M. Sarkozy déjà couronné par les oligarques des médias ?

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                                             SEPTEMBRE 2006 - Pages 22 et 23

HUIT MOIS AVANT L’ELECTION PRESIDENTIELLE EN FRANCE
M. Sarkozy déjà couronné par les oligarques des
médias ?

Adossés à des sondages dont la fiabilité est pourtant nulle plusieurs mois avant l’échéance,
les principaux médias français présentent comme jouée l’élection présidentielle du
printemps prochain : son second tour opposerait donc M. Nicolas Sarkozy à
Mme Ségolène Royal. Si tous deux tirent un même profit de la personnalisation inouïe des
enjeux, M. Sarkozy dispose d’un atout spécial. Jamais dirigeant politique n’avait bénéficié
autant que lui de l’appui des patrons de presse.

Par MARIE BENILDE
Journaliste.

La courte défaite électorale de M. Silvio Berlusconi, en avril 2006, a porté un coup au système clanique
italien, bien déterminé à contrôler l’opinion grâce à un mélange de marketing politique, d’intérêts croisés
avec la presse et l’édition, et de mainmise directe ou indirecte sur le paysage audiovisuel. Certes, un an
plus tôt, en France, le référendum sur la Constitution européenne établissait qu’il ne suffisait pas de
disposer de la quasi-totalité de l’espace médiatique pour convaincre une majorité de citoyens. Toutefois,
la perspective de l’élection présidentielle, au printemps 2007, va permettre d’apprécier si un laborieux
travail de domestication des médias ne finit pas, malgré tout, par se révéler payant. N’est-ce pas ainsi que
certains ont interprété la réélection à la tête de l’Etat de M. Jacques Chirac en 2002, sur fond de
campagne de presse matraquant le thème de l’insécurité ?

Tout est en place, en tout cas, pour favoriser l’intronisation de M. Nicolas Sarkozy à l’Elysée. Chef du
principal parti de droite, l’Union pour un mouvement populaire (UMP), ministre de l’intérieur et
président du conseil général du département le plus riche de France, les Hauts-de-Seine, l’homme s’est
employé à construire depuis vingt ans un étonnant réseau d’influence dans les médias. Au service de ses
ambitions suprêmes. Ce réseau a une nouvelle fois donné sa mesure pendant l’été 2006. Le nouveau livre
de M. Sarkozy, Témoignage (Xo, Paris), paru en juillet, fut aussitôt salué par une couverture souriante du
Point (la troisième en quatre mois) et, entre autres exemples, par un entretien d’une complaisance
presque burlesque avec Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1. Pour l’intervieweur et patron de la radio
privée appartenant au groupe Lagardère – qui comprend aussi Paris Match, Le Journal du dimanche,
Elle... –, M. Sarkozy a cette qualité remarquable qu’il refuse la « docilité ». Une vertu qu’on sait très
prisée par M. Arnaud Lagardère, dont Jean-Pierre Elkabbach est aussi le conseiller : en juin 2006,
l’éviction d’Alain Genestar, directeur de Paris Match, coupable d’avoir publié en couverture une photo de
l’épouse du président de l’UMP avec son compagnon de l’époque, démontra les limites de l’indocilité
permise aux médias du groupe en question. Un patron de presse limogé pour complaire à un ministre et
chef de parti ? Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas connu pareille marque d’allégeance journalistique
au pouvoir politique...

Il y a là le résultat d’un long et patient travail entrepris par le candidat de l’UMP pour se rapprocher des
grands patrons propriétaires de médias. M. Sarkozy possède un épais carnet d’adresses d’amis influents
dans la presse et l’audiovisuel. On y remarque d’abord les familiers, comme M. Martin Bouygues,
actionnaire de TF1 et parrain de son fils, ou M. Bernard Arnault (La Tribune, Investir, Radio Classique),
dont la fille Delphine se maria en présence de M. Sarkozy. Habitant Neuilly, MM. Bouygues et Arnault
furent tous deux témoins aux épousailles du maire de la ville.

