QUELLE REFORME DE L'ASSURANCE-MALADIE AUX ETATS-UNIS ?1

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QUELLE REFORME DE L’ASSURANCE-MALADIE AUX ETATS-UNIS ?1
                                  François Vergniolle de Chantal*

La crise que subissent les classes moyennes a constitué un enjeu majeur de la présidentielle
de 2008 aux Etats-Unis. En centrant leur campagne sur ce sujet, les Démocrates ont réussi
à s’imposer et doivent aujourd’hui trouver les moyens de lutter contre les conséquences de
la crise économique et restaurer la confiance au sein de la société américaine.
Concrètement, ces enjeux renvoient à des questions très différentes qui vont de l’accès aux
universités à la définition d’un Etat fédéral (government) régulateur en passant par
l’assurance-santé. C’est ce dernier thème qui est abordé dans ce texte. Les espoirs sont
nombreux mais les options limitées. Dans le contexte institutionnel américain caractérisé par
la fragmentation du pouvoir et le rôle parfois important des acteurs privés, les obstacles qui
se dressent devant le nouveau Président sont nombreux. Ainsi, pour réaliser ses projets de
réforme, Obama devra nécessairement faire des compromis et négocier avec les
Républicains au Sénat mais, également, avec les membres de son propre parti. En outre, il
va devoir affronter de puissants groupes de pression comme les compagnies d’assurances
qui vont se mobiliser pour défendre leurs intérêts économiques.

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 L’auteur tient à remercier Daniel Béland, professeur de sociologie à l’université de la Saskatchewan (Canada)
pour son assistance dans la rédaction de ce texte.
Le système de santé américain se caractérise par une intégration complexe de régimes
publics et privés d’assurance maladie. Medicaid protège une partie seulement des plus
pauvres, selon des critères qui varient selon les Etats. Il s’agit d’un programme d’assistance
médicale financé à part égale par l’État fédéral et les États fédérés, qui administrent ce
programme. Par ailleurs, compagnies d’assurances et autres organismes privés couvrent la
majeure partie des salariés américains. Une partie des salariés obtiennent une couverture
médicale via leur entreprise alors que d’autres paient la leur directement à des compagnies
d’assurances.
        Parce qu’elle n’est pas obligatoire aux États-Unis, la couverture-maladie est loin
d’être universelle. À l’heure actuelle, on compte environ 48 millions le nombre d’Américains
qui n’en possède pas, ce qui constitue une source majeure d’insécurité économique. On
estime, du côté des démocrates, que toute augmentation du chômage de 1% se traduit par
la perte de toute couverture santé pour 1,5 million d’Américains. Au plan géographique, les
disparités régionales sont importantes, par exemple entre le Sud-Ouest et le Nord-Est :
comme plus de la moitié des Américains sans couverture maladie appartiennent à une
minorité ethnique ou raciale, les États fédérés qui attirent de nombreux immigrants sont
susceptibles d’enregistrer un taux de couverture maladie moins élevé. En conséquence,
dans des États ayant une large population d’origine mexicaine comme le Texas et le
Nouveau-Mexique, le taux de personnes sans assurance dépasse les 20% (plus de 24% au
Texas), ce qui est bien supérieur à la moyenne nationale, qui est d’environ 15%. De plus, au-
delà de facteurs sociaux comme le taux d’immigration, les politiques adoptées par les États
fédérés peuvent avoir un impact direct sur les variations territoriales en matière de
couverture maladie. Par exemple, des États comme le Massachusetts, dont le taux
d’exclusion maladie est d’à peine 8% ont récemment créé des programmes visant à
augmenter voire à universaliser la couverture maladie sur leur territoire.
Avec la récession qui frappe les États-Unis depuis la fin 2007, les employeurs cherchent à
réduire les coûts galopants 2 de l’assurance privée offerte à leurs employés, accroissant ainsi
le nombre d’exclus de la couverture maladie. Dans un tel contexte, la solution au problème
de la couverture maladie passe nécessairement par une intervention accrue de l’État fédéral.

