STREET ART, SUR LES MURS DE MARSEILLE - Signal paradoxal d'un renouveau urbain - AGAM

 
CONTINUER À LIRE
STREET ART, SUR LES MURS DE MARSEILLE - Signal paradoxal d'un renouveau urbain - AGAM
Devanture de «La voie maltée», rue Crudère, Marseille (VI e). © Axel Le Bolzer - Agam 2021

                                                                                             Regards
                                                                                             SOCIÉTÉ
                                                                                             SEPTEMBRE 2021 | N°109

                                                                                             STREET ART,
                                                                                             SUR LES MURS DE MARSEILLE
                                                                                             Signal paradoxal d’un renouveau urbain
                                                                                             Un temps symptôme pictural de la désindustrialisation des villes, parfois associé à leur déclin, le
                                                                                             graff – et dans son acception plus large, le street art – semble aujourd’hui s’affirmer comme le signal
                                                                                             de leur renaissance économique et urbaine. Un renversement de symbole donc, qui illustre le che-
                                                                                             min parcouru par cet art urbain, spontané et éphémère, souvent vandale, mais désormais prisé des
                                                                                             galeristes comme de la commande publique. Et ce n’est pas étonnant que ce soit à Marseille, ville
                                                                                             ayant connu l’ensemble de ces cycles, que le street art trouve un terrain d’expression à sa hauteur :
                                                                                             rebelle, alternative et en profonde mutation, la ville est pour des générations de graffeurs le support
                                                                                             d’expression et la source d’inspiration. Si les politiques urbaines commencent à identifier les béné-
                                                                                             fices de cet art, reste à comprendre plus précisément les liens qui le lient si profondément à la ville
                                                                                             contemporaine.
STREET ART, SUR LES MURS DE MARSEILLE - Signal paradoxal d'un renouveau urbain - AGAM
Fresque, quartier du Panier, Marseille (II e). © Axel Le Bolzer - Agam 2021
                                                      Renouveau urbain
                                                      Les confinements successifs, accompa-         pression, à la fois sur les murs des villes,
                                                      gnés de la fermeture des lieux culturels,     mais surtout via les vecteurs plétho-
                          L’ouverture complète
                          de la L2 a permis de        ont donné à l’art urbain en général, et au    riques de la « pop culture » : clips vidéo,
                          révéler au plus grand       street art en particulier, une dimension      séries, cinéma… Une pop culture qui a
                          nombre la créativité        nouvelle : celle d’un art accessible, pro-    beaucoup associé la représentation de
                          et le talent des artistes   fondément attaché à la ville et en perpé-     la ville, dans les clips notamment, au
                          à qui on a confié la        tuel recommencement. Graffs, collages         street art, que ce soit dans la culture rap
                          mission d’animer            et fresques ont depuis plusieurs années       mais aussi pop.
                          le fonctionnalisme
                                                      investi le bâti urbain, des friches indus-
                          et la froideur d’une
infrastructure autoroutière par un apport             trielles faubouriennes aux quartiers          UN VECTEUR D’IMAGE
artistique mural.                                     centraux animés. Si la tolérance semble       ET D’ANIMATION CULTURELLE
C’est une nouvelle étape franchie dans la mise        aujourd’hui de mise dans certains quar-       ET URBAINE
en accessibilité du street art, au-delà du cercle     tiers, l’image des autorités vis-à-vis de     Si pendant longtemps les graffs étaient
de plus en plus en large des familiers et des         ce qui relève parfois d’une dégrada-          activement chassés des nouveaux quar-
connaisseurs de cette forme artistique dont           tion, a lui aussi évolué. En témoignent       tiers en construction comme de leurs
l’espace urbain est le creuset et l’inspirateur.
                                                      les initiatives publiques ou privées qui      documents de communication, on ne
Marseille se signale ainsi par sa capacité à
                                                      sollicitent la communauté des graffeurs       compte plus aujourd’hui les lieux d’ur-
s’inscrire dans les nouveaux courants de l’art
urbain, stimulée par des lieux inédits, des           pour habiller un équipement, une in-          banisme transitoire ou les secteurs de
points de vue singuliers, des vues à couper           frastructure, ou donner une image nou-        renouvellement urbain, qui l’intègrent
le souffle. Elle attire de nouveaux artistes          velle à un quartier en reconversion. Ce       dans leurs projets de développement
qui voient en Marseille l’opportunité de              mouvement d’institutionnalisation n’est       et leurs stratégies de communication.
développer leur art et de bénéficier d’un             pas anecdotique, compte tenu du carac-        Avec comme cible, une population
écosystème qui s’étoffe de plus en plus et qui        tère illégal de l’expression spontanée : il   jeune, créative et diplômée, souvent
leur permet de révéler leur talent.
                                                      illustre la prise de conscience du carac-     critique de l’urbanisme trop standardisé
Dans la recherche de développement du
tourisme urbain qui échappe à la contrainte           tère irrésistible du street art et surtout    du siècle passé, et en recherche de lieux
de la saisonnalité et qui parie sur le permanent      de son fort potentiel d’attractivité et de    atypiques à forte densité culturelle, et
et le pérenne, c’est un atout supplémentaire          renouvellement urbain. Paradoxe pour          en évolution permanente. À l’image
pour conforter la destination Marseille.              un art au départ associé aux friches, le      des projets d’occupation temporaire,
À travers ce Regards, l’Agam a cherché à              street art semble faire partie intégrante     dont la programmation urbaine est
présenter et à expliquer cet engouement               de l’arsenal de revitalisation urbaine des    évolutive, permettant d’offrir aux rive-
pour le street art à Marseille, comme un
                                                      acteurs de l’urbanisme.                       rains des expériences sans cesse renou-
clin d’œil aux enjeux de la ville créative déjà
traités dans une publication précédente.              Sans doute la raison est-elle à chercher      velées, le street art accompagne aussi
                                                      aussi du côté des générations nées à          la recherche de l’effet « Whaou » dans
Laure-Agnès Caradec                                   partir des années 1980, familiarisées de-     l’espace urbain. Les récents appels à
Présidente de l’Agam                                  puis leur plus jeune âge à ce mode d’ex-      manifestation d’intérêt (AMI) portés

