Le SBS/TCNA est-il encore un diagnostic valide?
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Le SBS/TCNA est-il encore un diagnostic valide? Jean Labbé, MD, FRCPC Professeur titulaire Département de pédiatrie Université Laval Consultant en protection de l’enfance 1. Introduction Bien qu’on y réfère encore couramment sous le vocable « syndrome du bébé secoué » (SBS), on préfère maintenant le terme « traumatisme crânien non accidentel » (TCNA) pour désigner la forme d’abus physique la plus sévère envers les enfants, causant la mort de 20% des victimes et entraînant des séquelles neurologiques significatives chez la majorité des survivants (King, 2003). Selon les Centers for Disease Control and Prevention (CDC), le TCNA se définit comme une lésion au crâne ou à son contenu chez un nourrisson ou un jeune enfant, causée par un impact infligé et/ou des secousses violentes (Parks, 2012). Ce changement d’appellation n’est que l’une des conséquences des controverses liées à cette condition depuis sa description il y a plus de 40 ans et qui ont atteint une proportion telle qu’elles entraînent actuellement rien de moins qu’une remise en question de ce diagnostic dans certains milieux médicaux et judiciaires. Puisqu’il est impossible d’en faire la preuve expérimentale, le TCNA produit par des secousses seules demeure une hypothèse pour expliquer les lésions qui lui sont attribuées. Si les preuves supportant cette hypothèse paraissent suffisamment convaincantes pour la majorité des médecins et des organismes médicaux, elles ne satisfont pas les opposants, qui, bien que minoritaires, ont une influence grandissante, particulièrement dans le milieu judiciaire (Tuerkheimer, 2009). Il faut rappeler que les règles de la pratique médicale diffèrent sensiblement de celles du droit criminel. La majorité des diagnostics médicaux sont inférés, c.-à-d. qu’ils sont le résultat d’un jugement clinique établi après l’analyse des données recueillies par l’histoire, l’examen physique et les tests complémentaires. Il s’agit donc de l’hypothèse la plus probable pour expliquer les problèmes du patient. En droit criminel, on vise un plus grand degré de certitude, soit une preuve hors de tout doute raisonnable.
Dans ce document, je ferai d’abord un historique de l’évolution du concept du SBS/TCNA pour discuter ensuite des principaux arguments apportés par les opposants et proposer finalement une approche médicale basée sur les connaissances actuelles. 2. Historique 1946 Première description dans la littérature médicale moderne, par un radiologiste pédiatrique, de l’association d’hématomes sous-duraux et de fractures des os longs chez 6 nourrissons, pour laquelle l’auteur soupçonne une maltraitance (Caffey, 1946). 1962 Article majeur établissant l’existence du « syndrome de l’enfant battu » (Kempe, 1962). 1971 Un neurochirurgien britannique émet l’hypothèse que des hématomes sous- duraux soient secondaires au fait qu’un bébé soit secoué (Guthkelch, 1971). 1972 Caffey revient à la charge en décrivant 27 victimes de traumatismes crâniens par secousses, dont 15 aux mains d’une même gardienne, Virginia Jaspers (Caffey, 1972). 1987 Des auteurs rapportent, dans leurs cas diagnostiqués comme SBS, des lésions par contact chez 63% des patients et chez 100% des victimes décédées (Duhaime, 1987). Ces mêmes auteurs, en utilisant un mannequin correspondant à un bébé d’un mois, comparent, à l’aide d’un accéléromètre, les forces générées au niveau de la tête par des secousses et des impacts. D’après leurs données, les forces d’accélération générées par des secousses seules ne permettraient pas de causer des lésions intracrâniennes comme des hématomes sous-duraux, contrairement aux forces générées par des impacts. 2
1997 Procès largement médiatisé de Louise Woodward aux États-Unis. Cette jeune gardienne au pair d’origine anglaise est d’abord reconnue coupable de meurtre au second degré de Matthew Eappen, âgé de 8 mois, par un tribunal du Massachussetts en 1997. Porté en appel, le verdict est ensuite réduit à un homicide involontaire. Des médecins viennent témoigner en défense avec des arguments tentant d’expliquer les lésions de l’enfant autrement que par un SBS (Plunkett, 1999). 1999 Procès de Sally Clark en Angleterre, accusée d’avoir tué deux de ses enfants. Roy Meadow, agissant comme expert médical, soutient que le risque de deux cas de mort subite du nourrisson dans une même famille n’est que de 1 : 73,000,000. Sally Clark est jugée coupable et condamnée à la prison. Plus tard, l’expertise de Meadow sera fortement critiquée et la cause, portée en appel, se terminera par un verdict de non culpabilité, de nouveaux experts concluant à la mort naturelle des enfants. 2001 Publication de deux articles par Jennian Geddes, une neuropathologiste britannique, sur l’examen pathologique de 53 victimes de traumatismes crâniens non accidentels (Geddes I, 2001; Geddes II, 2001). Elle constate que les dommages axonaux diffus d’origine traumatique sont rares, alors que les lésions axonales causées par de l’hypoxie sont plus fréquentes. Elle retrouve des lésions axonales focales au niveau de la jonction crânio-cervicale chez 11 nourrissons et émet l’hypothèse que ces lésions soient responsables d’une apnée, suivie par la suite d’hypoxie et de dommage cérébral diffus. 2003 Jennian Geddes présente cette fois une analyse de 50 autopsies de bébés décédés de cause non violente (Geddes, 2003). Elle constate la présence d’hémorragies intradurales microscopiques dans 36 cas. Selon elle, les lésions attribuées au TCNA seraient en fait causées par une cascade d’événements provenant d’une lésion crânio-cervicale entraînant de l’apnée. S’ensuivrait une hypoxie, un œdème cérébral et ensuite une augmentation de la pression veineuse intracrânienne intradurale amenant une fuite de sang dans l’espace sous-dural. L’hypoxie et l’œdème cérébral seraient aussi responsables des hémorragies rétiniennes. Selon cette « hypothèse unifiée », il ne serait pas nécessaire d’avoir ni un impact, ni une force très grande, pour expliquer des lésions intracrâniennes significatives. 3
