PROJET PRÉLIMINAIRE DE RAPPORT DU CIB SUR LA PARENTALITÉ MODERNE
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SHS/IBC-25/18/2 Paris, le 15 juin 2018 Original anglais PROJET PRÉLIMINAIRE DE RAPPORT DU CIB SUR LA PARENTALITÉ MODERNE Dans le cadre de son programme de travail pour 2018-2019, le Comité international de bioéthique (CIB) de l’UNESCO a décidé de se pencher sur la question de la parentalité moderne, en réfléchissant aux liens réciproques entre l’évolution sociétale et l’évolution technologique, qui conduisent à de nouveaux concepts et à de nouvelles formes de parentalité, y compris aux effets sur les pratiques transfrontières et la justice génésique. À sa 24e session (ordinaire), en septembre 2017, le Comité a mis en place un groupe de travail chargé de mener une première réflexion sur le sujet. Entre octobre 2017 et avril 2018, ce groupe de travail a commencé à élaborer un texte relatif à cette réflexion au moyen d'un échange de courriers électroniques. Le groupe de travail s’est ensuite réuni à Beyrouth en avril 2018 afin de parachever la structure et le contenu du texte. Le présent document, basé sur le travail accompli à ce jour, contient le projet préliminaire de rapport préparé par le Groupe de travail du CIB. En l'état actuel, ce projet préliminaire de rapport ne représente pas nécessairement l'opinion finale du CIB, et il fera l'objet de plus amples discussions au sein du Comité en 2018 et 2019. En outre, ce document ne prétend pas être exhaustif et ne représente pas nécessairement les vues des États membres de l'UNESCO.
-2- PROJET PRÉLIMINAIRE DE RAPPORT DU CIB SUR LA PARENTALITÉ MODERNE TABLE DES MATIÈRES I. INTRODUCTION II. ÉVOLUTIONS TECHNOLOGIQUES ET SCIENTIFIQUES II.1. FIV – Fécondation in vitro II.2. Don de gamètes et d’embryon II.3. La congélation d’ovocytes II.4. Enfants porteurs de l’ADN de trois individus – don de mitochondries II.5. Greffe d’utérus II.6. Utérus artificiel II.7. Gamètes artificiels II.8. La conception post mortem II.9. La maternité de substitution II.10. Diagnostic génétique III. CONCEPTS DE PARENTALITÉ III.1. Parents, parentalité et procréation (géniteur) III.2. Conséquences morales de la nouvelle parentalité (biologique, sociale, intentionnelle, psychologique, légale, culturelle) III.3. Mondialisation contre contextualisation III.4. Adoption IV. ASPECTS SOCIAUX ET PSYCHOLOGIQUES IV.1. Les politiques de santé reproductive IV.2. Aspects psychologiques IV.3. L’impératif technologique IV.4. Recul de l’âge de la parentalité IV.5. Les aspects sociaux de la maternité de substitution IV.6. Les soins de santé reproductive transfrontaliers IV.7. Bien-être de l’enfant V. LE PAYSAGE JURIDIQUE V.1. Droit international V.1.1. Présomption de paternité V.1.2. Lien génétique V.1.3. Possession d’état
-3- V.1.4. Intention de procréer V.2. Droits en matière de procréation V.3. L’intérêt supérieur de l’enfant VI. CADRE ÉTHIQUE VI.1. Dignité humaine VI.2. Autonomie reproductive VI.3. Vie privée et intégrité physique VI.4. Justice reproductive et justice distributive VI.5. Responsabilité professionnelle VI.6. Recherche VII. RECOMMANDATIONS BIBLIOGRAPHIE
-4- PROJET PRÉLIMINAIRE DE RAPPORT DU CIB SUR LA PARENTALITÉ MODERNE I. INTRODUCTION 1. En 2010, le médecin anglais Robert Edwards obtenait le prix Nobel de médecine. Selon le communiqué de presse officiel de l'Organisation, il était ainsi récompensé pour avoir mis au point la fécondation humaine in vitro (FIV). En 1978 naissait Louise Brown, premier bébé au monde à avoir été conçu au moyen de l’application de la technique de la FIV par les médecins Edwards et Steptoe. Le communiqué de presse souligne que la FIV a contribué à résoudre les problèmes d'infertilité d’un nombre considérable de couples dans le monde entier. Il était à l’époque impossible d’anticiper pleinement en quoi cette technique allait révolutionner les possibilités de procréation humaine. 2. La procréation médicalement assistée (PMA) a évolué très rapidement, tant du point de vue technologique que par l’utilisation qui en a été faite. Au vu du recours à la PMA par des femmes célibataires, des couples de lesbiennes ou des couples hétérosexuels dispensés d’apporter la preuve de leur infertilité, il est rapidement apparu que ces techniques ne servaient pas seulement à surmonter les problèmes d'infertilité des couples mais aussi à libérer les êtres humains de certains aspects biologiques de la reproduction humaine. Certains se sont empressés de parler d'une émancipation progressive de la biologie, qui avait jusque- là conditionné la procréation humaine à un rapport sexuel entre un homme et une femme. D'autres ont compris que ces techniques pouvaient mettre en péril le cadre traditionnel de la procréation : un cadre dans lequel l’être humain, dès sa naissance, est élevé par l'homme et la femme qui l’ont engendré. Une partie de la société est jusqu’à présent restée à l’écart de ce débat, acceptant plus ou moins les possibilités offertes par ces techniques. Par ailleurs, les intérêts économiques en jeu sont si considérables qu’ils pourraient détourner l’attention des problèmes/obstacles soulevés sur le plan éthique. 3. Tout au long de l'histoire, l'être humain a considéré le principe de droit romain « mater sempre certa est » comme l'une des bases de l'organisation sociale. Ce principe ne vient pas seulement vérifier une réalité factuelle – le fait que chaque être humain a une génitrice connue, à moins que celle-ci ne tienne à dissimuler sa grossesse et son accouchement – il est également d’ordre prescriptif : la femme qui a conçu l'enfant en est également la mère légale. Il a été décidé en vertu de la loi de maintenir une continuité entre la maternité génétique et physiologique et la maternité légale. Ce principe s’appuie sur des principes biologiques mais il va beaucoup plus loin et suppose que, parce qu’elle est sa mère, la génitrice est la mieux placée pour s’occuper de l’enfant. Certes, des propositions ont été faites afin d’envisager la procréation et la filiation en dissociant la gestation de la maternité. Ainsi, il y a plusieurs siècles, Platon a proposé que les enfants soient élevés en qualité de gardiens de la Polis par d’autres personnes que leurs parents (La République). Ces propositions ont fait long feu ou n’ont été suivies que d’effets très éphémères. Le principe selon lequel la mère de l’enfant est celle qui l’a mis au monde est demeuré une constante. Cependant, la PMA semble avoir bouleversé le modèle de la maternité et, plus généralement, celui de la parentalité. 