Les relations commerciales agroalimentaires de la Russie avec l'Union européenne, l'embargo russe et les productions animales
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Les relations commerciales INRA Prod. Anim., 2018, 31 (2), 83-103 agroalimentaires de la Russie avec l’Union européenne, l’embargo russe et les productions animales Vincent CHATELLIER1, Thierry POUCH2,3, Cécile LE ROY1, Quentin MATHIEU3 1 UMR SMART-LERECO, INRA, 44300, Nantes, France 2 Laboratoire REGARDS, Université de Reims Champagne Ardenne, 51100, Reims, France 3 Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture (APCA), 75008, Paris, France Courriel : vincent.chatellier@inra.fr L’embargo appliqué par la Russie depuis 2014 a modifié soudainement certains courants d’échanges internationaux dans le domaine des productions animales. Bien que l’Union Européenne (UE) ait été temporai rement affectée par cette décision politique, elle est parvenue à augmenter ses exportations dans plusieurs filières (lait, porcs et volailles), grâce surtout à la hausse des importations asiatiques. Introduction la Russie dissimulée derrière l’embargo. russe. Cet article est structuré autour Dans la mesure où il bloque l’entrée des des trois parties suivantes : marchandises agroalimentaires sur le La mondialisation des économies a marché intérieur russe, cet embargo i) la première rappelle, tout d’abord, atteint ces dernières années un degré peut-il être appréhendé comme l’un l’évolution des productions agricoles élevé de conflictualité (Pouch, 2015). des leviers possibles du redressement russes depuis le début des années Outre une exacerbation de la concur- agricole du pays ? La littérature écono- 2000 et souligne en quoi cette dyna- rence entre les nations pour capter des mique a souvent tenté de mesurer les mique productive a été influencée parts de marché, confirmant ainsi l’heu- impacts d’une mesure de protection par une politique agricole active. Elle ristique du concept de géoéconomie, commerciale de type embargo, tant traite ensuite du contexte dans lequel cette conflictualité passe aussi par la géo- pour les pays qui en sont les cibles que évoluent les échanges commerciaux politique (Lorot, 2009). À la faveur de la pour ceux qui le mettent en œuvre. de produits agroalimentaires de la crise ukrainienne de 2014, les puissances Cet article entend aussi procéder à Russie, depuis que celle-ci est devenue occidentales ont infligé des sanctions une évaluation des conséquences de membre à part entière de l’Organisation économiques et financières à la Russie, l’embargo russe sur les exportations de Mondiale du Commerce (OMC) en 2012 dont les a mbitions géopolitiques ont été produits agricoles et alimentaires (avec (Vercueil, 2003). Elle indique enfin les jugées trop menaçantes pour l’intégrité un ciblage sur les produits animaux) des principaux facteurs ayant provoqué la territoriale de l’Ukraine. La réaction du économies touchées par la décision décision d’appliquer un embargo et chef d’État russe, Vladimir Poutine, fut de la Russie, mais également sur les apporte des précisions sur le périmètre immédiate. Il décréta en août 2014 un pays épargnés par l’embargo, lesquels de celui-ci (dont la liste des produits embargo sur les importations de pro- ont pu se substituer aux exportateurs affectés) ; duits agricoles et alimentaires en pro- traditionnels. Y en a-t-il parmi ces der- venance de l’Union européenne, des niers qui auraient profité de la perte de ii) la deuxième partie s’appuie sur une États-Unis, du Canada, de l’Australie et débouchés enregistrée par l’UE pour valorisation des données statistiques de la Norvège (FAO, 2014). capter la demande intérieure russe ? Un issues des douanes, avec la base de focus sera établi sur l’UE à 28 et sur les données BACI pour les échanges de la Dans ce contexte, cet article suggère États membres les plus concernés par Russie et la base de données COMEXT de s’interroger sur l’ambition réelle de cette fermeture du marché intérieur pour les échanges de l’UE et de ses https://doi.org/10.20870/productions-animales.2018.31.2.2317 INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
84 / Vincent chatellier, Thierry pouch, Cécile le roy, Quentin MATHIEU États membres. Elle analyse l’évolution soviétique jusqu’à la chute du mur de La crise financière de 1998 provoqua des échanges commerciaux globaux Berlin et la mise en place des premières un ralentissement de ces importations, et agroalimentaires de la Russie tout réformes agraires dans les années la fuite des capitaux et la dévaluation du au long de la période 2000 à 2016, quatre-vingt-dix laissa en chantier un rouble ayant eu pour conséquence de de façon à positionner les évolutions espace rural russe déstructuré, mais renchérir leur coût. Toutefois, cette crise récentes dans un cadre plus large. Tout avec de fortes potentialités (Cordonnier eut le mérite de relancer l’intérêt des en insistant sur l’évolution des clients et Hervé, 2003). Les performances de acteurs privés et des pouvoirs publics et fournisseurs de la Russie dans le la planification économique de l’agri- dans un secteur agricole qui avait par- domaine agroalimentaire, cette partie culture russe étaient centrées autour ticulièrement souffert de l’échec du rappelle que les évolutions commer- des complexes tels que les kolkhozes virage libéral, ce dans un contexte où ciales récentes tiennent certes à l’appli- et les sovkhozes, détenus en totalité le secteur agricole était devenu un des cation de l’embargo, mais également à par l’État russe. L’effondrement du bloc secteurs les plus rentables de l’écono- d’autres facteurs économiques imbri- soviétique et la libéralisation de l’éco- mie russe. Il en a résulté des investisse- qués tels que la baisse du prix de vente nomie amenèrent les autorités poli- ments accentués des oligarques russes des produits pétroliers, la chute de la tiques russes à entamer une vague de dans des complexes agro-industriels valeur du rouble ou la perte de pouvoir réformes agraires afin d’intégrer l’agri- afin de diversifier leur portefeuille d’ac- d’achat des ménages russes ; culture dans l’économie de marché. La tivité. Cela s’est traduit aussi par une première réforme mise en