Léopold Sédar Senghor, l'Itinérant - Judy Quinn - Érudit

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Léopold Sédar Senghor, l'Itinérant - Judy Quinn - Érudit
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Nuit blanche

Léopold Sédar Senghor, l’Itinérant
Judy Quinn

Number 109, Winter 2007–2008

URI: https://id.erudit.org/iderudit/19850ac

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Publisher(s)
Nuit blanche, le magazine du livre

ISSN
0823-2490 (print)
1923-3191 (digital)

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Quinn, J. (2007). Léopold Sédar Senghor, l’Itinérant. Nuit blanche, (109), 56–60.

Tous droits réservés © Nuit blanche, le magazine du livre, 2007                     This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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Léopold Sédar Senghor, l'Itinérant - Judy Quinn - Érudit
Léopold Sédar Senghor, l'Itinérant - Judy Quinn - Érudit
Leopold Sédar Senghor, l'Itinérant
                                                                   Par
                                                               Judy Quinn

L'année 2006 était consacrée, dans la quarantaine de pays francophones, année Leopold Sédar Senghor.
Le poète sénégalais, mort à 95 ans en Normandie, aurait eu cent ans. Plus de 2000 manifestations ont eu lieu
aux quatre coins de la planète. L'une des plus importantes, le vingtième des Sommets francophones à Bucarest,
rendait hommage à leur instigateur en mars dernier. Ce père de la francophonie fut aussi père de la nation
sénégalaise de 1960 à 1980, créateur avec le Martiniquais Aimé Césaire du mouvement de la négritude ;
il signa une bonne dizaine d'ceuvres, en plus d'être l'objet de maints honneurs européens. Et pourtant...

        ors de ses obsèques qui eurent

L
                                               n avoir su apprécier son œuvre, unique
        lieu à Dakar, on ne vit pas l'om-      dans la littérature de langue française.
        bre du président de la Répu-           Certains ont dit que le poète ne savait
        blique française Jacques Chirac,       pas synthétiser sa pensée - ce que ses
ni celle d'un Lionel Jospin, le premier        essais contredisent magistralement - ,
ministre de l'époque. Certains ne              qu'il y avait trop d'idées, trop d'images,
manquèrent pas de faire un parallèle           trop de mots exotiques, trop de quali-
avec le sort réservé aux Tirailleurs           ficatifs. En somme, on lui a reproché,
sénégalais qui combattirent pour la            comme à Césaire, de ne pas faire
France lors de la Seconde Guerre. Ces          français. C'est que le poète, comme le
Africains, analphabètes pour la plupart,       politique qu'il était, n'a jamais voulu se
ont attendu une quarantaine d'années           fondre dans un moule, qu'il soit français
après l'indépendance de leur pays avant        ou africain : il fut le grand promoteur
d'avoir droit à une pension équivalente,       du métissage culturel. Son biographe,
en termes de pouvoir d'achat, à celle des      Jean-Michel Djian, dans Leopold Sédar
soldats français. Leopold Sédar Senghor        Senghor, Genèse d'un imaginaire fran-
s'était battu toute sa vie pour que l'on       cophone1, trace le portrait d'un homme        L'apprentissage
reconnaisse la part francophone, pour          mosaïque, et en cela difficile à caser.       de la conciliation
ne pas dire française, de son pays alors       Constat semblable d'Armand Guibert
que se fomentaient des révoltes san-           et de Nimrod, qui signent Leopold             Aimé Césaire ne pouvait se douter que
glantes qui auraient nui à l'Hexagone.         Sédar Senghor2, paru dans la fameuse          son homologue sénégalais, sous ses
Au lendemain de ses funérailles, le milieu     collection « Poètes d'aujourd'hui » chez      dehors conciliants, ressentait comme lui
littéraire et culturel est abasourdi. L'aca-   Seghers, réédité à l'occasion du              la révolte et la rage du colonisé. Celui
démicien Erik Orsenna écrit dans un            centenaire.                                   dont le nom signifie « qu'on ne peut
article intitulé « J'ai honte », publié dans      Deux ouvrages donc, qui venaient           humilier » n'écrivait-il pas : « Je déchi-
Le Monde : « La France, désormais, se          s'ajouter aux hommages de l'année             rerai le rire banania sur tous les murs de
moque de l'Afrique. De ses fidélités           2006. Jean-Michel Djian ne ménage             France »? À la différence de Césaire
passées, de ses douleurs présentes, de         d'ailleurs pas les dithyrambes à l'endroit    pourtant, Senghor prôna toute sa vie la
l'avenir de sa jeunesse. Chacun chez soi.      du francophile. Si on prend plaisir à         conciliation entre les peuples. Et bien
Le Nord avec le Nord ».                        feuilleter son livre pour la richesse et la   que sa poésie fut taxée de régionaliste,
   Si ses pairs sont choqués par cette         beauté de l'iconographie, on préférera        elle cherchait à rejoindre l'universel :
absence, il n'en reste pas moins qu'ils        celui d'Armand Guibert et Nimrod, un          parler à l'autre d'un soi si intime qu'il
sont nombreux, du vivant de l'auteur, à        peu plus critique, mais si peu.               puisse s'y reconnaître.

