Target 2 : idées reçues et véritables enjeux
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Apériodique – n°13/06 – 30 janvier 2013 Target 2 : idées reçues et véritables enjeux Au cours des dernières années, les Banques euro. Cette intervention opportune est centrales des pays périphériques de la zone d’autant plus justifiée que l’accumulation de euro ont accumulé des dettes envers l’Euro- créances Target 2 est une menace toute système en relation avec le système de relative pour les pays créanciers du Nord. paiements et de règlements au sein de la zone euro, baptisé Target 2. À l’inverse, les Target 2 en quelques mots Banques centrales des pays du Nord ont vu leurs créances Target 2 fortement progressé. Target 2 ou « Trans-European Automated Real- Ces déséquilibres croissants ont fait naître Time Gross Express Transfer system » est le de vifs débats sur la question de leur système de paiements et de règlements des nocivité. De nombreux papiers ont contribué transactions monétaires et financières au sein à faire la lumière sur certaines interrogations, de la zone euro. Ce système permet d’assurer sans qu’émerge un consensus sur le degré directement ou indirectement l’ensemble des de dangerosité de ce système aujourd’hui transactions réalisées entre différentes contre- déséquilibré. parties présentes dans des pays européens distincts via l’intermédiaire des Banques centrales Avant de répondre à quelques-unes de ces nationales. Les banques commerciales europé- interrogations, nous exposerons le plus ennes utilisent, en effet, leur compte auprès de leur simplement possible le fonctionnement de Banque centrale respective pour réaliser les Target 2 à l’aide d’une approche bilancielle. opérations intra-européennes de leurs clients (ou Nous mettrons alors en avant l’importance d’elles-mêmes). Ce compte est débité ou crédité prépondérante des choix de financement des selon le sens du paiement. banques commerciales dans l’évolution de ces déséquilibres. Avec la crise, le recours Par exemple, si un importateur espagnol souhaite au crédit de Banque centrale a été un choix régler une commande auprès d’un fournisseur alle- contraint qui explique le rôle indirect joué par mand, la banque commerciale espagnole dont il est la BCE dans l’apparition des créances et des client débitera son compte du montant corres- dettes Target 2. pondant et transférera celui-ci via Target 2 en La BCE n’avait pas non plus beaucoup le débitant son propre compte auprès de la Banque choix et sa politique ultra accommodante a centrale d’Espagne. Le compte de son homologue sans doute permis d’éviter un ajustement allemand auprès de la Bundesbank sera alors brutal et auto-entretenu de l’activité en zone crédité tout comme le compte du fournisseur.
Werner Perdrizet werner.perdrizet@credit-agricole-sa.fr Target 2 et ses déséquilibres Considérons maintenant le cas où les fonds de la banque commerciale auprès de la Banque Target 2 joue un rôle central dans le bon fonc- d’Espagne ne seraient pas suffisants pour tionnement de l’Union monétaire en permettant assurer cette transaction. L’impact sur le bilan et en assurant le financement des transactions des Banques centrales sera différent selon la intra-européennes. Pour fonctionner, les ban- solution envisagée par la banque commerciale pour ques commerciales doivent disposer de suffi- obtenir ces fonds « manquants » : samment de réserves excédentaires auprès de leur Banque centrale, c’est-à-dire de monnaie 1- Si elle décide d’emprunter davantage auprès Banque centrale qu’elles peuvent librement de la Banque d’Espagne, cette dernière affi- transférer. Dans le cas contraire, les tran- chera un bilan présentant les mêmes désé- sactions intra-européennes ne pourraient être quilibres que dans la première situation exposée financées. Si une banque commerciale ne dispose ci-dessus où elle disposait alors de suffisam- pas de fonds suffisants, elle pourra recourir à trois ment de ressources. Avant la transaction, le solutions : emprunter au guichet de sa Banque recours supplémentaire au crédit de la Banque centrale, s’endetter auprès d’autres institutions centrale provoque à la fois une hausse du passif monétaires et financières (notamment les banques (compte de la banque commerciale) et de l’actif via le marché interbancaire) ou épargner