LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT SOVIÉTIQUES ET RUSSES : CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES - Rapport de recherche #28 Colonel Igor PRELIN - Cf2R
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Centre Français de Recherche sur le Renseignement 1 LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT SOVIÉTIQUES ET RUSSES : CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES Colonel Igor PRELIN Rapport de recherche #28 Avril 2021
2 PRÉSENTATION DE L’AUTEUR Le colonel Igor Nicolaevich Prelin a servi toute sa carrière (1962-1991) au KGB où il a occupé successivement des fonctions au Service de contre-espionnage, au Service de renseignement (Guinée, Sénégal, Angola), à l’École de renseignement – en tant qu'instructeur il a eu Vladimir Poutine parmi ses élèves – et comme officier de presse du dernier président du KGB, le général Kriouchkov. De 1995 à 1998, le colonel Prelin est expert auprès du Comité de la Sécurité et de la Défense du Conseil de la Fédération de Russie (Moscou). Depuis, il consacre son temps à l’écriture d’essais, de romans et de scénarios, tout en poursuivant en parallèle une « carrière » d’escrimeur international. ABOUT THE AUTHOR Colonel Igor Nicolaevich Prelin served his entire career (1962-1991) in the KGB, where he successively held positions in the Counterintelligence Service, the Intelligence Service (Guinea, Senegal, Angola), the Intelligence School - as a professor he had Vladimir Putin among his students - and as press officer to the last KGB president, General Kriushkov. From 1995 to 1998, Colonel Prelin was an expert at the Committee on Security and Defense of the Council of the Russian Federation (Moscow). Since then, he has devoted his time to writing essays, novels and screenplays, while pursuing a "career" as an international fencer.
RÉSUMÉ 3 LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT SOVIÉTIQUES ET RUSSES : CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES Les services de renseignement et de sécurité Il existe un certain nombre de traits caractéristiques soviétiques furent sans aucun doute les plus du renseignement soviétique à l’origine de son efficacité. puissants et les plus effi-caces du XXe siècle. Jusqu'à Dès sa création a été mise en place une structure l'effondrement de l'URSS, ils ont été des éléments unique réunissant contre-espionnage et renseignement essentiels de son système de sécurité et ont exercé extérieur, qui a permis d'assurer une coopération sans une influence déterminante sur les événements mon- faille entre ces unités. De plus, les services eurent diaux. Pourtant, ils ont été créés pratiquement à l’avantage de bénéficier de « conditions favorables » partir de rien au cours des premières années qui ont suivi leur permettant de recruter largement à l’étranger en l'établissement du régime soviétique. Mais leur expansion raison de la popularité de l’idéologie communiste. Mais a été rapide car de nombreux révolutionnaires cet avantage n’a cessé de se réduire au cours de la bolcheviks avaient une grande expérience du travail Guerre froide en raison des excès du régime de clandestin, y compris à l’étranger. Staline, des « événements hongrois » (1956), de la destitution Khrouchtchev (1964), de l'invasion de la Rapidement, la Tcheka a obtenu des résultats impres- Tchécoslovaquie (1968) et de l'intervention en sionnants. Dans les années 1920, ses membres ont mené Afghanistan (1979). Une dernière caractéristique du des opérations qui ont permis de neutraliser les activités renseignement soviétique était le recours aux contre-révolutionnaires pilotées depuis l’étranger. Puis, postes clandestins et aux illégaux, ce qui lui a permis dans les années 1930, de nombreux agents ont été de mener des opérations de grande envergure, recrutés : d’abord au Royaume Uni – avec le célèbre réseau couronnées de succès. de Cambridge qui a fonctionné pendant près de vingt ans –, puis en Allemagne, au cœur des structures d’État et des Mais dans les dernières années du régime services spéciaux du IIIe Reich. communiste, les services soviétiques, affaiblis, ne sont pas parvenus à empêcher leurs adversaires de La Seconde Guerre mondiale a ensuite donné lieu à créer d’importants réseaux de renseignement en de nombreux succès des services soviétiques. À URSS et de recruter des agents jusque dans leurs rangs. l'automne 1941, l'opération Snow a permis d’accélérer l'entrée des États-Unis dans la guerre Le KGB a été dissous en 1991 et fragmenté en contre le Japon et d'empêcher une invasion plusieurs agences, ce qui a considérablement affaibli japonaise en Extrême-Orient soviétique. Les l’efficacité du système. La situation n'a été que services soviétiques ont averti le gouvernement partiellement redressée quinze ans plus tard, lorsque le de la date de l’invasion allemande de 1941, puis, FPS et la FAPSI ont de nouveau fusionné avec le FSB. tout au long de la guerre, ont régulièrement Toutefois, contrairement à 1917, le renseignement russe fourni des informations sur les offensives a réussi à maintenir une continuité, en termes de adverses. Ils ont conduit des opérations d’ampleur personnel, de documentation opérationnelle et sans précédent, notamment Berezino, la plus d'expérience professionnelle. Cela a permis aux grande opération de désinformation du conflit. services de renseignement et de sécurité de suivre tous Parallèlement, au cours des années 1940, le les événements pouvant être défavorables à la Russie, service soviétique a mené l'opération Enormoz aux d’appuyer sa politique étrangère et de lutter contre les États-Unis afin d'obtenir des informations sur la services de renseigne-ment étrangers qui n'ont jamais création de la bombe atomique aux États-Unis. cessé leurs activités sur le territoire russe.