4. La PMA a permis de dissocier la maternité génétique de la maternité physiologique mais le principe a subsisté. Le don d’ovocyte et la maternité de substitution soulèvent de nouvelles questions : pourquoi une femme ayant porté le fœtus pourrait-elle être la mère de l’enfant même si les gamètes utilisés ne sont pas les siens et, à l’inverse, pourquoi une femme ne pourrait-elle pas être la mère d’un enfant au motif que ce n’est pas elle qui l’a porté ? Pourquoi une femme célibataire pourrait-elle être parent en recourant à la PMA mais pas un homme (avec ou sans partenaire homosexuel) ? Dans ces cas précis, le lien entre grossesse et maternité, qui avait été maintenu avec constance tout au long de l’histoire, apparaissait comme un obstacle à éliminer au nom de la liberté et de l’égalité devant la procréation. Les solutions finales ont radicalement transformé la conception de la procréation humaine.
-5- 5. Compte tenu des innovations de la médecine moderne, il est aujourd’hui très difficile de définir la parentalité légale ; du moins ces innovations nous obligent-elles à repenser le modèle qui a été le nôtre des siècles durant. Ces innovations scientifiques ininterrompues ont pu être décrites comme relevant du « Far West de la médecine », au sens où elles ne s’accompagnent d’aucune réflexion sur les conséquences qu’elles entraînent pour l’organisation sociale et les structures familiales, fondement de cette organisation. Bien que ces nouveaux traitements aient permis à des couples infertiles d’avoir des enfants, les possibilités qu’ils ont ouvertes pourraient provoquer une rupture radicale de la structure familiale traditionnelle et compromettre les postulats fondamentaux de la société sur l’institution de la famille et de la parentalité. Dans ce contexte inédit, il est essentiel de mieux comprendre la parentalité ainsi que les dimensions morales de la relation parent-enfant. Lorsqu’on aborde l’éthique de la parentalité, on soulève une multitude de questions comme la nature et la justification des droits moraux, la source des obligations morales, la valeur de l’autonomie ainsi que les obligations morales et les tensions présentes dans les relations interpersonnelles (Austin, 2016, p. 12). 6. Selon la nouvelle conception du lien de filiation, au fondement biologique de la filiation s’est substituée la volonté procréatrice de l'individu. Cette nouvelle conception de la procréation et de la filiation entraîne trois effets majeurs. Premièrement, la procréation ne constitue pas seulement un événement naturel d’une importance capitale (la venue au monde d’un nouvel être humain) auquel la société réagit en attribuant la responsabilité parentale aux parents de cet être humain. La procréation est également perçue comme un désir, ou même comme un droit de l’individu, pouvant être satisfait au moyen des techniques nouvelles. Deuxièmement, les conditions biologiques nécessaires à la procréation ne constituent plus un obstacle insurmontable. Troisièmement, la grossesse n’est plus nécessairement la première étape de la relation mère-enfant, pendant laquelle les liens fondamentaux qui se tissent pour la vie entière forment la base la plus appropriée de la construction du lien mère-enfant : cette étape peut également être un service offert à autrui. Dans ce contexte, la rupture entre grossesse et maternité semble moins importante que la satisfaction du désir d’enfant d’une personne qui se trouve dans l’impossibilité de porter un enfant. 7. Le développement prodigieux de la PMA au cours des dernières décennies, qui représente l’un des succès majeurs de la science médicale, a permis à de nombreux couples qui souhaitaient devenir parents d’avoir un enfant exempt de maladie génétique ou héréditaire, ce qui est particulièrement important dans nos sociétés contemporaines où les problèmes de fécondité se multiplient et où l’arrivée des femmes sur le marché du travail a manifestement retardé l’âge de la maternité. Dans ce contexte sans précédent et totalement inédit, la PMA représente la nouvelle solution pour devenir parent. 8. Ces évolutions posent des problèmes nouveaux sur le plan de la bioéthique parce qu’elles rompent avec la manière dont ont été conçus et réglementés jusqu’à présent la procréation humaine et, par conséquent, les relations mère-enfant et les liens de filiation. Pour la première fois dans l’histoire, il devient possible de dissocier la grossesse de la maternité, ce qui pourrait aboutir à une dissociation de la parentalité légale et de la parentalité biologique. D’une certaine façon, le phénomène n’est pas entièrement nouveau, il suffit de penser à l’adoption ; cependant, la PMA fait naître de nouveaux dilemmes ainsi qu’une nouvelle conception de la parentalité. Ainsi, dans le cas de l’adoption, il n’y a pas d’accord préalable entre la femme qui conçoit l’enfant et la personne qui assume la parentalité, alors qu’un tel accord est indispensable dans le cas de la maternité de substitution. 9. Compte tenu des problèmes de natalité constatés dans nombre de nos sociétés, et principalement dans les pays développés, la fin de la PMA est envisageable. Mais il convient d’évaluer la fin de la PMA en tenant compte des moyens nécessaires à mettre en œuvre pour y parvenir et des groupes de personnes qui pourraient en subir les effets, notamment les enfants en tant que groupe vulnérable.
