Tinguely Joëlle Morosoli - Espace Sculpture - Érudit
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Document generated on 09/05/2021 11:29 p.m. Espace Sculpture Tinguely Joëlle Morosoli Volume 4, Number 2, Winter 1988 URI: https://id.erudit.org/iderudit/9159ac See table of contents Publisher(s) Le Centre de diffusion 3D ISSN 0821-9222 (print) 1923-2551 (digital) Explore this journal Cite this review Morosoli, J. (1988). Review of [Tinguely]. Espace Sculpture, 4(2), 28–31. Tous droits réservés © Le Centre de diffusion 3D, 1988 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
E S P A C E 29 Encore attentive aux reflets de son passé prestigieux, Venise se mire dans les eaux donnantes de ses nombreux canaux: dédales de souvenirs au fil de l'eau dont les façades d'un style gothique vénitien en sont les plus fidèles témoins. Depuis quelques années, Venise ajoute à sa vocation touristique des événements éphémères d'art contemporain qui l'actualisent Au bord du Grand Canal, le Palazzo Grossi entièrement restauré offre, dès 1986, des expositions majeures. Cet automne, une impressionnante rétrospective Tingucly 1987-1954. fofljf Occupant trois paliers différents, cette rétrospective orchestrée par Monsieur Pontus Hulten, commissaire de l'exposition, montre les oeuvres charnières de la carrière de Tingucly. La mise en scène de cette gigantesque exposition solo a pour mérite de permettre aux visiteurs de pénétrer dans le monde de l'artiste, de voyager dans son imaginaire, de suivre ses influences, enfin de faire le lien entre les diverses étapes importantes de sa carrière. À travers cette découverte analytique de l'oeuvre d'un artiste, le visiteur dépasse la subjectivité du goût pour apprécier la solidité des propositions, l'originalité des concepts, la place qu'occupe l'artiste dans son temps, et Monsieur Pontus Hulten a su nous offrir cet apprentissage de l'art avec brio, j j Tinguely... maître de l'assemblage animé et de la sculpture-hap- pening a su donner à la sculpture en mouvement ses lettres de noblesse. Tinguely parle de Tinguely en ces termes : «J'ai commencé à utiliser le mouvement simplement pour réaliser unere-creation,pour recréer, refaire un tableau afin qu'il demeure infini, qu'il trouve continuellement de nouvelles compositions, grâce à des mouvements physiques et méca- niques que je plaçais derrière l'oeuvre. Je me suis alors tout doucement aperçu que le mouvement était une possibilité d'expression en lui-même, qu'avec lui on pouvait faire des choses plastiquement différentes de ce qui s'était fait auparavant» (1) Puis Tinguely parle de son acte artistique comme d'une action politique : «... et pour moi l'art est une forme de révolte évidente, totale et complète. C'est une attitude politique sans qu'il faille pour cela fonder un parti politique. Il n'est pas question de prendre le pouvoir, quand on est contre lui on ne peut pas le prendre. On est contre toutes formes de force qui s'agglomèrent et qui cristallisent une autorité qui oppresse les autres.» Le début du siècle a vu de nombreux adeptes de la sculpture mouvante. Ils ont rapidement abandonné ce type d'expression, non sans nostalgie devant les multiples problèmes que génère le mouve- ment Seul Calder, vingt-cinq ans avant Tinguely, a su intégrer par ses mobiles le mouvement à la forme et à la couleur créant un art nouveau, une expression plastique solide. WÊM En entrant dans l'atrium du Palazzo Grassi, Tinguely nous propose~~sa" dernière production 1987: une grande «Grande Méta-Maxi-Maxi» réalisée spécialement pour cette exposition. Elle occupe un espace de 1600x600x450 cm et peut être vue des balcons attenants aux étages supérieurs. Cette gigantesque installation se présente Volume 4. N- 2 Hiver 88
ESPACE comme un manège bruyant faite d'énormes roues colorées qui tournent d'un cheval de bois grandeur nature qui oscille d'avant en arrière. Cette sculpture semble décrire la perception que Tinguely a de Venise et peut-être est-elle, ainsi, un « Hommage à Veni- Élément détaché I se». Cette sculpture- manège, tout comme Venise, est un lieu d'attractions touristiques et comme toute fête foraine nous tourne la tête. A l'image de Venise, la sculpture est un labyrinthe de ponts, de passerelles, d'escaliers, de passages étroits que l'on observe de l'extérieur sans pouvoir y pénétrer. En son centre, une énorme roue à eau active la poupe noire et blanche d'une gondole. Sur deux colonnes trônent des statues dont l'une d'elles est en uréthane et symbolise un monstre dévoreur qui écrase par son poids, chevaux, bateaux, crocodiles. Ces statues rapellent non sans ironie, les deux colonnes de granit surmontées de Saint-Théodore et du lion de Saint-Marc, situées face à la mer sur la place Saint-Marc. De l'autre côté de la sculpture, un haut rideau pourpre de théâtre s'ouvre et se ferme pour découvrir une boîte qui s'entrouve laissant apparaître une poupée en costume folklorique. Tout près, un panneau de bois rustique monte et descend devant un tableau enluminé d'or montrant une vue de Venise, gondole et coquillages en relief. Ce tableau se présente comme un trésor d'influence byzantine de la