4 EXECUTIVE SUMMARY The Soviet intelligence and security services were allowed for seamless coope-ration between these units. undoubte-dly the most powerful and effective of the 20th In addition, the services had the advantage of benefiting century. Until the collapse of the USSR, they were from "favorable conditions" allowing them to recruit essential elements of its security system and had a widely abroad because of the popularity of communist decisive influence on world events. Yet they were ideology. But this advantage has been steadily created virtually from scratch in the first years after the diminishing during the Cold War because of the excesses establishment of the Soviet regime. But their expan-sion of Stalin's regime, the "Hungarian events" (1956), the was rapid because many Bolshevik revolutionaries removal of Khrushchev (1964), the invasion of had extensive experience in underground work, Czechoslovakia (1968) and the intervention in including abroad. Afghanistan (1979). À final feature of Soviet intelligence was the use of clandestine stations and illegal Soon the Cheka achieved impressive results. In the 1920s, operators, which allowed it to conduct large-scale, its members carried out operations that neutralized successful operations. counterre-volutionary activities from abroad. Then, in the 1930s, many agents were recruited : first in the But in the last years of the Communist regime, United Kingdom - with the famous Cambridge network the weakened Soviet services were not able to which operated for nearly twenty years - and then in prevent their opponents from creating large Germany, at the heart of state structures and intelligence networks in USSR and recruiting agents intelligence services of the Third Reich. even from their ranks. The Second World War then brought many successes The KGB was disbanded in 1991 and fragmented into for the Soviet services. In the fall of 1941, Operation several agencies, which significantly undermined the Snow helped accelerate the entry of the United States effectiveness of the system. The situation was only into the war against Japan and prevented a Japanese partially rectified fifteen years later, when the FPS invasion of the Soviet Far East. Soviet services warned and FAPSI were again merged into the FSB. the government of the date of the German invasion However, unlike in 1917, Russian intelligence of 1941, and then throughout the war, regularly managed to maintain continuity in terms of provided information on the ennemy offensives. personnel, ope-rational documentation They conducted operations of unprecedented and professional experience. This allowed the scale, including Berezino, the largest disinformation intelligence and security services to follow all operation of the conflict. At the same time, during the events that could be unfavorable to Russia, to 1940s, the Soviet service conduc-ted Operation support Russian foreign policy and to fight Enormoz in the United States, in order to gather against foreign intelli-gence services that have information about the creation of the american atomic never ceased their activities on Russian territory. bomb. There are a number of characteristics of Soviet intelligence that make it so effective. From its inception, a unique struc-ture was established, bringing together counterintelligence and foreign intelligence, which
SOMMAIRE 5 INTRODUCTION ......................................................................................................................................................................................................................... 6 AVERTISSEMENT .................................................................................................................................................................................................................... 7 1. LES ORIGINES ....................................................................................................................................................................................................................... 9 L’HÉRITAGE DE LA RUSSIE IMPÉRIALE ................................................................................................................................................................... 9 NAISSANCE DES SERVICES SPÉCIAUX SOVIÉTIQUES ................................................................................................................................10 2. LES SPÉCIFICITÉS DU RENSEIGNEMENT SOVIÉTIQUE ..................................................................................................................12 L’UNITÉ DU SYSTÈME DE RENSEIGNEMENT ET DE SÉCURITÉ ............................................................................................................12 LA PUISSANCE DU LEVIER IDÉOLOGIQUE .........................................................................................................................................................13 LE RECOURS AUX ILLÉGAUX ......................................................................................................................................................................................15 AU SUJET DES « GLORIEUX TCHÉKISTES » .....................................................................................................................................................15 3. LES SUCCÈS DU RENSEIGNEMENT SOVIÉTIQUE ................................................................................................................................17 ANNÉES 1920 ET 1930 .....................................................................................................................................................................................................17 