2003 En Angleterre, Sally Clark recouvre sa liberté et le procureur général demande la révision de cas de décès d’enfants où des donneurs de soins ont été reconnus coupables d’homicide suite à des expertises médicales. 2007 Enquête par le juge Stephen Goudge en Ontario sur la conduite du Dr Charles Smith, pathologiste à l’hôpital SickKids de Toronto. Il est démontré que le Dr Smith a commis des erreurs importantes dans 20 autopsies d’enfants décédés apparemment de mort violente. Suite à son enquête, le juge recommande une révision des cas de décès d’enfants qui ont conduit à des condamnations pour homicides. 3. Opposition au SBS/TCNA Les opposants au SBS/TCNA se sont fait remarquer à partir du procès de Louise Woodward en 1997. Ils sont venus d’abord du milieu médical (en particulier de la pathologie) et se sont rapidement trouvé des alliés dans le milieu judiciaire. Plusieurs d’entre eux consacrent l’essentiel de leur activité professionnelle à la défense d’individus accusés d’être responsables d’un TCNA chez un enfant. Les médecins opposants forment un groupe très hétérogène, certains préconisant une approche scientifique rigoureuse alors que d’autres n’ont que des spéculations à proposer. Mais comme l’arène judiciaire n’est pas un milieu scientifique, cela oblige à tenir compte de tous les arguments apportés par les opposants au SBS/TCNA, qu’ils soient basés sur des études sérieuses ou non. Même s’ils se disent d’accord avec le fait que des enfants soient victimes de SBS/TCNA, la plupart des médecins opposants se comportent en pratique comme si tous les cas poursuivis en justice étaient des exceptions et que les lésions des victimes avaient une cause autre qu’un trauma infligé. Ils ont habilement su tirer partie des faiblesses et des erreurs de parcours de ceux qui soutiennent l’existence de cette condition, ainsi que des nouvelles découvertes scientifiques des dernières années : En soulignant la diversité des appellations depuis sa description originale Whiplash shaken infant syndrome Shaken baby syndrome Infant whiplash-shake injury syndrome Shaken impact baby syndrome Inflicted head injury 4
Inflicted traumatic brain injury Non accidental head injury Abusive head trauma… En faisant ressortir l’absence d’uniformité des critères diagnostiques Le fait qu’il s’agisse d’un syndrome fait en sorte que le diagnostic peut être posé alors que le patient ne présente qu’une partie des caractéristiques constatées chez les victimes. Pour tenter de faciliter le diagnostic, on a proposé l’association d’une triade, mais les éléments de cette triade ont varié selon les auteurs : - Hémorragies intracrâniennes, hémorragies intraoculaires et lésions périostées des os longs (Caffey, 1974) - Traumatisme crânien évident, hémorragies rétiniennes, aucune cause évidente de traumatisme (Spaide, 1990) - Hémorragie intracrânienne, hémorragie rétinienne et fractures de côtes ou de l’extrémité des os longs (Ass Can Santé Publ, 2001). - Hématome sous-dural, hémorragies rétiniennes, encéphalopathie (Richards, 2006) - Hématome sous-dural, hémorragies rétiniennes multicouches et absence de traumatisme accidentel grave ou de pathologie médicale explicative. (Société canadienne de pédiatrie, 2007) En mettant en évidence le biais de circularité de plusieurs études Il n’existe pas de « standard or » pour le diagnostic du SBS/TCNA. Dans plusieurs études, pour faire la distinction entre le traumatisme crânien accidentel et non accidentel, les critères utilisés pour le diagnostic de cette dernière entité comprenaient nommément la présence d’hématomes sous-duraux et d’hémorragies rétiniennes, par exemple. On retrouvait donc nécessairement ces éléments dans le groupe des TCNA (Findley, 2012). En apportant des preuves qu’il existe presque toujours des exceptions 1) On croyait que le fait de trouver des collections sous-durales de densité différente s’expliquait nécessairement par des hématomes d’âges différents et donc par des traumatismes répétés. Un neurochirurgien français a démontré chez des enfants après des accidents d’auto des hématomes sous-duraux avec des densités mixtes présentes dès le premier 24 heures. Ceci peut s’expliquer soit par un mélange de sang et de liquide céphalorachidien, ou bien par la sédimentation du caillot (Vinchon, 2002; Vinchon, 2004). 2) On croyait que les chutes de faible hauteur n’entraînaient que des conséquences bénignes 5
