Les relations commerciales agroalimentaires de la Russie avec l'Union européenne, l'embargo russe et les productions animales

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Les relations commerciales           INRA Prod. Anim.,
                                     2018, 31 (2), 83-103

  agroalimentaires de la Russie avec
  l’Union européenne, l’embargo russe
  et les productions animales
Vincent CHATELLIER1, Thierry POUCH2,3, Cécile LE ROY1, Quentin MATHIEU3
1
  UMR SMART-LERECO, INRA, 44300, Nantes, France
2
  Laboratoire REGARDS, Université de Reims Champagne Ardenne, 51100, Reims, France
3
  Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture (APCA), 75008, Paris, France
Courriel : vincent.chatellier@inra.fr

„„ L’embargo appliqué par la Russie depuis 2014 a modifié soudainement certains courants d’échanges
internationaux dans le domaine des productions animales. Bien que l’Union Européenne (UE) ait été temporai­
rement affectée par cette décision politique, elle est parvenue à augmenter ses exportations dans plusieurs
filières (lait, porcs et volailles), grâce surtout à la hausse des importations asiatiques.

Introduction                                               la Russie dissimulée derrière l’embargo.     russe. Cet article est structuré autour
                                                           Dans la mesure où il bloque l’entrée des     des trois parties suivantes :
                                                           marchandises agroalimentaires sur le
   La mondialisation des économies a                       marché intérieur russe, cet embargo             i) la première rappelle, tout d’abord,
atteint ces dernières années un degré                      peut-il être appréhendé comme l’un           l’évolution des productions agricoles
élevé de conflictualité (Pouch, 2015).                     des leviers possibles du redressement        russes depuis le début des années
Outre une exacerbation de la concur-                       agricole du pays ? La littérature écono-     2000 et souligne en quoi cette dyna-
rence entre les nations pour capter des                    mique a souvent tenté de mesurer les         mique productive a été influencée
parts de marché, confirmant ainsi l’heu-                   impacts d’une mesure de protection           par une politique agricole active. Elle
ristique du concept de géoéconomie,                        commerciale de type embargo, tant            traite ensuite du contexte dans lequel
cette conflictualité passe aussi par la géo-               pour les pays qui en sont les cibles que     évoluent les échanges commerciaux
politique (Lorot, 2009). À la faveur de la                 pour ceux qui le mettent en œuvre.           de produits agroalimentaires de la
crise ukrainienne de 2014, les puissances                  Cet article entend aussi procéder à          Russie, depuis que celle-ci est devenue
occidentales ont infligé des sanctions                     une évaluation des conséquences de           membre à part entière de l’Organisation
économiques et financières à la Russie,                    l’embargo russe sur les exportations de      Mondiale du Commerce (OMC) en 2012
dont les a­ mbitions géopolitiques ont été                 produits agricoles et alimentaires (avec     (Vercueil, 2003). Elle indique enfin les
jugées trop menaçantes pour l’intégrité                    un ciblage sur les produits animaux) des     principaux facteurs ayant provoqué la
territoriale de l’Ukraine. La réaction du                  économies touchées par la décision           décision d’appliquer un embargo et
chef d’État russe, Vladimir Poutine, fut                   de la Russie, mais également sur les         apporte des précisions sur le périmètre
immédiate. Il décréta en août 2014 un                      pays épargnés par l’embargo, lesquels        de celui-ci (dont la liste des produits
embargo sur les importations de pro-                       ont pu se substituer aux exportateurs        affectés) ;
duits agricoles et alimentaires en pro-                    traditionnels. Y en a-t-il parmi ces der-
venance de l’Union européenne, des                         niers qui auraient profité de la perte de      ii) la deuxième partie s’appuie sur une
États-Unis, du Canada, de l’Australie et                   débouchés enregistrée par l’UE pour          valorisation des données statistiques
de la Norvège (FAO, 2014).                                 capter la demande intérieure russe ? Un      issues des douanes, avec la base de
                                                           focus sera établi sur l’UE à 28 et sur les   données BACI pour les échanges de la
  Dans ce contexte, cet article suggère                    États membres les plus concernés par         Russie et la base de données COMEXT
de s’interroger sur l’ambition réelle de                   cette fermeture du marché intérieur          pour les échanges de l’UE et de ses

