SCIENCE ACTUELLE ÉPIGÉNÉTIQUE - Gen Suisse
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CONTENU ÉPIGÉNÉTIQUE 4 DE LAMARCK À DARWIN ET RETOUR 5 UNE DÉCOUVERTE CHANCEUSE: L’ÉPIGÉNÉTIQUE ET L’HÉRÉDITÉ 9 UN REGARD VERS LE FUTUR BASES DE L’ÉPIGÉNÉTIQUE 2012 1999 1998 1990 1975 1953 1809 Les résultats Une équipe de du projet Andrew Fire et recherche ang- ENCODE mont- Richard Jorgen- Craig C. Mello laise prouve rent que des Robin Holliday sen et Antoine démontrent que la forme portions d’ADN James D. et Arthur Riggs Stuitje décri- que les ARNs des fleurs de la considérées Watson et découvrent que vent le phéno- double brin plante Peloria, jusqu’à présent Jean-Baptiste Francis Crick les groupes mène de la sont capables découverte sans fonction, Lamarck décrit révèlent la méthyls peu- co-suppression d’inactiver par von Linné, sont respon- la théorie de structure de vent contrôler des gènes et est soumise sables de la l’évolution l’ ADN l’activité des nomment ceux- à des modifi- régulation des gènes ci ARNs inter- cations épigé- gènes férents (ARNi) nétiques 2 SCIENCE ACTUELLE
PRÉFACE Q ui connaît les gènes, connaît les humains. C’est du moins ce que croyai- ent les scientifiques et le reste du monde quand, le 26 juin 2000, le géno- me humain a été déchiffré. Un certain désenchantement s’est cependant fait rapi- dement sentir: tout ce qui avait été découvert, c’est un texte composé d’environ trois milliards de paires de lettres A, C, G et T. Le secret du plan de construction de l’être humain n’avait donc pas vraiment été décodé. Depuis le séquençage du génome humain jusqu’à nos jours, il est alors devenu clair que les gènes, non seu- lement contrôlent, mais sont également contrôlés. Ce n’est que quand nos cellules choisissent, de manière ciblée, quels gènes lire et quels gènes laisser inactifs que leur destin prend forme. Le nouveau domaine de recherche appelé épigénétique étudie les raisons pour lesquelles le génome d’un individu ne fixe pas son destin de ma- nière invariable. Ce destin est, au contraire, fortement influençable et désormais explorable. L’épigénétique étudie donc comment les facteurs environnementaux et le style de vie peuvent influer l’activité des gènes et comment ces changements peu- vent être transmis d’une génération à l’autre. D’un point de vue historique, il existe deux définitions différentes de l’épigénétique. En 1942, Conrad Waddington décrivit l’épigénétique comme les interactions entre les gènes et leurs produits menant au phénotype d’un organisme. De nos jours, c’est cependant la définition d’Arthur Riggs qui est habituellement prise en compte. Elle date de 1996 et décrit l’épigénétique comme les changements transmissibles de l’activité des gènes, sans que ceux-ci impliquent un changement au niveau de l’ADN. Un grand nombre de caractéristiques biologiques peuvent être influencées par des mécanismes épigénétiques, comme par exemple, la forme des fleurs chez les plantes et la couleur des yeux chez les drosophiles. Les processus épigénétiques sont essentiels aussi bien au développement d’un organisme qu’à la spécialisation des divers types de cellules, comme par exemple, les cellules nerveuses ou les cellules hépatiques. L’état épigénétique d’une cellule ou d’un organisme n’est cependant pas figé, il est soumis à des changements occa- sionnés, par exemple, par des influences environnementales ou des processus liés au vieillissement. De récentes découvertes scientifiques démontrent que l’épigénétique joue également un rôle dans le développement de maladies. Durant ces dernières années, notre connaissance des mécanismes moléculaires régissant les processus épigénétiques n’a cessé de croître. Même si nous sommes loin de connaître tous les aspects de leur fonction et de leur transmission, nous pouvons diviser l’épigénétique en trois domaines: les modifications chimiques au niveau de l’ADN, les modifications chimiques au niveau des protéines liées à l’ADN, et l’influence exercée par des molécules d’ARN. Cette édition de « Science Actuelle » met en avant le domaine complexe et passionnant de l’épigénétique. Elle vous entraîne des débuts de l’épigénétique aux connaissances actuelles de la recherche, en finissant par lancer un regard vers le futur. Nous vous souhaitons une très bonne lecture. Dr. Daniela Suter Directrice de la Fondation Gen Suisse SCIENCE ACTUELLE 3
