Que dit l'Ancien Testament de la violence?

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Que dit l’Ancien Testament de la
violence?
Corinne Lanoir enseigne l’Ancien Testament à l’Institut protestant de théologie
(IPT), à Paris. Voici son commentaire. Dans le Proche-Orient ancien, l’idéologie
royale domine, qui s’appuie largement sur la conquête militaire ; si le roi est un
berger et un bâtisseur, il est aussi celui qui marche devant ses troupes. C’est ainsi
qu’il assoit son autorité et sa puissance. Des éléments viennent relire cette
idéologie autrement. Même dans le livre de Josué, un des récits les plus violents
de conquête, le chapitre 1 ne présente pas seulement Josué comme un chef
militaire, mais aussi comme un chef liturgique, une sorte de rabbin.

Faire la guerre pour la vie
Le Seigneur lui dit : “Fortifie-toi et prends courage, car c’est toi qui mettras ce
peuple en possession du pays que j’ai juré à leurs pères de leur donner” (Jos 1,6),
et: “Que ce livre de la loi ne s’éloigne point de ta bouche ; médite-le jour et nuit”
(1,8). On peut également penser au texte de Deutéronome 20 à propos de la
convocation à la guerre: “Qui est-ce qui a bâti une maison neuve et ne s’y est
point encore établi ? Qu’il s’en aille et retourne chez lui, de peur qu’il ne meure
dans la bataille” (Dt 20, 5). Il en est de même pour celui qui vient de planter une
vigne ou de se marier. Il semble qu’il y ait des priorités vitales qui priment sur la
participation à la guerre. Quelques versets plus loin, on lit: “Si tu fais un long
siège pour t’emparer d’une ville (…), tu ne détruiras point les arbres en y portant
la hache, tu t’en nourriras et tu ne les abattras point” (Dt 20, 19). Même dans le
déploiement de la violence, il faut penser à la vie.

Voici un paradoxe: on fait la guerre pour la vie, pour arriver au shalom, à la
prospérité, au bien-être, qui est plus que l’arrêt de la guerre. Et si certains textes
présentent les peuples voisins comme des ennemis à supprimer, d’autres, en
particulier dans la Genèse, suggèrent qu’une cohabitation pacifique est possible.
Ainsi, Abraham met en place nombre d’alliances avec les peuples voisins, et sa
descendance inclut tous les groupes environnants.

Franchir les frontières autrement
Parmi les personnages représentant des alternatives à la violence, on trouve des
figures féminines. Rahab, la prostituée de Jéricho (Jos 2), peut être considérée
comme une passeuse qui permet de franchir les frontières autrement que par
l’invasion militaire. Elle aide les espions de Josué. Et la ville de Jéricho est
conquise davantage par une procession liturgique que par une vraie guerre.
Citons également Abigaïl, dans le premier livre de Samuel (chapitres 25 à 28).
Elle résout un conflit potentiel généré par son mari Nabal, face à David et ses
soldats. Par essence, les femmes ne sont pas plus fortes dans l’évitement de la
violence. On peut plutôt penser qu’elles agissent ainsi du fait de leur situation de
non-pouvoir, de non-parole, de mise sur la touche, qui les place dans l’obligation
de trouver d’autres solutions que la force pour agir.

La Bible pour miroir
Avoir vécu la catastrophe de l’exil et la déportation à Babylone conduit aussi
certains à penser les choses autrement. Quelques prophètes tardifs envisagent un
futur où il serait possible d’arrêter les guerres, ou chacun pourra vivre
paisiblement sous son figuier. “De leurs glaives, ils forgeront des charrues, et de
leurs lances, des serpes (…). On n’apprendra plus la guerre”, lit-on chez Michée
(4,3) et chez Esaïe (2,4). Mais certains résistent. Ainsi Joël écrit: “De leurs
charrues, ils forgeront des épées” (Jl 4,10); au moment du jugement universel
contre les nations, il faudra se préparer à nouveau. On repousse le combat à un
temps dernier, qui devient plus symbolique, celui des forces du bien contre celles
du mal.

Parler de non-violence, c’est parler de conflits et de la façon de les traiter pour
vivre et non en mourir. L’histoire de Ruth peut se lire comme une proposition de
transformation positive de conflit. On y trouve un conflit économique (la famine),
social (qui peut émigrer et comment seront accueillies les deux femmes émigrées
à leur retour), idéologique (Ruth est moabite, membre d’un peuple ennemi
irréconciliable d’Israël). Ces problèmes sont résolus l’un après l’autre au fil d’un
récit où chacun prend en charge une part des initiatives et des responsabilités. La
question de la violence et de la non-violence traverse les deux testaments.
L’Ancien Testament ne nous propose pas de modèles à suivre mais des “récits
miroirs” avec lesquels travailler nos propres interrogations.

  Josué 8, 24-30 Bible Louis Segond
  Lorsqu’Israël eut achevé de tuer tous les habitants d’Aï dans la campagne, dans
  le désert, où ils l’avaient poursuivi, et que tous furent entièrement passés au fil
  de l’épée, tout Israël revint vers Aï et la frappa du tranchant de l’épée. Il y eut
  au total douze mille personnes tuées ce jour-là, hommes et femmes, tous gens
  d’Aï. Josué ne retira point sa main qu’il tenait étendue avec le javelot, jusqu’à ce
  que tous les habitants eussent été dévoués par interdit. Seulement Israël garda
  pour lui le bétail et le butin de cette ville, selon l’ordre que l’Éternel avait
  prescrit à Josué. Josué brûla Aï, et en fit à jamais un monceau de ruines, qui
  subsiste encore aujourd’hui. Il fit pendre à un bois le roi d’Aï, et l’y laissa
  jusqu’au soir. Au coucher du soleil, Josué ordonna qu’on descendît son cadavre
  du bois; on le jeta à l’entrée de la porte de la ville, et l’on éleva sur lui un grand
  monceau de pierres, qui subsiste encore aujourd’hui. Alors Josué bâtit un autel
  à l’Éternel, le Dieu d’Israël […].

