Stress et violence organisationnelle : Analyse d'une interaction "pathogène" en milieu professionnel
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Stress et violence organisationnelle : Analyse d’une interaction “pathogène” en milieu professionnel Assâad El Akremi Maître de Conférences - LIRHE - IAE Toulouse Université des Sciences Sociales Place Anatole France 31042 Toulouse Cedex Tel. 05 61 63 38 67 / Fax. 05 61 63 38 60 assaad.el-akremi@univ-tlse1.fr Narjes Sassi Doctorante - ISG Tunis 41 rue de la Liberté, 4000 Le Bardo, Tunis Tel. 00 216 22 89 19 35 sassinarjes78@yahoo.fr Résumé : Les impératifs de performance et de rentabilité qui caractérisent la scène économique actuelle sont tels que le bien-être de l'Homme au travail est souvent altéré par de multiples facteurs organisationnels. Sujets à un état de stress et d'usure professionnelle, les salariés sont soumis à des tensions internes et des frustrations qui, souvent, activent le recours à des actions violentes qu'ils adressent à l'encontre des pairs au travail, ou à l'encontre de l'organisation en tant que telle. En mettant en relation les phénomènes de stress professionnel et de violence organisationnelle, c'est la part d'ombre et de souffrance qui envenime la vie au travail qui est mise en avant. Le cas particulier de 602 ouvriers du secteur industriel est étudié pour rendre compte de l'interaction singulière et perverse entre le burnout et la violence organisationnelle. Mots clé : Stress, Burnout, Coping, Violence interpersonnelle, Violence organisationnelle, Lisrel. 16ème Conférence de l’AGRH - Paris Dauphine - 15 et 16 Septembre 2005 1
« Le profit est une indication claire du succès et de la santé financière d’une organisation à un moment donné. Cependant il n’est pas nécessairement un bon prédicteur d’une performance future, sauf s’il tient compte de la capacité de l’organisation et de son personnel de maintenir et d’éventuellement accroître le niveau atteint » (Cartwright, Cooper et Murphy, 1996 : 217). L’accentuation des impératifs de rentabilité, la flexibilité de l’emploi, les restructurations permanentes et les sollicitations variées d’une mondialisation croissante instaurent un climat de pression et d’insécurité propice à l’émergence de tensions chez des travailleurs contraints à déployer des efforts continus d’ajustement et d'adaptation. Ces travailleurs sont de plus en plus sujets à un état de stress et à une détérioration de leur bien-être physique, psychologique et mental (Dejours, 1980, 1993 ; Aubert et Pagès, 1989 ; Dana et Griffin, 1999). La manifestation du stress génère souvent une détérioration du climat de travail et de la performance de l’entreprise (Cooper et Cartwright, 1994). Selon une étude récente de l’Organisation Internationale du Travail, le coût total du stress et de ses conséquences sur l’individu, l’organisation et la société peut représenter de 1 à 3,5% du PNB dans certains pays occidentaux (Hoel, Sparks et Cooper, 2001). Soumis à de fortes tensions, les travailleurs voient leur bien-être se détériorer progressivement et se sentent menacés par une organisation qui exige toujours davantage sans tenir compte de leur seuil de tolérance (Fox, Dwyer et Ganster, 1993 ; Boswell, Olson-Buchanan et LePine, 2004). L’existence d’un état de stress en milieu professionnel est alors corollaire de la genèse d’émotions négatives qui font que l’agressivité potentielle devienne effective contre autrui et contre l’organisation. Le "passage à l'acte" violent devient, dans ce cadre, l'unique mode d'expression et d'extériorisation des frustrations corollaires aux situations de stress auxquelles les salariés sont soumis (Chen et Spector, 1992 ; Fox et Spector, 1999 ; Fox, Spector et Miles, 2001 ; Tobin, 2001 ; Vigoda, 2002). S'inscrivant dans cette perspective, il s'agit de mettre en exergue, dans cette communication, le lien vicieux d'une agressivité individuelle effective en réponse à une agressivité organisationnelle symbolique véhiculée par des facteurs de travail anxiogènes. L’objectif est de comprendre la dynamique “pathogène” qui peut résulter de la difficulté d’adaptation entre des travailleurs aux profils particuliers et une organisation génératrice d’agents de stress professionnel. Pour ce faire, un modèle intégratif des liens entre stress et violence au travail est proposé. Le test de ce modèle est effectué auprès d’un échantillon de 602 ouvriers du secteur industriel. Les résultats, leur discussion et leurs implications sur les pratiques de GRH, minimisant les facteurs de stress et de violence et conciliant performance et bien-être des salariés, sont enfin exposés. 16ème Conférence de l’AGRH - Paris Dauphine - 15 et 16 Septembre 2005 2
1. STRESSET VIOLENCE AU TRAVAIL : UN MODELE TRANSACTIONNEL DE LA FRUSTRATION Le stress lorsqu'il est appréhendé selon son acception générique, en l'occurrence selon la définition que lui attribue H. Selye dans les années 1950, correspond à une réaction biologique du corps face à une excitation ou un danger de l'environnement qui menace l'équilibre du métabolisme. L'individu sujet à cet état d'excitation déploie des efforts afin de préserver et de conserver une certaine homéostasie et de maintenir stable son milieu interne quelles que soient les conditions extérieures et les agressions de l'environnement. Lorsque cet état de perturbation du bien-être concerne un individu au travail et lorsque les agressions de l'environnement sont plus particulièrement celles provoquées par le contenu ou le contexte du travail, il s'agit alors d'un stress dit professionnel (Aubert et Pagès, 1989). Le stress au travail devenant une réalité à laquelle il est