PROJET PRÉLIMINAIRE DE RAPPORT DU CIB SUR LA PARENTALITÉ MODERNE

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SHS/IBC-25/18/2
                                                                   Paris, le 15 juin 2018
                                                                   Original anglais

PROJET PRÉLIMINAIRE DE RAPPORT DU CIB SUR LA PARENTALITÉ MODERNE

     Dans le cadre de son programme de travail pour 2018-2019, le Comité
     international de bioéthique (CIB) de l’UNESCO a décidé de se pencher sur
     la question de la parentalité moderne, en réfléchissant aux liens
     réciproques entre l’évolution sociétale et l’évolution technologique, qui
     conduisent à de nouveaux concepts et à de nouvelles formes de
     parentalité, y compris aux effets sur les pratiques transfrontières et la
     justice génésique.
     À sa 24e session (ordinaire), en septembre 2017, le Comité a mis en place
     un groupe de travail chargé de mener une première réflexion sur le sujet.
     Entre octobre 2017 et avril 2018, ce groupe de travail a commencé à
     élaborer un texte relatif à cette réflexion au moyen d'un échange de
     courriers électroniques. Le groupe de travail s’est ensuite réuni à Beyrouth
     en avril 2018 afin de parachever la structure et le contenu du texte. Le
     présent document, basé sur le travail accompli à ce jour, contient le projet
     préliminaire de rapport préparé par le Groupe de travail du CIB.
     En l'état actuel, ce projet préliminaire de rapport ne représente pas
     nécessairement l'opinion finale du CIB, et il fera l'objet de plus amples
     discussions au sein du Comité en 2018 et 2019. En outre, ce document ne
     prétend pas être exhaustif et ne représente pas nécessairement les vues
     des États membres de l'UNESCO.
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                PROJET PRÉLIMINAIRE DE RAPPORT DU CIB
                    SUR LA PARENTALITÉ MODERNE

                           TABLE DES MATIÈRES

I.     INTRODUCTION

II.    ÉVOLUTIONS TECHNOLOGIQUES ET SCIENTIFIQUES

       II.1.    FIV – Fécondation in vitro
       II.2.    Don de gamètes et d’embryon
       II.3.    La congélation d’ovocytes
       II.4.    Enfants porteurs de l’ADN de trois individus – don de
                mitochondries
       II.5.    Greffe d’utérus
       II.6.    Utérus artificiel
       II.7.    Gamètes artificiels
       II.8.    La conception post mortem
       II.9.    La maternité de substitution
       II.10.   Diagnostic génétique

III.   CONCEPTS DE PARENTALITÉ

       III.1.   Parents, parentalité et procréation (géniteur)
       III.2.   Conséquences morales de la nouvelle parentalité (biologique,
                sociale, intentionnelle, psychologique, légale, culturelle)
       III.3.   Mondialisation contre contextualisation
       III.4.   Adoption

IV.    ASPECTS SOCIAUX ET PSYCHOLOGIQUES

       IV.1.     Les politiques de santé reproductive
       IV.2.     Aspects psychologiques
       IV.3.     L’impératif technologique
       IV.4.     Recul de l’âge de la parentalité
       IV.5.     Les aspects sociaux de la maternité de substitution
       IV.6.     Les soins de santé reproductive transfrontaliers
       IV.7.     Bien-être de l’enfant

V.     LE PAYSAGE JURIDIQUE

       V.1.      Droit international
                 V.1.1. Présomption de paternité
                 V.1.2. Lien génétique
                 V.1.3. Possession d’état
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                V.1.4. Intention de procréer
       V.2.     Droits en matière de procréation
       V.3.     L’intérêt supérieur de l’enfant

VI.    CADRE ÉTHIQUE

       VI.1.    Dignité humaine
       VI.2.    Autonomie reproductive
       VI.3.    Vie privée et intégrité physique
       VI.4.    Justice reproductive et justice distributive
       VI.5.    Responsabilité professionnelle
       VI.6.    Recherche

VII.   RECOMMANDATIONS

BIBLIOGRAPHIE
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                       PROJET PRÉLIMINAIRE DE RAPPORT DU CIB
                           SUR LA PARENTALITÉ MODERNE