  Osée 13,8-9 et 12-16 Bible Louis Segond
  Je les attaquerai, comme une ourse à qui l’on a enlevé ses petits, et je
  déchirerai l’enveloppe de leur cœur; je les dévorerai, comme une lionne; les
  bêtes des champs les mettront en pièces. Ce qui cause ta ruine, Israël, c’est que
  tu as été contre moi, contre celui qui pouvait te secourir. […] L’iniquité
  d’Éphraïm est gardée, son péché est mis en réserve. […] C’est un enfant peu
  sage, qui, au terme voulu, ne sort pas du sein maternel. Je les rachèterai de la
  puissance du séjour des morts, je les délivrerai de la mort. Ô mort, où est ta
  peste? Séjour des morts, où est ta destruction? Mais le repentir se dérobe à
  mes regards! Éphraïm a beau être fertile au milieu de ses frères, le vent
d’orient viendra, le vent de l’Éternel s’élèvera du désert, desséchera ses
  sources, tarira ses fontaines. On pillera le trésor de tous les objets précieux.
  Samarie sera punie, parce qu’elle s’est révoltée contre son Dieu. Ils tomberont
  par l’épée; leurs petits enfants seront écrasés, et l’on fendra le ventre de leurs
  femmes enceintes.

Lire également
  Que dit le Nouveau Testament de la violence ?

Non-violence: premiers murmures
de paix en Israël depuis 2014
Il faut remonter à 2014 pour entendre le cri de la non-violence en Israël. Un
groupe de jeunes officiers frondeurs avaient alors fait scandale en dénonçant les
pratiques en vigueur au sein de l’unité 8200, chargée de l’espionnage
électronique des Palestiniens. Dans une lettre ouverte à leur Premier ministre, les
gradés écrivaient: “Nous refusons de prendre part aux actions contre les
Palestiniens et de continuer d’être l’instrument renforçant le pouvoir militaire
dans les territoires occupés.” Les soldats de l’unité 8200 n’exercent aucune
violence physique sur les Palestiniens, mais ils permettent aux services de
sécurité de procéder à des arrestations et, le cas échéant, à des interrogatoires
musclés.

En fait, les signataires de cette lettre entendaient dénoncer le principe même de
l’occupation militaire. “Les Palestiniens ne sont pas comme les Libanais ou les
Syriens. Ce sont des citoyens sous occupation qui n’ont pas un État pour les
défendre. Ils doivent bénéficier du même droit à la vie privée que les citoyens
israéliens. Ou alors, il faut cesser de les occuper”, expliquait à Réforme l’un des
frondeurs.

Plus de figure charismatique
Depuis 1967, l’occupation militaire de la Cisjordanie suscite des états d’âme chez
les Israéliens, tous appelés à servir dans l’armée, exceptés les juifs orthodoxes et
les citoyens arabes. Le mouvement de non-violence prend réellement son envol
lors de la première Intifada, en 1987. Pour la première fois, Israël doit faire face à
un soulèvement populaire. Il ne s’agit plus de monter au front contre une armée
régulière, mais de réprimer des émeutes provoquées par des adolescents armés
de lance-pierres.

Une figure de la non-violence émerge: Peretz Kidron, vétéran de la guerre des
Six-Jours (1967) et de celle du Kippour (1973). Il invente le “refus sélectif”. Sans
avoir à se déclarer objecteur de conscience ou à déserter, le soldat doit refuser
des ordres qu’il juge immoraux. “Le refus sélectif est probablement la
contribution la plus originale du mouvement de la paix israélien à l’arsenal de
protestation, au même titre que les principes de désobéissance civique forgés par
Gandhi et par Martin Luther King”, écrivait Peretz Kidron dans les années 1980.

Mais depuis sa mort, en 2011, la non-violence israélienne souffre cruellement de
l’absence de figure charismatique et de coups d’éclat médiatiques. L’occupation
de la Cisjordanie n’émeut plus guère les Israéliens, comme si elle était entrée
dans les mœurs. Les organisations vouées à la non-violence font l’objet d’un rejet
massif. Les témoignages sur les abus des militaires publiés chaque année par
l’ONG Brisons le silence suscitent immanquablement une large réprobation dans
l’opinion.
Des initiatives qui mobilisent
“L’idéal de non-violence s’inscrit à même dans le symbole de l’État d’Israël, la
menorah à sept branches, souligne pourtant Haïm Ouizemann, spécialiste des
textes bibliques. Celle-ci s’inspire directement de la vision biblique de Zacharie
qui, après la promulgation de l’Édit du roi perse Cyrus, autorise les exilés de
Babylone à revenir construire le Temple à Jérusalem: ‘Ni par la puissance ni par
la force, mais bien par mon esprit!’, dit l’Éternel Tsévaot” (Zacharie 4, 6).

Certaines initiatives parviennent à mobiliser. Les Combattants de la paix, une
organisation israélo-palestinienne, propose ainsi, chaque mois de mai, un jour du
souvenir alternatif. L’an dernier, près de 10000 personnes y ont participé. Au
moment où Israéliens et Palestiniens pleurent leurs combattants tombés au
champ d’honneur, des familles endeuillées des deux camps se réunissent pour
tenter de sortir du cycle de la haine. “J’ai réalisé pour la première fois que je
m’étais trompé d’ennemi. Je pensais que c’était le peuple juif, mais j’avais tort.
Nous avons un ennemi commun: la haine et la peur”, témoigne Souleiman
Khattib, un Palestinien de Ramallah. Un prêche aussi courageux que solitaire.

Violences sexuelles aux États-Unis
: vers un changement des
mentalités ?
Il y a un peu plus de deux ans, en octobre 2017, l’affaire Harvey Weinstein
secouait Hollywood et l’Amérique tout entière. L’inculpation du producteur de
cinéma pour viol et agression sexuelle a provoqué une libération de la parole
féminine. Elle a aussi amené la société américaine à remettre en question les
rapports et les inégalités entre les hommes et les femmes.

Après #MeToo, “il n’y aura pas de retour en arrière, c’est certain”, estime
Melissa Silverstein, fondatrice et rédactrice en chef du site Women and
Hollywood. “Mais ne soyons pas naïfs: les progrès que nous espérons voir à
Hollywood prendrons du temps”, prévient-elle. Car “le paternalisme et le sexisme
institutionnels sont très solidement ancrés.”