impératif de faire face, les efforts se sont multipliés afin d'apporter d'une part, un éclairage sur les multiples facettes de ce phénomène, et d'autre part, de comprendre la genèse de ce malaise qui met en scène l'homme et l'organisation, les affecte au même titre et détériore leur performance. Les travaux de modélisation du stress professionnel tentent de l'appréhender de manière plus ou moins holistique, prenant en compte l'ensemble des facteurs individuels et organisationnels dont la rencontre est génératrice de stress (Beehr et Neuman, 1978 ; Cooper et Payne, 1978 ; Karasek, 1979). C’est en termes d’échange et de transaction que s’expliquent la genèse et la manifestation effective de cette détérioration du bien-être au travail. Fondée sur les principes de la théorie cognitive de l'évaluation (Lazarus, 1966), le stress transactionnel met l’accent sur les différences au niveau des traits de la personnalité dans la perception et dans la sensibilité aux facteurs stressants auxquels l'individu peut être confronté dans sa vie au travail. La théorie transactionnelle du stress (Lazarus et Folkman, 1984) annonce que le vécu de cet état de perturbation du bien-être au travail est conditionné par une double évaluation cognitive et émotionnelle, de la situation ou du facteur stressant et des capacités et aptitudes de l’individu à y faire face. Dés lors que la personne perçoit et ressent un écart entre ses ressources et l'intensité de l'agression qui la fragilise et l'épuise progressivement, le stress opère, affectant de prime abord le travailleur puis l'organisation. L’évaluation de la transaction anxiogène renseigne l’individu sur son vécu et lui permet de faire appel à certains mécanismes qui lui permettent de faire face aux stresseurs organisationnels et d’agir sur l’agression qui en émane. Ces ressources représentent les “stratégies d'adaptation” ou “stratégies de coping” (Lazarus et Folkman, 1984 ; Dewe et Guest, 1990 ; Endler et Parker, 1994 ; Neboit et Vézina, 2002). 16ème Conférence de l’AGRH - Paris Dauphine - 15 et 16 Septembre 2005 3
1.1. L’importance des stratégies d’adaptation Dans l’approche transactionnelle, l’état de stress dépend de la synergie entre deux processus fondamentaux, à savoir l’évaluation et les stratégies d’adaptation. Le coping peut consister en une réponse directe éliminant la source du danger, mais également en une réponse palliative, se résumant en une simple réduction de la perception du danger. L'adoption consciente et apprise de ces stratégies d’adaptation résulte de l'évaluation cognitive des ressources psychologiques d'un individu dans sa transaction avec l’environnement (Lazarus et Folkman, 1984 ; Lazarus, 1993). L'action sur l'émotion et/ou l'action sur le problème constituent les deux stratégies d'adaptation génériques qui offrent à l'individu un éventail de possibilités actives ou passives lui permettant de faire face à la situation de stress au travail. Le salarié peut également choisir d'éviter la situation anxiogène et adopter un comportement de fuite lui permettant de désagréger l'énergie négative provocatrice du stress (Endler et Parker, 1990, 1994). La fuite consiste en la recherche de possibilités d'ignorer le fait anxiogène et de dissiper la tension ressentie à travers le recours à des activités de distraction. Le choix de l'une de ces alternatives (agir sur la détresse émotionnelle, agir sur la source même du problème ou éviter la demande déstabilisatrice) est tributaire de l'attention que porte l'individu au fait stressant, du biais d'interprétation négatif qu'il peut lui attribuer (Cosway et al., 2000) et de son vécu de situations hostiles antérieures (Avero et al., 2002). À travers un processus d'apprentissage, le salarié aura recours à l'une ou l'autre de ces stratégies d'adaptation si elles l'ont déjà aidé à surmonter avec succès une situation de stress (Andrews et al., 2002). Les moyens dont dispose l'individu pour faire face au stress font souvent appel à ses propres ressources psychologiques, ce qui l'amène à vivre ce malaise dans l'isolement ; ce qui majore la souffrance qui accompagne la détérioration du bien-être. Évoluer dans un contexte social positif peut également aider l'individu à surmonter le stress professionnel (Bliese et Britt, 2001 ; Parker et Endler, 1992). Le recours au soutien social fait partie des stratégies d'adaptation collective où l'individu fait appel aux autres afin de trouver auprès d'eux une assistance permettant d’extérioriser le malaise qui accompagne un vécu de stress. Le soutien social a pour effet de modérer ce malaise et d'offrir une échappatoire pour les troubles des salariés sujet à un état de stress (Karasek et Theorell, 1990 ; Dejours et al., 1985 ; Kitaoka- Higashiguchi et al., 2003 ; Pelfrene et al., 2002). D'autres stratégies d'adaptation existent bien évidemment ; certaines sont réductrices et purement défensives (Vaillant, 1994) ; d’autres sont proactives permettant de prévenir un état de stress et donc de l'éviter (Crant, 2000). 16ème Conférence de l’AGRH - Paris Dauphine - 15 et 16 Septembre 2005 4