Des études ont montré qu’il arrive rarement des conséquences sérieuses et même des décès (Plunkett, 2001). 3) On croyait qu’après un traumatisme crânien sévère, il n’y avait jamais d’intervalle lucide. Des études ont rapporté l’existence d’intervalles lucides dans un petit pourcentage de cas (Snoek, 1984; Arbogast, 2005). 4) On croyait que les lésions sévères du TCNA n’étaient causées que par des secousses. Plusieurs études cliniques et des confessions d’agresseurs ont montré que des victimes avaient eu à la fois des secousses et un impact alors que d’autres n’avaient eu qu’un impact ou des secousses (Starling, 2004; Arbogast, 2005). 5) On croyait que le rétinoschisis traumatique (dégénérescence kystique de la rétine) était pathognomonique pour un TCNA. On a décrit des cas d’origine accidentelle, dans des situations où il y a eu écrasement de la boîte crânienne (Lantz, 2004, Watts, 2008). 4. Quels sont les arguments des opposants? 4.1 Les lésions attribuées à un TCNA ont une cause médicale En fait, les lésions retrouvées dans un TCNA, notamment les hémorragies intracrâniennes, les hémorragies rétiniennes et l’encéphalopathie anoxique ischémique, ne sont pas spécifiques et un diagnostic différentiel s’impose. Toutefois, la plupart des causes médicales responsables des lésions ont des caractéristiques cliniques et paracliniques permettant de faire la distinction sans grand problème. Troubles de la coagulation Des hémophilies modérées ou sévères (déficience en facteur VIII ou IX) peuvent donner des hémorragies intracrâniennes, tout comme une déficience en vitamine K (Vorstman, 2003; Ljung, 2008; Cekinmez, 2008). Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les hémorragies intracrâniennes ne sont pas si fréquentes, même en cas de traumas crâniens (Dietrich, 1994). Les saignements sont surtout intraparenchymateux ou intraventriculaires. 6
Quant aux hémorragies rétiniennes, elles sont rares en cas de coagulopathie. Lorsqu’il y en a, elles sont habituellement peu nombreuses et limitées au pôle postérieur (Lévin, 2000). On a tout de même décrit des cas d’hémorragies rétiniennes sévères, particulièrement lorsque les coagulopathies étaient associées à un état septique (Agrawal, 2012). Ces maladies sont facilement identifiées en raison de tests de coagulation anormaux. Par contre, les saignements intracrâniens sont rares dans la maladie de von Willebrand et dans le purpura thrombocytopénique idiopathique, bien que des cas aient été rapportés (Dietrich, 1994; Reece, 2003; Stray-Pedersen, 2011). Il pourrait aussi s’agir d’une coïncidence puisque l’incidence du von Willebrand dans la population est élevée (1%). Dans le déficit sévère en facteur XIII, on peut avoir une hémorragie intracrânienne spontanée (Abbondanzo, 1988). Un indice clinique est une histoire de saignement du cordon ombilical dans 80% des cas. Par contre, on n’a jamais décrit d’hémorragies rétiniennes chez les enfants avec cette déficience. Il faut se rappeler que le traumatisme crânien lui-même est une cause de coagulopathie. On peut donc retrouver un prolongement du temps de prothrombine et à une activation de la coagulation qui peut aller jusqu’à une coagulation intravasculaire disséminée (Hymel, 1997). En cas de doute, on répétera les tests de coagulation après 2 mois, si l’enfant survit. Anomalies structurales intracrâniennes Des anomalies comme des malformations artérioveineuses intracrâniennes, des anévrismes ou des tumeurs peuvent causer des hémorragies intracrâniennes (Wirtschafter, 1995; TekköK, 1997). Il s’agit de conditions très rares chez le nourrisson et la présentation est habituellement celle d’une hémorragie sous- arachnoïdienne spontanée ou d’un saignement avec effet de masse (Getzoff, 1999; Reece, 2003). Les hémorragies rétiniennes sont rares dans ces conditions. Lorsqu’il y en a, elles sont habituellement secondaires à un œdème de la papille, peu nombreuses et localisées à cet endroit (Levin, 2000). Méningite Si la méningite bactérienne peut se compliquer d’une hémorragie intracrânienne, elle est associée très rarement à des hémorragies rétiniennes (Levin, 2000). La présentation clinique très particulière à cette condition et l’examen du liquide céphalo-rachidien rendent facile son identification. Sepsis Un état septique sévère peut se compliquer d’une hémorragie intracrânienne. On peut aussi rencontrer dans cette situation des hémorragies rétiniennes, mais le 7
tableau clinique est tel qu’il y a peu de risque d’une confusion avec un TCNA (Agrawal, 2012). Acidurie glutarique de type 1 Dans cette maladie génétique, il existe habituellement une macrocéphalie dès la naissance ou qui s’installe dans les premières semaines de vie. Dans la moitié des cas, les parents ont aussi une macrocranie (Strauss, 2003). Les enfants ont un retard de développement, une hypotonie, des mouvements anormaux. Ils présentent des crises encéphalopathiques à l’occasion d’épisodes cataboliques, lors d’infections par exemple. À ce moment, l’ammoniémie est élevée, la glycémie basse et il y a présence d’acidocétose. L’imagerie intracrânienne montre de nombreuses anomalies, dont notamment une atrophie cérébrale fronto-temporale, des kystes arachnoïdiens bilatéraux dans la fosse moyenne, etc. On peut avoir des hémorragies sous-durales (Hartley, 2001; Bodamer, 2001; Gago, 2003). Lorsqu’il y a des hémorragies rétiniennes, elles sont peu nombreuses (Levin, 2000). Le diagnostic se pose par la démonstration de grandes quantités d’acide glutarique dans l’urine. Déshydration sévère Des cas d’hématomes sous-duraux « spontanés » ont été décrits dans cette condition (Vinchon, 2010). Hypernatrémie Comme le bilan ionique est toujours demandé chez un enfant avec une atteinte cérébrale, il est très facile d’identifier ce problème. Élargissement bénin des espaces sous-arachnoïdiens L’hydrocéphalie externe bénigne du nourrisson serait causée par un trouble transitoire de résorption du liquide céphalo-rachidien. Les bébés présentent une augmentation du périmètre crânien au cours des premiers mois de vie et leur macrocranie se stabilise par la suite. L’imagerie médicale crânienne montre un élargissement de l’espace sous-arachnoïdien. Des auteurs ont suggéré que l’élongation des veines-pont dans ces circonstances les rendait plus susceptibles à se rompre spontanément ou avec un trauma mineur (McNeely, 2006; Vinchon, 2010; Gosh, 2011). Cette hypothèse n’est pas considérée comme étant prouvée sur le plan scientifique, car les études effectuées à ce sujet ont des biais qui empêchent d’en arriver à une conclusion définitive (Commission d’audition, 2011). De plus, il semble que, dans certains cas, l’élargissement des espaces péricérébraux soit plutôt la conséquence d’un traumatisme crânien antérieur méconnu. 8
Atrophie cérébrale Il n’est pas rare dans cette condition que des hématomes sous-duraux surviennent suite à des traumas mineurs ou même spontanément. Hypertension artérielle Bien qu’elle soit une cause fréquente d’hémorragies rétiniennes chez les adultes, cette cause est extrêmement rare, sinon absente chez les bébés (Shiau,2012). Leucémie Le diagnostic se pose à l’examen clinique et à l’analyse de la formule sanguine. Endocardite bactérienne La présentation clinique est fort différente d’un TCNA. Les hémorragies rétiniennes ont typiquement une partie centrale blanchâtre (Levin, 2000). Thrombose d’un sinus caverneux La prévalence de cette condition n’est que de 0,67 cas par 100,000 enfants par année. Il s’agit le plus souvent d’une complication suite à une infection ou à une déshydratation (Sébire, 2005). Complication post-chirurgie intracrânienne L’histoire est évidente. Ostéogénèse imparfaite Des lésions similaires à celles du TCNA ont été rapportées chez des enfants atteints d’une ostéogénèse imparfaite (Ganesh, 2004; de Diago, 2005; Sasaki- Adams, 2008). Ces enfants avaient cependant des signes physiques et/ou radiologiques de cette maladie. Vaccin contre la coqueluche Le vaccin contre la coqueluche est donné de routine chez les bébés à 2, 4 et 6 mois. Or comme le TCNA se rencontre surtout chez les bébés de moins de 6 mois (âge médian = 4 mois), certains prétendent qu’il y a une relation de cause à effet entre les deux. 9
Les études faites sur le sujet ont montré qu’il n’y avait pas de complication neurologique sérieuse associé au vaccin contre la coqueluche (Gale, 1994; Barlow, 2001). Il n’y a aucune étude non plus démontrant qu’il cause des hémorragies rétiniennes (Levin,2000). Scorbut Cette hypothèse a été suggérée pour expliquer les ecchymoses cutanées, les lésions intracrâniennes et les hémorragies rétiniennes (Clemetson, 2004; Innis, 2006). Clemetson recommande de faire un dosage sanguin de vitamine C dans tous les cas suspectés de TCNA. Cependant les d’hémorragies intracrâniennes en cas de scorbut sont rares et aucune n’a été décrite en l’absence d’autres manifestations cliniques ou radiologiques caractéristiques de la maladie : pétéchies sur la peau, hypertrophie et saignement des gencives, élévation périostée, lignes épiphysaires. Par ailleurs, il n’existe pas de valeurs normales de référence pour le dosage de la vitamine C. Pression veineuse augmentée Un auteur a proposé une hypothèse selon laquelle des hémorragies intracrâniennes seraient causées par une augmentation de pression veineuse causée, par exemple, par une coqueluche (Talbert, 2005). Le même auteur est revenu à la charge avec l’hypothèse qu’il y aurait une pression intraabdominale augmentée dans la sténose du pylore qui serait retransmise à la tête, causant des hémorragies (Talbert, 2012). Or tous les pédiatres connaissent bien ce problème d’obstruction entre l’estomac et le petit intestin et savent qu’il est dépourvu de complications intracrâniennes. Une étude a aussi démontré l’absence d’hémorragies rétiniennes dans cette condition (Herr, 2004). Malaise grave du nourrisson par dysphagie Des auteurs ont rapporté le cas d’un bébé de 4 mois décédé avec hématomes sous-duraux, hémorragies sous-arachnoïdiennes, hémorragies rétiniennes très sévères et fractures de côtes (Barnes, 2010). Pour eux, l’origine des lésions des lésions à la tête et aux yeux s’expliquait par le fait que le bébé s’était étouffé en buvant son lait et que l’augmentation de la pression intraabdominale s’était transmise à la tête. Quant aux fractures de côtes retrouvées, il s’agissait pour eux d’une conséquence de la réanimation. Leur article a fait l’objet d’une critique détaillée (Greeley, 2010). Greeley a pu démontrer que les arguments des auteurs n’étaient appuyés par aucune preuve scientifique. Au contraire, des études ont démontré, par exemple, que ni la toux, 10
