Les mots de la langue courante en médecine - Suzelle Blais - Érudit
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Document generated on 11/15/2021 6 p.m. Québec français Les mots de la langue courante en médecine Suzelle Blais L’engagement dans la littérature Number 131, Fall 2003 URI: https://id.erudit.org/iderudit/55698ac See table of contents Publisher(s) Les Publications Québec français ISSN 0316-2052 (print) 1923-5119 (digital) Explore this journal Cite this article Blais, S. (2003). Les mots de la langue courante en médecine. Québec français, (131), 104–106. Tous droits réservés © Les Publications Québec français, 2003 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
HISTOIRES DE MOTS Rembrandt, La leçon d'anatomie du professeur Tulp, 1632. PAR SUZELLE BLAIS S j il est un sujet qui touche chacun d'entre nous, et au plus profond de notre être, c'est bien la santé. Notie première préoccupation est de sa- voit comment la consetvet lotsque nous du langage populaire, est celui des patients et de l'ensemble de la population. Cei- tains auteuts qui ont étudié la langue mé- dicale tels, entie auties, les médecins Edouaid Biissaud et Pascal Bouché, ont fiançais québécois le petit furoncle ciliaire qui se forme sur le bord des paupières ? Si l'on est du Bas-Saint-Laurent, la réponse sera probablement grain d'orge. Cet emploi du mot est confirmé par une informatrice jouissons d'une bonne santé, et surtout compris la place importante que pren- qui explique : « Un grain d'orge, c'est des comment la recouvre! lotsque des mala- nent, dans leui discipline, les mots et les espèces de petites tumeuis sut le botd de dies graves ou bénignes viennent l'altérer. expressions du profane (voii notes 10 et la paupière ». Une autre précise : « Les Devant la difficulté de consulter un mé- 16). Bien qu'aujouid'hui le malade tienne grains d'otge, ça c'est une inflammation de decin lorsqu'on vivait éloigné des grands à connaîtie le nom savant de sa maladie, l'oeil. C'est causé plutôt pat un cil qui centres, et avant l'arrivée de la médecine ainsi que celui des examens et des traite- change de côté qui est comme à l'envets moderne, on avait appris, dans les fa- ments qu'il aura à subii, les mots et les ex- comme on dit1 ». Si l'on vit ailleuis au milles, à reconnaître les différents maux pressions issus de la langue générale n'en Québec, le mot orgueilleux et sa vatiante qui s'attaquent au corps. On connaissait sont pas poui autant écartés. Nous nous phonétique ordilleux reviendront certaine- le nom des maladies et des affections les intétesseions, dans notre propos, au voca- ment souvent ; en effet, ces deux mots plus courantes et on savait comment soi- bulaire qui relève du domaine de la der- étaient connus paitout au Québec lois gner le mal ou, du moins, comment atté- matologie, cette partie de la médecine qui d'enquêtes linguistiques effectuées dans les nue! la douleui. Ces mots tiansmis de gé- étudie et traite les maladies de la peau. années 19702. Enfin, probablement que nération en génération appartiennent à la l'appellation la plus connue sera orgelet, qui langue courante. Le langage de la méde- Un petit furoncle a p p e l é appartient à la fois à la langue courante et cine est donc composé de deux vocabu- grain d'orge au vocabulaire savant de la médecine. laires : l'un savant, qui puise ses oiigines Les inflammations sur certaines parties Les mots orgelet, grain d'orge, or- dans les langues grecque et latine, est du visage donnent lieu à des mots imagés. gueilleux et sa vatiante phonétique d'abotd celui des médecins ; l'autre, issu En l'occufrence, comment nomme-t-on en ordilleux sont apparentés. En effet, le mot 104 | Québec fronçai, 131 | AUTOMNE 2003
orgelet est un déiivé d'otgeoul issu du bas latin hoideolus qui Le feu des brûlures et des inflammations signifie « grain d'oige » ; ce petit furoncle est ainsi nommé En médecine, le mot feu relève métaphoriquement d'un des parce qu'il a la taille et l'aspect d'un grain d'oige. Le syntagme aspects de la combustion, c'est-à-dire une sensation de chaleui grain d'oige est attesté dans cette acception depuis 1660 ; il intense. On l'éprouve notamment dans les inflammations et les était, en médecine, synonyme du mot oigelet3. En français gé- biûlutes. Btissaud, dans son Histoire des expressions populaires [...], néral, le synonyme d'otgelet aujoutd'hui est compète-lotiot. Au au chapitre intitulé « Les étuptions de sang [...] », écrit : « Nous XVIe siècle, le mot otgeoul, qui a donné oigelet, a produit éga- anivons aux inflammations proprement dites de la peau. Leui lement la fotme otgueil. Quant au teime otgueilleux, il est at- caractère le plus général consiste en une rougeut plus ou moins testé dès le