œuvre par réorientation stratégique du secteur iii) la troisième partie propose une Boris Eltsine en 1991 fut un premier pas agroalimentaire et de la grande distri- analyse ciblée sur l’évolution des dans ce sens, consistant à redistribuer bution qui actèrent que la dépendance échanges commerciaux de la Russie des terres agricoles auprès des collec- aux importations alimentaires fragilisait en animaux et produits d’animaux. Elle tifs d’anciens employés des kolkhozes considérablement leur activité (Grouiez, distingue successivement le secteur du afin de développer la propriété privée 2012a). Ainsi, l’apport de capitaux en lait et des produits laitiers, le secteur (Lezean, 2011). amont dans les structures héritées des bovin, le secteur avicole et le secteur kolkhozes, et la volonté de consolider porcin. Une attention particulière est Cette réforme fut un échec cuisant. les approvisionnements par le maillon portée, d’une part, à l’évolution des flux En effet, elle n’avait ni prévu de redé- aval de la filière contribua à la forma- commerciaux entre la Russie et l’UE et, coupage cadastral des anciennes pro- tion de chaînes de valeur verticalement d’autre part, à la montée en puissance priétés collectives, ni la possibilité de intégrées (Cordonnier, 2003). d’autres pays fournisseurs du marché détacher les terrains de l’ancienne pro- russe. priété collective. Par conséquent, les En ce qui concerne les initiatives des détenteurs de titres de propriété sur ces pouvoirs publics, une nouvelle législa- exploitations ne savaient pas quelles tion sur la vente des terres fut promul- 1. L’agriculture russe parcelles leur étaient attribuées. Ainsi, guée dès 2001 afin de mieux encadrer et la mise en œuvre les propriétaires délaissèrent l’activité les transactions foncières, notamment de l’embargo agricole sur la propriété, de taille sou- par la redéfinition des limites cadas- vent trop imposante et avec un maté- trales et l’officialisation de l’acte de pro- riel agricole vétuste. Un phénomène priété (Rylko et al., 2015). Cette nouvelle Après un rappel synthétique des amplifié par la forte compétitivité de orientation du modèle agricole russe, évolutions de l’agriculture russe et des l’agriculture européenne, et dont les marquée par un quadruplement des politiques agricoles mises en œuvre, excédents constituaient un motif pour investissements russes dans l’agricul- cette première partie discute du posi- les décideurs politiques russes d’ouvrir ture entre 2000 et 2005 (Anfinogentova, tionnement de la Russie dans les rela- leurs frontières dans le but de profi- 2006), se concrétisa lors du premier tions commerciales internationales ter d’une alimentation à bas coûts au mandat de Vladimir Poutine, où l’agri- propres au secteur agroalimentaire regard du déficit de compétitivité de culture fut déclarée « priorité natio- (dont l’adhésion récente à l’OMC), puis l‘agriculture russe. La conjonction de nale » en 2005, suivie de l’adoption elle revient sur les raisons de l’embargo ces effets fut dévastatrice pour l’agri- d’une loi sur le développement agricole et ses modalités d’application. culture russe qui connut une chute en 2006, puis d’un programme d’État drastique de sa production agricole de 2008 à 2012. L’ambition de ce der- 1.1. L’agriculture russe, nationale entre 1990 et 2000. Cette nier programme, un plan d’investisse- les productions animales chute était d’autant plus marquée pour ment quinquennal doté de 26 milliards et les grandes étapes les produits animaux comme la viande, de dollars, fut de lancer une véritable de la politique agricole dont la production nationale diminua dynamique territoriale dans les espaces de 55 % sur cette période, entraînant ruraux en incitant d’une part le secteur Le développement agricole russe est par ailleurs un fort accroissement des privé à engager des capitaux dans intimement lié à son histoire politique importations, dont le point culminant le développement d’agro-holdings, et économique de la seconde moitié fut atteint en 1997 avec 3 millions de d’autre part en poussant les adminis- du xxe siècle jusqu’à aujourd’hui. La tonnes de viandes importées contre trations publiques locales à accom- collectivisation des terres durant l’ère moins d’un million en 1992. pagner ces investissements par des INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
Les réseaux commerciales agroalimentaires de la Russie avec l’Union européenne… / 85 partenariats avec ces entreprises. Ainsi, animales (Ambassade de France en conduit à limiter l’offre de produits ali- les localités fournissent des subventions Russie, 2016). Les deux programmes mentaires importés dans les circuits de et un accès privilégié au foncier à ces d’État suivants (2008-2012 et 2013- distribution, plus compétitifs et moins agro-holdings ; de leur côté ces der- 2020) marquèrent le réel décollage coûteux en général que les produits nières prennent en charge, par exemple, des productions animales russes. Ces nationaux. Ainsi, l’envolée du coût de le financement de biens et de services mesures se révélèrent surtout effi- l’alimentation pour les ménages russes collectifs (réseaux de routes et d’électri- caces pour les productions à cycle a conduit ces derniers à réduire leurs cité, construction de logement) dans les court, telles que la volaille et le porc, achats en volume (c’est un effet de territoires où elles s’installent (Grouiez, dont les productions furent respecti- revenu négatif ), et à substituer une 2011). Le second programme, étalé vement multipliées par quatre et par part de leurs achats vers des produits sur la période 2013-2020, prévoit un deux entre 2004 et 2016 (figure 1). moins coûteux, souvent aux dépens doublement de cette enveloppe bud- des protéines animales (c’est l’effet de gétaire (plus de 52 milliards de dollars) Cette politique a été couronnée de substitution). afin d’accentuer cette orientation et de succès. Le taux d’autosuffisance en pro- recentrer les investissements sur des duits carnés est en effet passé, selon les Par ailleurs, ces plans d’investis- productions stratégiques, comme celles statistiques russes (Rosstat), de 64 % en sement successifs n’ont pas permis du secteur animal. Ces programmes 2004 à 88 % en 