ce mon- (crédit à la banque commerciale) de la Banque tant en réduisant ses actifs (y compris le crédit). d’Espagne. Après la transaction, le compte de la Les diverses actions possibles des banques banque commerciale est débité ce qui a bien commerciales influenceront différemment le bilan pour conséquence une réduction du passif de la de leur Banque centrale et pourront mener à un Banque d’Espagne qui devient inférieur à ses déséquilibre de ses actifs et de ses passifs. actifs, la différence équivalant à une dette Target 2. La situation de la banque allemande et En théorie de la Bundesbank reste inchangée, cette dernière détenant une créance Target 2. Le Considérons tout d’abord le cas où une banque recours à cette solution suppose que la banque commerciale espagnole disposerait de réserves commerciale espagnole dispose de collatéraux suffisantes pour effectuer un virement intra- de suffisamment bonne qualité pour se européen vers une banque allemande. Le débit refinancer auprès de la Banque d’Espagne. de son compte auprès de la Banque d’Espagne se traduit pour cette Banque centrale par une réduction de son passif, alors que ses actifs resteront inchangés. À l’inverse, le crédit du compte de la banque allemande auprès de la Bundesbank induit pour celle-ci un passif supérieur à ses actifs. Ces écarts entre le passif et l’actif causés par cette transaction devient dans le cas de la Banque d’Espagne une « dette Target 2 » et, dans celui de la Bundesbank, une « créance Target 2 ». Il faut préciser que la Bundesbank ne détient pas une créance sur la Banque d’Espagne, mais sur l’Eurosystème dans sa globalité (ensemble formé par la BCE et le réseau des Banques centrales nationales). 2- Si elle recourt au marché interbancaire ou de gros (pour le même montant), le bilan de la Banque centrale n’est plus déséquilibré ! Le flux financier (le prêt interbancaire) en provenance d’une autre banque européenne (ex : alleman- de) est crédité sur le compte de la banque commerciale espagnole auprès de la Banque d’Espagne, lequel est ensuite débité pour finan- cer la transaction commerciale. Au final, le passif et l’actif de la Banque d’Espagne restent inchangés. Côté allemand, le compte de la banque commerciale auprès de la Bundesbank a été débité, lorsque celle-ci a décidé de prêter des ressources à la banque espagnole, mais a N°13/06 – 30 janvier 2013 2
Werner Perdrizet werner.perdrizet@credit-agricole-sa.fr été crédité à la suite de la transaction. Le montant de son compte reste inchangé tout comme le bilan de la Bundesbank. Ces flux financiers en miroir de ces flux liés à des transactions commerciales ont évité l’apparition de créances ou de dettes Target 2. Autrement dit, tant que les flux de capitaux privés intra zone euro ont permis de financer les transac- tions commerciales, le système Target 2 s’équilibrait. En pratique Les transferts de capitaux intra-européens conduisent donc à un déséquilibre du bilan des banques centrales compensé par l’écriture de dettes et de créances Target 2. Ces déséqui- libres potentiels sont à relier aux choix de financement des banques commerciales, soit 3- Si elle est contrainte de réduire ses crédits auprès des marchés, soit au guichet de la aux ménages et aux entreprises (d’épargner Banque centrale. En temps normal, les banques un même montant), alors il n’existe pas non commerciales privilégient le recours au marché, plus de déséquilibres Target 2. Le montant cré- notamment interbancaire, le coût du financement dité sur le compte de la banque commerciale étant censé moins onéreux. Aussi, bien qu’il auprès de la Banque d’Espagne, lié à la réduc- n’existe pas de mécanismes réglementaires limitant tion de ses prêts, est, en effet, transféré, par la l’accumulation de créances et de dettes Target 2 de suite, lors de la transaction commerciale pour la part des Banques centrales, l’incitation au s’acquitter de la facture auprès du fournisseur recours à ce marché doit normalement contenir ces allemand, laissant le bilan de cette dernière déséquilibres. Ceci est d’autant plus vrai que la inchangé. En revanche, le crédit du compte de création d’une zone monétaire facilite la mobilité la banque allemande auprès de la Bundesbank des capitaux entre États-membres, en éliminant consécutif à la transaction implique une hausse