Une évolution dans les rapports hommes-
femmes.
D’importants changements sont néanmoins déjà notables, tant dans les mentalités
qu’au niveau légal. À Hollywood, de nombreuses professionnelles du cinéma
disent avoir constaté une évolution dans les rapports hommes-femmes. “J’ai
l’impression que les hommes commencent à se comporter un peu mieux, confiait
l’actrice et productrice américaine Julia Louis-Dreyfus. Il y a une nouvelle façon
de communiquer, une prise de conscience.” Sur les plateaux de tournage, une
nouvelle profession a même fait son apparition: le “coordinateur d’intimité”.
Celui-ci est présent pendant les scènes à caractère sexuel ou impliquant une
proximité entre les acteurs et le réalisateur. Le coordinateur est chargé de faire le
lien entre les différents membres de l’équipe de tournage et s’assure qu’aucun
abus n’est commis.

L’affaire Weinstein a très clairement montré que les abus sexuels étaient
favorisés par un déséquilibre du pouvoir entre hommes et femmes. C’est souvent
ce qui a contraint certaines jeunes actrices agressées par le producteur à se taire,
de peur de voir leur carrière ruinée. Pour briser le plafond de verre,
l’organisation féministe hollywoodienne Time’s Up, née du mouvement #MeToo, a
lancé un défi à l’industrie du cinéma: recruter davantage de femmes réalisatrices.
Un appel entendu par les grands studios. En 2019, 12% des plus gros succès au
box-office ont été réalisés par des femmes, contre seulement 4,5% en 2018.
#ChurchToo
Le phénomène #MeToo a également servi de catalyseur au mouvement
#ChurchToo. En 2018, des figures de la plus large dénomination protestante, la
Convention baptiste du Sud, ont témoigné sur les réseaux sociaux des agressions
sexuelles qu’elles avaient subies, pour certaines dans le cadre de leur
communauté religieuse. Les récits de ces femmes très respectées ont poussé
certaines dénominations à réfléchir à des moyens de mieux protéger leurs fidèles.
De nombreuses Églises ont généralisé la vérification des antécédents des
responsables religieux, appelés “background checks”. Selon le programme
chrétien LifeWay OneSource, qui propose ce type de services, quelque 1800
églises y ont adhéré en 2018.

Un vent de changement traverse également le monde des entreprises. De plus en
plus de compagnies cherchent aujourd’hui à créer un environnement de travail
plus sain. Selon un récent sondage d’Associated Press, quatre Américains sur dix
affirment que leur employeur leur a demandé de suivre une formation contre le
harcèlement sexuel au travail. 38% des salariés occupant une position
managériale déclarent avoir changé la manière dont ils interagissent avec leurs
employés depuis #MeToo.

Petite révolution
Cette petite révolution ne reflète toutefois pas toujours une évolution des
mentalités. Beaucoup d’hommes disent agir plus par peur de représailles que par
conviction. Un tiers des personnes interrogées par l’Associated Press affirment
même être opposées au changement sociétal provoqué par l’affaire Weinstein.
Selon une autre étude réalisée par l’association féministe Lean In, 60% des
hommes disent redouter un entretien en tête-à-tête avec une femme dans le cadre
du travail.

Les travaux d’une équipe de chercheuses américaines ont montré qu’après
#MeToo, certains hommes avaient commencé à traiter leurs collègues femmes
avec méfiance. “Lorsque des hommes commencent à dire à une femme : ‘Je ne
vais pas t’embaucher, je ne vais pas t’envoyer en voyage d’affaires, je vais
t’exclure de sorties entre collègues après le bureau’, c’est que l’on régresse”, juge
l’universitaire Rachel Sturm, qui a participé au groupe de recherche.
Du nouveau à l’école
Beaucoup de femmes espèrent qu’un ancrage juridique du problème contribuera
à faire changer progressivement les mentalités. La ministre de l’Éducation Betsy
DeVos s’apprête à dévoiler d’ici à quelques semaines de nouvelles règles dans les
écoles et sur les campus universitaires. Elles visent à mieux protéger les victimes
de harcèlement et de violences sexuelles, notamment au sein des jeunes couples.
En cas d’absence de réaction de la part des établissements, la nouvelle
réglementation prévoit des enquêtes fédérales et une éventuelle perte de
financement.

Certains États travaillent depuis peu à élargir l’application des lois sanctionnant
le harcèlement au travail aux dizaines de millions de salariés qui n’en bénéficient
pas en raison de leur statut particulier. C’est le cas notamment les travailleurs
indépendants ou encore des employés d’entreprises de moins de 15 salariés. Des
millions de femmes de ménage, d’aides à domicile ou de travailleurs agricoles
n’ont actuellement personne vers qui se tourner en cas de harcèlement sur leur
lieu de travail.

  Parole contre parole: les victimes face à
  Weinstein
  D’Harvey Weinstein ou de Jessica Mann et de Mimi Haleyi, ses principales
  accusatrices, qui dit la vérité ? Pendant trois semaines, c’est autour de cette
  question clé que s’est articulé le procès du producteur hollywoodien, qui vient
  de s’achever à New York.

  Alors que plus de 80 femmes ont accusé Harvey Weinstein d’agression ou de
  harcèlement sexuel, seules les déclarations de Jessica Mann et de Mimi Haleyi
  ont pu faire l’objet de poursuites judiciaires, nombre de faits étant prescrits.
  Vendredi 14 février, lors de son réquisitoire final au tribunal de Manhattan, la
  procureure Joan Illuzzi-Orbon a une dernière fois demandé aux jurés de croire
  les femmes venues témoigner contre le magnat du cinéma inculpé pour viols et
  agressions sexuelles en 2018. Elles n’ont “aucune raison de mentir. Elles ont
sacrifié leur dignité, leur intimité, leur quiétude dans l’espoir de faire entendre
  leur voix”, a-t-elle martelé au terme de trois semaines de procès marquées par
  les récits glaçants des victimes présumées.

  Les avocats d’Harvey Weinstein ont de leur côté tout fait pour semer le doute
  dans les esprits. Ils se sont notamment appuyés sur des courriels intimes
  échangés entre le producteur et les deux femmes, après les agressions
  supposées, pour tenter de convaincre les jurés que les rapports sexuels étaient
  consentis. Harvey Weinstein risque la prison à perpétuité. Il demeure visé dans
  plusieurs dizaines de procédures aux États-Unis, au Canada et en Europe.