DE LAMARCK À DARWIN ÉPIGÉNÉTIQUE ET RETOUR Qui ne connaît pas l’histoire de la girafe au cou alors porteuse d’un avantage sélectif qu’elle trans- court qui, à force d’étirer constamment ce dernier, mit aux générations suivantes, prenant ainsi le des- obtint un long cou lui permettant d’atteindre les sus sur ses congénères au cou court. feuilles des grands arbres? Les girafes au long cou La découverte de l’apparition de mutations ont un meilleur accès à la nourriture et peuvent, spontanées dans le génome est la preuve attestant par le biais de la reproduction, transmettre leur de la justesse de la thèse de Darwin. Il semble in- avantage sélectif. Cet exemple illustre la théorie de vraisemblable que des caractéristiques acquises, l’évolution de Jean-Baptiste Lamarck datant de telles l’obtention d’un long cou par le biais 1809. d’étirements successifs, aient pu s’introduire dans Selon lui, des conditions environnementales le génome par des mutations ciblées. Cependant, la changeantes peuvent avoir une telle influence sur théorie de Darwin n’est pas suffisante à expliquer les propriétés d’un organisme que les nouvelles la vitesse à laquelle l’évolution prend place. caractéristiques acquises, se transmettant de géné- De nos jours, la recherche a réuni d’importantes ration en génération, mènent finalement au chan- informations et connaissances montrant que l’in- gement de l’espèce elle-même. Selon Lamarck, formation génétique est modifiable. L’activité des chaque organisme porte en lui une pulsion le pous- gènes peut être influencée par les conditions envi- sant à se développer. ronnementales, sans modification au niveau de la Durant de nombreuses années, cette théorie n’a séquence d’ADN. Ce changement de l’activité des pas été prise au sérieux dans le monde moderne de gènes peut être transmis aux cellules filles ou à la la biologie de l’évolution. C’est la théorie plus prochaine génération. On pourrait ainsi dire que populaire et mieux acceptée scientifiquement de « les gènes ont une mémoire ». Charles Darwin qui a été suivie. La théorie de la Les récentes connaissances acquises dans le sélection naturelle, élaborée par Charles Darwin en domaine de l’épigénétique font donc revivre l’idée, 1859, présente une autre vision de la genèse des édifiée par Lamarck, d’une influence de l’en- espèces. Selon Darwin, de nouvelles caractéris- vironnement transmissible. Cependant, se basant tiques apparaissent au niveau d’un organisme par sur l’état actuel de nos connaissances scientifiques, hasard et l’environnement ne joue alors qu’un rôle les changements épigénétiques seraient réversibles sélectif. Si on applique cette théorie à l’exemple cité et il reste encore à découvrir avec quelle stabilité ci-dessus, cela signifie qu’au milieu d’une popula- ceux-ci sont hérités. tion de girafes au cou court se trouvait par hasard une girafe avec un cou plus long. Cette girafe était 4 SCIENCE ACTUELLE
UNE DÉCOUVERTE CHANCEUSE: L’ÉPIGÉNÉTIQUE ET L’HÉRÉDITÉ Au commencement d’une nouvelle De nos jours, trois mécanismes épi- théorie se trouve souvent une observa- génétiques sont connus: les modifica- 1 MARQUE GÉNÉTIQUE tion mystérieuse. Le botaniste suédois tions chimiques au niveau de l’ADN, les Carl von Linné a fait une telle observa- modifications chimiques au niveau des La marque génétique (en ang- tion au 18e siècle. Il a été le premier à protéines liées à l’ADN, et l’influence lais: genomic imprinting) décrit le phénomène par lequel catégoriser de manière systématique les exercée par des molécules d’ARN. l’activité d’un gène dépend de plantes et à leur donner leurs noms la provenance de l’allèle actuels. Comme, entre autres, pour la Modifications au niveau de correspondant, c’est-à-dire dé- linaire commune. Dans ce cas-ci, il est l’ ADN: la première dimension pend de si ce dernier a été tombé sur une variante présentant une