XIVe siècle dans le sens de « futonculose » et prend intense et plus ou moins étendue. Les plus superficielles et aussi celui d'« orgelet » au XVIe siècle. Les substantifs orgueil et ot- les plus transitoires sont les "éiythèmes", auxquels le peuple gueilleux, dans cette acception, ont figuré dans les dictionnai- donne le nom génétique de feux. Les plaques rouges des joues res jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Pat exemple, dans son édition chez les enfants qui "mettent des dents" sont des feux de dents. de 1798, le dictionnaire de l'Académie consigne encoie 01- gueilleux. Enfin, il ne faut pas confondre ces deux teimes d'ori- gine latine avec les homographes otgueil et otgueilleux dans le sens de « fierté, vanité », d'oiigine francique. Feu s a u v a g e et feu volage La fièvte qui accompagne certaines maladies et les tayons du soleil peuvent notamment causet des lésions aux lèvres. Ces bou- tons que la médecine nomme herpès labial portent dans la lan- gue courante, en français québécois, le nom de feu sauvage. Une informattice explique : « On peut avoit des gales dans la figure puis que ça soit des bobos. Aptes la bouche pareil ; des fois, il y en a qui ont des feux sauvages4 ». C'est encoie aujoutd'hui le syntagme usuel : « En ce début d'été, alois que le soleil lisque de réactivet le vitus à l'origine du feu sauvage, voici un petit bilan de l'efficacité de certains pioduits sous oidonnance5 ». Feu sau- vage est connu également en Acadie6.11 est consigné dès 1611 dans Cotgiave où il désigne différents furoncles7. En Fiance, il a été relevé dans quelques paileis ; c'est un appoit notamment de la Touraine et du Maine. Dans le langage familiei, en fran- çais général, l'expression usuelle est bouton de fièvre « vésicule d'hetpès sut la lèvre8 ». Quant à feu volage, que certains commentateuts de la lan- gue donnent comme synonyme de feu sauvage, il semble êtte sorti de l'usage en français général. D'après le dictionnaire Besche- relle de 1858, il s'appliquait surtout aux enfants : « Sotte d'étup- tion qui vient au visage et particulièrement aux lèvres, surtout Louis Hébert, le premier colon de la Nouvelle-France, était apothicaire. Cap-aux-Diamants, n° 29, printemps 1992, p. 59. chez les enfants9 ». Les dictionnaires contemporains, tels le Pe- tit Robert 1993 et le Petit Larousse de la même année, ne le con- signent plus, alots que le Trésor de la langue française le donne De même l'érythème pudique (du visage ou d'ailleurs) avait reçu avec la mention vieux. de nos aïeux le nom de feu volage10 ». Anciennement, en fran- çais québécois, le mot feu était usuel poui décrire, entre autres, la douleui causée par une brûlure. Un informateur s'exprime ainsi : « Je sais qu'aujourd'hui ils ont quelque chose pout met- tle sui les brûlures. Oter le feu d'abord. Une brûlure, c'est dou- * a* **«•** loureux. Tandis qu'ils ont de quoi qu'ils mettent, ça ôte la J£\ douleur, ça ôte le feu ; ça brûle plus. Puis ça empêche de clo- cher" ». Dans l'édition de 1727 de son dictionnaire, Furetière explique qu'« [o]n ôte le vin aux malades, de crainte de mettre le feu dans une playe, d'augmentei le feu de la fièvre12 ». Ces &•&* quelques contextes nous peimettent de mieux saisit la valeui sé- mantique de feu notamment dans feu sauvage. Le Petit Robert 1993 consigne encoie quelques expressions comportant le mot L'Almanach du peuple, feu, telles que le feu de la fièvre, le feu lui monte au visage, le feu Beauchemin, 1941, p. 396. du rasoir et avoir les joues en feu. AUTOMNE 2003 | Québec français 131 | 105
Les coups de soleil et l'ouverture de u en œ qui touche un cer- brûlure tout de suite après ; ça l'empêche la scarlatine font pleumer tain nombre de mots était largement ré- de clocher20 ». la p e a u pandue dans le parler parisien populaire Nous n'avons traité ici, il va sans dire, L'exposition prolongée au soleil peut, au XVIIe siècle15. que d'une infime partie des mots qui se dans certains cas, causet de graves brûlu- tappottent au vocabulaire de la médecine. res sur les parties du corps particulière- « Ainsi que vignerons 11 s'agit d'un domaine très vaste et tou- ment sensibles aux rayons du soleil. C'est qui ont es mains l'ampoule jouts d'actualité. Nous y reviendrons. ce que l'on appelle attraper une insolation A force de bêcher » et plus couramment attraper un coup de Les mots ampoule et cloche (cloque) Notes soleil. Il s'ensuit généralement une desqua- sont-ils synonymes ? Dans son ouvrage in- 1 Informations recueillies lors d'enquêtes que nous avons effectuées en 1980, à Trois-Pistoles (localité mation de la peau qui se détache pai pe- titulé Les mots de la médecine, Pascal Bou- du Bas-Saint-Laurent). tites lamelles, c'est-à-dire qu'elle pleume. ché éciit à ce sujet : « Cloque s'emploie 2 Gaston Dulong et Gaston Bergeron. Le parler Cependant, il n'y a pas que le soleil qui plus volontiers dans les brûlures, tandis populaire du Québec et de ses régions voisines. Adas s'attaque à l'épidetme ; la desquamation linguistique de l'Est du Canada. Québec, Éditeur qu'on réserve souvent le mot ampoule pour officiel du Québec, 1980. vol. 8. 