2015. Il convient cepen- d’enrayer la baisse structurelle de la visent aussi, d’une certaine manière, à dant de relativiser ces chiffres. Les sanc- production de viande bovine et de stopper la désertion du milieu rural qui tions internationales infligées par les produits laitiers. Le manque de moyens s’est beaucoup accentuée pendant les pays occidentaux en réponse au conflit et de connaissances technico-écono- années quatre-vingt-dix (forte migra- en Ukraine, suivies de l’embargo com- miques, de même que les retours sur tion vers les plus grosses villes, dispari- mercial russe à partir du 7 août 2014 sur investissements plus longs pour ce tion de villages dans les zones les moins les produits alimentaires ont provoqué type d’exploitations ont découragé des peuplées). un double effet inflationniste sur l’éco- potentiels investisseurs à engager des nomie russe. D’une part, les sanctions capitaux sur ces productions. Les chep- En effet, le secteur des productions ont poussé les investisseurs à sortir leurs tels de races à viande et de races lai- animales russes a suivi une trajectoire capitaux du territoire russe, entraînant tières ont ainsi continué à s’éroder entre plus contrastée, les investissements alors une dépréciation du rouble et un 2004 et 2015. Si le niveau de consom- consentis ayant bénéficié dans un pre- renchérissement des importations, d’où mation de viande bovine est désormais mier temps à des agro-holdings spécia- une montée de l’inflation dans le pays. relativement modeste en Russie (il est lisées en grandes cultures, puisque le D’autre part, l’embargo alimentaire a passé de 18 à 12 kg par habitant et par retour sur investissement dans ce type de production s’avère plus rapide et ren- Figure 1. Production de viandes en Russie (milliers de tonnes) (Source Rosstat). table pour les détenteurs de capitaux. La chute de la production de viande 11 000 fut la conséquence d’une décapitali- sation accélérée des cheptels avec les 10 000 réformes agraires du nouveau régime 9 000 (Liefert et Liefert, 2012). En 1990, la taille du cheptel national par principaux 8 000 types d’animaux était de 59 millions de Milliers de tonnes têtes en bovins, 40 millions en porcins 7 000 et 654 millions en volailles. En 2001, ces chiffres étaient respectivement de 6 000 27,5 millions de têtes pour les bovins, 5 000 15,8 millions pour les porcins et 341 mil- lions pour les volailles (Suhara, 2017). Ce 4 000 n’est qu’à partir de 2003 que des pre- mières véritables mesures de soutien 3 000 aux productions animales furent mise en œuvre. 2 000 1 000 Entre 2003 et 2006, une régle- mentation sur les importations de 0 viande est promulguée, de même 20 3 20 4 20 5 06 07 08 09 10 11 12 20 3 20 4 15 20 6 17 19 0 91 92 93 94 95 19 6 19 7 98 99 00 01 02 0 0 0 1 1 1 9 9 9 20 20 20 20 20 20 20 20 20 19 19 19 19 19 19 19 20 20 20 qu’un plan d’aide à l’investissement avec des subventions sur les taux Viande ovine et caprine Viande bovine d’intérêt pour les exploitants sou- haitant développer les productions Viande porcine Viande de volailles INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
86 / Vincent chatellier, Thierry pouch, Cécile le roy, Quentin MATHIEU an sur la période), il en va différem- son marché avec la mise en place de contradictoire propre à l’agriculture ment de la consommation de produits contingents d’importations. russe. Celle-ci est partagée entre, d’une laitiers qui est importante, 242 kg par part, de grandes exploitations pilotées habitant et par an en moyenne 2004- L’adhésion à l’OMC est le fruit d’une par des investisseurs nationaux ou 2015 (estimations réalisées à partir des longue période de négociation, s’éta- étrangers et dont la stratégie est de se données de Rosstat) quand la moyenne lant sur treize années. Deux raisons ont positionner sur les marchés mondiaux mondiale atteint 112 kg en 2016. La conduit la Russie à envisager de deve- afin d’obtenir un retour rapide sur inves- stagnation, voire la légère baisse de la nir membre à part entière de l’OMC. La tissement, et, d’autre part, des petites production laitière nationale, a conso- première est la reconnaissance en 2002 et moyennes exploitations, orientées lidé la position d’importateur net de la de son statut d’économie de marché par vers la production laitière ou maraî- Russie, jusqu’à ce qu’elle représente un l’UE et les États-Unis. La seconde est son chère, qui sont potentiellement mena- des principaux clients de l’UE, en par- intégration la même année dans le G20, cées par les grands pays exportateurs ticulier pour le beurre et les fromages puis dans le G8. Il était du coup incon- membres de l’OMC. jusqu’à l’embargo de 2014. cevable qu’une puissance économique émergente, intégrée à ce club fermé Finalement, la Fédération de Russie Cette montée en puissance contras- des principales économies du monde, est devenue le 156e membre de l’OMC tée de l’agriculture russe, encore en ne soit pas membre de l’OMC. Comment le 16 décembre 2011, son adhésion phase d’émergence sur certaines pro- expliquer toutefois que le processus effective ayant pris effet le 22 août ductions animales, est à mettre en d’adhésion à l’OMC ait été aussi long ? 2012 (FranceAgriMer, 2013). Ce faisant, parallèle avec l’intégration de la Russie Au moins deux facteurs sont à l’origine la Russie a donc consolidé ses (11 557) à l’OMC. En effet, les différentes étapes du retard. La crise de 1998 d’abord, lignes tarifaires, s’engageant à réduire de la politique agricole russe se sont et ensuite une instabilité politico- les tarifs douaniers de manière pro- inscrites dans un cadre stratégique en institutionnelle jusqu’au début 2000. La gressive sur une période s’étalant de relation avec le processus d’adhésion question du niveau des pics tarifaires a 1 à 8 ans pour 7 028 d’entre elles, et à du pays à l’OMC, et dans l’objectif des constitué une autre source de blocage. rendre son marché intérieur plus acces- autorités russes d’accéder au principal On sait en effet que l’un des objectifs fon- sible aux principaux pays exportateurs circuit du commerce international sans damentaux de l’institution de Genève de marchandises (tableau 1). Le droit de avoir à sacrifier son secteur agricole. est d’amener