  2               | REGARDS | N°109
STREET ART, SUR LES MURS DE MARSEILLE - Signal paradoxal d'un renouveau urbain - AGAM
© Axel Le Bolzer - Agam 2021
                                     par la Ville de Paris, comme « Embel-
                                     lir Paris », lui accordent une place cen-
                                     trale. Sans doute, cet impact en termes
                                     d’image est-il aussi à chercher du côté
                                     des réseaux sociaux, Instagram en tête,
                                     dont les utilisateurs ont depuis long-
                                     temps plébiscité le partage de photos
                                     d’œuvres street art, et donnant sans le
                                     savoir, une visibilité nouvelle à certains

                                                                                                                                                                                           2013
                                     espaces urbains, souvent méconnus
                                     mais supports d’une activité « graffs »
                                     importante. Ces nouveaux médias sont
                                     pour beaucoup depuis une dizaine d’an-                                                                                                                Marseille
                                     nées dans le renforcement du lien entre         Collage, quartier du Panier, Marseille (II ).
                                                                                                                               e                                               Capitale européenne de la Culture
                                     visibilité des projets urbains et le graff. À
                                     titre d’exemple, le « #streetart » cumule
                                     en 2021, 60 millions de publications, et        DE QUOI LE STREET ART
                                     reste un des hastag (#) les plus utilisés       EST-IL LE NOM ?
                                     dans l’espace urbain.                           Symbole artistique de la gentrification
                                     Les offices de tourisme l’ont bien com-         pour les uns, vecteur d’une culture et
                                     pris, en proposant des parcours street
                                     art aux nouveaux touristes urbains, à
                                     la recherche de lieux « en dehors » des
                                                                                     de messages accessibles à tous pour les
                                                                                     autres, le street art semble dans tous
                                                                                     les cas s’imposer comme une identité
                                                                                                                                                                                        24 000
                                                                                                                                                                           photos sous le hastag #streetartmarseille
                                     circuits classiques et souvent loin des         picturale incontournable de la ville
                                                                                                                                                                                        sur Instagram
                                     cartes postales. Les associations qui or-       contemporaine. À l’heure des réseaux
                                     ganisent des visites de sites sont aussi        sociaux, des plateformes et d’une
                                     de plus en plus présentes pour faire dé-        presse largement dématérialisée, les
                                     couvrir les œuvres aux habitants ou aux         murs des villes sont devenus en une dé-
                                     touristes.                                      cennie, les supports d’une expression
                                                                                     libre protéiforme, renouant avec des

                                                                                                                                                                                                 5ans
                                                                                     tendances anciennes, du muralisme au
                                     Pilier autopont, Gênes, Italie.                 tag, en passant par le collage à carac-
                                                                                     tère sociétal ou politique.
                                                                                     Cette prolifération de messages en mi-                                                    de réalisation des fresques de la L2
© Christophe Trinquier - Agam 2021

                                                                                     lieu urbain, renvoie à la visibilité retrou-                                                          (2014-2019)
                                                                                     vée des centralités des grandes villes,
                                                                                     lieux incontournables dans les parcours
                                                                                     professionnels, résidentiels, touristiques
                                                                                     ou culturels. Si la ville « créative » a long-
                                                                                     temps recherché l’attractivité des indus-
                                                                                     tries dites « culturelles » pour accompa-
                                                                                     gner le renouveau de ces centres, elle
                                                                                     leur a aussi donné une dimension artis-
                                                                                     tique à son image : spontanée, évolutive
                                                                                                                                                                                                   8
                                                                                                                                                                              itinéraires street art identifiés dans
                                                                                     et connectée.
                                                                                                                                                                                le centre-ville élargi de Marseille
                                                                                     C’est sans doute dans ces évolutions so-
                                                                                     cio-économiques récentes que ce lien
                                                                                     est à trouver. Et si, au côté du patrimoine
                                                                                     monumental et architectural, le street
                                                                                     art était aussi le signe des mutations
                                                                                     incessantes et plurielles des villes, sym-
                                                                                     bole de leur vitalité et de leur force créa-
                                                                                     trice ? Les villes, berceaux des cultures et
                                                                                     des mouvements artistiques, semblent
                                                                                                                                                                                           2024
                                                                                                                                                                                 Livraison prévue du tiers-lieu
                                                                                     désormais prêtes à une diffusion de l’art                                             « street art » dans le quartier des Crottes
                                                                                     « sur les murs ».                                                                                     (Euromed 2)

                                                                                                                                                                     STREET ART, SUR LES MURS DE MARSEILLE |       3
STREET ART, SUR LES MURS DE MARSEILLE - Signal paradoxal d'un renouveau urbain - AGAM
La diversité des formes
    et des représentations
    du Street Art
    Le street art est un mouvement artistique ayant émergé dans les années 60
    aux États-Unis. C’est un art qui, à l’origine, s’exprime dans la rue et sur les
    murs. Il se présente sous diverses formes et occupe des espaces urbains variés.
    Nous nous intéresserons ici aux représentations murales.

                                                                                                       Le tag
                                                                                                       Signature réalisée rapidement.

    Le Flop                                          Le Graff                                          La Fresque
    Signature accompagnée d’un travail sur la        Signature accompagnée d’un travail sur la         Forme de graffiti occupant un espace consé-
    couleur et les volumes.                          couleur et les volumes, intégrant une décom-      quent (souvent sur des murs ou pignons
                                                     position et une réinvention des formes.           aveugles). Son temps de réalisation est éga-
                                                                                                       lement plus long.

    Le pochoir                                       Le collage et le sticker                          La mosaïque
    Utilisation de matériaux rigides en bois, car-   Papier autocollant réalisé en amont et collé      Carrés de faïence colorée apposés sur un mur
    ton, plastique, métal, représentant un dessin.   sur un mur. Tout comme le pochoir, ils sont fa-   afin de former une mosaïque représentant
    Cet outil permet ensuite de peindre la forme.    ciles à transporter et rapides à poser.           une forme particulière.
    Il présente l’avantage d’être facile à trans-
    porter tout en permettant de réaliser l’œuvre
    rapidement.