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Léopold Sédar Senghor, l'Itinérant - Judy Quinn - Érudit
L'humanisme de Senghor remonte à             années. Senghor se sentait doublement
                                        son enfance passée à Joal, une petite            prisonnier : des Allemands, mais aussi
                                        ville côtière au sud de Dakar. Selon ses         des Blancs. Hors de la sphère intellec-
                                        dires, avant même d'apprendre à parler           tuelle, il redevenait le colonisé. Un
                                        français, il dut composer avec diffé-            capitaine français, membre d'une
                                        rentes cultures. Son père, polygame,             commission d'armistice, ne trouve que
                                        était d'origine sérère, une ethnie mino-         ces mots devant le Noir : « Pourquoi
                                        ritaire au Sénégal. Quant à sa mère, elle        porte-t-il des lunettes, celui-là ? »
                                        était une musulmane d'origine peule.             Senghor écrira néanmoins durant sa
                                        À sept ans, son père, un bourgeois               détention plusieurs des poèmes qui
                                        commerçant, l'envoie dans un collège             figurent dans Hosties noires, publié en
                                        catholique pour en faire un prêtre. Le           1948. Les textes étaient gardés par
                                        futur poète y apprend le nom des                 Georges Pompidou à Paris, grâce à un
    Mourons et dansons coude à
                                        plantes, des arbres, des animaux qui             Allemand anti-nazi, relié au réseau de
 coude en une guirlande tressée
        Que la robe n'emprisonne
                                        l'entourent, cela en français. Ce sera le        résistance du camp, qui les lui avait
   pas nos pas, mais rutile le don
                                        terreau de nombre de ses poèmes                  confiés. En 1942, le poète est libéré pour
        de la promise, éclairs sous
                                        nostalgiques : « Je ne sais en quel temps        cause de maladie et réintégré dans ses
                         les nuages.    c'était, je confonds toujours l'enfance et       fonctions d'enseignant.
         Le tam-tam laboure woi !       l'Eden », écrit-il dans Éthiopiques.
        Le silence sacré. Dansons,      Le dessein du père est le même en
                                        envoyant par la suite Leopold au collège-        Sur deux fronts
           le chant fouette le sang
            Le rythme chasse cette      séminaire Libermann. Cependant, le fils,          1945 fut une année charnière pour
            angoisse qui nous tient     graine de rebelle, est retiré ; l'école          Senghor : il fait son entrée en politique
                          à la gorge.   laïque sera un tremplin vers des études          comme député du Sénégal et publie du
  La vie tient la mort à distance.      françaises en littérature, à Paris.              même coup son premier recueil de
             Dansons au refrain de          Boursier de la Sorbonne qu'il                poèmes, Chants d'ombre (Seuil). Ce ne
    l'angoisse, que se lève la nuit     abandonne, il s'inscrit en hypokhâgne à          sera pas toujours ainsi. Plus les res-
 du sexe dessus notre ignorance         Louis-le-Grand, en préparation de son            ponsabilités politiques seront grandes,
           dessus notre innocence       entrée à l'École normale supérieure. Il y        moins il aura de temps pour écrire.
      Ah ! mourir à l'enfance, que      fait la connaissance du futur politicien         Quand en 1960 il est élu président de
   meurt le poème se désintègre         Georges Pompidou, mais aussi d'Aimé              la république du Sénégal, le premier
  la syntaxe, que s'abîment tous
                                        Césaire et de Léon Damas. En 1934, il            dans l'histoire du pays, il aura du mal à
          les mots qui ne sont pas
                                        fonde avec les deux derniers un journal          dire adieu à sa carrière d'écrivain. Pablo
                           essentiels
                                        nommé L'Étudiant noir, dans lequel               Neruda ou Saint-John Perse ont peut-
        Le poids du rythme suffit,
                                        apparaît pour la première fois la notion         être réussi à nourrir leur vie intérieure
pas besoin de mots-ciment pour
                                        de négritude. C'est le début d'un combat         pendant leur engagement politique,
bâtir sur le roc la cité de demain.
                                        pour l'égalité des peuples. Ami de Gide,         mais la carrière de diplomate est sans
       Surgisse le Soleil de la mer
                                        de Picasso, de Tzara, il devient en 1935         doute moins prenante que la présidence
                       des ténèbres
      Sang ! Les flots sont couleur
                                        le premier agrégé africain dans l'His-           d'une nation. Entre 1945 et 1960,
                           d'aurore.
                                        toire française. Non pas en littérature,         Senghor publie ses œuvres majeures :
         Noctures, Œuvre poétique,      diplôme qu'on lui refusera, mais en              après Chants d'ombre et Hosties noires,
                        p. 205-206.     grammaire. Il enseigne cette matière             il fait paraître en 1949 le conte Chants
                                        dans différents établissements avant             pour Naëtt et Éthiopiques en 1956. En
                                        d'être incorporé dans l'armée et envoyé          1961 le Seuil édite Nocturnes. Durant les
                                        au front. En 1940, il est capturé par les        vingt ans de sa présidence, il trouvera à
                                        Allemands et interné dans divers stalags.        peine le temps d'écrire quelques élégies
                                        Il finit par échouer dans celui de               (Élégie des azilés, 1969 ; Élégies majeu-
                                        Poitiers, un camp réservé aux troupes            res, 1979) et les Lettres d'hivernage
                                        coloniales. On raconte qu'à leur arrivée         (1973). Le Seuil fera paraître en 1994
                                        au stalag, ses compagnons noirs et lui           Œuvre poétique3, qui comprend, outre
                                        passèrent à deux doigts de se faire              ces recueils, des poèmes inédits et les
                                        fusiller. Des Noirs en temps d'épuration         « Dialogues sur la poésie francophone ».
                                        ethnique... Ils échappèrent à la mort en         L'ouvrage est aussi réédité en 2006.
                                        s'écriant à l'unisson : « Vive la France, vive      Mais revenons à la période prolifique
                                        l'Afrique noire ! » Des militaires français      des années 1940. L'art nègre trouve,
                                        firent comprendre aux Allemands qu'un            surtout en peinture, de prestigieux
                                        tel massacre nuirait à leur honneur...           adeptes comme Picasso, ce qui aidera la
                                        L'internement dura deux bonnes                   cause de Senghor. Il est dans le vent, si

