Stress et violence organisationnelle : Analyse d'une interaction "pathogène" en milieu professionnel

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Stress et violence organisationnelle : Analyse d’une
       interaction “pathogène” en milieu professionnel

                                     Assâad El Akremi
                       Maître de Conférences - LIRHE - IAE Toulouse
                               Université des Sciences Sociales
                        Place Anatole France 31042 Toulouse Cedex
                          Tel. 05 61 63 38 67 / Fax. 05 61 63 38 60
                               assaad.el-akremi@univ-tlse1.fr

                                          Narjes Sassi
                                    Doctorante - ISG Tunis
                          41 rue de la Liberté, 4000 Le Bardo, Tunis
                                   Tel. 00 216 22 89 19 35
                                   sassinarjes78@yahoo.fr

Résumé :
Les impératifs de performance et de rentabilité qui caractérisent la scène économique actuelle
sont tels que le bien-être de l'Homme au travail est souvent altéré par de multiples facteurs
organisationnels. Sujets à un état de stress et d'usure professionnelle, les salariés sont soumis à
des tensions internes et des frustrations qui, souvent, activent le recours à des actions
violentes qu'ils adressent à l'encontre des pairs au travail, ou à l'encontre de l'organisation en
tant que telle. En mettant en relation les phénomènes de stress professionnel et de violence
organisationnelle, c'est la part d'ombre et de souffrance qui envenime la vie au travail qui est
mise en avant. Le cas particulier de 602 ouvriers du secteur industriel est étudié pour rendre
compte de l'interaction singulière et perverse entre le burnout et la violence organisationnelle.

Mots clé : Stress, Burnout, Coping, Violence interpersonnelle, Violence organisationnelle,
Lisrel.

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« Le profit est une indication claire du succès et de la santé financière d’une organisation à un
moment donné. Cependant il n’est pas nécessairement un bon prédicteur d’une performance
future, sauf s’il tient compte de la capacité de l’organisation et de son personnel de maintenir
et d’éventuellement accroître le niveau atteint » (Cartwright, Cooper et Murphy, 1996 : 217).
L’accentuation des impératifs de rentabilité, la flexibilité de l’emploi, les restructurations
permanentes et les sollicitations variées d’une mondialisation croissante instaurent un climat
de pression et d’insécurité propice à l’émergence de tensions chez des travailleurs contraints à
déployer des efforts continus d’ajustement et d'adaptation. Ces travailleurs sont de plus en
plus sujets à un état de stress et à une détérioration de leur bien-être physique, psychologique
et mental (Dejours, 1980, 1993 ; Aubert et Pagès, 1989 ; Dana et Griffin, 1999). La
manifestation du stress génère souvent une détérioration du climat de travail et de la
performance de l’entreprise (Cooper et Cartwright, 1994). Selon une étude récente de
l’Organisation Internationale du Travail, le coût total du stress et de ses conséquences sur
l’individu, l’organisation et la société peut représenter de 1 à 3,5% du PNB dans certains pays
occidentaux (Hoel, Sparks et Cooper, 2001).

Soumis à de fortes tensions, les travailleurs voient leur bien-être se détériorer progressivement
et se sentent menacés par une organisation qui exige toujours davantage sans tenir compte de
leur seuil de tolérance (Fox, Dwyer et Ganster, 1993 ; Boswell, Olson-Buchanan et LePine,
2004). L’existence d’un état de stress en milieu professionnel est alors corollaire de la genèse
d’émotions négatives qui font que l’agressivité potentielle devienne effective contre autrui et
contre l’organisation. Le "passage à l'acte" violent devient, dans ce cadre, l'unique mode
d'expression et d'extériorisation des frustrations corollaires aux situations de stress auxquelles
les salariés sont soumis (Chen et Spector, 1992 ; Fox et Spector, 1999 ; Fox, Spector et Miles,
2001 ; Tobin, 2001 ; Vigoda, 2002). S'inscrivant dans cette perspective, il s'agit de mettre en
exergue, dans cette communication, le lien vicieux d'une agressivité individuelle effective en
réponse à une agressivité organisationnelle symbolique véhiculée par des facteurs de travail
anxiogènes. L’objectif est de comprendre la dynamique “pathogène” qui peut résulter de la
difficulté d’adaptation entre des travailleurs aux profils particuliers et une organisation
génératrice d’agents de stress professionnel. Pour ce faire, un modèle intégratif des liens entre
stress et violence au travail est proposé. Le test de ce modèle est effectué auprès d’un
échantillon de 602 ouvriers du secteur industriel. Les résultats, leur discussion et leurs
implications sur les pratiques de GRH, minimisant les facteurs de stress et de violence et
conciliant performance et bien-être des salariés, sont enfin exposés.

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1. STRESSET VIOLENCE AU TRAVAIL                  :   UN MODELE TRANSACTIONNEL DE LA
FRUSTRATION

Le stress lorsqu'il est appréhendé selon son acception générique, en l'occurrence selon la
définition que lui attribue H. Selye dans les années 1950, correspond à une réaction
biologique du corps face à une excitation ou un danger de l'environnement qui menace
l'équilibre du métabolisme. L'individu sujet à cet état d'excitation déploie des efforts afin de
préserver et de conserver une certaine homéostasie et de maintenir stable son milieu interne
quelles que soient les conditions extérieures et les agressions de l'environnement. Lorsque cet
état de perturbation du bien-être concerne un individu au travail et lorsque les agressions de
l'environnement sont plus particulièrement celles provoquées par le contenu ou le contexte du
travail, il s'agit alors d'un stress dit professionnel (Aubert et Pagès, 1989). Le stress au travail
devenant une réalité à laquelle il est impératif de faire face, les efforts se sont multipliés afin
d'apporter d'une part, un éclairage sur les multiples facettes de ce phénomène, et d'autre part,
de comprendre la genèse de ce malaise qui met en scène l'homme et l'organisation, les affecte
au même titre et détériore leur performance. Les travaux de modélisation du stress
professionnel tentent de l'appréhender de manière plus ou moins holistique, prenant en
compte l'ensemble des facteurs individuels et organisationnels dont la rencontre est
génératrice de stress (Beehr et Neuman, 1978 ; Cooper et Payne, 1978 ; Karasek, 1979).