I.    INTRODUCTION

1.      En 2010, le médecin anglais Robert Edwards obtenait le prix Nobel de médecine. Selon
le communiqué de presse officiel de l'Organisation, il était ainsi récompensé pour avoir mis
au point la fécondation humaine in vitro (FIV). En 1978 naissait Louise Brown, premier bébé
au monde à avoir été conçu au moyen de l’application de la technique de la FIV par les
médecins Edwards et Steptoe. Le communiqué de presse souligne que la FIV a contribué à
résoudre les problèmes d'infertilité d’un nombre considérable de couples dans le monde entier.
Il était à l’époque impossible d’anticiper pleinement en quoi cette technique allait révolutionner
les possibilités de procréation humaine.
2.     La procréation médicalement assistée (PMA) a évolué très rapidement, tant du point de
vue technologique que par l’utilisation qui en a été faite. Au vu du recours à la PMA par des
femmes célibataires, des couples de lesbiennes ou des couples hétérosexuels dispensés
d’apporter la preuve de leur infertilité, il est rapidement apparu que ces techniques ne
servaient pas seulement à surmonter les problèmes d'infertilité des couples mais aussi à
libérer les êtres humains de certains aspects biologiques de la reproduction humaine. Certains
se sont empressés de parler d'une émancipation progressive de la biologie, qui avait jusque-
là conditionné la procréation humaine à un rapport sexuel entre un homme et une femme.
D'autres ont compris que ces techniques pouvaient mettre en péril le cadre traditionnel de la
procréation : un cadre dans lequel l’être humain, dès sa naissance, est élevé par l'homme et
la femme qui l’ont engendré. Une partie de la société est jusqu’à présent restée à l’écart de
ce débat, acceptant plus ou moins les possibilités offertes par ces techniques. Par ailleurs,
les intérêts économiques en jeu sont si considérables qu’ils pourraient détourner l’attention
des problèmes/obstacles soulevés sur le plan éthique.
3.     Tout au long de l'histoire, l'être humain a considéré le principe de droit romain « mater
sempre certa est » comme l'une des bases de l'organisation sociale. Ce principe ne vient pas
seulement vérifier une réalité factuelle – le fait que chaque être humain a une génitrice connue,
à moins que celle-ci ne tienne à dissimuler sa grossesse et son accouchement – il est
également d’ordre prescriptif : la femme qui a conçu l'enfant en est également la mère légale.
Il a été décidé en vertu de la loi de maintenir une continuité entre la maternité génétique et
physiologique et la maternité légale. Ce principe s’appuie sur des principes biologiques mais
il va beaucoup plus loin et suppose que, parce qu’elle est sa mère, la génitrice est la mieux
placée pour s’occuper de l’enfant. Certes, des propositions ont été faites afin d’envisager la
procréation et la filiation en dissociant la gestation de la maternité. Ainsi, il y a plusieurs siècles,
Platon a proposé que les enfants soient élevés en qualité de gardiens de la Polis par d’autres
personnes que leurs parents (La République). Ces propositions ont fait long feu ou n’ont été
suivies que d’effets très éphémères. Le principe selon lequel la mère de l’enfant est celle qui
l’a mis au monde est demeuré une constante. Cependant, la PMA semble avoir bouleversé le
modèle de la maternité et, plus généralement, celui de la parentalité.
4.     La PMA a permis de dissocier la maternité génétique de la maternité physiologique mais
le principe a subsisté. Le don d’ovocyte et la maternité de substitution soulèvent de nouvelles
questions : pourquoi une femme ayant porté le fœtus pourrait-elle être la mère de l’enfant
même si les gamètes utilisés ne sont pas les siens et, à l’inverse, pourquoi une femme ne
pourrait-elle pas être la mère d’un enfant au motif que ce n’est pas elle qui l’a porté ? Pourquoi
une femme célibataire pourrait-elle être parent en recourant à la PMA mais pas un homme
(avec ou sans partenaire homosexuel) ? Dans ces cas précis, le lien entre grossesse et
maternité, qui avait été maintenu avec constance tout au long de l’histoire, apparaissait
comme un obstacle à éliminer au nom de la liberté et de l’égalité devant la procréation. Les
solutions finales ont radicalement transformé la conception de la procréation humaine.
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5.      Compte tenu des innovations de la médecine moderne, il est aujourd’hui très difficile de
définir la parentalité légale ; du moins ces innovations nous obligent-elles à repenser le
modèle qui a été le nôtre des siècles durant. Ces innovations scientifiques ininterrompues ont
pu être décrites comme relevant du « Far West de la médecine », au sens où elles ne
s’accompagnent d’aucune réflexion sur les conséquences qu’elles entraînent pour
l’organisation sociale et les structures familiales, fondement de cette organisation. Bien que
ces nouveaux traitements aient permis à des couples infertiles d’avoir des enfants, les
possibilités qu’ils ont ouvertes pourraient provoquer une rupture radicale de la structure
familiale traditionnelle et compromettre les postulats fondamentaux de la société sur
l’institution de la famille et de la parentalité. Dans ce contexte inédit, il est essentiel de mieux
comprendre la parentalité ainsi que les dimensions morales de la relation parent-enfant.
Lorsqu’on aborde l’éthique de la parentalité, on soulève une multitude de questions comme
la nature et la justification des droits moraux, la source des obligations morales, la valeur de
l’autonomie ainsi que les obligations morales et les tensions présentes dans les relations
interpersonnelles (Austin, 2016, p. 12).
6.     Selon la nouvelle conception du lien de filiation, au fondement biologique de la filiation
s’est substituée la volonté procréatrice de l'individu. Cette nouvelle conception de la
procréation et de la filiation entraîne trois effets majeurs. Premièrement, la procréation ne
constitue pas seulement un événement naturel d’une importance capitale (la venue au monde
d’un nouvel être humain) auquel la société réagit en attribuant la responsabilité parentale aux
parents de cet être humain. La procréation est également perçue comme un désir, ou même
comme un droit de l’individu, pouvant être satisfait au moyen des techniques nouvelles.
Deuxièmement, les conditions biologiques nécessaires à la procréation ne constituent plus un
obstacle insurmontable. Troisièmement, la grossesse n’est plus nécessairement la première
étape de la relation mère-enfant, pendant laquelle les liens fondamentaux qui se tissent pour
la vie entière forment la base la plus appropriée de la construction du lien mère-enfant : cette
étape peut également être un service offert à autrui. Dans ce contexte, la rupture entre
grossesse et maternité semble moins importante que la satisfaction du désir d’enfant d’une
personne qui se trouve dans l’impossibilité de porter un enfant.
7.    Le développement prodigieux de la PMA au cours des dernières décennies, qui
représente l’un des succès majeurs de la science médicale, a permis à de nombreux couples
qui souhaitaient devenir parents d’avoir un enfant exempt de maladie génétique ou héréditaire,
ce qui est particulièrement important dans nos sociétés contemporaines où les problèmes de
fécondité se multiplient et où l’arrivée des femmes sur le marché du travail a manifestement