Femmes malmenées dans la Bible:
sois soumise et tais-toi!
  “Que les femmes se taisent dans les assemblées: elles n’ont pas la permission
  de parler; elles doivent rester soumises, comme dit aussi la Loi. Si elles désirent
  s’instruire sur quelque détail, qu’elles interrogent leur mari à la maison. Il n’est
  pas convenable qu’une femme parle dans les assemblées.” 1 Corinthiens 14,
  34-35

Sois soumise et tais-toi ! Voilà un texte qu’il est devenu très difficile d’entendre…
Et d’ailleurs, j’en suis convaincu, Paul ne dirait pas cela aujourd’hui ! Ces paroles
sont liées au contexte culturel, patriarcal de l’époque. Du reste, l’apôtre ne peut
pas dire vraiment aux femmes qu’elles ne peuvent pas s’exprimer dans l’Église
puisque quelques chapitres auparavant, il évoque celles qui prient et prophétisent
en public (1 Corinthiens 11,5).

Pas le droit au chapitre
Par souci de remettre de l’ordre dans l’église de Corinthe, Paul invite sans doute
plutôt les femmes à ne pas bavarder. Ce qu’elles faisaient probablement parce
qu’elles étaient mises à l’écart… par les hommes. Comble de l’ironie, la situation
corinthienne est devenue prétexte à exclusion.

La première violence faite aux femmes, dans les Églises, est de leur dire qu’elles
n’ont pas droit au chapitre. Le refus d’autoriser aux femmes l’accès à certains
ministères reste pour moi un contre-témoignage flagrant à l’Évangile, pour lequel
“il n’y a plus ni Juif ni païen, il n’y a plus ni esclave ni citoyen libre, il n’y a plus ni
homme ni femme…” (Galates 3,28).

Femmes malmenées dans la Bible:
la lecture de la théologienne
Élisabeth Parmentier
“Femmes, soyez soumises à vos maris comme au Seigneur. Car le mari est le chef
de la femme, tout comme le Christ est le chef de l’Église, lui, le Sauveur de son
corps. Mais, comme l’Église est soumise au Christ, que les femmes soient
soumises en tout à leur mari. […] Maris, aimez vos femmes comme le Christ a
aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle. […] C’est ainsi que le mari doit
aimer sa femme, comme son propre corps. Celui qui aime sa femme s’aime lui-
même.” Éphésiens 5, 22-28.

Ne gardez que les versets en italique, et vous pourrez pérenniser la soumission
des femmes. Écrivez “seigneur” sans majuscule, remplacez mari par seigneur, et
vous pourrez dire : “Femmes, soyez soumises à l’homme comme à un seigneur”.
Dites que c’est un ordre “sacré”, et c’est la porte ouverte aux dominations
sociales et sexuelles.

“Un code domestique”
Les cultures –et longtemps l’Église chrétienne– ont transmis des stéréotypes
tronqués en instrumentalisant le texte fondateur. Il n’était plus lu, mais devenu
“code domestique”, sorti de son contexte historique. Le texte donne pourtant un
garde-fou clair: la soumission se réfère au “chef” (en grec, plutôt “tête” que
“patron”) Jésus Christ, qui sauve par le don de lui-même.

Depuis, la soumission de l’Église au Christ est renversée: c’est l’épouse qui est
valorisée et portée plus haut que le chef lui-même! Ce renversement est évident
dans la suite du texte (versets 25-29) qui introduit la part du mari, avec le verbe
de l’amour-agapé, amour-don. La soumission n’a pas seulement changé de sens au
profit de l’épouse, elle devient soumission libre et aimante de l’un(e) à l’autre.

À lire

Une Bible des femmes (éd. Labor et Fides)
L’innommable violence en Afrique
du Sud
Périodiquement, implacablement, les violences meurtrières éclatent dans les
grandes villes sud-africaines à l’encontre des ressortissants immigrés venus de
différents pays du continent, vivant paisiblement dans le pays de Mandela.

En 2008, en 2015 et de nouveau en ce début septembre 2019, des « immigrés
noirs » sont victimes de l’acharnement haineux des citoyens sud-africains, souvent
dans l’indifférence des forces de l’ordre et des dirigeants locaux. Si certains
représentants diplomatiques réagissent et font un effort pour protéger leurs
compatriotes (Nigeria, Ghana, Sénégal…), les « immigrés » venus de pays en
guerre ou de ceux qui sont ruinés par d’autres crises sont livrés à eux-mêmes
(Soudan, Somalie, RDC).

Les ressortissants étrangers, plus visibles dans les banlieues sud-africaines du fait
de leur nombre, sont les plus touchés par ces violences xénophobes. Lynchages,
attaques à la machette, bûchers publics… On dénombre officiellement plus de dix
morts. Le climat de terreur gagne. Les étrangers noirs vivent avec l’angoisse
devant ce « terrorisme de proximité ».

Violences d’une injustice insoutenable
Face à l’attitude ambiguë des autorités publiques, certains petits commerçants
s’organisent et passent à des formes risquées d’autodéfense ! Étudiants, cadres
moyens, vendeurs à la sauvette, prostituées… Un bon nombre de ces Africains
sont des sans-papiers qui se débrouillent pour survivre, sans bénéficier des aides
sociales régulières. Pour autant, les Sud-Africains de même condition ne
fantasment pas moins. Ils les accusent de voler leur travail, de bénéficier des
protections sociales indues.

Les violences qui ont embrasé les cités ne sont pas seulement d’une injustice
insoutenable, elles ont un fond pathétique. Ce qui s’exprime là n’est rien d’autre
qu’une protestation dramatique des millions de Sud-Africains laissés pour compte,
ces victimes du deal fondateur de la « nation arc-en-ciel », celui que Nelson
Mandela et les représentants de l’ancien régime de l’apartheid avaient imaginé,
en construisant l’avenir politique et économique de la première puissance
industrielle du continent.

Ce compromis a profité essentiellement aux Blancs, à la nouvelle bourgeoisie
noire, laissant se développer de grandes inégalités, générant des ressentiments
collectifs amers. Une bombe à retardement ! La paupérisation, largement à
l’œuvre dans les cités noires, a gagné les milieux des petits blancs. Le rêve d’une
société postapartheid souriante est devenu un cauchemar avéré. Chômage des
masses, crise de logement, aggravation des conditions de vie dans les townships,
sida, criminalité récurrente : ainsi est né un désenchantement généralisé, en
particulier à l’égard d’une classe politique outrageusement corrompue. Président
du pays de 2009 à 2018, Jacob Zuma incarne cette corruption politico-financière
en Afrique du Sud et dans la sous-région. Brisé, discrédité, le parti majoritaire,
l’ANC (African National Congrès) de Mandela, ne se maintient plus que par une
sorte de magie mémorielle, une fidélité aux sacrifices d’autrefois. Sans réelle
pertinence sur des formidables enjeux de l’heure. Sur sa gauche, un mouvement
radical s’est affirmé, animé quasi théâtralement par Julius Malema.

