Migrants : au coeur du " 5 étoiles ", squat lillois de la honte - Coordination Urgence Migrants
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Médiacités Lille 20190322 https://www.mediacites.fr/lille/enquete-lille/2019/03/22/migrants-au-coeur-du-5-etoiles-squat- lillois-de-la-honte/ Mediacités Migrants : au coeur du « 5 étoiles », squat lillois de la honte Depuis plus d'un an et demi, environ 250 migrants subsistent dans des conditions indignes rue Jean-Jaurès, dans un local désaffecté ironiquement qualifié de « squat 5 étoiles ». Pendant plusieurs mois, Mediacités a suivi le quotidien de ces hommes et écouté leurs espoirs et désillusions. Par Texte : Sheerazad Chekaik-Chaila - Photos : Julien Pitinome - 22 mars 2019 Le plus grand squat de la ville de Lille a été ironiquement surnommé le "5 étoiles" . Photo : Julien Pitinome
Episode 1 – Automne 2018 – Squat “5 étoiles” « Ils font semblant de ne pas savoir » Le nez plongé dans un café fumant, Moha*, la trentaine, pense à voix haute : « Ils font semblant de ne pas savoir comment on vit ici. » Il fait doux ce mercredi d’automne à Lille. Une dizaine de degrés. Suffisant pour s’installer en terrasse, au soleil, avec vue sur le parc Lebas. Le « parc rouge », dit Moha* . Rouge comme ses hautes grilles de fer. Le garçon, d’ordinaire pudique, bavarde volontiers. Dans une seule tirade, il raconte sa trajectoire entre la Guinée et la France. Des élections locales bidonnées, un pays qui se fragmente, la menace d’être emprisonné – ou pire pour tous ceux qui, comme Moha, dénoncent et sont perçus comme des opposants politiques. Un soir, sa famille le supplie de quitter le pays. Il part le lendemain. « Je suis venu en France parce que nous sommes une ancienne colonie. J’étudie le français depuis que je suis petit, raconte cet homme titulaire d’un bac+5, en buvant à petites gorgées. Si je pars en Espagne ou en Allemagne, je dois tout recommencer. » Photo : Julien Pitinome Le soleil décline sur le parc rouge. Moha raconte encore. Quand il arrive à Lille, il ne sait pas où dormir. Ses premières nuits dans le Nord, il les passe dans un bâtiment désaffecté, dont on se refile l’adresse de bouche à oreille. Comme d’autres avant lui, Moha se rend au 5 étoiles. Nom ironique du lieu, donné par des bénévoles lillois pour dénoncer la précarité des conditions de vie dans le plus grand squat de la ville. L’endroit, devenu refuge pour plusieurs dizaines d’hommes en exil, est connu de la municipalité et de la préfecture depuis, au moins, l’été 2018. Les premiers courriers d’alerte sont envoyés par des associations d’aide aux exilés dès cette période. Un premier article publié, mi-juillet, dans La Voix du Nord met un peu plus en lumière l’insupportable situation.