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  Les dépenses de santé représentent actuellement 16% du PNB des Etats-Unis. Les causes sont multiples et
demanderaient un examen approfondi. On peut néanmoins citer la hausse des coûts de la recherche et des
traitements, les dépenses administratives liées à la gestion des dossiers par une grande quantité
d’intermédiaires, ainsi qu’un effet-pervers propre au système américain : en cas d’urgence, comme le soulignent
à l’envi les Républicains, les citoyens qui ne disposent pas de couverture maladie conservent un accès minimal
aux soins jugés nécessaires. Fréquemment, les hôpitaux assistent les personnes sans couverture médicale avant
de faire payer indirectement, et au prix fort, les autres patients et leurs compagnies d’assurances pour les
services rendus gratuitement aux plus démunis.

François Vergniolle de Chantal - Quelle réforme de l’assurance-maladie aux Etats-Unis ? – Mai 2009         2
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La santé est un cheval de bataille traditionnel pour le Parti démocrate. Comme Bill Clinton
durant la campagne de 1992, Barack Obama a déclaré avant son élection qu’il souhaitait
mettre en place un plan d’assurance maladie. Celui-ci s’avère toutefois moins ambitieux que
celui de sa rivale durant les primaires, Hillary Clinton, car le candidat démocrate ne propose
pas de rendre l’assurance maladie obligatoire pour tous les Américains, un choix qui vise à
neutraliser l’opposition des Républicains qui voient dans ce programme un avatar de
socialized medicine incompatible avec la liberté individuelle et l’économie de marché. Le
projet d’Obama n’est donc pas synonyme de couverture universelle. À court terme
cependant, l’objectif est bien d’augmenter de manière importante la couverture maladie tout
en s’efforçant de contrôler la hausse des coûts de la santé en proposant un « juste milieu »
entre « deux extrêmes » : l’interventionnisme fédéral fondé sur des hausses d’impôt pour les
classes moyennes, d’une part, et la domination sans partage des compagnies d’assurances
en l’absence de régulations fédérales dignes de ce nom, d’autre part. Contrairement au plan
Clinton de 1993, le plan Obama ne propose pas de restructuration radicale du système. Pour
rassurer les Américains, le candidat démocrate a insisté sur le respect de la liberté des
patients des choisir leur médecin. Barack Obama et son équipe électorale on tenu à rassurer
les membres de la classe moyenne qui jouissent déjà d’une bonne couverture privée et qui
craignent qu’un plus grand rôle de l’État fédéral dans le système de santé ne conduise à une
détérioration des soins qui leur sont actuellement offerts. Cette situation explique, au moins
en partie, la prudence des propos d’Obama durant la campagne de 2008.
Parmi les propositions mises en avant par le candidat démocrate et son équipe durant la
campagne, trois au moins sont susceptibles de réduire le nombre d’Américains exclus de
toute couverture maladie. Tout d’abord, Obama voudrait que l’État fédéral oblige les
compagnies d’assurances à couvrir les personnes souffrant de « conditions préexistantes »,
c’est-à-dire de problèmes de santé susceptibles d’empirer ou d’augmenter d’autres risques
de maladie. Les compagnies d’assurances se montrent réticentes face à cette mesure à
cause des coûts qu’elle peut engendrer. Ensuite, Obama s’est engagé à universaliser la
couverture médicale pour les enfants de moins de 18 ans lorsque les parents n’ont pas eux-
mêmes de couverture. En revanche, cette proposition permet également aux jeunes adultes
de moins de 26 ans de conserver leur couverture médicale grâce à l’assurance de leurs
parents si c’est possible. Enfin, le plan Obama prévoit la création d’un régime public basé sur
le volontariat permettant aux citoyens ne jouissant d’aucune couverture maladie de pouvoir
s’assurer à un prix raisonnable qui reste à définir. Ce programme fédéral serait en partie
financé par une nouvelle cotisation, payée exclusivement par les employeurs n’offrant pas de
couverture maladie à leurs employés. Ces derniers pourraient ainsi être incités à proposer
une couverture maladie à leurs salariés pour ne pas payer cette nouvelle cotisation.