Julius Malema, l’icône des jeunes et des forces nationalistes noires, est la seule
voix à avoir fermement et clairement protesté contre la flambée xénophobe dans
le pays. « Je ne vous ai jamais vus frapper un Chinois, un Blanc, un Indien, sous
prétexte qu’ils n’ont pas de papiers. Mais regardez ce que vous faites à vos
propres frères africains ! Cela prouve que vous ne vous aimez pas vous-mêmes.
L’homme blanc vous a appris à vous haïr vous-mêmes, raison pour laquelle vous
haïssez vos propres frères africains (1). » Il a aussitôt ajouté, scandalisé : « J’ai
honte aujourd’hui qu’on m’appelle sud-africain. Les images atroces qui nous
viennent de certaines villes du pays sont totalement insupportables : vous frappez
des Noirs, vous massacrez vos frères africains. » Julius Malema voit assez juste. Il
est plus facile de déplacer la conflictualité vers les pauvres, de la fixer parmi eux,
que de s’en prendre aux injustices lourdes dont profitent les privilégiés, Blancs et
Noirs.

Il y a en Afrique du Sud une inculturation de la violence. Son hypothétique
guérison dans les institutions étatiques se révèle être un cautère sur une jambe
de bois sociale. De la même manière que jadis, la transition politique, depuis la
libération de Madiba à son élection comme président du pays, a vu une montée
terrifiante des affrontements intercommunautaires (les Zoulous, leur chef Gatsha
Buthelezi et l’extrême droite blanche coalisés contre l’ANC de Mandela), de la
même manière aujourd’hui le petit peuple, faute de s’en prendre aux cercles des
nantis, coagule ses frustrations dans la victimisation des immigrés d’origine
africaine.

La xénophobie n’est-elle pas un masque d’une violence autrement plus
structurante ? « Nous pouvons chasser de notre sol tous nos frères africains, mais
vous verrez qu’il n’y aura toujours pas de travail en Afrique du Sud », affirme
encore Julius Malema, en soulignant bien que la richesse de l’Afrique du Sud « est
entre les mains des Blancs qui refusent d’investir pour créer plus d’industries ».
Ce n’est pas tout.

La gangrène haineuse est de logique systémique. Cette conflictualité gagne et se
fixe sur certains étrangers clairement ciblés. Le scandale de sa répétition et
l’étendue actuelle de sa barbarie ont poussé certains chefs d’État africains à
boycotter le forum économique convoqué en Afrique du Sud.

Pour un pays qui prétend au leadership de l’Afrique, pour une société dont les
leaders spirituels et intellectuels chantent les valeurs de l’humanisme africain,
cela étale au grand jour un discrédit durable. De mal socio-économique, le
problème est devenu une opération pointant des allogènes africains, boucs
émissaires faciles. Outre les conséquences diplomatiques, le voilà tout entier
revêtir l’ampleur d’un ostracisme symbolique, politique même, à l’encontre de la
nation arc-en-ciel. Quelle ironie !

Dans les Églises aussi
L’onde de choc n’épargne pas les Églises. Le 6 septembre dernier, le pasteur
André Bokundoa, président de l’Église du Christ au Congo (RDC), a adressé au
secrétaire général du conseil des Églises chrétiennes d’Afrique du Sud une
vigoureuse interpellation : « La forme que prend cette barbarie étonne. Il ne s’agit
pas de xénophobie, par le fait que les autres étrangers vivant en Afrique du Sud
ne sont pas concernés […]. Infliger aux autres ce qui vous a fait pleurer, dénote
d’une amnésie collective que seul le manque de considération humaine peut
engendrer de suite d’une haine sans cause. […] ceux qui sont traqués jusqu’à la
mort, ont été créés à l’image de Dieu et à la ressemblance de Dieu et ont droit
d’être traités en toute dignité comme Dieu les traite. Nous venons exprimer notre
mécontentement et condamnons avec la dernière énergie cette entreprise de
basse besogne contre des humains, et qui en plus, n’ont fait aucun mal ou causé
un quelconque dommage par leur présence en Afrique du Sud (2). »

Le ton et les termes utilisés contrastent avec le langage habituel entre
ecclésiastiques. Cela en dit long sur la perception du danger auquel la diaspora
congolaise est exposée dans le pays de Desmond Tutu.

La furie contre les étrangers noirs est un symptôme des injustices plus ancrées et
sûrement des traumas ségrégationnistes plus enfouis. Cela a été une erreur de
considérer que la réconciliation nationale, interraciale, pouvait être gagnée par
un rite politico-juridique une fois pour toutes.

La commission Vérité et réconciliation ne pouvait être un événement de
dépassement. En vérité, cette réconciliation reste un processus qui devra intégrer
des nouveaux défis, souvent inédits, eu égard à la mondialisation de panique qui
fragilise encore plus dramatiquement les sociétés désorientées.

Philippe B. Kabongo-Mbaya, pasteur, président du mouvement du Christianisme
social

+ d’infos :
Site WakatSéra
bit.ly/2m3WRnr

     2. Lettre adressée à l’évêque Malusi Mpumlwana, par André Bokundoa-Bo-
        Likabe
Militants écologistes évacués dans
la violence
Les images tournent en boucle sur les réseaux sociaux depuis le vendredi 28 juin
avec différents montages. On y voit les militants d’Extinction Rébellion,
mouvement écologiste non-violent, investir le Pont Sully à Paris. Ils profitent de la
canicule qui touche le pays depuis quelques jours pour sensibiliser le grand public
à leur cause.

Ensuite, les images montrent l’évacuation des militants par les forces de police.
L’un des policiers arrose les participants avec une bombe lacrymogène ! Greta
Thunberg, la jeune activiste suédoise de 16 ans aujourd’hui mondialement
connue, a relayé l’information. Pourquoi cet usage de la violence contre ces
manifestants écologistes ? a demandé l’actrice Marion Cotillard. Cyril Dion,
auteur du documentaire très remarqué Demain, a lui publiquement refusé d’être
élevé à l’Ordre du Mérite suite à ces violences.