C’est en termes d’échange et de transaction que s’expliquent la genèse et la manifestation
effective de cette détérioration du bien-être au travail. Fondée sur les principes de la théorie
cognitive de l'évaluation (Lazarus, 1966), le stress transactionnel met l’accent sur les
différences au niveau des traits de la personnalité dans la perception et dans la sensibilité aux
facteurs stressants auxquels l'individu peut être confronté dans sa vie au travail. La théorie
transactionnelle du stress (Lazarus et Folkman, 1984) annonce que le vécu de cet état de
perturbation du bien-être au travail est conditionné par une double évaluation cognitive et
émotionnelle, de la situation ou du facteur stressant et des capacités et aptitudes de l’individu
à y faire face. Dés lors que la personne perçoit et ressent un écart entre ses ressources et
l'intensité de l'agression qui la fragilise et l'épuise progressivement, le stress opère, affectant
de prime abord le travailleur puis l'organisation. L’évaluation de la transaction anxiogène
renseigne l’individu sur son vécu et lui permet de faire appel à certains mécanismes qui lui
permettent de faire face aux stresseurs organisationnels et d’agir sur l’agression qui en émane.
Ces ressources représentent les “stratégies d'adaptation” ou “stratégies de coping” (Lazarus et
Folkman, 1984 ; Dewe et Guest, 1990 ; Endler et Parker, 1994 ; Neboit et Vézina, 2002).

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1.1. L’importance des stratégies d’adaptation
Dans l’approche transactionnelle, l’état de stress dépend de la synergie entre deux processus
fondamentaux, à savoir l’évaluation et les stratégies d’adaptation. Le coping peut consister en
une réponse directe éliminant la source du danger, mais également en une réponse palliative,
se résumant en une simple réduction de la perception du danger. L'adoption consciente et
apprise de ces stratégies d’adaptation résulte de l'évaluation cognitive des ressources
psychologiques d'un individu dans sa transaction avec l’environnement (Lazarus et Folkman,
1984 ; Lazarus, 1993). L'action sur l'émotion et/ou l'action sur le problème constituent les
deux stratégies d'adaptation génériques qui offrent à l'individu un éventail de possibilités
actives ou passives lui permettant de faire face à la situation de stress au travail. Le salarié
peut également choisir d'éviter la situation anxiogène et adopter un comportement de fuite lui
permettant de désagréger l'énergie négative provocatrice du stress (Endler et Parker, 1990,
1994). La fuite consiste en la recherche de possibilités d'ignorer le fait anxiogène et de
dissiper la tension ressentie à travers le recours à des activités de distraction. Le choix de l'une
de ces alternatives (agir sur la détresse émotionnelle, agir sur la source même du problème ou
éviter la demande déstabilisatrice) est tributaire de l'attention que porte l'individu au fait
stressant, du biais d'interprétation négatif qu'il peut lui attribuer (Cosway et al., 2000) et de
son vécu de situations hostiles antérieures (Avero et al., 2002). À travers un processus
d'apprentissage, le salarié aura recours à l'une ou l'autre de ces stratégies d'adaptation si elles
l'ont déjà aidé à surmonter avec succès une situation de stress (Andrews et al., 2002).

Les moyens dont dispose l'individu pour faire face au stress font souvent appel à ses propres
ressources psychologiques, ce qui l'amène à vivre ce malaise dans l'isolement ; ce qui majore
la souffrance qui accompagne la détérioration du bien-être. Évoluer dans un contexte social
positif peut également aider l'individu à surmonter le stress professionnel (Bliese et Britt,
2001 ; Parker et Endler, 1992). Le recours au soutien social fait partie des stratégies
d'adaptation collective où l'individu fait appel aux autres afin de trouver auprès d'eux une
assistance permettant d’extérioriser le malaise qui accompagne un vécu de stress. Le soutien
social a pour effet de modérer ce malaise et d'offrir une échappatoire pour les troubles des
salariés sujet à un état de stress (Karasek et Theorell, 1990 ; Dejours et al., 1985 ; Kitaoka-
Higashiguchi et al., 2003 ; Pelfrene et al., 2002). D'autres stratégies d'adaptation existent bien
évidemment ; certaines sont réductrices et purement défensives (Vaillant, 1994) ; d’autres
sont proactives permettant de prévenir un état de stress et donc de l'éviter (Crant, 2000).

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Cependant, un individu au profil particulier et évoluant dans un milieu de travail caractérisé
par de nombreuses sources de stress risque d'épuiser, à plus ou moins long terme, la capacité
de son organisme à s'ajuster aux stresseurs professionnels et organisationnels. En dépit du
répertoire de coping auquel l’individu peut avoir recours, le stress au travail devient un
problème lorsque les stresseurs persistent dans le temps ou lorsqu’il existe un écart très
important entre les capacités de contrôle ou les ressources de l'individu et les exigences de
l'environnement organisationnel. Le danger est dans ce cas plus important puisque l'état de
tension, peu ou prou surmontable au départ, laisse progressivement la place à la manifestation
d'un état d'épuisement, connu sous le vocable anglo-saxon de “burnout” (Freudenberger,
1974). En s'intéressant au vécu des personnes au travail, la psychopathologie éclaire la notion
de burnout et accorde une considération particulière à la souffrance psychologique et mentale
dont le travail est la cause primaire (Dejours, 1980, 1993). L'image de l'organisation “prison
du psyché” (Chanlat, 1990) prend toute son ampleur dans une perspective du travail qui altère
le bien-être des individus et les fragilise. L'emprise de l'organisation (Pagès et al., 1979) est
telle que les instances psychiques des hommes sont constamment menacées et en alerte.