SECONDE GUERRE MONDIALE ...................................................................................................................................................................................18 GUERRE FROIDE ...................................................................................................................................................................................................................19 4. BILAN DE LA GUERRE FROIDE ............................................................................................................................................................................21 BILAN DE LA GUERRE SECRÈTE ...............................................................................................................................................................................21 L’AFFRONTEMENT AVEC LES SERVICES FRANÇAIS ................................................................................................................................. 22 LA DISSOLUTION DU KGB ............................................................................................................................................................................................ 23 CONCLUSION : LA PERMANENCE DU RENSEIGNEMENT RUSSE .................................................................................................25 GLOSSAIRE .................................................................................................................................................................................................................................27
6 INTRODUCTION Les historiens qui détermineront la place du XXe siècle Qu'est-ce que le renseignement soviétique ? Il convient de dans l'histoire de l'humanité auront certainement rappeler d'emblée qu'au cours de l'histoire de l’URSS, beaucoup de mal à choisir un événement ou un des structures et des organisations nombreuses et phénomène qui pourrait prétendre caractériser ce variées furent engagées dans des activités de siècle étonnant et turbulent et lui donner son nom. Ils renseignement. Cependant, dans la seconde moitié du XXe sont susceptibles de proposer diverses options : siècle, seuls deux services exerçaient cette fonction : « l'ère des grands bouleversements sociaux », • le renseignement militaire de l'État-major général des « l'ère des guerres les plus destructrices et les forces armées (GRU), dont la tâche principale était plus sanglantes de l'histoire de l'humanité », d'obtenir des informations sur la situation militaire et « l'ère de l'énergie nucléaire, de l'espace et de la politique des pays voisins de l'Union soviétique ; cybernétique », « l'ère de l'information, des théories misanthropiques et de la prise de conscience de l'unité • et le renseignement politique, dont la tâche principale et de la vulnérabilité de l'humanité », etc. était d’assurer la sécurité de l'Union soviétique et de soutenir sa stratégie internationale. Peut-être qu'une telle proposition semblera étonnante à certains, mais on peut admettre que Les services de renseignement et de sécurité de l’URSS ont quelqu'un puisse suggérer d'appeler le XXe siècle été principalement créés dans les trois premières années « le siècle des services spéciaux », reconnaissant ainsi qui ont suivi l'établissement du régime soviétique en leur rôle et l’importance exceptionnelle qu’ils ont eu à Russie, c'est-à-dire entre 1917 et 1920. Dès lors, et jusqu'à l’occasion des rivalités politiques, économiques et l'effondrement de l'URSS, ils ont été des éléments essentiels idéologiques. En réalité, cela ne serait pas de son système de sécurité nationale. immérité, même si, bien sûr, l'histoire du siècle dernier ne se réduit pas celle de la lutte entre l’espionnage et le contre-espionnage. Mais il est indispensable que ces deux métiers soient pris en compte : en effet, que serait l'âge de l'information sans « l’intelligence » ! Dès lors, il ne fait aucun doute - et beaucoup soutiendront ce point de vue - que lorsque l'on parle d’agences de renseignement et de sécurité, on ne peut manquer d’évoquer les services soviétiques, représentés par le KGB et le GRU. Quoi que l’on pense d’eux, ils furent sans aucun doute les plus puissants et les plus efficaces du XXe siècle, et ils ont exercé pendant de nombreuses années une influence déterminante sur l'équilibre des pouvoirs comme dans le monde du renseignement.
AVERTISSEMENT 7 Avant d'aller à l'essentiel, je voudrais m'excuser par officiers du KGB de ma génération, je n'ai pas eu à m'engager avance et prévenir le lecteur qu'il ne doit pas s'attendre à dans des « affaires sales » et je n'ai donc pas à avoir ce que je présente une histoire absolument objective et honte ni à me repentir. Vous devez convenir qu'il est impartiale. En tant qu’être humain, je suis conscient de ma difficile d'être impartial avec une telle biographie, et plus subjectivité. En effet, je suis entré au KGB fin 1961 encore, d'être mécontent de son sort ! Les vieux loups avec un diplôme en métallurgie et j'ai servi dans cette perdent leurs dents mais pas leurs habitudes et la vie est agence pendant exactement trente ans, jusqu'à sa trop courte pour changer les croyances ! dissolution après la chute de l'Union soviétique. Après avoir obtenu mon diplôme de l'École supérieure de C'est pourquoi je ne vais pas faire de remarques critiques contre-espionnage, j'ai travaillé pendant cinq ans dans sur les services secrets soviétiques, bien que l'on puisse le contre-espionnage territorial, où j'étais chargé trouver de nombreuses raisons de le faire si l'on veut. Il y a d'assurer la sécurité des entreprises industrielles de pas mal de gens qui le feront à ma place avec beaucoup de défense. J'ai