notamment le risque de change. Dans les faits, de du passif de cette Banque centrale, alors que 2000 à 2008, le bon fonctionnement du marché ses actifs restent inchangés, elle bénéficie donc interbancaire (ou autre marché de gros) permettait de ressources supplémentaires. De son côté, la en effet de maintenir des balances Target 2 banque allemande peut également choisir de proches de l’équilibre. réduire ses crédits auprès de la Bundesbank. Mds € Evolution des créances et des dettes Target 2 1 200 800 400 0 -400 -800 -1 200 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 Pays du Nord (All., Finl.,Pays-Bas,Lux) Périphérie : Portugal, Italie, Irlande, Grèce, Espagne France Source : Euro crisis monitor (Université d'Osnabrük), CA S.A. N°13/06 – 30 janvier 2013 3
Werner Perdrizet werner.perdrizet@credit-agricole-sa.fr Un des stigmates de la crise est l’apparition de Solde du compte courant (A) dysfonctionnement sur le marché interbancaire et + plus largement sur tous les marchés de gros de la Solde du compte financier hors Target 2 (B) liquidité. Le blocage des échanges interbancaires + hors des pays jugés risqués ont conduit à Solde Target 2(C) l’accumulation de créances Target 2 de plus en = 01 plus importantes pour les pays du Nord (Allemagne, Depuis 2008, les pays périphériques n’attirent pas Finlande, Pays-Bas, Luxembourg) et, à l’inverse, suffisamment de capitaux étrangers (européens) des dettes croissantes pour les économies dites de pour compenser et financer leurs déficits courants la « périphérie » ou « semi-périphérie » (Portugal, (« A »). La forte dégradation de l’activité dans ces Irlande, Italie, Grèce, Espagne). La Bundesbank se pays, la fragilisation de leur secteur bancaire et positionne de loin comme le créancier le plus financier et l’aggravation de la crise des dettes important en termes de montants avec 656 milliards souveraines ont asséché les sources de d’euros de créances Target 2 en décembre 2012. financement privé de leurs banques commerciales Ce constat n’est plus valide une fois prise en face à des investisseurs de plus en plus méfiants compte la taille de l’économie. Parmi les autres (baisse de « B »). La seule alternative offerte pour pays du Nord, le Luxembourg affiche un ratio de les banques exclues des marchés a été créances Target 2 sur PIB nettement supérieur d’emprunter au guichet de leur Banque centrale (249%, contre 25% pour l’Allemagne) alors que (hausse de « C »). Et la BCE, pour éviter toute celui des Pays-Bas s’en rapproche (20%). rupture dans la chaîne de financement a joué un L’évolution de ces ratios apparaît néanmoins assez rôle de prêteur en dernier ressort en assurant coûte volatile pour les autres pays du Nord étant donné le que coûte la liquidité aux banques, à des conditions faible poids de leur économie et l’évolution rapide tarifaires assouplies (baisse des taux de refinan- des créances Target 2. cement). Montants et poids Mds € % Mds € Financement des déficits des créances Target 2 700 300 courants des pays périphériques 200 600 250 100 500 200 0 400 150 300 -100 100 200 -200 100 50 -300 0 0 -400 Allemagne Luxembourg Pays-Bas Finlande 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 Créances Target 2 Créances Target 2/PIB (dr.) Solde financier (hors T2) Source: Datastream, Solde Target 2 Source : Euro crisis monitor (Université d'Osnabrük), CA S.A. Crédit Agricole S.A. Solde compte courant Déséquilibres accrus et assumés par une Avec les mesures non conventionnelles (LTRO, assouplissement des conditions d’éligibilité des politique monétaire accommodante de la collatéraux…) d’approvisionnement de liquidité en BCE quantité illimitée, la BCE s’est substituée au marché Récemment, la progression des dettes Target 2 interbancaire (et de gros). Ces liquidités ont des pays périphériques s’est accélérée en rai- ensuite, en partie, servi à financer les échanges son de mouvements surtout financiers (fuite intra-européens et ont ainsi indirectement contribué des dépôts, retrait des capitaux étrangers…). De à l’accroissement des déséquilibres Target 2. Sans manière simplifiée, il est possible de se référer à la cette intervention, le retournement de l’activité au- représentation de l’équilibre comptable ci-dessous rait été nettement plus marqué, les ventes d’actifs pour comprendre les deux facteurs conduisant les et la forte contraction du crédit pour pallier l’assè- Banques centrales de ces pays à accumuler des chement des financements de marchés auraient pu dettes Target 2 : plonger la zone euro dans une spirale dépressive, lorsque récession-credit crunch et déflation s’ali- 1 Dans un régime de change fixe hors Union monétaire, nous aurions eu l’équilibre : Solde du compte courant + Solde du compte financier hors réserves + Avoirs de réserve = 0 Dans l’Eurosystème, Target 2 joue le rôle d’avoirs de réserves et permet de maintenir une « même valeur » de l’euro entre les pays membres. N°13/06 – 30 janvier 2013 4
