Les (mé)tissages de Sheila Hicks au Centre Pompidou - Alison Jacques ...

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Les (mé)tissages de Sheila Hicks au Centre Pompidou - Alison Jacques ...
Les (mé)tissages de Sheila
Hicks au Centre Pompidou
08/02/18 17h09
PAR
Julie Ackermann

Le Centre Pompidou rend enfin hommage à l’Américaine Sheila Hicks.
Connue pour sa manipulation du tissu, son oeuvre généreuse et ouatée
célèbre le nomadisme et le métissage.
On ne peut s’en empêcher. On a du mal à vaincre cette première image, si imprimée
dans la représentation collective, que nous évoque l’art textile. Une grand-mère, un
loisir pour femme au foyer. Du gris-gris, de la décoration, du mignon. Pas vraiment
de quoi faire de mal à une mouche.
Depuis plus d’un demi-siècle, pourtant, le tissu intéresse les plus grands artistes et
s’immisce dans les collections des musées. Associé à l’intimité et au féminin, c’est
aussi un médium chargé d’histoire et propre aux questionnements des identités. Car
sous les faux airs innocents du tissu, des artistes ont orchestré, dans la seconde
moitié du XXème siècle, une petite révolution de la pensée. Contre le patriarcat,
contre l’impérialisme. Et l’artiste américaine Sheila Hicks, célébrée en ce moment
au Centre Pompidou, en a fait sa grande affaire.
"Le personnel est politique !"
Aux côtés des artistes Anni Albers et Judy Chicago, Sheila Hicks appartient à ce
mouvement historique d’émancipation, mené depuis la sphère intime. "Le personnel
est politique !", scandaient les féministes dès les années 1960. Et à l’oeuvre d’art
rigide, autonome, institutionnelle, Sheila Hicks oppose des oeuvres molles et
ductiles, des oeuvres presque sans fin, tant son travail défie les bordures et les
frontières.

                                      Julie Ackermann, Les Inrockuptibles, 8th February 2018
Les (mé)tissages de Sheila Hicks au Centre Pompidou - Alison Jacques ...
Ce sont des cordes sauvages, des dreadlocks multicolores qui pendent à un fil, des
lianes qui jaillissent du plafond jusqu’au sol, des pelotes de laines, des réseaux de
fils. Ce sont des poufs en tissu entassés, des traînées de couleurs, des tumeurs de
fils retenues dans un filet. Ce sont Les Minimes, des échantillons de tissu brodés,
comme des petits bouts de chiffons précieux. Conçus en improvisant, ils laissent
entrevoir des bandes et des strates de fils, qui se chevauchent ou se suivent. Ils
réfléchissent la lumière et parfois retiennent une simple plume, un coquillage,
quelques petits morceaux de bois. Comme nulle autre peut-être, cette Américaine
aujourd’hui âgée de 84 ans, a donné aux matières textiles leurs lettres de noblesse,
embrassant et élargissant avec gourmandise la diversité des techniques de tissage
et de broderie.

                                      Julie Ackermann, Les Inrockuptibles, 8th February 2018
Sheila Hicks, Lianes de Beauvais, 2011-2012, Centre Pompidou, Paris © Adagp, Paris
2018
Le tissu est un corps. Il est le coeur vivant de l’oeuvre de Sheila Hicks. Jamais ses
sculptures n’épousent la même forme, comme ces cascades de spaghettis de fil
pouvant être accrochés plus haut ou plus bas, selon l’humeur. Du minuscule, avec
ses Minimes, au monumental, comme récemment à la Biennale de Venise, Sheila
Hicks occupe aussi bien un petit pan de mur que des architectures entières. On
aurait ainsi aimé que le Centre Pompidou lui dédie plus d’espace et qu’il donne à voir
les installations conçues par l'artiste pour l'extérieur.
Pour la beauté du geste
Qu’il prenne la forme de tapisseries, tapis ou pelotes, l’art de Sheila Hicks est
nomade. Le textile est une matière charnelle, il s’allonge, pend comme une peau,
s’étend, dort au sol, glisse et tombe d’un balcon, non pas en l’attente d’être utilisé
mais pour lui-même. Pour la beauté du geste. Car découper, envelopper, serrer ou
tournicoter, natter, ficeler ou encore tricoter ne sont pas des gestes anodins : ils
fusionnent l’activité de l’oeil, de la main et de la pensée. Ainsi, l’ouvrage d’Arthur
Danto et Joan Simon (2006) sur l’artiste porte le titre Tisser comme une métaphore.
Une métaphore de la relation, à l’autre notamment.
Car l’oeuvre de Sheila Hicks est bien le fruit de sa vie, faite de voyages, de rencontres
et de collaborations avec des ateliers de confection et des tisserands du monde
entier. Mue par sa curiosité, elle a voyagé du Pérou, à l'Inde, passant par le Maroc, la
Suisse, l'Allemagne ou encore la Corée afin d'apprendre des traditions textiles
mondiales.
Textiles relationnels
Alors que l’automatisation et la vitesse des modes de vie caractérisent son époque,
Sheila Hicks se tourne vers des gestes ancestraux et fastidieux. Alors que le centre
névralgique du monde de l’art se déplace de Paris à New York, l’Américaine installe
son point d’ancrage dans la capitale française. A contre courant ? Elle est surtout
pleinement dans l’air du temps, digne représentante de la nouvelle idéologie
dominante - la mobilité - et de la mondialité culturelle.
De fait, ce qui fascine Sheila Hicks, se nourrissant des spécificités culturelles, ce
n’est peut-être pas tant le fil en tant que tel, mais surtout ses possibilités de
connexions. Au New York Times, en 2006, elle affirme : "Je construis, puis je

                                      Julie Ackermann, Les Inrockuptibles, 8th February 2018
déconstruis. Je tisse, puis je détisse. J'emmêle, puis je démêle les fibres, je les
tricote, puis les détricote". Sheila Hicks croise les savoirs, dresse des relations
parfois précaires, car possiblement "détricotables", entre les fils, incarnations de la
diversité des histoires, des territoires, des peuples. Non pas dans une perspective
décorative hippie chic, non pour réaliser une synthèse universelle des savoir-
faire, pas non plus dans une optique nostalgique visant à idéaliser et cloisonner les
identités culturelles. C’est une troisième voix salutaire, refusant la fixité, cultivant
les métissages.
Sheila Hicks. Lignes de vie. Centre Pompidou, Paris. Du 7 février 2018 - 30 avril
2018, de 11h à 21h / Commissaire : Mnam/Cci, Michel Gauthier, assisté de Mathilde
Marchand.

Sheila Hicks, Banisteriopsis - Dark Ink, 1968-1974, Philadelphia Museum of Art. Don
de l’artiste, 1995.
© Philadelphia Museum of Art © Adagp, Paris 2018

                                      Julie Ackermann, Les Inrockuptibles, 8th February 2018
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