                          Des compagnons de route... cyclable
Ces relations professionnelles ont affermi les amitiés. Ainsi, M. Lagardère doit à M. Sarkozy le règlement,
en 2004, du conflit d’héritage qui l’opposait à sa belle-mère Betty, lorsque l’homme politique et ancien
avocat d’affaires avait, en tant que ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, la haute main
sur l’administration fiscale. « On signe ton truc fiscal et on passe à autre chose », aurait dit le ministre,
sitôt nommé à Bercy (1). Décédé en 2003, Jean-Luc Lagardère avait lui aussi eu l’occasion d’apprécier,
lors de la faillite de La Cinq en 1992, les conseils de l’associé du cabinet Claude-Sarkozy.

En avril 2005, le président de l’UMP fut l’invité d’honneur d’un séminaire du groupe Lagardère à
Deauville. L’héritier Arnaud le présenta « non pas comme un ami, mais comme un frère ». Un mois plus
tard, le patron du principal groupe de presse et d’édition français affichait son amitié en participant à un
meeting de M. Sarkozy (animé par le journaliste Michel Field) en faveur du « oui » à la Constitution
européenne. M. Lagardère dévoila ce soir-là la nature de son engagement : « Quand il y a un but à
marquer, je préfère être dans l’équipe que dans les vestiaires (2). » Stéphane Courbit, président
d’Endemol France, producteur des émissions de Marc-Olivier Fogiel et de Karl Zéro, assistait également
à cette réunion électorale.

De son côté, M. Serge Dassault (Le Figaro, Valeurs actuelles) se souvient que l’actuel ministre de
l’intérieur a « démêlé » la succession de son père Marcel (3). Et il n’ignore pas que M. Sarkozy est devenu
un familier de son fils aîné Olivier, par ailleurs député UMP. Parfois, les rôles s’entrecroisent : proches de
la famille, MM. Bouygues et Arnault comptèrent aussi au nombre des clients du cabinet d’avocats. Enfin,
avec un homme politique amateur de vélo, on ne saurait oublier les compagnons de route... cyclable.
MM. Bouygues et Arnault sont à nouveau du nombre, tout comme M. Jean-Claude Decaux, leader
mondial de l’affichage urbain, et M. François Pinault, propriétaire du Point. Sans oublier Michel Drucker,
animateur populaire de France 2.

La construction d’un tel réseau n’est nullement le fruit du hasard. En 1983, lorsqu’il conquiert, à 28 ans,
la mairie de Neuilly, M. Sarkozy s’attelle très vite à bâtir un cercle de relations susceptibles de favoriser
son ascension politique. Sa ville, une des plus prospères de France, compte deux mille quatre cents
entreprises, donc de nombreux patrons qui s’intéressent à lui en voisins ou en simples administrés, à titre
personnel ou professionnel. Dès 1985, le maire crée le club Neuilly Communication, lequel compte parmi
ses membres M. Gérald de Roquemaurel, président-directeur général d’Hachette Filipacchi Médias,
M. Nicolas de Tavernost, président de M6, ou encore M. Arnaud de Puyfontaine, patron de Mondadori
France (ex-Emap France, troisième éditeur de magazines). M. Sarkozy veille également à s’entourer de
publicitaires, comme MM. Thierry Saussez, président d’Image et stratégie, Philippe Gaumont (FCB), puis
Jean-Michel Goudard (le « G » d’Euro RSCG). Il fréquente enfin les grands annonceurs Philippe Charriez
(Procter & Gamble) et Lindsay Owen-Jones (L’Oréal).