épigénétique hérité du père ou de la mère. Pour les gènes étant soumis forme de fleur modifiée. Cette forme de à une telle régulation épigéné- fleur a été transmise aux générations fu- En 1975, Robin Holliday et Arthur tique, soit l’allèle maternel, tures, le reste de la plante restant indif- Riggs ont découvert, indépendamment soit l’allèle paternel est inac- férenciable de l’espèce d’origine. Linné l’un de l’autre, que l’activité des gènes tivé. Aujourd’hui on sait que ce sont des méthylations a appelé cette variante Peloria, qui sig- pouvait être contrôlée par des modifica- au niveau de l’ ADN qui sont nifie monstre en grec. tions chimiques de l’ADN dues à en grande partie responsables Afin de résoudre l’énigme, des sci- l’introduction de petites molécules, de ce processus et qui mènent entifiques ont analysé, dans les années appelées groupes méthyles, au niveau de à l’inactivation du gène corres- 90, le patrimoine génétique des deux va- l’ADN. Ces groupes méthyles peuvent se pondant. riétés de linaire commune. Ils se sont lier à la base d’ADN nommée cytosine et alors rendu compte qu’il n’y avait pas de ainsi mener à l’inactivation de la porti- 2 PROTECTION CONTRE LES ÉLÉ- différence entre la séquence d’ADN de on d’ADN touchée. MENTS D’ADN MOBILES Peloria et celle de ladite linaire commu- ne. L’énigme n’a tout d’abord pas pu être A Le séquençage du génome a DN résolue. C’est en 1999, presque 250 ans montré que des segments mé d’ADN mobiles, comme par thyl après la découverte de Carl von Linné, exemple les transposons, cons- é que la raison d’une telle différence phé- tituent une grande partie notypique a été élucidée par un groupe de notre patrimoine génétique. de chercheurs anglais. Ces derniers ont Ces éléments mobiles sont découvert que, par le biais de mécanis- capables, à l’aide de divers processus, de « sauter » à mes épigénétiques, un gène nommé un autre endroit dans le géno- Lcyc et régulant la forme naturelle de la me. Etant donné que cela peut fleur, avait été inactivé. La raison d’une Dans notre génome se trouvent des affecter plus ou moins forte- telle inactivation est une modification portions d’ADN, principalement situées ment l’activité des gènes et ainsi constituer un danger chimique, transmissible, au niveau de à proximité des gènes, présentant un pour la cellule, les cellules ont l’ADN. L’élément déclencheur de cette nombre de cytosines plus élevé que la trouvé le moyen de rendre ces modification, lui, reste une énigme. moyenne. Ces portions d’ADN particu- éléments silencieux. Ceci, lières sont appelées îlots-CpG car une par le biais de modifications une mm base cytosine y est suivie d’une base gu- au niveau de la chromatine, co de méthylation au niveau anine. Les îlots-CpG jouent un rôle im- ire P de l’ADN et de l’utilisation de li na portant dans la régulation de la fonction la machinerie ARN (processus elo des gènes. Plus une certaine séquence ria qui conduit chez les eucaryo- d’ADN est porteuse de groupes méthy- tes * à l'inactivation de gènes image peloria: Emil V. Nilsson les, moins le gène correspondant sera lu après la transcription **). et donc traduit en protéine. * Organismes avec un noyau La méthylation de l’ADN est essenti- ** Passage de l'ADN en ARN elle au développement normal d’un messager organisme. Elle joue un rôle détermi- nant au niveau de l’hérédité 1 et de la conservation d’un génome intact 2 . Si SCIENCE ACTUELLE 5
les enzymes responsables de la méthyla- Protéines se liant à l’ADN: la chromatine est énorme. Cette complexi- tion font défaut à un organisme, de gra- deuxième dimension épigénétique té a poussé les chercheurs à soupçonner ves maladies se développent. Ces derni- l’existence d’un code des histones, pré- ères années, des modifications de la Une autre manière de réguler servé durant les processus de division et méthylation de l’ADN ont été décelées l’activité des gènes est d’agir au niveau spécialisation cellulaires. en relation avec divers cancers. de l’empaquetage de l’ADN. L’ADN se Le concept du code des histones Quels sont donc les éléments déclen- trouve dans le noyau, enroulé autour de