Les peurs dans le travail infirmier - Santé Mentale

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Les peurs dans le travail infirmier - Santé Mentale
DOSSIER OSER LA RELATION EN PSYCHIATRIE !

Les peurs dans le
travail infirmier
Une recherche effectuée auprès d’infirmiers débutants
en psychiatrie met en évidence que le travail quotidien à
l’hôpital engendre plusieurs formes de peurs, selon que le
patient est considéré comme « bon » ou « mauvais », avec
des conséquences en termes de présence clinique.

           En psychiatrie, infirmiers et        face aux collègues et surtout, face aux
patients entretiennent des relations            patients, est érigée en vertu, constituant
complexes, en équilibre instable, au            sans doute plutôt une stratégie défensive.
gré de l’expression de la maladie, qui          Questionner la place des émotions du
impactent fortement le ressenti émotion-        soignant dans le contexte professionnel,
nel des soignants. Comment les infirmiers       c’est alors faire face aux valeurs et aux
font-ils au quotidien pour maintenir et         normes, et provoquer, d’emblée, une
« supporter »cette relation ? Comment           sorte de peur.
« durent-ils » ? Comment apprend-on ce          Bien entendu, la régulation émotionnelle
qui n’est pas écrit dans les manuels de         est importante dans le quotidien de l’infir-
soins infirmiers ? Je présente ici des          mier (voir aussi l’article de M. Desseilles
résultats issus d’une recherche infirmière      et al. p. 38), mais le fossé entre exté-
menée dans le cadre d’un master Sciences        riorisation et neutralité semble conduire
cliniques en soins infirmiers (1), qui          à un « à peu près » émotionnel fait de
interrogeait notamment ce qui se passe          non-dits et de reproches qui amène les
pour l’infirmier novice et/ou débutant          infirmiers à ne pas penser leurs émotions.
dans sa relation au patient et, par effet       Le travail sur ce sujet est encore trop
miroir, comment il considère le patient         peu développé et reste tabou. Angelo
au centre du processus relationnel qui          Soares (3) envisage que la performance
les lie.                                        émotive au travail des infirmiers n’est
À l’hôpital, les patients vivent des émo-       pas dans la réception des émotions de
tions fortes, mais une forme de neutralité      l’autre, mais bien plutôt dans le contrôle
émotionnelle, une « édulcoration (2) » des      de leurs propres émotions au sein d’une
ressentis, semble être de mise du côté des      organisation ponctuée d’interactions
soignants : « Il faut laisser vos problèmes     parfois saccadées et brèves. Pour Jean
à l’entrée de l’hôpital », entend-on encore     Gilles Boula (4), aborder les émotions
parfois. C’est bien souvent dès le début        infirmières, c’est aussi aborder le malaise
des études que cette maîtrise de soi            infirmier et renvoyer à du défensiel. Pour
                                                ma part, dans ma recherche, je voulais
                                                interroger la place de la peur.

                                                DES PEURS TROP PEU EXPLORÉES
Ahmed BENAÏCHE                                  La peur est un concept universel et
                                                nomade. Cette émotion « réflexe » appa-
Infirmier spécialiste clinique, Valenciennes.   raît face à un contexte. Elle entraîne

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Les peurs dans le travail infirmier - Santé Mentale
OSER LA RELATION EN PSYCHIATRIE ! DOSSIER

                                            © Nicholas Coss.
DOSSIER OSER LA RELATION EN PSYCHIATRIE !