Selon Maslach et Jackson (1981), le burnout est un état d'épuisement au travail auquel
conduit une exposition chronique à des stresseurs organisationnels, ajoutée à une défaillance
des mécanismes d'adaptation de l'individu sujet à ce malaise (Schaufeli et al., 1993). Le
burnout est communément connu comme un processus palliatif en trois phases qui conduit
progressivement à la détérioration progressive de la santé du travailleur et de son rapport au
travail. L'individu ressent d'abord un épuisement de ses ressources émotionnelles d’adaptation
qui le conduit graduellement à se distancier par rapport aux tâches qu'il est amené à réaliser.
L'individu s'introduit dans une phase de dépersonnalisation, caractérisée par une forme de
désengagement cynique par rapport au travail, le menant enfin à ressentir un sentiment de non
accomplissement et d’incompétence au travail (Densten, 2001 ; Halbesleben et Buckley,
2004 ; Lee et Ashforth 1996 ; Maslach et Jackson, 1981). C'est une sensation interne
d'oppression et d'aigreur qui désormais accompagne le travailleur soumis au burnout. Nombre
d’études montrent les conséquences néfastes de ce malaise sur la satisfaction et l’engagement
au travail (Lee et Ashforth 1996 ; Moore, 2000), l’intention de départ (Geurts et al., 1998 ;
Wright et Cropanzano, 1998), les comportements citoyens au travail (Cropanzano et al., 2003)
et surtout sur les performances individuelles et collectives (Maslach, 1982 ; Wright et
Cropanzano, 1998). Le cercle vicieux de la frustration, due à une sensation de perte de
contrôle et une incapacité à faire face à un contexte de travail menaçant, est alors déclenché.

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1.2. La violence organisationnelle : la frustration face à l’échec d’adaptation
Cherchant à réagir à un état d'épuisement et contre une situation perturbatrice du bien-être, le
salarié peut manifester certains changements dans ses comportements ; il s'agit notamment du
recours à la consommation abusive d'alcool (Cooper et al., 1990) ou encore au recours à la
violence conjugale et familiale (Jackson et Maslach, 1982). La charge émotionnelle pathogène
que peut ressentir un individu au travail et qui accompagne un vécu de stress et d'usure le
vulnérabilise et active chez lui le désir et la volonté de réagir de manière agressive. Afin de
réduire la pression qui s'exerce sur eux et en eux, les travailleurs sont plus à même d'adopter
des comportements dysfonctionnels qui peuvent nuire à l'organisation et aux membres qui la
composent ; le stress et le burnout deviennent dans ce cas des moteurs à la manifestation
d’actes ou de comportements agressifs au travail (Fox et Spector, 1999 ; Kop, Euwema et
Schaufeli, 1999 ; Vigoda, 2002). La frustration des travailleurs s’amplifiant et s’accentuant
sous l’effet de l’accumulation de circonstances de travail anxiogènes, le recours à des
comportements violents devient l’ultime échappatoire pour une énergie négative destructrice.

L’homme stressé et épuisé au travail devient alors un homme agressif parce que constamment
“agressé” ; l’impression d’oppression et la multiplication des sollicitations auxquelles il est
soumis favorisent l’émergence à un niveau explicite de comportements violents. Les termes
d’agressivité et de violence sont souvent utilisés de manière indifférenciée dans les travaux
traitant de la question et ce pour designer des faits et des actions qui transgressent un ordre et
des normes pré-établies en insistant sur l'infraction et l'outrage qui en résultent (Berkowitz,
1993). Ce mode d'action perturbateur de l'individu et de la société fait appel à l'usage de la
force qui devient violence lorsque celle-ci dépasse la mesure et porte atteinte à l'intégrité
physique ou psychologique de l’individu en sa propre personne ou en ses biens. Dans les
écrits plus spécifiques aux sciences de gestion (Leblanc et al., 2004 ; O’Leary-Kelly, Griffin
et Glew, 1996), un intérêt récent est adressé au sujet du développement de comportements
agressifs au travail. L’accent est mis sur la multitude des motivations pouvant provoquer le
passage à des actes répréhensibles ainsi que sur la nature des préjudices qui sont engendrés au
sein des organisations. C’est en réaction à une situation d’injustice au travail, ou par un désir
de vengeance ou encore pour le simple plaisir pervers de perturber l’organisation ou les
membres qui la composent que se manifestent effectivement, et de manière plus ou moins
visible, des actes animés par la volonté de nuire et de porter préjudice (Giacalone et
Greenberg, 1997 ; Leblanc et al., 2004).

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Le champ d’étude de la violence au travail demeure relativement nouveau. Afin de
comprendre les mécanismes et les facteurs entrant en jeu dans cette manifestation
organisationnelle, certains chercheurs font appel aux apports des théories de l’apprentissage
social en plus des considérations d’ordres biologiques (Bandura, 1973 ; O’Leary-Kelly,
Griffin et Glew, 1996). L’intrusion dans ces domaines a pour principal intérêt d’apporter un
éclairage quant aux fondements du développement de ces comportements et d’identifier les
facteurs surtout sociaux et environnementaux qui les favorisent. Pour désigner ces
comportements manifestés dans un espace de travail, les terminologies sont multiples.
L'emploi de qualificatifs tels que l'incivilité (Anderson et Pearson, 1999 ; Vardi, 2001), la
déviance (Robinson et Bennett, 1995 ; Bennet et Roberson, 2000), l'agressivité (Baron et
Neuman, 1998 ; Fox et Spector, 1999 ; Kaukiainen et al., 2001), le dysfonctionnement et
l’anti-social (Griffin, O’Lerry-Kelly et Collins, 1998 ; Robinson et O’Learry-Kelly, 1998) et
la contre-productivité (Fox, Spector et Miles, 2001) pour qualifier les actes violents perpétrés
au sein des organisations, apporte une multitude de lectures à ce phénomène organisationnel.