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Au-delà de ces trois mesures, le plan Obama soutient une plus grande régulation du marché
des assurances privées ainsi qu’une expansion des programmes Medicaid et SCHIP (State
Children’s Health Insurance Program)3. C’est sur ce dernier point que l’administration a
avancé le plus vite. Au début du mois de février, le Président a signé une loi adoptée par le
Sénat et la Chambre des Représentants qui alloue plus de 30 milliards de dollars à une
extension du programme à près de 4 millions d’enfants appartenant à des foyers modestes
jusqu’en 2013. L’équipe présidentielle a également annoncé que dans le cadre du
programme de relance, 15 milliards de dollars seront attribués aux Etats fédérés pour gérer
les coûts induits par Medicaid. L’accroissement du chômage a conduit à une augmentation
des inscriptions à Medicaid un peu partout dans le pays, ce qui pose de sérieux problèmes
d’équilibre budgétaire au niveau des Etats.
Les mesures adoptées demeurent toutefois des réponses prises dans l’urgence et la
nouvelle équipe présidentielle semble désireuse d’aller plus loin. En mars 2009, Barack
Obama a organisé à la Maison Blanche une rencontre avec plus d’une centaine de
personnes à propos de la réforme du système d’assurance santé. A cette occasion, le
Président a indiqué qu’il était favorable à la mise en place d’une couverture santé pour tous
les Américains, un projet nettement plus audacieux que ses précédentes propositions de
campagne. Il a également laissé entendre qu’il restait ouvert à la discussion, évitant par
exemple de menacer d’apposer son veto, comme l’avait fait Bill Clinton en son temps. Il
s’agit d’éviter une autre erreur majeure commise par l’ancien Président démocrate au début
de son premier mandat : le lancement par la Maison Blanche d’une réforme de la santé
conçue en grande partie sans aucune négociation entre la présidence et les deux chambres
du Congrès. L’approche d’Obama est donc largement consultative, le nouveau Président
souhaitant élaborer sa réforme de l’assurance maladie en étroite collaboration avec les
membres les plus influents du Congrès et des représentants de tous les acteurs de la
société civile. Le « sommet » de mars 2009 s’inscrit pleinement dans cette perspective.
Barack Obama s’est entouré de l’ancienne gouverneur du Kansas, Kathleen Sebelius,
Démocrate centriste d’un Etat du Sud traditionnellement républicain, secrétaire du
Department of Health and Human Services, et d’une experte des questions d’assurance-
santé, Nancy-Ann DeParle, qui dirige le White House Office for Health Care Reform4.

3
  Créé en 1997, ce programme fédéral couvre déjà 9 millions d’enfants. Il fut mis en place pour limiter les effets
de seuil induits par Medicaid : ils visent en effet les foyers trop riches pour être couverts par Medicaid mais trop
pauvres pour pouvoir couvrir efficacement leurs enfants. En 2007, le président Bush avait mis par deux fois son
veto à une extension du programme.
4
  En décembre 2008, le Président avait nommé l’ancien responsable de la majorité démocrate au Sénat, Tom
Daschle, à la fois le Secrétaire du DHHS et correspondant à la Maison Blanche pour les questions de santé. T.
Daschle avait démissionné après une campagne de critiques concernant des arriérés d’impôts sur le revenu (d’un
montant de 140 000 dollars) qu’il venait récemment d’acquitter.

François Vergniolle de Chantal - Quelle réforme de l’assurance-maladie aux Etats-Unis ? – Mai 2009              4
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Deux conclusions peuvent d’ores et déjà être tirées à propos de la « méthode » de
gouvernement de Barack Obama même si l’investiture du Président date seulement de
quelques semaines. Tout d’abord, le Président apparaît pleinement conscient de la nécessité
d’ouvrir les négociations sur la réforme de l’assurance-santé à un large public. Le précédent
de Bill Clinton et sa propre popularité l’incitent fortement à jouer la carte de la transparence.
Deuxièmement, si la récession actuelle se prolonge, le climat politique devrait être encore
plus favorable à l’adoption de mesures spectaculaires susceptibles de préserver ou
d’augmenter le niveau de protection sociale offert aux Américains. Il ne faut pas oublier que
les deux plus grandes réformes de la protection sociale fédérale ont été réalisées lors de
deux crises majeures : la crise économique de 1929 et la crise politique engendrée par le
mouvement des droits civils et l’assassinat en 1963 du Président démocrate John F.
Kennedy. À ce stade, il est loin d’être certain que la récession actuelle puisse produire une
logique politique transformatrice suffisante ; mais il est en revanche assez net que devant
l’urgence de la crise, Barack Obama est amené à fixer des objectifs plus ambitieux que ceux
envisagés pendant la campagne de 2008.

                                                                        * François Vergniolle de Chantal
                                              est maître de conférences à l’Université de Bourgogne.

François Vergniolle de Chantal - Quelle réforme de l’assurance-maladie aux Etats-Unis ? – Mai 2009   5
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