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2018.31.2.2317                                             INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
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États membres. Elle analyse l’évolution      soviétique jusqu’à la chute du mur de          La crise financière de 1998 provoqua
des échanges commerciaux globaux             Berlin et la mise en place des premières    un ralentissement de ces importations,
et agroalimentaires de la Russie tout        réformes agraires dans les années           la fuite des capitaux et la dévaluation du
au long de la période 2000 à 2016,           quatre-vingt-dix laissa en chantier un      rouble ayant eu pour conséquence de
de façon à positionner les évolutions        espace rural russe déstructuré, mais        renchérir leur coût. Toutefois, cette crise
récentes dans un cadre plus large. Tout      avec de fortes potentialités (Cordonnier    eut le mérite de relancer l’intérêt des
en insistant sur l’évolution des clients     et Hervé, 2003). Les performances de        acteurs privés et des pouvoirs publics
et fournisseurs de la Russie dans le         la planification économique de l’agri-      dans un secteur agricole qui avait par-
domaine agroalimentaire, cette partie        culture russe étaient centrées autour       ticulièrement souffert de l’échec du
rappelle que les évolutions commer-          des complexes tels que les kolkhozes        virage libéral, ce dans un contexte où
ciales récentes tiennent certes à l’appli-   et les sovkhozes, détenus en totalité       le secteur agricole était devenu un des
cation de l’embargo, mais également à        par l’État russe. L’effondrement du bloc    secteurs les plus rentables de l’écono-
d’autres facteurs économiques imbri-         soviétique et la libéralisation de l’éco-   mie russe. Il en a résulté des investisse-
qués tels que la baisse du prix de vente     nomie amenèrent les autorités poli-         ments accentués des oligarques russes
des produits pétroliers, la chute de la      tiques russes à entamer une vague de        dans des complexes agro-industriels
valeur du rouble ou la perte de pouvoir      réformes agraires afin d’intégrer l’agri-   afin de diversifier leur portefeuille d’ac-
d’achat des ménages russes ;                 culture dans l’économie de marché. La       tivité. Cela s’est traduit aussi par une
                                             première réforme mise en œuvre par          réorientation stratégique du secteur
  iii) la troisième partie propose une       Boris Eltsine en 1991 fut un premier pas    agroalimentaire et de la grande distri-
analyse ciblée sur l’évolution des           dans ce sens, consistant à redistribuer     bution qui actèrent que la dépendance
échanges commerciaux de la Russie            des terres agricoles auprès des collec-     aux importations alimentaires fragilisait
en animaux et produits d’animaux. Elle       tifs d’anciens employés des kolkhozes       considérablement leur activité (Grouiez,
distingue successivement le secteur du       afin de développer la propriété privée      2012a). Ainsi, l’apport de capitaux en
lait et des produits laitiers, le secteur    (Lezean, 2011).                             amont dans les structures héritées des
bovin, le secteur avicole et le secteur                                                  kolkhozes, et la volonté de consolider
porcin. Une attention particulière est          Cette réforme fut un échec cuisant.      les approvisionnements par le maillon
portée, d’une part, à l’évolution des flux   En effet, elle n’avait ni prévu de redé-    aval de la filière contribua à la forma-
commerciaux entre la Russie et l’UE et,      coupage cadastral des anciennes pro-        tion de chaînes de valeur verticalement
d’autre part, à la montée en puissance       priétés collectives, ni la possibilité de   ­intégrées (Cordonnier, 2003).
d’autres pays fournisseurs du marché         détacher les terrains de l’ancienne pro-
russe.                                       priété collective. Par conséquent, les         En ce qui concerne les initiatives des
                                             détenteurs de titres de propriété sur ces   pouvoirs publics, une nouvelle législa-
                                             exploitations ne savaient pas quelles       tion sur la vente des terres fut promul-
1. L’agriculture russe                       parcelles leur étaient attribuées. Ainsi,   guée dès 2001 afin de mieux encadrer
et la mise en œuvre                          les propriétaires délaissèrent l’activité   les transactions foncières, notamment
de l’embargo                                 agricole sur la propriété, de taille sou-   par la redéfinition des limites cadas-
                                             vent trop imposante et avec un maté-        trales et l’officialisation de l’acte de pro-
                                             riel agricole vétuste. Un phénomène         priété (Rylko et al., 2015). Cette nouvelle
   Après un rappel synthétique des           amplifié par la forte compétitivité de      orientation du modèle agricole russe,
évolutions de l’agriculture russe et des     l’agriculture européenne, et dont les       marquée par un quadruplement des
politiques agricoles mises en œuvre,         excédents constituaient un motif pour       investissements russes dans l’agricul-
cette première partie discute du posi-       les décideurs politiques russes d’ouvrir    ture entre 2000 et 2005 (Anfinogentova,
tionnement de la Russie dans les rela-       leurs frontières dans le but de profi-      2006), se concrétisa lors du premier
tions commerciales internationales           ter d’une alimentation à bas coûts au       mandat de Vladimir Poutine, où l’agri-
propres au secteur agroalimentaire           regard du déficit de compétitivité de       culture fut déclarée « priorité natio-
(dont l’adhésion récente à l’OMC), puis      l‘agriculture russe. La conjonction de      nale » en 2005, suivie de l’adoption
elle revient sur les raisons de l’embargo    ces effets fut dévastatrice pour l’agri-    d’une loi sur le développement agricole
et ses modalités d’application.              culture russe qui connut une chute          en 2006, puis d’un programme d’État
                                             drastique de sa production agricole         de 2008 à 2012. L’ambition de ce der-
„„1.1. L’agriculture russe,                  nationale entre 1990 et 2000. Cette         nier programme, un plan d’investisse-
les productions animales                     chute était d’autant plus marquée pour      ment quinquennal doté de 26 milliards
et les grandes étapes                        les produits animaux comme la viande,       de dollars, fut de lancer une véritable
de la politique agricole                     dont la production nationale diminua        dynamique territoriale dans les espaces
                                             de 55 % sur cette période, entraînant       ruraux en incitant d’une part le secteur
  Le développement agricole russe est        par ailleurs un fort accroissement des      privé à engager des capitaux dans
intimement lié à son histoire politique      importations, dont le point culminant       le développement d’agro-holdings,
et économique de la seconde moitié           fut atteint en 1997 avec 3 millions de      d’autre part en poussant les adminis-
du xxe siècle jusqu’à aujourd’hui. La        tonnes de viandes importées contre          trations publiques locales à accom-
collectivisation des terres durant l’ère     moins d’un million en 1992.                 pagner ces investissements par des

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partenariats avec ces entreprises. Ainsi,     animales (Ambassade de France en                          conduit à limiter l’offre de produits ali-
les localités fournissent des subventions     Russie, 2016). Les deux programmes                        mentaires importés dans les circuits de
et un accès privilégié au foncier à ces       d’État suivants (2008-2012 et 2013-                       distribution, plus compétitifs et moins
agro-holdings ; de leur côté ces der-         2020) marquèrent le réel décollage                        coûteux en général que les produits
nières prennent en charge, par exemple,       des productions animales russes. Ces                      nationaux. Ainsi, l’envolée du coût de
le financement de biens et de services        mesures se révélèrent surtout effi-                       l’alimentation pour les ménages russes
collectifs (réseaux de routes et d’électri-   caces pour les productions à cycle                        a conduit ces derniers à réduire leurs
cité, construction de logement) dans les      court, telles que la volaille et le porc,                 achats en volume (c’est un effet de
territoires où elles s’installent (Grouiez,   dont les productions furent respecti-                     revenu négatif ), et à substituer une
2011). Le second programme, étalé             vement multipliées par quatre et par                      part de leurs achats vers des produits
sur la période 2013-2020, prévoit un          deux entre 2004 et 2016 (figure 1).                       moins coûteux, souvent aux dépens
doublement de cette enveloppe bud-                                                                      des protéines animales (c’est l’effet de
gétaire (plus de 52 milliards de dollars)       Cette politique a été couronnée de                      substitution).
afin d’accentuer cette orientation et de      succès. Le taux d’autosuffisance en pro-
recentrer les investissements sur des         duits carnés est en effet passé, selon les                   Par ailleurs, ces plans d’investis-
productions stratégiques, comme celles        statistiques russes (Rosstat), de 64 % en                 sement successifs n’ont pas permis
du secteur animal. Ces programmes             2004 à 88 % en 2015. Il convient cepen-                   d’enrayer la baisse structurelle de la
visent aussi, d’une certaine manière, à       dant de relativiser ces chiffres. Les sanc-               production de viande bovine et de
stopper la désertion du milieu rural qui      tions internationales infligées par les                   produits laitiers. Le manque de moyens
s’est beaucoup accentuée pendant les          pays occidentaux en réponse au conflit                    et de connaissances technico-écono-
années quatre-vingt-dix (forte migra-         en Ukraine, suivies de l’embargo com-                     miques, de même que les retours sur
tion vers les plus grosses villes, dispari-   mercial russe à partir du 7 août 2014 sur                 investissements plus longs pour ce
tion de villages dans les zones les moins     les produits alimentaires ont provoqué                    type d’exploitations ont découragé des
peuplées).                                    un double effet inflationniste sur l’éco-                 potentiels investisseurs à engager des
                                              nomie russe. D’une part, les sanctions                    capitaux sur ces productions. Les chep-
   En effet, le secteur des productions       ont poussé les investisseurs à sortir leurs               tels de races à viande et de races lai-
animales russes a suivi une trajectoire       capitaux du territoire russe, entraînant                  tières ont ainsi continué à s’éroder entre
plus contrastée, les investissements          alors une dépréciation du rouble et un                    2004 et 2015. Si le niveau de consom-
consentis ayant bénéficié dans un pre-        renchérissement des importations, d’où                    mation de viande bovine est désormais
mier temps à des agro-holdings spécia-        une montée de l’inflation dans le pays.                   relativement modeste en Russie (il est
lisées en grandes cultures, puisque le        D’autre part, l’embargo alimentaire a                     passé de 18 à 12 kg par habitant et par
retour sur investissement dans ce type
de production s’avère plus rapide et ren-
                                              Figure 1. Production de viandes en Russie (milliers de tonnes) (Source Rosstat).
table pour les détenteurs de capitaux.
La chute de la production de viande                           11 000
fut la conséquence d’une décapitali-
sation accélérée des cheptels avec les                        10 000
réformes agraires du nouveau régime
                                                                   9 000
(Liefert et Liefert, 2012). En 1990, la
taille du cheptel national par principaux                          8 000
types d’animaux était de 59 millions de
                                              Milliers de tonnes