En dépit de cette apparente divergence quant à la terminologie à adopter, les auteurs
s’accordent sur trois caractéristiques communes à leur appréhension de ce phénomène. Il
s’agit d’abord de l’intention de porter atteinte qui anime l’agresseur. Cette volonté suggère
une réflexion ou une cognition qui précède le passage à l’acte. Ensuite les chercheurs en la
matière reconnaissent la bipolarité de la cible à laquelle sont adressés les actes violents à
savoir l’organisation et les pairs dans l’organisation, à savoir les collègues et les supérieurs
hiérarchiques (Baron et Neuman, 1996, 1998 ; Leblanc et al., 2004 ; Simard et al., 2004). Un
acte de vandalisme, de sabotage ou de vol a pour cible l’organisation, alors que des rumeurs,
des insultes ou des coups ont pour but de porter atteinte à une personne. Le troisième
dénominateur commun aux écrits sur la violence au travail met l’accent sur le fait que la
manifestation d’actes agressifs est graduée en sévérité ; en d’autres termes, ces actes
s’inscrivent dans une sorte de spirale qui débute par le comportement le plus inoffensif et le
plus caché jusqu’à arriver progressivement à la manifestation la plus visible et la plus violent,
voire fatale tel le meurtre. Cette ascension dans la gravité des actes dépend souvent de
l'intensité de l’émotion négative qui les motive et leur expression est notamment tributaire du
malaise engendré par une situation de stress au travail (O’Leary-Kelly, Griffin et Glew, 1996).
L’émotivité est située au cœur même de ce processus témoignant d'une toxicité qui engendre
une violation des normes comportementales conditionnant un climat et un espace de travail
sains (Spector, 1975 ; Chen et Spector, 1992 ; Fox et Spector, 1999).

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2. PRESENTATION DU MODELE ET DES HYPOTHESES DE RECHERCHE
La compréhension de la dynamique psychologique et comportementale explicative du lien
stress/burnout/agressivité repose sur les apports de la théorie transactionnelle du stress et le
modèle de la frustration de Spector (1978). Ce cadre met l'accent sur le poids des réactions
émotives de l’individu face à une situation anxiogène ; réactions qui sont un véritable
leitmotiv pour le développement de comportements violents. Le point de départ semble être
une transaction anxiogène où le seuil personnel de réceptivité et certains traits de personnalité,
peuvent intervenir et intensifier la perturbation du bien-être des travailleurs lorsqu’ils font
face à des stresseurs organisationnels multiples. L'affectivité négative en tant que trait de
personnalité intervient largement dans l'accentuation d'un vécu de stress tel que démontré
dans différents travaux (Moyle, 1995 ; Spector, Fox et Van Katwyk, 1999 ; Fortunato et
Stone-Romero, 1999 ; Schaubroeck, Judge et Taylor, 1998). Ce trait de personnalité sert de
filtre perceptuel qui introduit un biais négatif dans l'interprétation de l'environnement de
travail (Watson, Clark et Tellegen, 1988). La nature nerveuse et impulsive des salariés ayant
une affectivité négative importante, est un facteur d’intensification du malaise ressenti lors de
l’exposition à des stresseurs organisationnels anxiogènes (Spector, Fox et Van Katwyk, 1999).

Hypothèse 1a : L’'affectivité négative influence positivement la tension de stress au travail.

Certains traits de personnalité liés à des processus cognitifs peuvent aussi accentuer un vécu
de stress professionnel. La nature du lieu de contrôle s’inscrit notamment dans ce cadre
(Rotter, 1966). Le lieu de contrôle (locus) correspond à une relation causale de moyen - fin,
sous-jacente à l'appréciation des capacités propres dont dispose un individu lorsqu'il doit faire
face à une situation perturbatrice ou à un challenge (Skinner, 1996). Les individus à locus de
contrôle externe identifient et attribuent ce qui leur arrive à des facteurs sur lesquels ils n'ont
aucune maîtrise (Rotter, 1990). Dans les études portant sur le stress, cette dimension de la
personnalité joue un rôle dans l'intensification de l'état de tension généré par des facteurs
organisationnels (Spector et O'Connell 1994 ; Lam et Schaubroeck, 2000 ; Siu et al., 2002).
Les individus à locus de externe sont conscients de leur impuissance face aux agents de stress ;
cette conscience a pour effet de majorer la tension ressentie (Bernardi, 1997 ; Kirkcaldy,
Shephard et Furnham, 2002).

Hypothèse 1b : Un lieu de contrôle externe accentue la tension générée par les agents de
stress.

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L'incitation pressante et continue des capacités motrices de l'homme constitue l'essentiel de la
charge quantitative de travail qui provoque un sentiment d'épuisement chez les travailleurs
(Brunstein, 1999 ; Légeron, 2001). Les rythmes et les cadences imposés par des modes
opératoires contraignants provoquent la fatigue progressive du corps (Fox, Dwyer et Ganster,
1993). À ce premier facteur de stress s’ajoutent les conflits et ambiguïtés de rôle (Rizzo et al.,
1970 ; Toppinen-Tanner, Kalimo et Mutanen, 2002) qui correspondent à un mode opératoire
où le flou règne concernant la manière d'agir sans directives claires qui guident le processus
de réalisation des tâches. Les effets de ces stresseurs organisationnels sont majorés par les
conflits interpersonnels. Lorsque les responsabilités sont mal ou non définies, certains abus
sont permis ; ce qui permet à chacun d'empiéter sur le rôle de l'autre, créant ainsi une
confusion des rapports et des rôles. Lorsque l'animosité des rapports est telle que le climat de
travail s’en trouve détérioré, l'inconfort de cette situation provoque un état de stress chez les
salariés (Dormann et Zapf, 2002 ; Sparrowe et al., 2001). C’est l’addition de ces stresseurs
organisationnels qui est à la base de la souffrance des travailleurs soumis à de telles
conditions de travail.