4               | REGARDS | N°109
STREET ART, SUR LES MURS DE MARSEILLE - Signal paradoxal d'un renouveau urbain - AGAM
Dialogue entre l’urbanisme et le street art
La relation souvent contrariée entre                  nistes, pour améliorer l’intégration ur-              La peinture murale semble être un bon
le street artiste et l’urbaniste, le graf-            baine d’infrastructures, d’équipements,               outil pour « défricher », occuper l’espace
feur et l’architecte, semblait pourtant               de sites en mutation, ou simplement                   ou l’architecture dans l’attente d’un pro-
écrite d’avance : spontanéité et éphémère             pour donner une visibilité nouvelle aux               jet, rendre utile les parois d’un immeuble
comme moteurs créatifs pour le premier,               grands projets urbains. Avec parfois, un              vétuste dont la démolition est program-
réglementation et recherche de péren-                 risque de standardisation, qui inquiète               mée, ou « colorier » des lieux réinvestis
nité pour les seconds. Mais c’était sans              une partie de la communauté graff.                    par l’économie (villages de marques,
compter sur leur lieu favori d’expression :                                                                 pépinières de startups) dans l’espoir de
la ville. Car, si les formats et techniques           LE STREET ART COMME                                   capitaliser l’effet médiatique obtenu. De-
du street art ont évolué depuis les deux              SUPPORT DU PROJET URBAIN                              puis 2015, le Conseil municipal de Vigo
dernières décennies, l’urbanisme et les               Pour beaucoup de décideurs et d’amé-                  (Galice, Espagne) organise chaque été
usages des villes ont eux aussi connu                 nageurs, le street art est devenu un                  un festival d’art nommé Vigo-City of Co-
de profondes mutations : occupations                  outil de « marketing urbain », un levier              lour pour redynamiser l’image de la ville
temporaires, hybridations des lieux,                  d’attractivité touristique « dans l’air du            (fresques XXL sur les murs pignons). La
industries créatives et recherches d’ex-              temps ». Comme les amateurs sont de                   Ville de Toulon fait appel à des collectifs
périences, sont venues bouleverser les                plus en plus nombreux à visiter cer-                  (œuvres inscrites dans la programmation
schémas d’une ville fonctionnelle, dans               taines villes spécialement pour admirer               du Théma Liberté #37 - Passion bleue / Art
laquelle l’art urbain devait être néces-              les œuvres qui ornent leurs murs, les                 dans la ville, fresque monumentale de
sairement planifié. Et, paradoxalement,               établissements privés et les institutions             Michael Beerens, installation de Tadashi
c’est par ce fonctionnalisme du siècle                locales cherchent à attirer de nouveaux               Kawamata). Le festival K-LIVE à Sète per-
dernier, dont les objets urbains, tou-                visiteurs en créant des images urbaines               met aux visiteurs de voir à l’œuvre les
jours présents, cherchent aujourd’hui                 souvent « Instagramables ». Les grandes               graffeurs, peintres, colleurs et sculpteurs
à gagner en « supplément d’âme », par                 marques n’hésitent plus à faire appel à               et d’échanger avec eux sur leurs tech-
la couleur, le récit, l’imaginaire que le             des artistes pour peindre des façades                 niques ; le MaCO, le musée à ciel ouvert
street art s’exprime le plus. C’est donc              placées aux endroits stratégiques (Bi-                qui s’est constitué au fil des éditions, se
naturellement vers cette communauté                   bendum de Michelin sur Portobello                     découvre ensuite toute l’année avec des
que se tournent aujourd’hui les urba-                 Road à Londres).                                      visites guidées proposées par la Ville.

                                                       L’année 2013 a donné un coup de projecteur           les Archives départementales, le Théâtre de la
                    Paroles d’acteur                   culturel à Marseille avec le label « Capitale        Minoterie, le Fonds régional d’art contempo-
        « Des potentialités                            française de la culture ». Cette visibilité a per-
                                                       mis de montrer que la ville était un lieu de
                                                                                                            rain (FRAC), le musée Regards de Provence ou
                                                                                                            encore le Pôle culturel de la Belle de Mai. L’in-
    de projets collectifs »                            création et de diffusion d’une offre culturelle      tention concernant Euromed 2 est différente.
                                                       pluridisciplinaire. L’explosion du courant de        On est passé d’une stratégie d’installation de
                                                       street art a été fortement accélérée par les         grands objets culturels à une stratégie d’ani-
                                                       réseaux sociaux. Le street art est devenu plus       mation et d’inclusion, entre autre culturelle,
                                                       formel au moment où il a été reconnu comme           avec le projet MOVE (Massalia Open Village
                                                       vecteur de communication, d’attractivité et          Experience). S’inscrivant sur un territoire de
                                                       d’animation urbaine. Ce qui diffère entre Mar-       170 ha, Euroméditerranée a pour ambition
                                                       seille et d’autres villes de la Méditerranée, ce     d’offrir les conditions favorables au dévelop-
                                                       sont les potentialités de projets collectifs, re-    pement d’une offre, dans un quartier en mu-
                                                       groupant une diversité culturelle importante.        tation où les enjeux urbains sont importants.
                                                       Bien que n’ayant pas de compétence culturelle        Par ailleurs, un appel à projets a été lancé
                                                       dans ses statuts, Euroméditerranée a toujours        sur l’ancienne savonnerie La Tulipe-Moncada
           Alexandre SORRENTINO                        œuvré pour créer les conditions du développe-        pour la création d’un lieu de vie, au cœur
          Directeur des Relations extérieures et de    ment d’une offre culturelle sur son périmètre        du noyau villageois des Crottes, qui devrait
         la communication - Établissement Public       et donner naissance à de grands ensembles            comprendre un espace culturel, un musée du
               d’Aménagement Euroméditerranée          culturels : le Musée des civilisations de l’Eu-      street art, un atelier des artisans, une école de
                                                       rope et de la Méditerranée (MuCEM), le Silo          hip-hop, une salle de spectacles ainsi qu’un
                                                       d’Arenc, le Centre régional de la Méditerranée,      espace en plein air.

