ÉVALUER LES AVANCÉES ET. .COMBLER LES LACUNES - RENFORCER LA RÉPONSE DE L'UNION AFRICAINE AUX VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS COMMISES LORS DE CONFLITS
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ÉVALUER LES AVANCÉES ET. .COMBLER LES LACUNES RENFORCER LA RÉPONSE DE L’UNION AFRICAINE AUX VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS COMMISES LORS DE CONFLITS
Amnesty International est un mouvement mondial réunissant plus de sept millions de personnes qui agissent pour que les droits fondamentaux de chaque individu soient respectés. La vision d’Amnesty International est celle d’un monde où chacun peut se prévaloir de tous les droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans d’autres textes internationaux relatifs aux droits humains. Essentiellement financée par ses membres et les dons de particuliers, Amnesty International est indépendante de tout gouvernement, de toute tendance politique, de toute puissance économique et de tout groupement religieux. © Amnesty International 2017 Sauf exception dûment mentionnée, ce document est sous licence Creative Commons : AttributionNonCommercial-NoDerivatives-International 4.0. Photo de couverture : ADDIS ABABA, ETHIOPIE - 18 MARS: Un homme se promène dans le lobby https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/legalcode principal sous une sculpture rougeoyante montrant le continent africain au siège de l'Union africaine Pour plus d’informations, veuillez consulter la page relative aux autorisations sur notre site : (UA) le 18 mars 2013 à Addis-Abeba, en Éthiopie. © Sean Gallup / Getty Images www.amnesty.org. Lorsqu’une entité autre qu’Amnesty International est détentrice du copyright, le matériel n’est pas sous licence Creative Commons. Première publication en 2016 par Amnesty International Ltd Peter Benenson House, 1 Easton Street Londres WC1X 0DW, Royaume-Uni Index: AFR 01/6047/2017 L’édition originale a été publiée en anglais amnesty.org
SOMMAIRE SOMMAIRE 3 GLOSSAIRE 5 SYNTHÈSE 8 INTRODUCTION 14 MÉTHODOLOGIE 17 1. L’UNION AFRICAINE ET LE DROIT D’INTERVENIR 19 1.1 LE DROIT ET LA RESPONSABILITÉ D’INTERVENIR 19 1.2 OBLIGATION D’AUTORISATION 21 1.3 SEUIL ET MOMENT DE DÉCLENCHEMENT DE L’INTERVENTION 22 2. LES ORGANES RÉGIONAUX DE SUIVI DES TRAITÉS RELATIFS AUX DROITS HUMAINS : CONFLITS ET MÉCANISMES DE RÉPONSE 25 2.1 COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES 26 ADOPTION DE RÉSOLUTIONS THÉMATIQUES ET SUR DES PAYS SPÉCIFIQUES 27 MISSIONS D’INFORMATION ET ENQUÊTES SUR SITE 32 PROCÉDURE DES PLAINTES OU DES COMMUNICATIONS 34 RÉFÉRENCE À L’ARTICLE 58 36 2.2 COMITÉ AFRICAIN D’EXPERTS SUR LES DROITS ET LE BIEN-ÊTRE DE L’ENFANT 37 VISITES DE PAYS 37 ÉTUDE SUR L’IMPACT DES CONFLITS SUR LES ENFANTS 38 PROCÉDURE DE PLAINTES 38 2.3 COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES 39 MANDAT POUR REMÉDIER AUX VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS EN TEMPS DE CONFLIT 39 UNE COUR ÉLARGIE 40 3. CONSEIL DE PAIX ET DE SÉCURITÉ : MÉCANISMES DE RÉPONSE ET DROITS HUMAINS 41 3.1 STRUCTURE ET MÉTHODES DE TRAVAIL 42 QUALITE DE MEMBRE ET EVALUATION 43 ÉVALUER LES AVANCÉES ET COMBLER LES LACUNES RENFORCER LA RÉPONSE DE L'UNION AFRICAINE AUX VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS LORS DE CONFLITS Amnesty International 3
PRISE DE DECISIONS 44 INTERACTIONS AVEC LA SOCIETE CIVILE 45 3.2 MECANISMES DE REPONSE ET DROITS HUMAINS 46 ALERTE RAPIDE ET PREVENTION 46 OPERATIONS DE SOUTIEN A LA PAIX 47 OBSERVATEURS DES DROITS HUMAINS 60 MISSIONS D'INFORMATION ET COMMISSIONS D'ENQUETE 63 4. SYNERGIE ET COORDINATION ENTRE INSTITUTIONS 65 4.1 CPS ET COMMISSION AFRICAINE 65 4.2 CPS ET COMITÉ DES DROITS DE L’ENFANT AFRICAIN 68 4.3 LE CPS ET LE SYSTÈME CONTINENTAL D’ALERTE RAPIDE 70 4.4 DÉPARTEMENT DES AFFAIRES POLITIQUES ET DÉPARTEMENT DE LA PAIX ET LA SÉCURITÉ 72 CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS 74 RECOMMANDATIONS À LA CONFÉRENCE DE L'UNION AFRICAINE 75 RECOMMANDATIONS AU CONSEIL DE PAIX ET DE SÉCURITÉ 76 SUR LA PRISE DE DECISIONS 76 SUR LE RECUEIL D’INFORMATIONS RELATIVES AUX VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS 76 SUR LES OPERATIONS