ni les vomissements ne causent des hémorragies rétiniennes (Goldman, 2006; Herr, 2004). De plus, Greeley a précisé que les fractures de côtes en postérieur ne sont pas causées par des manœuvres de réanimation chez les bébés. Il a souligné en plus que le cas présenté dans l’article avait fait l’objet d’une accusation au criminel et le père avait été condamné pour meurtre. Les auteurs de l’article avaient tous été des témoins experts pour la défense… Ils avaient négligé de mentionner dans leur article que le bébé avait en plus une fracture de côte ancienne. 4.2 Les lésions sont d’origine périnatale Une étude majeure (583,340 naissances) a montré que des hémorragies intracrâniennes symptomatiques survenaient dans 1 : 860 accouchements par ventouse, 1 : 664 accouchements par forceps, 1 : 2750 accouchements par césarienne itérative et 1 : 1900 accouchements vaginaux spontanés (Towner, 1999). Si l’accouchement a été traumatique et que le bébé est symptomatique à la naissance, les hémorragies intracrâniennes seront mises en évidence à la période néonatale avant que le bébé ne quitte l’hôpital. Ces cas ne posent donc pas de problème de diagnostic (Simonson, 2007). Des études ont montré que 6 à 46% des bébés auraient des hématomes sous- duraux asymptomatiques causés par la naissance. Ils sont situés surtout à la région infratentorielle et jamais à la région interhémisphérique. Cependant, ils n’évoluent pas vers un hématome sous-dural chronique et la grande majorité disparaissent en moins d’un mois (Whitby, 2004; Looney, 2007; Rooks, 2008). Pour ce qui est des hémorragies rétiniennes, on en retrouve chez le tiers de nouveau-nés. Elles ne sont jamais très sévères, sont habituellement limitées au pôle postérieur (macula, papille et région péripapillaire). Elles disparaissent en moins de 6 semaines dans la très grande majorité des cas (Levin, 2000). On a décrit un cas où elles étaient encore présentes à l’âge de 58 jours (Hughes, 2006). 4.3 L’hématome sous-dural est du à un nouveau saignement dans un hématome ancien Un hématome sous-dural post traumatique peut évoluer vers un hématome sous-dural chronique avec formation d’une membrane contenant des vaisseaux sanguins très fragiles. Il est possible alors qu’un nouveau saignement survienne à partir des vaisseaux de cette membrane d’une façon spontanée ou suite à un trauma mineur. Mais ce nouveau saignement ne cause pas de symptômes neurologiques aigus au bébé, parce qu’il se fait très lentement. Il ne peut expliquer non plus ni une lésion cérébrale, ni un œdème, ni une hémorragie rétinienne (Hymel, 2002). S’il y a des symptômes, c’est donc qu’il y a eu un nouveau trauma crânien significatif. 11
Évidemment, les tenants de l’hypothèse du nouveau saignement soutiennent que l’hématome ancien n’a pas été causé par un geste infligé mais qu’il s’agit plutôt d’un hématome sous-dural périnatal… 4.4 Les lésions sont causées par un trauma accidentel Aux États-Unis, 400,000 enfants de < 5 ans sont traités chaque année dans les salles d’urgence pour des traumatismes crâniens (Frasier, 2006). Les mécanismes principalement en cause sont les suivants : - chutes : 50,6 par 100,000 enfants / an - accidents de véhicule moteur : 25,9 par 100,000 enfants / an - abus physique : 12,8 par 100,000 enfants / an Évidemment, les accidents de véhicule moteur ne posent pas de problème puisque l’histoire est évidente. Reste les chutes. Il s’agit du diagnostic différentiel le plus important du TCNA. Épidémiologie des chutes de grande hauteur Plusieurs études ont montré que les enfants sont particulièrement résistants lors de chutes de grande hauteur. Dans l’une d’elles, la survie était de 100% pour les chutes de moins de 3 étages (Barlow, 1983). Une autre a montré que les décès étaient rares dans les chutes de moins de 50 pieds (Lallier, 1999). En considérant l’ensemble des études publiées, on peut estimer le risque de décès à 4,2% pour une chute d’un étage (3 m) et de 19% pour une chute de 4 étages (12 m). Les chutes de faible hauteur sont très fréquentes Nous parlons ici des chutes d’une hauteur de moins de 1,5 m, puisque c’est l’histoire qui est plus souvent apportée pour expliquer les lésions d’un enfant chez qui on suspecte un TCNA. Une étude d’une cohorte de 14,541 grossesses a révélé un taux de chute de 22% chez les bébés avant l’âge de 6 mois. Un auteur estime que les bambins (« toddlers ») tombent 3-5 fois par semaine (Joffe, 1990). Des vidéos installées dans des garderies destinées à enfants de 13 à 24 mois ont révélé qu’ils chutaient de leur hauteur en moyenne 4 fois par jour (Chadwick, 2008). Les chutes de faible hauteur conduisent rarement à des lésions sérieuses En 2009, une revue de la littérature publiée dans des revues avec comité de lecture recensait des données sur 1732 chutes de faible hauteur, 1032 chutes dans des escaliers et 1907 chutes de plus de 3 m, lesquelles chutes ayant amené une consultation médicale (Rorke-Adams, 2009). Dans la catégorie des chutes de faible hauteur (< 1,5 m), on a étudié des chutes de couchettes, de 12