En juillet 1994, l’actuel président de l’UMP devient simultanément ministre de la communication et
ministre du budget du gouvernement de M. Edouard Balladur, ce qui lui permit d’être à la fois le
décideur politique et le pourvoyeur de fonds publics des grands groupes de médias... Mais c’est surtout sa
position de porte-parole du gouvernement, puis du candidat Balladur, entre 1993 et 1995, qui l’amène à
rencontrer les hommes d’influence que sont Alain Minc – lequel le conseillera dix ans plus tard à
l’occasion du référendum européen – et Jean-Marie Colombani, en train de consolider leur pouvoir au
Monde. M. Sarkozy s’emploie à orchestrer l’engouement médiatique en faveur de M. Balladur, dont
M. Minc est un des partisans déclarés, et à présenter son élection comme acquise. Il bénéficie à cette fin
de l’appui du sondeur Jérôme Jaffré, alors directeur général de la Sofres. Le 22 mars 1995, Le Monde
titre en « une » : « et Mme Chirac ont tiré profit d’une vente de terrains au Port de Paris ». L’information
émane de la direction du budget chapeautée par... M. Sarkozy.

TF1 est également de la partie (4). Une de ses présentatrices, Claire Chazal, signe une hagiographie de
M. Balladur tandis que M. Bouygues ouvre les portes de sa chaîne à celui qui passe déjà pour un vice-
premier ministre. « Pour Martin [Bouygues], explique un observateur, Sarkozy est une espèce de maître
à penser. Pour Sarkozy, Martin est une force. Leur duo est une association, une PME. Ce qui explique en
partie pourquoi, pendant la campagne de 1995, TF1 est devenue “télé Balladur”. Bouygues ne rendait
pas service à Balladur, mais à l’un des lieutenants (5). » C’est l’époque où l’ambitieux ministre est
surnommé « Darty » en raison de sa propension à être omniprésent avant et après la météo... Alors
directeur de l’information de France 2, Jean-Luc Mano suit le mouvement ; il participera plus tard à la
conception de la campagne menée par M. Sarkozy pour les élections européennes de 1999. L’échec sera
cuisant (6).

Déjà en 1995, M. Sarkozy a choisi le mauvais camp. Qu’importe, il profite de son ascension-éclair pour
imposer son style et son image. En mai 1993, une spectaculaire prise d’otages dans une maternelle de
Neuilly le fait connaître des téléspectateurs. « Il était toujours devant les caméras, sans parler, rappelle
Jean-Pierre About, rédacteur en chef au service enquête de TF1. Mais le lendemain, lorsque HB [Human
Bomb, nom donné au preneur d’otages] a pris une balle, il avait disparu du dispositif. Un coup de
maître, puisqu’il n’est pas lié à la polémique sur l’opportunité de tuer le ravisseur qui a suivi (7). » Cette
technique dite du « mouvement permanent », qui consiste à se saisir de l’actualité immédiate pour
apparaître à son avantage dans les médias, puis à foncer sur un autre événement, constitue la marque de
fabrique de M. Sarkozy.

                   « Je sais ce qui se passe dans vos rédactions »
En 2002, lors de la campagne présidentielle, un premier passage au ministère de l’intérieur lui permet de
systématiser cette méthode de communication. TF1, dont les journaux télévisés mettent en scène un
climat d’insécurité, se fait le relais zélé de la riposte ministérielle. Le 22 mai 2002, une intervention à
Strasbourg du groupe d’intervention régional, à l’occasion de laquelle l’homme politique se fait
omniprésent, donne le ton. TF1 évoque alors la saisie d’« armes de guerre » : deux pistolets, quatre
caméscope, trois ordinateurs et deux appareils photo numériques (8)... Très vite, le ministre devient
l’unique émetteur de la parole policière. En novembre 2005, les émeutes dans les banlieues illustrent ce
basculement. Une cellule de communication est installée Place Beauvau et, dorénavant, l’information
officielle passe par le prisme du ministre de l’intérieur. Lequel – « Kärcher », « racaille » – aime jouer
les pompiers pyromanes.

Dépendants de sa parole, les médias en sont aussi les dépositaires. A l’évidence, M. Sarkozy a une
faconde et un style imagé qui leur plaisent. « C’est le nouveau présentateur du JT de 20 heures », ironise
M. François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, en guise de décompte des apparitions du
ministre dans les journaux télévisés. Aucun homme politique n’a été, comme lui, trois fois l’invité de
l’émission « 100 minutes pour convaincre » de France 2. Chaque fois, l’audience est au rendez-vous
(entre 4 et 6 millions de téléspectateurs).