DE SOUTIEN A LA PAIX 77 SUR LA SYNERGIE ET LA COORDINATION 77 SUR LES INTERACTIONS AVEC LA SOCIETE CIVILE 77 RECOMMANDATIONS AU PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE L’UNION AFRICAINE 78 SUR LA STRATÉGIE INSTITUTIONNELLE 78 SUR LE RECUEIL D’INFORMATIONS RELATIVES AUX VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS 78 SUR L'OBLIGATION DE RENDRE DES COMPTES POUR LES VIOLATIONS 78 SUR LES OPERATIONS DE SOUTIEN A LA PAIX 78 SUR LA SYNERGIE ET LA COORDINATION 79 RECOMMANDATIONS À LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES 79 RECOMMANDATIONS AU COMITÉ AFRICAIN D'EXPERTS SUR LES DROITS ET LE BIEN-ÊTRE DE L'ENFANT 80 RECOMMANDATIONS AUX PARTENAIRES DU DÉVELOPPEMENT 80 ANNEXE 81 ÉVALUER LES AVANCÉES ET COMBLER LES LACUNES RENFORCER LA RÉPONSE DE L'UNION AFRICAINE AUX VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS LORS DE CONFLITS Amnesty International 4
GLOSSAIRE AAG Architecture africaine de la gouvernance ACLED ACLED (Armed Conflict Location and Event Data ; base de données sur les conflits armés et leur localisation) AMIS Mission de l’Union africaine au Soudan AMISOM Mission de l’Union africaine en Somalie ANT Armée nationale tchadienne APF Facilité de soutien à la paix pour l’Afrique APSA Architecture africaine de paix et de sécurité AUCISS Commission d’enquête de l’Union africaine sur le Soudan du Sud BSCI Bureau des services de contrôle interne CADHP Commission africaine des droits de l’homme et des peuples CAEDBE Comité africain d’experts sur les droits et le bien- être de l’enfant CAJDH Cour africaine de justice et des droits de l’homme CCTARC Cellule de suivi, d’analyse et de réponse concernant les victimes civiles CEDEAO Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest CEEAC Communauté économique des États de l’Afrique centrale CER Communauté économique régionale CMPCRD Division de gestion des crises et de la reconstruction post-conflit CONOPS Document de concept d’opérations ÉVALUER LES AVANCÉES ET COMBLER LES LACUNES RENFORCER LA RÉPONSE DE L'UNION AFRICAINE AUX VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS LORS DE CONFLITS Amnesty International 5
CPI Cour pénale internationale CS Conseil de sécurité des Nations unies CTSAMM Mécanisme de suivi du cessez-le-feu et des arrangements sécuritaires transitoires CUA Commission de l’Union africaine DAP Département des affaires politiques de l’Union africaine DPS Département paix et sécurité ECOSOCC Conseil économique, social et culturel EUFOR-RCA Opération militaire de l'Union européenne en Centrafrique FAA Force africaine en attente HCDH Haut-Commissariat aux droits de l'homme HCSS Tribunal hybride pour le Soudan du Sud HRW Human Rights Watch ICISS Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États LRA Armée de résistance du seigneur MAES Mission d'assistance électorale et sécuritaire aux Comores MAPROBU Mission africaine de prévention et de protection au Burundi MFDC Mouvement des forces démocratiques de la Casamance MIAB Mission de l’Union africaine au Burundi MICOPAX Mission de consolidation de la paix en Centrafrique MINUAD Mission conjointe des Nations unies et de l'Union africaine au Darfour MINUSCA Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine MINUSMA Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali MINUSS Mission des Nations unies au Soudan du Sud MIOC Mission d'observation de l'Union africaine aux Comores ÉVALUER LES AVANCÉES ET COMBLER LES LACUNES RENFORCER LA RÉPONSE DE L'UNION AFRICAINE AUX VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS LORS DE CONFLITS Amnesty International 6
MISCA Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine MISMA Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine MNJTF Force multinationale conjointe MPGRC Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits MSU Unité d’appui à la médiation OSC Organisation de la société civile OUA Organisation de l’unité africaine PDI Personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays RCA République centrafricaine RDC République démocratique du Congo ROE Règles d'engagement SCAR Système continental d’alerte rapide TPIR Tribunal pénal international pour le Rwanda TPIY Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie UA Union africaine UE Union européenne ÉVALUER LES AVANCÉES ET COMBLER LES LACUNES RENFORCER LA RÉPONSE DE L'UNION AFRICAINE AUX VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS LORS DE CONFLITS Amnesty International 7