sofas, ou de chaises hautes, survenues à la maison, en centre hospitalier et dans des garderies. Les lésions les plus fréquentes étaient des contusions au site d’impact. On constatait à l’occasion une fracture linéaire du crâne ou une fracture d’un membre. Dans ces études, les lésions intracrâniennes ont été exceptionnelles et les décès absents (Kravitz, 1969; Nimityyongskul, 1987; Lyons, 1993; Warrington, 2001; Oehmichen, 2005; Harvey, 2010; Commission d’audition, 2011). Même pour les chutes dans des escaliers, les seules lésions sérieuses ont été retrouvées lorsque l’enfant était dans les bras d’un adulte au moment de la chute ou lorsque l’enfant a déboulé alors qu’il était dans une marchette (Joffe, 1988; Chiavello, 1994). Il existe des exceptions On rapporte dans la littérature des cas anecdotiques d’enfants ayant eu des conséquences sévères suite à des chutes de faible hauteur (Christian, 1999; Gardner, 2007). Une étude a rapporté 18 décès de jeunes enfants (pas de nourrissons) sur des appareils de terrain de jeux (Plunkett, 2001). Dans 10 cas, la hauteur de la chute était connue et variait entre 0,6 et 3 m. Dans 7 cas, elle a été estimée entre 0,6 et 2,4 m. Dans 6 cas, les chutes ont été faites alors que les enfants étaient dans des balançoires. Des hémorragies rétiniennes ont été retrouvées dans 4 cas. Dans son étude, Plunkett utilise 75,000 accidents rapportés à la US Consumer Product Safety Commission National Injury Clearinghouse pendant 12 ans comme dénominateur, ce qui donne une incidence de décès de 0,024%, mais le taux véritable de décès est encore plus bas, puisqu’il y a 120,000 visites à l’urgence par année aux États-Unis pour des accidents en rapport avec des équipements de terrain de jeu. Avec ce nouveau dénominateur, le taux passe donc à 0,000013%, soit un décès pour 76,666 accidents ayant requis une visite médicale. Et ce ne sont pas tous les enfants blessés qui viennent à l’urgence… Une autre étude témoigne de la grande rareté des décès en cas de chute de faible hauteur, estimant leur fréquence à < 0,48/million d’enfants de < 5 ans par an (Chadwick, 2008). Comment faire la distinction entre un cas rare de blessure accidentelle sérieuse et un TCNA? Chaque cas est unique et il importe de connaître tous les détails de cette chute en plus de sa hauteur : surface de réception, mouvement de l’enfant avant sa chute, orientation de l’enfant lors de la chute, position dans laquelle l’enfant a touché le sol, réaction de l’enfant par la suite. Les blessures doivent être analysées attentivement. Y a-il-il des blessures par impact? Y a-t-il des blessures 13
par inertie (accélération-décélération)? S’agit-il de blessures sévères? Des blessures non reliées à la chute ont-elles été constatées? L’enfant a-t-il des blessures anciennes? Plusieurs études ont montré les différences rencontrées habituellement entre les lésions d’origine accidentelle et les lésions infligées (Listman, 2003; Myhre, 2007). Dans les traumatismes crâniens accidentels, l’âge moyen est de 19 mois et on a une prédominance des effets de contact. Les lésions sont d’abord locales, au site d’impact et l’onde de choc peut se propager vers l’intérieur : contusion ou hématome au cuir chevelu, fracture du crâne, hématome épidural, hématome sous-dural focal, contusions cérébrales en rapport avec le site d’impact. Les atteintes cérébrales significatives sont rares. Des hémorragies rétiniennes sont possibles, mais peu fréquentes. (Buys, 1992; Johnson, 1993). Elles sont habituellement unilatérales, peu nombreuses, et limitées au pôle postérieur (Christian, 1999; Trenchs, 2008; Jenny, 2010). En cas de décès, on retrouve typiquement à l’autopsie une hémorragie extra-axiale importante avec effet de masse ou un infarctus cérébral. L’histoire est habituellement claire, concordante, non variable dans le temps et il n’y a pas d’autres blessures infligées. La consultation se fait habituellement en raison d’une histoire de trauma crânien. Dans les traumatismes crâniens infligés, l’âge moyen se situe entre 4 et 6 mois et les effets d’inertie prédominent, avec des lésions diffuses. Il peut y avoir des lésions axonales diffuses et des déchirures de microvaisseaux, causant des pétéchies dans la substance blanche. Les hématomes sous-duraux sont souvent multifocaux, interhémisphériques, à la convexité et/ou à la région infratentorielle. Pour ce qui est des hémorragies rétiniennes, dans les deux-tiers des cas, elles sont très nombreuses, présentes dans toutes les couches de la rétine et s’étendent jusqu’à l’ora serrata (Levin, 2000). Bien souvent, il n’y a pas d’histoire de trauma initialement et l’histoire est apportée après que les lésions sont découvertes lorsque des explications sont demandées. Cette histoire peut varier d’une personne à l’autre ou dans le temps. Il peut y avoir des blessures infligées dans d’autres systèmes. La consultation se fait souvent pour des conséquences du trauma crânien comme des convulsions ou de l’apnée. Il faut toujours être prudent car, dans les deux cas, il peut y avoir un mélange des effets de contact et d’inertie. Selon un auteur, toutes les études supportent le fait que les TCNA sérieux rapportés comme accidentels, sauf ceux causés par un véhicule moteur et une chute de grande hauteur, sont très probablement secondaires à de l’abus, surtout si l’histoire est une chute de faible hauteur survenant à la maison, en présence de témoins non objectifs.(Rorke-Adams, 2009). Cette opinion est appuyée par une étude très éclairante sur la fausseté des histoires de chutes de faible hauteur obtenues (Chadwick, 1991). Ce dernier avait rapporté 317 cas de chutes chez des enfants. Alors qu’il n’avait aucun décès dans 65 chutes d’une hauteur de 5 à 9 pieds et un seul décès dans 118 14