                                                                                                             STREET ART, SUR LES MURS DE MARSEILLE |            5
STREET ART, SUR LES MURS DE MARSEILLE - Signal paradoxal d'un renouveau urbain - AGAM
Les lieux privilégiés                                                                                                      4

    du graff                                                                                      Les friches
                                                                                                  industrielles
                              1
                                                                                                  Espaces historiquement liés à
                                                                                                  la pratique du graff, symbole de la
                                                                                                  désindustrialisation des villes. Depuis, ces
                                                                                                  lieux sont des espaces de travail cachés, permettant
                                                                                                  aux graffeurs de s’entraîner, d’expérimenter de
                                                                                                  nouvelles techniques, à l’abri des regards, sans
                                                                             2
                                                                                                  contrainte de temps. Dans l’imaginaire collectif,
                                                                                                  ces lieux ne sont pas forcément bien perçus : des
                                                                                                  espaces peuvent parfois renvoyer à un déclin, et
                                               Les centres-villes                                 le graff qui est venu s’apposer sur ces espaces y est
                                                                                                  souvent associé.
                                        Espaces centraux des villes fréquentés
                                      par un public large, disposant de surfaces                  Peu fréquentés mais souvent visibles dans l’espace urbain, les   5
                                  de graffs fortement visibles et permetttant                     graffs viennent contrebalancer l’aspect d’abandon et donnent
                       3 aux graffeurs de bénéficier d’une visibilité plus                        une nouvelle visibilité qui pourrait être le point de
                              grande : des passants, mais aussi des autres                        départ à des actions de rénovation / reconversion.
                               graffeurs, afin de tenter de gagner en notoriété.
                                Les lieux de passage comme les rues ou les                        Des lieux possibles : entrepôts, hangars,
                                places fréquentées sont privilégiés. Les rues                     bâtiments logistiques et bâtiments militaires
                                étroites augmentent la visibilité des graffs par                  désaffectés, ainsi que les bunkers, les silos et
                               les passants, se retrouvant comme confrontés                       les cuves en reconversion.
                             aux représentations sur les murs. Les surfaces en
                                                                                                   4 Friche COFRAPEX, Marseille (15 e)
                           hauteur comme les murs et pignons aveugles sont                             Crédits : Laurent Couture - Agam 2020
                        aussi prisés des artistes.                                                 5 Piscine de Luminy, Marseille (9 e)
                                                                                                       Crédits : Made in Marseille, 2020           6
    Dans les centres-villes, le graff permet d’apporter une animation et une                       6 Friche COFRAPEX, Marseille (15 e)
    ambiance urbaine. Il permet également de souligner l’architecture de                               Crédits : Axel Le Bolzer - Agam 2021

    certains bâtiments, de créer des perspectives et des cônes de vue.
    1 Hôtel Dieu, Marseille (2e) - Crédits : Laurent Couture - Agam 2021
    2 Le Panier, Marseille (2e) - Crédits : Axel Le Bolzer - Agam 2021
    3 Croisement La Canebière - Rue Pavillon, Marseille (1er) - Crédits : Axel Le Bolzer - Agam 2021

                                                                                                       7
    Les infrastructures de mobilité
    et délaissés urbains
    Ces infrastructures renvoient à l’aspect traditionnel de la démarche du graff, par
    un rapport historique avec le métro new-yorkais dans les années 60-70. Les trains,
    les ponts et les bordures autoroutières, mais également les zones de transitions
    comme les arrêts de métro ou les gares, sont des espaces priviliégiés. Ce sont aussi des
    objets urbains rappelant un vocable familier pour les graffeurs : le temps, le mouvement, le
    flux, l’éphémère, la rapidité. Dans les centres-villes, ce sont des espaces à forte visibilité.                                            8

    Des lieux possibles : les sous-faces des tabliers et les piles des autoponts (A7, passerelle de Plombières, échangeurs
    de la place de Pologne), les tunnels et les trémies (boulevard National, Le Merlan), les dalles de parking des
    hôpitaux...

    7 Rocade L2 (A7), Marseille - Crédits : Axel Le Bolzer - Agam 2021
    8 Cours Julien, Marseille (6 e) - Crédits : Axel Le Bolzer - Agam 2021
    9 Pilier autopont, Gênes, Italie - Crédits : Christophe Trinquier - Agam 2021                                                          9