Werner Perdrizet werner.perdrizet@credit-agricole-sa.fr mentent mutuellement. La BCE a donc œuvré environ 210 milliards)2. Ces opérations sont en pour soutenir l’activité en zone euro et stabiliser partie comptabilisées dans les dettes Target 2. autant que possible le secteur bancaire et Deuxièmement, les Banques centrales financier européen, peu importe l’accroisse- nationales peuvent également encourir des ment des déséquilibres Target 2 constatés sur pertes liées à leur exposition au capital de la le bilan des Banques centrales nationales. BCE (total de 7,5 milliards à fin décembre 2012), ce qui n’est pas en soi relié à Target 2. Si la Mds € Pays de la périphérie : Target 2 et politique monétaire BCE subit des pertes excédant ses provisions et 1 200 ses réévaluations (30 milliards), celles-ci 1 000 pourraient être éventuellement contraintes à Dettes Target 2 participer à sa recapitalisation (taille du bilan 800 231 milliards). Enfin et surtout, l’exposition Crédits aux banques 600 commerciales des Banques centrales à l’ensemble de ces pertes (opérations de politiques monétaires 400 et recapitalisation éventuelle de la BCE) est 200 limitée par la règle de partage des gains et des pertes au sein de l’Eurosystème, qui 0 sont donc « mutualisées ». Ce partage s’effec- -200 tue en fonction de la part du capital détenue par 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 Source : BCE et BCN, Euro monitor, CA S.A. chaque Banque centrale au sein de la BCE. Avec la crise, les banques commerciales allemandes ont réduit par exemple leur Conséquences de ces déséquilibres à exposition « directe » à la périphérie, en relativiser pour les créanciers raison d’un risque de perte jugé trop élevé et L’intervention opportune de la BCE se justifie porté exclusivement par elles-mêmes. Ce d’autant plus que l’accroissement des créances faisant, elles ont transféré ce risque à leur Target 2 dans le bilan des Banques centrales des banque centrale, qui joue aujourd’hui le rôle pays du Nord doit être relativisé pour deux raisons d’intermédiaire financier, tout en le réduisant majeures. puisqu’alors toutes les banques centrales appartenant à l’Eurosystème devront parta- Premièrement, ces créances ne peuvent pas ger la perte en cas de défaut. La banque être considérées comme une bonne mesure de centrale allemande est en effet en partie l’exposition d’une Banque centrale à l’Euro- redevable des pertes potentiellement encou- système. On ne peut pas interpréter leurs rues sur l’ensemble des crédits accordés par montants comme étant une juste approximation ses consœurs pour pallier au retrait des de ce à quoi les Banques centrales des pays du banques commerciales allemandes… Nord se sont exposées en raison de À titre illustratif, il est possible de représenter l’appartenance même de leur pays à la zone les pertes supportées par la Bundesbank dans euro qui implique une mutualisation des le cas d’une restructuration partielle de certains ressources (et donc des gains et des pertes pays appartenant à la périphérie ou à l’en- associés). Deux cas principaux peuvent notam- semble de ces pays. ment être envisagés pour illustrer cet argument. Pertes potentielles directes pour l'Allemagne Les créanciers Target 2 peuvent subir des pertes à en cas de restructuration l’actif liées à leur maintien au sein de la zone euro (50% de pertes SMP + crédits aux banques (scénario central) ou à leur sortie (scénario commerciales) extrême). Opérations de Pertes Montants politiques pour la Pays/zone restructurés m onétaires Bundesbank 1- Si les créanciers restent au sein de la zone (Crédits + SMP) (50% OPM) (27,1%) euro, trois raisons expliquent pourquoi les Portugal 42 