SYNTHÈSE En Afrique, les conflits et les crises sont de nature et d’intensité très variables. Toutefois, ces situations sont généralement caractérisées par des atteintes flagrantes aux droits humains, y compris par des actes qui constituent des crimes relevantdu droit international. Par exemple, la Commission d’enquête de l’Union africaine sur le Soudan du Sud (AUCISS), créée à la suite de l’éclatement du conflit dans le pays en novembre 2013, a constaté que les différentes parties aux conflits avaient commis des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. En décembre 2016, la Commission des Nations unies sur les droits de l’homme au Soudan du Sud faisait état d’un processus de nettoyage ethnique en cours dans le pays. Au Nigeria, plusieurs groupes de défense des droits humains, y compris Amnesty International, ont récemment réuni des éléments de preuve qui tendent à indiquer que les deux parties au conflit, soit Boko Haram et les forces gouvernementales, ont commis des crimes de guerre. Enoutre, les crimes perpétrés par Boko Haram pourraient également constituer des crimes contre l’humanité. Des atteintes systématiques aux droits humains similaires ont été signalées au Cameroun où les forces gouvernementales combattent également le groupe armé Boko Haram. Au Soudan, Amnesty International a rassemblé des éléments indiquant que des armes chimiques auraient été utilisées dans la région du Djebel Marra. En raison de l’ampleur des atrocités commises lors de conflits récents et actuels, l’Union africaine (UA), (et notamment)/par le biais de son Conseil de paix et de sécurité (CPS), a reconnu que la paix et la sécurité sont étroitement liées aux droits humains. Des mesures ont été prises visant à lutter contre les violations des droits humains, en tant que sources de conflits et/ou perpétrées dans ce cadre. L’UA a déployé, par exemple, des observateurs des droits humains au Burundi, en République centrafricaine (RCA) et au Mali et a mis en place une commission chargée d’enquêter sur les violations des droits humains au Soudan du Sud. Elle a aussi commencé à reconnaître le rôle des institutions de défense des droits humains de l’UA, comme la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) et le Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant (CAEDBE), face aux situations de conflit et de crise. Le CPS a par exemple demandé à la CADHP à maintes reprises d’ouvrir des enquêtes sur les atteintes aux droits humains perpétrées dans le cadre de conflits ou de crises. Les institutions de défense des droits humains de l’UA ont également cherché à réagir de diverses façons face aux violations commises dans les conflits. Ainsi, la CADHP a développé une riche jurisprudence concernant le droit à la paix. Elle a également conduit des missions pour enquêter dans des pays en proie à un conflit et a adopté des résolutions sur des pays spécifiques qui condamnent les violations des droits humains dans le cadre de conflits. Outre des visites au Soudan du Sud et en RCA, le CAEDBE a par ailleurs récemment publié une étude sur l’impact des conflits sur les enfants, en exhortant les États membres de l’UA à faire preuve d’un vrai engagement politique pour mettre un terme aux conflits. Malgré le nombre croissant d’interventions, la reconnaissance des liens entre la gestion des conflits et la protection des droits humains, les avancées en matière de développement normatif ainsi que les réformes institutionnelles, de nombreuses lacunes subsistent dans les initiatives prises par l’UA pour intégrer le respect, la promotion et la protection des droits humains dans ses processus de paix et de sécurité. Ce rapport a identifié de nombreuses insuffisances que l’on peut classer en six catégories principales. Tout d’abord, il existe d’importantes failles dans les mécanismes de prévention des conflits. L’UA est consciente