chaque pays membre à douane moyen pour les produits agri- L’articulation de la Fédération autour démanteler, au moins partiellement, ses coles, qui était estimé en 2016 à 14,6 %, de l’Union douanière de l’Union eura- tarifs douaniers appliqués aux importa- soit au-dessus de la moyenne globale siatique en fut la principale clef de tions de marchandises. Moscou avait – qui elle est passée de 11 à 8,3 % entre voûte (Grouiez, 2012b ; Marchand, quelques réticences à s’engager dans 2012 et 2015 – doit donc diminuer de 2014). un tel processus. En effet, certains sec- plusieurs points d’ici à 2020 (10,8 % teurs industriels étaient encore fragiles en 2018). Trois secteurs fonctionnent 1.2. La Russie pour affronter une concurrence que avec des taux moyens encore parfois et les relations commerciales l’ouverture du marché intérieur allait largement au-dessus de la moyenne internationales dans occasionner. De plus, l’abaissement de des droits : les animaux vivants et pro- le secteur agroalimentaire l’arsenal douanier entraînait des pertes duits d’origine animale (plus de 30 % en de recettes fiscales (l’application d’un 2016), les produits laitiers (17 %, l’enga- L’économie russe est une terre de droit de douane est certes un coût pour gement étant de les ramener à 14,9 %), grands contrastes. Si elle est une puis- le consommateur, mais une recette pour le sucre et les sucreries (24 %), ainsi sance énergétique de premier plan, elle l’État qui l’applique). que les boissons et liquides alcooliques n’est pas une grande puissance expor- (11 %). Quant aux céréales, le droit de tatrice de produits agricoles et alimen- Par ailleurs, il y eut une forte réticence douane moyen, de l’ordre de 11 % en taires, bien que sa montée en puissance du secteur agroalimentaire à voir la 2016, doit encore être abaissé à 10 %. en céréales soit un fait incontestable. Russie devenir membre de l’OMC, au Les produits oléagineux (y compris Sur la période 2012-2015, les produits moment même où celui-ci traversait les graisses et les huiles), dont le droit agroalimentaires pèsent pour environ une phase difficile. Ce secteur a en moyen était encore de 9 % en 2012, 11 % des exportations totales et 25 % effet connu une succession d’aléas cli- apparaissent comme le secteur où des importations totales du pays. La matiques entre 2006 et 2010, préjudi- l’objectif affiché d’atteindre un taux de hausse des importations s’inscrit dans ciables aux productions agricoles, les 7,1 % a été réalisé en 2016 (OMC, 2016). une tendance structurelle depuis la céréales étant chaque fois en première chute du régime communiste. Elle s’est ligne. Afin d’éviter de trop recourir aux Devenant membre à part entière accentuée avec l’adhésion de la Russie importations, lesquelles auraient été de l’OMC, la Russie a également dû se à l’OMC, le 22 août 2012, puisque la facilitées par un abaissement des tarifs conformer aux règlements internatio- Russie s’était engagée à réduire ses douaniers, l’État russe instaura une taxe naux en matière de soutiens internes, tarifs douaniers pour faciliter la péné- à l’exportation durant l’été 2010. Le calculés selon le principe de la Mesure tration de son marché intérieur. Avant retard pris dans le processus d ’adhésion Globale de Soutien (MGS), qui contient son adhésion, la Russie protégeait bien à l’OMC tient aussi à la dimension à la fois les dispositifs de soutien de mar- INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
Les réseaux commerciales agroalimentaires de la Russie avec l’Union européenne… / 87 Tableau 1. Structure des droits de la nation la plus favorisée (NPF) en Russie 2012- et la ville de Sébastopol, ancienne- 2016 (en %) (Source : Organisation Mondiale du Commerce). ment ukrainiennes, deviennent deux nouveaux « sujets de la fédération Droit de Russie ». Moscou évoque alors Droits NPF consolidé un « retour » de la région offerte à appliqués final la République soviétique socialiste d’Ukraine par Nikita Khrouchtchev en 2012 2016 2016 1954. Dès lors, et face à ce qu’ils quali- Moyenne simple des droits 11,0 8,3 8,4 fient « d’annexion illégale », les vingt- huit États membres de l’UE décident Produits agricoles 17,6 14,6 13,6 à l’unanimité de mettre en œuvre une série de sanctions économiques Produits non agricoles 9,1 6,5 7,1 à l’encontre de la Russie. D’après le règlement n° 833/2014 du Conseil, les Agriculture, chasse, sylviculture et pêche 8,5 6,2 6,3 sanctions européennes appliquées alors ont pour finalité « d’accroître le Activités extractives 4,6 4,3 5,1 coût des actions de la Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, Activités de fabrication 11,3 8,5 8,6 la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et de promouvoir un règle- Nombre de lignes total 11 123 11 561 11 557 ment pacifique de la crise ». Les sanc- tions appliquées, dont l’efficacité peut être discutée (Nivet, 2015), concernent ché et les outils de politique publique duits laitiers, en sucre et en produits trois secteurs stratégiques : l’industrie axés sur le développement de l’agricul- du machinisme agricole (Mazol, 2012 ; de la défense (interdiction d’exporter ture. Cette MGS a été évaluée en 2012 Vercueil, 2014b). Une extension de cette des armements et de la technologie) ; à 9 milliards de dollars, et, du fait de Union douanière a été réalisée avec l’industrie pétrolière (interdiction d’ex- l’adhésion à l’OMC, devrait être divisée l’Arménie et le Kirghizstan en 2015. Un porter vers la Russie des technologies par deux, pour s’établir à 4,4 milliards accord de libre-échange existe avec pouvant servir à l’exploration et à la en 2018, soit cinq ans après l’entrée de le Vietnam depuis 2015, mais ce pays production de pétrole) ; le secteur la Fédération de Russie dans l’OMC, au n’est pas membre de l’Union doua- bancaire russe (interdictions portant titre des engagements pris par Moscou. nière. D’autres pays ont manifesté leur sur le financement et l’emprunt d’en- intérêt pour en devenir membre dont treprises de ce secteur). D’autres pays L’abaissement des tarifs douaniers le Tadjikistan, la Mongolie, la Tunisie de l’Organisation de Coopération et de expose par conséquent davantage les et la Syrie. Développement Economique (OCDE) productions