Cependant, un individu au profil particulier et évoluant dans un milieu de travail caractérisé par de nombreuses sources de stress risque d'épuiser, à plus ou moins long terme, la capacité de son organisme à s'ajuster aux stresseurs professionnels et organisationnels. En dépit du répertoire de coping auquel l’individu peut avoir recours, le stress au travail devient un problème lorsque les stresseurs persistent dans le temps ou lorsqu’il existe un écart très important entre les capacités de contrôle ou les ressources de l'individu et les exigences de l'environnement organisationnel. Le danger est dans ce cas plus important puisque l'état de tension, peu ou prou surmontable au départ, laisse progressivement la place à la manifestation d'un état d'épuisement, connu sous le vocable anglo-saxon de “burnout” (Freudenberger, 1974). En s'intéressant au vécu des personnes au travail, la psychopathologie éclaire la notion de burnout et accorde une considération particulière à la souffrance psychologique et mentale dont le travail est la cause primaire (Dejours, 1980, 1993). L'image de l'organisation “prison du psyché” (Chanlat, 1990) prend toute son ampleur dans une perspective du travail qui altère le bien-être des individus et les fragilise. L'emprise de l'organisation (Pagès et al., 1979) est telle que les instances psychiques des hommes sont constamment menacées et en alerte. Selon Maslach et Jackson (1981), le burnout est un état d'épuisement au travail auquel conduit une exposition chronique à des stresseurs organisationnels, ajoutée à une défaillance des mécanismes d'adaptation de l'individu sujet à ce malaise (Schaufeli et al., 1993). Le burnout est communément connu comme un processus palliatif en trois phases qui conduit progressivement à la détérioration progressive de la santé du travailleur et de son rapport au travail. L'individu ressent d'abord un épuisement de ses ressources émotionnelles d’adaptation qui le conduit graduellement à se distancier par rapport aux tâches qu'il est amené à réaliser. L'individu s'introduit dans une phase de dépersonnalisation, caractérisée par une forme de désengagement cynique par rapport au travail, le menant enfin à ressentir un sentiment de non accomplissement et d’incompétence au travail (Densten, 2001 ; Halbesleben et Buckley, 2004 ; Lee et Ashforth 1996 ; Maslach et Jackson, 1981). C'est une sensation interne d'oppression et d'aigreur qui désormais accompagne le travailleur soumis au burnout. Nombre d’études montrent les conséquences néfastes de ce malaise sur la satisfaction et l’engagement au travail (Lee et Ashforth 1996 ; Moore, 2000), l’intention de départ (Geurts et al., 1998 ; Wright et Cropanzano, 1998), les comportements citoyens au travail (Cropanzano et al., 2003) et surtout sur les performances individuelles et collectives (Maslach, 1982 ; Wright et Cropanzano, 1998). Le cercle vicieux de la frustration, due à une sensation de perte de contrôle et une incapacité à faire face à un contexte de travail menaçant, est alors déclenché. 16ème Conférence de l’AGRH - Paris Dauphine - 15 et 16 Septembre 2005 5
1.2. La violence organisationnelle : la frustration face à l’échec d’adaptation Cherchant à réagir à un état d'épuisement et contre une situation perturbatrice du bien-être, le salarié peut manifester certains changements dans ses comportements ; il s'agit notamment du recours à la consommation abusive d'alcool (Cooper et al., 1990) ou encore au recours à la violence conjugale et familiale (Jackson et Maslach, 1982). La charge émotionnelle pathogène que peut ressentir un individu au travail et qui accompagne un vécu de stress et d'usure le vulnérabilise et active chez lui le désir et la volonté de réagir de manière agressive. Afin de réduire la pression qui s'exerce sur eux et en eux, les travailleurs sont plus à même d'adopter des comportements dysfonctionnels qui peuvent nuire à l'organisation et aux membres qui la composent ; le stress et le burnout deviennent dans ce cas des moteurs à la manifestation d’actes ou de comportements agressifs au travail (Fox et Spector, 1999 ; Kop, Euwema et Schaufeli, 1999 ; Vigoda, 2002). La frustration des travailleurs s’amplifiant et s’accentuant sous l’effet de l’accumulation de circonstances de travail anxiogènes, le recours à des comportements violents devient l’ultime échappatoire pour une énergie négative destructrice. L’homme stressé et épuisé au travail devient alors un homme agressif parce que constamment “agressé” ; l’impression d’oppression et la multiplication des sollicitations auxquelles il est soumis favorisent l’émergence à un niveau explicite de comportements violents. Les termes d’agressivité et de violence sont souvent utilisés de manière indifférenciée dans les travaux traitant de la question et ce pour designer des faits et des actions qui transgressent un ordre et des normes pré-établies en insistant sur l'infraction et l'outrage qui en résultent (Berkowitz, 1993). Ce mode d'action perturbateur de l'individu et de la société fait appel à l'usage de la force qui devient violence lorsque celle-ci dépasse la mesure et porte atteinte à l'intégrité physique ou psychologique de l’individu en sa propre personne ou en ses biens. Dans les écrits plus spécifiques aux sciences de gestion (Leblanc et al., 2004 ; O’Leary-Kelly, Griffin et Glew, 1996), un intérêt récent est adressé au sujet du développement de comportements agressifs au travail. L’accent est mis sur la multitude des motivations pouvant provoquer le passage à des actes répréhensibles ainsi que sur la nature des préjudices qui sont engendrés au sein des organisations. C’est en réaction à une situation d’injustice au travail, ou par un désir de vengeance ou encore pour le simple plaisir pervers de perturber l’organisation ou les membres qui la composent que se manifestent effectivement, et de manière plus ou moins visible, des actes animés par la volonté de nuire et de porter préjudice (Giacalone et Greenberg, 1997 ; Leblanc et al., 2004). 16ème Conférence de l’AGRH - Paris Dauphine - 15 et 16 Septembre 2005 6