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on peut dire. Une nouvelle revue voit le      dans « Le français, langue de culture »,
jour après la guerre, Présence africaine,     les langues africaines n'ont pas de
autour de laquelle s'activent quelques        subordonnant, seulement des conjonc-
grands noms comme Albert Camus ;              tions : « À la syntaxe de juxtaposition des
c'est André Gide, fidèle défenseur de la      langues négro-africaines, s'oppose la
cause et ami de Senghor, qui la présente      syntaxe de subordination du français ; à
au public. Léon Dumas publie par              la syntaxe du concret vécu, celle de
ailleurs Poètes d'expression française,       l'abstrait pensée [sic] : pour tout dire, la
ouvrage dans lequel figure la poésie de       syntaxe de l'émotion à celle de la raison ».
Senghor. Mais le grand événement de               Dans le même article, Senghor écrit :
ces années florissantes d'après-guerre        « En Afrique, l'esprit ne succombe pas à
est la parution de l'Anthologie de la         la dichotomie. On n'y sépare pas, comme
nouvelle poésie nègre et malgache de          en Europe, la Culture de la Politique ».
                                                                                             Or c'était le sept juin, c'était la
langue française, préfacée par Jean-Paul      Interpréter les marques sociales d'une
                                                                                             Pentecôte.
Sartre. L'ouvrage fait date.                  œuvre poétique peut paraître hasar-
                                                                                                 Tu étais tout de blanc nimbée
    Que comprenait vraiment Sartre à la       deux. Mais quand on lit Senghor, il est        et rose, ma Normande, sous
poésie nègre ? On peut l'excuser, parce       difficile de ne pas voir le combat qu'il a     ta capeline aérienne
qu'il est un des premiers à la com-           mené toute sa vie, comme on ne peut                Pour recevoir la splendeur
menter, de trop vouloir lui attribuer les     apprécier l'œuvre d'un Gaston Miron            du mystère.
clichés sur les peuples « primitifs ». Dire   sans son versant nationaliste. Nombreux            Dans la lumière limpide,
que Senghor était un poète animiste,          sont les poèmes du Sénégalais qui              nostalgiques tes yeux chantaient
c'est oublier l'importance du Dieu            mettent en scène la révolte du « lion          l'Absent, quand
unique dans sa poésie. C'est aussi sans       rouge » - « J'ai la confiance de mon               Soudain, le coup de
doute, parmi d'autres raisons, son            peuple. On m'a nommé l'Itinérant » -,          téléphone blanc, qui te faisait
catholicisme exacerbé à la Claudel,           la fatigue du colonisé, la terre saccagée      toujours trembler de frissons
qui nous rend l'œuvre de Senghor,             par le pouvoir. À ce propos, on a pu           blancs
aujourd'hui, si lointaine.                    craindre, comme Thomas d'Aquin,                    Le coup de foudre blanc.
    « Si j'écris ces lignes, c'est à la       « l'homme d'un seul livre », c'est-à-dire,     Et fleur vaporeuse soudain,
suggestion de certaines critiques de mes      l'homme d'une seule cause. D'abord du          tu tombas dans mes bras