ressemble à une serrure à combinaison: cheurs de modifications épigénétiques ? protéines appelées histones et organisé seule la combinaison juste ouvre le En plus des signaux délivrés par le corps en une structure complexe appelée chro- coffre – et mène à l’activité génique. Une lui-même durant le développement d’un matine. différence au niveau d’un seul chiffre de organisme, de récentes études ont ap- D’un point de vue historique, la dé- la combinaison est assez pour que le porté la preuve que des influences exté- couverte de modifications au niveau de coffre reste fermé – pour que le gène ne rieures peuvent aussi mener à des modi- la chromatine date déjà d’un demi-sièc- soit pas activé. fications épigénétiques. L’exemple le. Cependant, c’est seulement au 21e Les modifications au niveau des his- suivant montre comment la façon de se siècle que les chercheurs ont découvert tones régulent un grand nombre nourrir peut avoir un effet sur l’activité que des modifications chimiques, iso- d’aspects propres au développement des gènes et comment cet effet peut être lées ou multiples, au niveau des sous- d’un organisme, de la régulation d’un transmis sur plusieurs générations. unités de la chromatine, les histones, seul gène à celle de processus complexes Une équipe de chercheurs a soumis peuvent réguler l’accès à l’ADN. Ces tels la détermination du destin d’une pendant plusieurs semaines des rats mâ- modifications (méthylations, acétyla- cellule. Des modifications anormales au les à une diète riche en calories et en tions, phosphorylations) mènent au niveau des histones, dues par exemple à graisses. Les rats sont devenus obèses et changement de la structure de la chro- des facteurs environnementaux, peu- les premiers signes d’un diabète sont matine et déterminent ainsi si un gène vent conduire au développement de ma- apparus. Leur progéniture femelle a en- est actif ou non. La chromatine présen- ladies. De telles corrélations ont déjà pu suite été étudiée. L’analyse révéla que te dans un état fortement condensé, être démontrées pour la maladie de celle-ci, bien que nourrie normalement, alors appelée hétérochromatine, est as- Parkinson, la sclérose en plaques et présentait des symptômes propres au sociée à une faible activité génique. Au l’épilepsie. diabète. Une étude plus poussée a alors contraire, l’euchromatine, terme désig- montré que l’activité de plus de 642 nant une chromatine moins dense, est, his to gènes différait de celle des animaux con- elle, associée à une forte activité gé- ne 2A trôlés dont les pères avaient reçu une di- nique. ète normale. La différence au niveau de En tenant compte de la diversité des l’activité de certains gènes provenait de modifications chimiques possibles ainsi modifications de la méthylation de que du fait que de courts segments l’ADN. d’ADN s’embobinent autour d’octamères d’histones, eux-mêmes composés de cinq différentes histones, la combinai- son des modifications au niveau de la ACTIF La phosphorylation et l’acéty- lation des histones favorisent, en règle générale, l’accès à INACTIF La tri-méthylation de l’histone l’ ADN: activation de H3 mène à la condensation de l’expression des gènes la structure de la chromatine: inactivation de l’expression des gènes 6 SCIENCE ACTUELLE
Une récente étude réalisée par des Cette découverte est en fait due à un 3 MOLÉCULES D’ARN chercheurs américains a mené à l’ob- hasard. En 1990, les laboratoires de tention d’importantes connaissances sur Richard Jorgensen et d’Antoine Stuitje Comme l’ADN, l’ARN est un l’ampleur des influences environnemen- ont fait une découverte d’importance. acide nucléique. Mais au contraire de l’ADN, l’ARN est tales sur les modifications au niveau des Ils avaient lancé une expérience consis- simple brin et incorpore à la histones. Les chercheurs ont exposé des tant à introduire dans des pétunias les place de la base azotée thymi- rats en gestation à la neurotoxine conte- gènes responsables de la couleur des ne la base azotée uracile. nue dans les cigarettes, la nicotine. Les fleurs. L’expérience se fit mais les résul- L’ARN est essentiel à la traduc- jeunes