6                  | REGARDS | N°109
STREET ART, SUR LES MURS DE MARSEILLE - Signal paradoxal d'un renouveau urbain - AGAM
À Marseille, la commande d’art urbain se        Comme beaucoup de graffeurs inter-             perd son attrait d’avant-garde ou son
déploie déjà sur des supports variés : les      viennent sur le travail de leurs prédé-        rôle de rupture dès le moment où la
rideaux en fer de certains commerces,           cesseurs (marquages territoriaux, su-          société l’a consommé.
les parois et dépendances des voies ra-         renchères), les palimpsestes suscitent
pides (appel à projet de la L2), les salles     parfois des réactions de rejet chez les        Pour échapper aux supports désignés,
de bâtiments « prêtées » dans le cadre          riverains ou les usagers de la rue (expres-    aux passages obligés et à la suren-
d’une occupation de transition (rési-           sions de plus en plus tapageuses, satura-      chère des œuvres murales « instagram-
dence de l’atelier Juxtapoz au Couvent,         tion, cacophonie ou pollution visuelle).       mables », vite consommées et vite ou-
rue Levat).                                                                                    bliées, pour retrouver la saveur de l’iné-
                                                Un secteur dédié au graff peut rapide-         dit et l’insolence de la transgression,
LE DÉFI D’ENCADRER                              ment perdre son attrait et être aban-          certains artistes se sont tournés vers
CE QUI EST SPONTANÉ                             donné au grand dam des initiateurs ou          de nouveaux espaces de conquête. Les
Les municipalités cherchent parfois im-         des commanditaires. L’éphémère est             performances XXL (sur un sol, un par-
plicitement à « canaliser » cette créativité    la base d’une forme d’art spécifique           vis, un échangeur, un toit de parking
avec une volonté d’accompagnement               qui n’a pas toujours le temps de lais-         ou de bâtiment industriel, un barrage
et d’harmonisation. Il semble toutefois         ser son empreinte ou un souvenir et            voûte...) expriment des défis d’implanta-
assez difficile de diriger l’art urbain vers    qui peut donner, au contraire, un sen-         tion (« battles » à distance). Les créations
un support ou un lieu précis. C’est un          timent d’inachevé. À l’inverse, le mar-        sont appréhendées d’un seul coup d’œil
art qui présuppose d’échapper à toute           quage d’un lieu prévu à l’origine pour         grâce aux drones et à Google Earth et
forme de contrainte. La démarche se             être temporaire peut devenir durable           elles sont diffusées instantanément sur
veut provocatrice, poétique, sarcastique,       (rue très investie qui devient un « hot        toute la planète. Vite salies et dégradées
ironique, revendicatrice, transgressive,        spot », municipalité qui hésite à mettre       par les intempéries, elles restent fidèles
contradictoire... L’habillage graphique         fin à l’expérience pour des raisons de         à la démarche originelle (Ella & Pitr, des-
des rues échappe à la règle du support          communication). L’image du graff peut          sin de 2,5 hectares sur les toits d’un pa-
conventionnel et traditionnel (la toile         coller longtemps à la peau des villes en       villon du Parc des expositions de la porte
clouée au mur, l’art légitime opposé à          transition économique qui l’adoptent           de Versailles, 2019). Les lacérations et les
l’art populaire), à la règle de l’exposition    pour changer le regard qui est porté sur       grattages de surface au burin ou au mar-
(la galerie « bourgeoise » contre l’espace      elles et attirer les investisseurs (Sessions   teau-piqueur du Portugais Vhils (alias
public ouvert à tous, l’art qui s’adresse à     du « Festival mur murs » de Decazeville        Alexandre Farto) révèlent les différentes
l’homme initié et cultivé), à la règle du       dans l’Aveyron). L’image de « quartier         couches qui constituent la surface d’un
marché de l’art (sauf quand un mur est          créatif » peut se révéler à la longue peu      mur (« archéologie de la rue »).
fragmenté et commercialisé tel le Mur           valorisante pour les investisseurs et les
de Berlin) et également la règle de la loi      acheteurs potentiels (image trop liber-        Le « Reverse graffiti » consiste à dessiner
(respect du bien commun et / ou de la           taire, impression d’un entre-soi reven-        en enlevant de la saleté ou de la mousse
propriété privée).                              diqué, perpétuation d’une image de             sur un mur ou un sol ou en projetant
Les street artistes sont attachés à leur        décrépitude...). Le choix du graff peut        de l’eau haute-pression sur un pochoir
liberté de création et de localisation,         donc se révéler contre-productif quand         (« cleen tags » de l’Anglais Paul « Moose »
et tous ne veulent pas jouer un rôle            la modernisation d’îlots entiers est en        Curtis et du Brésilien Alexandre « Osa-
d’animateur de ville pour des villes en         jeu (réhabilitations reportées, rénova-        rio » Orion). Issu de la culture du graffiti
quête de retombées média (« buzz mar-           tions ajournées).                              illégal, Bordalo II (alias Artur Bordalo)
keting ») ou des tours-opérateurs en                                                           réalise depuis 2013 des installations en
mal de nouveautés (« street art tour »).        UN ART EN MUTATION                             grand format en extérieur.
Les graffeurs privilégieront plutôt la          PERMANENTE, PAR LES LIEUX
semi-clandestinité, la reconnaissance           ET LES TECHNIQUES                              Alors que l’œil des spectateurs s’accli-
par le bouche-à-oreille et l’information        Les collectivités et les institutions fe-      mate, s’habitue (inflation, mondialisa-
par les réseaux sociaux (lieux connus           ront-elles le bon choix en misant sur un       tion, institutionnalisation), il s’agit pour
des initiés) et les endroits cachés qui se      mode d’expression volatile ? La concur-        ces artistes de surprendre encore, de
découvrent. Sinon, les emplacements             rence entre les capitales autoprocla-          ne pas se laisser enfermer, de se démar-
de prédilection pour être vus ou pour           mées du graff est rude, et le succès           quer du néo-muralisme surmédiatisé,
afficher son audace restent le mur mi-          éphémère. Actuellement, pour certains          d’échapper au street art devenu « trop
toyen, la souche de cheminée, le pont,          spécialistes, l’art urbain serait en train     bankable » (artiste Epsylon), de conser-
le mur anti-bruit... La « localisation préfé-   de s’épuiser, voire de disparaître, du         ver leur « street credibility » (expression
rentielle » peut avoir des conséquences         moins dans sa forme originelle. En cela,       employée par les graffeurs des États-
inattendues. La mise à disposition d’une        il ne dérogerait pas au processus de           Unis). Pour tout cela, la liberté de choisir
surface crée souvent un effet d’entraîne-       tout courant artistique qui s’épanouit         le support, l’endroit et le moment est
ment, un afflux.                                rarement au-delà d’une génération et           essentielle.

                                                                                                STREET ART, SUR LES MURS DE MARSEILLE |       7
STREET ART, SUR LES MURS DE MARSEILLE - Signal paradoxal d'un renouveau urbain - AGAM
Marseille, eldorado du graff ?
    Marseille est-elle aujourd’hui une place          La raréfaction des espaces de graff dans