21 6 créances Target 2 ne sont pas une bonne mesure de cette exposition. Premièrement, les Italie 93 46 13 Banques centrales n’encourent pas, en soi, de Irlande 373 187 51 pertes potentielles sur ces créances mais sur Grèce 72 36 10 toutes les opérations de politiques monétaires Espagne 405 203 55 menées communément (MRO, LTRO). Leurs PIIGS 984 492 133 pertes peuvent donc porter sur l’ensemble des Source : BCE et Banques centrales nationales, crédits accordés par les Banques centrales aux calculs Crédit Agricole CIB institutions monétaires et financières européennes (environ 1100 milliards d’euros) et 2 Nous supposons que les pertes liés aux opérations de aux opérations d’achats de titres publics (SMP, fourniture de liquidité d’urgence (ELA) ne sont pas partagées par les Banques centrales comme il est censé être le cas selon les traités en vigueur. N°13/06 – 30 janvier 2013 5
Werner Perdrizet werner.perdrizet@credit-agricole-sa.fr 2- Si l’un des créanciers du système Target 2 respecter cette règle. La BCE a ainsi déjà dû à décide maintenant de sortir de la zone euro, enregistrer une diminution de la valeur de ses il est alors possible d’envisager que sa actifs, compensée par une baisse correspondante Banque centrale subisse, en effet, la perte de de ses provisions. Par ailleurs, une Banque l’ensemble de ces créances Target 2. Néan- centrale peut également choisir de poursuivre son moins, le montant de ces créances ne reflète activité tout en conservant un capital négatif. Ceci a toujours pas la véritable perte « nette » de la déjà été expérimenté par certaines banques Banque centrale. Si l’on suppose un cas centrales comme, par exemple, celles de la extrême où aucun compromis n’a été trouvé République tchèque ou du Chili. En second lieu, entre l’Eurosystème et la Banque centrale une Banque centrale peut choisir de nouvellement indépendante, il est possible que s’« autorecapitaliser ». Elle peut accroitre cette dernière essuie des pertes sur l’ensemble suffisamment sa base monétaire (en faisant de ses actifs, à savoir les créances Target 2 marcher la planche à billet) pour générer des mais aussi sa part du capital de la BCE détenu revenus supplémentaires qui lui permettront de se et la partie de ses réserves de change recapitaliser. En fournissant plus de liquidité aux conservées à la BCE. Dans ce cas, la Banque banques commerciales, elle percevra plus d’intérêts centrale indépendante ne s’acquittera pas de venant ainsi gonfler ses profits mis en réserve pour ses dettes vis-à-vis de l’Eurosystème, en accroître son capital. Néanmoins cette potion est à particulier celle liées à l’émission de billets de utiliser avec précaution en raison de la perte de banques. En effet, les Banques centrales confiance dans la monnaie qu’elle peut susciter. La peuvent accumuler une dette envers la BCE liée banque centrale peut alors choisir de recourir à une à l’émission monétaire lorsque la part de billets recapitalisation par l’État. Une telle recapita- en circulation dans leur économie vis-à-vis du lisation « externe » implique toutefois une reste de la zone euro est supérieure à leur part hausse de l’endettement public et un probable dans le capital de la BCE (définie tous les cinq resserrement budgétaire futur, préjudiciable à la ans en fonction du PIB et de la population des croissance. États). Le moyen le plus optimal de limiter l’impact Reprenons l’exemple de la Bundesbank pour éventuel lié à ces pertes consisterait à autoriser illustrer la différence entre le montant de ces la banque centrale à conserver pendant un créances Target 2 et la véritable perte nette certain temps un capital négatif. Les intérêts encourue si l’Allemagne venait à quitter la zone qu’elle générera sur son activité future, parfois euro. À la fin du mois de septembre 2012, celle- en hausse du fait d’une expansion naturelle de ci affichait à son bilan : 695 milliards d’euros de la base monétaire liée à la croissance écono- créances Target 2 (en décembre, ce montant mique, pourraient alors suffire à recouvrer un était de 656 milliards d’euros), 10,9 milliards de capital positif. En effet, dans le cas d’une réserves transférées à la BCE, 1,8 milliard de autorecapitalisation instantanée, la forte hausse de capital détenus auprès de la BCE et 191,9 mil- la masse monétaire occasionnée