Photo : Julien Pitinome Depuis peu, Moha ne dort plus au 5 étoiles mais dans un hébergement réservé à l’accueil des demandeurs d’asile, à l’inverse de plusieurs de ses amis encore sur place. Il propose de nous y emmener. Comme chaque jour, au 15 rue Jean-Jaurès, l’imposant portail bleu du 5 étoiles est ouvert. « Avec la patience et le courage, tout finira par aller bien », fait espérer un tag blanc, bombé sur la brique rouge, par une main anonyme. Quelque deux cents personnes s’abritent dans cette friche industrielle privée, vouée à la démolition. Certains sont ici depuis l’automne 2017. Cette année-là, six jours avant le début de la trêve hivernale, plus d’une centaine de personnes sont expulsées d’un campement voisin, dans le quartier de Saint-Sauveur. Avant cet épisode, d’autres exilés, principalement des mineurs, avaient été chassés du parc des Olieux. C’était en novembre 2016. Le scénario est toujours le même. D’abord, le propriétaire du terrain veut faire vider un terrain ou un squat. Au jardin des Olieux, c’était la Métropole européenne de Lille. À Saint-Sauveur, la ville de Lille. À chaque fois, la justice réclame des garanties pour mettre les gens à l’abri, puis finit par autoriser l’évacuation. Une partie des personnes sont réparties dans des hébergements d’urgence. Un matin, la police arrive pour déloger ceux qui n’ont pas d’autre solution que de rester. Les gens partent… Souvent, à peine plus loin. Photo : Julien Pitinome
L’entrée du 5 étoiles se trouve à seulement cent soixante mètres de l’ancien campement de Saint-Sauveur. Et son avenir est lui aussi cousu de fil blanc. Ici, le propriétaire s’appelle Partenord Habitat . Au printemps 2018, le bailleur social saisit à son tour saisit la justice, « parce qu’il ne peut se mettre en situation d’entériner une occupation à ce point précaire et dangereuse et d’en endosser la responsabilité ». Le 24 mai 2018, le juge des référés du tribunal d’instance de Lille prononce l’expulsion et donne quatre mois aux occupants pour partir. Ils n’ont nulle part où aller. Ils restent. Depuis le 1er novembre la trêve hivernale suspend la décision de justice jusqu’au 31 mars 2019. Ensuite, les « habitants » du 5 étoiles pourront être mis dehors à tout moment. De gré ou de force, laisse entendre la Préfecture. Pour aller où ? Les autorités publiques se taisent. Chaque mois, de nouveaux visages arrivent dans ce vaste bâtiment, balayé de courants d’air glaciaux et gorgé d’humidité. Beaucoup sont des demandeurs d’asile originaires d’Afrique subsaharienne, dont un tiers sont mineurs. D’autres adultes et adolescents viennent tout juste d’arriver et n’ont entamé aucune démarche. Quelques sans-abris du coin trouvent aussi parfois refuge au 5 étoiles. Ces hommes vont et viennent au gré des sporadiques propositions d’hébergement, tandis que la vie au squat se déroule à l’abri des regards. Photo : Julien Pitinome Dans la cour d’entrée, des conteneurs anthracites débordent de cadavres d’emballages alimentaires. Des poires, des pommes et des bananes pourrissent sur une table, où du pain prend l’eau. « On ferme les yeux pour manger quand c’est périmé », souffle un ado, en montrant des yaourts dépassés d’une semaine. Les pigeons profitent des restes. Trois marches en bois, rongées par l’humidité, donnent accès à un premier entrepôt. Sur la droite, des panneaux de bois, des bouts de palettes et de tissus montés ensemble font office de sanitaires : deux toilettes, deux sortes d’espace de douche. Tout autour, une insoutenable odeur d’urines et d’excréments sature l’air. Dans un autre hall, des tentes, déposées par l’association Utopia 56, se touchent. Il y en a plusieurs dizaines, disséminées partout au rez-de-chaussée. Un préfabriqué sert de chambre à quelques-uns. Sur les murs, des bénévoles notent les rendez- vous à venir pour des cours de français, de l’aide juridique, des repas.