-6- 10. Bien qu’elle soit reconnue dans la plupart des sociétés comme une procédure médicale acceptable, susceptible d’aider les couples sans enfant, la PMA pose toujours deux défis de taille. Premièrement, la PMA nous oblige à nous demander si la procréation exige que certaines conditions minimales soient respectées pour le bien des parties directement concernées. Cette question appelle souvent deux réponses contradictoires : d’une part on considère qu’il est important de préserver le lien entre grossesse et filiation pour les parties prenantes de la procréation, dans l’intérêt de l’enfant et d’une bonne organisation sociale ; d’autre part on affirme que grossesse et filiation ne sont pas nécessairement liées car ce qui prime avant tout, c’est le désir d’enfant de l’individu. 11. Ces dilemmes et ces conflits inédits pourraient être résolus sur les plans éthique et légal au niveau national mais les services relatifs à la PMA prennent souvent une dimension internationale. Si les procédures qu’elles doivent engager pour devenir parents ne sont pas autorisées dans leur pays de résidence, de nombreuses personnes se rendent dans un autre pays, profitant ainsi de l’absence d’une opinion et d’une réglementation communes relatives aux différentes possibilités de PMA. Ainsi, jamais encore il n’avait été aussi important d’élaborer des directives mondiales sur les conséquences de ces évolutions. Par exemple, la maternité de substitution est emblématique du nouveau tourisme procréatif et de l’incapacité des États à trouver des solutions aux problèmes juridiques que pose ce phénomène au niveau local. 12. Pour évaluer une action humaine sur le plan éthique, il faut généralement en connaître avec précision le contenu et les effets, ce qui ne veut pas dire qu’il soit impossible de mener à bien une telle réflexion. Les questions concernant la PMA et les nouvelles techniques de procréation sont nombreuses et beaucoup d’entre elles exigent une définition et des explications précises du mode d’action et de ses conséquences, comme le fait le Rapport du CIB sur l’état de sa réflexion sur le génome humain et les droits de l’homme (UNESCO, 2015). De même, selon le Rapport du CIB intitulé Le Principe du respect de la vulnérabilité humaine et de l'intégrité personnelle (UNESCO, 2013), « il existe des individus et des groupes [dont les enfants] qui sont spécifiquement susceptibles à la violation de l’intégrité personnelle ou au manque de respect de leur autonomie ; ceci par le moyen d’exploitation, d’escroquerie, de coercition et d’indifférence dans le cadre de l’application et de l’avancement des connaissances scientifiques, de la pratique médicale et des technologies qui leur sont associées ». 13. Outre ces rapports publiés récemment par le CIB, l’UNESCO a adopté trois déclarations relatives à la bioéthique : la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme (UDHGHR), adoptée par la Conférence générale de l’UNESCO le 11 novembre 1997 et approuvée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1998 ; la Déclaration internationale sur les données génétiques humaines (IDHGD), adoptée par la Conférence générale de l’UNESCO le 16 octobre 2003 ; et la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l'homme (UDBHR), adoptée par la Conférence générale de l’UNESCO le 19 octobre 2005. Ces textes constituent le fondement des opinions du CIB sur les droits des individus et des sociétés ainsi que sur les responsabilités qui incombent aux États et aux chercheurs en matière de données génétiques et de droits de l’homme. 14. L’article 26 de l’IDHGD dispose que « [l]'UNESCO prend les mesures appropriées pour assurer le suivi de la présente Déclaration de manière à favoriser l'avancement des sciences de la vie et leurs applications technologiques » (UNESCO, 2003a), tandis qu’en vertu de l’article 24 de l’UDHGHR : « [l]e Comité international de bioéthique de l'UNESCO devrait contribuer à la diffusion des principes énoncés dans la présente Déclaration et à l'approfondissement des questions que posent leurs applications et l'évolution des techniques en cause » (UNESCO, 1997). 15. Conformément à ces deux articles et compte tenu des progrès rapides accomplis depuis dix ans par la recherche sur la génétique humaine, le CIB juge opportun d’actualiser sa
-7- réflexion sur les questions éthiques que posent la PMA et les nouvelles technologies du point de vue de leur incidence sur le concept de parentalité. 16. À partir de ces observations préliminaires, le présent rapport examinera des domaines considérés comme présentant un intérêt majeur. Dans chaque domaine examiné, il donnera une brève description des techniques et de leurs applications, passera en revue les questions éthiques qu’elles soulèvent et formulera des recommandations concrètes, en gardant à l’esprit les principes énoncés dans les Déclarations. Outre les techniques déjà mises au point, nous aborderons les nouvelles possibilités qui s’offriront bientôt à nous, telles que l’utérus artificiel, par exemple. Toutes nos réflexions et considérations seront formulées du point de vue des effets des nouvelles technologies dans le domaine de la reproduction humaine, de l’avenir de la parentalité et des valeurs et des intérêts qui s’y rattachent. 