retardé l’âge de la maternité. Dans ce contexte sans précédent et totalement inédit, la PMA
représente la nouvelle solution pour devenir parent.
8.    Ces évolutions posent des problèmes nouveaux sur le plan de la bioéthique parce
qu’elles rompent avec la manière dont ont été conçus et réglementés jusqu’à présent la
procréation humaine et, par conséquent, les relations mère-enfant et les liens de filiation. Pour
la première fois dans l’histoire, il devient possible de dissocier la grossesse de la maternité,
ce qui pourrait aboutir à une dissociation de la parentalité légale et de la parentalité biologique.
D’une certaine façon, le phénomène n’est pas entièrement nouveau, il suffit de penser à
l’adoption ; cependant, la PMA fait naître de nouveaux dilemmes ainsi qu’une nouvelle
conception de la parentalité. Ainsi, dans le cas de l’adoption, il n’y a pas d’accord préalable
entre la femme qui conçoit l’enfant et la personne qui assume la parentalité, alors qu’un tel
accord est indispensable dans le cas de la maternité de substitution.
9.    Compte tenu des problèmes de natalité constatés dans nombre de nos sociétés, et
principalement dans les pays développés, la fin de la PMA est envisageable. Mais il convient
d’évaluer la fin de la PMA en tenant compte des moyens nécessaires à mettre en œuvre pour
y parvenir et des groupes de personnes qui pourraient en subir les effets, notamment les
enfants en tant que groupe vulnérable.
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10. Bien qu’elle soit reconnue dans la plupart des sociétés comme une procédure médicale
acceptable, susceptible d’aider les couples sans enfant, la PMA pose toujours deux défis de
taille. Premièrement, la PMA nous oblige à nous demander si la procréation exige que
certaines conditions minimales soient respectées pour le bien des parties directement
concernées. Cette question appelle souvent deux réponses contradictoires : d’une part on
considère qu’il est important de préserver le lien entre grossesse et filiation pour les parties
prenantes de la procréation, dans l’intérêt de l’enfant et d’une bonne organisation sociale ;
d’autre part on affirme que grossesse et filiation ne sont pas nécessairement liées car ce qui
prime avant tout, c’est le désir d’enfant de l’individu.
11. Ces dilemmes et ces conflits inédits pourraient être résolus sur les plans éthique et légal
au niveau national mais les services relatifs à la PMA prennent souvent une dimension
internationale. Si les procédures qu’elles doivent engager pour devenir parents ne sont pas
autorisées dans leur pays de résidence, de nombreuses personnes se rendent dans un autre
pays, profitant ainsi de l’absence d’une opinion et d’une réglementation communes relatives
aux différentes possibilités de PMA. Ainsi, jamais encore il n’avait été aussi important
d’élaborer des directives mondiales sur les conséquences de ces évolutions. Par exemple, la
maternité de substitution est emblématique du nouveau tourisme procréatif et de l’incapacité
des États à trouver des solutions aux problèmes juridiques que pose ce phénomène au niveau
local.
12. Pour évaluer une action humaine sur le plan éthique, il faut généralement en connaître
avec précision le contenu et les effets, ce qui ne veut pas dire qu’il soit impossible de mener
à bien une telle réflexion. Les questions concernant la PMA et les nouvelles techniques de
procréation sont nombreuses et beaucoup d’entre elles exigent une définition et des
explications précises du mode d’action et de ses conséquences, comme le fait le Rapport du
CIB sur l’état de sa réflexion sur le génome humain et les droits de l’homme (UNESCO, 2015).
De même, selon le Rapport du CIB intitulé Le Principe du respect de la vulnérabilité humaine
et de l'intégrité personnelle (UNESCO, 2013), « il existe des individus et des groupes [dont
les enfants] qui sont spécifiquement susceptibles à la violation de l’intégrité personnelle ou au
manque de respect de leur autonomie ; ceci par le moyen d’exploitation, d’escroquerie, de
coercition et d’indifférence dans le cadre de l’application et de l’avancement des
connaissances scientifiques, de la pratique médicale et des technologies qui leur sont
associées ».
13. Outre ces rapports publiés récemment par le CIB, l’UNESCO a adopté trois déclarations
relatives à la bioéthique : la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de
l'homme (UDHGHR), adoptée par la Conférence générale de l’UNESCO le 11 novembre 1997
et approuvée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1998 ; la Déclaration
internationale sur les données génétiques humaines (IDHGD), adoptée par la Conférence
générale de l’UNESCO le 16 octobre 2003 ; et la Déclaration universelle sur la bioéthique et
les droits de l'homme (UDBHR), adoptée par la Conférence générale de l’UNESCO le
19 octobre 2005. Ces textes constituent le fondement des opinions du CIB sur les droits des
individus et des sociétés ainsi que sur les responsabilités qui incombent aux États et aux
chercheurs en matière de données génétiques et de droits de l’homme.
14. L’article 26 de l’IDHGD dispose que « [l]'UNESCO prend les mesures appropriées pour
assurer le suivi de la présente Déclaration de manière à favoriser l'avancement des sciences
de la vie et leurs applications technologiques » (UNESCO, 2003a), tandis qu’en vertu de
l’article 24 de l’UDHGHR : « [l]e Comité international de bioéthique de l'UNESCO devrait
contribuer à la diffusion des principes énoncés dans la présente Déclaration et à
l'approfondissement des questions que posent leurs applications et l'évolution des techniques
en cause » (UNESCO, 1997).
15. Conformément à ces deux articles et compte tenu des progrès rapides accomplis depuis
dix ans par la recherche sur la génétique humaine, le CIB juge opportun d’actualiser sa
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réflexion sur les questions éthiques que posent la PMA et les nouvelles technologies du point
de vue de leur incidence sur le concept de parentalité.
16. À partir de ces observations préliminaires, le présent rapport examinera des domaines
considérés comme présentant un intérêt majeur. Dans chaque domaine examiné, il donnera
une brève description des techniques et de leurs applications, passera en revue les questions
éthiques qu’elles soulèvent et formulera des recommandations concrètes, en gardant à l’esprit
les principes énoncés dans les Déclarations. Outre les techniques déjà mises au point, nous
aborderons les nouvelles possibilités qui s’offriront bientôt à nous, telles que l’utérus artificiel,
par exemple. Toutes nos réflexions et considérations seront formulées du point de vue des
effets des nouvelles technologies dans le domaine de la reproduction humaine, de l’avenir de
la parentalité et des valeurs et des intérêts qui s’y rattachent.
17. La procréation humaine assistée, qui concerne l’ensemble de la société, suppose de
disposer d’un observatoire privilégié pour étudier les liens réciproques entre la science et la
société. Ces techniques ont de très nombreuses répercussions d’ordre économique, culturel,
scientifique, idéologique, éthique ou religieux qui touchent le cœur même du tissu social. Sur
le plan culturel par exemple, ces répercussions illustrent la façon dont chaque société conçoit
la procréation, l’institution de la famille, les relations conjugales, les liens parentaux, le corps
et la vie.