Le champ d’étude de la violence au travail demeure relativement nouveau. Afin de comprendre les mécanismes et les facteurs entrant en jeu dans cette manifestation organisationnelle, certains chercheurs font appel aux apports des théories de l’apprentissage social en plus des considérations d’ordres biologiques (Bandura, 1973 ; O’Leary-Kelly, Griffin et Glew, 1996). L’intrusion dans ces domaines a pour principal intérêt d’apporter un éclairage quant aux fondements du développement de ces comportements et d’identifier les facteurs surtout sociaux et environnementaux qui les favorisent. Pour désigner ces comportements manifestés dans un espace de travail, les terminologies sont multiples. L'emploi de qualificatifs tels que l'incivilité (Anderson et Pearson, 1999 ; Vardi, 2001), la déviance (Robinson et Bennett, 1995 ; Bennet et Roberson, 2000), l'agressivité (Baron et Neuman, 1998 ; Fox et Spector, 1999 ; Kaukiainen et al., 2001), le dysfonctionnement et l’anti-social (Griffin, O’Lerry-Kelly et Collins, 1998 ; Robinson et O’Learry-Kelly, 1998) et la contre-productivité (Fox, Spector et Miles, 2001) pour qualifier les actes violents perpétrés au sein des organisations, apporte une multitude de lectures à ce phénomène organisationnel. En dépit de cette apparente divergence quant à la terminologie à adopter, les auteurs s’accordent sur trois caractéristiques communes à leur appréhension de ce phénomène. Il s’agit d’abord de l’intention de porter atteinte qui anime l’agresseur. Cette volonté suggère une réflexion ou une cognition qui précède le passage à l’acte. Ensuite les chercheurs en la matière reconnaissent la bipolarité de la cible à laquelle sont adressés les actes violents à savoir l’organisation et les pairs dans l’organisation, à savoir les collègues et les supérieurs hiérarchiques (Baron et Neuman, 1996, 1998 ; Leblanc et al., 2004 ; Simard et al., 2004). Un acte de vandalisme, de sabotage ou de vol a pour cible l’organisation, alors que des rumeurs, des insultes ou des coups ont pour but de porter atteinte à une personne. Le troisième dénominateur commun aux écrits sur la violence au travail met l’accent sur le fait que la manifestation d’actes agressifs est graduée en sévérité ; en d’autres termes, ces actes s’inscrivent dans une sorte de spirale qui débute par le comportement le plus inoffensif et le plus caché jusqu’à arriver progressivement à la manifestation la plus visible et la plus violent, voire fatale tel le meurtre. Cette ascension dans la gravité des actes dépend souvent de l'intensité de l’émotion négative qui les motive et leur expression est notamment tributaire du malaise engendré par une situation de stress au travail (O’Leary-Kelly, Griffin et Glew, 1996). L’émotivité est située au cœur même de ce processus témoignant d'une toxicité qui engendre une violation des normes comportementales conditionnant un climat et un espace de travail sains (Spector, 1975 ; Chen et Spector, 1992 ; Fox et Spector, 1999). 16ème Conférence de l’AGRH - Paris Dauphine - 15 et 16 Septembre 2005 7
2. PRESENTATION DU MODELE ET DES HYPOTHESES DE RECHERCHE La compréhension de la dynamique psychologique et comportementale explicative du lien stress/burnout/agressivité repose sur les apports de la théorie transactionnelle du stress et le modèle de la frustration de Spector (1978). Ce cadre met l'accent sur le poids des réactions émotives de l’individu face à une situation anxiogène ; réactions qui sont un véritable leitmotiv pour le développement de comportements violents. Le point de départ semble être une transaction anxiogène où le seuil personnel de réceptivité et certains traits de personnalité, peuvent intervenir et intensifier la perturbation du bien-être des travailleurs lorsqu’ils font face à des stresseurs organisationnels multiples. L'affectivité négative en tant que trait de personnalité intervient largement dans l'accentuation d'un vécu de stress tel que démontré dans différents travaux (Moyle, 1995 ; Spector, Fox et Van Katwyk, 1999 ; Fortunato et Stone-Romero, 1999 ; Schaubroeck, Judge et Taylor, 1998). Ce trait de personnalité sert de filtre perceptuel qui introduit un biais négatif dans l'interprétation de l'environnement de travail (Watson, Clark et Tellegen, 1988). La nature nerveuse et impulsive des salariés ayant une affectivité négative importante, est un facteur d’intensification du malaise ressenti lors de l’exposition à des stresseurs organisationnels anxiogènes (Spector, Fox et Van Katwyk, 1999). Hypothèse 1a : L’'affectivité négative influence positivement la tension de stress au travail. Certains traits de personnalité liés à des processus cognitifs peuvent aussi accentuer un vécu de stress professionnel. La nature du lieu de contrôle s’inscrit notamment dans ce cadre (Rotter, 1966). Le lieu de contrôle (locus) correspond à une relation causale de moyen - fin, sous-jacente à l'appréciation des capacités propres dont dispose un individu lorsqu'il doit faire face à une situation perturbatrice ou à un challenge (Skinner, 1996). Les individus à locus de contrôle externe identifient et attribuent ce qui leur arrive à des facteurs sur lesquels ils n'ont aucune maîtrise (Rotter, 1990). Dans les études portant sur le stress, cette dimension de la personnalité joue un rôle dans l'intensification de l'état de tension généré par des facteurs organisationnels (Spector et O'Connell 1994 ; Lam et Schaubroeck, 2000 ; Siu et al., 2002). Les individus à locus de externe sont conscients de leur impuissance face aux agents de stress ; cette conscience a pour effet de majorer la tension ressentie (Bernardi, 1997 ; Kirkcaldy, Shephard et Furnham, 2002). Hypothèse 1b : Un lieu de contrôle externe accentue la tension générée par les agents de stress. 16ème Conférence de l’AGRH - Paris Dauphine - 15 et 16 Septembre 2005 8