Son adresse oratoire doit beaucoup aux « ficelles » du métier d’avocat : recours emphatique aux formules
interrogatives et aux anaphores (« Parce que vous croyez que... »), effets de sidération par les images
(« On ne peut pas violer impunément une adolescente dans une cave »), posture du « parler vrai » et
populaire (« Moi, j’essaye d’être compris des gens »)... La séduction joue auprès des journalistes. « Il a
une manière de poser les questions qui fait qu’on est toujours d’accord avec la réponse. On fait un peu
office de sparring partner (...), avoue Thomas Lebègue, journaliste à Libération. Il voit comment les
arguments passent auprès des journalistes avant de les diffuser à grande échelle (9). » Fût-il ministre
de l’intérieur, un poste qui ne garantit pas d’ordinaire une grande popularité chez les journalistes, un
homme qui montre qu’il adore les médias et qui se prête à leur jeu de l’image ne saurait être mauvais...

Cette idylle s’exprime en chiffres : depuis son retour Place Beauvau, en mai 2005, M. Sarkozy a eu droit à
une moyenne mensuelle de 411 articles, contre 220 pour M. Dominique de Villepin lorsqu’il exerçait les
mêmes fonctions (10). L’homme a compris comment amadouer ce que la presse est devenue. Ministre du
budget ou des finances, il s’est gardé de toucher à l’abattement fiscal contesté des journalistes (7 650
euros par an déductibles du revenu imposable). Simultanément, il a pris des positions très libérales sur la
défiscalisation des entreprises, l’impôt sur la fortune ou les droits de succession. Elles ne peuvent que
satisfaire ces magnats-héritiers que sont MM. Lagardère, Bouygues, Dassault, Edouard de Rothschild,
etc. (11).

« Un journaliste qui me critique est un journaliste qui ne me connaît pas », a coutume de dire
M. Sarkozy. N’est-il pas d’ailleurs une sorte de confrère, lui qui rêva un temps de devenir présentateur du
« 20 heures » ? En 1995, quand il publie sous pseudonyme une série d’articles intitulée « Lettres de mon
château », dans Les Echos, il montre qu’il s’intéresse autant à la vie des médias qu’à la politique. Du
coup, l’homme a l’habitude de valoriser les journalistes, de s’intéresser aux nouvelles recrues. De les
tutoyer aussi, comme Laurent Joffrin, directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, ou Jean-Marie
Colombani. Dans ce dernier cas, Edwy Plenel s’en déclara troublé... mais en mars 2006, six mois après
avoir quitté la rédaction du Monde. En 2003, au moment de la sortie du livre de Pierre Péan et de
Philippe Cohen consacré au quotidien du soir, le même avait néanmoins sollicité le conseil du ministre
dans son bureau de la place Beauvau (12).

M. Sarkozy sait également se rendre disponible auprès de journalistes moins chevronnés. Il impose
d’ailleurs à son conseiller à la presse, M. Franck Louvrier, de ne jamais laisser un appel sans réponse.
Mais gare à ceux qui pourraient être tentés de faire dissidence. « Je sais tout ce qui se passe dans vos
rédactions », lance-t-il un jour de janvier 1995 à des reporters lors d’un déplacement dans le Nord (13).
De fait, il peut compter sur Jean-Pierre Elkabbach pour être consulté quand Europe 1 envisage de
recruter un journaliste chargé de suivre l’UMP (14). Ou sur M. Bouygues : c’est ainsi M. Sarkozy qui,
avant un voyage délicat aux Antilles, annonce – y compris à la rédaction de TF1 – qu’un journaliste noir,
Harry Roselmack, prendra les rênes de la présentation du « 20 heures » pendant l’été 2006.