II.    ÉVOLUTIONS TECHNOLOGIQUES ET SCIENTIFIQUES

II.1   FIV – Fécondation in vitro

18. La fécondation in vitro (FIV) désigne ici de façon générale les techniques de procréation
médicalement assistée par lesquelles les embryons humains sont fécondés en laboratoire
puis transférés dans l'utérus maternel. La plupart des procédures nécessitent une stimulation
hormonale afin de ponctionner les ovocytes. Dans tous les cas, les spermatozoïdes doivent
être recueillis par masturbation ou, parfois, par extraction ou par voie chirurgicale. Dans
chaque cycle, une moyenne de 8 à 12 ovocytes sont prélevés et fécondés. Le taux de
grossesse après transfert d'embryon est de 30-35 % (ESHRE, 2018), il est plus élevé chez
les femmes de moins de 35 ans.
19. La FIV est désormais une technique largement répandue et le nombre de bébés-
éprouvettes ne cesse d’augmenter. Ainsi, au niveau mondial, on estime que près de
2,4 millions de cycles de PMA sont engagés chaque année et qu’ils aboutissent à la naissance
d’environ 500.000 bébés (ESHRE, 2018). Depuis la naissance du premier bébé-éprouvette
en 1978, plus de 7 millions de bébés sont nés grâce à la FIV, ce qui représente 2 à 4 % du
nombre annuel de naissances dans les pays riches. Dans près de 70 % des cas, les couples
qui recourent à la FIV deviennent parents.
20. Les complications les plus courantes qui surviennent lors d’une PMA sont les
grossesses multiples. La morbidité et la mortalité maternelles sont alors considérablement
plus élevées que dans les cas des grossesses simples. Les jumeaux sont associés à des taux
plus élevés de complications périnatales et présentent un risque accru de problèmes
neurologiques à la naissance (ESHRE, 2008). Afin d’accroître le taux de réussite, il est
possible de transférer deux embryons ou davantage, en fonction des paramètres cliniques et
après discussion avec les parents potentiels. Cette procédure, qui peut multiplier les chances
de réussite, risque aussi de favoriser les grossesses multiples.
21. La PMA entraînait par le passé un taux très élevé de naissances multiples. Selon les
pays, le nombre d’embryons transférés et le taux de naissances multiples peuvent être très
variables. Le transfert d’un embryon unique dans des groupes sélectionnés de patients est
préconisé dans la mesure où il représente la seule solution efficace pour réduire le taux de
grossesses multiples (ESHRE, 2008). En associant le transfert d’un embryon unique à un
programme de congélation de qualité et à la possibilité de le remplacer ultérieurement par un
autre embryon congelé et décongelé, on obtient un taux de naissances vivantes comparable
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à celui que donne le transfert de deux embryons (ESHRE, 2008). En Europe, le taux de
naissances multiples a diminué, passant d’une moyenne de près de 27 % en 2000 à près de
18 % en 2014 ; dans certains pays, il n’est plus que de 5-6 % (EIM et al., 2017).
22. Le transfert d’embryons congelés-décongelés peut donner lieu à ce que l’on appelle la
« naissance différée » d’enfants qui pourraient être considérés biologiquement comme des
jumeaux dizygotes ou des triplés trizygotes – les ovocytes sont fécondés simultanément mais
les périodes de gestation sont décalées, de sorte que les jumeaux ou les triplés ne naissent
pas au même moment.
23. Bien que la FIV soit largement acceptée, elle soulève néanmoins des questions éthiques,
en raison notamment des possibilités technologiques qui en découlent et de leurs
conséquences : don de gamète, maternité de substitution, pluri-parentalité et recherche sur
l’embryon humain. D’une façon ou d’une autre, la pratique de la FIV pose la question de la
nature humaine et de sa normativité. Cette technique remet en cause le sens exact de la
dignité humaine. Elle jette un éclairage d’une part sur l’intérêt supérieur de l’enfant et d’autre
part sur la « liberté reproductive » des parents, deux notions parfois conflictuelles.
II.2   Don de gamètes et d’embryon