L'incitation pressante et continue des capacités motrices de l'homme constitue l'essentiel de la charge quantitative de travail qui provoque un sentiment d'épuisement chez les travailleurs (Brunstein, 1999 ; Légeron, 2001). Les rythmes et les cadences imposés par des modes opératoires contraignants provoquent la fatigue progressive du corps (Fox, Dwyer et Ganster, 1993). À ce premier facteur de stress s’ajoutent les conflits et ambiguïtés de rôle (Rizzo et al., 1970 ; Toppinen-Tanner, Kalimo et Mutanen, 2002) qui correspondent à un mode opératoire où le flou règne concernant la manière d'agir sans directives claires qui guident le processus de réalisation des tâches. Les effets de ces stresseurs organisationnels sont majorés par les conflits interpersonnels. Lorsque les responsabilités sont mal ou non définies, certains abus sont permis ; ce qui permet à chacun d'empiéter sur le rôle de l'autre, créant ainsi une confusion des rapports et des rôles. Lorsque l'animosité des rapports est telle que le climat de travail s’en trouve détérioré, l'inconfort de cette situation provoque un état de stress chez les salariés (Dormann et Zapf, 2002 ; Sparrowe et al., 2001). C’est l’addition de ces stresseurs organisationnels qui est à la base de la souffrance des travailleurs soumis à de telles conditions de travail. Hypothèse 2a : La charge quantitative de travail influence positivement la tension de stress. Hypothèse 2b : L’ambiguïté des rôles influence positivement la tension de stress. Hypothèse 2c : L’existence de rapports interpersonnels conflictuels influence positivement la tension de stress. La perturbation du bien-être des travailleurs est générée par l’interaction entre des facteurs individuels et organisationnels. D’intensité peu ou prou surmontable au début, ce malaise s’accentue avec le temps à cause de l’accumulation de situations stressantes, menant ainsi à un état d’usure. Le passage à cet état avancé de stress ne se fait pas de manière linéaire. Il est tributaire de la réussite ou de l'échec des stratégies de coping auxquelles un individu peut recourir (Lazarus et Folkman, 1984 ; Parker, Endler et Bagby, 1994). Il peut choisir d’agir seul sur la source même du problème ou faire appel à autrui pour sortir de ce malaise ou pour trouver une solution salutaire (Crant, 2000 ; Bleise et Britt, 2001 ; Pelfrene et al., 2002). Les modes d'adaptation ont, dans ce cas, un effet modérateur dans un vécu de stress au travail. L'effet des stratégies de coping va dans le sens d'une atténuation de l'intensité de la tension engendrée par le stress, empêchant ainsi l’épuisement professionnel. Hypothèse 3: Les stratégies de coping ont un rôle modérateur dans la relation entre stress et burnout. 16ème Conférence de l’AGRH - Paris Dauphine - 15 et 16 Septembre 2005 9
L'état de burnout qui se fait ressentir chez des personnes au travail a pour principale composante un épuisement émotionnel résultant d'une itération de situations frustrantes et anxiogènes. À long terme, ce sentiment devient moteur d’un mode réactionnel négatif se traduisant par des comportements violents. Les déterminants organisationnels de l'agressivité au travail sont également les antécédents d'un état de stress professionnel (Chen et Spector, 1992 ; Kop, Euwema et Schaufeli, 1999). C'est souvent en réaction à des facteurs perturbateurs tels qu’une surcharge de travail, un flou des objectifs et des procédures ou encore des rapports interpersonnels tendus, que l'individu s'engage dans des actions répréhensibles. La prévalence de ces manifestations est d'autant plus importante que l'agresseur, au profil singulier, est sujet à un épuisement de ses ressources émotionnelles. L'état de burnout constitue dans un tel schéma un activateur du recours à des comportements violents au travail (Vigoda, 2000). Hypothèse 4 : L'épuisement émotionnel motive le passage effectif à des actes de violence adressés à l’encontre des pairs au travail ou de l’organisation. Les relations de médiation et de modération qui sous-tendent l’étude de l’impact du stress sur la violence au travail sont schématisées dans la figure suivante : Affectivité négative Violence à l’encontre des personnes Lieu de contrôle Stress Burnout Charge quantitative de travail Violence à l’encontre de Conflits l’organisation interpersonnels Stratégies de coping Ambiguïté de rôle Figure1 : Modèle théorique sur l'impact du stress sur la violence organisationnelle 16ème Conférence de l’AGRH - Paris Dauphine - 15 et 16 Septembre 2005 10
3. METHODOLOGIE DE RECHERCHE ET DESCRIPTION DE L'ECHANTILLON La méthodologie adoptée est essentiellement quantitative, basée sur l’administration d’un questionnaire auprès de 602 ouvriers d’une entreprise industrielle. Afin de vérifier l’existence de toutes les caractéristiques rendues nécessaires par le cadre théorique (Igalens et Roussel, 1998), une étude exploratoire, basée sur des entretiens auprès de quatre responsables du personnel a été réalisée. Certaines convergences, utiles à notre étude, émergent de l’analyse des données recueillies et permettent de mettre l'accent sur deux préoccupations principales : (1) la réalité du vécu de stress chez les salariées et les facteurs organisationnels causant cet état de perturbation ; (2) le récit d'expériences d’actes de violence répétitifs sur le lieu de travail. Les principaux facteurs organisationnels, cités par les interviewés, et identifiés comme causant un état de stress chez les ouvriers, sont essentiellement, la charge quantitative de travail, les postures et le rythme imposés par le mode de fonctionnement dicté par les responsables hiérarchiques. Ajoutés à ces facteurs liés à