Le président de l’UMP dispose à présent des cartes lui permettant d’espérer l’épilogue présidentiel de
cette puissante orchestration médiatique. Peu importe qu’il se trompe ou qu’il se contredise dès lors que
nul ou presque dans la presse ne le souligne. Le 25 janvier 2006, il estime, par exemple, que le contrat
première embauche (CPE) constitue « une très bonne mesure pour l’emploi de jeunes ». Six mois plus
tard, il se ravise : « J’étais persuadé que le CPE serait vécu comme injuste pour la raison simple qu’il
l’était. » En juillet dernier, il approuve chaudement les bombardements et les préparatifs d’invasion du
Liban sud : « Israël se défend » (Europe 1, 18 juillet). Plus tard, il se déclarera néanmoins d’accord avec le
président de la République, assurément plus réservé sur le sujet (15).

De même qu’il a séduit nombre d’acteurs, de chanteurs et de stars du show-business (Jean Reno,
Christian Clavier, Johnny Hallyday, etc.), M. Sarkozy parvient à être apprécié de journalistes réputés de
gauche. M. Saussez s’en félicite : « Il a une bonne image chez des gens qui n’ont pas ses opinions : c’est
très nouveau (16). » Naviguant entre la clémence relative, avec l’abrogation de la double peine, et la
répression, avec la nouvelle loi sur l’immigration, le président de l’UMP offre à chacun motif à se laisser
séduire. « Il considère que son rôle est de convaincre. Et d’abord les journalistes », concède son fidèle
lieutenant, le ministre délégué aux collectivités territoriales Brice Hortefeux (17).

Si ces derniers constituent bien la cible de M. Sarkozy, c’est qu’ils vont ensuite relayer une image
susceptible de prospérer dans des cercles influents, lesquels eux-mêmes influenceront d’autres cercles
concentriques dans leur entreprise, leur club de sport, leur voisinage... sans être nécessairement un
vecteur d’opinion direct, les médias comptent auprès de ceux qui pensent que les médias influencent le
public.

En tout cas, M. Sarkozy a le temps et l’occasion de s’exprimer. Le matin sur Europe 1, Jean-Pierre
Elkabbach lui octroie couramment vingt minutes supplémentaires d’entretien ; LCI, filiale de TF1,
retransmet en direct ses vœux à la presse ; il fait la couverture de TV Magazine, ce supplément du Figaro
diffusé auprès de cinq millions de lecteurs potentiels, à l’occasion d’un entretien sur Canal+ avec son ami
Michel Denisot, déjà coauteur d’un livre avec le ministre. Quant à sa relation avec son épouse, Cécilia,
elle fait le bonheur de la presse « people » (Gala, Paris Match...) chaque fois qu’elle sert les intérêts du
présidentiable, mais provoque désormais l’autocensure, voire la censure, sitôt qu’elle cesse d’être à son
avantage. Ainsi, lorsqu’une journaliste de Gala, Valérie Domain, décida en 2005 d’écrire un livre qui
n’agréait pas à M. Sarkozy, Entre le cœur et la raison, l’éditeur – M. Vincent Barbare – fut convoqué
Place Beauvau.

                                   Une inhabituelle passion
La volonté de contrôler les médias peut être assez naturelle chez un responsable politique. Plus
inhabituelle est la passion d’une communauté de dirigeants de médias et de journalistes (Denis Jeambar,
qui vient de quitter la direction de L’Express pour celle des éditions du Seuil, et Franz-Olivier Giesbert,
président-directeur général du Point, par exemple) à lui servir de relais. Encouragés par l’aura dont
bénéficie le présidentiable auprès de leur propriétaire ou de leurs annonceurs, ils surestiment sans doute
la séduction qu’il exerce et ils occultent trop volontiers l’échec de sa politique, par exemple sur le terrain
des violences aux personnes (elles ont officiellement augmenté de 12 % entre mai 2002 et avril 2006).
Inversement, quand les mêmes faiseurs d’opinion soulignent la médiocrité du bilan de M. de Villepin, ils
font mine d’oublier que M. Sarkozy est un des principaux ministres de son gouvernement. Et que la
querelle entre les deux hommes constitue aussi un moyen artificiel de permettre à la droite de s’offrir une
alternative à elle-même.