P hoto : Julien Pitinome Pour monter à l’étage du bâtiment, il faut traverser une autre cour, dans laquelle du linge tendu ne sèche jamais vraiment. L’unique point d’eau, au bout duquel pend un tuyau d’arrosage, est à quelques mètres. Un homme rince des assiettes. Un autre attend de remplir une bassine pour sa toilette. En haut, des dortoirs de fortune sont organisés par pays d’origine. Mi-octobre, la Cimade a recensé jusqu’à quinze nationalités différentes. Plus de la moitié des personnes interrogées alors sont originaires de Guinée et du Mali. Parmi elles, quelques Afghans et des Albanais, partis depuis occuper un autre squat en ville, après des bagarres entre communautés. Les Albanais se sont installés à Vauban, dans une friche industrielle d’EDF, occupée depuis décembre 2017 par d’autres compatriotes. Une centaine de personnes y vivent, dans des conditions tout aussi indignes. Photo : Julien Pitinome Comme chaque fin d’après-midi, deux cents personnes se préparent à passer une nouvelle nuit au 5 étoiles. Assis sur un tabouret au milieu de la cour, Amadou* espère toujours dormir
ailleurs : « Plus on tente le 115, plus on a de chance d’avoir une place. » Comme plusieurs de ses « colocataires » de fortune, il n’a pas obtenu d’hébergement malgré sa demande d’asile. Alors, il compose le 115 au moins deux fois par jour. « Ça ne marche jamais. Attends, tu vas écouter ! », nous propose-t-il. Ça sonne. Après les préliminaires d’usage, la réponse tombe, inexorable : – « Je suis désolée monsieur, malheureusement là je n’aurai pas de solution à vous proposer », regrette l’interlocutrice anonyme. – « Je dors à la rue, souffle Amadou. Je n’ai pas d’endroit où aller… Vous savez où je vais dormir ? Au bout du fil, la voix se brise : « Non monsieur, je ne sais pas où vous allez dormir. » Episode 2 – 13 novembre 2018 – Tribunal administratif de Lille « Il n’y a pas d’urgence dans ce dossier » « Il n’y a pas d’urgence dans ce dossier ! » Droit dans sa robe noire, Me Rannou, défenseur de la préfecture du Nord, se répète face au juge des référés Frédéric Lesigne. Nous sommes le mardi 13 novembre 2018, dans l’une des salles d’audience du tribunal administratif de Lille. Depuis le 8 novembre, se joue ici un procès de la honte pour les pouvoirs publics. La ville de Lille, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), la préfecture et le Département du Nord sont attaqués par 151 occupants du 5 étoiles. Le 5 novembre, l’avocate Émilie Dewaele déposait pour eux une série de référés-libertés. Tous dénoncent l’indignité des conditions de vie au squat, suite à une édifiante enquête conjointe de Médecins Solidarité Lille et de la Cimade. Parmi les personnes que l’avocate défend, soixante-quatre sont mineurs et quatre-vingt-sept sont majeurs. « La première chose qu’ils demandent, c’est d’être hébergés, expose Émilie Dewaele, lors d’une conférence de presse. Les associations sont débordées. Elles ne peuvent pas systématiquement se substituer à l’État. » Photo : Julien Pitinome
La procédure choisie oblige les juges des référés à se prononcer sous quarante-huit heures. Trop court pour nourrir l’espoir d’un relogement collectif en urgence. Alors, face au tribunal, Émilie Dewaele, aidée d’une consœur, se bat pour obtenir « une alimentation quotidienne avec trois repas par jour ; des conteneurs à proximité, vidés régulièrement ; des toilettes chimiques ; trois points d’eau et cinq douches mobiles ». Les audiences s’enchaînent et se ressemblent. C’est la cinquième. Elles ont été regroupées sur quatre jours et se sont tenues devant trois juges différents. Ce mardi est le dernier jour des débats. Tous les référés-libertés de mineurs sont passés. Le Département, responsable de la protection des enfants, n’est plus représenté. Dans le dos des avocats, plusieurs dizaines d’hommes du 5 étoiles assistent silencieux à la mise en scène de leur quotidien insupportable. « Il n’y a pas de personnes en détresse psychologique, continue Me Rannou. Les obligations d’État s’apprécient au regard des moyens dont il dispose. Le 115 est un service efficace mais avec des priorités. » Photo : Julien Pitinome Partout en France, les dispositifs d'accueil des demandeurs d'asile sont saturés indique aux juges l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Ceux de l’hébergement d’urgence aussi, « malgré une hausse continue du nombre de places de 200 %, depuis dix ans », précise la préfecture. Dans le Nord, où 12 600 places sont ouvertes à l’année, l’ouverture de 500 places supplémentaires en l’hiver ne suffit pas. Comme après chaque trêve hivernale, le retour à la rue de nombreuses personnes est prévisible. Sur le terrain, beaucoup de bénévoles craignent l’aggravation d’une situation déjà tendue dans la métropole lilloise.