Hypothèse 2a : La charge quantitative de travail influence positivement la tension de stress.
Hypothèse 2b : L’ambiguïté des rôles influence positivement la tension de stress.
Hypothèse 2c : L’existence de rapports interpersonnels conflictuels influence positivement la
tension de stress.

La perturbation du bien-être des travailleurs est générée par l’interaction entre des facteurs
individuels et organisationnels. D’intensité peu ou prou surmontable au début, ce malaise
s’accentue avec le temps à cause de l’accumulation de situations stressantes, menant ainsi à
un état d’usure. Le passage à cet état avancé de stress ne se fait pas de manière linéaire. Il est
tributaire de la réussite ou de l'échec des stratégies de coping auxquelles un individu peut
recourir (Lazarus et Folkman, 1984 ; Parker, Endler et Bagby, 1994). Il peut choisir d’agir
seul sur la source même du problème ou faire appel à autrui pour sortir de ce malaise ou pour
trouver une solution salutaire (Crant, 2000 ; Bleise et Britt, 2001 ; Pelfrene et al., 2002). Les
modes d'adaptation ont, dans ce cas, un effet modérateur dans un vécu de stress au travail.
L'effet des stratégies de coping va dans le sens d'une atténuation de l'intensité de la tension
engendrée par le stress, empêchant ainsi l’épuisement professionnel.

Hypothèse 3: Les stratégies de coping ont un rôle modérateur dans la relation entre stress et
burnout.

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L'état de burnout qui se fait ressentir chez des personnes au travail a pour principale
composante un épuisement émotionnel résultant d'une itération de situations frustrantes et
anxiogènes. À long terme, ce sentiment devient moteur d’un mode réactionnel négatif se
traduisant par des comportements violents. Les déterminants organisationnels de l'agressivité
au travail sont également les antécédents d'un état de stress professionnel (Chen et Spector,
1992 ; Kop, Euwema et Schaufeli, 1999). C'est souvent en réaction à des facteurs
perturbateurs tels qu’une surcharge de travail, un flou des objectifs et des procédures ou
encore des rapports interpersonnels tendus, que l'individu s'engage dans des actions
répréhensibles. La prévalence de ces manifestations est d'autant plus importante que
l'agresseur, au profil singulier, est sujet à un épuisement de ses ressources émotionnelles.
L'état de burnout constitue dans un tel schéma un activateur du recours à des comportements
violents au travail (Vigoda, 2000).

Hypothèse 4 : L'épuisement émotionnel motive le passage effectif à des actes de violence
adressés à l’encontre des pairs au travail ou de l’organisation.

Les relations de médiation et de modération qui sous-tendent l’étude de l’impact du stress sur
la violence au travail sont schématisées dans la figure suivante :

          Affectivité
           négative                                                                 Violence à
                                                                                  l’encontre des
                                                                                     personnes
           Lieu de
           contrôle
                                      Stress                         Burnout
           Charge
        quantitative de
           travail
                                                                                     Violence à
                                                                                   l’encontre de
           Conflits                                                               l’organisation
       interpersonnels                           Stratégies
                                                 de coping

         Ambiguïté de
            rôle

   Figure1 : Modèle théorique sur l'impact du stress sur la violence organisationnelle

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3. METHODOLOGIE DE RECHERCHE ET DESCRIPTION DE L'ECHANTILLON

La méthodologie adoptée est essentiellement quantitative, basée sur l’administration d’un
questionnaire auprès de 602 ouvriers d’une entreprise industrielle. Afin de vérifier l’existence
de toutes les caractéristiques rendues nécessaires par le cadre théorique (Igalens et Roussel,
1998), une étude exploratoire, basée sur des entretiens auprès de quatre responsables du
personnel a été réalisée. Certaines convergences, utiles à notre étude, émergent de l’analyse
des données recueillies et permettent de mettre l'accent sur deux préoccupations principales :
(1) la réalité du vécu de stress chez les salariées et les facteurs organisationnels causant cet
état de perturbation ; (2) le récit d'expériences d’actes de violence répétitifs sur le lieu de
travail. Les principaux facteurs organisationnels, cités par les interviewés, et identifiés comme
causant un état de stress chez les ouvriers, sont essentiellement, la charge quantitative de
travail, les postures et le rythme imposés par le mode de fonctionnement dicté par les
responsables hiérarchiques. Ajoutés à ces facteurs liés à un contexte de travail, toutes les
personnes interviewées ont également fait référence à des facteurs liés à la vie privée des
ouvriers. Le problème de la médiocrité des salaires par rapport au coût de la vie a été aussi
évoqué. Les répondants ont fait référence à la fatigue et à la frustration, qui accompagnent en
général le vécu de stress, et qui, par moment, active le recours à des actes violents dans un
cadre de travail. Les témoignages des responsables du personnel concernant des expériences
réelles de manifestations à caractère subversif, montrent une nette distinction entre des
agressions à l'encontre des pairs au travail et des agressions à l'encontre de l'entreprise. Le
tableau 1 rapporte des scènes relatives à des comportements violents manifestés par des
ouvriers sur le lieu du travail.