peut dégénérer liards de dettes liées à l’émission de billets de en une spirale inflationniste, compte tenu de la banque. Au final, sa perte nette équivaudrait à rigidité de l’offre à court terme (cf. schéma émission 515,8 milliards d’euros soit un montant monétaire p. 7). L’ajustement entre la demande de nettement inférieur à ses créances Target 2. biens, stimulée par la hausse de la masse monétaire, et une offre de biens rigide se fait donc Deuxièmement, quelles que soient les pertes par les prix. A moyen ou long terme, l’offre de biens subies, une Banque centrale en tant que caisse est plus flexible et un accroissement de la masse d’émissions, n’a pas les mêmes contraintes monétaire n’engendre pas ou peu d’inflation, d’où qu’une banque commerciale. En premier lieu, les l’idée de chercher à gagner du temps pour limiter Banques centrales ne sont pas astreintes aux l’impact sur l’économie réelle. Aussi, un traitement mêmes règles comptables. Celles-ci ne sont pas approprié des pertes des Banques centrales obligées d’enregistrer des pertes subies à l’actif. En (liées à Target 2 ou non) permet de relativiser cas de sortie de la zone euro, la Bundesbank ces conséquences pour les créanciers, au pourrait, par exemple, choisir, de ne pas répercuter regard de leur impact potentiel limité sur ses pertes liées à Target 2 sur son bilan ! En l’activité économique du pays. pratique, celles-ci choisissent néanmoins de N°13/06 – 30 janvier 2013 6
Werner Perdrizet werner.perdrizet@credit-agricole-sa.fr Évolutions ? À l’heure actuelle, le climat de confiance en zone euro repart timidement à la hausse. Malgré Les dernières données disponibles exposent une activité toujours dans le rouge, les marchés une tendance à la baisse des créances Target 2 partagent, pour l’instant, le sentiment que le des pays du Nord (ici : Allemagne, Luxembourg, pire de la crise des dettes souveraines est Pays-Bas, Finlande) qui sont passées de désormais derrière nous grâce notamment à 1 056 milliards d’euros en août 2012 (leur plus l’intervention bienveillante de la BCE. Dans notre haut historique) à 823 milliards d’euros en scénario central d’une relative amélioration de la décembre, soit une baisse de 233 milliards. confiance combinée à une reprise très molle de la Pour savoir si cette tendance baissière se croissance en zone euro, la circulation des capitaux poursuivra au cours des prochains trimestres, il privés intra-zone euro pourrait légèrement se faut répondre à trois questions clés : la reprendre. À l’inverse, l’année 2012 a été marquée confiance des investisseurs européens envers les par des retraits nets de capitaux privés européens pays fragiles de la zone euro s’améliorera-t-elle ? de ces pays. Par exemple, en recourant à notre Les déficits comptes courants de ces pays vont-ils équilibre comptable développé plus haut, nous s’approfondir ou se redresser? Leurs banques pouvons estimer qu’environ 48 milliards d’euros et commerciales auront-elles accès à des sources de 170 milliards d’euros ont été retirés respectivement financement privé? Répondre à ces trois questions d’Italie et d’Espagne et transférés vers d’autres de manière précise apparaît loin d’être évident, pays de la zone euro. aussi quantifier l’évolution des déséquilibres Target 2 représente un exercice périlleux. Le retour très relatif des investissements européens devrait coïncider avec une Mds € Flux de capitaux privés amélioration progressive des comptes courants 400 Sorties de des pays périphériques. Le déficit courant agrégé 300 capitaux du Portugal de l’Espagne, de l’Italie, de l’Irlande et de la Grèce s’est nettement contracté en 2012, 200 passant de 161 milliards d’euros en 2011 à 100 56 milliards (prévision). Ce mouvement est amené à se poursuivre avec une cible de 17 milliards de 0 déficit en 2013. En 2014, ce solde pourrait même -100 repasser légèrement en positif de quelques milliards d’euros. Il faut remonter à la fin des -200 Entrées de années 90 pour retrouver une balance courante capitaux excédentaire pour ce groupe de pays. Le -300 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 redressement des soldes courants s’explique par le Source : Datastream, CA S.A. Allemagne Périphérie recul des importations lié à la forte contraction de leur demande intérieure (investissement et N°13/06 – 30 janvier 2013 7