Photo : Julien Pitinome Les minutes passent. Et ces ultimes joutes entre avocats laissent de plus en plus la désagréable impression d’assister à une pièce de théâtre de mauvais goût. L’avocat de la ville de Lille ajuste sa robe : « On se heurte au réel ! La ville n’est pas compétente et ne peut pas se substituer aux autres instances. » Il se tourne vers son confrère, défenseur de la Préfecture, et poursuit avec la même apathie : « La ville ne peut héberger d’urgence 150 personnes. Elle ne dort pas sur un tas d’or et ne dispose pas de ces ressources-là. » Trois jours plus tard, le 16 novembre, les premières ordonnances des juges sont rendues au nom du peuple Français. Il n’y a pas de relogement collectif. En revanche, dans son ordonnance du 19 novembre semblable aux autres, le juge Denis Perrin reconnaît que « l’extrême précarité » des conditions de vie au 5 étoiles et « l’insécurité » à laquelle les habitants sont soumis « révèlent une situation d’urgence caractérisée et d’atteinte grave et manifestement illégale à la dignité humaine ». Petite victoire. Ce n’est pas la seule. Les juges lillois ordonnent au préfet du Nord de réaliser une « évaluation de la situation des requérants » dans les quinze jours. Enfin, le jugement oblige la préfecture et la ville de Lille à installer des toilettes et assurer un accès à l’eau potable. Jusqu’à la fin de la trêve hivernale. Ensuite, l’expulsion du squat pourra avoir lieu à tout moment. Quatre mois plus tard, que s’est-il passé ? Difficile d’obtenir des précisions des autorités compétentes… Par mail, la préfecture nous assure avoir réalisé un recensement qui doit permettre d’orienter chaque personne vers des dispositifs d’accueil adaptés à leur situation administrative (demandeurs d’asile, procédure Dublin…). Depuis le jugement, plusieurs « habitants » du 5 étoiles ont en effet été relogés au compte-goutte, ailleurs dans le Nord. Mais pour la majorité d’entre eux, rien n’a changé. Et si des sanitaires ont été installés dans le squat, cela n’a pas suffi pas à régler la situation sociale et sanitaire déplorable du 5 étoiles.
Entre les exilés et les pouvoirs publics, le bras de fer est permanent pour faire respecter le droit. Et entre les pouvoirs publics eux-mêmes, le rapport de force est constant. L’unique réponse apportée par la préfecture à nos sollicitations en témoigne. En dépit des considérations des juges, la préfecture renvoie une fois de plus la balle dans le camp de la ville de Lille, qui dispose de pouvoirs de police : « Il lui appartient en premier lieu d’engager une démarche visant à constater l’impérieuse nécessité de faire cesser cette occupation qui porte atteinte à la dignité humaine et à procéder à la mise à l’abri des occupants. Le Service communal d’hygiène et de la santé (SCHS) de la ville de Lille est le service compétent pour établir un rapport faisant état avec précision des conditions d’occupation des lieux, de la situation sanitaire et des risques rencontrés par les occupants. » La municipalité, qu’on sait furieuse de la position de la préfecture, n’a pas souhaité s’exprimer sur ce sujet sensible. Episode 3 – Hiver 2018 – Retour au squat « Même les animaux vivent mieux » Près d’un compteur usagé, deux hommes bidouillent des fils électriques. Un bricolage périlleux. « On n’a pas le choix, sinon on n’a pas de chauffage », rétorque le duo d’électriciens amateurs. Quelques radiateurs d’appoint fatigués reposent à l’entrée de tentes. Il ne manque que du « jus » pour les faire fonctionner. Le plus petit dénude un câble avec ses dents. On ferme les yeux comme pour se préparer au pire. Rien ne se passe. Le plus grand montre son portable à la batterie bientôt déchargée. Son téléphone contient ses différentes messageries pour échanger avec ses proches et lui permet d’accéder à toutes les adresses nécessaires pour se repérer en ville et s’occuper de ses papiers. La lumière s’allume. Leurs visages s’illuminent à peine quelques secondes. Dans le hangar voisin, les plombs sautent : « Dès qu’on branche ici, ça saute là-bas… » Photo : Julien Pitinome
