estime important de surveiller ce «populisme rhétorique» – qu’il
caractérise par un nivellement du discours par le bas, des campagnes négatives et
agressives et par le souci d’attirer à tout prix l’attention des médias. Il remarque toutefois
qu’il est vital de ne pas le confondre avec un populisme plus idéologique qui peut
déboucher sur de dangereuses politiques d’exclusion.
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Le politologue se montre moins disposé que d’autres chercheurs à considérer l’UDC –
elle-même plutôt ambivalente face au terme de populisme – comme un parti purement
populiste. Cette formation réunit certes de nombreuses composantes du populisme,
mais moins que certaines variantes qui se rencontrent en Europe et proviennent parfois
de groupements qui ont un passé fasciste. «L’UDC n’a jamais été une formation
d’extrême droite», dit-il.

(Traduction de l’anglais: Olivier Huether), swissinfo.ch

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