ensuite obtenu mon diplôme de l'Institut du succès. renseignement Andropov (aujourd'hui l'Académie du renseignement étranger) et j'ai travaillé pendant Je vais essayer de parler de ce qui a donné aux services de vingt-deux ans dans le service de renseignement renseignement soviétiques et russes le droit bien extérieur, plus précisément à la Direction du contre- mérité d'être considérés comme les services espionnage à l’étranger. spéciaux les plus puissants et les plus efficaces au monde. Au sein d’un service de sécurité, un officier du Mais il est d'abord nécessaire de clarifier certains contre-espionnage est souvent comparé à un chasseur, termes utilisés dans les différents services spéciaux car puisqu’il traque les espions adverses. À l’opposé, un agent chaque agence a son propre vocabulaire et ses propres du renseignement extérieur peut être considéré comme traditions. Sans cette clarification, il sera difficile - et le « gibier », car il évolue en milieu hostile. Et un membre parfois même impossible - de comprendre de quoi nous du contre-espionnage extérieur a le lourd privilège allons parler. Voici donc la terminologie russe. d’être à la fois un chasseur et un « gibier ». Au cours de ma carrière professionnelle, j'ai occupé les trois Il convient tout d'abord de prêter attention aux rôles et, croyez-moi quand je vous le dis, en termes « renseignement » et « espionnage », en travaillant à l'étranger pendant dix ans, j'ai excellé dans rappelant qu'au début du XXe siècle, ils chacun d'eux. À l’issue de mon troisième séjour à recouvraient deux significations distinctes. Pendant les l'étranger (Guinée, Sénégal, Angola), j'ai servi pendant opérations de combat, c'est-à-dire sur le champ de six ans comme instructeur à l'Institut de la Bannière bataille, les informations sur l'ennemi étaient rouge, le centre de formation du KGB, où l'actuel principalement obtenues par le biais du renseignement président russe Vladimir Poutine fut l'un de mes (militaire). Par espionnage, on entend en revanche le travail étudiants. Puis j'ai travaillé pendant trois ans, des agents dans le pays d'un ennemi potentiel en temps jusqu'à ma retraite, comme responsable des de paix, et derrière les lignes ennemies en temps de guerre. relations publiques et des médias du KGB, tout en étant attaché de presse pour son dernier président, Dans les pages qui suivent, nous utiliserons également Vladimir Kryuchkov. des termes tels que « renseignement légal » et « renseignement illégal ». Le mot « légal » est à Ma carrière professionnelle a été extrêmement réussie, je prendre entre guillemets car aucun service de n'ai donc aucune raison de me plaindre de mon sort et de renseignement n’agit légalement ; par définition, il s'agit critiquer l'agence dans laquelle j'ai servi. Grâce au KGB, j'ai toujours d'une activité clandestine, donc illégale. Dans eu une vie passionnante, j'ai vu le monde - croyez-moi, ce cas, « légal » signifie que la recherche du cela n'était alors pas facile dans l'environnement renseignement est effectuée à partir d'établissements soviétique et peu de gens l'ont fait -, j'ai rencontré des officiels d’un État (ambassades, représentations personnes extraordinaires et j'ai participé aux commerciales et autres) dans un pays étranger, c’est-à-dire événements qui ont marqué l'histoire du monde. Par bénéficiant d’une couverture diplomatique. Et « illégal » conséquent, j'ai accumulé de merveilleux souvenirs signifie que les opérations de renseignement sont conduites pour bercer mes vieux jours, dont je peux être fier. En en totale clandestinité, en utilisant des structures non outre, j'ai eu de la chance : comme la plupart des officielles et l’identité d'autres États.
8 Une dernière précision : dans les services de renseignement soviétiques et maintenant russes, les personnes qui font partie de la fonction publique - c'est-à-dire les officiers-traitants, les contrôleurs, les cadres opérationnels et techniques, les analystes et autres - sont appelées « employés » ou « travailleurs opérationnels ». Les personnes coopérant secrètement avec les services de renseignement mais qui n’en sont pas membres, à différentes périodes historiques, sont appelées, selon les périodes historiques : informateurs, employés secrets ou non officiels, assistants non officiels, agents... Ce dernier terme étant le plus souvent utilisé dans les services de sécurité soviétiques et russes, c’est celui qui sera employé ci-après. Enfin, pendant toute la période soviétique, le renseignement de sécurité de l'État vit se succéder différentes structures aux noms variés, mais ce furent toujours les mêmes hommes qui les animèrent : le VChK, le GPU, l'OGPU, le NKVD, le NKGB, le MGB, le KGB. Pour simplifier la compréhension, le nom KGB sera le plus souvent utilisé indépendamment de l'époque considérée.
1. LES ORIGINES 9 Constantin Melnik1, un analyste et expert internationalement fantasmes2 que la Russie a été le premier pays à organiser un reconnu dans le domaine des services secrets, que je service de renseignement sous sa forme moderne. Je suis tout à respecte beaucoup et avec lequel j'ai entretenu des relations fait d'accord avec son affirmation et vais essayer d’en donner amicales pendant près de vingt ans, affirme dans son livre des preuves convaincantes. extrêmement complet et instructif Les Espions. Réalités et L’HÉRITAGE DE LA RUSSIE IMPÉRIALE Bien avant 1917, un service de renseignement existait ministre des affaires étrangères dans le gouvernement de en Russie et à certaines périodes il a fonctionné assez Napoléon de 1797 à 1807 : Charles Maurice de Talleyrand- efficacement. La première mention de son existence dans les Périgord. chroniques russes remonte au Xe siècle. Puis, le service de renseignement