rats provenant de ces portées ont tats obtenus différèrent complètement tion de l’information géné- tique, contenue dans l’ADN, en ultérieurement présenté des modifica- de ceux attendus. Les pétunias traités protéine. Pour cela, une copie tions au niveau des poumons, sympto- présentaient, à la place d’une intense d’ARN d’un gène, appelé ARN matiques de l’asthme. Encore plus couleur violette, de grands domaines messager (en anglais: messen- surprenant a été de constater que la pro- sans couleur. Les chercheurs en conclu- ger RNA, mRNA), est produite dans le noyau cellulaire. géniture de ces jeunes rats, qui n’avait, rent que le gène déterminant la couleur L’ARN messager est ensuite elle, jamais été exposée à la nicotine, des fleurs propre à la plante, ainsi que traduit en protéine dans le présentait également des dommages au celui introduit, avaient été tous deux cytoplasme. niveau des organes respiratoires. Même inactivés. Ils décrivirent ce phénomène En plus de l’ARN messager si le mécanisme épigénétique derrière comme la co-suppression. Le mécanis- servant à la production de pro- tout cela n’a pas encore été complète- me responsable de ce phénomène n’a téine, il existe des molécules ment clarifié, de premières études indi- cependant pas pu être expliqué à ce d’ARN qui ne sont pas tradui- tes en protéines. On appelle quent qu’un changement au niveau de moment-là. ces molécules des ARN non la modification des histones dans les codants. Leur fonction n’a pas cellules sexuelles en serait la cause. p ét encore été parfaitement clarifiée. Certains de ces ARN un ia Molécules d’ARN: la troisième peuvent se lier sur des domai- nes bien précis de l’ ADN dimension épigénétique et, à l’aide d’autres facteurs, conduire à la formation D’un point de vue historique, ce d’hétérochromatine et à la mécanisme de régulation épigénétique méthylation de l’ ADN. se situe au deuxième rang après les mo- L’ARN double brin se compose difications au niveau de l’ADN et des de deux brins complémentaires d’ARN simple brin. Cette forme histones. Ces dernières années cepen- d’ARN est porteuse de l’in- dant, de nouvelles découvertes scienti- formation génétique de certains fiques ont changé la donne en révélant virus, de manière analogue une fonction régulatrice, jusqu’ici in- à l’ADN chez les humains. Les connue, des molécules d’ARN. 3 cellules des plantes, des ani- maux et des humains produi- sent également de courtes molécules d’ ARN double brin, appelées microARN. Ces noyau ARN microARN sont formés quand double un ARN simple brin se replie brin petits ARN sur lui-même formant une ARN messa- structure d’épingle à cheveux. interfé- ger rents L’interférence par ARN est un mécanisme activé par la présence d’ ARN double brin. RISC Cet ARN double brin est re- connu puis coupé en petits morceaux. Ces derniers peu- vent, à l’aide d’autres facteurs, se lier à des ARN messagers et les détruire. Ceci empêche MOLÉCULE D’ARN finalement la production de la protéine correspondante. SCIENCE ACTUELLE 7
L’explication relative à ce phé- cine pour leur découverte. Leur recher- 4 PRIX NOBEL DE MÉDECINE 2006 nomène fut obtenue grâce au travail sur che permet aujourd’hui aux chercheurs ANDREW FIRE & CRAIG C. MELLO les nématodes d’Andrew Fire et Craig C. d’utiliser un mécanisme naturel pour L’interférence par ARN comme Mello. Ils injectèrent des molécules inactiver des gènes de manière spéci- moyen d’inactiver de manière ciblée des gènes et des pro- d’ARN synthétiques d’un gène muscu- fique. Si on connaît la séquence de téines spécifiques laire dans les nématodes. Ils utilisèrent, l’ARN messager d’origine, on peut pro- au contraire de l’ARN cellulaire, de duire l’ARN double brin correspondant, l’ARN double brin (dsRNA). Ce traite- l’introduire dans les cellules et ainsi La façon usuelle de produire ment eut pour conséquence le tremble- inactiver le gène d’intérêt. 