                                                                                                                                                               © Laurent Couture - Agam 2021
    forte du graff en France ? Les divers clas-       le centre-ville de Marseille rend la tâche
    sements réalisés par des médias ou blo-           plus complexe, mais garantit en revanche
    gueurs ne placent pas toujours la cité            une plus grande longévité de la pièce.
    phocéenne en tête de liste. Pourtant cet          Ainsi, on assiste à une confrontation
    art urbain spontané et éphémère se ré-            entre la nature éphémère du graff et la
    pand sur les murs de la ville depuis les          volonté de basculer dans une dimension
    années 90. Ville portuaire, porte d’entrée        pérenne, faisant gagner en notoriété le
    de la Méditerranée et proche de l’Italie,         graffeur ayant produit la pièce.
    l’Espagne, le Portugal, le Maghreb… ; au-         Les délaissés urbains, comme les friches
    tant de critères qui permettent un bras-          ou les infrastructures de mobilité, sont
    sage humain et artistique, et un rayon-           également des espaces de représen-
    nement du graff marseillais.                      tation au sein de la communauté des
                                                      graffeurs. À l’abri des regards, les artistes
    PRODUCTION D’UNE CULTURE                          peuvent venir s’entraîner sur ces espaces
    URBAINE À L’INTERFACE                             souvent de taille conséquente, où le
    ENTRE LA RUE ET LES LIEUX                         temps ne sera pas un frein. C’est le cas
    DE CRÉATION                                       à Marseille des friches situées dans le              Collage, Panier, Marseille (IIe).
    Les espaces de représentation du street           quartier de La Cabucelle, ou encore dans
    art sont aujourd’hui nombreux et diver-           l’ancienne piscine de Luminy.
    sifiés, autant par leur taille que par la
    nature de leur présence. Spontanéité,
    commande publique, espaces centraux
                                                                          Paroles d’acteur                 la création artistique et de fédérer autour
    ou périphériques, Marseille dispose d’un                                                               de projets pour aller à la rencontre de tous
    terrain de jeu conséquent. La ville attire
    les publics venus découvrir la richesse
                                                          « L’accompagnement des                           les publics et faire se rencontrer des pu-
                                                                                                           blics qui ne se connaissent pas. L’art urbain
    du street art marseillais, autant qu’elle                 pouvoirs publics n’en                        permet d’apporter du dialogue à la ville : le
    attire les graffeurs eux-mêmes. Connu                                                                  projet de la L2, mais aussi les programmes
    et perçu comme un territoire de plus                       est qu’à ses débuts »                       « Magiciens de la ville » et « Au bonheur de
    grande liberté, d’une plus grande tolé-                                                                l’autre » proposent des parcours d’art dans la
    rance, nombreux sont ceux qui viennent                                                                 cité et viennent incorporer dans les différents
    graffer les murs du centre-ville ou des                                                                quartiers de Marseille du street art, associé
    délaissés urbains.                                                                                     à d’autres formes d’art ainsi que de la mé-
                                                                                                           diation et de l’insertion. L’accompagnement
                                                                                                           des pouvoirs publics dans ces initiatives n’en
       Marseille attire les                                                                                est qu’à ses débuts. On essaie aujourd’hui de
                                                                                                           mettre toutes les personnes qui font la ville
      publics venus pour                                                                                   autour de la table : les services de la Ville de
      le street art autant                                                                                 Marseille, les urbanistes, les architectes (des
                                                                                                           Bâtiments de France) et aussi les habitants
       que les graffeurs                                                     Caroline SÉGUIER              qui font la ville et leur quartier. La program-
                                                          Directrice de l’association Planète Émergences   mation de l’art urbain par les pouvoirs publics
                                                                                                           doit être décidée à l’échelle du territoire. Il
    Le quartier du Cours Julien ou du Panier                                                               serait intéressant que « Magiciens de la ville »
    sont bien connus des adeptes du street                                                                 s’inscrive dans le programme « L’été marseil-
    art, publics comme graffeurs, participant          L’association Planète Émergences a pour objet       lais » (à l’image « d’un été au Havre »), afin de
    à l’image de Marseille, comme une ville du         de créer, produire et diffuser des projets de       ponctuer la ville d’œuvres, d’expositions pé-
    graff. Ce sont cependant des secteurs où           créations artistiques alliées à la cohésion so-     rennes ou éphémères, durant l’été, profitant
    l’espace pour « poser » se raréfie. La popu-       ciale et à des enjeux de société. L’action se       de la visite des touristes. Une initiative comme
    larité de ce secteur en fait un lieu privilégié    décline autour de la création dans l’espace         « Embellir Paris » à Marseille serait une oppor-
    pour les graffeurs, souvent à la recherche         public, la transmission via des résidences,         tunité intéressante également, elle permet-
    de visibilité, non pas du public, mais des         des ateliers, des rencontres, de la médiation.      trait de réunir autour de la table les artistes,
    autres membres de la communauté.                   Notre métier est de créer les conditions de         les collectivités et les porteurs de projet.

8               | REGARDS | N°109
STREET ART, SUR LES MURS DE MARSEILLE - Signal paradoxal d'un renouveau urbain - AGAM
Les lieux privilégiés de représentation
du street Art à Marseille
                                           Retrouver la ca
                                                           rte des lieux de
                                           en flashant ce                   graf fs
                                                          QR Code. Cette
                                          non exhaustiv                   carte est
                                                         e et évolutive,
                                          proposer de no                 n’hésitez pas à
                                                         uveaux lieux de                 nous
                                                                           graf fs.

                                                                                     9
STREET ART, SUR LES MURS DE MARSEILLE - Signal paradoxal d'un renouveau urbain - AGAM
© La Savonnerie Atelier Monchecourt and Co.
     DE LA RECONNAISSANCE
     ARTISTIQUE DU STREET
     ART À SON USAGE COMME
     OUTIL D’ATTRACTIVITÉ
     TERRITORIALE
     À Marseille, la culture est l’un des vo-
     lets ayant permis la valorisation du pro-
     jet comme l’OIN Euroméditerranée par
     l’installation de grands objets culturels
     comme le Mucem ou le musée Regards
     de Provence. L’extension Euromed 2
     adopte une stratégie différente, avec           le projet de la Savonnerie La Tulipe-Moncada,
     l’utilisation de l’art urbain, en l’occur-      quartier des Crottes à Marseille
     rence le street art, pour aménager l’es-
     pace public et promouvoir les nouveaux
                                                     Située dans le quartier des Crottes (XVe arrondissement) à Marseille, la Savonnerie La Tulipe
     projets en cours de réhabilitation.
                                                     et la manufacture Moncada sont l’une des friches ayant fait l’objet d’un appel à projet de la
                                                     part de l’Établissement Public d’Aménagement Euroméditerranée (EPAEM). Le projet, dans sa
     Le street art devient alors plus pérenne
                                                     globalité, prendrait la forme d’un noyau villageois au cœur du quartier, proposant une mixité
     quand il est issu d’une commande. La
                                                     fonctionnelle entre les différents lots.
     spontanéité dans la création artistique
     sur l’espace public laisse place à un cadre     La manufacture Moncada (2 267 m²) intégrera 40 logements ainsi qu’une auberge de jeunesse.
     plus formel. La nature des œuvres évo-          En parallèle, Euroméditerranée projette de faire de l’ancienne savonnerie La Tulipe (3 604 m²)
     lue également : la commande s’oriente           un lieu culturel, orienté vers une culture urbaine street art. Ce pôle culturel serait exploité
     davantage sur des pièces occupant une           par la société parisienne Maquis-art. Fondée en 1992, la société développe depuis sa création
     place conséquente comme les fresques.           une activité de vente de matériel pour les artistes, d’événements, de décorations, et plus
     Les murs de la rocade de la L2 sont pro-        récemment de tiers-lieux.
     bablement le projet de street art com-          Créé en 2017 de manière éphémère, l’Aérosol était situé dans un espace de 8 000 m² dans une
     mandé le plus emblématique de Mar-              friche industrielle de la SNCF, à Paris. Le tiers-lieu abritait un musée du street art ainsi que des
     seille. Longue de 9,7 km, cette rocade          espaces de graffs libres en extérieur. C’est avec cette expertise en termes de culture urbaine et
     contourne le centre-ville de Marseille du       d’animation que la société gérera ce nouveau lieu de vie marseillais, lieu de vie comprenant un
     nord à l’est. Projet de presque 30 ans, il      atelier d’artisan, une école de hip-hop, une salle de spectacle ainsi qu’un espace en plein air.
     a été livré dans sa totalité en 2018. C’est     Intégré dans le programme d’urbanisme transitoire MOVE d’Euroméditerranée, cette identité
     en 2014 que l’association Planète Émer-         street art sera ici vecteur d’un projet à la fois économique, solidaire, mais aussi de vie, au sein
     gence fait la rencontre de la société de la     du quartier des Crottes. La livraison est prévue en 2024.
     rocade L2 de Marseille.