russe a été officialisé en tant que service public Dès les premiers jours de l'invasion de la Russie, Napoléon professionnel en 1549, lorsque le tsar Ivan Ier créa le est sous l'influence de la désinformation diffusée par le Département du renseignement extérieur (Prikaz : « Bureau commandement militaire russe. De fausses informations des ambassadeurs »), c'est-à-dire un bureau selon lesquelles l'armée russe se préparait à une bataille diplomatique destiné à recueillir des informations par tous les générale ont largement limité ses actions visant à une moyens disponibles, y compris secrets. Ainsi, l’histoire du avance rapide à l'intérieur du pays, laissant à l’état-major du renseignement russe n’a rien à envier à celle de la Grande- tsar le temps d'organiser la défense et finalement de gagner la Bretagne, le renseignement britannique étant souvent guerre. considéré comme le plus ancien service au monde. Puis, les services de renseignement russes ont été créés en tant que Le renseignement russe a également été très actif avant et structure indépendante par le tsar Alexei Mikhailovich qui, en pendant la Première Guerre mondiale. Il a réussi à obtenir de 1654, a mis en place une chancellerie spéciale : l'Ordre des nombreux documents allemands d’importance stratégique : affaires secrètes. Sous Pierre Ier (1682-1725), les objectifs un plan de mobilisation, des informations sur le déploiement du service de renseignement extérieur deviennent davantage des forces sur le terrain et les réserves, des données sur les militaires que diplomatiques en raison de la situation de fortifications stratégiques, etc. En effet, dès 1906, l'attaché l'époque. militaire en Autriche, Marchenko, était parvenu à recruter le chef du service de renseignement militaire austro-hongrois, L’étape suivante – et importante – du développement du le colonel Alfred Rödl. Il travailla pendant dix ans pour les renseignement russe est liée à la menace que fit peser sur le services de renseignement russes, ce que les historiens pays l'invasion de Napoléon. À l'honneur du service de du renseignement considèrent comme le plus important renseignement et de ses dirigeants, face à ce danger, de recrutement d’un agent d'une puissance étrangère parmi solides mesures préventives furent prises qui permirent tous les espions opérant en Europe avant la Première Guerre d'obtenir des informations secrètes et opportunes mondiale. C'est de Rödl que l'état-major russe reçut des concernant les plans et les intentions de Napoléon et de documents aussi importants que le Plan-3 – plan d'attaque choisir la bonne stratégie d'action militaire, ce qui a abouti à de la Serbie – et le Plan de déploiement stratégique sa défaite. de l'armée d'Autriche-Hongrie contre la Russie. Un autre agent de renseignement russe très précieux fut le colonel Nesselrode, l'ambassadeur de Russie en France, reçut ces Jandrzek, de l'état-major austro-hongrois, recruté en 1910. renseignements de la plus haute importance d’un agent français travaillant sous les pseudonymes de « cousin Cependant, à la fin de la Première Guerre mondiale, il n'existait Henri », « Leandre », « Anna Ivanovna » et « conseiller pas en Russie de structure centralisant les renseignements juridique ». Celui qui se cachait derrière tous ces alias était le issus des différents services. Certes, aucun autre pays de la duc de Bénévent, grand-chambellan de la cour impériale, Triple Entente3 n’en disposait non plus. 1 Ancien conseiller pour le renseignement de Michel Debré – Premier ministre du général De Gaulle - pendant la guerre d’Algérie. Auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire du renseignement. 2 Ellipses, Paris, 2008. 3 Alliance militaire entre la France, le Royaume-Uni et la Russie..
10 Les départements militaires, diplomatiques, industriels, l'été 1917. Mais à ce moment-là, la Révolution de février financiers, commerciaux et autres, ainsi que le ministère avait déjà eu lieu et la monarchie fut renversée ; et, de l'Intérieur, collectaient des informations chacun de leur côté. en octobre 1917, la révolution socialiste éclata et une nouvelle ère commença alors, caractérisée par un changement L’autre lacune majeure du renseignement russe était la complet de gouvernement et de toutes les institutions de faiblesse du travail d'analyse au niveau central. Une l'État, y compris les services spéciaux. réorganisation commencée avant la guerre dût être reportée à NAISSANCE DES SERVICES SPÉCIAUX SOVIÉTIQUES Ainsi, les services de sécurité soviétiques furent créés Pourtant, l'un des problèmes les plus difficiles que connut le pratiquement à partir de rien. Il n’y eut aucune continuité service de renseignement extérieur soviétique à ses débuts avec les structures préexistantes. De nombreux officiers du fut le manque de personnel qualifié. Il avait en effet besoin de service de renseignement tsariste partirent en exil, aucun personnes instruites, équilibrées, connaissant les langues d'entre eux n'aurait accepté de servir le gouvernement étrangères, ayant l'expérience de la vie à l'étranger, et sachant soviétique ; et même s'ils avaient donné leur accord, se sentir à l’aise dans la haute société. Or, les personne ne les aurait embauchés pour travailler dans les représentants de l'aristocratie russe, les commerçants, les services de sécurité soviétiques en raison de leur origine propriétaires d'usines, les propriétaires terriens et même les sociale inacceptable. Les agents étrangers n'auraient jamais intellectuels fortunés étaient considérés comme des non plus travaillé pour la Russie soviétique. Nous avons donc dû "exploiteurs", des "éléments socialement étrangers", de repartir de zéro. sorte qu'il était strictement interdit de les employer dans les services de sécurité