17. La procréation humaine assistée, qui concerne l’ensemble de la société, suppose de disposer d’un observatoire privilégié pour étudier les liens réciproques entre la science et la société. Ces techniques ont de très nombreuses répercussions d’ordre économique, culturel, scientifique, idéologique, éthique ou religieux qui touchent le cœur même du tissu social. Sur le plan culturel par exemple, ces répercussions illustrent la façon dont chaque société conçoit la procréation, l’institution de la famille, les relations conjugales, les liens parentaux, le corps et la vie. II. ÉVOLUTIONS TECHNOLOGIQUES ET SCIENTIFIQUES II.1 FIV – Fécondation in vitro 18. La fécondation in vitro (FIV) désigne ici de façon générale les techniques de procréation médicalement assistée par lesquelles les embryons humains sont fécondés en laboratoire puis transférés dans l'utérus maternel. La plupart des procédures nécessitent une stimulation hormonale afin de ponctionner les ovocytes. Dans tous les cas, les spermatozoïdes doivent être recueillis par masturbation ou, parfois, par extraction ou par voie chirurgicale. Dans chaque cycle, une moyenne de 8 à 12 ovocytes sont prélevés et fécondés. Le taux de grossesse après transfert d'embryon est de 30-35 % (ESHRE, 2018), il est plus élevé chez les femmes de moins de 35 ans. 19. La FIV est désormais une technique largement répandue et le nombre de bébés- éprouvettes ne cesse d’augmenter. Ainsi, au niveau mondial, on estime que près de 2,4 millions de cycles de PMA sont engagés chaque année et qu’ils aboutissent à la naissance d’environ 500.000 bébés (ESHRE, 2018). Depuis la naissance du premier bébé-éprouvette en 1978, plus de 7 millions de bébés sont nés grâce à la FIV, ce qui représente 2 à 4 % du nombre annuel de naissances dans les pays riches. Dans près de 70 % des cas, les couples qui recourent à la FIV deviennent parents. 20. Les complications les plus courantes qui surviennent lors d’une PMA sont les grossesses multiples. La morbidité et la mortalité maternelles sont alors considérablement plus élevées que dans les cas des grossesses simples. Les jumeaux sont associés à des taux plus élevés de complications périnatales et présentent un risque accru de problèmes neurologiques à la naissance (ESHRE, 2008). Afin d’accroître le taux de réussite, il est possible de transférer deux embryons ou davantage, en fonction des paramètres cliniques et après discussion avec les parents potentiels. Cette procédure, qui peut multiplier les chances de réussite, risque aussi de favoriser les grossesses multiples. 21. La PMA entraînait par le passé un taux très élevé de naissances multiples. Selon les pays, le nombre d’embryons transférés et le taux de naissances multiples peuvent être très variables. Le transfert d’un embryon unique dans des groupes sélectionnés de patients est préconisé dans la mesure où il représente la seule solution efficace pour réduire le taux de grossesses multiples (ESHRE, 2008). En associant le transfert d’un embryon unique à un programme de congélation de qualité et à la possibilité de le remplacer ultérieurement par un autre embryon congelé et décongelé, on obtient un taux de naissances vivantes comparable
-8- à celui que donne le transfert de deux embryons (ESHRE, 2008). En Europe, le taux de naissances multiples a diminué, passant d’une moyenne de près de 27 % en 2000 à près de 18 % en 2014 ; dans certains pays, il n’est plus que de 5-6 % (EIM et al., 2017). 22. Le transfert d’embryons congelés-décongelés peut donner lieu à ce que l’on appelle la « naissance différée » d’enfants qui pourraient être considérés biologiquement comme des jumeaux dizygotes ou des triplés trizygotes – les ovocytes sont fécondés simultanément mais les périodes de gestation sont décalées, de sorte que les jumeaux ou les triplés ne naissent pas au même moment. 23. Bien que la FIV soit largement acceptée, elle soulève néanmoins des questions éthiques, en raison notamment des possibilités technologiques qui en découlent et de leurs conséquences : don de gamète, maternité de substitution, pluri-parentalité et recherche sur l’embryon humain. D’une façon ou d’une autre, la pratique de la FIV pose la question de la nature humaine et de sa normativité. Cette technique remet en cause le sens exact de la dignité humaine. Elle jette un éclairage d’une part sur l’intérêt supérieur de l’enfant et d’autre part sur la « liberté reproductive » des parents, deux notions parfois conflictuelles. II.2 Don de gamètes et d’embryon 24. Le don de gamètes ou d’embryon constitue parfois la seule solution pour pallier la déficience des gamètes mâles et/ou femelles et permettre ainsi à une femme ou à un couple d’avoir un enfant qui leur sera lié par le processus gestationnel. Le don de gamètes ou d’embryon est également utilisé pour éviter la transmission de maladies génétiques à l’enfant (ESHRE Task Force on Ethics et Law, 2002). Cette technique s’adresse aux couples hétérosexuels, aux couples lesbiens, aux femmes célibataires et aux couples homosexuels ou aux hommes célibataires. Les couples homosexuels ou les hommes célibataires doivent également recourir à la maternité de substitution (voir section II.10). 