Nous sommes à la mi-janvier. Deux mois sont passés depuis les ordonnances des juges lillois. Après la décision du tribunal administratif de Lille, les toilettes de bric et de broc ont été remplacés par un bloc préfabriqué de sanitaires. Rien d’autre n’a changé. Les nuits au squat sont de plus en plus froides. Des restes de neige collent au béton froid de la grande cour. Le tuyau d’arrosage où l’on boit et se lave traîne sur le sol verglacé. « Même les animaux vivent mieux », commente à mi-voix un adolescent, emmitouflé dans une doudoune bleue marine. Photo : Julien Pitinome Il est plus de 15 heures. Dans les chambres, certains roupillent dans des duvets. « Le soir, il y a de la musique en bas. Certains boivent de l’alcool et se bagarrent. Tu n’es jamais tranquille ici. Tu peux rester quatre nuits sans dormir », souffle Abou* , un père de famille guinéen, venu seul ici. C’est aussi le cas de Sami* , un grand bonhomme au regard rieur. Ce dernier ouvre une porte à l’étage. Des matelas crasseux sont collés les uns aux autres. Il pointe son lit : un amas de couvertures empilées. « Le soir, tu es là et tu penses. » À quoi ? A la Guinée. A l’exil… À qui ? A sa femme et à ses trois filles restées au pays. La dernière est encore un bébé. Sami n’en dit pas plus. Photo : Julien Pitinome
Trente-deux personnes partagent ce dortoir de fortune où les fenêtres cassées laissent passer des bourrasques de vent glacial. Dans un coin, la voix de Levi Bobo, chanteur guinéen à succès, s’échappe d’un téléphone : « Ça nous rappelle le pays ! » Un des plus âgés sort un damier et des pions. Quelques parties s’enchaînent. Pour quelques minutes, les rires et les taquineries donnent l’illusion de suspendre le temps de l’errance. Ici, les semaines sont rythmées par l’ennui, les rendez-vous à la préfecture, l’école, le bénévolat et les actions humanitaires. Photo : Julien Pitinome Chaque soir, le collectif d’associations CASA assure la distribution de repas chauds au parc Lebas. Plus de 140 000 ont déjà été distribués depuis l’été 2017. Il est 19 heures, ce jeudi soir. Dans la pénombre du « parc rouge », plusieurs silhouettes patientent. Toujours plus nombreuses à mesure que les minutes défilent. Un homme frotte ses mains glacées. Il fait zéro degré. Tout le monde est frigorifié mais tout le monde reste, patientant en file indienne. Le temps de cette soupe populaire discrète, des familles avec de jeunes enfants et des sans-abris se mêlent aux « habitants » du 5 étoiles. Photo : Julien Pitinome
Au bout d’une heure, les bénévoles de l’association Naoufel débarquent au pas de course, deux grosses marmites de chorba fumante à bout de bras. « Bonsoir, bonsoir ! Désolé pour le retard. Allez, on y va. Attention, chaud devant ! », lance un grand brun. Une soupe épaisse, quelques feuilles de bricks farcies de viande et de l’eau qu’on s’empresse d’avaler à peine sorti de la file. Très vite, les bénévoles raclent les fonds de marmite pour servir tout le monde. Ce soir-là, comme souvent, ça passe tout juste. Le repas fini, plusieurs silhouettes s’enfoncent de nouveau dans la pénombre et disparaissent en direction du 5 étoiles. Photo : Julien Pitinome Là-bas, tout manque. Le chauffage. La nourriture parfois. L’espoir aussi. « Je ne veux pas déballer ma vie. À quoi ça sert ? » questionne Abou. Il vit au 5 étoiles depuis son ouverture en novembre 2017. Il lui reste sa foi pour ne pas sombrer. « Si je me plains, on va me dire que j’ai choisi de venir ici. Mais avant, il faut expliquer pourquoi on part de chez nous. Tu sais ce qu’il se passe en Afrique ? Tu sais que les gens partent à cause des guerres ? » Avant le 5 étoiles, Abou a connu le campement de Saint-Sauveur. Pour cet homme au visage creusé et fatigué, les journalistes passent, sa situation demeure. « Tu veux que je te raconte ma colère ? Il suffit de venir voir comment on vit pour comprendre qu’on ne vient pas par plaisir. » > La semaine prochaine, découvrez la seconde partie de notre enquête sur le squat 5 étoiles de Lille, et les témoignages de Sheerazad Chekaik-Chaila, journaliste, et de Julien Pitinome, photographe, sur les conditions de sa réalisation. Si vous souhaitez nous adresser des documents en passant par une plateforme sécurisée et anonymisée, connectez-vous à pals.mediacites.fr WhatsApp Offrir cet article Texte : Sheerazad Chekaik-Chaila - Photos : Julien Pitinome
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