2219. peut, en effet, être consécutive à certai- les cloques dues au frottement. En méde- 3 Alain Rey (dir.). Dictionnaire historique de ta langue nes maladies. Une infoimattice précise à cine, on parle pour l'une comme pour française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1998, 3 ce sujet : « Comme quelqu'un qui a une l'autre de phlyctènes16 ». Les informations vol. 4 Voir note I. maladie contagieuse et puis ça pleume. recueillies lors de nos enquêtes viennent 5 te Soleil, 22 juin 2003. p. B-8. Les fièvres scailatines, ça pleume13 ». corroborer cette distinction d'emploi : 6 Yves Cormier, Dictionnaire du français acadien, « Moi, j'en ai bien eu des ampoules avec Montréal. Éditions Fides. 1999. 442 p. le manche du petit râteau. Ça pleume ». 7 Randle Cotgrave, A Dictionarie of the French and Un autre informateur confirme : « Des English Tongues, London, Adam Islip, 161 I ; réimpr. : Hildesheim-New York, Georg Olms ampoules, on se fait ça, pat exemple, dans Verlag, 1970. les mains, à bûchet ». Loisqu'il s'agit de 8 Le Nouveau Petit Robert, Paris, Dictionnaires Le brûlure, c'est le mot cloche qui est utilisé : Robert. 1993.2467 p. « Quelqu'un qui se brûle, ça fait des glos- 9 Louis-Nicolas Bescherelle, Dictionnaire national ou Dictionnaire universel de ta langue française, ses cloches, des cloches d'eau17 ». 6* édition, Paris, Garnier, 1858, 2 vol. Ampoule vient du latin ampulla ; il est 10 Edouard Brissaud, Histoire des expressions populaires attesté dans l'usage coûtant, au sens de relatives à l'anatomie, à la physiologie et à la médecine. Paris, G. Masson, 1892, p. 213. « cloque, vésicule », depuis l'ancien fran- I I Voir note I. çais. C'est le sens que le poète Ronsaid 12 Antoine Furetière, Dictionnaire universel. La Haye, donne à ce mot loisqu'il écrit au XVIe siè- Pierre Husson et autres, 1727 ; réimpr. : Georg Olms Verlag. Hildesheim-New York, 1972, 4 vol. cle : « Ainsi que vigneions qui ont es mains l'ampoule A force de bêcher18 ». I 3 Voir note I. 14 Paul-Eugène Robin et al.. Dictionnaire du patois normand en usage dans le département de l'Eure. Cloque : la forme picarde Évreux, Imprimerie C. Hérissey. 1879-1882, 2 vol. de cloche 15 Marcel Juneau, Contribution à l'histoire de la prononciation française au Québec : étude des Pour désigner les bulles cutanées rem- graphies des documents d'archives. Québec, Les plies de sérosité, consécutives à une brû- Presses de l'Université Laval, 1972, p. 96-97. lure, le français connaît les mots cloche et 16 Pascal Bouché, Les mots de la médecine. Paris, Éditions Belin, 1994, p. 442. cloque. La forme cloche, du latin clocca, fut 17 Voir note I. Cap-aux-diamants, n° 46, été 1996, p. 2 1 . usitée en français général pendant envi- 18 Edouard Brissaud, op. cit. p. 218. ron trois siècles, plus précisément de 1640 19 Paul Imbs (dir.), puis Bernard Quemada (dir.). Dans le sens de « peler, se desqua- jusqu'au XXe siècle. C'est à partir de cette Trésor de la langue française. Dictionnaire de la langue mer », pleumer est le terme usuel en fran- époque que la forme cloque s'impose dans du XIX- et du XX' siècle (I 789-1960), Paris. Éditions du Centre national de la recherche scientifique, çais québécois. Cette acception est l'usage. Le dictionnaire de l'Académie puis Gallimard, 1971-1994, 16 vol. connue des parlers normands où elle a été confirme ce changement lorsqu'il men- 20 Voir note I. relevée dans l'exemple suivant : « Mon tionne dans son édition de 1932 : « on dit doigt a plumé14 ». Il s'agit d'une extension plutôt aujourd'hui : cloque ». Ce dernier sémantique du vetbe plumer qui a de nom- représente la forme picarde de cloche. Il est breux sens en français général et régional attesté dans le sens d' « ampoule » à pat- ainsi qu'en français québécois avec, au tit de la fin du XIXe siècle". En revanche, propre et au figuré, l'idée générale de « dé- le français québécois a conservé la forme pouiller de quelque chose ». Attesté de- cloche, attestée aussi dans le syntagme clo- puis le XIIe siècle, le verbe plumer est un che d'eau, ainsi que le dérivé clocher : déiivé de plume, du latin pluma. La pro- « Aujourd'hui, je pense qu'ils ont certains nonciation pleumer nous vient de France ; remèdes qu'ils peuvent mettre sur une 106 | Québec français 131 | AUTOMNE 2003
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