25. Le don de gamètes ou d’embryon prend différentes formes : a. L'ovocyte de la mère sociale/légale est fécondé par le sperme d'un donneur. Il y aura un lien génétique et gestationnel entre l'enfant et la mère sociale/légale, mais aucun lien génétique avec le père social/légal (s'il y en a un). Il y aura un lien génétique avec le donneur de sperme. b. L'ovocyte provient d'une donneuse et est fécondé par le sperme du père. C’est la même personne qui est la mère gestationnelle et sociale/légale. Il y aura un lien génétique avec le père social/légal, ainsi qu’avec la donneuse d'ovocyte. c. Les ovocytes et les spermatozoïdes proviennent de donneurs. Dans cette situation, comme dans la précédente, la mère gestationnelle et sociale/légale de l'enfant est la même personne mais il n'y a de lien génétique ni entre l'enfant et la mère sociale/légale ni entre l’enfant et le père social/légal (s'il y en a un). L'enfant sera génétiquement apparenté aux deux donneurs. d. Don d’embryon. Dans le cas présent, comme dans le précédent, il n'y a aucun lien génétique entre l'enfant et son/ses parents sociaux/légaux. Les donneurs sont un couple ayant sans doute des enfants liés à eux génétiquement et biologiquement. Ces enfants seront les frères et sœurs génétiques des enfants conçus par don d'embryon. Les donneurs et les receveurs utilisent une métaphore de l'adoption pour décrire la situation dans laquelle un enfant est séparé de sa famille génétique et élevé par une autre famille, mais le terme est contesté. 26. Les premiers exemples anecdotiques de dons du sperme ayant permis à des couples sans enfant de produire un héritier remontent à des époques très reculées. Ces dons ont été pratiqués soit au moyen d’un rapport sexuel entre le donneur et la future mère, soit par insémination. Le plus ancien acte d’insémination de sperme provenant d’un donneur qui ait été pratiqué dans un établissement médical et consigné aurait eu lieu aux États-Unis en 1884
-9- (Kramer, 2016). En Europe, le don de sperme est proposé par des cliniques depuis les années 1970. Le don d’ovocyte et d’embryon n’a pas été possible avant 1978. 27. Dans les pays qui autorisent le don de gamètes, les politiques tendent à rompre avec le principe de l'anonymat total du donneur et de l'enfant qui prévalait jusqu’alors afin de donner à l'enfant le droit de connaître l'identité du donneur. La Suède a été le premier pays au monde à modifier, dès 1985, sa législation sur ce point. De nombreux pays lui ont emboîté le pas au motif qu’il est essentiel de garantir à l’enfant le droit de connaître ses origines (UN, 1989, article 7). II.3 La congélation d’ovocytes 28. Le développement des techniques de congélation ultra-rapide, ou « vitrification », permet de stocker les ovocytes non fécondés en vue d’une utilisation ultérieure. Le taux de survie des ovocytes est plus élevé lorsqu’on recourt à la vitrification plutôt qu’aux anciennes techniques de congélation lente. Le taux de fécondation semble être identique indépendamment du fait que l’on utilise des ovocytes vitrifiés et décongelés ou des ovocytes « frais ». 29. La vitrification et le stockage des ovocytes peuvent représenter un progrès important pour préserver la fécondité de la femme en cas d’intervention médicale ou de maladie pouvant entraîner l’infertilité. La conservation des ovocytes pour des raisons médicales ne semble donc pas prêter à controverse lorsqu'elle est proposée à des femmes d’un certain âge et consentant à l'intervention. La situation est tout autre lorsque le prélèvement et le stockage des ovocytes sont proposés à des jeunes filles qui suivent un traitement médical risquant de les rendre infertiles mais qui ne peuvent pas donner de consentement valide. Dans un tel cas de figure, les avis divergent quant à ce qui constitue l'intérêt supérieur de l'enfant. 30. La congélation d’ovocytes pour des raisons d’ordre social fait débat. D’une part, cela permet à des femmes qui n’auraient pas encore trouvé de partenaire de préserver leurs ovocytes tant que leurs gamètes sont encore de « bonne qualité » et d’avoir par la suite leurs propres enfants génétiques. Par ailleurs, le stockage d’ovocytes non fécondés ouvre la voie à la parentalité différée ou encore à la procréation post mortem (voir section II.9). Par certains aspects, la parentalité différée peut être contestée du point de vue sociétal, médical et éthique, c’est le cas notamment de la parentalité post-ménopausale (voir ci-dessous). Les pressions abusives en faveur de la parentalité différée sont de nature à compromettre l’indépendance des femmes et leur liberté reproductive. 31. Le don d’ovocytes impliquait par le passé d’utiliser des ovocytes fraîchement prélevés, de sorte que la receveuse devait se trouver à la clinique en même temps que la donneuse et qu’il était impératif de coordonner leurs traitements. La congélation des ovocytes a ouvert la voie à l’établissement de banques d’ovules internationales qui distribuent les gamètes issus de dons dans le monde entier. L’accès aux ovocytes issus de dons pourrait s’en trouver facilité, et ce pour plusieurs raisons. Le don d’ovocytes est sans doute mieux accepté culturellement dans certaines régions du monde. Il a été établi que le montant de l’indemnisation avait une incidence sur l’accès aux donneurs 1 et qu’il pourrait constituer une source de revenu non négligeable pour certains pays, ce qui soulève des questions éthiques très complexes concernant la possible exploitation des donneurs et la commercialisation des gamètes. 32. Dans beaucoup de cas avérés, les dons d’ovocytes ou d’embryons ont permis à des femmes ménopausées de procréer et de donner naissance à un enfant, et ce même à un âge très avancé. Grâce à la vitrification des ovocytes (voir section II.3) suivie d’une FIV, les femmes ménopausées peuvent désormais avoir leur propre enfant génétique. 1 Si on juge nécessaire d’approfondir la réflexion sur la question des indemnités, on pourra se référer à l’exemple de la Suède – ce point sera évoqué lors de la session plénière du CIB qui aura lieu prochainement.