           Tableau 1 : Exemples de comportements violents sur le lieu de travail

    Cas de violence à l'encontre des pairs au travail        Cas de violence à l'encontre de l'organisation

- Deux collègues de travail se sont attaqués physiquement   - Sabotage : Trous dans les tissus, altération de la
parce qu'ils ne s'entendaient pas à propos d'un détail      composition du carrelage pour nuire à sa qualité,
concernant le travail. L'un d'eux a utilisé une lame et a   mettre du sucre dans le réservoir d'un camion de
blessé son collègue au visage.                              transport.
- Une dispute entre un ouvrier et son supérieur             - Vol de rouleaux de tissus avec suspicion de la
hiérarchique a poussé le premier à balancer violemment      complicité du gardien de nuit.
des caisses qui étaient à proximité.                        - Ralentissement fréquent et volontaire du rythme
-Un homme a frappé sa femme qui travaille dans la même      de travail.
entreprise, parce qu'il ne supportait plus ses remarques.
- Deux ouvrières se sont battues en s’arrachant
mutuellement les cheveux et en s'insultant.

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L’étude quantitative menée sur le terrain vise à tester un modèle explicatif d’une transaction
pathogène au travail et mettant en interaction la détérioration du bien-être et l’activation de
comportements à caractère agressif. À cet effet, une enquête par questionnaire a été conduite
auprès d’ouvriers tunisiens du secteur industriel évoluant dans une même entreprise.
L'administration s'est étendue sur une période de deux mois et s'est faite en face à face. Le
recours à ce mode d'administration a pour objet d'expliquer, de manière claire, le caractère
scientifique de la recherche et de simplifier le lexique employé dans le questionnaire et ce en
ayant recours, lorsque nécessaire, à l'arabe dialectal. Il s'agissait également de rassurer les
répondants, surtout par rapport à l'échelle de mesure de la déviance pour laquelle nous nous
attendions, autrement, à un taux de non réponse important. Les personnes ont été invitées à
remplir minutieusement l'ensemble des items composant le questionnaire, en les rassurant de
l’anonymat et de la confidentialité des données collectées. Au terme de la période
d'administration, 602 questionnaires exploitables ont été recueillis. Les caractéristiques
générales de l'échantillon de notre étude se présentent comme suit.

                 Tableau 2 : Caractéristiques descriptives de l'échantillon

                 Caractéristiques                    Nombre              Pourcentage
                             Moins de 20 ans            44                    7.2
                            Entre 20 et 30 ans         491                   81.6
          Age               Entre 30 et 40 ans          58                    9.6
                            Entre 40 et 50 ans          7                     1.2
                             Plus de 50 ans             2                     0.3
                            Moins de 6 mois            78                     13
                           Entre 6 mois et 1 an        89                    14.8
                             Entre 1 et 3 ans          183                   30.4
       Ancienneté            Entre 3 et 5 ans          85                    14.1
                             Entre 5 et 8 ans          120                   19.9
                            Entre 8 et 10 ans          28                     4.7
                             Plus de 10 ans            19                     3.2
                                    Homme              326                   54.2
          Sexe                      Femme              276                   45.8

3.1. Echelles de mesure, analyses et résultats
L'affectivité négative a été mesurée par l’échelle de Kercher (1992). C’est une version courte
de l’échelle de Watson, Clarck et Tellegen (1988), testée aussi par Mackinnon et al. (1999).
Le lieu de contrôle a été mesuré par l’échelle (Work Locus of Control : WLC) de Spector
(1988), échelle adaptée à un contexte de travail et composée de seize items (huit items pour le
lieu de contrôle interne et huit autres pour le lieu de contrôle externe). Nous avons retenu

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seulement les items mesurant le lieu de contrôle externe. Les échelles utilisées pour mesurer
la charge quantitative de travail (Quantitative Workload Inventory : QWI) et les conflits
interpersonnels (Interpersonal Conflict at Work Scale : ICWS) ont été développées par
Spector et Jex (1998) qui recommandent l'utilisation de manière simultanée ces différentes
échelles lorsqu'il s'agit de mener des études traitant du stress professionnel. Ces échelles sont
composées respectivement de quatre et de cinq items. Pour mesurer l'ambiguïté de rôle,
l’échelle à six items de Rizzo et al. (1970) a été utilisée. L'échelle de mesure du stress
professionnel retenue pour notre étude est celle développée par House et Rizzo (1972). Ces
auteurs emploient sept items pour décrire l'état de tension interne généré par des facteurs
organisationnels anxiogènes. Le recours à la notion de tension interne pour caractériser le
stress professionnel nous semble en adéquation avec l'optique transactionnelle de Lazarus et
Folkman (1984). L'échelle du "Job-Induced Tension" relate différents états de frustration, de
nervosité et de fatigue, corollaires à un état de stress. Afin de mesurer l’état de burnout, nous
avons retenu les 9 items composant la dimension “épuisement émotionnel” du MBI (Maslach
Burnout Inventory) de Maslach et Jackson (1981). Cette dimension est identifiée par Lee et
Ashforth (1996) comme étant la phase la plus significative lorsqu'il s'agit de décrire le
burnout. Les neuf items qui composent cette dimension sont sujets à une double évaluation de
la part des répondants. Il s'agit d'abord de préciser la fréquence de l'occurrence des différentes
situations d'épuisement. Ensuite, l'interviewé indique son avis quant à l'intensité de ces états.