et autres agences gouvernementales. Mais il serait faux de dire que seuls des amateurs sont venus travailler dans les services de sécurité soviétiques. Leur À ce stade, il est nécessaire de clarifier un point qui a fait organisation efficace et leur développement rapide ont été l'objet pendant de nombreuses années de débats passionnés et facilités par le fait que de nombreux bolcheviks, notamment de toutes sortes de spéculations, tant en URSS qu'à ceux qui étaient considérés comme des révolutionnaires l'étranger. Il est bien connu que les organes de sécurité de professionnels, étaient habitués à opérer dans le secret et l'État, y compris les services de renseignement, étaient l'une avaient une grande expérience du travail clandestin, des institutions où la présence des Juifs dans les institutions y compris en exil. Ils avaient établi des structures de l'État soviétique était la plus visible. Lors de la création de illégales bien implantées à l'étranger et comptaient un la Tcheka à l'époque de Dzerjinski et jusqu'au milieu des nombre incalculable de partisans, déclarés ou non, années 1940, les Juifs ont été employés par les services dans divers cercles. En raison de leur expérience, ce sont de sécurité soviétiques en tant qu'opérateurs de base, eux qui furent choisis pour créer les services spéciaux de ainsi que dans tous les postes de direction. Cela l’URSS sous la direction de Félix Dzerjinski et qui s'explique par le fait qu’en ces temps difficiles, la en formèrent l’ossature ; ce sont eux qui ont établi la pénurie de personnel était telle, qu’il était indispensable de tradition tchékiste, laquelle a été strictement respectée faire appel à eux comme à quelques autres nationalités non pendant toute la période soviétique et l'est encore russes. largement aujourd'hui. Lors de la Perestroïka en URSS, les nationalistes russes les Au cours des premières années du régime soviétique, la plus féroces – appartenant à des organisations telles que création de réseaux d'informateurs à l’étranger ne présentait Pamyat ou L’Unité nationale russe – et quelques pas de difficultés insurmontables. Il suffisait qu'un agent de nouveaux démocrates ont multiplié les critiques contre le renseignement, avant de partir pour un pays quelconque, régime en expliquant que la politique de Gorbatchev – contacte les anciens bolcheviks ayant opéré dans la comme d'autres au cours de l’histoire soviétique – était clandestinité et ceux-ci lui donnent les coordonnées et les due aux machinations des sionistes, qui auraient occupé des procédures de communication avec une douzaine de leurs postes clés à la direction de nombreux organismes contacts et amis dans le pays. L’agent n'avait plus alors qu'à se d'État, y compris dans les organes de sécurité. Cela est rendre sur place, à se présenter et le réseau de renseignement faux. Les Juifs très instruits issus de familles riches, ainsi était prêt à œuvrer à son profit. À partir de cette organisation que ceux ayant reçu une éducation dans les universités fonctionnant de manière fiable, il fut possible d’obtenir les européennes, étaient considérés par leur origine sociale secrets les plus confidentiels des pays étrangers et les envoyer comme "petits bourgeois", c'est-à-dire socialement à Moscou. proches des éléments du prolétariat, et non comme des représentants des classes exploiteuses, ce qui n'empêchait donc pas leur intégration dans les services publics.
11 Il a fallu de nombreuses années pour que les représentants Affaires intérieures. Ce groupe a mené de nombreuses et des nouvelles "classes dirigeantes" soviétiques dangereuses opérations de renseignement et de sabotage à reçoivent un enseignement secondaire, puis supérieur, l’étranger, notamment l'enlèvement et la liquidation de apprennent les langues étrangères et puissent rejoindre personnalités de l'émigration russe blanche. Il est les rangs des services spéciaux. En 1938, l'École responsable de l'enlèvement des dirigeants de l'Union spéciale (plus tard l'école n°101 du KGB) fut créée et russe des généraux, Kutepov et Miller, à Paris, dans les accueillit des étudiants provenant exclusivement de la années 1930, ainsi que de l’élimination de transfuges et de classe ouvrière. Les diplômés de l'école – Institut de la traîtres. Un autre espion majeur fût Leiba Feldbin - alias Bannière rouge du KGB, renommé en 1968 du nom de Yuri Alexander Orlov, pseudonyme opérationnel "Shved" -, Andropov – formèrent alors l'épine dorsale des services de qui fût directement impliqué dans la création et la renseignement soviétiques au cours des décennies gestion du réseau de Cambridge en Grande-Bretagne. suivantes. Aujourd'hui, cet établissement Pendant la guerre civile espagnole, "Shved" fut d'enseignement, transformé en Académie du SVR, forme les résident du NKVD et a personnellement dirigé le cadres du service de renseignement russe. transfert des réserves d'or espagnoles vers l'Union soviétique. Il effectua de nombreuses autres opérations Les Juifs ont travaillé en masse dans les services de sécurité majeures. En 1938, craignant des représailles, il s'enfuit soviétiques jusqu'en 1948, date à laquelle, suite à la création aux États-Unis où il vécut de nombreuses années. Il fut de l'État d'Israël et à sa victoire sur les Arabes dans la guerre interrogé à plusieurs reprises par le FBI mais ne trahit d'indépendance, Staline a lancé une campagne antisémite aucun des agents des services de renseignement en Union soviétique : la plupart des Juifs ont alors été soviétiques qu'il connaissait, dont Kim Philby et ses collègues expulsés des agences de sécurité et de renseignement. Mais du réseau de Cambridge. au cours des années 1920 et 1930, le travail des Juifs au sein des services de renseignement soviétiques était