24. Le don de gamètes ou d’embryon constitue parfois la seule solution pour pallier la
déficience des gamètes mâles et/ou femelles et permettre ainsi à une femme ou à un couple
d’avoir un enfant qui leur sera lié par le processus gestationnel. Le don de gamètes ou
d’embryon est également utilisé pour éviter la transmission de maladies génétiques à l’enfant
(ESHRE Task Force on Ethics et Law, 2002). Cette technique s’adresse aux couples
hétérosexuels, aux couples lesbiens, aux femmes célibataires et aux couples homosexuels
ou aux hommes célibataires. Les couples homosexuels ou les hommes célibataires doivent
également recourir à la maternité de substitution (voir section II.10).
25.    Le don de gamètes ou d’embryon prend différentes formes :
        a. L'ovocyte de la mère sociale/légale est fécondé par le sperme d'un donneur. Il y
           aura un lien génétique et gestationnel entre l'enfant et la mère sociale/légale, mais
           aucun lien génétique avec le père social/légal (s'il y en a un). Il y aura un lien
           génétique avec le donneur de sperme.
        b. L'ovocyte provient d'une donneuse et est fécondé par le sperme du père. C’est la
           même personne qui est la mère gestationnelle et sociale/légale. Il y aura un lien
           génétique avec le père social/légal, ainsi qu’avec la donneuse d'ovocyte.
        c. Les ovocytes et les spermatozoïdes proviennent de donneurs. Dans cette situation,
           comme dans la précédente, la mère gestationnelle et sociale/légale de l'enfant est
           la même personne mais il n'y a de lien génétique ni entre l'enfant et la mère
           sociale/légale ni entre l’enfant et le père social/légal (s'il y en a un). L'enfant sera
           génétiquement apparenté aux deux donneurs.
        d. Don d’embryon. Dans le cas présent, comme dans le précédent, il n'y a aucun lien
           génétique entre l'enfant et son/ses parents sociaux/légaux. Les donneurs sont un
           couple ayant sans doute des enfants liés à eux génétiquement et biologiquement.
           Ces enfants seront les frères et sœurs génétiques des enfants conçus par don
           d'embryon. Les donneurs et les receveurs utilisent une métaphore de l'adoption
           pour décrire la situation dans laquelle un enfant est séparé de sa famille génétique
           et élevé par une autre famille, mais le terme est contesté.
26. Les premiers exemples anecdotiques de dons du sperme ayant permis à des couples
sans enfant de produire un héritier remontent à des époques très reculées. Ces dons ont été
pratiqués soit au moyen d’un rapport sexuel entre le donneur et la future mère, soit par
insémination. Le plus ancien acte d’insémination de sperme provenant d’un donneur qui ait
été pratiqué dans un établissement médical et consigné aurait eu lieu aux États-Unis en 1884
-9-

(Kramer, 2016). En Europe, le don de sperme est proposé par des cliniques depuis les années
1970. Le don d’ovocyte et d’embryon n’a pas été possible avant 1978.
27. Dans les pays qui autorisent le don de gamètes, les politiques tendent à rompre avec le
principe de l'anonymat total du donneur et de l'enfant qui prévalait jusqu’alors afin de donner
à l'enfant le droit de connaître l'identité du donneur. La Suède a été le premier pays au monde
à modifier, dès 1985, sa législation sur ce point. De nombreux pays lui ont emboîté le pas au
motif qu’il est essentiel de garantir à l’enfant le droit de connaître ses origines (UN, 1989,
article 7).
II.3   La congélation d’ovocytes

28. Le développement des techniques de congélation ultra-rapide, ou « vitrification »,
permet de stocker les ovocytes non fécondés en vue d’une utilisation ultérieure. Le taux de
survie des ovocytes est plus élevé lorsqu’on recourt à la vitrification plutôt qu’aux anciennes
techniques de congélation lente. Le taux de fécondation semble être identique
indépendamment du fait que l’on utilise des ovocytes vitrifiés et décongelés ou des ovocytes
« frais ».
29. La vitrification et le stockage des ovocytes peuvent représenter un progrès important
pour préserver la fécondité de la femme en cas d’intervention médicale ou de maladie pouvant
entraîner l’infertilité. La conservation des ovocytes pour des raisons médicales ne semble
donc pas prêter à controverse lorsqu'elle est proposée à des femmes d’un certain âge et
consentant à l'intervention. La situation est tout autre lorsque le prélèvement et le stockage
des ovocytes sont proposés à des jeunes filles qui suivent un traitement médical risquant de
les rendre infertiles mais qui ne peuvent pas donner de consentement valide. Dans un tel cas
de figure, les avis divergent quant à ce qui constitue l'intérêt supérieur de l'enfant.
30. La congélation d’ovocytes pour des raisons d’ordre social fait débat. D’une part, cela
permet à des femmes qui n’auraient pas encore trouvé de partenaire de préserver leurs
ovocytes tant que leurs gamètes sont encore de « bonne qualité » et d’avoir par la suite leurs
propres enfants génétiques. Par ailleurs, le stockage d’ovocytes non fécondés ouvre la voie
à la parentalité différée ou encore à la procréation post mortem (voir section II.9). Par certains
aspects, la parentalité différée peut être contestée du point de vue sociétal, médical et éthique,
c’est le cas notamment de la parentalité post-ménopausale (voir ci-dessous). Les pressions
abusives en faveur de la parentalité différée sont de nature à compromettre l’indépendance
des femmes et leur liberté reproductive.
31. Le don d’ovocytes impliquait par le passé d’utiliser des ovocytes fraîchement prélevés,
de sorte que la receveuse devait se trouver à la clinique en même temps que la donneuse et
qu’il était impératif de coordonner leurs traitements. La congélation des ovocytes a ouvert la
voie à l’établissement de banques d’ovules internationales qui distribuent les gamètes issus
de dons dans le monde entier. L’accès aux ovocytes issus de dons pourrait s’en trouver facilité,
et ce pour plusieurs raisons. Le don d’ovocytes est sans doute mieux accepté culturellement
dans certaines régions du monde. Il a été établi que le montant de l’indemnisation avait une
incidence sur l’accès aux donneurs 1 et qu’il pourrait constituer une source de revenu non
négligeable pour certains pays, ce qui soulève des questions éthiques très complexes
concernant la possible exploitation des donneurs et la commercialisation des gamètes.
32. Dans beaucoup de cas avérés, les dons d’ovocytes ou d’embryons ont permis à des
femmes ménopausées de procréer et de donner naissance à un enfant, et ce même à un âge
très avancé. Grâce à la vitrification des ovocytes (voir section II.3) suivie d’une FIV, les
femmes ménopausées peuvent désormais avoir leur propre enfant génétique.