- 10 - 33. Chez les femmes ménopausées, une grossesse n’est pas sans risque. Les études montrent que les femmes de plus de 50 ans présentent pendant la grossesse un risque accru de complications médicales telles que prééclampsie, détresse fœtale, mauvaise croissance du fœtus et mortalité intra-utérine. 34. La parentalité post-ménopausale peut entraîner des effets préjudiciables au bien-être de l’enfant dans la mesure où l’espérance de vie d’une mère âgée est évidemment réduite. Le fait que des femmes ménopausées deviennent parents pose par ailleurs des problèmes d’ordre culturel et social, comme le « décalage générationnel » qui se produit lorsque des femmes d’un certain âge ont de jeunes enfants à la place de petits-enfants. II.4 Enfants porteurs de l’ADN de trois individus – don de mitochondries 35. Les mitochondries sont de minuscules organites situés à l'intérieur de nos cellules, à qui elles fournissent l'énergie qui leur est nécessaire pour fonctionner correctement. Elles sont présentes dans toutes les cellules du corps, à l'exception des globules rouges. Les mitochondries produisent plus de 90 % de l'énergie nécessaire à la vie de l'organisme et au bon fonctionnement des organes. Quand elles sont déficientes, l'énergie produite à l'intérieur de la cellule décroît progressivement, ce qui provoque des lésions cellulaires, voire la mort de la cellule. Si ce processus se répète dans l’ensemble du corps, il entraîne le dysfonctionnement de systèmes entiers d'organes (United Mitochondrial Disease Foundation, n.d.). 36. Les maladies mitochondriales héréditaires sont évolutives et causent souvent des problèmes de santé incapacitants et invalidants. Elles sont difficiles à diagnostiquer car leurs symptômes varient en fonction des individus. Ces maladies incurables peuvent provoquer la mort de nourrissons, d'enfants et de jeunes gens (Nuffield Council of Bioethics, 2012). Les maladies mitochondriales peuvent résulter de mutations portées par les gènes nucléaires qui compromettent la fonction mitochondriale ou de mutations mitochondriales. 37. Les mitochondries se transmettent toujours de mère à enfant. Les maladies mitochondriales causées par des mutations de l'ADN mitochondrial sont donc elles aussi transmises par la mère. Les maladies mitochondriales causées par des mutations de l’ADN nucléaire peuvent être la conséquence d’un mode de transmission autosomique dominant, récessif ou lié au chromosome X (NIH National Center for Advancing Translational Sciences, n.d.). 38. Les dons de mitochondries réalisés soit par transfert pronucléaire (PNT) soit par transfert de fuseau maternel (maternal spindle transfer, MST) semblent pouvoir prévenir la transmission maternelle des maladies mitochondriales causées par la mutation des gènes mitochondriaux. Ces deux techniques exigent de pratiquer une FIV. Tandis que le PNT utilise des embryons aux tous premiers stades de leur développement (un jour), le MST est réalisé sur des ovocytes non fécondés. Ces deux techniques produiront un bébé dont le matériel génétique proviendra de trois individus : le matériel génétique nucléaire des deux parents et les mitochondries saines issues de l’ovocyte de la donneuse, qu’elle soit ou non apparentée à la mère. Les mitochondries saines données par une parente de la mère seront identiques à celles qu’auraient eues la future mère, qui transmettra ainsi l'ADN mitochondrial de « sa famille » à son enfant (Nuffield Council of Bioethics, 2012). 39. Le premier bébé au monde issu d’un don de mitochondries, porteur par conséquent du matériel génétique de trois individus, serait né le 6 avril 2015 au Mexique (Sample, 2016). Le transfert mitochondrial a été légalisé au Royaume-Uni en 2015 mais, à ce jour, aucun autre pays n’a adopté de lois autorisant cette technique. En mars 2017, la Human Fertility et Embryology Agency, toujours au Royaume-Uni, donnait son aval à la toute première application d’un traitement fondé sur le don de mitochondries mais, à ce jour, aucun enfant n'est né au Royaume-Uni des suites d’un tel traitement (HFEA, 2017).