têtes en bovins, 40 millions en porcins                            7 000
et 654 millions en volailles. En 2001,
ces chiffres étaient respectivement de                             6 000
27,5 millions de têtes pour les bovins,
                                                                   5 000
15,8 millions pour les porcins et 341 mil-
lions pour les volailles (Suhara, 2017). Ce                        4 000
n’est qu’à partir de 2003 que des pre-
mières véritables mesures de soutien                               3 000
aux productions animales furent mise
en œuvre.                                                          2 000

                                                                   1 000
  Entre 2003 et 2006, une régle-
mentation sur les importations de                                     0
viande est promulguée, de même
                                                                      20 3
                                                                      20 4
                                                                      20 5
                                                                         06
                                                                         07
                                                                         08
                                                                         09
                                                                         10
                                                                         11
                                                                         12

                                                                      20 3
                                                                      20 4
                                                                         15

                                                                      20 6
                                                                         17
                                                                      19 0
                                                                         91
                                                                         92
                                                                         93
                                                                         94
                                                                         95

                                                                      19 6
                                                                      19 7
                                                                         98
                                                                         99
                                                                         00
                                                                         01
                                                                         02
                                                                         0
                                                                         0
                                                                         0

                                                                         1
                                                                         1

                                                                         1
                                                                         9

                                                                         9
                                                                         9

                                                                      20

                                                                      20
                                                                      20
                                                                      20
                                                                      20
                                                                      20
                                                                      20
                                                                      20

                                                                      20
                                                                      19

                                                                      19
                                                                      19
                                                                      19
                                                                      19
                                                                      19

                                                                      19
                                                                      20
                                                                      20
                                                                      20

qu’un plan d’aide à l’investissement
avec des subventions sur les taux                                          Viande ovine et caprine   Viande bovine
d’intérêt pour les exploitants sou-
haitant développer les productions                                         Viande porcine            Viande de volailles

                                                                                                         INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
86 / Vincent chatellier, Thierry pouch, Cécile le roy, Quentin MATHIEU

an sur la période), il en va différem-      son marché avec la mise en place de             contradictoire propre à l’agriculture
ment de la consommation de produits         contingents d’importations.                     russe. Celle-ci est partagée entre, d’une
laitiers qui est importante, 242 kg par                                                     part, de grandes exploitations pilotées
habitant et par an en moyenne 2004-            L’adhésion à l’OMC est le fruit d’une        par des investisseurs nationaux ou
2015 (estimations réalisées à partir des    longue période de négociation, s’éta-           étrangers et dont la stratégie est de se
données de Rosstat) quand la moyenne        lant sur treize années. Deux raisons ont        positionner sur les marchés mondiaux
mondiale atteint 112 kg en 2016. La         conduit la Russie à envisager de deve-          afin d’obtenir un retour rapide sur inves-
stagnation, voire la légère baisse de la    nir membre à part entière de l’OMC. La          tissement, et, d’autre part, des petites
production laitière nationale, a conso-     première est la reconnaissance en 2002          et moyennes exploitations, orientées
lidé la position d’importateur net de la    de son statut d’économie de marché par          vers la production laitière ou maraî-
Russie, jusqu’à ce qu’elle représente un    l’UE et les États-Unis. La seconde est son      chère, qui sont potentiellement mena-
des principaux clients de l’UE, en par-     intégration la même année dans le G20,          cées par les grands pays exportateurs
ticulier pour le beurre et les fromages     puis dans le G8. Il était du coup incon-        membres de l’OMC.
jusqu’à l’embargo de 2014.                  cevable qu’une puissance économique
                                            émergente, intégrée à ce club fermé                Finalement, la Fédération de Russie
   Cette montée en puissance contras-       des principales économies du monde,             est devenue le 156e membre de l’OMC
tée de l’agriculture russe, encore en       ne soit pas membre de l’OMC. Comment            le 16 décembre 2011, son adhésion
phase d’émergence sur certaines pro-        expliquer toutefois que le processus            effective ayant pris effet le 22 août
ductions animales, est à mettre en          d’adhésion à l’OMC ait été aussi long ?         2012 (FranceAgriMer, 2013). Ce faisant,
parallèle avec l’intégration de la Russie   Au moins deux facteurs sont à l’origine         la Russie a donc consolidé ses (11 557)
à l’OMC. En effet, les différentes étapes   du retard. La crise de 1998 d’abord,            lignes tarifaires, s’engageant à réduire
de la politique agricole russe se sont      et ensuite une instabilité politico-­           les tarifs douaniers de manière pro-
inscrites dans un cadre stratégique en      institutionnelle jusqu’au début 2000. La        gressive sur une période s’étalant de
relation avec le processus d’adhésion       question du niveau des pics tarifaires a        1 à 8 ans pour 7 028 d’entre elles, et à
du pays à l’OMC, et dans l’objectif des     constitué une autre source de blocage.          rendre son marché intérieur plus acces-
autorités russes d’accéder au principal     On sait en effet que l’un des objectifs fon-    sible aux principaux pays exportateurs
circuit du commerce international sans      damentaux de l’institution de Genève            de marchandises (tableau 1). Le droit de
avoir à sacrifier son secteur agricole.     est d’amener chaque pays membre à               douane moyen pour les produits agri-
L’articulation de la Fédération autour      démanteler, au moins partiellement, ses         coles, qui était estimé en 2016 à 14,6 %,
de l’Union douanière de l’Union eura-       tarifs douaniers appliqués aux importa-         soit au-dessus de la moyenne globale
siatique en fut la principale clef de       tions de marchandises. Moscou avait             – qui elle est passée de 11 à 8,3 % entre
voûte (Grouiez, 2012b ; Marchand,           quelques réticences à s’engager dans            2012 et 2015 – doit donc diminuer de
2014).                                      un tel processus. En effet, certains sec-       plusieurs points d’ici à 2020 (10,8 %
                                            teurs industriels étaient encore fragiles       en 2018). Trois secteurs fonctionnent
„„1.2. La Russie                            pour affronter une concurrence que              avec des taux moyens encore parfois
et les relations commerciales               l’ouverture du marché intérieur allait          largement au-dessus de la moyenne
internationales dans                        occasionner. De plus, l’abaissement de          des droits : les animaux vivants et pro-
le secteur agroalimentaire                  l’arsenal douanier entraînait des pertes        duits d’origine animale (plus de 30 % en
                                            de recettes fiscales (l’application d’un        2016), les produits laitiers (17 %, l’enga-
  L’économie russe est une terre de         droit de douane est certes un coût pour         gement étant de les ramener à 14,9 %),
grands contrastes. Si elle est une puis-    le consommateur, mais une recette pour          le sucre et les sucreries (24 %), ainsi
sance énergétique de premier plan, elle     l’État qui l’applique).                         que les boissons et liquides alcooliques
n’est pas une grande puissance expor-                                                       (11 %). Quant aux céréales, le droit de
tatrice de produits agricoles et alimen-       Par ailleurs, il y eut une forte réticence   douane moyen, de l’ordre de 11 % en
taires, bien que sa montée en puissance     du secteur agroalimentaire à voir la            2016, doit encore être abaissé à 10 %.
en céréales soit un fait incontestable.     Russie devenir membre de l’OMC, au              Les produits oléagineux (y compris
Sur la période 2012-2015, les produits      moment même où celui-ci traversait              les graisses et les huiles), dont le droit
agroalimentaires pèsent pour environ        une phase difficile. Ce secteur a en            moyen était encore de 9 % en 2012,
11 % des exportations totales et 25 %       effet connu une succession d’aléas cli-         apparaissent comme le secteur où
des importations totales du pays. La        matiques entre 2006 et 2010, préjudi-           l’objectif affiché d’atteindre un taux de
hausse des importations s’inscrit dans      ciables aux productions agricoles, les          7,1 % a été réalisé en 2016 (OMC, 2016).
une tendance structurelle depuis la         céréales étant chaque fois en première
chute du régime communiste. Elle s’est      ligne. Afin d’éviter de trop recourir aux          Devenant membre à part entière
accentuée avec l’adhésion de la Russie      importations, lesquelles auraient été           de l’OMC, la Russie a également dû se
à l’OMC, le 22 août 2012, puisque la        facilitées par un abaissement des tarifs        conformer aux règlements internatio-
Russie s’était engagée à réduire ses        douaniers, l’État russe instaura une taxe       naux en matière de soutiens internes,
tarifs douaniers pour faciliter la péné-    à l’exportation durant l’été 2010. Le           calculés selon le principe de la Mesure
tration de son marché intérieur. Avant      retard pris dans le processus d   ­ ’adhésion   Globale de Soutien (MGS), qui contient
son adhésion, la Russie protégeait bien     à l’OMC tient aussi à la dimension              à la fois les dispositifs de soutien de mar-

INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
Les réseaux commerciales agroalimentaires de la Russie avec l’Union européenne… / 87

Tableau 1. Structure des droits de la nation la plus favorisée (NPF) en Russie 2012-     et la ville de Sébastopol, ancienne-
2016 (en %) (Source : Organisation Mondiale du Commerce).                                ment ukrainiennes, deviennent deux
                                                                                         nouveaux « sujets de la fédération
                                                                           Droit         de Russie ». Moscou évoque alors
                                                    Droits NPF
                                                                         consolidé       un « retour » de la région offerte à
                                                    appliqués
                                                                           final
                                                                                         la République soviétique socialiste
                                                                                         d’Ukraine par Nikita Khrouchtchev en
                                                2012          2016          2016
                                                                                         1954. Dès lors, et face à ce qu’ils quali-
Moyenne simple des droits                         11,0            8,3          8,4
                                                                                         fient « d’annexion illégale », les vingt-
                                                                                         huit États membres de l’UE décident
Produits agricoles                                17,6           14,6         13,6       à l’unanimité de mettre en œuvre
                                                                                         une série de sanctions économiques
Produits non agricoles                             9,1            6,5          7,1       à l’encontre de la Russie. D’après le
                                                                                         règlement n° 833/2014 du Conseil, les
Agriculture, chasse, sylviculture et pêche         8,5            6,2          6,3       sanctions européennes appliquées
                                                                                         alors ont pour finalité « d’accroître le
Activités extractives                              4,6            4,3          5,1       coût des actions de la Russie visant à
                                                                                         compromettre l’intégrité territoriale,
Activités de fabrication                          11,3            8,5          8,6       la souveraineté et l’indépendance de
                                                                                         l’Ukraine et de promouvoir un règle-
Nombre de lignes total                          11 123       11 561        11 557        ment pacifique de la crise ». Les sanc-
                                                                                         tions appliquées, dont l’efficacité peut
                                                                                         être discutée (Nivet, 2015), concernent
ché et les outils de politique publique       duits laitiers, en sucre et en produits    trois secteurs stratégiques : l’industrie
axés sur le développement de l’agricul-       du machinisme agricole (Mazol, 2012 ;      de la défense (interdiction d’exporter
ture. Cette MGS a été évaluée en 2012        Vercueil, 2014b). Une extension de cette    des armements et de la technologie) ;
à 9 milliards de dollars, et, du fait de     Union douanière a été réalisée avec         l’industrie pétrolière (interdiction d’ex-
l’adhésion à l’OMC, devrait être divisée     l’Arménie et le Kirghizstan en 2015. Un     porter vers la Russie des technologies
par deux, pour s’établir à 4,4 milliards     accord de libre-échange existe avec         pouvant servir à l’exploration et à la
en 2018, soit cinq ans après l’entrée de     le Vietnam depuis 2015, mais ce pays        production de pétrole) ; le secteur
la Fédération de Russie dans l’OMC, au       n’est pas membre de l’Union doua-           bancaire russe (interdictions portant
titre des engagements pris par Moscou.       nière. D’autres pays ont manifesté leur     sur le financement et l’emprunt d’en-
                                             ­intérêt pour en devenir membre dont        treprises de ce secteur). D’autres pays
   L’abaissement des tarifs douaniers         le Tadjikistan, la Mongolie, la Tunisie    de l’Organisation de Coopération et de
expose par conséquent davantage les           et la Syrie.                               Développement Economique (OCDE)
productions agricoles russes à la concur-                                                ont pris des mesures similaires, au pre-
rence internationale. Ces tarifs avaient       Cette évolution met bien évidem-          mier rang desquels les États-Unis et le
jusque-là pour finalité de leur appor-       ment Moscou en porte à faux vis-à-vis       Canada.
ter une dose de protection, laquelle         de ses partenaires de l’OMC. En adhé-
pouvait entrer en cohérence avec les         rant à l’OMC, la Russie a accepté le pro-     À peine un mois après l’instauration
intentions de la Russie en matière de        cessus de libéralisation des échanges       de ces sanctions par l’UE, soit le 7 août
redressement des volumes produits.           de produits agricoles et alimentaires,      2014, Moscou a décrété un embargo sur
Pour contenir les importations russes        mais la formation de l’Union douanière      les importations de produits agricoles
de produits agricoles et alimentaires, et    Eurasienne semble faire contrepoids.        et alimentaires en provenance de l’UE,
préserver ainsi sa sécurité alimentaire,     Moscou se distingue de ce fait comme        des États-Unis, du Canada, de l’Aus-
la Russie s’est impliquée dès 2010 dans      un pays décidé à sécuriser ses appro-       tralie et de la Norvège (Commission
une Union douanière (Vercueil, 2014a)        visionnements alimentaires. La déci-        européenne, 2014 ; Pouch, 2014).
avec la Biélorussie et le Kazakhstan.        sion d’instaurer un embargo apparaît        Depuis lors, cet embargo a été prorogé
Cette dernière implique une suppres-         comme une dimension supplémentaire          régulièrement au gré notamment du
sion des frontières économiques et la        de cette stratégie et ne peut de ce point   renouvellement des sanctions écono-
formation d’un espace économique             de vue en être dissociée.                   miques infligées par l’UE. Au-delà des
commun, lequel est depuis porteur                                                        pays ciblés dès le début, cet embargo a
d’une sécurisation des approvisionne-        „„1.3. L’embargo russe :                    été étendu à l’Albanie, au Monténégro,
ments alimentaires du fait de l’élévation    ses raisons et ses modalités                à l’Islande, au Liechtenstein le 13 août
de l’interdépendance des trois pays, et      d’application                               2015, puis à l’Ukraine à compter du
singulièrement de la Biélorussie et de                                                   1er janvier 2016. Selon un décret publié
la Russie, dont les échanges bilatéraux        Le 18 mars 2014, à la suite d’un          en 2017 à l’initiative du Président
sont plus intenses qu’entre celle-ci         référendum, le gouvernement russe           Poutine, l’embargo a été prolongé
et le Kazakhstan, notamment en pro-          annonce que la République de Crimée         jusqu’en décembre 2018.