1 Si on juge nécessaire d’approfondir la réflexion sur la question des indemnités, on pourra se référer à l’exemple

de la Suède – ce point sera évoqué lors de la session plénière du CIB qui aura lieu prochainement.
- 10 -

33. Chez les femmes ménopausées, une grossesse n’est pas sans risque. Les études
montrent que les femmes de plus de 50 ans présentent pendant la grossesse un risque accru
de complications médicales telles que prééclampsie, détresse fœtale, mauvaise croissance
du fœtus et mortalité intra-utérine.
34. La parentalité post-ménopausale peut entraîner des effets préjudiciables au bien-être
de l’enfant dans la mesure où l’espérance de vie d’une mère âgée est évidemment réduite.
Le fait que des femmes ménopausées deviennent parents pose par ailleurs des problèmes
d’ordre culturel et social, comme le « décalage générationnel » qui se produit lorsque des
femmes d’un certain âge ont de jeunes enfants à la place de petits-enfants.
II.4   Enfants porteurs de l’ADN de trois individus – don de mitochondries

35. Les mitochondries sont de minuscules organites situés à l'intérieur de nos cellules, à qui
elles fournissent l'énergie qui leur est nécessaire pour fonctionner correctement. Elles sont
présentes dans toutes les cellules du corps, à l'exception des globules rouges. Les
mitochondries produisent plus de 90 % de l'énergie nécessaire à la vie de l'organisme et au
bon fonctionnement des organes. Quand elles sont déficientes, l'énergie produite à l'intérieur
de la cellule décroît progressivement, ce qui provoque des lésions cellulaires, voire la mort de
la cellule. Si ce processus se répète dans l’ensemble du corps, il entraîne le
dysfonctionnement de systèmes entiers d'organes (United Mitochondrial Disease Foundation,
n.d.).
36. Les maladies mitochondriales héréditaires sont évolutives et causent souvent des
problèmes de santé incapacitants et invalidants. Elles sont difficiles à diagnostiquer car leurs
symptômes varient en fonction des individus. Ces maladies incurables peuvent provoquer la
mort de nourrissons, d'enfants et de jeunes gens (Nuffield Council of Bioethics, 2012). Les
maladies mitochondriales peuvent résulter de mutations portées par les gènes nucléaires qui
compromettent la fonction mitochondriale ou de mutations mitochondriales.
37. Les mitochondries se transmettent toujours de mère à enfant. Les maladies
mitochondriales causées par des mutations de l'ADN mitochondrial sont donc elles aussi
transmises par la mère. Les maladies mitochondriales causées par des mutations de l’ADN
nucléaire peuvent être la conséquence d’un mode de transmission autosomique dominant,
récessif ou lié au chromosome X (NIH National Center for Advancing Translational Sciences,
n.d.).
38. Les dons de mitochondries réalisés soit par transfert pronucléaire (PNT) soit par
transfert de fuseau maternel (maternal spindle transfer, MST) semblent pouvoir prévenir la
transmission maternelle des maladies mitochondriales causées par la mutation des gènes
mitochondriaux. Ces deux techniques exigent de pratiquer une FIV. Tandis que le PNT utilise
des embryons aux tous premiers stades de leur développement (un jour), le MST est réalisé
sur des ovocytes non fécondés. Ces deux techniques produiront un bébé dont le matériel
génétique proviendra de trois individus : le matériel génétique nucléaire des deux parents et
les mitochondries saines issues de l’ovocyte de la donneuse, qu’elle soit ou non apparentée
à la mère. Les mitochondries saines données par une parente de la mère seront identiques à
celles qu’auraient eues la future mère, qui transmettra ainsi l'ADN mitochondrial de « sa
famille » à son enfant (Nuffield Council of Bioethics, 2012).
39. Le premier bébé au monde issu d’un don de mitochondries, porteur par conséquent du
matériel génétique de trois individus, serait né le 6 avril 2015 au Mexique (Sample, 2016). Le
transfert mitochondrial a été légalisé au Royaume-Uni en 2015 mais, à ce jour, aucun autre
pays n’a adopté de lois autorisant cette technique. En mars 2017, la Human Fertility et
Embryology Agency, toujours au Royaume-Uni, donnait son aval à la toute première
application d’un traitement fondé sur le don de mitochondries mais, à ce jour, aucun enfant
n'est né au Royaume-Uni des suites d’un tel traitement (HFEA, 2017).
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40. Bien qu’il nécessite de pratiquer une FIV, le don de mitochondries n’est pas une solution
adaptée au traitement de l’infertilité : il s’agit d’un moyen d’éviter la transmission de maladies
mitochondriales, plutôt comparable par conséquent au diagnostic préimplantatoire (DPI).
II.5   Greffe d’utérus