- 11 - 40. Bien qu’il nécessite de pratiquer une FIV, le don de mitochondries n’est pas une solution adaptée au traitement de l’infertilité : il s’agit d’un moyen d’éviter la transmission de maladies mitochondriales, plutôt comparable par conséquent au diagnostic préimplantatoire (DPI). II.5 Greffe d’utérus 41. La médecine reproductive est longtemps restée impuissante devant l’infertilité due à une absence d’utérus ou à un utérus dysfonctionnel, c’est-à-dire, incapable de supporter une grossesse. On estime à plusieurs milliers le nombre de femmes dans le monde souffrant d’une infertilité d’origine utérine. L’infertilité peut être due à des malformations mülleriennes congénitales telles que le syndrome de Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser (MRKH) mais, le plus souvent, elle est provoquée par le syndrome d’Asherman, par des myomes ne permettant pas la grossesse ou par une hystérectomie (Johanneson et Järvholm, 2016). La greffe d’utérus est le premier traitement existant pour remédier à une infertilité absolue d’origine utérine. 42. On recense au total à ce jour 11 greffes d’utérus, réalisées dans trois pays et contextes culturels distincts (Johanneson et Järvholm, 2016). La toute première greffe a eu lieu en 2000 en Arabie saoudite et a pu être réalisée grâce à une donneuse vivante au profit d’une receveuse de 26 ans ayant subi une hystérectomie (Akouri et al., 2017 ; Ström, 2017). L’utérus greffé avait dû être retiré 99 jours après l’intervention. Le seconde greffe d’utérus humain répertoriée a été réalisée en Turquie en 2011. La receveuse avait 21 ans, la donneuse 22. Cinq ans après la greffe, l’utérus était toujours en place. Plusieurs transferts d’embryons ont été effectués mais aucun n’a abouti à la naissance d’un enfant. Cet échec est à attribuer à des causes utérines et non embryonnaires. La donneuse n’avait jamais été enceinte (Akouri et al., 2017). 43. Au début de 2013, l’hôpital universitaire de Sahlgrenska a procédé à neuf greffes d’utérus prélevés sur des donneuses vivantes (Brännström et al., 2014), au cours d’un essai clinique prévoyant des normes d’inclusion très strictes ainsi qu’une évaluation minutieuse des receveuses et des donneuses selon des critères médicaux mais aussi psychologiques (Sahlgrenska Academy, 2014a). Huit des donneuses présentaient le syndrome de MRKH, la neuvième avait subi une hystérectomie totale à la suite d’un cancer du col utérin. Avant la greffe, les receveuses ont suivi 2 à 3 cycles de FIV. Parmi les donneuses, dont cinq étaient ménopausées, figuraient plusieurs mères, des parentes et une amie proche des receveuses. Sur les neuf patientes, sept ont commencé à avoir des règles spontanées et régulières un à deux mois après la greffe. 44. La première naissance vivante survenue après une greffe d’utérus a été annoncée en septembre 2014 (Sahlgrenska Academy, 2014b ; Brännström et al., 2015) : le petit garçon présentait un poids à la naissance conforme à son âge gestationnel de 31 semaines ainsi qu’un score d’Apgar normal. Le 18 septembre 2017, l’hôpital universitaire de Sahlgrenska avait annoncé au total la naissance de huit enfants nés de femmes ayant subi une greffe d’utérus (Ström, 2017). 45. Le don d’utérus n’est réservé ni aux donneuses vivantes ni aux donneuses décédées. Dans les cas présentés ici, il s’agissait de dix donneuses vivantes et d’une donneuse décédée. Ces possibilités peuvent l’une comme l’autre poser des problèmes d’ordre éthique. 46. La greffe d’utérus peut être considérée comme un moyen d’éviter la maternité de substitution. Elle préserve le lien gestationnel entre la mère sociale/légale et l’enfant mais peut créer un lien gestationnel supplémentaire, entre l’enfant et la donneuse d’utérus. 47. Bien que la plupart des cas de greffe d’utérus qui ont été recensés aient eu une issue favorable, ils n’apportent qu’une validation de principe à l’utilisation de cette procédure pour traiter l’infertilité d’origine utérine. Avant d’élargir la pratique de la greffe d’utérus, il sera nécessaire d’évaluer les principaux risques obstétriques découlant de cette procédure – fausses couches, prééclampsie, naissance prématurée et retard de croissance intra-utérin.
- 12 - Toutes les greffes peuvent entraîner un risque de rejet, il est donc essentiel de bien surveiller le fonctionnement de l’organe greffé. II.6 Utérus artificiel 48. Les tentatives visant à fabriquer un utérus artificiel ont été décrites dès 1959 (Taylor et al., 1959). Un rapport scientifique publié en 2017 a mis ce principe en application chez les animaux en montrant que des agneaux prématurés pouvaient être maintenus en vie pendant une période maximale de quatre semaines dans un « utérus artificiel » ou « biobag ». Bénéficiant grâce à ce système d’un soutien approprié, les agneaux ont présenté une croissance somatique, une maturation pulmonaire, une croissance cérébrale et une myélinisation normales (Partridge et al., 2017). Si cette technologie devenait un jour applicable sans risques aux humains, elle serait probablement destinée aux grands prématurés âgés de 23 à 25 semaines. Le taux élevé de morbidité et de mortalité au sein de ce groupe pourrait justifier l’application de cette technologie si les résultats des essais cliniques montraient une amélioration notable. 