chutes entre 10 et 45 pieds, 7 décès ont été retrouvés dans le groupe des 100 enfants avec une histoire de chute de moins de 4 pieds… Évidemment, lorsque les lésions sont peu sévères, il peut être très difficile de faire la différence. Autres accidents à domicile Outre les chutes, d’autres accidents à la maison peuvent avoir des conséquences sérieuses, comme l’écrasement de la tête, par exemple lors de la chute d’un téléviseur instable sur sa base. Des cas de rétinoschisis ont été rapportés exceptionnellement dans ces situations (Lantz, 2004, Watts, 2008). Mais habituellement, s’il y a des hémorragies rétiniennes, elles sont limitées au pôle postérieur (Gnanaraj, 2007). 4.5 Les lésions ne peuvent être causées par des secousses seules Lorsqu’on retrouve chez un bébé des hématomes sous-duraux, des hémorragies rétiniennes sévères, qu’il n’y a aucune histoire de trauma et aucune blessure témoignant d’un trauma crânien par impact, il faut envisager comme mécanisme le fait que le bébé ait été secoué. Or les opposants au SBS/TCNA soutiennent qu’il a été démontré que ce mécanisme ne peut être la cause des lésions. C’est une étude clinique et biomécanique qui a jeté le doute sur le fait que des secousses seules puissent générer une force suffisante pour causer des hématomes sous-duraux (Duhaime, 1997). D’après les données de cette étude, les forces d’accélération générées par des secousses seules (9,29 G en moyenne) ne permettent pas de causer des hématomes sous-duraux, contrairement aux forces générées par des impacts (418,18 G en moyenne). Cette étude a été critiquée parce que les calculs utilisés par Duhaime pour juger des forces et de leurs conséquences (hématomes sous-duraux) étaient basés sur des études portant sur des primates adultes. De plus, leur étude n’a pas testé l’effet cumulatif des secousses répétées. Par ailleurs, une autre étude biomécanique a apporté des résultats différents, mettant en doute les conclusions de Duhaime (Cory, 2003). Il faut faire très attention dans l’interprétation de ces études biomécaniques, car il a été impossible à ce jour de créer un mannequin qui simule de façon fiable la complexité de l’anatomie et de la physiologie d’un jeune bébé. Ceux qui n’acceptent pas que des secousses seules soient dangereuses expliquent l’absence de signes d’impact chez les victimes de différentes façons. Si la victime a survécu, ils rappellent que certaines ecchymoses au cuir chevelu ne peuvent être identifiées qu’à l’autopsie. Si l’autopsie est négative, ils 15
suggèrent qu’il y ait eu impact sur une surface molle, comme un matelas, créant ainsi une force de décélération élevée, mais sans causer de blessure par contact. Pourtant, il y a des arguments qui donnent du poids au fait que les secousses seules soient capables d’entraîner des lésions sérieuses. Il y a d’abord les confessions de bon nombre d’agresseurs qui précisent qu’ils ont secoué l’enfant seulement et qu’il n’y a eu aucun impact (Starling, 2004; Arbogast, 2005; Biron, 2005). Pourraient-ils s’être trompés ou même avoir menti? Dans l’étude de Starling, dans les 32 cas où l’agresseur avait affirmé avoir seulement secoué l’enfant, 4 enfants avaient pourtant des signes d’impact... Mais de là à conclure que la totalité des témoignages d’abuseurs sont non fiables, il y a une marge. Le fait que les hémorragies rétiniennes soient si rares dans les cas de traumatismes crâniens accidentels par impact alors qu’elles sont fréquentes en cas de TCNA (± 85%) suggère que ce soit les secousses qui en soient responsables (Shiau, 2012). Un rapport de cas est très éclairant sur le danger des secousses violentes. C’est l’histoire d’un prisonnier palestinien de 30 ans, d’une taille de 151 cm et d’un poids de 44 kg, décédé après avoir été secoué à 12 reprises au niveau du thorax et des épaules par deux enquêteurs israéliens. À l’autopsie, on a retrouvé des ecchymoses au thorax supérieur et aux épaules, un hématome sous-dural, des hémorragies rétiniennes et des dommages axonaux diffus (Pounder, 1997). Et comment expliquer autrement le succès des compagnes de prévention du SBS mettant l’accent sur le fait de ne jamais secouer les enfants (Dias, 2005; Altman, 2011)? En conclusion, selon la Haute Autorité de Santé française, il existe suffisamment d’arguments cliniques, radiologiques, autopsiques et biomécaniques pour affirmer qu’un HSD peut survenir sans impact en cas de secouement (Commission d’audition, 2011). 4.6 Ce serait l’hypoxie plutôt que le traumatisme qui serait la cause des lésions attribuées au TCNA Lorsqu’on analyse les lésions en cas de traumatisme crânien, on distingue les lésions primaires, causées immédiatement et directement par le trauma, (fracture du crâne, hématome sous-dural, etc) des lésions secondaires qui surviendront éventuellement après un délai plus ou moins long suite à une série de dysfonctionnements. Le résultat ultime est une encéphalopathie hypoxique- ischémique avec des conséquences potentiellement très graves : œdème cérébral diffus, hypertension intracrânienne, engagement et décès. 16