41. La médecine reproductive est longtemps restée impuissante devant l’infertilité due à
une absence d’utérus ou à un utérus dysfonctionnel, c’est-à-dire, incapable de supporter une
grossesse. On estime à plusieurs milliers le nombre de femmes dans le monde souffrant d’une
infertilité d’origine utérine. L’infertilité peut être due à des malformations mülleriennes
congénitales telles que le syndrome de Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser (MRKH) mais, le
plus souvent, elle est provoquée par le syndrome d’Asherman, par des myomes ne permettant
pas la grossesse ou par une hystérectomie (Johanneson et Järvholm, 2016). La greffe
d’utérus est le premier traitement existant pour remédier à une infertilité absolue d’origine
utérine.
42. On recense au total à ce jour 11 greffes d’utérus, réalisées dans trois pays et contextes
culturels distincts (Johanneson et Järvholm, 2016). La toute première greffe a eu lieu en 2000
en Arabie saoudite et a pu être réalisée grâce à une donneuse vivante au profit d’une
receveuse de 26 ans ayant subi une hystérectomie (Akouri et al., 2017 ; Ström, 2017). L’utérus
greffé avait dû être retiré 99 jours après l’intervention. Le seconde greffe d’utérus humain
répertoriée a été réalisée en Turquie en 2011. La receveuse avait 21 ans, la donneuse 22.
Cinq ans après la greffe, l’utérus était toujours en place. Plusieurs transferts d’embryons ont
été effectués mais aucun n’a abouti à la naissance d’un enfant. Cet échec est à attribuer à
des causes utérines et non embryonnaires. La donneuse n’avait jamais été enceinte (Akouri
et al., 2017).
43. Au début de 2013, l’hôpital universitaire de Sahlgrenska a procédé à neuf greffes
d’utérus prélevés sur des donneuses vivantes (Brännström et al., 2014), au cours d’un essai
clinique prévoyant des normes d’inclusion très strictes ainsi qu’une évaluation minutieuse des
receveuses et des donneuses selon des critères médicaux mais aussi psychologiques
(Sahlgrenska Academy, 2014a). Huit des donneuses présentaient le syndrome de MRKH, la
neuvième avait subi une hystérectomie totale à la suite d’un cancer du col utérin. Avant la
greffe, les receveuses ont suivi 2 à 3 cycles de FIV. Parmi les donneuses, dont cinq étaient
ménopausées, figuraient plusieurs mères, des parentes et une amie proche des receveuses.
Sur les neuf patientes, sept ont commencé à avoir des règles spontanées et régulières un à
deux mois après la greffe.
44. La première naissance vivante survenue après une greffe d’utérus a été annoncée en
septembre 2014 (Sahlgrenska Academy, 2014b ; Brännström et al., 2015) : le petit garçon
présentait un poids à la naissance conforme à son âge gestationnel de 31 semaines ainsi
qu’un score d’Apgar normal. Le 18 septembre 2017, l’hôpital universitaire de Sahlgrenska
avait annoncé au total la naissance de huit enfants nés de femmes ayant subi une greffe
d’utérus (Ström, 2017).
45. Le don d’utérus n’est réservé ni aux donneuses vivantes ni aux donneuses décédées.
Dans les cas présentés ici, il s’agissait de dix donneuses vivantes et d’une donneuse décédée.
Ces possibilités peuvent l’une comme l’autre poser des problèmes d’ordre éthique.
46. La greffe d’utérus peut être considérée comme un moyen d’éviter la maternité de
substitution. Elle préserve le lien gestationnel entre la mère sociale/légale et l’enfant mais peut
créer un lien gestationnel supplémentaire, entre l’enfant et la donneuse d’utérus.
47. Bien que la plupart des cas de greffe d’utérus qui ont été recensés aient eu une issue
favorable, ils n’apportent qu’une validation de principe à l’utilisation de cette procédure pour
traiter l’infertilité d’origine utérine. Avant d’élargir la pratique de la greffe d’utérus, il sera
nécessaire d’évaluer les principaux risques obstétriques découlant de cette procédure
– fausses couches, prééclampsie, naissance prématurée et retard de croissance intra-utérin.
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Toutes les greffes peuvent entraîner un risque de rejet, il est donc essentiel de bien surveiller
le fonctionnement de l’organe greffé.
II.6   Utérus artificiel

48. Les tentatives visant à fabriquer un utérus artificiel ont été décrites dès 1959 (Taylor et
al., 1959). Un rapport scientifique publié en 2017 a mis ce principe en application chez les
animaux en montrant que des agneaux prématurés pouvaient être maintenus en vie pendant
une période maximale de quatre semaines dans un « utérus artificiel » ou « biobag ».
Bénéficiant grâce à ce système d’un soutien approprié, les agneaux ont présenté une
croissance somatique, une maturation pulmonaire, une croissance cérébrale et une
myélinisation normales (Partridge et al., 2017). Si cette technologie devenait un jour
applicable sans risques aux humains, elle serait probablement destinée aux grands
prématurés âgés de 23 à 25 semaines. Le taux élevé de morbidité et de mortalité au sein de
ce groupe pourrait justifier l’application de cette technologie si les résultats des essais
cliniques montraient une amélioration notable.
49. Bien que cette technique puisse sembler prometteuse, elle pose de nombreuses
questions sur les plans médical et éthique. Les milieux qui imitent les conditions intra-utérines
continuent à alimenter le fœtus en oxygène via le cordon ombilical ou directement par les
artères, ce qui peut être risqué à mettre en place dans un utérus artificiel car le cordon
ombilical rétrécit en présence d’oxygène ou de perturbations. L’utérus artificiel est très
vulnérable aux infections et, parce qu’il est encore faible, le cœur fœtal n’est pas toujours apte
à supporter le pompage artificiel du sang.
50. À l’avenir, l’utérus artificiel pourrait ouvrir la voie au développement fœtal ou
embryonnaire en dehors de l’utérus naturel dans les tout premiers stades de la gestation.
Cette manière de donner la vie déconnecterait le développement gestationnel de l’enfant du
processus biologique naturel de la grossesse. Elle soulève, de toute évidence, des questions
fondamentales sur les processus biologiques et les risques imprévus, et représente une
atteinte à la dignité humaine et à d’autres droits humains.
II.7   Gamètes artificiels 2