En rebondissant sans cesse sur l’actualité, M. Sarkozy teste des idées qu’il calibre empiriquement en
fonction de l’écho médiatique qu’elles reçoivent. Son objectif est de construire ainsi une légitimité
cathodique et de demeurer au zénith des instituts de sondage avec une autorité conférée par les « unes »
plutôt que par les urnes. Sur ce point précis, certains candidats socialistes, dont Mme Ségolène Royal, ne
se comportent pas toujours différemment. Pour expliquer qu’elle ait, à son tour, décidé de s’installer sous
les feux de la rampe, un conseiller de la présidente du conseil régional de Poitou-Charentes admet : « La
présence médiatique donne l’apparence de l’action. On a décidé de faire comme Nicolas Sarkozy, on
prend toutes les occasions. On cannibalise tout (18). »

Dans le cas du ministre de l’intérieur, tout le monde – ou presque – y trouve son compte, tant que le
« produit » se vend : « C’est le seul homme politique dont les régies publicitaires sont contentes quand il
fait la couverture », avance M. Jérôme Peyrat, directeur général de l’UMP (19). Ce genre de
considération n’est pas sans importance dans la presse, compte tenu du déclin de sa diffusion. Quant aux
Français, ils auront bientôt à se prononcer sur le profit qu’ils retirent de l’exposition avantageuse d’un
homme entièrement tourné vers la satisfaction de son ambition et de son clan.

(1) Airy Routier, Le Complot des paranos, Albin Michel, Paris, 2006, p. 119.

(2) Cité par Serge Halimi, Les Nouveaux Chiens de garde, réédition de 2005, Raisons d’agir, Paris.

(3) Cf. « Sarkozy et les patrons », Le Point, Paris, 26 août 2004.

(4) Lire Pierre Péan et Christophe Nick, TF1. un pouvoir, Fayard, Paris, 1997.

(5) Victor Noir (nom d’un collectif de journalistes sous la direction de Laurent Valdidié et Karl Laske), Nicolas Sarkozy ou
le destin de Brutus, Denoël Impact, Paris, 2005, p. 56.

(6) Le Rassemblement pour la France (RPF) de M. Charles Pasqua (13,05 %) avait alors devancé le Rassemblement
pour la République - Démocratie libérale de M. Sarkozy (12,82 %). Le Parti socialiste, allié au Mouvement républicain et
citoyen, totalisait 21,95 % des suffrages.

(7) Claire Artufel et Marlène Duroux, Nicolas Sarkozy et la communication, Pepper, Paris, 2006, p. 37.

(8) Aymeric Mantoux, Nicolas Sarkozy ou l’instinct du pouvoir, First Editions, Paris, 2003, p. 35.

(9) Claire Artufel et Marlène Duroux, op. cit., p. 70.

(10) Selon Claire Artufel et Marlène Duroux, ibid.

(11) Lire « Médias français, une affaire de familles », Le Monde diplomatique, novembre 2003.

(12) Cf. la lettre d’Edwy Plenel dans Marianne, Paris, 18mars 2006.

(13) Victor Noir, op. cit., p. 181.

(14) Cf. Le Canard enchaîné, Paris, 22 février 2006.

(15) Le revirement de M. Sarkozy dans le cas de la fusion entre Gaz de France (GDF) et Suez a été plus souvent évoqué
par la presse : ministre de l’économie, des finances et de l’industrie en 2004, M. Sarkozy s’engage solennellement à ce
que la part de l’Etat ne descende jamais en dessous de 70 % dans GDF. En 2006, il se prononce cependant en faveur de
la fusion de l’entité publique avec le groupe privé, ce qui rendra minoritaire la part de l’Etat dans la nouvelle entité.

(16) Aymeric Mantoux, op. cit., p. 75.

(17) « Comment Sarkozy cherche à contrôler les médias », Marianne, Paris, 11 mars 2006.

(18) Cité par Le Point, Paris, 17 août 2006.

(19) « L’entreprise Sarkozy », Challenges, Paris, 16 mars 2006.

Voir aussi le courrier des lecteurs dans notre édition de novembre 2006.

http://www.monde-diplomatique.fr/2006/09/BENILDE/13928 - SEPTEMBRE 2006
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