que la réponse à un conflit qui a déjà éclaté est très onéreuse et que par conséquent les investissements et l’attention doivent se porter sur la prévention des conflits. C’est pourquoi les mandats de trois des cinq composantes de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA) accordent une place centrale à la prévention des conflits. Celle-ci constitue la vocation première du CPS, du Système continental d’alerte précoce (SCAR) et du Groupe des Sages. Grâce aux données collectées dans le cadre du SCAR et ÉVALUER LES AVANCÉES ET COMBLER LES LACUNES RENFORCER LA RÉPONSE DE L'UNION AFRICAINE AUX VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS LORS DE CONFLITS Amnesty International 8
au recours à la diplomatie préventive, l’UA a réussi par le passé à empêcher que certaines crises ne se transforment en de graves conflits. En 2015, le rapport concernant l’impact de l’APSA a indiqué que les mesures préventives déployées par l’UA avaient contribué à désamorcer des crises sévissant dans quatre pays (Burkina Faso, Guinée-Bissau, Guinée et Nigeria). Ces efforts de l’UA n’ont que partiellement réussi dans deux pays (Tanzanie et Togo), et ont échoué dans un pays (Burundi). Toutefois beaucoup reste à faire et doit être fait pour renforcer les mesures de l’UA en matière de prévention des conflits. Il y a notamment un besoin urgent de combler les lacunes relevées dans la collecte des données sur les violations des droits humains dans le cadre du système d’alerte précoce. Le SCAR est relié aux mécanismes d’alerte précoce des communautés économiques régionales (CER) qui lui communiquent régulièrement des informations. Toutefois, il n’existe pas de mécanisme équivalent permettant au SCAR de recevoir et de traiter des informations issues d’organes de suivi des traités relatifs aux droits humains, comme notamment la CADHP et le CAEDBE. En tant qu’organisme principal de défense des droits humains au niveau régional, la CADHP reçoit et détient de façon précise un grand nombre d’informations concernant les pratiques systématiques de violations des droits humains. Il est indispensable que ces renseignements importants, qui pourraient contribuer de manière significative à détecter les conflits de manière précoce, soient fournis au SCAR. Par ailleurs il existe un autre problème, lié au premier, qui concerne la capacité et la volonté de la CADHP elle-même de répondre aux situations de conflits avant qu’elles ne s’aggravent. Tout d’abord, lorsque des problèmes liés aux droits humains surviennent dans les pays touchés par un conflit, elle réagit souvent trop tardivement en intervenant lorsque le conflit a déjà atteint son /paroxysme. Les déclarations publiques de la CADHP sur la détérioration de la situation des droits humains dans un pays peuvent servir d’avertissement pour alerter sur le risque d’un conflit, mais contribuent peu aux dispositifs de prévention des conflits. De surcroît, la CADHP a d’une manière générale laissé tomber dans l’oubli le mandat prévu à l’article 58 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. En effet, aux termes de l’article 58(1), la CADHP a pour mission de notifier la Conférence de l’UA sur les situations qui montrent l'existence d'une série de violations graves ou massives des droits humains et doit saisir la Conférence de l’UA, selon l’article 58(3), en cas de situations d’urgence qu’elle aurait dûment constatées. Or elle a rarement invoqué ces dispositions. En deuxième lieu, bien que la pratique consistant à déployer des observateurs des droits humains, mener des missions d’information et mettre en place des commissions d’enquête se soit accrue, il apparaît que de manière systématique, les recommandations formulées dans les rapports issus de ces processus ne sont pas examinées, publiées et appliquées. Il est certain que les missions d’enquête de la CADHP déployées sur instruction du CPS au Darfour (2004), au Mali (2013) et au Burundi (2015) ont contribué aux efforts faits pour recenser les violations des droits humains commises dans ces pays lors de conflits. De même, le rapport de la Commission d’enquête de l’Union africaine sur le Soudan du Sud (AUCISS) est l’un