Les stratégies d'adaptation ont été mesurées par l’échelle de Guest et Dewe (1990). Afin de
réduire le nombre d'items qui composent cette échelle, un pré-test a été effectué auprès d'un
échantillon de 162 ouvriers tunisiens. Les résultats des analyses statistiques nous ont permis
de réduire le nombre d'items de 45 à 23. Les comportements de violence et d'agressivité au
travail ont été mesurés par l’échelle de déviance organisationnelle développée par Robinson et
Bennett (2000). Cette échelle présente l'avantage d'une distinction claire entre les actes
déviants adressés à l'encontre des individus au travail, et ceux adressés à l'encontre de
l'organisation. Elle est composée de dix neuf items : sept sont relatifs à la dimension
agressivité interpersonnelle et douze décrivent des actes déviants orientés directement contre
l'organisation. Le répondant est amené à indiquer, sur une échelle de Likert à sept points, la
fréquence avec laquelle il a l’intention de s’engager dans les comportements violents décrits.
Les modalités de réponse varient de "jamais" à "tous les jours". Toutes les échelles retenues
ont fait l'objet d'une traduction inversée et certaines modifications afin de simplifier le
questionnaire ont été réalisées suite au pré-test.

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L'introduction dans notre questionnaire d'une échelle de désirabilité sociale nous a semblé
indispensable, du fait que la personne interrogée est invitée à répondre à l'échelle de déviance
organisationnelle en tant qu’agresseur. Avouer que l'on puisse avoir recours à ces
comportements peut être influencé par le désir d’être conforme aux normes socialement
valorisantes et non à celles susceptibles d'altérer l'image de soi du répondant et de provoquer
des jugements négatifs de la part d'autrui (Ganster et al., 1983). L'échelle retenue, composée
de dix items, est une version courte de l’échelle de Marlowe-Crowne (1960). Afin de nous
assurer que les réponses fournies par notre échantillon d'ouvriers sont exemptes de cette
influence, nous avons calculé les corrélations entre les items de l’échelle de désirabilité
sociale et ceux de l'échelle de déviance organisationnelle. Les corrélations obtenues sont
globalement non significatives ou très faibles, variant de -0.243 à 0,189. Ces corrélations
demeurent faibles et nous permettent d'affirmer que la mesure des comportements déviants
auprès de l’échantillon, est très faiblement affectée par le phénomène de désirabilité sociale
(King et Bruner, 2000 ; Pauls et Crost, 2004).

Les données collectées ont été analysées en deux étapes. En premier lieu, une analyse
factorielle exploratoire et une analyse de fiabilité ont été conduites pour évaluer la
dimensionnalité et la cohérence interne des construits. Un récapitulatif des échelles de mesure,
ainsi que leur fiabilité mesurée par l’alpha de Cronbach, figure dans le tableau 3. En second
lieu, les méthodes d’équations structurelles sous Lisrel 8.5 ont été appliquées pour tester les
relations entre les variables du modèle, en recourant à une Path analysis (analyse des pistes
“causales”). Cette technique permet de tester plusieurs relations entre des construits latents, en
utilisant des variables composées des moyennes des items retenus lors de l’analyse factorielle.
Afin de tester le rôle modérateur des stratégies de coping dans la relation entre l’état de stress
et le burnout, la procédure utilisée est celle de Ping (1995). Sa relative simplicité, sa fiabilité
et sa rigueur satisfaisante sont ses principaux avantages par rapport à d’autres démarches
d’analyse des effets modérateurs d’interaction (El Akremi et Roussel, 2003). Le tableau 4
résume les coefficients de régression suite à l’application d’une Path analysis sous Lisrel 8.5
à notre modèle. Les indices d’ajustement obtenus sont considérés très bons. Le premier indice
(Chi-2/ddl) est égal à [57,38/25 = 2.29] et satisfait ainsi le seuil préconisé de 2. Le RMSEA,
égal à 0.047, est inférieur au seuil de 0,05. Le CFI, égal à 0.97, est supérieur au seuil critique
de 0,95. Le GFI, égal à 0.98, est considéré comme très satisfaisant dans la mesure où sa valeur
dépasse le seuil préconisé de 0,95 (Roussel et al. 2002). Le pouvoir explicatif du modèle
mesuré par le coefficient R2 est satisfaisant et variant de 0.11 à 0.54.

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Tableau 3 : Récapitulatif des échelles retenues et de leur fiabilité
                  Echelle                            Source                      Alpha de Cronbach
           Affectivité négative                  Kercher (1992)                           0.74
             Lieu de contrôle                     Spector (1988)                          0.64
            Ambiguïté de rôle                     Rizzo (1970)                            0.71
       Charge quantitative de travail             Spector (1998)                          0.78
         Conflits interpersonnels             Spector et Jex (1998)                       0.83
           Stress (Job Tension)               House et Rizzo (1972)                       0.76
          Epuisement émotionnel             Maslach et Jackson (1981)                     0.87
                                                                             Orientation rationnelle dans la
                                                                         résolution des problèmes : non retenue
                                                                           Orientation émotionnelle dans la
                                                                           résolution des problèmes : 0.72
           Stratégies de coping               Guest et Dewe (1990)       Recours au soutien de la famille : 0.74
                                                                         Recours à la distraction : non retenue
                                                                           Passivité face au problème : 0.67
                                                                         Comportements déviants à l'encontre
                                                                                des personnes: 0.78
         Comportements déviants            Robinson et Bennett (2000)
                                                                         Comportements déviants à l'encontre
                                                                              de l'organisation: 0.81

            Désirabilité sociale            Marlowe et Crowne (1960)                         -