L’avis de l’ACAT
Marion Guemas est responsable programme police-justice-prisons à l’Action des
Chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT). Elle explique : « L’utilisation de
ces produits incapacitants est réglementée. L’instruction du ministère de
l’Intérieur date de 2017. On peut utiliser les containers lacrymogènes à main dans
le cadre d’une opération de maintien de l’ordre. Par exemple, un attroupement, ce
qui peut être le cas d’une manifestation non-déclarée. Il faut, au préalable,
procéder à des sommations, qui soient comprises et entendues. » Une enquête a
été ouverte par le ministère de l’Intérieur.

Un usage de la force disproportionnée
« Il faut faire attention aux images. Elles sont retravaillées et peuvent être sorties
de leur contexte, prévient la responsable associative. Il faut toujours se demander
si l’utilisation de la force était nécessaire et proportionnée. Là, il n’y avait aucun
danger pour les forces de l’ordr. L’usage de la force peut paraître
disproportionnée. Les manifestants ne semblaient pas présenter de réel danger.
D’autant plus que les bombes lacrymogènes ont été utilisées à une distance très
proche des visages. Or la réglementation précise qu’il faut que ce soit un jet bref
d’une seconde à plus d’un mètre de la cible pour éviter les lésions ou les brûlures.

Une enquête sur les violences
L’ACAT mène actuellement une enquête sur l’utilisation de la violence dans les
pratiques de maintien de l’ordre. Comment prend-on en charge des
manifestations qui ne sont pas déclarées? Comment le faire d’une manière
proportionnée et sans mettre en danger les personnes qui sont là ?

De la désobéissance civile des mouvements écologistes à la violence de certains
Gilets jaunes, les cas différent. Certaines manifestations dégénèrent alors que
d’autres non. « Nous essayons d’étudier les paramètres, ce qui n’est pas évident.
Ce basculement remonte aux manifestations autour de la Loi travail, de Notre-
Dame des Landes et Sivens, donc vers 2014. Désormais, les forces de l’ordre
viennent plus souvent au contact alors que la doctrine du maintien de l’ordre
préconise l’inverse. Jusqu’où va-t-on aller dans ce contact ? » Le rapport de
l’ACAT devrait sortir début 2020.

Laure Salamon

À voir

Le journaliste Clément Lanot a mis en ligne les images en intégralité, avant le
montage :
Violence contre les femmes : en
Espagne, un Pacte d’État
Depuis le début de l’année 2019, 12 femmes ont été assassinées en Espagne,
selon les statistiques officielles de l’Observatoire national de la violence de genre
qui suit l’évolution de toutes les violences faites aux femmes dans le pays. En
tout, ce sont plus de 980 femmes qui ont été tuées par un proche depuis janvier
2003, date à laquelle ces données ont commencé à être collectées.

Ces chiffres suggèrent que le nombre de féminicides n’a pas diminué
considérablement au cours des deux dernières décennies, mais que des progrès
ont été faits récemment. L’année 2018 s’est ainsi soldée avec l’assassinat de 47
femmes, le chiffre le plus bas depuis 2003. « Il est indéniable que la situation
s’améliore et que l’Espagne a l’une des législations les plus avancées d’Europe,
mais quantifier l’étendue des progrès n’est pas chose aisée. Le nombre de
plaintes reste élevé, ce qui ne signifie pas qu’il y ait plus de cas. Simplement, il
est possible que de plus en plus de femmes se sentent encouragées à porter
plainte et à sortir du cycle de la violence », explique Susana Martinez Novo,
avocate spécialisée dans le droit des femmes et présidente de l’association
Comisión para la Investigación de Malos Tratos a Mujeres.

Un grand « Pacte d’État contre la violence de genre » approuvé à l’unanimité fin
2017 par le Congrès (Chambre des députés) a marqué un tournant historique,
illustrant la volonté de tous les grands partis politiques d’en finir avec ces
violences. « La lutte contre les violences de genre a gagné en visibilité, mais cela
ne veut pas dire que les gens sont plus éduqués sur la question ou que les
mentalités changent rapidement », souligne Carmen Benito, présidente de
l’association Mujeres unidas contra el maltrato, qui accueille tous les jours en
moyenne deux nouvelles femmes victimes de violences.

En Espagne, la première loi spécifiquement dédiée à la lutte contre les violences
de genre date de 2004. Promesse de campagne du socialiste José Luis Rodríguez
Zapatero, c’est la première loi qui fut finalement adoptée par son gouvernement.
Elle a introduit en Espagne d’importantes réformes pénales, civiles et sociales, en
encadrant la mise en place de mesures de sensibilisation dans le domaine éducatif
et des formations à la détection des violences de genre pour les professionnels de
santé et les forces de police.

Par ailleurs, elle définit le droit des victimes à l’information, à l’assistance sociale
et à l’aide juridique gratuite, ainsi qu’aux prestations de la Sécurité sociale, et
crée des tribunaux spécifiques sur la violence contre les femmes. Un dispositif
connu sous le nom de Atenpro, mis en place dès la loi 2004 et piloté par la Croix-
Rouge a également permis de grandes avancées dans la protection des victimes
ayant déjà dénoncé et quitté l’auteur des violences. Ces femmes se voient
remettre un téléphone portable avec localisation GPS pour pouvoir contacter
directement un centre d’aide local, qui leur propose une écoute et appelle la
police très rapidement en cas de danger. À la fin 2018, plus de 13 000 femmes
bénéficiaient de ce service.

Former les juges
Des dispositions poussées qui ont permis à l’Espagne de s’illustrer comme un
pays pionnier en matière de législation contre les violences faites aux femmes et
qui expliquent que la situation se soit un peu améliorée au cours des quinze
dernières années.

« Cette loi a vraiment constitué un tournant dans la lutte contre les violences de
genre. Sauf qu’elle n’est pas toujours bien appliquée et l’expérience des femmes,
notamment dans le système juridique, est loin d’être idéale. Il y a surtout encore
un problème d’information et de formation des juges, des avocats et des médecins
qui sont au contact de ces femmes », souligne Carmen Benito.