un contexte de travail, toutes les personnes interviewées ont également fait référence à des facteurs liés à la vie privée des ouvriers. Le problème de la médiocrité des salaires par rapport au coût de la vie a été aussi évoqué. Les répondants ont fait référence à la fatigue et à la frustration, qui accompagnent en général le vécu de stress, et qui, par moment, active le recours à des actes violents dans un cadre de travail. Les témoignages des responsables du personnel concernant des expériences réelles de manifestations à caractère subversif, montrent une nette distinction entre des agressions à l'encontre des pairs au travail et des agressions à l'encontre de l'entreprise. Le tableau 1 rapporte des scènes relatives à des comportements violents manifestés par des ouvriers sur le lieu du travail. Tableau 1 : Exemples de comportements violents sur le lieu de travail Cas de violence à l'encontre des pairs au travail Cas de violence à l'encontre de l'organisation - Deux collègues de travail se sont attaqués physiquement - Sabotage : Trous dans les tissus, altération de la parce qu'ils ne s'entendaient pas à propos d'un détail composition du carrelage pour nuire à sa qualité, concernant le travail. L'un d'eux a utilisé une lame et a mettre du sucre dans le réservoir d'un camion de blessé son collègue au visage. transport. - Une dispute entre un ouvrier et son supérieur - Vol de rouleaux de tissus avec suspicion de la hiérarchique a poussé le premier à balancer violemment complicité du gardien de nuit. des caisses qui étaient à proximité. - Ralentissement fréquent et volontaire du rythme -Un homme a frappé sa femme qui travaille dans la même de travail. entreprise, parce qu'il ne supportait plus ses remarques. - Deux ouvrières se sont battues en s’arrachant mutuellement les cheveux et en s'insultant. 16ème Conférence de l’AGRH - Paris Dauphine - 15 et 16 Septembre 2005 11
L’étude quantitative menée sur le terrain vise à tester un modèle explicatif d’une transaction pathogène au travail et mettant en interaction la détérioration du bien-être et l’activation de comportements à caractère agressif. À cet effet, une enquête par questionnaire a été conduite auprès d’ouvriers tunisiens du secteur industriel évoluant dans une même entreprise. L'administration s'est étendue sur une période de deux mois et s'est faite en face à face. Le recours à ce mode d'administration a pour objet d'expliquer, de manière claire, le caractère scientifique de la recherche et de simplifier le lexique employé dans le questionnaire et ce en ayant recours, lorsque nécessaire, à l'arabe dialectal. Il s'agissait également de rassurer les répondants, surtout par rapport à l'échelle de mesure de la déviance pour laquelle nous nous attendions, autrement, à un taux de non réponse important. Les personnes ont été invitées à remplir minutieusement l'ensemble des items composant le questionnaire, en les rassurant de l’anonymat et de la confidentialité des données collectées. Au terme de la période d'administration, 602 questionnaires exploitables ont été recueillis. Les caractéristiques générales de l'échantillon de notre étude se présentent comme suit. Tableau 2 : Caractéristiques descriptives de l'échantillon Caractéristiques Nombre Pourcentage Moins de 20 ans 44 7.2 Entre 20 et 30 ans 491 81.6 Age Entre 30 et 40 ans 58 9.6 Entre 40 et 50 ans 7 1.2 Plus de 50 ans 2 0.3 Moins de 6 mois 78 13 Entre 6 mois et 1 an 89 14.8 Entre 1 et 3 ans 183 30.4 Ancienneté Entre 3 et 5 ans 85 14.1 Entre 5 et 8 ans 120 19.9 Entre 8 et 10 ans 28 4.7 Plus de 10 ans 19 3.2 Homme 326 54.2 Sexe Femme 276 45.8 3.1. Echelles de mesure, analyses et résultats L'affectivité négative a été mesurée par l’échelle de Kercher (1992). C’est une version courte de l’échelle de Watson, Clarck et Tellegen (1988), testée aussi par Mackinnon et al. (1999). Le lieu de contrôle a été mesuré par l’échelle (Work Locus of Control : WLC) de Spector (1988), échelle adaptée à un contexte de travail et composée de seize items (huit items pour le lieu de contrôle interne et huit autres pour le lieu de contrôle externe). Nous avons retenu 16ème Conférence de l’AGRH - Paris Dauphine - 15 et 16 Septembre 2005 12
seulement les items mesurant le lieu de contrôle externe. Les échelles utilisées pour mesurer la charge quantitative de travail (Quantitative Workload Inventory : QWI) et les conflits interpersonnels (Interpersonal Conflict at Work Scale : ICWS) ont été développées par Spector et Jex (1998) qui recommandent l'utilisation de manière simultanée ces différentes échelles lorsqu'il s'agit de mener des études traitant du stress professionnel. Ces échelles sont composées respectivement de quatre et de cinq items. Pour mesurer l'ambiguïté de rôle, l’échelle à six items de Rizzo et al. (1970) a été utilisée. L'échelle de mesure du stress professionnel retenue pour notre étude est celle développée par House et Rizzo (1972). Ces auteurs emploient sept items pour décrire l'état de tension interne généré par des facteurs organisationnels anxiogènes. Le recours à la notion de tension interne pour caractériser le stress professionnel nous semble en adéquation avec l'optique transactionnelle de Lazarus et Folkman (1984). L'échelle du "Job-Induced Tension" relate différents états de frustration, de nervosité et de fatigue, corollaires à un état de stress. Afin de mesurer l’état de burnout, nous avons retenu les 9 items composant la dimension “épuisement émotionnel” du MBI (Maslach Burnout Inventory) de Maslach et Jackson (1981). Cette dimension est identifiée par Lee et Ashforth (1996) comme étant la phase la plus significative lorsqu'il s'agit de décrire le