une réaction psychologique, une « foca-        patient, se voit rassurer par ce dernier :      RÉSULTATS
lisation » sur l’objet, et une réaction        « Ne vous inquiétez pas mademoiselle,           Les résultats retrouvent deux formes de
comportementale qui fait que l’homme,          ça va aller. »                                  peurs du patient, celle de sa violence et
comme tous les animaux, agit en fonction                                                       celle de la contamination mentale, évoqués
de ses intérêts, selon trois registres : le    MÉTHODOLOGIE                                    précédemment. Par ailleurs, deux formes
combat, la fuite, la sidération. La peur       En psychiatrie, la relation est un facteur      de peurs pour le patient ont été identi-
a son utilité, car elle peut être un signal    central de la prise en soins. Elle engage       fiées : celle de ne pas être thérapeutique
d’alarme qui aide à la survie.                 le soignant émotionnellement dans son           en lien avec la souffrance psychique, mais
Même si les peurs chez les infirmiers          quotidien et provoque des peurs diverses        aussi celle de ses propres actions. Cela a
sont peu documentées, la littérature en        qui interagissent sur son fonctionnement        plusieurs conséquences : mise à distance
relève toutefois différents types :            psychique et conduisent à la mise en            du patient, déni ; recours à des « bravades
– La peur de l’autre est de deux ordres :      place de systèmes défensifs spécifiques,        de métier » ; adaptation à des normes
la contamination physique mais aussi           dans un hôpital où peu de place est lais-       d’équipes. L’équipe soignante occupe alors
mentale, et la violence. Cette forme de        sée à l’expression des ressentis soignants.     une fonction de réassurance de l’infirmier
peur est multiple et provoque malaise et       Le malade mental a ceci de spécifique           et une fonction de régulation.
frustration pour le soignant.                  qu’il ne souffre pas d’un organe en par-        Deux modèles peuvent schématiser la
Winicott (5) évoque la crainte de « conta-     ticulier, sa maladie ne peut être suppri-       façon dont ces jeunes infirmiers tentent
mination du soignant », qui renvoie à la       mée, elle n’est pas un objet extérieur à        de maîtriser leur environnement, sui-
transmission de la maladie par du maté-        lui mais plutôt une entité intérieure. La       vant qu’ils « classent » le patient comme
riel biologique, mais aussi par l’assimila-    personne atteinte de pathologie mentale         « bon » ou « mauvais » (voir les schémas
tion à la folie. Denise Jodelet (6) pointe     peut paraître à la fois inconnue, mys-          ci-contre). Ces qualificatifs se rapprochent
la « répugnance sociale » lorsque, dans        térieuse, inquiétante et dérangeante.           de ce qu’Anne Véga aborde en tant que
une unité de vie, des soignants refusent       Rappelons que le mot folie provient de          « bon » ou « mauvais malade » (9). Du
que leurs effets personnels entrent en         folis, un ballon gonflé d’air qui, lorsqu’on    fait probablement de leur manque d’expé-
contact avec ceux des malades. Plus            le lâche, part comme bon lui semble, de         rience, ces jeunes infirmiers se forgent à
proche de nous, dans les unités de psy-        façon véritablement imprévisible, irrai-        partir de là une représentation cohérente
chiatrie, que penser de l’existence d’une      sonnable en somme.                              des patients, une image d’eux hiérarchisée
vaisselle différenciée entre soignants et      L’objectif de cette recherche a été d’in-       et organisée pour reconstruire leur identité
patients, ou encore de toilettes séparées ?    terroger ces processus de peurs et leurs        de malades et, par effet miroir, dire leur
La psychose se transmet-elle par le siège      conséquences chez des infirmiers de             propre identité de soignant. Les peurs