Toutefois, selon l’ «hypothèse unifiée » de Geddes, les hématomes sous-duraux et les hémorragies rétiniennes seraient secondaires à l’hypoxie. Or les données mêmes utilisées par les auteurs ne supportent pas leur hypothèse (Punt, 2004). Et l’expérience des cliniciens et des radiologistes démontre qu’en cas de TCNA, l’hématome cérébral apparaît antérieurement aux lésions d’hypoxie-ischémie, lorsqu’il y en a. De plus, on ne constate pas d’hématomes sous-duraux ni d’hémorragies rétiniennes chez des victimes de noyade, qui sont pourtant des victimes d’hypoxie (Rafaat, 2008). On n’en a pas trouvé non plus chez d’autres enfants décédés d’hypoxie provenant de causes diverses (Byard, 2007; Narang, 2011). En 2005, la Dre Jennian Geddes, questionnée en Cour sur son hypothèse, a admis qu’il n’y avait pas de preuve pour la soutenir (Narang, 2011). En conséquence, la Cour supérieure du Royaume-Uni a conclu qu’elle n’était pas crédible. D’un autre côté, plusieurs études indiquent que les hématomes sous-duraux chez le bébé sont d’origine traumatique le plus souvent (Matschke, 2009; Narang, 2011). Ces études, autant en pédiatrie qu’en radiologie et en pathologie, démontrent qu’il y a une nette prédominance des traumatismes non accidentels. Par ailleurs, en cas d’hypertension intracrânienne d’origine autre que traumatique, les hémorragies rétiniennes sont rares. Lorsqu’il y en a, elles se limitent à quelques hémorragies autour de la papille (Morad, 2004; Shiau, 2012). 4.7 Le traumatisme crânien sévère peut être suivi d’un intervalle lucide Puisqu’il n’est pas possible d’utiliser l’imagerie médicale pour préciser le moment exact du trauma crânien, on s’est intéressé beaucoup à la notion de l’intervalle lucide. En effet, s’il n’y a pas d’intervalle lucide après l’événement, on peut de façon clinique déterminer que le trauma crânien vient de se produire dès le moment où l’état de conscience de l’enfant est altéré. L’importance de cette datation est évidente sur le plan légal. On peut inférer que la personne qui était avec l’enfant au moment de l’apparition des symptômes neurologiques est l’agresseur. Les premières études n’ont pas retrouvé d’intervalle lucide dans les cas sévères (Wilman 1997; Gilles, 1998; Wheeler, 2003). Cependant, dans une étude portant sur 967 enfants avec un traumatisme crânien, un intervalle lucide avant détérioration a été observé chez 40 patients, soit 4% du total (Snoek, 1984). Dans une autre étude sur des enfants avec TCNA qui sont décédés, 3 enfants sur 121 étaient lucides lors de leur admission à l’hôpital (Arbogast, 2005). Lors d’une analyse de 18 cas de décès suite à une chute accidentelle sur un appareil de terrain de jeu, des intervalles lucides ont été notés dans 12 cas, variant de 5 minutes à 48 heures (Plunkett, 2001). On a même rapporté le cas exceptionnel d’un bébé de 9 mois ayant fait une chute d’un lit sur un plancher de ciment 17
recouvert de vinyle. Le bébé aurait pleuré sur le coup, puis il aurait fonctionné normalement par la suite jusqu’à ce qu’on le retrouve mort dans son lit trois jours plus tard (Denton, 2003). Lorsqu’on obtient des confessions, les agresseurs confirment que l’enfant a présenté des symptômes immédiats dans la grande majorité des cas (Starling, 2004; Biron, 2005; Biron, 2007). Toutefois, dans certains cas, les symptômes ont été constatés un peu plus tardivement, mais en moins de 24 heures (Adamsbaum, 2010). Mais qu’est-ce qu’un « intervalle lucide »? S’agit-il d’une période entre le trauma et la détérioration clinique où le patient est tout à fait « normal »? Ce genre de situation est possible et se rencontre classiquement dans le tiers des cas d’hématomes épiduraux artériels (Dias, 2004). Mais dans la grande majorité des situations où il y a une détérioration retardée, le plus souvent par développement d’un œdème cérébral, l’enfant n’est pas complètement asymptomatique après l’événement (Gilliland,1998). On pourrait donc établir le temps de l’événement traumatique à partir du moment où l’enfant ne se comporte plus de façon tout à fait normale dans ses activités, son alimentation et ses interactions. Mais, en pratique, il est souvent difficile de déterminer le moment précis où le comportement d’un petit bébé devient « anormal », en raison de la quantité limitée de ses interactions et du peu de fiabilité de l’histoire provenant des abuseurs. Dans les cas moins sévères où les enfants sont peu symptomatiques, il est très difficile, voire impossible, de déterminer cliniquement le moment de l’événement. 4.8 Les lésions auraient été causées par les manœuvres de réanimation Il arrive souvent qu’une personne soutient que le bébé a présenté un malaise et qu’il l’a secoué « légèrement » pour le réanimer. On ne connaît pas la force minimale pour causer des lésions intracrâniennes en secouant un bébé. On sait par les études biomécaniques, celles faites sur des primates et par les confessions des agresseurs que le geste de secouement menant à un TCNA est un geste de grande violence. Il excède la force qui serait utilisée par une personne raisonnable dans une tentative de réanimation. Selon l’American Academy of Pediatrics, cet acte serait si violent que des témoins reconnaîtraient qu’il est dangereux et susceptible de tuer l’enfant (AAP, 2001). D’autres tentent d’expliquer les lésions de l’enfant par la réanimation exercée par les professionnels de la santé. Aucune étude n’a montré une relation entre des hématomes sous-duraux et des manœuvres de réanimation (Commission d’audition, 2011). Lorsqu’on en trouve, elles font partie du problème qui a nécessité la réanimation. Les hémorragies rétiniennes seraient rarement attribuables à une réanimation (Goetting, 1990). Dans ces cas, elles sont peu nombreuses et limitées au pôle postérieur (Levin, 2000). La plupart des 18
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