     Dans une démarche                              art est aussi un prétexte pour créer du
                                                    lien, entre les acteurs du territoire et les
        de commande,                                habitants, avec comme intermédiaire les
         l’attente est                              artistes. Le projet s’est achevé par une
                                                    exposition intitulée « À l’échelle de la
      davantage tournée                             ville » (2018), qui s’est tenue au ministère
       vers la pérennité                            de la Culture à Paris, montrant une fois
                                                    encore l’intérêt grandissant des pou-
                                                    voirs publics pour l’art urbain.
     C’est sous la forme d’un partenariat qu’ils    Outil de cohésion sociale et territoriale
     vont décider de la création d’un projet        entre les quartiers de la ville, la péren-
     d’art urbain, venant couvrir les murs de la    nité des œuvres semble ici souhaitable.
     rocade. 52 artistes vont être invités, dont    La question de l’éphémère se pose alors.
     80 % originaires de Marseille. Le projet       Selon Caroline Séguier de Planète Émer-
     ne s’est pas seulement contenu sur les         gences, « les lignes bougent du côté des
     murs de la rocade, mais aussi dans les         artistes ». Dans une démarche de com-
     quartiers traversés par l’infrastructure,      mande, l’attente est davantage tournée
     dans l’optique « d’irriguer » le territoire.   vers la pérennité de l’œuvre, au contraire
     Outre une meilleure intégration du pro-        d’une production spontanée qui sera
     jet dans le paysage, l’utilisation du street   par nature plus éphémère.

10              | REGARDS | N°109
DES ESPACES DE CRÉATION                                                 leur permettant de bénéficier d’un lieu
                                                                                                                                 « HORS LES RUES »                                                       de production artistique pour un faible
                                                                                                                                 La production de cette culture urbaine,                                 coût. 90 artistes travaillent actuellement
                                                                                                                                 plus encadrée spatialement, se fait éga-                                au couvent Levat.
                                                                                                                                 lement hors de la rue, dans des espaces                                 Dans le XVe arrondissement, l’association
                                                                                                                                 de production et d’expérimentations                                     pour la Cité des Arts de la Rue (ApCAR)
                                                                                                                                 artistiques bien définis. Depuis 2017 et                                occupe l’ancienne savonnerie l’Abeille
                                                                                                                                 jusqu’en 2021, la Ville de Marseille per-                               depuis maintenant plus de vingt ans. À
                                                                                                                                 met l’occupation temporaire du couvent                                  l’image du couvent Levat, la Cité est un
                                                                                                                                 Levat à l’association Juxtapoz. Ce collec-                              lieu d’expérimentation artistique réunis-
                                                                                                                                 tif de graffeurs occupe les lieux, s’appro-                             sant peintres, graffeurs, sculpteurs, avec
                                                                                                                                 prie l’espace en réalisant des fresques                                 comme dénominateur commun la créa-
                                                                                                                                 sur les murs du jardin, des événements                                  tion dans l’espace public. Financée par la
                                                                        Collage Crooked City, Dock des Suds.                     autour de la culture du graff. Le couvent                               Ville de Marseille, la Cité a été inaugurée
                                                                        Marseille, Fiesta des Suds.                              est un espace d’accueil pour les artistes,                              en 2013. Elle est aujourd’hui un outil de
                                                                                                                                                                                                         développement culturel pour la Ville.
                                                                                                                                                                                                         Si le lieu est un espace privé, il est tout de
                                                                                                                                                                                                         même ouvert au public, lui permettant
                                                                                                                                                                                                         de venir assister à divers événements or-
                                                                                                                                                                                                         ganisés par les artistes présents. Le mur
                                                                                                                                                                                                         du fond est un espace de représentation
                                                                                                                                                                                                         graff présent in situ. À l’initiative de Ger-
                                                                                                                                                                                                         main Prévost (alias Ipin) et Stéphane Mos-
                                                                                                                                                                                                         cato, ce support au format 12 m x 4 m est
                                                                                                                                                                                                         en place depuis février 2018. Sur le même
                                                                                                                                                                                                         principe que le MUR présent dans diffé-
                                                                                                                                                                              © Stéphane Moscato, 2018

                                                                                                                                                                                                         rentes grandes villes françaises et euro-
                                                                                                                                                                                                         péennes, le mur du fond est renouvelé à
                                                                                                                                                                                                         intervalles réguliers, par différents graf-
                                                                                                                                                                                                         feurs invités à venir exploiter cet espace
                                                                                                                                                                                                         de création murale.