4 des protéines dans une cellule ment incontrôlé des vers, un comporte- Ces dernières années, notre con- ment semblable à celui de nématodes naissance des mécanismes de la régula- noyau cellulaire chez qui ce gène est inactivé. Mais que tion épigénétique par le biais de molé- Patrimoine s’était-il passé? cules d’ARN a beaucoup augmenté. Les héréditaire: l’ADN En réaction à l’injection des molécu- plantes, comme les animaux, utilisent ce ARN messager les d’ARN, les cellules des nématodes processus comme mécanisme de défen- transport en dehors du noyau avaient détruit leur propre ARN (ARN se contre le matériel génétique intrusif, production de messager) ainsi que l’ARN synthétique comme par exemple celui des virus. protéine reçu correspondant au gène musculaire. De récentes études montrent égale- protéine La protéine codée par cet ARN n’avait ment que les cellules peuvent générer el- ainsi pas pu être produite. les-mêmes de l’ARN double brin et ainsi réguler l’activité de gènes en fonction de Interruption ciblée de la né production de protéines dans signaux cellulaires ou d’influences une cellule ma externes. Ce type d’ARN double brin est tod appelé microARN (miARN). Les mic- e roARN sont présents chez les plantes, les animaux et les hommes et jouent un molécules d’ARN rôle déterminant dans le développement synthétiques d’un organisme. Ils régulent l’activité destruction de d’un grand nombre de gènes et ainsi, l’ARN messager presque tous les processus cellulaires, PAS DE protéine allant de la division cellulaire à la mort Après une importante série d’ex- cellulaire contrôlée. Tout comme pour périences, Fire et Mello parvinrent à la la méthylation de l’ADN et la modifica- conclusion suivante: l’ARN double brin tion des histones, un déséquilibre au est capable d’inactiver des gènes, ces niveau de ces molécules d’ARN peut ARN interférents (ARNi) sont spéci- conduire au développement de maladies. ADN fiques aux gènes présentant la même (ACIDE DÉSOXYRIBONUC- séquence que l’ARN injecté, et ces ARNi LÉIQUE) Description de la substance chi- peuvent se propager aux cellules filles et mique constituant les gènes. L’ADN sont même héritables. se compose de deux brins consti- En 2006 , Andrew Fire and Craig C. tués par la combinaison des bases Mello reçurent le prix Nobel de méde- adénine (A), thymine (T), guanine (G) et cytosine (C) et enroulés sur leur propre axe. 250 Il a fallu presque 250 ans jusqu’à ce que le secret de la plante Peloria de von Linné soit ARN (ACIDE RIBONUCLÉIQUE) Description de la substance chi- mique constituant les copies percé. La cause de la modification de cette plante est une modification chimique des gènes. Les copies des gènes sont héréditaire de l’ ADN composées à partir des quatre bases A, U, G et C. Ce qui signifie que la base thymine (T), présente au niveau de l’ADN, est dans ce cas-ci remplacée par une base uracile (U). 8 SCIENCE ACTUELLE
UN REGARD VERS LE FUTUR ENCODE «est la plus grande collection de données épigé- nétiques obtenues à partir de lignées cellulaires» Le domaine de l’épigénétique a tenu, ces der- «Grâce à ENCODE, nous avons obtenu un atlas nières années, les chercheurs en haleine. De nou- des séquences régulatrices présentes dans notre velles découvertes sont régulièrement faites, nous génome. Nous, chercheurs, avons maintenant à dis- aidant à mieux comprendre la régulation de notre position un ouvrage de référence sur la base duquel génome, un phénomène bien plus complexe nous pouvons chercher des réponses à nos questi- qu’imaginé seulement quelques années auparavant. ons spécifiques», explique Susanne Gasser, direc- En 2001, le Projet Génome Humain nous a trice de Friedrich Miescher Institute for Biomedi- apporté une multitude de nouvelles connaissances cal Research à Bâle. et a ainsi ouvert une nouvelle dimension dans les La régulation de l’activité des gènes est deve- domaines de la recherche fondamentale et de la re- nue plus complexe. Une analyse de la séquence cherche appliquée à la médecine. Cependant aucu- d’ADN ne suffit plus. Les modifications épigéné- ne fonction n’avait pu être attribuée à plus de 90 tiques, causées par des molécules d’ARN régula- pourcent de notre séquence d’ADN. trices, la méthylation de l’ADN ou encore des Encode artwork avec la permission de Carl de Torres Graphic Design Afin de combler cette