amis. Pour répondre à leurs inter-            point de vue littéraire, un discours               Et lianes, nous enlacions
                                              monolithique n'assèche-t-il pas l'œuvre,       l'enfant de l'amour, absent et
rogations et aux reproches de quelques
                                              qui devient outil de propagande ? Du           beau comme Zeus - l'Ethiopien.
autres, qui somment les poètes nègres,
                                              point de vue politique, certains ont vu            C'est son appel, le coup
parce qu'ils écrivent en français, de
                                              d'un mauvais œil l'accession d'un              de téléphone long, et nous
sentir français, quand ils ne les accusent
                                              idéaliste à la tête d'un pays. L'Haïtien          Voilà dans le grand oiseau
pas d'imiter les grands poètes nationaux »,
                                              René Depestre, comme d'autres                  blanc, comme une flèche éclair
commence Senghor dans la postface
                                              écrivains afro-antillais, ont peur que le         Et les ailes obliques. Et le voici
d'Éthiopiques. Ici, comme dans un
                                              président ne sombre dans une « revanche        qui perce le mur Mach du son
article paru dans la revue Esprit, le
                                              noire », à l'image de François Duvalier.           Par-delà Mach 2 droit
poète se croit (ou se voit ?) obligé de
                                              Leurs craintes, toutefois, n'étaient pas       sur Cap-Vert, proue sombre
justifier ce qui ne saurait l'être. Une                                                      sur l'océan bleu.
œuvre littéraire de ce calibre ne devrait-    fondées. Senghor sera plutôt l'homme
                                                                                                 C'est le grand Dieu blanc
elle pas parler d'elle-même, se défendre      de la conciliation. Malgré son catho-
                                                                                             qui défie l'espace, mais ne sais,
par elle-même ? Mais le professeur en         licisme fervent, il officialisera et les
                                                                                             je ne dis donner
Senghor, ou le politicien, tente de           langues et les croyances de son peuple.
                                                                                                 Je dis retenir la vie d'un
reprendre le fil d'un discours là où il                                                      enfant, les larmes blondes
s'est rompu. En bon humaniste, il                                                            de sa mère.
multiplie essais, articles, préfaces, qui     Défaites et réussites
                                                                                                Voici donc notre enfant,
sont des ponts vers l'autre. On com-          d'un idéal
                                                                                             souffle mêlé de nos narines,
prend que le propos de son œuvre              Le bilan des vingt ans de règne n'est pas      qui s'éteint, ha !
poétique, même quand elle parle de            parfait. Senghor, victime en 1962 d'un            Dans son odeur de laurier-
l'intime, comme l'enfance par exemple,        coup d'État perpétré par son premier           rose, lors même que cinq
s'inscrit dans un dialogue entre              ministre, Mamadou Dia, ne fut pas très         femmes, oui cinq Normandes
l'Afrique et l'Europe. Ses mots sont          clément à son égard ; celui-ci demeura         ont amassé géré mais tricoté
français, pour la plupart, même si les        douze ans en prison. De même, on peut             Pour faire de lui l'enfant du
vers débordent de termes intraduisibles       être surpris en apprenant que le               bonheur.
d'origine africaine. La syntaxe, le sque-     président refusa la grâce au marabout          élégies majeures, Œuvre poétique,
lette de la pensée, est, elle, typiquement    qui tenta de l'assassiner en 1967. Encore      p. 294.
africaine. Comme Senghor l'explique           plus étonnant de la part de cet huma-