                                                                                                                                  La Cité des Arts de la Rue est un espace privé                         pour effet un débordement des graffs dans
                                                                                                Paroles d’acteur                  accueillant du public, dont le dénominateur                            les rues mitoyennes du secteur. Au cœur des
                                                                                      « nous laisser                              commun est la création dans l’espace public.
                                                                                                                                  C’est un lieu qui nous permet de disposer d’un
                                                                                                                                                                                                         cités, on retrouve moins de tags, ils sont vus
                                                                                                                                                                                                         par les habitants comme une dégradation, un
                                                                                  la spontanéité de                               panel de compétences offertes par les dif-                             signe de précarisation supplémentaire.
                                                                                                                                  férentes disciplines présentes, en ayant plus                          C’est compliqué d’y amener des projets de
                                                                                 créer, de penser la                              de temps pour la production d’une œuvre en                             peinture parce que ce n’est pas dans les prio-
                                                                            pièce et notamment son                                résidence que si l’on était dans la rue. Quand
                                                                                                                                  on pratique cette forme d’art souvent « gra-
                                                                                                                                                                                                         rités des habitants : allouer un budget spé-
                                                                                                                                                                                                         cifique pour la culture sur un secteur ayant
                                                                               impact sur le public »                             tuite », la commande (publique ou privée)                              d’autres préoccupations est difficilement
                                                                                                                                  permet aux artistes de vivre convenablement.                           compréhensible. Quant à la culture hip-hop,
Collage Iguane, La Plaine, Marseille (II e). © Stéphane Moscato, 2018

                                                                                                                                  Cela dit, il est primordial qu’on nous laisse                          dont Marseille est l’une des villes fleuron, le
                                                                                                                                  la spontanéité de créer, de penser la pièce                            graffiti a clairement été associé à ce mou-
                                                                                                                                  et notamment son impact sur le public. Au-                             vement. Mais à l’époque, les graffeurs écou-
                                                                                                                                  jourd’hui, une fresque devient pérenne quand                           taient du rock, du disco ou du funk. C’est la
                                                                                                                                  elle est issue d’une commande. C’est moins                             télé, qui est ensuite venue répandre cette as-
                                                                                                                                  vrai quand on parle de graffiti. Marseille dis-                        sociation hip-hop / graffiti, et les clichés ont
                                                                                                                                  pose d’une certaine renommée pour les graf-                            la vie dure. Quand on regarde les « peintres »
                                                                                                                                  feurs, parce qu’on sait que tout est possible.                         marseillais, ils ne portent pas forcément des
                                                                                             Stéphane MOSCATO                     Mais ça entraîne une raréfaction des meilleurs                         baskets et des casquettes sur le côté. Certains
                                                                                    Peintre, co-organisateur du Mur du fond,      spots. Dans le quartier du Cours Julien, par                           ne sont plus issus de la classe populaire, voire
                                                                                                        Cité des Art de la Rue    exemple, les espaces sont très saturés, ayant                          ils ont fait les Beaux-Arts.

                                                                                                                                                                                                          STREET ART, SUR LES MURS DE MARSEILLE |           11
© Axel Le Bolzer - Agam 2021
                                                                                                                                       PUBLICATIONS AGAM
                                                                                                                                       	Les impacts du télétravail, Regards
                                                                                                                                          de l’Agam n°103 – Mars 2021
                                                                                                                                       	Réseaux sociaux et plateformes,
                                                                                                                                          Regards de l’Agam n°87 – Septembre
                                                                                                                                          2019
                                                                                                                                       	Les nouveaux lieux de l’innovation,
                                                                                                                                          Regards de l’Agam n°62 – Août 2017
                                                                                                                                       	Marseille la nuit, quels enjeux pour
                                                                                                                                          la ville ?, Regards de l’Agam n°56 –
                                                                                                                                          Février 2017
                                                                                                                                       	Centre-ville de Marseille, pour un
                                                                                                                                          nouvel élan économique, Regards de
                                                                                                                                          l’Agam n°44 – Mars 2016
Fresque, Rue Pastoret, Marseille (VIe).

DES MURS DE LA RUE AUX MURS D’EXPOSITION :
UN MOTEUR ÉVÉNEMENTIEL IMPORTANT
On retrouve à Marseille des galeries s’in-            Le graff ne vient plus seulement habiller
téressant en partie à la vente d’œuvres               les murs des villes, il devient aussi un                                                                    Retrouvez toutes
                                                                                                                                                                les productions du
issues de la rue : Undartground, David                vecteur événementiel de diffusion d’une                                                                Lab’Urbain de ga
Pluskwa, Artcan Gallery.                              culture. Si ces événements n’ont pas lieu                                                           en scannant le flaL’A  m
                                                                                                                                                                            shcode
Par ce biais, le street art devient aussi un          dans des galeries ou des bars, ils se pro-
élément fédérateur créant des événe-                  duisent dans des espaces de tiers-lieux
ments. Les vernissages dans les galeries,             ou transitoires, à l’image de la Friche de
mais aussi dans les cafés ou les bars, ne             la Belle de Mai ou du Couvent Levat dans
sont plus juste l’occasion de présenter               le IIIe arrondissement de Marseille.
les œuvres en elles-mêmes, mais de dif-               Cette identité peut aussi trouver son
fuser la culture que le street art accom-             public dans les salles d’exposition des
pagne : workshop, démonstrations, jam,                musées. En 2020, le Château de Forbin
performances rap, hip-hop, et parfois                 a inauguré une exposition spécialement
vente de vêtements « vintage » viennent               dédiée aux graffs produits à New York
animer les événements.                                dans les années 1980-90.

Louvre & Paix - La Canebière
CS 41858 - 13221 Marseille cedex 01
    04 88 91 92 90       agam@agam.org
Toutes nos ressources @ portée de clic sur www.agam.org
Pour recevoir nos publications dès leur sortie, inscrivez-vous à notre newsletter
Directeur de la publication : Christian Brunner
Rédaction : Laurent Couture, Axel Le Bolzer, Christophe Trinquier - Conception / Réalisation : Pôle graphique Agam
Photographie Laure-Agnès Caradec : Benjamin Bechet / Marseille - Septembre 2021 - Numéro ISSN : 2266-6257
© Agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise
Vous pouvez aussi lire