Werner Perdrizet werner.perdrizet@credit-agricole-sa.fr consommation en net recul) et la bonne tenue des centrale. Néanmoins, elles ne devraient pas être exportations (relatif maintien des débouchés hors forcées d’accélérer leur remboursement. Au zone euro et amélioration de leur position compé- regard des perspectives d’activité dégradées, la titive notamment). Comme nous l’avons vu plus BCE devrait en effet continuer à maintenir une haut, l’amélioration des soldes courants et finan- politique très accommodante, même si certains ciers de ces pays vis-à-vis du reste de l’Europe dispositifs tels que les opérations de refinan- contribuerait à rééquilibrer les balances Target 2 au cement à trois ans (LTRO) ne devraient pas être sein de la zone euro. En particulier, une somme renouvelés. Certaines banques pourraient choi- positive de ces soldes impliquerait une rentrée sir de remplacer une partie importante de leurs nette de capitaux en provenance des autres créances à long terme par des créances à banques commerciales de la zone, permettant ainsi échéances plus courtes. La toute première une réduction des dettes Target 2 des Banques vague de remboursement des opérations LTRO centrales de ces pays. Les banques commerciales à trois ans (137 milliards d’euros la première pourraient utiliser ces ressources supplémentaires semaine) va dans ce sens. pour réduire leurs crédits auprès de leur Banque Références U. Bindseil et P. J. König, June 2011, “The economics of TARGET 2 balances”, BCE, Technische Universität Berlin. W. Buiter et E. Rahbari, octobre 2012, “Target 2 Redux : The simple accountancy and slightly more complex economics of Bundesbank loss exposure through the Eurosystem”, Citi Economics, Global economics view. W. Buiter et E. Rahbari, février 2012, “Looking into the deep pockets of the ECB”, Citi Economics, Global economics view. S. G Cecchetti, R. N McCauley, P. M McGuire, décembre 2012, “Interpreting TARGET 2 balances”, BIS Working Papers n°393. M. Cincibuch, T. Holub, J. Hurník, mai 2008, “Central Bank losses and economic convergence”, Banque centrale de République tchèque. P. De Grauwe, Y. Ji, septembre 2012, “What German should fear most is its own fear, An analysis of Target 2 and current account imbalances”, CEPS working documents n°368. P. De Grauwe et Y. Ji, novembre 2012, “TARGET2 as a scapegoat for German errors”, VoxEU.org. A. Ize, janvier 2005, “Capitalizing Central Banks: A Net Worth Approach”, IMF. H-W. Sinn et T. Wollmershäuser, june 2011, “Target Loans, Current Account Balances and Capital Flows : The ECB’s Rescue Facility”, CESIFO working paper n°3500. H-W. Sinn, octobre 2012, “Target 2 losses in case of a euro breakup”, VoxEU.org. K. Whelan, novembre 2012, “TARGET 2 and Central Bank Balance Sheets”, University College Dublin. Remerciements Je remercie Frederik Ducrozet pour sa relecture attentive et ses commentaires utiles. Crédit Agricole S.A. — Études Économiques Groupe 12 place des États-Unis – 92127 Montrouge Cedex Directeur de la Publication : Jean-Paul Betbèze Secrétariat de rédaction : Fabienne Pesty Contact: publication.eco@credit-agricole-sa.fr Internet : http://etudes-economiques.credit-agricole.com Abonnez-vous gratuitement à nos publications électroniques Cette publication reflète l’opinion de Crédit Agricole S.A. à la date de sa publication, sauf mention contraire (contributeurs extérieurs). Cette opinion est susceptible d’être modifiée à tout moment sans notification. Elle est réalisée à titre purement informatif. Ni l’information contenue, ni les analyses qui y sont exprimées ne constituent en aucune façon une offre de vente ou une sollicitation commerciale et ne sauraient engager la responsabilité du Crédit Agricole S.A. ou de l’une de ses filiales ou d’une Caisse Régionale. Crédit Agricole S.A. ne garantit ni l’exactitude, ni l’exhaustivité de ces opinions comme des sources d’informations à partir desquelles elles ont été obtenues, bien que ces sources d’informations soient réputées fiables. Ni Crédit Agricole S.A., ni une de ses filiales ou une Caisse Régionale, ne s auraient donc engager sa responsabilité au titre de la divulgation ou de l’utilisation des informations contenues dans cette publication. N°13/06 – 30 janvier 2013 8
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