agricoles russes à la concur- ont pris des mesures similaires, au pre- rence internationale. Ces tarifs avaient Cette évolution met bien évidem- mier rang desquels les États-Unis et le jusque-là pour finalité de leur appor- ment Moscou en porte à faux vis-à-vis Canada. ter une dose de protection, laquelle de ses partenaires de l’OMC. En adhé- pouvait entrer en cohérence avec les rant à l’OMC, la Russie a accepté le pro- À peine un mois après l’instauration intentions de la Russie en matière de cessus de libéralisation des échanges de ces sanctions par l’UE, soit le 7 août redressement des volumes produits. de produits agricoles et alimentaires, 2014, Moscou a décrété un embargo sur Pour contenir les importations russes mais la formation de l’Union douanière les importations de produits agricoles de produits agricoles et alimentaires, et Eurasienne semble faire contrepoids. et alimentaires en provenance de l’UE, préserver ainsi sa sécurité alimentaire, Moscou se distingue de ce fait comme des États-Unis, du Canada, de l’Aus- la Russie s’est impliquée dès 2010 dans un pays décidé à sécuriser ses appro- tralie et de la Norvège (Commission une Union douanière (Vercueil, 2014a) visionnements alimentaires. La déci- européenne, 2014 ; Pouch, 2014). avec la Biélorussie et le Kazakhstan. sion d’instaurer un embargo apparaît Depuis lors, cet embargo a été prorogé Cette dernière implique une suppres- comme une dimension supplémentaire régulièrement au gré notamment du sion des frontières économiques et la de cette stratégie et ne peut de ce point renouvellement des sanctions écono- formation d’un espace économique de vue en être dissociée. miques infligées par l’UE. Au-delà des commun, lequel est depuis porteur pays ciblés dès le début, cet embargo a d’une sécurisation des approvisionne- 1.3. L’embargo russe : été étendu à l’Albanie, au Monténégro, ments alimentaires du fait de l’élévation ses raisons et ses modalités à l’Islande, au Liechtenstein le 13 août de l’interdépendance des trois pays, et d’application 2015, puis à l’Ukraine à compter du singulièrement de la Biélorussie et de 1er janvier 2016. Selon un décret publié la Russie, dont les échanges bilatéraux Le 18 mars 2014, à la suite d’un en 2017 à l’initiative du Président sont plus intenses qu’entre celle-ci référendum, le gouvernement russe Poutine, l’embargo a été prolongé et le Kazakhstan, notamment en pro- annonce que la République de Crimée jusqu’en décembre 2018. INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
88 / Vincent chatellier, Thierry pouch, Cécile le roy, Quentin MATHIEU La liste (2018) des produits agroali- lait et les produits laitiers ; les poissons, 2. Les échanges agro mentaires soumis à l’embargo est pré- crustacés et mollusques ; les légumes, alimentaires de la Russie cisée dans le tableau 2. Elle concerne : racines et tubercules alimentaires ; à l’épreuve de l’embargo la viande bovine ; la viande porcine ; les fruits et noix. Si plusieurs produits la viande de volailles ; certains abats ont été ajoutés ou retirés de cette liste et certaines graisses ; les saucisses et depuis 2014, ceux-ci portent sur des L’analyse de l’évolution des échanges produits similaires à base de viande ; le montants peu élevés. agroalimentaires de la Russie est Tableau 2. Liste des produits agricoles, alimentaires et de matières premières interdites à l’importation en Russie au 31 décembre 2017 (Source : Commission européenne – Agence Fédérale pour la sécurité de la chaine alimentaire – Newsflash 2017/29). Code douanier Nom des produits 0201 Viande de bovin fraîche et réfrigérée. 0202 Viande de bovin congelée. 0203 Viande de porc fraîche, réfrigérée et congelée. Abats comestibles des animaux des espèces bovine, porcine, ovine, caprine, chevaline, Dans 0206 asine ou mulassière, frais, réfrigérés ou congelés (à l’exception des marchandises destinées à la production pharmaceutique). 0207 Volaille et sous-produits, mentionnés sous le code 0105, frais, réfrigérés ou congelés. Graisses des animaux de l’espèce porcine séparées de la viande maigre et graisses de volailles, 0209 non fondues ni autrement extraites, fraîches, réfrigérées, congelées, salées ou en saumure, séchées ou fumées. Viande salée, marinée, sèche ou fumée. Abats d’animaux des espèces bovine et porcine. Dans 0210 Farines alimentaires de viande ou des produits de viande haché(e)(s) finement ou grossièrement. Poissons vivants, à l’exception des alevins de saumon (Salmo salar) et de truites (Salmo trutta, Dans 0301 Oncorhynchus mykiss). Poissons et crustacés, mollusques et autres invertébrés aquatiques (à l’exception 0302 à 0308 de semences d’huîtres et de semences de moules). Lait et produits laitiers (à l’exception du lait sans lactose et des produits laitiers sans lactose 0401 à 0406 pour la diététique thérapeutique et préventive). Légumes, racines comestibles et tubercules (à l’exception des plants de pommes de terre, 0701 à 0714 des semences d’oignon, des semences de maïs doux hybride pour la plantation, pois destinés à la plantation. 0801-0811, 0813 Fruits et noix. Graisses des animaux de l’espèce porcine (y compris saindoux et du lard) et graisses 1501 de volailles, autres que celles visées par le code 0209 ou 1503. Graisses des animaux des espèces bovine, ovine ou caprine, autres que celles visées 1502 par le code 1503. Stéarine solaire, huile de saindoux, oléostéarine, oléomargarine et huile de suif, 1503 non émulsionnées, ni mélangées ni autrement préparées. 1601 00 Saucisses et produits similaires, abats ou sang et produits alimentaires finis à base de ceux-ci. 1602 49 Préparations mélangées qui contiennent de la graisse de porc. 1602 90 Préparations de sang de tous animaux qui contiennent des abats ou de la graisse de porc. Aliments ou produits finis (à l’exception des compléments biologiquement actifs ; complexes Dans 1901 90 110 0 et 910 0 de vitamines et minéraux, les additifs aromatisants ; concentrés protéiniques (d’origine animale Dans 2106 90 920 0 et 980 4 et végétale) et leurs mélanges ; fibres alimentaires, les additifs alimentaires (y compris les plus Dans 2106 90 980 5 et 980 9 complexes. Denrées alimentaires préparées par des moyens de la technologie de production de fromage et contenant au moins 1,5 % en poids de matières grasses du lait. INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