des rapports officiel faisant autorité sur la nature et la gravité des violations perpétrées dans ce pays. Mais dans les cas où le CPS a autorisé que des enquêtes soient ouvertes sur des violations des droits humains liées à un conflit, la difficulté réside dans la prise en compte et la publication des résultats de ces missions, ainsi que dans la mise en œuvre des recommandations. En raison des retards pris à les examiner et à les publier, les rapports d’enquête ont finalement peu d’utilité concrète et d’incidences politiques. Ainsi, le rapport de la mission de la CADHP au Darfour en juillet 2004 n’a pas été rendu public pendant près de trois ans. Fait encore plus inquiétant, il n’existe aucune trace indiquant que le CPS a pris connaissance du rapport. Le rapport de mission de la CADHP au Mali en 2013 a connu un sort pareil. Celui de la CADHP au Burundi en 2015 a été examiné par le CPS, mais après que son contenu soit devenu caduc, de l’avis même du CPS, en raison de l’évolution des événements. Une situation analogue s’est produite dans le cas du rapport de la Commission d’enquête de l’Union africaine sur le Soudan du Sud qui a été finalisé en novembre 2014, mais rendu public seulement près d’un an plus tard. De même, les rapports d’enquête portant sur les violations des droits humains qui auraient été commises par les forces de maintien de la paix de l’UA ne sont rendus publics, le plus souvent, que partiellement ou pas du tout. L’UA doit chercher à combler cette lacune et faire en sorte que les rapports qu’elle a commandés soient pris en compte et publiés sans délai. L’UA doit aussi s’engager à mettre en œuvre les recommandations faites par les missions d’information ou par les commissions d’enquête. Jusqu’à présent, la plus grande partie, sinon la totalité, des recommandations issues des missions d’information ou des enquêtes autorisées par le CPS n'ont été ni appliquées ni prises en compte. En troisième lieu, il existe des insuffisances systématiques en matière de suivi et d’application des décisions prises par les organes régionaux de suivi des traités concernant les violations des droits humains liées à des conflits. Ces organes régionaux ont tous pris plusieurs décisions (sous la forme de recommandation ou d’ordonnances) concernant les violations des droits humains liées à des conflits. Ces décisions exigent que les États défendeurs dans ces situations précises prennent des mesures particulières pour remédier aux ÉVALUER LES AVANCÉES ET COMBLER LES LACUNES RENFORCER LA RÉPONSE DE L'UNION AFRICAINE AUX VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS LORS DE CONFLITS Amnesty International 9
violations identifiées par les organes de suivi des traités, notamment en accordant des réparations aux victimes de ces actes. Toutes ces décisions ont été accueillies par un silence assourdissant par les États défendeurs. Bien que la CADHP et la Cour africaine des droits de l’homme aient porté à de nombreuses reprises des affaires de non-respect des décisions à l’attention du Conseil exécutif de l’UA, les États défendeurs n’ont pas eu à y répondre. La Conférence de l’UA devrait pour le moins exiger que les États défendeurs lui soumettent des rapports lui indiquant les mesures qu’ils ont prises pour mettre en œuvre ces recommandations ou ces ordonnances. En quatrième lieu, l’obligation de rendre des comptes pour les auteurs de graves violations des droits humains commises en temps de conflit pose encore de sérieux problèmes. Le manque manifeste de volonté politique de l’UA de traduire en justice les responsables de violations survenues lors de conflits n’est pas sans rapport avec les retards constatés dans l’examen et la publication des rapports en matière de droits humains. En prenant simplement acte du rapport de la mission d’information du CADHP au Burundi, le CPS n’a donc ni pris en compte ni pris des mesures pour appliquer une recommandation importante énoncée dans le document, à savoir mettre en place un mécanisme veillant à ce que les responsables de violations flagrantes des droits humains rendent des comptes. Dans le cas du Soudan du Sud, la création du Tribunal hybride de l’UA pour