                                                    N° 109 . NUIT BLANCHE . 59
niste convaincu : la répression violente       écrira pour ce dernier l'un des plus         bien trop de cultures à protéger ».
qu'il exerça contre les soulèvements           beaux textes de son répertoire, « Élégie     Disons à la défense de Senghor que
étudiants. À part ces quelques « entailles »   pour Philippe-Maguilen Senghor » : « Il      pour qu'un dialogue s'instaure entre les
à l'idéal, le peuple sénégalais, et surtout    était vie et raison de vivre de sa mère,     être humains, il faut nécessairement
ses intellectuels, profita de ses années       lampe veillant dans la nuit et la vie /      qu'ils sachent parler la langue de l'autre.
de présidence. Senghor fit construire          Brutalement tu nous l'as arraché, tel un     Oui à la protection des cultures spéci-
la première université - les premiers          trésor le voleur du plus grand chemin ».     fiques, dit le poète - qui fut aussi
diplômés, versés en langues, en poli-             Dès l'abandon du pouvoir, il quitte le    ethnologue - , non au cloisonnement.
tique, en philosophie, ne sauront toute-       Sénégal pour la Normandie où il rejoint      Ne nous a-t-il pas montré dans ses
fois affronter la réalité d'un marché          sa femme qui n'avait jamais su se faire      poèmes, mieux que nul autre, la force
fondé sur l'économie... - , inaugura           à la vie africaine. Âgé de soixante-         d'une culture de la joie au côté de
musées, centres de diffusion de l'art,         quatorze ans au moment de sa retraite        laquelle la figure tourmentée de nos
bibliothèques, fonda de multiples              politique, il passe ses journées le nez      livres paraît bien pâle ? À travers ses
associations faisant la promotion de           dans les livres, crayon en main. Il tra-     vers, il semble nous dire : regardez,
la langue française et de la fraternité,       duit, écrit, en plus de travailler à des     écoutez, c'est à votre tour de nous
organisa à Dakar le premier Festival           projets de développement culturel et         comprendre et d'apprendre. _>B
mondial des arts nègres...                     social dans les pays du Sud, et de siéger
    Après son abandon du pouvoir en            au Haut-Conseil de la francophonie.
1980, plusieurs honneurs lui seront ren-          On peut reprocher à Leopold Sédar
dus. En 1983, il sera le premier Africain      Senghor, comme l'a fait Aimé Césaire
à être nommé membre de l'Académie              dans une entrevue donnée à Jean-
française ; une université égyptienne          Michel Djian, d'avoir donné une valeur
porte son nom. C'est à cette époque que        intrinsèquement humaniste au français,           1. Jean-Michel Djian, Leopold Sédar Senghor,
Senghor perd deux fils sur ses trois           pour lui la valeur universelle : « Mais il   Genèse d'un imaginaire francophone, Gallimard,
enfants ; l'un, issu d'un premier              faut en finir avec la francophonie du        Paris, 2006, 253 p. ; 43,50 $.
                                                                                                2. Armand Guibert et Nimrod, Leopold Sédar
mariage, se suicide, alors que l'autre, le     XIXe siècle, écrit Césaire. 'Le français
                                                                                            Senghor, Seghers, Paris, 2006,364 p. ; 41,95 $.
seul enfant qu'il aura de sa compagne de       partout et on est sauvé !' Non ce n'est          3. Leopold Sédar Senghor, Œuvre poétique,
longue vie meurt dans un accident. Il          pas de cela que nous avons besoin. Il y a    « Points », Seuil, 2006, 437 p. ; 16,95 $.

                         LE CERVEAU A BESOIN
                        D'EXERCICE QUOTIDIEN.

                           LE DEVOIR EST PUBLIE TOUS LES JOURS.

                                                          .EJ)W&
                                                 • On n'est jamais trop curieux •

                                                     N° 109 . NUIT BLANCHE . 60
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