Les réseaux commerciales agroalimentaires de la Russie avec l’Union européenne… / 89 conduite à partir de la base de don- pour atteindre 368 milliards d’euros. la balance commerciale de la Russie nées BACI développée par le Centre L’ouverture croissante des économies, (Shagaida, 2016 ; Gardner, 2017). Le d’Études Prospectives et d’Informa- la hausse du prix des ressources éner- solde agroalimentaire russe demeure tions Internationales (CEPII). Cet outil gétiques (pétrole, gaz, charbon) et la certes négatif en 2016 (– 4,8 milliards statistique sur le commerce utilise les demande européenne soutenue ont d’euros), mais à un niveau moindre informations primaires de la base de largement contribué à cette évolution. qu’en 2010-2013 (– 17,7 milliards d’eu- données COMTRADE mise en œuvre par La tendance s’est inversée depuis 2010- ros). Cette amélioration tient à une la division statistique des Nations Unies. 13, avec une chute de 30 % des expor- hausse des exportations (+ 4,9 milliards BACI est construite selon une procédure tations russes (à 259 milliards d’euros d’euros) et à une baisse des importa- originale qui concilie les déclarations de en 2016). La baisse du prix du pétrole, tions (– 8 milliards d’euros). En 2016, l’exportateur et celles de l’importateur. la dépréciation du rouble face au dollar la Russie est déficitaire en produits Cette procédure d’harmonisation per- américain et les sanctions internatio- agroalimentaires avec l’UE (– 3,6 mil- met d’étendre le nombre de pays pour nales qui pénalisent certains flux com- liards d’euros). Elle l’est aussi avec la lesquels des données commerciales sont merciaux bilatéraux sont les principaux Biélorussie, le Brésil, l’Équateur, l’Indo- disponibles, par rapport à l’ensemble de facteurs explicatifs de ce recul (Berg, nésie, le Paraguay, le Chili et l ’Argentine données originales (Gaulier et Zignago, 2016). Si les exportations de la Russie (tableau 3). Les principaux pays avec 2010). Les informations sur les échanges vers l’UE ont baissé de 30 % entre 2010- lesquels elle est excédentaire sont de l’UE et de ses États membres avec 13 et 2016, l’UE reste de loin le premier l’Égypte, la Turquie, le Kazakhstan, la la Russie ou d’autres pays sont issues, débouché de la Russie (46 % des expor- Corée du Sud et le Japon. quant à elles, de la base de données tations). En 2016, les exportations russes COMEXT qui permet d’accéder à une relèvent à 58 % d’hydrocarbures et de Les exportations agroalimentaires de désagrégation plus fine des produits produits pétroliers (Direction Générale la Russie s’élèvent, en 2016, à 16,9 mil- et de distinguer le commerce intra-UE du Trésor, 2017), 10 % de métaux et liards d’euros. Bien qu’il soit en hausse, du commerce extra-UE. Produite par les produits métalliques, 8 % de matériels ce montant reste nettement inférieur services d’Eurostat, cette dernière per- de transports et d’équipements indus- à celui des cinq leaders mondiaux à met de rendre compte des échanges triels, 7 % de produits chimiques et 6 % l’export que sont l’UE (133 milliards extra-UE, mais également de ceux entre de produits agroalimentaires. d’euros), les États-Unis (127 milliards les États membres de l’UE. d’euros), la Chine (63 milliards d’eu- Les importations de la Russie, qui ros), le Brésil (62 milliards d’euros) et le Les données sur le commerce sont était de 48 milliards d’euros en 2000-04, Canada (42 milliards d’euros). Les expor- renseignées ici pour la période 2000 à ont fortement progressé pour atteindre tations agroalimentaires russes sont 2016. Des regroupements de dates sont 218 milliards d’euros en 2010-13. Elles équivalentes à celles d’un pays comme parfois opérés pour éviter une démulti- ont ensuite baissé d’environ un quart le Danemark, dont la superficie totale plication trop importante des données pour s’établir à 165 milliards d’euros est quatre cent fois inférieure. En statistiques dans les tableaux. Ainsi, les en 2016, dont 13 % de produits agroa- 2016, l’UE est la première destination regroupements privilégiés conduisent limentaires. En dépit de l’embargo avec 12 % des exportations russes, à retenir trois périodes : la moyenne de appliqué à certains produits agroali- devant l’Égypte, la Turquie, la Chine, la période 2000 à 2004 ; la moyenne mentaires, l’UE reste le premier four- le Kazakhstan, la Corée du Sud, la de la période 2010 à 2013 (années nisseur de la Russie en 2016, avec 38 % Biélorussie et l’Ukraine. antérieures à l’embargo) ; l’année 2016 du total de ses importations (Verceuil, (dernière date disponible). Les valeurs 2017). La balance commerciale globale Les importations agroalimentaires de sont exprimées en euros courants. Pour de la Russie est largement positive la Russie s’élèvent, en 2016, à 21,7 mil- BACI, les valeurs étaient initialement (94 milliards d’euros en 2016, soit l’équi- liards d’euros. Ce montant est, là aussi, exprimées en US dollars, mais elles ont valent de 8 % du produit intérieur brut) nettement inférieur à celui des cinq été converties en euros selon le taux de malgré une forte baisse enregistrée leaders à l’import que ce sont l’UE change annuel retenu par les services depuis 2012 (– 68 milliards d’euros, dont (130 milliards d’euros), les États-Unis de l’Organisation de Coopération et de – 32 milliards d’euros avec l’UE). Elle est (128 milliards d’euros), la Chine (115 mil- Développement Économique (OCDE). également toujours positive avec l’UE liards d’euros, y compris Hong-Kong), le (+ 55 milliards d’euros en 2016). Japon (58 milliards d’euros) et le Canada 2.1. Une forte détérioration (31 milliards d’euros). Après avoir forte- du solde commercial 2.2. Une amélioration ment augmenté entre 2000-2004 et global de la Russie depuis du solde agroalimentaire 2010-2013 (+ 19,1 milliards d’euros), les 2013 et une place limitée de la Russie avec l’UE importations agroalimentaires russes de l’agroalimentaire en raison surtout de la baisse ont baissé de 27 % entre 2010-13 et dans les échanges totaux de ses importations 2016. Ce recul tient certes à l’applica- tion de l’embargo, mais il s’explique Les exportations totales de la Russie En se focalisant sur le secteur agro aussi par le développement de l’offre (tous secteurs d’activité confondus), ont alimentaire, la période récente a été agricole dans certains secteurs et la été triplées entre 2000-04 et 2010-13, caractérisée par une amélioration de perte de pouvoir d’achat des ménages INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