lacune, un consortium modifications au niveau des histones, doivent être scientifique international, composé de plus de 440 intégrées dans le tableau actuel. Les chercheurs se chercheurs provenant de 32 laboratoires à travers sont donc fixé comme but de décoder ce «deuxième le monde, a été créé. Ce projet a reçu le nom de génome». Ils espèrent ainsi, par l’analyse des mo- ENCODE (the ENCyclopedia Of Dna Elements). difications épigénétiques présentes dans des orga- Les résultats obtenus jusqu’à présent montrent nismes modèles comme la souris ou la mouche, qu’une bonne partie de d’ADN considéré alors sans mieux comprendre l’évolution et le développement fonction, est responsable de réguler l’activité des de maladies. gènes. Ceci explique, entre autres, comment il est possible qu’une cellule hépatique ou une cellule nerveuse se différencie à partir d’une même cellule précurseur. La différence n’est pas contenue dans l’information génétique en soi, mais dans la régu- lation de celle-ci. SCIENCE ACTUELLE 9
Des modifications épigénétiques particulières peuvent i INACTIVATION mener au développement de maladies telles que le cancer. Au DU CHROMOSOME X contraire des modifications génétiques, les processus épigé- nétiques sont réversibles. Pour cette raison, ces processus con- L’inactivation du chromosome stituent d’intéressantes cibles thérapeutiques. Dans le futur, X décrit un phénomène bien connu chez les mammifères. la médecine personnalisée ne prendra donc pas seulement en Les femelles sont porteuses de compte les mutations génétiques mais également les différen- deux copies du chromosome X, ces au niveau du profil épigénétique de chaque patient, ceci alors que les mâles sont afin de choisir une thérapie appropriée. Susanne Gasser note: porteurs d’une copie du chro- «Dans le cas de maladies où les cellules se différencient de mosome X et d’une copie du chromosome Y. Afin que la manière inappropriée, telles les leucémies ou d’autres types dose génique soit la même chez de cancer, une telle approche est envisageable. Par contre, dans les deux sexes, une des deux le cas de maladies telles Alzheimer, notre connaissance des copies du chromosome X est modifications épigénétiques est, pour le moment, trop limitée inactivée chez la femelle. Le choix de quelle copie sera pour influencer le traitement à suivre». inactivée est aléatoire. Cette gro inactivation implique toute u une série de processus épigéné- pe tiques. Ces processus sont mé thy déclenchés par une longue lé molécule d’ARN, Xist, dont l’activité est elle-même régulée de manière épigénétique. La liaison de cet ARN et d’autres facteurs déclenche une cascade menant à l’inactivation d’une grande partie des gènes pré- sents sur la deuxième copie du chromosome X. Des modi- Les premiers médicaments agissant sur des processus épi- fications au niveau de la chro- génétiques, comme par exemple ceux modifiant la méthylati- matine, la formation d’hétéro- chromatine ainsi que des on de l’ADN, ont déjà été approuvés pour le traitement de méthylations au niveau de certains cancers. Le nouvel espoir des scientifiques repose l’ADN font partie de cette maintenant sur des molécules modifiant les histones. Les cascade. L’emballage compact premiers médicaments candidats de ce genre sont déjà en dé- de la chromatine et les change- veloppement clinique. «Les thérapies utilisant des molécules ments structurels en résultant ont donné au chromosome X modifiant les histones sont beaucoup plus prometteuses car le inactif le nom de corpuscule de nombre de protéines modifiant les histones est plus important. Barr. Il existe donc plus de points de départ ainsi qu’une multitude 3 d’approches différentes», souligne Susanne Gasser. De nos jours, trois mécanismes épigénétiques sont connus: les modifications chimiques au niveau de l’ ADN ou au niveau des protéines liées à l’ ADN ainsi que l’influence exercée par des Un exemple illustrant la molécules d’ ARN marque génétique est la pré- sence de patchs de fourrure de couleurs différentes chez les chats femelles. 10 SCIENCE ACTUELLE
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