Afin d’étendre le domaine d’application de la loi, les forces politique ont
commencé à travailler en 2016 sur le « Pacte d’État », contenant de nouvelles
dispositions, et surtout prévoyant un budget étendu pour pallier les limites de la
législation en vigueur. « Le pacte modifie la loi de 2004 en étendant la définition
de violence de genre à d’autres formes de violence, comme la violence sexuelle ou
la traite des femmes », explique Susana Martinez Novo.

Signé en décembre 2017, il donne surtout plus de responsabilités aux institutions
locales, comme les mairies, pour prendre en charge les victimes et leurs enfants,
et prévoit 214 nouvelles mesures pour accélérer la formation des professionnels
ou encore pour débloquer plus d’aides économiques pour les victimes, avant
même qu’elles se décident à porter plainte.
À l’école primaire
Avec un budget d’un milliard d’euros, les associations espéraient que le pacte
irait loin dans la prévention des violences. Cependant, les financements tardent
encore à se matérialiser et les 200 millions qui devaient être distribués aux
différentes institutions en 2018 n’ont toujours pas été débloqués. « Il y a un
manque de volonté politique. Avec les financements adéquats, on pourrait aller
vers une éradication de la violence. La signature du acte a déjà permis une plus
grande prise de conscience et une amélioration de la situation sur l’année
écoulée, mais sans argent, on ne pourra pas aller plus loin », prévient Carmen
Benito.

L’urgence est d’allouer des fonds pour aider les femmes qui quittent leur domicile
pour fuir des violences sur le plan logistique et économique.

Ensuite, pour les associations, la priorité à plus long terme serait le financement
d’initiatives pour sensibiliser les enfants à l’égalité homme-femme, dès l’école
primaire. Pour le moment, les établissements secondaires sont souvent les seuls à
bénéficier de sessions d’information sur le sujet, une fois par an.

C’est l’orientation qui a déjà été donnée au cursus scolaire dans les
établissements privés qui dépendent de l’Église réformée espagnole. « Dans nos
collèges et nos écoles, nous mettons en place de modules de sensibilisation à ces
problématiques et des ateliers pour lutter contre le harcèlement. Mais c’est un
message qui n’est pas encore bien mis en avant dans toutes les écoles d’Espagne.
Nous craignons un retour en arrière en matière de droits des femmes », souligne
le pasteur Alfredo Abad, président de l’Église réformée de Madrid.

Les élections d’avril 2019 constitueront selon lui le véritable test. Si la droite, et
notamment l’extrême droite incarnée par le parti Vox, gagne du terrain, certains
aspects du pacte et de la stratégie espagnole de lutte contre les violences de
genre pourraient être remis en cause.
Violences contre les femmes :
comment agir ?
Depuis 2016, les morts violentes au sein du couple ont augmenté de 9 %. La
situation des femmes (très majoritairement victimes) face aux violences
conjugales ne stagne pas, elle s’aggrave. Cette tendance se poursuit
malheureusement cette année, avec 34 femmes tuées depuis janvier. Les
penseurs, philosophes et psychiatres invoquent la déstabilisation du patriarcat :
#MeToo fragilise la domination de l’homme sur la femme. Le hashtag (qui
désigne le signe dièse précédant le nom du mouvement) a rendu plus perméable
la frontière entre le domaine privé et le domaine public. « Jusqu’à présent, la
violence était cachée derrière les murs des maisons et l’espace public n’avait pas
prise dessus. Avec #MeToo, cette frontière derrière laquelle la domination est
acceptable est de plus en plus fine », explique Anne Saulay, administratrice du
Sénat et membre de la Délégation aux droits des femmes. L’augmentation de la
violence radicale qui conduit un conjoint ou ex-conjoint à tuer découlerait donc
d’un véritable changement de paradigme en cours.

Vulnérabilité sous-estimée
Ce dévoilement des violences serait propre, selon Marie-France Casalis, porte-
parole du Collectif féministe contre le viol, à réveiller la volonté politique : «
Mettre fin à l’occultation des violences est le préalable à la possibilité d’engager
des politiques efficaces de prise en compte, de prévention, de sanction des
auteurs de ces actes. » Paradoxalement, les chiffres révèlent à quel point la prise
en charge de ces situations est insuffisante. Pourquoi autant de morts quand
l’Espagne (voir ci-contre) parvient à juguler en partie le phénomène ? « À chaque
nouveau drame, la justice et la police reprennent la même rengaine : On ne
pouvait pas l’éviter. Nous ne trouvons pas de système qui, au stade de la menace,
permet d’éviter le meurtre », pointe Anne Saulay.

Un avis que ne partage pas Madeline Da Silva, adjointe au maire des Lilas (93) et
qui a contribué à faire évoluer la loi contre les violences faites aux femmes. Car
les femmes qui meurent sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint sont tout
simplement mal protégées. La vulnérabilité de celles qui quittent leur conjoint
violent est fortement sous-estimée. Vous croyez votre sœur, votre amie sortie des
griffes de son bourreau ? Détrompez-vous ! « La séparation est un facteur
d’augmentation de la violence. Les policiers ne le savent pas. Mais si on est
formé, on sait qu’une femme qui appelle à l’aide doit être extrêmement protégée.
Il faut avoir recours à l’ordonnance de protection, qui est très peu utilisée »,
insiste Madeline Da Silva.

On aimerait épargner aux victimes ce qui leur reste d’énergie mais c’est encore
d’elles que va dépendre la suite de leur histoire. Le centre d’hébergement et de
réinsertion sociale de l’Armée du Salut dirigé par Evelina Danielian compte vingt
places dédiées aux femmes victimes de violences intrafamiliales, avec la
possibilité d’héberger aussi des enfants. « Il arrive régulièrement que ces femmes
décident de retourner chez elles après un passage dans notre centre. Souvent, il
leur faut plusieurs allers et retours avant de pouvoir dire : Stop, ça suffit »,
observe-t-elle.