le Soudan du Sud (HCSS) n’est pas encore une réalité, plus d’un an après la publication du rapport de la Commission d’enquête de l’UA sur le Soudan du Sud et de la signature de l’accord de paix. Il existe des manquements manifestes des opérations de maintien de la paix à leurs obligations de rendre des comptes. À plusieurs reprises, des soldats du maintien de la paix ont été accusés d’atteintes graves aux droits des populations civiles pour la protection desquelles ils ont été déployés. Les troupes de l’AMISOM ont par exemple été impliquées dans des homicides de civils, ainsi que dans des actes d’exploitation et de sévices sexuels. De même, les troupes de la MISCA ont été citées dans des allégations d’homicides, de disparitions forcées, de torture et de violence sexuelle. Dans de nombreux cas, la réaction de l’UA face aux allégations de violations commises par ses soldats a été entachée de graves irrégularités. Ainsi, l’UA n’a pas ouvert d’enquêtes indépendantes sur les allégations selon lesquelles les soldats du contingent tchadien de la MISCA avaient tué des civils lors des événements du 29 mars 2014 en République centrafricaine (RCA). De surcroît, les mécanismes permettant de faire en sorte que les troupes de l’AU répondent de leurs actes et de leurs pratiques répréhensibles ne sont généralement pas suffisants. L’application de l’obligation de rendre des comptes pour les soldats chargés du maintien de la paix est sous la responsabilité des pays contributeurs de troupes, l’UA et la mission de maintien de la paix ne jouant donc aucun rôle important dans le processus. De plus, l’UA ne dispose pas de mécanisme assurant le suivi des issues des procédures pénales ou disciplinaires engagées par les pays contributeurs. Dans les cas où l’UA a indiqué que des enquêtes avaient été ouvertes pour déterminer si des soldats de maintien de la paix avaient commis des violations, les conclusions de ces procédures n’ont que rarement été rendues publiques. Dans d’autres cas, les mesures prises par les missions de maintien de la paix face aux atteintes aux droits humains perpétrées par leurs soldats ont été inadéquates. Ensuite, les efforts déployés par l’UA pour veiller à la protection des populations civiles et remédier aux violations commises en temps de conflit se heurtent à de sérieux obstacles en termes de logistique et de ressources. L’UA a fortement progressé en faisant en sorte que les missions de maintien de la paix disposent de mandats spécifiques de protection des populations civiles, mais ces missions ne disposent pas, le plus souvent, des ressources suffisantes leur permettant d’exécuter leur mandat. De même, le déploiement d’observateurs des droits humains a été retardé dans certains cas (par exemple au Burundi) en partie par manque du financement nécessaire à sa mise en œuvre. L’absence d’appui logistique et le manque de ressources sont constitutifs d’un problème plus large et plus complexe de capacité auquel est confronté l’UA : celui de la forte dépendance des opérations de paix et de sécurité vis-à-vis des pays donateurs. Les partenaires pour le développement et d’autres acteurs internationaux financent la quasi-totalité du budget de l’UA en matière de paix et de sécurité. En effet, l’UA ne couvre que 2 % de son budget en matière de paix et de sécurité alors que les 98 % restants dépendent des contributions des partenaires de développement et d’autres acteurs internationaux, comme l’ONU. En juillet 2016 lors de la 27e session ordinaire de la Conférence de l’UA, les États membres se sont engagés à verser à l’UA les fonds collectés dans le cadre d’une taxe de 0,2 % qui s’appliquerait sur les importations dans leurs pays respectifs de produits éligibles. Cette décision a été prise dans le but de garantir que l’UA sera dans la capacité d’ici 2020 de prendre en charge au moins 25 % de ses activités dans le domaine de la paix et de la sécurité. À la connaissance d’Amnesty International, seul le Rwanda a démarré le processus de collecte au niveau national de la taxe de 0,2 % sur les importations éligibles à la fin mars 2017. Afin de résoudre ce problème de financement, il est impératif que tous les États membres de l’UA tiennent leurs engagements financiers afin de garantir une protection efficace des civils et de réagir aux violations des droits humains lors des opérations de paix et de sécurité de l’UA. ÉVALUER LES AVANCÉES ET COMBLER LES LACUNES RENFORCER LA RÉPONSE DE L'UNION AFRICAINE AUX VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS LORS DE CONFLITS Amnesty International 10