                                                                                          INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
88 / Vincent chatellier, Thierry pouch, Cécile le roy, Quentin MATHIEU

  La liste (2018) des produits agroali-       lait et les produits laitiers ; les poissons,   2. Les échanges agro­
mentaires soumis à l’embargo est pré-         crustacés et mollusques ; les légumes,          alimentaires de la Russie
cisée dans le tableau 2. Elle concerne :      racines et tubercules alimentaires ;            à l’épreuve de l’embargo
la viande bovine ; la viande porcine ;        les fruits et noix. Si plusieurs produits
la viande de volailles ; ­certains abats      ont été ajoutés ou retirés de cette liste
et certaines graisses ; les saucisses et      depuis 2014, ceux-ci portent sur des              L’analyse de l’évolution des échanges
produits similaires à base de viande ; le     montants peu élevés.                            agroalimentaires de la Russie est

Tableau 2. Liste des produits agricoles, alimentaires et de matières premières interdites à l’importation en Russie au
31 décembre 2017 (Source : Commission européenne – Agence Fédérale pour la sécurité de la chaine alimentaire – Newsflash
2017/29).

        Code douanier                                                      Nom des produits

0201                             Viande de bovin fraîche et réfrigérée.

0202                             Viande de bovin congelée.

0203                             Viande de porc fraîche, réfrigérée et congelée.

                                 Abats comestibles des animaux des espèces bovine, porcine, ovine, caprine, chevaline,
Dans 0206                        asine ou mulassière, frais, réfrigérés ou congelés (à l’exception des marchandises destinées
                                 à la production pharmaceutique).

0207                             Volaille et sous-produits, mentionnés sous le code 0105, frais, réfrigérés ou congelés.

                                 Graisses des animaux de l’espèce porcine séparées de la viande maigre et graisses de volailles,
0209                             non fondues ni autrement extraites, fraîches, réfrigérées, congelées, salées ou en saumure,
                                 séchées ou fumées.

                                 Viande salée, marinée, sèche ou fumée. Abats d’animaux des espèces bovine et porcine.
Dans 0210
                                 Farines alimentaires de viande ou des produits de viande haché(e)(s) finement ou grossièrement.

                                 Poissons vivants, à l’exception des alevins de saumon (Salmo salar) et de truites (Salmo trutta,
Dans 0301
                                 Oncorhynchus mykiss).

                                 Poissons et crustacés, mollusques et autres invertébrés aquatiques (à l’exception
0302 à 0308
                                 de semences d’huîtres et de semences de moules).

                                 Lait et produits laitiers (à l’exception du lait sans lactose et des produits laitiers sans lactose
0401 à 0406
                                 pour la diététique thérapeutique et préventive).

                                 Légumes, racines comestibles et tubercules (à l’exception des plants de pommes de terre,
0701 à 0714                      des semences d’oignon, des semences de maïs doux hybride pour la plantation, pois destinés
                                 à la plantation.

0801-0811, 0813                  Fruits et noix.

                                 Graisses des animaux de l’espèce porcine (y compris saindoux et du lard) et graisses
1501
                                 de volailles, autres que celles visées par le code 0209 ou 1503.

                                 Graisses des animaux des espèces bovine, ovine ou caprine, autres que celles visées
1502
                                 par le code 1503.

                                 Stéarine solaire, huile de saindoux, oléostéarine, oléomargarine et huile de suif,
1503
                                 non émulsionnées, ni mélangées ni autrement préparées.

1601 00                          Saucisses et produits similaires, abats ou sang et produits alimentaires finis à base de ceux-ci.

1602 49                          Préparations mélangées qui contiennent de la graisse de porc.

1602 90                          Préparations de sang de tous animaux qui contiennent des abats ou de la graisse de porc.

                            Aliments ou produits finis (à l’exception des compléments biologiquement actifs ; complexes
Dans 1901 90 110 0 et 910 0 de vitamines et minéraux, les additifs aromatisants ; concentrés protéiniques (d’origine animale
Dans 2106 90 920 0 et 980 4 et végétale) et leurs mélanges ; fibres alimentaires, les additifs alimentaires (y compris les plus
Dans 2106 90 980 5 et 980 9 complexes. Denrées alimentaires préparées par des moyens de la technologie de production
                            de fromage et contenant au moins 1,5 % en poids de matières grasses du lait.

INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
Les réseaux commerciales agroalimentaires de la Russie avec l’Union européenne… / 89

conduite à partir de la base de don-         pour atteindre 368 milliards d’euros.         la balance commerciale de la Russie
nées BACI développée par le Centre           L’ouverture croissante des économies,         (Shagaida, 2016 ; Gardner, 2017). Le
d’Études Prospectives et d’Informa-          la hausse du prix des ressources éner-        solde agroalimentaire russe demeure
tions Internationales (CEPII). Cet outil     gétiques (pétrole, gaz, charbon) et la        certes négatif en 2016 (– 4,8 milliards
statistique sur le commerce utilise les      demande européenne soutenue ont               d’euros), mais à un niveau moindre
informations primaires de la base de         largement contribué à cette évolution.        qu’en 2010-2013 (– 17,7 milliards d’eu-
données COMTRADE mise en œuvre par           La tendance s’est inversée depuis 2010-       ros). Cette amélioration tient à une
la division statistique des Nations Unies.   13, avec une chute de 30 % des expor-         hausse des exportations (+ 4,9 milliards
BACI est construite selon une procédure      tations russes (à 259 milliards d’euros       d’euros) et à une baisse des importa-
originale qui concilie les déclarations de   en 2016). La baisse du prix du pétrole,       tions (– 8 milliards d’euros). En 2016,
l’exportateur et celles de l’importateur.    la dépréciation du rouble face au dollar      la Russie est déficitaire en produits
Cette procédure d’harmonisation per-         américain et les sanctions internatio-        agroalimentaires avec l’UE (– 3,6 mil-
met d’étendre le nombre de pays pour         nales qui pénalisent certains flux com-       liards d’euros). Elle l’est aussi avec la
lesquels des données commerciales sont       merciaux bilatéraux sont les principaux       Biélorussie, le Brésil, l’Équateur, l’Indo-
disponibles, par rapport à l’ensemble de     facteurs explicatifs de ce recul (Berg,       nésie, le Paraguay, le Chili et l­ ’Argentine
données originales (Gaulier et Zignago,      2016). Si les exportations de la Russie       (tableau 3). Les principaux pays avec
2010). Les informations sur les échanges     vers l’UE ont baissé de 30 % entre 2010-      lesquels elle est excédentaire sont
de l’UE et de ses États membres avec         13 et 2016, l’UE reste de loin le premier     l’Égypte, la Turquie, le Kazakhstan, la
la Russie ou d’autres pays sont issues,      débouché de la Russie (46 % des expor-        Corée du Sud et le Japon.
quant à elles, de la base de données         tations). En 2016, les exportations russes
COMEXT qui permet d’accéder à une            relèvent à 58 % d’hydrocarbures et de            Les exportations agroalimentaires de
désagrégation plus fine des produits         produits pétroliers (Direction Générale       la Russie s’élèvent, en 2016, à 16,9 mil-
et de distinguer le commerce intra-UE        du Trésor, 2017), 10 % de métaux et           liards d’euros. Bien qu’il soit en hausse,
du commerce extra-UE. Produite par les       produits métalliques, 8 % de matériels        ce montant reste nettement inférieur
services d’Eurostat, cette dernière per-     de transports et d’équipements indus-         à celui des cinq leaders mondiaux à
met de rendre compte des échanges            triels, 7 % de produits chimiques et 6 %      l’export que sont l’UE (133 milliards
extra-UE, mais également de ceux entre       de produits agroalimentaires.                 d’euros), les États-Unis (127 milliards
les États membres de l’UE.                                                                 d’euros), la Chine (63 milliards d’eu-
                                               Les importations de la Russie, qui          ros), le Brésil (62 milliards d’euros) et le
   Les données sur le commerce sont          était de 48 milliards d’euros en 2000-04,     Canada (42 milliards d’euros). Les expor-
renseignées ici pour la période 2000 à       ont fortement progressé pour atteindre        tations agroalimentaires russes sont
2016. Des regroupements de dates sont        218 milliards d’euros en 2010-13. Elles       équivalentes à celles d’un pays comme
parfois opérés pour éviter une démulti-      ont ensuite baissé d’environ un quart         le Danemark, dont la superficie totale
plication trop importante des données        pour s’établir à 165 milliards d’euros        est quatre cent fois inférieure. En
statistiques dans les tableaux. Ainsi, les   en 2016, dont 13 % de produits agroa-         2016, l’UE est la première destination
regroupements privilégiés conduisent         limentaires. En dépit de l’embargo            avec 12 % des exportations russes,
à retenir trois périodes : la moyenne de     appliqué à certains produits agroali-         devant l’Égypte, la Turquie, la Chine,
la période 2000 à 2004 ; la moyenne          mentaires, l’UE reste le premier four-        le Kazakhstan, la Corée du Sud, la
de la période 2010 à 2013 (années            nisseur de la Russie en 2016, avec 38 %       Biélorussie et l’Ukraine.
antérieures à l’embargo) ; l’année 2016      du total de ses importations (Verceuil,
(dernière date disponible). Les valeurs      2017). La balance commerciale globale            Les importations agroalimentaires de
sont exprimées en euros courants. Pour       de la Russie est largement positive           la Russie s’élèvent, en 2016, à 21,7 mil-
BACI, les valeurs étaient initialement       (94 milliards d’euros en 2016, soit l’équi-   liards d’euros. Ce montant est, là aussi,
exprimées en US dollars, mais elles ont      valent de 8 % du produit intérieur brut)      nettement inférieur à celui des cinq
été converties en euros selon le taux de     malgré une forte baisse enregistrée           leaders à l’import que ce sont l’UE
change annuel retenu par les services        depuis 2012 (– 68 milliards d’euros, dont     (130 milliards d’euros), les États-Unis
de l’Organisation de Coopération et de       – 32 milliards d’euros avec l’UE). Elle est   (128 milliards d’euros), la Chine (115 mil-
Développement Économique (OCDE).             également toujours positive avec l’UE         liards d’euros, y compris Hong-Kong), le
                                             (+ 55 milliards d’euros en 2016).             Japon (58 milliards d’euros) et le Canada
„„2.1. Une forte détérioration                                                             (31 milliards d’euros). Après avoir forte-
du solde commercial                          „„2.2. Une amélioration                       ment augmenté entre 2000-2004 et
global de la Russie depuis                   du solde agroalimentaire                      2010-2013 (+ 19,1 milliards d’euros), les
2013 et une place limitée                    de la Russie avec l’UE                        importations agroalimentaires russes
de l’agroalimentaire                         en raison surtout de la baisse                ont baissé de 27 % entre 2010-13 et
dans les échanges totaux                     de ses importations                           2016. Ce recul tient certes à l’applica-
                                                                                           tion de l’embargo, mais il s’explique
  Les exportations totales de la Russie        En se focalisant sur le secteur agro­       aussi par le développement de l’offre
(tous secteurs d’activité confondus), ont    alimentaire, la période récente a été         agricole dans certains secteurs et la
été triplées entre 2000-04 et 2010-13,       caractérisée par une amélioration de          perte de pouvoir d’achat des ménages

                                                                                            INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
90 / Vincent chatellier, Thierry pouch, Cécile le roy, Quentin MATHIEU

Tableau 3. Échanges agroalimentaires de la Russie avec ses principaux pays partenaires entre 2000 et 2016. Classement
des pays par ordre croissant du solde 2016 (Millions d’euros courants par an) (Source : BACI (sauf pour l’UE : Comext)/
Traitement INRA, SMART-LERECO).