90 / Vincent chatellier, Thierry pouch, Cécile le roy, Quentin MATHIEU Tableau 3. Échanges agroalimentaires de la Russie avec ses principaux pays partenaires entre 2000 et 2016. Classement des pays par ordre croissant du solde 2016 (Millions d’euros courants par an) (Source : BACI (sauf pour l’UE : Comext)/ Traitement INRA, SMART-LERECO). Exportations Importations Solde 2000-04 2010-13 2016 2000-04 2010-13 2016 2000-04 2010-13 2016 UE-28 1 081 1 657 1 972 4 073 10 810 5 608 – 2 991 – 9 152 – 3 636 Biélorussie 415 535 755 606 2 609 3 302 – 191 – 2 074 – 2 547 Brésil 8 7 4 1 047 2 532 1 834 – 1 039 – 2 526 – 1 830 Équateur 0 4 2 192 557 715 – 192 – 552 – 713 Indonésie 1 25 26 75 459 675 – 74 – 434 – 650 Paraguay 0 0 1 8 445 594 –8 – 445 – 593 Chili 1 3 2 34 336 469 – 34 – 333 – 466 Argentine 0 0 1 184 504 431 – 184 – 504 – 430 Inde 3 57 111 164 314 464 – 160 – 257 – 353 Vietnam 2 22 65 67 213 284 – 65 – 191 – 220 Serbie 6 34 59 13 130 275 –7 – 96 – 216 Côte d’Ivoire 22 2 14 103 89 204 – 81 – 87 – 190 Israël 32 105 59 23 274 248 9 – 169 – 189 Malaisie 0 5 32 81 208 160 – 81 – 203 – 128 N. Zélande 0 2 2 38 130 129 – 38 – 129 – 126 Maroc 34 39 141 58 207 267 – 24 – 168 – 126 Suisse 5 22 38 20 126 151 – 15 – 105 – 113 États-Unis 210 211 266 761 1 197 362 – 551 – 986 – 97 Chine 122 818 1 522 317 1 216 1 531 – 194 – 399 – 10 Liban 20 91 213 3 4 6 17 87 207 Arabie Saoudite 65 273 226 0 8 0 65 265 225 Bangladesh 5 20 272 1 21 27 4 –1 245 Nigeria 7 26 266 4 17 13 3 8 253 Ukraine 196 516 509 771 1 479 117 – 575 – 963 393 Japon 504 533 637 11 31 21 492 502 616 Corée du Sud 146 617 964 88 137 91 58 481 874 Kazakhstan 230 996 1 137 197 160 245 33 836 892 Turquie 69 981 1 545 195 970 495 – 126 11 1 051 Égypte 85 1 521 1 773 19 222 245 66 1 298 1 528 Monde 3 676 11 995 16 906 10 664 29 735 21 728 – 6 988 – 17 741 – 4 822 INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
Les réseaux commerciales agroalimentaires de la Russie avec l’Union européenne… / 91 russes. En 2016, l’UE demeure le premier Russie occupe ainsi la vingt-quatrième près de deux depuis lors (5,6 milliards fournisseur agroalimentaire de la Russie, position des pays fournisseurs de d’euros en 2016). La Russie qui était le avec 26 % du total de ses importations. l’UE. Les cinq premiers États membres deuxième client de l’UE en 2011 occupe Elle devance ainsi la Biélorussie (15 %), concernés par ces importations sont les la cinquième position en 2016, avec le Brésil (8 %), la Chine (7 %), l’Équateur Pays-Bas, l’Allemagne, le Royaume-Uni, 4,1 % des exportations agroalimen- (3 %) et l’Indonésie (3 %). En représen- l’Italie et la Pologne (tableau 4). En 2016, taires européennes. Elle est devancée tant 4,2 % du total de ses exportations la Russie ne compte que pour 0,2 % des par les États-Unis (21,1 milliards d’eu- agroalimentaires en 2016 (contre 10,1 % importations agroalimentaires de la ros), la Chine (15,5 milliards d’euros), en 2010-2013), la Russie est devenue le France. Notons cependant que certains la Suisse (8,2 milliards d’euros) et le cinquième client de l’UE. produits russes importés par d’autres Japon (6 milliards d’euros). D’après États membres de l’UE sont suscep- nos calculs, la liste des produits ciblés Si l’UE est un partenaire commer- tibles d’être destinés in fine, après un par l’embargo concerne 43 % du total cial important pour la Russie dans le éventuel processus de transformation, des exportations agroalimentaires de domaine agroalimentaire, la réciproque au marché français. l’UE vers la Russie (en valeurs de 2010- n’est pas aussi évidente (Parlement euro- 2013). Les produits non concernés péen, 2016). Les importations de l’UE Les exportations de l’UE vers la Russie, sont notamment les boissons, vins et en provenance de la Russie atteignent qui sont passées de 4,1 milliards d’eu- spiritueux, les céréales et produits de 1,97 milliard d’euros, soit seulement ros en 2000-2004 à 10,8 milliards d’eu- la minoterie, les productions horticoles 1,5 % du total de ses importations. La ros en 2010-2013, ont été divisées par et le sucre. Entre 2010-2013 et 2016, les Tableau 4. Échanges des États membres de l’UE avec la Russie en produits agroalimentaires entre 2010-13 et 2016. Classement des pays par ordre croissant de la variation du solde (Millions d’euros courants par an) (Source : Comext/Traitement INRA, SMART-LERECO). Exportations Importations Solde commercial Sensibilité/ Embargo (*) 2016/ 2016/ 2016/ 2016/ 2016/ 2016 2016 2016 (%) 2010-13 2010-13 2010-13 2010-13 2010-13 (million €) (million €) (million €) (million €) (%) (million €) (%) (%) Allemagne 44 907 – 912 – 50 214 41 24 694 – 952 Pays-Bas 30 831 – 611 – 42 343 183 114 489 – 794 Lituanie 63 425 – 678 – 61 119 42 55 306 – 720 Pologne 59 384 – 595 – 61 139 69 99 246 – 664 Danemark 56 153 – 386 – 72 111 46 71 43 – 432 Espagne 52 242 – 423 – 64 117 – 53 – 31 125 – 370 France 35 346 – 338 – 49 96 – 13 – 12 250 – 325 Finlande 66 135 – 300 – 69 42 18 75 94 – 317 Belgique 50 318 – 220 – 41 132 43 48 186 – 264 Lettonie 9 392 – 120 – 23 82 15 22 310 – 135 Estonie 34 95 – 122 – 56 18 3 20 76 – 125 Irlande 52 68 – 100 – 60 16 10 167 52 – 110 Grèce 68 38 – 109 – 74 72 –2 –3 – 34 – 107 Roy-Uni 31 127 – 52 – 29 171 23 16 – 44 – 76 Autriche 37 150 – 62 – 29 5 –2 – 29 145 – 59 Italie 28 422 – 174 – 29 155 – 123 – 44 267 – 51 UE-28 43 5 608 – 5 202 – 48 1 972 314 19 3 636 – 5 516 (*) % des exportations de 2010-2013 (en valeur) concernées par l’embargo. INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