des toilettes ?                                psychiatrie ayant moins de trois années         apparaissent dans les deux processus,
La violence des patients est redoutée          d’expérience en unité hospitalière. Ce          mais de façon différente.
par les soignants. Elle peut prendre la        sont donc de processus subjectifs et
forme de comportements, de coups, de           psychoaffectifs.                                • Le modèle du « mauvais patient »
cris, mais aussi parfois d’opposition          Des entretiens semi-directifs et la passa-      Le mauvais patient renvoie à un usager
passive par le silence et le refus d’entrer    tion de la version française de l’échelle de    qui peut être dangereux, potentiellement
en relation. Cette violence du patient         coping WCC-R à 27 items ont été réalisés        agressif et singulier. Il devient alors source
peut conduire au déni soignant, qui se         (Ways of coping check-list de Lazarus et        de danger à l’origine des peurs ressenties.
rapproche de la minimisation de ses            Folkman dans la version de Couson de            Sa souffrance semble aussi être vécue
propres émotions.                              1996). Homogène, la population inter-           comme un danger que l’infirmier tente
– La peur pour l’autre. Socialement­valori-    viewée était composée de 10 soignants           de maintenir à distance.
sée chez les soignants, elle est plus aisé-    ayant moins de trois années de présence         – Dans ce modèle, la peur de l’autre fait
ment verbalisée. Cette forme de peur est       en psychiatrie. Pour rappel, l’entretien        apparaître un sentiment de vulnérabilité
acquise dès l’apprentissage, lorsque nous      semi-directif de recherche permet de            chez les infirmiers.
abordons en tant qu’étudiant le corps de       recueillir l’expression de la subjectivité      La mise à distance face au danger, en
l’autre. Nos premières interrogations,         et d’amener le discours sur le terrain de       l’occurrence le patient, qui renvoie à la
sans doute liées à nos maladresses de          l’émotion ressentie, de sa perception. Ce       méfiance du caractère imprévisible de la
débutant, ne sont-elles de nous demander       type d’entretien a donc mis en évidence         personne, reste déniée, ce qui explique
si nous n’allons pas faire mal ? Jeune         les convictions, les représentations, les       le recours à des « bravades de métiers »
étudiant, je me souviens parfaitement de       motivations des infirmiers rencontrés,          telles qu’envisagées par C. Dejours (10)
ma première pose de sonde nasogastrique,       pour saisir la façon dont ils vivaient leurs    et qui correspondent à une confrontation
partagé entre la motivation d’enrichir         expériences, les émotions et les sens           au danger ou des attitudes à risques. Par
mon bagage technique, l’inquiétude de          attribués.                                      exemple, un infirmier de l’étude raconte
ne plus me remémorer la technique de           Une contrainte a été de recueillir la sub-      avoir poursuivi à l’extérieur de l’hôpital un
pose et surtout ma peur de faire souffrir      jectivité des infirmiers tout en examinant      patient fugueur et l’avoir ramené manu
le patient, en observant (et surtout en        le reflet de leur réalité de travail. Par       militari, sans prévenir aucun autre membre
écoutant) ses réactions.                       ailleurs, afin d’éviter un biais d’induction,   de l’équipe de soins. Blessé légèrement
– La peur avec l’autre est une forme d’ex-     la recherche leur a été présentée sous          lors de ce qu’il qualifie de « chiffonnade »,
périence partagée. C’est par exemple le        l’angle du travail plutôt que celui, plus       il en exhibe fièrement les traces lors de
cas d’une infirmière qui, transfusant son      frontal, des peurs.                             l’entretien.