burnout. Les neuf items qui composent cette dimension sont sujets à une double évaluation de la part des répondants. Il s'agit d'abord de préciser la fréquence de l'occurrence des différentes situations d'épuisement. Ensuite, l'interviewé indique son avis quant à l'intensité de ces états. Les stratégies d'adaptation ont été mesurées par l’échelle de Guest et Dewe (1990). Afin de réduire le nombre d'items qui composent cette échelle, un pré-test a été effectué auprès d'un échantillon de 162 ouvriers tunisiens. Les résultats des analyses statistiques nous ont permis de réduire le nombre d'items de 45 à 23. Les comportements de violence et d'agressivité au travail ont été mesurés par l’échelle de déviance organisationnelle développée par Robinson et Bennett (2000). Cette échelle présente l'avantage d'une distinction claire entre les actes déviants adressés à l'encontre des individus au travail, et ceux adressés à l'encontre de l'organisation. Elle est composée de dix neuf items : sept sont relatifs à la dimension agressivité interpersonnelle et douze décrivent des actes déviants orientés directement contre l'organisation. Le répondant est amené à indiquer, sur une échelle de Likert à sept points, la fréquence avec laquelle il a l’intention de s’engager dans les comportements violents décrits. Les modalités de réponse varient de "jamais" à "tous les jours". Toutes les échelles retenues ont fait l'objet d'une traduction inversée et certaines modifications afin de simplifier le questionnaire ont été réalisées suite au pré-test. 16ème Conférence de l’AGRH - Paris Dauphine - 15 et 16 Septembre 2005 13
L'introduction dans notre questionnaire d'une échelle de désirabilité sociale nous a semblé indispensable, du fait que la personne interrogée est invitée à répondre à l'échelle de déviance organisationnelle en tant qu’agresseur. Avouer que l'on puisse avoir recours à ces comportements peut être influencé par le désir d’être conforme aux normes socialement valorisantes et non à celles susceptibles d'altérer l'image de soi du répondant et de provoquer des jugements négatifs de la part d'autrui (Ganster et al., 1983). L'échelle retenue, composée de dix items, est une version courte de l’échelle de Marlowe-Crowne (1960). Afin de nous assurer que les réponses fournies par notre échantillon d'ouvriers sont exemptes de cette influence, nous avons calculé les corrélations entre les items de l’échelle de désirabilité sociale et ceux de l'échelle de déviance organisationnelle. Les corrélations obtenues sont globalement non significatives ou très faibles, variant de -0.243 à 0,189. Ces corrélations demeurent faibles et nous permettent d'affirmer que la mesure des comportements déviants auprès de l’échantillon, est très faiblement affectée par le phénomène de désirabilité sociale (King et Bruner, 2000 ; Pauls et Crost, 2004). Les données collectées ont été analysées en deux étapes. En premier lieu, une analyse factorielle exploratoire et une analyse de fiabilité ont été conduites pour évaluer la dimensionnalité et la cohérence interne des construits. Un récapitulatif des échelles de mesure, ainsi que leur fiabilité mesurée par l’alpha de Cronbach, figure dans le tableau 3. En second lieu, les méthodes d’équations structurelles sous Lisrel 8.5 ont été appliquées pour tester les relations entre les variables du modèle, en recourant à une Path analysis (analyse des pistes “causales”). Cette technique permet de tester plusieurs relations entre des construits latents, en utilisant des variables composées des moyennes des items retenus lors de l’analyse factorielle. Afin de tester le rôle modérateur des stratégies de coping dans la relation entre l’état de stress et le burnout, la procédure utilisée est celle de Ping (1995). Sa relative simplicité, sa fiabilité et sa rigueur satisfaisante sont ses principaux avantages par rapport à d’autres démarches d’analyse des effets modérateurs d’interaction (El Akremi et Roussel, 2003). Le tableau 4 résume les coefficients de régression suite à l’application d’une Path analysis sous Lisrel 8.5 à notre modèle. Les indices d’ajustement obtenus sont considérés très bons. Le premier indice (Chi-2/ddl) est égal à [57,38/25 = 2.29] et satisfait ainsi le seuil préconisé de 2. Le RMSEA, égal à 0.047, est inférieur au seuil de 0,05. Le CFI, égal à 0.97, est supérieur au seuil critique de 0,95. Le GFI, égal à 0.98, est considéré comme très satisfaisant dans la mesure où sa valeur dépasse le seuil préconisé de 0,95 (Roussel et al. 2002). Le pouvoir explicatif du modèle mesuré par le coefficient R2 est satisfaisant et variant de 0.11 à 0.54. 16ème Conférence de l’AGRH - Paris Dauphine - 15 et 16 Septembre 2005 14
Tableau 3 : Récapitulatif des échelles retenues et de leur fiabilité Echelle Source Alpha de Cronbach Affectivité négative Kercher (1992) 0.74 Lieu de contrôle Spector (1988) 0.64 Ambiguïté de rôle Rizzo (1970) 0.71 Charge quantitative de travail Spector (1998) 0.78 Conflits interpersonnels Spector et Jex (1998) 0.83 Stress (Job Tension) House et Rizzo (1972) 0.76 Epuisement émotionnel Maslach et Jackson (1981) 0.87 Orientation rationnelle dans la résolution des problèmes : non retenue Orientation émotionnelle dans la résolution des problèmes : 0.72 Stratégies de coping Guest et Dewe (1990) Recours au soutien de la famille : 0.74 Recours à la distraction : non retenue Passivité face au problème : 0.67 Comportements déviants à l'encontre des personnes: 0.78 Comportements déviants Robinson et Bennett (2000) Comportements déviants à l'encontre de l'organisation: 0.81 Désirabilité sociale Marlowe et Crowne (1960) - Tableau 4 : Récapitulatif des résultats de