très utile et efficace, et ils ont grandement contribué à leurs plus belles réalisations dans les années d'avant- guerre. Parmi les espions les plus performants de cette période figure Naum Eitingon. Avant la révolution, sa famille s'occupait depuis plusieurs décennies du commerce de la fourrure et possédait des maisons de commerce dans de nombreux pays d'Europe et d'Amérique latine. À la demande de Felix Dzerjinski, le Commissariat du peuple au commerce extérieur de l'URSS instaura, au début des années 1920, des conditions préférentielles pour l'achat et l'exportation de fourrures depuis la Russie soviétique. Cela permit à Etingon de se déplacer librement dans le monde entier, d'avoir des points de chute partout, de bénéficier de l'aide de nombreux parents, de ressources financières, des connexions utiles et d’une couverture idéale pour conduire ses activités de renseignement. C'est Eitingon qui a organisé et mené à bien l'opération Duck : l'assassinat au Mexique, sur ordre personnel de Staline, de son plus dangereux adversaire politique, Léon Trotsky. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Eitingon fut l'un des chefs du célèbre Département de reconnaissance et de subversion du NKGB, qui organisa la lutte des partisans sur les arrières de la Wehrmacht. Un autre brillant représentant de cette communauté ayant servi le renseignement soviétique est Yakov Serebryansky. Il dirigea un groupe d'opérations spéciales hautement secret, entré dans l'histoire du renseignement soviétique sous le nom de Groupe de Yasha, directement subordonné au commissaire des
12 2. LES SPÉCIFICITÉS DU RENSEIGNEMENT SOVIÉTIQUE Pour commencer, je voudrais parler de la spécificité du que soit leur nationalité : la compétence des personnels ; service de renseignement soviétique, de ses particularités, l’organisation opérationnelle mise en place afin d'obtenir des de son style et de son professionnalisme. Il est connu que renseignements de natures politique, militaire, scientifique, toutes les agences de renseignement du monde utilisent des technique et économique ; l’exploitation de ce que l'on méthodes de travail inventées dans les premiers temps de appelle le "facteur humain" - en d'autres termes, les la civilisation humaine et qui sont devenues depuis des agents et les relations de confiance -; et l'utilisation de méthodes universelles. Par conséquent aucune agence de moyens techniques. renseignement dans le monde n'a le droit de revendiquer la primauté dans ce domaine. Au cours des siècles, les Quelles furent donc les principales caractéristiques et les services de renseignement n’ont fait que les reproduire et différences du renseignement soviétique par rapport à les améliorer. ses homologues étrangers ? Quelles "spécialités", ou en langage moderne, quels savoir-faire les espions Il existe toutefois un certain nombre de caractéristiques soviétiques ont-ils développés dans la guerre secrète qui distinguent les agences de renseignement, quelle contre leurs adversaires ? L’UNITÉ DU SYSTÈME DE RENSEIGNEMENT ET DE SÉCURITÉ En raison de conditions historiques spécifiques, dès les l'échange d'informations utiles et leurs activités au sein premières années du régime soviétique en URSS s'est d'une seule agence et avec une seule direction, sans forgé le concept d'un service unique de sécurité d'État, le barrières bureaucratiques supplémentaires, que s’il avait contre-espionnage et le renseignement étranger étant existé deux services distincts. Par exemple, lorsque le réunis au sein d’une seule agence. Il faut rappeler qu'en renseignement extérieur a obtenu des informations sur décembre 1917 - c'est-à-dire un mois et demi après la les intentions des services de renseignement Révolution d'octobre -, des organes de contre-espionnage étrangers contre le pays, sur leurs employés et sur les avaient été créés pour lutter contre les activités contre- agents qui se préparaient à opérer en Union soviétique révolutionnaires. Puis, en décembre 1918, le Département et sur les actes subversifs de nature hostile prévus, spécial - contre-espionnage militaire - de la Tcheka fut créé. Ce alors ces renseignements ont été communiqués sans n'est que deux ans plus tard, en décembre 1920, lorsque les délai aux unités de contre-espionnage et toutes les état-majors des organisations contre-révolutionnaires se activités pour les neutraliser ont été menées en étroite sont déplacés à l'étranger - y compris en France - et ont coopération entre les deux organismes. commencé à coopérer étroitement avec les services secrets étrangers, qu'a été créé le service de renseignement • Deuxièmement, le niveau professionnel des membres des extérieur (Département des affaires étrangères de la services et l'efficacité de actions ont été sensiblement Tcheka). Il a été formé à partir d’éléments issus du contre- accrus grâce à la rotation régulière du personnel entre les espionnage et est devenu partie intégrante du service de unités de recherche et de contre-espionnage. Cet sécurité de l'État soviétique. Dans les années qui suivirent, il avantage a d'ailleurs été souligné par les experts y eut des tentatives répétées de séparer le service de étrangers des services spéciaux. En effet, il existait une renseignement du contre-espionnage, de le subordonner à pratique solidement établie au KGB selon laquelle la d'autres départements ou de le transformer en une agence plupart des membres des services de renseignement indépendante ; mais elles ont échoué et n'ont fait que nuire. soviétiques recevaient d’abord une formation en contre- C'est pourquoi ce principe d’un service unique a été maintenu espionnage et commençaient leur carrière professionnelle jusqu'à l'effondrement de l'Union soviétique. dans les structures territoriales relevant de l'appareil central du contre-espionnage. La connaissance des Quels ont été les avantages de cette organisation ? services de sécurité étrangers et de leurs méthodes de • Premièrement, elle a permis d'assurer une coopération fonctionnement les aidait ensuite à réussir dans le travail de opérationnelle claire et efficace entre toutes les unités de renseignement. De même, une partie des membres issus renseignement et de contre-espionnage. Il était beaucoup du service de renseignement extérieur, qui se virent plus facile et rapide de coordonner leur travail, d'organiser affectés au cours de leur carrière dans des