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Processus 1 : le modèle du « mauvais patient »

                                                                       Plutôt un patient non
                                                                       connu et imprévisible
                                            Modèle du                  Agressif et dominant ou
                                            « mauvais                  opposant et mutique
                                            patient »

                                 Peur de l’autre (agressivité-violence)
                                 Peur pour l’autre (les actions de l’infirmier)

                                              Mise à
                                             distance                  Ou corps à corps
                                                                       rapproché (isolement et/
    Équipe                                                             ou contention)
    « on », « nous »

Processus 2 : le modèle du « bon patient »

                                                                       Plutôt un patient connu
                                              Modèle                   et prévisible
                                             du « bon                  Pouvant être dominé
                                             patient »                 Souffrant

                                 Peur pour l’autre
                                 Peur de la contamination mentale

                                        Mise à distance
                                           modérée

   L’infirmier                              Proximité
   « Je »

                                                                            SANTÉ MENTALE   | 234 |   JANVIER 2019   47
DOSSIER OSER LA RELATION EN PSYCHIATRIE !

Le déni de ces peurs par ces jeunes profes-       Il peut être agressif mais dans ce cas,        moins de se rapprocher d’une forme de
sionnels paraît empêcher toute possibilité        l’expression de son agressivité n’est pas      normalité apparente apportée par le cadre
d’intégration d’un travail émotionnel. Ces        surprenante.                                   d’une procédure de soins ? Les tâches de
bravades maintiennent les peurs à un              – Dans ce processus, la peur pour l’autre      ce type, derrière lesquelles peuvent se
niveau inconscient, tout en amenant l’in-         se rapproche de la découverte de l’im-         réfugier les soignants, très facilement
firmier à jouer avec elles. Cette négation        possibilité de guérir chez les jeunes pro-     abordées par les infirmiers de l’étude,