49. Bien que cette technique puisse sembler prometteuse, elle pose de nombreuses questions sur les plans médical et éthique. Les milieux qui imitent les conditions intra-utérines continuent à alimenter le fœtus en oxygène via le cordon ombilical ou directement par les artères, ce qui peut être risqué à mettre en place dans un utérus artificiel car le cordon ombilical rétrécit en présence d’oxygène ou de perturbations. L’utérus artificiel est très vulnérable aux infections et, parce qu’il est encore faible, le cœur fœtal n’est pas toujours apte à supporter le pompage artificiel du sang. 50. À l’avenir, l’utérus artificiel pourrait ouvrir la voie au développement fœtal ou embryonnaire en dehors de l’utérus naturel dans les tout premiers stades de la gestation. Cette manière de donner la vie déconnecterait le développement gestationnel de l’enfant du processus biologique naturel de la grossesse. Elle soulève, de toute évidence, des questions fondamentales sur les processus biologiques et les risques imprévus, et représente une atteinte à la dignité humaine et à d’autres droits humains. II.7 Gamètes artificiels 2 51. Les scientifiques explorent actuellement plusieurs pistes pour créer des gamètes in vitro. Une étude systématique réalisée en 2015 a sélectionné huit scénarios biologiques plausibles pour produire du sperme artificiel chez les hommes et neuf scénarios biologiques plausibles pour produire des ovocytes artificiels chez les femmes. Ils ont également mis en évidence des pistes biologiques qui pourraient conduire au développement de sperme chez les femmes et d’ovocytes chez les hommes. Ces recherches pourraient avoir des applications cliniques mais, au stade où en sont les choses, nos connaissances sur le fonctionnement et les risques des principales méthodes envisagées restent limitées, ce qui pose un défi majeur. 52. Les gamètes artificiels pourraient à l’avenir accroître la quantité de gamètes disponibles dans les cliniques ou les banques de gamètes. Ils pourraient par ailleurs offrir de nouvelles possibilités aux personnes infertiles qui ont actuellement recours au don de gamètes pour avoir un enfant qui leur soit génétiquement apparenté. D’aucuns vont jusqu’à affirmer que les gamètes artificiels signeraient la fin de l’infertilité et qu’ils mettraient ainsi un terme aux souffrances causées par l’infécondité involontaire. 53. Les gamètes artificiels comportent cependant un risque élevé. Il n’est ainsi pas exclu que les enfants conçus au moyen de gamètes artificiels présentent de graves anomalies génétiques, ce qui doit nous inciter à la plus grande prudence à l’égard de ces techniques. En outre, les gamètes artificiels pourront permettre à un individu de satisfaire son désir de reproduction, que ce soit au sein ou en dehors du concept familial traditionnel, faisant ainsi 2Adapté dans une large mesure de Smajdor, A. et Cutas, D. 2015. Nuffield Council on Bioethics Background Paper: Artificial Gametes. Londres, Nuffield Council on Bioethics.
- 13 - peser une multitude de risques sur l’intégrité de la famille nucléaire. La possibilité de prélever des ovocytes chez un homme et du sperme chez une femme peut être source d’inquiétude en raison des pressions qui pèsent déjà sur les concepts de mère, de père et de famille. En outre, les gamètes artificiels mettent en cause de manière fondamentale nombre d’hypothèses concernant les limites de la reproduction humaine. Cette technique, qui ne sera pas sans incidence sur la législation et la réglementation, aura des effets particulièrement difficiles à cerner, comme le vol de gamètes et l’éventualité d’une parentalité non intentionnelle. 54. Les possibilités que pourraient offrir ces techniques soulèvent des questions quant à notre conception de l’infertilité, des gamètes et de la parentalité. Elles suscitent aussi des préoccupations éthiques comme la marchandisation du matériel reproductif humain ; la question de savoir s’il est justifié de pousser la recherche plus loin ; le préjudice génétique ou psychologique causé aux enfants ; et les questions de sexe et de parentalité. II.8 La conception post mortem 55. Dans le présent rapport, la conception post mortem désigne une procédure par laquelle une ou des personne(s) décédée(s) engendre(nt) un enfant. Plusieurs scénarios sont possibles: a. lorsqu’un homme décède, son sperme est prélevé rapidement en vue d’une utilisation ultérieure par son épouse ; b. l’utilisation du sperme, des ovocytes ou d’un embryon cryopréservés après le décès du mari ou de la femme afin que le conjoint survivant puisse avoir un enfant de son partenaire décédé ; c. l’utilisation de sperme, d’ovocytes ou d’un embryon cryopréservés issus d’un don après le décès du donneur dans le cadre d’une procédure de don de gamète ou d’embryon (voir section II.2) ou en association avec une maternité de substitution ; d. si une femme enceinte est sur le point de mourir, tombe dans le coma ou décède, il peut être possible de maintenir une circulation et une ventilation suffisantes pour favoriser la maturité du fœtus et lui donner une chance de survivre (Mason, 1998). 56. La reproduction post mortem au moyen de sperme cryopréservé est une possibilité qui a été mise en évidence il y a plusieurs décennies. En 1962, un article publié par la revue de l’American Bar Association a ajouté un nouveau personnage à la loi sur les intérêts futurs en la personne du « descendant fécond », dans la mesure où le sperme peut être conservé et utilisé plusieurs dizaines d’années après la mort du donneur (Kindregan et McBrien, 2006). 57. Les essais cliniques montrent que, dans le cadre d’un programme de don d’ovocytes, le taux de grossesse est sensiblement le même indépendamment du fait qu’on utilise des ovocytes cryopréservés ou frais (Cobo et al., 2010). L’amélioration des techniques de cryopréservation permet d’utiliser après la mort du donneur du sperme, des ovocytes non fécondés ainsi que des embryons provenant d’un don. 58. L’utilisation post mortem de sperme, d’ovocytes ou d’embryons soulève des problèmes éthiques et juridiques complexes ayant trait à l’autonomie, au consentement éclairé, au respect de la vie privée, à l’héritage ainsi qu’au bien-être de l’enfant, aux droits de l’enfant et à la dignité de la personne décédée, y compris au respect de sa volonté (Bahadur, 2002 ; Batzer et al., 2003). Du point de vue éthique, il peut être difficile de prélever du sperme ou des ovocytes sur une personne à l’agonie se trouvant dans le coma ou d’utiliser les ovocytes ou le sperme d’un couple après la mort de l’un des deux conjoints. Les interventions médicales de cet ordre posent de graves questions de morale auxquelles il est difficile d’apporter des réponses. II.9 La maternité de substitution
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