13 unités de contre-espionnage, utilisa avantageusement • Troisièmement, l’association du travail de renseignement et l'expérience acquise à l'étranger pour détecter les de contre-espionnage au sein d'une même agence était employés et les agents des services de sécurité étrangers en beaucoup moins coûteuse qu'au sein de deux services Union soviétique. Il est bien évident que dans des distincts car cela permettait la réduction des coûts liés à la conditions « d'existence séparée », il était impossible gestion du personnel et au fonctionnement (équipement d'assurer une rotation du personnel aussi efficace. opérationnel, communications, transport, etc.). LA PUISSANCE DU LEVIER IDÉOLOGIQUE Un autre trait caractéristique et un grand avantage du vanter du fait que des ressortissants étrangers aient coopéré renseignement soviétique par rapport aux agences de avec elles pour des raisons idéologiques. Les services renseignement occidentales était le privilège indéniable qu'il secrets soviétiques peuvent le faire ! Les agents les plus avait de pouvoir réaliser un important travail de recrutement à fiables, qui obtenaient les renseignements les plus l’étranger sur des bases politiques et idéologiques - ce que les précieux et qui étaient prêts à faire n'importe quel agences de renseignement occidentales, en particulier la CIA, sacrifice – voire même à mourir –, travaillaient pour le qualifiaient « d'idéologique » - lui permettant de créer et renseignement soviétique uniquement pour des d’entretenir de nombreux réseaux de renseignement. raisons idéologiques ! C'est précisément à de tels Cette efficacité était liée aux « conditions favorables » dont il agents que le renseignement soviétique doit ses bénéficia pendant la Guerre froide en raison de la popularité de plus grands succès. À titre de preuves, il suffit de l’idéologie communiste. Un Français a dit un jour - je ne me nommer Richard Sorge, Kim Philby, Donald Maclean, souviens pas exactement qui - « Les Russes ont inventé Guy Burgess, Anthony Blunt, John Cairncross, Julius l'amour pour ne pas avoir à payer les femmes ». Par analogie, Rosenberg, Klaus Fuchs, Theodore Hall, Morris et Lona nous pouvons dire que les services de renseignement Cohen et d'autres agents « atomiques » : George Blake, soviétiques ont "inventé" les bases idéologiques et Georges Puck, Heinz Felfe, Arne Treholt… et bien d'autres politiques du recrutement d'agents parce qu'elles agents inconnus. permettaient de réaliser des économies importantes. Mais le recrutement sur une base idéologique et L’adhésion politique et idéologique est essentielle, pas politique est un art difficile, car les doctrines politique et seulement pour les services de sécurité. Toute idéologique sont inconstantes. Elles ont subi d’importants organisation, tout parti, tout mouvement ou toute changements, parfois imprévisibles, pendant la durée du entreprise souhaite avoir dans son personnel des individus régime soviétique. Leur fondement, bien sûr, motivés qui mettent volontairement leur énergie et leurs a toujours été l'idéologie communiste. Mais capacités au service de la cause commune, dont ils celle-ci n'a jamais été quelque chose d'invariable partagent pleinement les objectifs et qu’ils sont prêts à et de stable : elle a été soumise à des évolutions et servir fidèlement. des fluctuations constantes, au même titre que la fameuse « ligne du PCUS », laquelle a varié en fonction de la Dans un service de renseignement, où la fiabilité du vision du monde des divers dirigeants soviétiques. personnel et des agents est primordiale, cette exigence Aussi le levier idéologique s’est révélé sensible aux revêt une importance particulière car c'est la conviction événements qui se déroulaient en URSS, ainsi qu’à idéologique qui cimente ses membres et rend son activité l'attitude du monde extérieur à l’égard de ces évolutions. efficace et invulnérable. Dans les années post-révolutionnaires, la Par manque de connaissances, je ne peux juger de la place base idéologique reposait sur une croyance naïve mais qu'occupe la base idéologique dans le travail de recrutement ferme en l'inéluctabilité de la « révolution mondiale ». Sa des agences de renseignement occidentales1. Mais le fait réalisation fut confiée au Komintern et de nombreux que la plus grande partie des agents du service de « combattants idéologiques » s’engagèrent sous la renseignement soviétique – et les meilleurs – a été recrutée sur bannière de cette organisation pour préparer « l’avenir des bases idéologiques et politiques est un fait radieux de l'humanité ». Au cours des années précédant le incontestable. Peu d’agences de renseignement peuvent se second conflit mondial, l’axe principal de la base idéologique 1 Toutes les agences de renseignement du monde occidental recrutaient – et continuent de recruter – des agents en utilisant quatre leviers : les sympathies politiques, l'intérêt matériel (argent), la menace de compromission (chantage) et l'ego (amition ou frustrations personnelles). Le renseignement russe n’utilisait pas ce quatrième levier.
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