l’analyse Path analysis Coefficients de Variables à expliquer Variables explicatives T de Student régression Violence à l'encontre Conflits interpersonnels γ = 0.35 5.99 des personnes Epuisement émotionnel β = 0.13 2.87 (R2=0.11) Stress β = 0.57 10.56 Charge quantitative de travail γ = 0.45 10.90 Épuisement émotionnel Conflits interpersonnels γ = 0.20 4.56 (R2=0.54) Recours au soutien de la famille γ = -0.10 -2.31 Stratégie émotionnelle de coping γ = 0.13 2.88 Rôle modérateur du recours à la famille γ = 0.09 2.08 Lieu de contrôle externe γ = 0.12 4.68 Affectivité négative γ = 0.33 10.16 Stress (R2=0.49) Ambiguïté des rôles γ = -0.08 -2.28 Charge quantitative de travail γ = 0.19 7.08 Conflits interpersonnels γ = 0.10 3.00 Stratégie émotionnelle de coping γ = 0.18 6.27 Violence à l'encontre de l'organisation Agressivité à l'encontre des personnes β = 0.27 9.14 (R2=0.13) 16ème Conférence de l’AGRH - Paris Dauphine - 15 et 16 Septembre 2005 15
3.2. Discussion des résultats Les résultats des analyses réalisées par les méthodes d’équations structurelles permettent de vérifier certaines hypothèses émises dans le modèle théorique ; ces résultats sont résumés dans la figure 2. La genèse et la manifestation d'un état de stress auprès des ouvriers interrogés semblent être expliquées par l'interaction des facteurs liés à la personnalité et des facteurs organisationnels. L'affectivité négative et la nature du lieu de contrôle externe favorisent l'émergence d'un état de stress chez ces ouvriers (γ=0.33 ; t = 10.16 ; p < 0.03 ; γ=0.12 ; t = 4.68 ; p < 0.02). Ces résultats auprès des ouvriers montrent des similitudes avec les études empiriques menées auprès d'autres catégories socioprofessionnelles, notamment des cadres et du personnel hospitalier ; et où le poids de ces facteurs personnels est également mis en cause dans l'explication d'un état de stress au travail (Brewer et Clippard, 2002 ; Chang, Rand et Strunk, 2000 ; Toppinen-Tanner et al., 2002). Ces traits de personnalité favorisent et accentuent la perception hostile et l'interprétation négative des facteurs anxiogènes dans l'environnement organisationnel et les conditions de travail. La charge quantitative de travail et les conflits interpersonnels semblent être directement impliqués dans la détérioration du bien-être des individus interrogés (γ=0.19 ; t = 7.08 ; p < 0.03 ; γ=0.10 ; t = 3.00 ; p < 0.03). Ces facteurs de travail anxiogènes interviennent non seulement dans l'activation d'un état de stress mais sont également directement en amont de la manifestation d'un état de burnout chez les ouvriers. L’impact de la charge quantitative de travail sur l’épuisement émotionnel semble être particulièrement fort (γ=0.45 ; t = 10.90 ; p < 0.04). Ce résultat rejoint celui de l’étude exploratoire qualitative au cours de laquelle les responsables du personnel interrogés ont mis l’accent sur la charge et les cadences de travail imposées aux ouvriers. L’existence d’un impact direct des facteurs anxiogènes tels que la charge quantitative de travail et les conflits interpersonnels incite d’une part à relativiser la linéarité du passage d'un état de stress à un état d’usure professionnelle, et suggère d’autre part la nécessité de "repenser" l'acception donnée à la notion de stress au travail et les mesures employées à cet effet. Il semble pertinent de distinguer les différentes mesures du stress en tant qu'état de tension, en tant qu'ensemble de manifestations psychologiques et physiologiques ou encore en tant que série de facteurs anxiogènes (Jex, Beehr et Roberts, 1992). Selon les résultats de notre étude, le stress, mesuré comme un état de tension interne, semble être un antécédent parmi tant d’autres (par exemple la charge quantitative de travail et les conflits interpersonnels) du burnout (Halbesleben et Buckley, 2004 ; Lee et Ashforth, 1996 ; Leiter et Maslach, 2001 ; Maslach et Schaufeli, 1993 ; Maslach, Schaufeli et Leiter, 2001). 16ème Conférence de l’AGRH - Paris Dauphine - 15 et 16 Septembre 2005 16
Soutien de Action sur la famille l’émotion Violence à Affectivité l'encontre de négative l'organisation 0.33 -0.10 Lieu de contrôle 0.18 0.13 n.s externe 0.09 0.12 Stress Epuisement émotionnel 0.27 0.57 Charge 0.19 0.45 0.13 quantitative de travail Violence à -0.08 l'encontre des Ambiguïté de rôle personnes Conflits 0.10 0.20 0.35 interpersonnels Figure 2 : Modèle final de l’impact du stress sur la violence au travail Contrairement à l’hypothèse 2b, l’ambiguïté des rôles semble avoir un impact négatif sur l’état de stress (γ=-0.08 ; t = -2.28 ; p < 0.03). Ce résultat va à l’encontre des études antérieures réalisées auprès des ouvriers occidentaux (Toppinen-Tanner et al., 2002). Toutefois, il semble intéressant selon une approche culturelle des études de stress. Les facteurs anxiogènes tels que l’ambiguïté et le conflit de rôles agiraient différemment en termes de nature et de degré de l’impact sur l’état de stress (Perrewé et al., 2002 ; Peterson et al., 1995). L’ambiguïté de rôle désigne le flou qui caractérise la définition des tâches assignées aux ouvriers. Ces derniers semblent être à l’aise avec cette ambiguïté qui ne constitue pas pour eux un facteur anxiogène. Selon Zghal (1994), la culture tunisienne est une culture du flou. Ce qui implique la création et le maintien de situations floues acceptées par tous grâce à l’absence et au refus de règles précises et claires de fonctionnement, à l’existence de procédures ambiguës sujettes à de multiples interprétations, et au recours au relationnel pour la résolution des problèmes. 16ème Conférence de l’AGRH - Paris Dauphine - 15 et 16 Septembre 2005 17
Vous pouvez aussi lire