Renais- sance italienne. Parterre,il y a un urinoir à l'envers sur lequel sont disposés des Schtroumpfs et l'on remarque que la tête blanche de ceux-ci est identique à la forme de l'urinoir à l'envers. Tinguely se laisse aller à ses premières influences dadaïstes. Au début de sa carrière, Tinguely eut de nombreux échanges avec ce groupement d'artistes partageant avec eux le mépris du pouvoir politique. Dans un coin traîne une plaque d'ampoules électriques cassées...Une ville lumière éteinte. Cette sculpture me semble un grand carnaval de Venise à peine masqué, avec des manèges qui tournent sans but des passerelles qui mènent nulle part et des airs d'opéra rythmés par des bruits de machine. g | En passant à l'étage supérieur, on remonte dans le temps pour voir une série de sculptures échelonnées entre 1985-1981 sur le thème de la mort L'artiste utilise des crânes d'animaux souvent activés au niveau des mâchoires. La sculpture «Die Hexen oder Schneewittchen und die sieben Zwerge» (1985) est impres- sionnante. Elle nous propose un cortège macabre formé de neufs crânes différents dont les corps sont suggérés par du métal. Leurs crânes voilés de mousseline noire ou blanche oscillent constamment Ce sombre cortège semble avancer inexorablement sur nous avec des allures de pleureuses. Dans ce décor lugubre se dégage une note d'humour, la « Machine bar» (1985-1980). Sur une grande table noire en L sont déposés treize objets qui s'activent par des pédales mises au sol, permettant ainsi à chaque visiteur de consommer sa sculpture en mouvement. La pièce suivante est envahie par une sculpture intitulée «Inferno» (1984) occupant 1 020 x 970 x 330 cm. Sur un banc de jardin qui imperceptiblement bascule, on est emporté dans un monde hallucinant On regarde alors un enfer mécanique, anarchique, déchiré de percussions stridentes, de tambourinages exaspérants. En passant par d'autres salles, on découvre enfin la première sculpture musicale conçue par Tinguely. «Méta-Harmonie I» (1978) est Volume 4. N- 2 Hiver 88
E S P A C E 31 à l'origine de toute une série de sculptures musi- cales et se présente comme un «triptyque» où s'activent une panoplie d'instruments musicaux. B*j6f En montant au troisième étage, on ne peut s'empêcher de se remé- morer comment Tinguely s'est manifesté lors du Requiem pour une feuille morte dixième anniversaire du Nouveau Réalisme en 1970. Devant le Dôme de Milan, il a construit un énorme phalllus qui lentement s'autodétruit Au dernier étage, on voit une murale mouvante de dix mètres de long, «Requiem pour une feuille morte». C'est une commande faite par le gouvernement suisse à Tinguely afin qu'il représente son pays lors de l'Exposition Universelle de Montréal en 1967. Comme on peut le voir sur la photo ci-dessus, c'est un assemblage de gigantesques roues noires qui se détachent du mur blanc en ombres chi- noises tout en s'activant Un vidéo nous rapelle l'année 1960, pendant laquelle Tinguely invente sa première machine autodestructive. Lors d'un voyage à New York, il présente une sculpture, «Hommage à New York», dans le jardin du Museum of Modem Art Tinguely explique son concept comme suit «...oeuvre éphémère, passagère comme une étoile filante et surtout destinée à ne pas être récupérée par les musées. Il fallait qu'elle passe, qu'on en rêve, qu'on en parie et c'est tout le lendemain il n'y avait plus rien. Tout retournait aux poubelles. Elle possédait une certaine so- phistication compliquée qui la destinait à se détruire elle-même. Elle était une machine qui se suicidait». BW Une autre salle expose les Méta- matics qui sont des sculptures à peindre qu'invente Tinguely onze ans plus tôt L'objectif de ces sculptures, comme le montre la photo ci-dessous, est de permettre aux visiteurs de réaliser des dessins abstraits. C'est à la Galerie Iris Clert à Paris (1959) que Tinguely se fait remarquer avec ses Méta-matics. Afin d'attirer des gens à son exposition, il fait un happening dans la rue en distribuant des prospectus en anglais et en français. D demande à des hommes-sandwiches de circuler avec des panneaux sur lesquels oscillent au moindre mouvement le nom de Tinguely. D organise, de plus, un jury composé des noms les plus prestigieux de la vie artistique parisienne afin qu'ils choisissent le meilleur dessin exécuté par les Méta- matics. WjÊ Les dernières salles offent les premières oeuvres de Tinguely comme lmnontre «Élément détaché Méta-matic I» (1954) illustré en haut à gauche, n s'agit de murales dont les formes et les couleurs sont issues du Cons- tructivisme russe, qui utilisent le vocabulaire de Malévitch, mais auquelles Tinguely ajoute le mou- vement C'est avec ces oeuvres qu'il découvre que «le mouvement est une possibilité d'expression en lui-même, qu'avec lui on peut faire des choses plastiquement différen- 0) Loi alitions sont extraites de l'enregistrement de tes de ce qui s'est fait auparavant» l'émunan «Notre Monde», table ronde organisée par Jem-Rare Van Tieghcm, Radio Télévision Bel- ge de la Communauté française, Bruxelles, 13 décembre 1982. JOËLLE MOROSOLI Volume 4. N- 2 Hiver 88
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