“
de la peur s’oppose à la recherche de             fessionnels.                                   semblent leur permettre de masquer

                     omment envisager qu’un infirmier puisse ne pas écouter et
                    C
                    utiliser ses émotions pour appréhender les situations cliniques ?
                    (…) Refuser ou dénier ses émotions, dont la peur, ne revient-il pas à émousser
                    une nécessaire sensibilité clinique qui précède l’éclairage des situations de soins ? »

sens. Elle conduit à faire l’économie d’une       – La peur de la contamination mentale          leurs émotions par l’expression verbale de
tentative de compréhension du processus           (peur de l’autre) nous ramène à Winicott.      données ou la réalisation physique d’un
en cours dans la relation aux patients, en        Les infirmiers de l’étude expriment leur       acte de soins, qui permettent évitement
déniant une réalité trop lourde qui pourrait      refus de recevoir la souffrance du patient     et détachement.
submerger le soignant. Cette négation de          et d’être contaminé par elle. Cette souf-      Le discours collectif des infirmiers interro-
la peur agit alors comme un moyen d’en            france apparaît comme un danger et le          gés fait ainsi de la distance un évitement
réduire les effets mais au détriment de sa        patient comme un autre soi-même touché         positif. Leur propos est que pour être un
santé. En outre, au cours des entretiens,         par la maladie mentale, d’où la mise à         bon soignant, il faut être dans la distance.
la description par les professionnels de          distance, modérée. Il semble que les           Les peurs ressenties apparaissent comme
moments de bravades ne constituait pas            professionnels n’arrivent pas à travailler     déniées par les soignants qui vont jusqu’à
une difficulté particulière et arrivait rapi-     avec ce qui est touché en eux par la           méconnaître le danger. Les infirmiers enten-
dement dans l’économie du discours. Cela          maladie et la rencontre de l’autre.            dus ne semblent pas conscients des repré-
conduit à s’interroger : si ces infirmiers        Dans le discours des interviewés, l’emploi     sentations et des peurs qui les habitent,
novices prenaient conscience de leurs             du « je » est prédominant.                     une part de leur souffrance au travail leur
peurs, leur travail serait-il encore possible ?                                                  est donc difficilement accessible.
– Les peurs pour l’autre sont aussi repré-        • Hors distance
sentées dans ce processus, notamment              Quelque soit le schéma, pour ces jeunes        TRAVAILLER LA PRÉSENCE CLINIQUE
celles que peut parfois éprouver l’infirmier      professionnels, se mettre hors de dis-         Dès lors, quel est le choix le plus per-
de ses propres actions, conséquences              tance représente une part notable de           tinent pour ce qui touche aux émotions
d’un contre-transfert (« Heureusement             leur quotidien. En effet, les actes de         soignantes ? Le clivage, la perméabilité ?…
qu’un collègue a pris le relais, j’aurais         nursing décrits, les tâches balisées           Faut-il se « blinder » et espérer ne rien
pu ne plus être soignant… »). L’équipe,           paraissent tenir ce rôle, comme le fait        ressentir, ce qui, finalement, revient à
ici, amène régulation et normes. Elle             que les entretiens infirmiers soient ici       lutter constamment contre toute émotion
protège l’infirmier de ses vulnérabilités.        peu représentés. On peut alors penser          et risquer un ancrage dans ses propres
Elle lui apporte soutien et sécurité d’une        que l’hyperactivité liée aux tâches est        représentations ? Les jeunes infirmiers
part (la possibilité de passer la main par        une stratégie inconsciente pour fuir les       de cette recherche tentent de leur côté
exemple), et lui permet de se différen-           peurs ressenties vers un « autre chose »       de dénier leurs peurs, ce qui questionne
cier des malades d’autre part. En outre,          permettant la décharge de tensions.            les concepts de distance (au patient) et
l’équipe apparaît comme l’outil de la             Si les infirmiers ont exprimé le fait qu’ils   de vulnérabilité. En outre, espérer cliver
« bonne distance », proposant une sorte           n’avaient pas de temps pour l’expression       totalement vie personnelle et profession-
d’évitement normatif, qui permet le relais        de leur ressenti, les temps d’échange et       nelle reste un leurre.
pour que le soignant puisse souffler et           de transmissions sont, eux, bien plus          Assumer tout ressenti est un autre choix,
surmonter l’expérience du contre-transfert        présents. Dans la pratique, ces temps          qui renvoie à ce qui touche à l’intelligence
(empêchant par exemple un éventuel                s’effectuent pour la plupart hors de la        émotionnelle et à la compréhension de
passage à l’acte soignant).                       présence directe des patients, ce qui, par     ses émotions en lien avec la rencontre de
Dans le verbatim des entretiens, on               ailleurs, permet de se distinguer d’eux.       l’autre. Cela implique de rester congruent,
retrouve majoritairement l’emploi du              Bien entendu, les actes de soins, comme        comme l’envisage C. Rogers, en état
« on » et du « nous ».                            les toilettes, relèvent d’une proximité avec   conscient de ce qui se passe en nous (voir
                                                  la personne malade, mais dans ce cas,          aussi l’article de J.-M. Randin, p. 30).
• Le modèle du « bon patient »                    n’est-ce pas le « faire », la réalisation      Puisqu’il faut « s’engager » dans le soin,
Le bon patient renvoie à un usager                d’un acte de soins physique qui permet         travailler sa présence clinique apparaît
connu et prévisible dans ses réactions.           de se distancier du malade ou tout du          comme une compétence à développer dès