               Tableau 4 : Récapitulatif des résultats de l’analyse Path analysis
                                                                              Coefficients de
Variables à expliquer                   Variables explicatives                                     T de Student
                                                                               régression
 Violence à l'encontre                  Conflits interpersonnels                  γ = 0.35              5.99
    des personnes                       Epuisement émotionnel                     β = 0.13              2.87
      (R2=0.11)
                                                 Stress                           β = 0.57             10.56
                                    Charge quantitative de travail                γ = 0.45             10.90
Épuisement émotionnel                   Conflits interpersonnels                  γ = 0.20              4.56
      (R2=0.54)                    Recours au soutien de la famille              γ = -0.10              -2.31
                                   Stratégie émotionnelle de coping               γ = 0.13              2.88
                             Rôle modérateur du recours à la famille              γ = 0.09              2.08
                                        Lieu de contrôle externe                  γ = 0.12              4.68
                                          Affectivité négative                    γ = 0.33             10.16
        Stress
      (R2=0.49)                           Ambiguïté des rôles                    γ = -0.08              -2.28
                                    Charge quantitative de travail                γ = 0.19              7.08
                                        Conflits interpersonnels                  γ = 0.10              3.00
                                   Stratégie émotionnelle de coping               γ = 0.18              6.27
 Violence à l'encontre
   de l'organisation            Agressivité à l'encontre des personnes            β = 0.27              9.14
      (R2=0.13)

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3.2. Discussion des résultats
Les résultats des analyses réalisées par les méthodes d’équations structurelles permettent de
vérifier certaines hypothèses émises dans le modèle théorique ; ces résultats sont résumés
dans la figure 2. La genèse et la manifestation d'un état de stress auprès des ouvriers
interrogés semblent être expliquées par l'interaction des facteurs liés à la personnalité et des
facteurs organisationnels. L'affectivité négative et la nature du lieu de contrôle externe
favorisent l'émergence d'un état de stress chez ces ouvriers (γ=0.33 ; t = 10.16 ; p < 0.03 ;
γ=0.12 ; t = 4.68 ; p < 0.02). Ces résultats auprès des ouvriers montrent des similitudes avec
les études empiriques menées auprès d'autres catégories socioprofessionnelles, notamment des
cadres et du personnel hospitalier ; et où le poids de ces facteurs personnels est également mis
en cause dans l'explication d'un état de stress au travail (Brewer et Clippard, 2002 ; Chang,
Rand et Strunk, 2000 ; Toppinen-Tanner et al., 2002). Ces traits de personnalité favorisent et
accentuent la perception hostile et l'interprétation négative des facteurs anxiogènes dans
l'environnement organisationnel et les conditions de travail. La charge quantitative de travail
et les conflits interpersonnels semblent être directement impliqués dans la détérioration du
bien-être des individus interrogés (γ=0.19 ; t = 7.08 ; p < 0.03 ; γ=0.10 ; t = 3.00 ; p < 0.03).
Ces facteurs de travail anxiogènes interviennent non seulement dans l'activation d'un état de
stress mais sont également directement en amont de la manifestation d'un état de burnout chez
les ouvriers. L’impact de la charge quantitative de travail sur l’épuisement émotionnel semble
être particulièrement fort (γ=0.45 ; t = 10.90 ; p < 0.04). Ce résultat rejoint celui de l’étude
exploratoire qualitative au cours de laquelle les responsables du personnel interrogés ont mis
l’accent sur la charge et les cadences de travail imposées aux ouvriers. L’existence d’un
impact direct des facteurs anxiogènes tels que la charge quantitative de travail et les conflits
interpersonnels incite d’une part à relativiser la linéarité du passage d'un état de stress à un
état d’usure professionnelle, et suggère d’autre part la nécessité de "repenser" l'acception
donnée à la notion de stress au travail et les mesures employées à cet effet. Il semble pertinent
de distinguer les différentes mesures du stress en tant qu'état de tension, en tant qu'ensemble
de manifestations psychologiques et physiologiques ou encore en tant que série de facteurs
anxiogènes (Jex, Beehr et Roberts, 1992). Selon les résultats de notre étude, le stress, mesuré
comme un état de tension interne, semble être un antécédent parmi tant d’autres (par exemple
la charge quantitative de travail et les conflits interpersonnels) du burnout (Halbesleben et
Buckley, 2004 ; Lee et Ashforth, 1996 ; Leiter et Maslach, 2001 ; Maslach et Schaufeli,
1993 ; Maslach, Schaufeli et Leiter, 2001).

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Soutien de            Action sur
                                          la famille            l’émotion
                                                                                           Violence à
   Affectivité                                                                           l'encontre de
    négative                                                                            l'organisation

                            0.33                              -0.10
Lieu de contrôle                           0.18                        0.13      n.s
    externe                                            0.09

                     0.12            Stress                      Epuisement
                                                                 émotionnel                       0.27
                                                       0.57

    Charge
                                   0.19                         0.45            0.13
 quantitative de
    travail

                                                                                         Violence à
                                     -0.08                                             l'encontre des
Ambiguïté de rôle
                                                                                          personnes

     Conflits                                0.10                        0.20              0.35
 interpersonnels

          Figure 2 : Modèle final de l’impact du stress sur la violence au travail

Contrairement à l’hypothèse 2b, l’ambiguïté des rôles semble avoir un impact négatif sur l’état
de stress (γ=-0.08 ; t = -2.28 ; p < 0.03). Ce résultat va à l’encontre des études antérieures
réalisées auprès des ouvriers occidentaux (Toppinen-Tanner et al., 2002). Toutefois, il semble
intéressant selon une approche culturelle des études de stress. Les facteurs anxiogènes tels que
l’ambiguïté et le conflit de rôles agiraient différemment en termes de nature et de degré de
l’impact sur l’état de stress (Perrewé et al., 2002 ; Peterson et al., 1995). L’ambiguïté de rôle
désigne le flou qui caractérise la définition des tâches assignées aux ouvriers. Ces derniers
semblent être à l’aise avec cette ambiguïté qui ne constitue pas pour eux un facteur anxiogène.
Selon Zghal (1994), la culture tunisienne est une culture du flou. Ce qui implique la création
et le maintien de situations floues acceptées par tous grâce à l’absence et au refus de règles
précises et claires de fonctionnement, à l’existence de procédures ambiguës sujettes à de
multiples interprétations, et au recours au relationnel pour la résolution des problèmes.

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