51. Les scientifiques explorent actuellement plusieurs pistes pour créer des gamètes in vitro.
Une étude systématique réalisée en 2015 a sélectionné huit scénarios biologiques plausibles
pour produire du sperme artificiel chez les hommes et neuf scénarios biologiques plausibles
pour produire des ovocytes artificiels chez les femmes. Ils ont également mis en évidence des
pistes biologiques qui pourraient conduire au développement de sperme chez les femmes et
d’ovocytes chez les hommes. Ces recherches pourraient avoir des applications cliniques mais,
au stade où en sont les choses, nos connaissances sur le fonctionnement et les risques des
principales méthodes envisagées restent limitées, ce qui pose un défi majeur.
52. Les gamètes artificiels pourraient à l’avenir accroître la quantité de gamètes disponibles
dans les cliniques ou les banques de gamètes. Ils pourraient par ailleurs offrir de nouvelles
possibilités aux personnes infertiles qui ont actuellement recours au don de gamètes pour
avoir un enfant qui leur soit génétiquement apparenté. D’aucuns vont jusqu’à affirmer que les
gamètes artificiels signeraient la fin de l’infertilité et qu’ils mettraient ainsi un terme aux
souffrances causées par l’infécondité involontaire.
53. Les gamètes artificiels comportent cependant un risque élevé. Il n’est ainsi pas exclu
que les enfants conçus au moyen de gamètes artificiels présentent de graves anomalies
génétiques, ce qui doit nous inciter à la plus grande prudence à l’égard de ces techniques. En
outre, les gamètes artificiels pourront permettre à un individu de satisfaire son désir de
reproduction, que ce soit au sein ou en dehors du concept familial traditionnel, faisant ainsi

2Adapté dans une large mesure de Smajdor, A. et Cutas, D. 2015. Nuffield Council on Bioethics
Background Paper: Artificial Gametes. Londres, Nuffield Council on Bioethics.
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peser une multitude de risques sur l’intégrité de la famille nucléaire. La possibilité de prélever
des ovocytes chez un homme et du sperme chez une femme peut être source d’inquiétude
en raison des pressions qui pèsent déjà sur les concepts de mère, de père et de famille. En
outre, les gamètes artificiels mettent en cause de manière fondamentale nombre
d’hypothèses concernant les limites de la reproduction humaine. Cette technique, qui ne sera
pas sans incidence sur la législation et la réglementation, aura des effets particulièrement
difficiles à cerner, comme le vol de gamètes et l’éventualité d’une parentalité non
intentionnelle.
54. Les possibilités que pourraient offrir ces techniques soulèvent des questions quant à
notre conception de l’infertilité, des gamètes et de la parentalité. Elles suscitent aussi des
préoccupations éthiques comme la marchandisation du matériel reproductif humain ; la
question de savoir s’il est justifié de pousser la recherche plus loin ; le préjudice génétique ou
psychologique causé aux enfants ; et les questions de sexe et de parentalité.
II.8   La conception post mortem

55. Dans le présent rapport, la conception post mortem désigne une procédure par laquelle
une ou des personne(s) décédée(s) engendre(nt) un enfant. Plusieurs scénarios sont
possibles:
        a. lorsqu’un homme décède, son sperme est prélevé rapidement en vue d’une
           utilisation ultérieure par son épouse ;
        b. l’utilisation du sperme, des ovocytes ou d’un embryon cryopréservés après le
           décès du mari ou de la femme afin que le conjoint survivant puisse avoir un enfant
           de son partenaire décédé ;
        c. l’utilisation de sperme, d’ovocytes ou d’un embryon cryopréservés issus d’un don
           après le décès du donneur dans le cadre d’une procédure de don de gamète ou
           d’embryon (voir section II.2) ou en association avec une maternité de substitution ;
        d. si une femme enceinte est sur le point de mourir, tombe dans le coma ou décède,
           il peut être possible de maintenir une circulation et une ventilation suffisantes pour
           favoriser la maturité du fœtus et lui donner une chance de survivre (Mason, 1998).
56. La reproduction post mortem au moyen de sperme cryopréservé est une possibilité qui
a été mise en évidence il y a plusieurs décennies. En 1962, un article publié par la revue de
l’American Bar Association a ajouté un nouveau personnage à la loi sur les intérêts futurs en
la personne du « descendant fécond », dans la mesure où le sperme peut être conservé et
utilisé plusieurs dizaines d’années après la mort du donneur (Kindregan et McBrien, 2006).
57. Les essais cliniques montrent que, dans le cadre d’un programme de don d’ovocytes,
le taux de grossesse est sensiblement le même indépendamment du fait qu’on utilise des
ovocytes cryopréservés ou frais (Cobo et al., 2010). L’amélioration des techniques de
cryopréservation permet d’utiliser après la mort du donneur du sperme, des ovocytes non
fécondés ainsi que des embryons provenant d’un don.
58. L’utilisation post mortem de sperme, d’ovocytes ou d’embryons soulève des problèmes
éthiques et juridiques complexes ayant trait à l’autonomie, au consentement éclairé, au
respect de la vie privée, à l’héritage ainsi qu’au bien-être de l’enfant, aux droits de l’enfant et
à la dignité de la personne décédée, y compris au respect de sa volonté (Bahadur, 2002 ;
Batzer et al., 2003). Du point de vue éthique, il peut être difficile de prélever du sperme ou
des ovocytes sur une personne à l’agonie se trouvant dans le coma ou d’utiliser les ovocytes
ou le sperme d’un couple après la mort de l’un des deux conjoints. Les interventions médicales
de cet ordre posent de graves questions de morale auxquelles il est difficile d’apporter des
réponses.
II.9   La maternité de substitution
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