92 / Vincent chatellier, Thierry pouch, Cécile le roy, Quentin MATHIEU xportations agroalimentaires euro- e l’Équateur (161 millions d’euros), le au niveau des exportations (76 % des péennes ont chuté de 49 %, soit une Paraguay (+ 148 millions d’euros) et le exportations agroalimentaires, surtout baisse plus importante que le « taux de Chili (+ 133 millions d’euros). Ces pays des céréales) que des importations sensibilité à l’embargo » estimé précé- ont été favorisés par l’embargo dans (70 %, surtout des fruits). La balance demment (43 %). Ceci rappelle que la la mesure où ils sont parfois devenus commerciale de la Russie en produc- baisse des exportations tient certes à exportateurs de produits initialement tions végétales demeure négative en la mise en œuvre de l’embargo (« effet fournis au marché russe par les pays 2016 (– 2,5 milliards d’euros), malgré propre »), mais également à d’autres affectés par l’embargo. D’après nos une forte amélioration de la situation considérations que certains écono- estimations, il semble que l’améliora- (+ 6,9 milliards d’euros depuis 2010- mistes ont cherché à isoler (Cheptea et tion de la performance commerciale 2013). Le développement des surfaces Gaigné, 2018). Les produits agroalimen- de ces pays avec la Russie ne résulte et l’amélioration des rendements favo- taires européens non concernés par pas ou alors très peu d’un « effet de risent depuis plusieurs années l’essor l’embargo ont, en effet, enregistré une contournement de l’embargo » (achat de la production céréalière qui avoisine baisse de leurs exportations de 17 % accentué par ces pays de produits issus en 2017 son record historique (127 mil- entre 2010-13 et 2016 (et – 25 % dans des pays frappés par l’embargo pour les lions de tonnes en 1978). Les exporta- le cas des boissons, vins et spiritueux). revendre ensuite, avec plus ou moins de tions russes de céréales (surtout de blé) transformation, à la Russie). Les autori- et de produits de la minoterie, destinées Tous les États membres de l’UE ont tés russes ont œuvré dans ce sens car en premier lieu à l’Égypte, la Turquie, subi une baisse de leurs exportations elles redoutaient que des produits ali- l’Iran et le Bangladesh, ont fortement entre 2010-2013 et 2016. Les baisses mentaires issus des pays concernés par progressé pour atteindre 6,4 milliards les plus fortes ont été observées l’embargo arrivent sur le marché russe d’euros, soit 38 % des exportations en Allemagne (– 912 millions d’eu- via d’autres pays tels que la Suisse, la agroalimentaires. La Russie reste défi- ros ; Fedoseeva, 2016), en Lituanie Biélorussie ou le Kazakhstan (ces deux citaire pour la plupart des productions (– 678 millions d’euros) et aux Pays-Bas pays étant liés à la Russie par une Union végétales telles les fruits comestibles (– 611 millions d’euros). Dans une large douanière depuis janvier 2010). Ainsi, (– 2,8 milliards d’euros en 2016), les majorité de pays européens, le recul des un communiqué du Ministère de l’agri- boissons, vins et alcools (– 1,1 milliard exportations entre 2010-13 et 2016 a culture russe a précisé que les produits d’euros), les légumes (– 866 millions été plus important en pourcentage indûment présents sur le marché russe d’euros), les préparations à base de que leur « taux de sensibilité ». C’est le ne seraient plus renvoyés mais tout fruits et légumes (– 791 millions d’eu- cas en France où il a été de 49 % alors simplement détruits. ros), les produits horticoles (– 472 mil- que 35 % des valeurs exportées étaient lions d’euros) et le sucre (– 355 millions concernées par l’embargo. Pour les pro- 2.3. La Russie améliore d’euros). duits non concernés par l’embargo, les ses performances à l’export exportations françaises vers la Russie en céréales mais reste Dans le secteur des poissons, la Russie ont baissé de 30 %, avec un recul de largement déficitaire est excédentaire en 2016 (+ 1,8 milliard moitié pour les boissons, vins et alcools en productions animales d’euros). Les exportations russes de (Crozet et Hinz, 2016). poissons, qui ont augmenté de 810 mil- Une déclinaison de l’évolution du lions d’euros entre 2010-2013 et 2016, Entre 2010-13 et 2016, le recul du commerce extérieur agroalimentaire de sont destinées principalement à la solde agroalimentaire de l’UE avec la la Russie en fonction de différents types Chine, la Corée du Sud, l’UE et le Japon. Russie (– 5,5 milliards d’euros) a été de produits apporte des éléments com- Les importations en poissons, qui ont nettement plus important que celui plémentaires à la compréhension de la baissé de 475 millions d’euros au cours observé dans tous les autres pays dynamique de l’agriculture russe et des de la même période, proviennent sur- concernés par l’embargo (Smutka implications de l’embargo (tableau 5). tout du Chili, de l’UE, de la Chine et de et al., 2016), dont l’Ukraine (– 1,3 mil- Les échanges agroalimentaires de la la Biélorussie. liard d’euros), les États-Unis (– 889 mil- Russie sont répartis en trois grandes lions d’euros), le Canada (– 342 millions rubriques, à savoir les productions Historiquement, les productions d’euros) et l’Australie (– 181 millions végétales au sens large (y compris les animales pèsent très faiblement dans d’euros). De nombreux autres pays ont boissons, vins et alcools, les fruits et les exportations agroalimentaires enregistré une détérioration de leur légumes, les produits horticoles et de la Russie. En 2016, elles s’élèvent balance agroalimentaire avec la Russie, les produits exotiques), les produc- à 692 millions d’euros, soit 4,1 % du y compris le Brésil (– 698 millions d’eu- tions animales au sens large (animaux total. Regroupant surtout des pro- ros depuis 2010-2013) dont les per- vivants, viandes et produits issus des duits laitiers, de la viande porcine et formances en viande porcine se sont animaux dont le lait, les œufs…) et le de la viande de volailles, elles sont pourtant améliorées (+ 129 millions secteur des poissons. destinées au Kazakhstan (30 %), à d’euros). À l’autre extrême, les cinq pays l’Ukraine (16 %), à la Chine (14 %), à qui ont le plus amélioré leur situation En 2016, les productions végétales la Biélorussie (12 %) et à l’Azerbaïdjan sont la Biélorussie (+ 473 millions d’eu- occupent une place centrale dans le (4 %). Les importations de l’UE en pro- ros), l’Indonésie (+ 216 millions d’euros), commerce agroalimentaire russe, tant ductions animales en provenance de la INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
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