                                 Exportations                        Importations                          Solde

                      2000-04      2010-13      2016       2000-04     2010-13      2016       2000-04   2010-13     2016

UE-28                   1 081        1 657       1 972       4 073      10 810       5 608     – 2 991    – 9 152   – 3 636

Biélorussie               415          535        755         606        2 609       3 302       – 191    – 2 074   – 2 547

Brésil                       8              7          4     1 047       2 532       1 834     – 1 039    – 2 526   – 1 830

Équateur                     0              4          2      192         557         715        – 192     – 552     – 713

Indonésie                    1          25         26          75         459         675         – 74     – 434     – 650

Paraguay                     0              0          1        8         445         594          –8      – 445     – 593

Chili                        1              3          2       34         336         469         – 34     – 333     – 466

Argentine                    0              0          1      184         504         431       – 184      – 504     – 430

Inde                         3          57         111        164         314         464       – 160      – 257     – 353

Vietnam                      2          22         65          67         213         284         – 65     – 191     – 220

Serbie                       6          34         59          13         130         275          –7        – 96    – 216

Côte d’Ivoire              22               2      14         103          89         204         – 81       – 87    – 190

Israël                     32          105         59          23         274         248           9      – 169     – 189

Malaisie                     0              5      32          81         208         160         – 81     – 203     – 128

N. Zélande                   0              2          2       38         130         129         – 38     – 129     – 126

Maroc                      34           39        141          58         207         267         – 24     – 168     – 126

Suisse                       5          22         38          20         126         151         – 15     – 105     – 113

États-Unis                210          211        266         761        1 197        362       – 551      – 986      – 97

Chine                     122          818       1 522        317        1 216       1 531      – 194      – 399      – 10

Liban                      20           91        213           3           4              6       17         87       207

Arabie Saoudite            65          273        226           0           8              0       65        265       225

Bangladesh                   5          20        272           1          21          27           4         –1       245

Nigeria                      7          26        266           4          17          13           3          8       253

Ukraine                   196          516        509         771        1 479        117       – 575      – 963       393

Japon                     504          533        637          11          31          21         492        502       616

Corée du Sud              146          617        964          88         137          91          58        481       874

Kazakhstan                230          996       1 137        197         160         245          33        836       892

Turquie                    69          981       1 545        195         970         495       – 126         11     1 051

Égypte                     85        1 521       1 773         19         222         245          66      1 298     1 528

Monde                   3 676       11 995      16 906     10 664      29 735       21 728     – 6 988   – 17 741   – 4 822

INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
Les réseaux commerciales agroalimentaires de la Russie avec l’Union européenne… / 91

russes. En 2016, l’UE demeure le premier            Russie occupe ainsi la vingt-quatrième           près de deux depuis lors (5,6 milliards
fournisseur agroalimentaire de la Russie,           position des pays fournisseurs de                d’euros en 2016). La Russie qui était le
avec 26 % du total de ses importations.             l’UE. Les cinq premiers États membres            deuxième client de l’UE en 2011 occupe
Elle devance ainsi la Biélorussie (15 %),           concernés par ces importations sont les          la cinquième position en 2016, avec
le Brésil (8 %), la Chine (7 %), l’Équateur         Pays-Bas, l’Allemagne, le Royaume-Uni,           4,1 % des exportations agroalimen-
(3 %) et l’Indonésie (3 %). En représen-            l’Italie et la Pologne (tableau 4). En 2016,     taires européennes. Elle est devancée
tant 4,2 % du total de ses exportations             la Russie ne compte que pour 0,2 % des           par les États-Unis (21,1 milliards d’eu-
agroalimentaires en 2016 (contre 10,1 %             importations agroalimentaires de la              ros), la Chine (15,5 milliards d’euros),
en 2010-2013), la Russie est devenue le             France. Notons cependant que certains            la Suisse (8,2 milliards d’euros) et le
cinquième client de l’UE.                           produits russes importés par d’autres            Japon (6 milliards d’euros). D’après
                                                    États membres de l’UE sont suscep-               nos calculs, la liste des produits ciblés
  Si l’UE est un partenaire commer-                 tibles d’être destinés in fine, après un         par l’embargo concerne 43 % du total
cial important pour la Russie dans le               éventuel processus de ­transformation,           des exportations agroalimentaires de
domaine agroalimentaire, la réciproque              au ­marché français.                             l’UE vers la Russie (en valeurs de 2010-
n’est pas aussi évidente (Parlement euro-                                                            2013). Les produits non concernés
péen, 2016). Les importations de l’UE                 Les exportations de l’UE vers la Russie,       sont notamment les boissons, vins et
en provenance de la Russie atteignent               qui sont passées de 4,1 milliards d’eu-          spiritueux, les céréales et produits de
1,97 milliard d’euros, soit seulement               ros en 2000-2004 à 10,8 milliards d’eu-          la minoterie, les productions horticoles
1,5 % du total de ses importations. La              ros en 2010-2013, ont été divisées par           et le sucre. Entre 2010-2013 et 2016, les

Tableau 4. Échanges des États membres de l’UE avec la Russie en produits agroalimentaires entre 2010-13 et 2016. Classement
des pays par ordre croissant de la variation du solde (Millions d’euros courants par an) (Source : Comext/Traitement INRA,
SMART-LERECO).

                                                  Exportations                            Importations                  Solde commercial
                   Sensibilité/
                   Embargo (*)                        2016/          2016/                     2016/        2016/                    2016/
                                        2016                                     2016                                   2016
                      (%)                            2010-13        2010-13                   2010-13      2010-13                  2010-13
                                      (million €)                              (million €)                            (million €)
                                                    (million €)       (%)                    (million €)     (%)                      (%)

 Allemagne                44                907         – 912           – 50       214              41          24         694        – 952

 Pays-Bas                 30                831         – 611           – 42       343             183         114         489        – 794

 Lituanie                 63                425         – 678           – 61        119             42          55         306        – 720

 Pologne                  59                384         – 595           – 61       139              69          99         246        – 664

 Danemark                 56                153         – 386           – 72        111             46          71          43        – 432

 Espagne                  52                242         – 423           – 64        117            – 53       – 31         125        – 370

 France                   35                346         – 338           – 49         96            – 13       – 12         250        – 325

Finlande                  66                135         – 300           – 69         42             18          75          94        – 317

Belgique                  50                318         – 220           – 41       132              43          48         186        – 264

Lettonie                   9                392         – 120           – 23         82             15          22         310        – 135

Estonie                   34                 95         – 122           – 56         18              3          20          76        – 125

Irlande                  52                  68         – 100           – 60         16             10        167           52        – 110

Grèce                    68                  38         – 109           – 74         72             –2         –3         – 34        – 107

Roy-Uni                  31                 127          – 52           – 29       171              23          16        – 44         – 76

Autriche                 37                 150          – 62           – 29          5             –2        – 29         145         – 59

Italie                   28                 422         – 174           – 29       155         – 123          – 44         267         – 51

UE-28                    43              5 608       – 5 202            – 48     1 972             314          19       3 636      – 5 516
(*) % des exportations de 2010-2013 (en valeur) concernées par l’embargo.