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OSER LA RELATION EN PSYCHIATRIE ! DOSSIER

le noviciat. Pour autant, la formation ini-           de reconnaître et de travailler sur et avec            1– Ahmed Benaiche, Les peurs dans le travail infirmier en
tiale prépare-t-elle efficacement à l’exer-           nos émotions. Cette recherche permet                   psychiatrie : formes de peurs en présence et conséquents
cice en psychiatrie, à la rencontre et à la           d’objectiver les processus interpersonnels             chez des infirmiers de psychiatrie ayant moins de trois
confrontation au patient ? Déjà en 1994,              dans lesquels s’engagent les infirmiers                ans d’expérience dans la spécialité. Mémoire master en
Hart et Mucchielli (11) envisageaient                 débutant en intra-hospitalier et de donner             sciences cliniques en soins infirmiers, option Psychiatrie
que la vulnérabilité infirmière pouvait               une image différente, moins négative,                  et santé mentale, 2013. Disponible sur le site de Santé
être liée à un manque de préparation                  de l’émotion « peur » dans le champ                    mentale, rubrique Thèses et mémoires, www.santementale.fr.
à la rencontre de la personne malade :                professionnel.                                         2– Mercadier Catherine, Le travail émotionnel des soignants
« La vulnérabilité des infirmières est                Les deux modèles identifiés montrent qu’il             à l’hôpital, Paris, Seli Arslan, 2002.
d’autant plus grande qu’elles n’ont pas               n’existe pas ou peu de communication                   3– Angelo Soares, « La charge émotive du travail infirmier »,
tous les ressorts défensifs identitaires              ou d’expression des peurs ressenties,                  Objectif Prévention, Montréal, ASSTSAS, 2000, vol.23,
habituels. Il est en effet remarquable                comme sans doute des autres émotions                   n° 2, p. 10-11.
que la formation qu’on leur donne agisse              issues de la rencontre avec le patient, ce             4– Jean Gilles Boula, « Le changement comme processus
plutôt pour casser leurs défenses que                 qui constituerait des aveux de faiblesse.              d’équilibration dans la pratique clinique », Séminaire : La
pour les développer. »                                Les formes de peurs mises en évidence                  pratique clinique, quel changement dans l’art du soin ?,
Qu’en est-il actuellement ? Comme l’évoque            ici révèlent pourtant une souffrance                   3e journée des infirmières cliniciennes de Sainte Anne,
Fawcett (12), le concept de raisonnement              psychique propre aux jeunes soignants,                 24 novembre 2011.
clinique est indissociable des sciences               et plus globalement, une difficulté à                  5– Donald Woods Winicott, « Hate in the countertranfe-
humaines. Comment envisager qu’un infir-              se confronter à la charge psychique du                 rence », The International Journal of Psycho-analysis,
mier puisse ne pas écouter et utiliser ses            travail infirmier en psychiatrie en début              vol.30, part.2, p. 69-74.
émotions pour appréhender les situations              d’exercice.                                            6– Denise Jodelet, Folies et représentations sociales,
cliniques ? Par exemple en assumant et en             Le travail sur la clinique apparaît alors              Paris, PUF, 1989.
comprenant une colère ressentie comme la              comme un enjeu fort, et la nécessité de                7– Marie-Claire Carpentier-Roy, Corps et âmes : psychopa-
possible conséquence d’un contre-transfert.           « muscler » son raisonnement clinique                  thologie du travail infirmier, deuxième édition augmentée,
Refuser ou dénier ses émotions, dont la               comme vital dans le déroulé d’une car-                 Montréal, Liber, 1995.
peur, ne revient-il pas à émousser une                rière. Pour le soignant, cela suppose                  8– Christophe Dejours, « La charge psychique de travail »,
nécessaire sensibilité clinique qui précède           de favoriser la compréhension de son                   Société Française de Psychologie, psychologie du travail,
l’éclairage des situations de soins ?                 ressenti, par des actions visant à libérer             Paris, Entreprise moderne d’édition, p. 45-54.
Comment ne pas rejoindre Denise Jodelet               la parole, c’est-à-dire un partage social              9– Anne Véga, « Les infirmières hospitalières françaises :
(13) pour qui le partage des émotions                 des émotions, ce qui paraît illusoire dans             l’ambiguïté et la prégnance des représentations profes-
n’a pas seulement pour but de soulager                la pratique. Une autre piste plus réaliste             sionnelles », Sciences Sociales et Santé, vol. 15, n° 3,
les troubles liés à l’expérience émotion-             passe par l’abord des représentations                  1997, p. 103-132.
nelle, mais aussi, de trouver des moyens              des soignants et donc des causes de                    10– Christophe Dejours, Travail, usure mentale, Paris,
cognitifs de l’intégrer dans son univers              leurs peurs. Les résultats confirment                  Bayard, 2008.
de pensée ?                                           l’importance d’un accompagnement des                   11– Josette Hart, Alex Mucchielli, « Les racines de la
Par ailleurs, la question « comment les               jeunes professionnels.                                 culture affective des établissements de santé », Revue
infirmiers “durent”-ils ? » a été posée               « Rien n’est plus déraisonnable pour la                Gestion Hospitalière, n° 332, janvier 1994.
au début de cette intervention. Ne pas                raison que la volonté de se distinguer                 12– Jacqueline Fawcett, Analysis and evaluation of concep-
intervenir à ce stade de leur carrière                de la folie », nous dit R. Enthoven (14).              tual models of nursing, Philadelphia, 1984.
chez des infirmiers novices ou débutants              Comme pour les grands sportifs, l’infir-               13– Denise Jodelet, « Dynamiques sociales et formes de
ne revient-il pas à faciliter une usure               mier doit « muscler » son jeu et travailler            peurs », Nouvelle Revue de Psychologie, n° 12, Jouy en
prématurée ?                                          son bagage clinique en laissant plus de                Josas, Eres, 2011, p. 239-256.
                                                      place à l’écoute de ses émotions pour                  14– Raphaël Enthoven, La folie, Paris, Fayard, 2011.
CONCLUSION                                            mieux oser et/ou doser la relation.
Si nos émotions nous agissent, nos repré-
sentations nous déroutent, d’où l’intérêt

Résumé :             Au quotidien, la relation de soin engage émotionnellement le soignant et engendre parfois des peurs qui conduisent à la mise en place
de systèmes défensifs spécifiques. Une recherche qualitative menée auprès d’infirmiers ayant moins de trois années de pratiques en psychiatrie pointe ces
stratégies d’adaptation. Cette intervention envisage les processus observés en lien avec les peurs ressenties selon que le patient est représenté comme « bon »
ou « mauvais » et les conséquences directes en termes de présence clinique (mise à distance, corps à corps rapproché, angoisse transférentielle…) et donc
d’impact sur le soin. Dans ce contexte, comment permettre aux soignants de reconnaître et travailler sur leurs propres émotions ?

Mots-clés :        Angoisse – Contre transfert – Distance thérapeutique – Expression de l’émotion – Infirmier – Mécanisme de défense –
Nouveau professionnel – Peur – Psychiatrie – Relation soignant soigné – Représentation sociale – Subjectivité – Travail en équipe – Vulnérabilité.

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