En lien avec un service hospitalier spécialisé, le CHRS propose aux victimes de
rencontrer un médecin qui établira un nombre de jours d’ITT théorique. Ce
certificat médical sera précieux pour appuyer leur plainte, ou quand elles se
sentiront prêtes à passer ce cap – il est rare que les femmes portent plainte dans
la foulée de leur agression. Mais ce pas-là aussi est difficile à franchir. « Ce n’est
pas forcément la peur du conjoint qui les retient, ou pas seulement, mais aussi
une tendance à minimiser les actes : ce n’est pas grave, les faits datent, je ne suis
pas une victime… », raconte Evelina Danielian. La prise en charge des femmes
victimes de violences est d’autant plus compliquée quand celles-ci arrivent au
CHRS par le circuit de la recherche de logement ou d’emploi, par exemple. « Sur
l’ensemble des femmes que nous accueillons, on identifie beaucoup de personnes
qui sont ou ont été victimes de violences familiales. Nous en tenons compte dans
notre accompagnement », ajoute la directrice de l’établissement. Ces dernières
années, l’amélioration de la présence des assistantes sociales du conseil
départemental dans les commissariats et gendarmeries du département (Eure) a
permis des progrès notables dans la prise en charge des victimes et dans le
montage de leur dossier.

Grande cause nationale
Les changements en cours, bien qu’encore insuffisants, modifient la façon même
de voir la famille. « Les juges aux affaires familiales commencent à se dire qu’il
n’est plus possible de maintenir des parents ensemble à tout prix, au nom de la
sacro-sainte famille », avance Anne Saulay. Mais leur formation demeure
insuffisante pour une prise en charge véritablement adaptée. La médiation,
désormais contre-indiquée, et la confusion de certains témoignages, due à un
phénomène de dissociation lors du traumatisme, sont des sujets qui doivent
encore être travaillés.

Les rapports et les mobilisations ont cependant permis une somme importante de
progrès. Marie-France Casalis rappelle les évolutions législatives, dont
dernièrement l’allongement des délais de prescription, et le déploiement du
téléphone d’alerte pour femmes en très grave danger. « C’est dans ce domaine de
l’après-couple qu’il reste pratiquement tout à faire », estime-t-elle.

La lutte contre les violences faites aux femmes a été décrétée « Grande Cause
nationale » du quinquennat 2018. Pourtant, le Secrétariat d’État à l’égalité
Femmes-Hommes qui la porte écope du plus petit budget, les chiffres annoncés
étant ceux de l’égalité transversalement à tous les ministères, s’indigne Madeline
Da Silva. Pour cette élue, il ne faudrait pas moins que doubler le financement des
associations. L’éducation à la non-violence dès le plus jeune âge ainsi que de
grandes campagnes de communication contribueront également à résoudre
l’équation. Sans quoi, la vie des enfants et l’avenir qu’ils portent en eux ne
cesseront d’être compromis. « On oublie encore trop souvent que les enfants ne
sont pas des témoins mais des covictimes. Savoir les protéger, c’est déjà enrayer
le continuum de la violence », conclut Madeline Da Silva.
L’exemple de la Samaritaine
  L’évangile de Jean rapporte la rencontre de Jésus avec une femme samaritaine.
  D’après le récit, cette dernière a eu cinq maris, ce qui fait d’elle une femme aux
  mœurs légères. C’est du moins l’interprétation traditionnellement donnée du
  texte. Mais pourquoi partir du principe que la faute revient à la femme ? Dans
  le contexte socioculturel de l’époque, on pourrait avancer que cette femme a
  été répudiée. En effet, le divorce était décrété par l’homme. Et pour quelle
  raison un homme pouvait-il répudier sa femme ? Très probablement parce
  qu’elle ne lui donnait pas de descendance, ou pas de descendance mâle. Si
  cette femme avait commis l’adultère, elle aurait plutôt été lapidée.

  Ce serait donc malgré ses souffrances plutôt que malgré sa vie immorale que la
  parole du Christ aurait trouvé son chemin en elle. Nous avons tous les outils
  pour l’argumenter et le comprendre mais la lecture traditionnelle reste la plus
  fréquente. C’est précisément ce genre de lecture qui peut être source de
  violence entre hommes et femmes.

  Joan Charras-Sancho, théologienne protestante

À noter
En 2014, 118 femmes et 25 hommes mouraient sous les coups de leur conjoint
ou ex-conjoint, ainsi que 35 enfants dans le cadre de violences au sein du couple.
En 2016, c’était 123 femmes, 34 hommes et 25 enfants.
En 2017, 130 femmes, 21 hommes et 25 enfants.
(source : Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les
violences et la lutte contre la traite des êtres humains).

À lire
Qui veut la peau des femmes ?
Anne Saulay
Le Passeur, 2019,
272 p., 19,50 €.
Une Bible des femmes
ouvrage collectif
Labor et Fides, 2018.

La démocratie et après ? – L’édito
de Samuel Amédro
Avons-nous autre chose à proposer que la démocratie ? Ne devrions-nous pas
nous mobiliser pour défendre ce qui nous permet de vivre en paix ? La menace
n’est pas uniquement extérieure, venue d’Italie, de Hongrie ou du Brésil mais
aussi et surtout à l’intérieur.

La liste est longue et, en soi, elle fait sens. Que ce soient les multiples tags
antisémites, les violences contre les élus pour déstabiliser les institutions, les
attaques contre les journalistes comme les méthodes plus que contestables
utilisées par certains d’entre eux pour faire le buzz, quelque chose d’insidieux est
en train de s’infiltrer et de gangrener notre société, ce qui nous laisse démunis.

Il est tout aussi difficile de lutter contre l’islamisme radical qui contrôle de
nombreux quartiers sans mettre en cause les musulmans victimes de cette
idéologie mortifère que de lutter contre ce populisme tortueux qui gagne le
mouvement des gilets jaunes, tout en défendant la revendication légitime de
justice et de partage équitable qui essaie de prendre corps. Il ne s’agit pas d’un
manque de limites (les lois suffisent à réprimer les délits constitués) mais bien
plutôt d’un manque de… boussole.

Quel regard chrétien pouvons-nous porter sur cette situation ? D’abord nous nous
devons de préserver cette tension féconde entre la légitimité de la loi qui fait
barrière au chaos et cette attention au plus vulnérable qui porte la marque de
l’Évangile. L’histoire de Caïn et Abel permet de faire un pas de plus : sentiment
d’injustice, jalousie, colère et pulsion de mort, tous ces ingrédients explosifs font
écho aujourd’hui. Et, dans cette histoire, une parole vient avertir d’un danger
imminent bien plus grave : le péché est un animal tapi à notre porte, prêt à nous
dévorer. Il dépend de nous de ne pas laisser entrer le désespoir, cette malédiction
de l’homme sans Dieu. Cette question demeure, boussole en ces temps troublés :
« Où est ton frère ? »
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