                                                                                                      INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
92 / Vincent chatellier, Thierry pouch, Cécile le roy, Quentin MATHIEU

­ xportations agroalimentaires euro-
e                                              l’Équateur (161 millions d’euros), le       au niveau des exportations (76 % des
péennes ont chuté de 49 %, soit une            Paraguay (+ 148 millions d’euros) et le     exportations agroalimentaires, surtout
baisse plus importante que le « taux de        Chili (+ 133 millions d’euros). Ces pays    des céréales) que des importations
sensibilité à l’embargo » estimé précé-        ont été favorisés par l’embargo dans        (70 %, surtout des fruits). La balance
demment (43 %). Ceci rappelle que la           la mesure où ils sont parfois devenus       commerciale de la Russie en produc-
baisse des exportations tient certes à         exportateurs de produits initialement       tions végétales demeure négative en
la mise en œuvre de l’embargo (« effet         fournis au marché russe par les pays        2016 (– 2,5 milliards d’euros), malgré
propre »), mais également à d’autres           affectés par l’embargo. D’après nos         une forte amélioration de la situation
considérations que certains écono-             estimations, il semble que l’améliora-      (+ 6,9 milliards d’euros depuis 2010-
mistes ont cherché à isoler (Cheptea et        tion de la performance commerciale          2013). Le développement des surfaces
Gaigné, 2018). Les produits agroalimen-        de ces pays avec la Russie ne résulte       et l’amélioration des rendements favo-
taires européens non concernés par             pas ou alors très peu d’un « effet de       risent depuis plusieurs années l’essor
l’embargo ont, en effet, enregistré une        contournement de l’embargo » (achat         de la production céréalière qui avoisine
baisse de leurs exportations de 17 %           accentué par ces pays de produits issus     en 2017 son record historique (127 mil-
entre 2010-13 et 2016 (et – 25 % dans          des pays frappés par l’embargo pour les     lions de tonnes en 1978). Les exporta-
le cas des boissons, vins et spiritueux).      revendre ensuite, avec plus ou moins de     tions russes de céréales (surtout de blé)
                                               transformation, à la Russie). Les autori-   et de produits de la minoterie, destinées
  Tous les États membres de l’UE ont           tés russes ont œuvré dans ce sens car       en premier lieu à l’Égypte, la Turquie,
subi une baisse de leurs exportations          elles redoutaient que des produits ali-     l’Iran et le Bangladesh, ont fortement
entre 2010-2013 et 2016. Les baisses           mentaires issus des pays concernés par      progressé pour atteindre 6,4 milliards
les plus fortes ont été observées              l’embargo arrivent sur le marché russe      d’euros, soit 38 % des exportations
en Allemagne (– 912 millions d’eu-             via d’autres pays tels que la Suisse, la    agroalimentaires. La Russie reste défi-
ros ; Fedoseeva, 2016), en Lituanie            Biélorussie ou le Kazakhstan (ces deux      citaire pour la plupart des productions
(– 678 millions d’euros) et aux Pays-Bas       pays étant liés à la Russie par une Union   végétales telles les fruits comestibles
(– 611 millions d’euros). Dans une large       douanière depuis janvier 2010). Ainsi,      (– 2,8 milliards d’euros en 2016), les
majorité de pays européens, le recul des       un communiqué du Ministère de l’agri-       boissons, vins et alcools (– 1,1 milliard
exportations entre 2010-13 et 2016 a           culture russe a précisé que les produits    d’euros), les légumes (– 866 millions
été plus important en pourcentage              indûment présents sur le marché russe       d’euros), les préparations à base de
que leur « taux de sensibilité ». C’est le     ne seraient plus renvoyés mais tout         fruits et légumes (– 791 millions d’eu-
cas en France où il a été de 49 % alors        ­simplement détruits.                       ros), les produits horticoles (– 472 mil-
que 35 % des valeurs exportées étaient                                                     lions d’euros) et le sucre (– 355 millions
concernées par l’embargo. Pour les pro-        „„2.3. La Russie améliore                   d’euros).
duits non concernés par l’embargo, les         ses performances à l’export
exportations françaises vers la Russie         en céréales mais reste                         Dans le secteur des poissons, la Russie
ont baissé de 30 %, avec un recul de           largement déficitaire                       est excédentaire en 2016 (+ 1,8 milliard
moitié pour les boissons, vins et alcools      en productions animales                     d’euros). Les exportations russes de
(Crozet et Hinz, 2016).                                                                    poissons, qui ont augmenté de 810 mil-
                                                  Une déclinaison de l’évolution du        lions d’euros entre 2010-2013 et 2016,
   Entre 2010-13 et 2016, le recul du          commerce extérieur agroalimentaire de       sont destinées principalement à la
solde agroalimentaire de l’UE avec la          la Russie en fonction de différents types   Chine, la Corée du Sud, l’UE et le Japon.
Russie (– 5,5 milliards d’euros) a été         de produits apporte des éléments com-       Les importations en poissons, qui ont
nettement plus important que celui             plémentaires à la compréhension de la       baissé de 475 millions d’euros au cours
observé dans tous les autres pays              dynamique de l’agriculture russe et des     de la même période, proviennent sur-
concernés par l’embargo (Smutka                implications de l’embargo (tableau 5).      tout du Chili, de l’UE, de la Chine et de
et al., 2016), dont l’Ukraine (– 1,3 mil-      Les échanges agroalimentaires de la         la Biélorussie.
liard d’euros), les États-Unis (– 889 mil-     Russie sont répartis en trois grandes
lions d’euros), le Canada (– 342 millions      rubriques, à savoir les productions            Historiquement, les productions
d’euros) et l’Australie (– 181 millions        végétales au sens large (y compris les      animales pèsent très faiblement dans
d’euros). De nombreux autres pays ont          boissons, vins et alcools, les fruits et    les exportations agroalimentaires
enregistré une détérioration de leur           légumes, les produits horticoles et         de la Russie. En 2016, elles s’élèvent
balance agroalimentaire avec la Russie,        les produits exotiques), les produc-        à 692 millions d’euros, soit 4,1 % du
y compris le Brésil (– 698 millions d’eu-      tions animales au sens large (animaux       total. Regroupant surtout des pro-
ros depuis 2010-2013) dont les per-            vivants, viandes et produits issus des      duits laitiers, de la viande porcine et
formances en viande porcine se sont            animaux dont le lait, les œufs…) et le      de la viande de volailles, elles sont
pourtant améliorées (+ 129 millions            secteur des poissons.                       destinées au Kazakhstan (30 %), à
d’euros). À l’autre extrême, les cinq pays                                                 l’Ukraine (16 %), à la Chine (14 %), à
qui ont le plus amélioré leur situation          En 2016, les productions végétales        la Biélorussie (12 %) et à l’Azerbaïdjan
sont la Biélorussie (+ 473 millions d’eu-      occupent une place centrale dans le         (4 %). Les importations de l’UE en pro-
ros), l’Indonésie (+ 216 millions ­d’euros),   commerce agroalimentaire russe, tant        ductions animales en provenance de la

INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
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