UN CONSTAT - Frederic Fourdinier
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Furkapass, Suisse, 21 juillet 2019, 13h, temps clair, nuages éparses. Deux options se présentent à moi, partir du col de Furka, ou depuis l’hôtel du Belvédère, plus bas, via un aménagement touristique payant. Je pars du col. À 2429 mètres, il est le contact entre la vallée du Rhône et celle d’Andermatt, point de passage par voie rou- tière, ferroviaire et pédestre du canton d’Uri et celui du Valais. De là, un chemin tire sur les pentes herbeuses du Furkahorn. Il traverse des névés résiduels, prend une portion de route goudronné menant à quelques vieilles granges traditionnelles, des vestiges de bâti- ments militaires et un bunker. De retour sur la terre, le sentier dépose le marcheur en surplomb de la partie inférieur du glacier. Le panorama est clair, de droite à gauche, pics rocheux, arrêtes alpines, cirque gla- ciaire, zone d’accumulation, zone de transport, zone d’ablation, front glaciaire, lac pro-glaciaire, rupture de pente convexe. Sculptées par deux grandes gla-
ciations – Riss – Würm, l’ancienne vallée glaciaire du Rhône serpente jusqu’au lac Léman sur environ 160 kilomètres. On se projette mal l’étendu et l’épaisseur de glace qui s’y est déplacée. Le petit âge glaciaire, lui, sera moins prétentieux, il finira dans la vallée de Conches peu avant le village de Gletsch, environ 1 ki- lomètre et demi en contre bas de sa position actuelle. Les restes de cette "interstates" de glace fonc- tionne à plusieurs vitesses. Le mouvement des cre- vasses en surface reflète un flux continue et régulier. Plus rapide en son milieu qu’en ses bords, les che- vrons latéraux attestent de la force glaciaire qui opère en ces lieux. Mais, dans cette apparente mobilité cy- clique et infini, Il y a comme une sensation de recul, l’attitude d’un animal prêt à fuir face à l’inconnu. Son pourtour semble être comme en rétraction. La réa- lité est là, scientifiques, médias, politiques, réseaux sociaux nous le martèlent bien : ça fond, ça disparaît. Les temps semblent être au recroquevillement et au protectionnisme, avec une pointe de nationalisme… Au moment où se succèdent mes mots sur l’écran, la COVID 19 nous mets à l’épreuve et nous rappelle à l’ordre. Je n’en connais pas encore la finalité à l’heure où j’écris. A notre tour peut-être de rétrograder, voir de décroître. Pour l’instant le glacier finit sa course en fusion, le nez dans une marre d’eau glacée où, l’être humain, dans une forme de violence ou un acte dé- libéré de bonne conscience, a déposé sur son front, un linceul technique blanc pour tenter de protéger ce
qu’il peut, et pouvoir dire « Vous voyez on peut sauver la planète… !!! ». Probablement que ce discours oubli l’essentielle, l’animal à secourir c’est nous, voir à iso- ler du reste de la nature. Les glaces reviendront, plus tard… après une potentiel débâcle. Du haut des vestiges morainiques, je descends par un « non » sentier dans l’arène touristique, qui propose d’admirer le corps encore froid du glacier, recouvert du drap, et rythmé de plusieurs panneaux éducatifs. Comme tout est bien pensé, on est invité à parcourir, une cavité creusée dans la glace pour y admirer les entrailles. On peut y contempler et tou- cher sa structure épidermique, entendre son pouls et constater son épanchement, c’est beau, c’est reli- gieux et morbide à la fois, les gens « like ». Sortie de la dépouille, je m’assois face à lui sur la roche usée par les frictions de la glace sur le socle minéral, un recueil au soleil. Le vent léger venant du haut du glacier soulève fantomatiquement plusieurs parties du suaire, lentement, sans à-coup, dévoilant le front glaciaire quasi inerte du glacier du Rhône, une mort sans splendeur. La suite, reprendre le chemin vers le col, afin de regagner la voiture, se délester du sac, changer de chaussures, boire un coup, manger quelques fruits secs, regarder au loin, consulter la carte, pour déci- der du trajet vers le prochain glacier, se mettre au vo- lant et prendre la route.
Frédéric Fourdinier Texte 2020 Photographie noir et blanc 2019 - argentique Canon EOS 100 / focal 50mm /ilford HP5+ Photographie couleur 2021 - argentique Olympus XA2 / focal 35 mm / kodak image pro 100
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