En dernier lieu, la coordination et la synergie institutionnelle continuent de poser des problèmes profondément enracinés. L’absence de réponse coordonnée empêche l’UA de prendre les mesures efficaces pour la protection et la promotion des droits humains dans le cadre de ses processus de paix et de sécurité. Ainsi, bien que le Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine (Protocole du CPS) impose en particulier au CPS de collaborer étroitement avec la CADHP, ces deux institutions n’ont eu que peu d’interactions jusqu’à présent. L’article 19 du Protocole du CPS prévoit une relation à double sens entre le CPS et la CADHP, mais cette disposition n’a pas encore été appliquée. De même, il semble y avoir des lacunes dans les interactions entre le CPS et le SCAR, en raison notamment de l’absence de voies officielles permettant au SCAR de transmettre directement des informations dans le processus de prise de décisions du CPS. Les appels se multiplient pour que le SCAR relaye ses informations reçues directement auprès du CPS. Le CPS s’achemine progressivement vers l’institutionnalisation de sa session annuelle avec le CAEDBE, bien qu’il n’ait pas toujours donné au CAEDBE l’occasion de s’exprimer lors de sessions ad hoc pertinentes, comme lors de la dernière session intitulée « Protéger les enfants des conflits : le cas des enfants soldats en Afrique », qui s’est tenue en février 2017. Les défis évoqués ci-dessus ne sont ni insurmontables ni spécifiques à l’UA. Ce rapport se termine par un ensemble de recommandations destinées à compléter les mesures déjà adoptées ou en cours d’examen par l’UA. Amnesty International estime que la mise en œuvre de ces recommandations devrait contribuer à renforcer l’intégration des droits humains dans les processus de paix et de sécurité déployés par l’UA. PRINCIPALES RECOMMANDATIONS AU CONSEIL DE PAIX ET DE SÉCURITÉ Créer au sein de sa structure, conformément à l’article 8(5) du Protocole du CPS, un comité des droits humains chargé de garantir que le respect, la protection et la promotion des droits humains soient incorporés ou intégrés dans toutes les politiques et les actions du CPS ; Veiller à ce que les rapports issus des missions d’information ou des commissions d’enquête établies en application de ses décisions soient examinés et publiés sans délai ; Garantir le suivi et l’application des recommandations issues des missions d’information et des commissions d’enquête. À cet égard, le CPS doit notamment prendre des mesures adéquates pour appliquer les recommandations émanant du rapport de la mission d’information de la CADHP au Burundi ; Institutionnaliser la nouvelle pratique de déploiement d’observateurs des droits humains dans les pays touchés par des conflits et engager la Commission de l’Union africaine à élaborer des directives pour leur déploiement ; Veiller à ce que les missions de maintien de la paix de l’UA soient dotées d’un mandat clair, explicite et ferme en matière de protection des civils. Ces mandats doivent être assortis de ressources suffisantes et d’un appui logistique susceptibles de garantir leur mise en œuvre efficace ; Institutionnaliser, rendre claires et opérationnelles les modalités pour la mise en place d’interactions et de rencontres régulières entre la CADHP et le CAEDBE, comme prévu par l’article 19 du Protocole du CPS ; Encourager la CADHP à faire usage à nouveau de son mandat prévu dans l’article 58 de la Charte africaine, notamment en formulant des directives pour recevoir et examiner des requêtes en vertu de l’article 58 ; Institutionnaliser la nouvelle pratique consistant à recevoir régulièrement des notes du SCAR et instaurer, en consultation avec le Président de la Commission de l’UA, un moyen de transmettre directement les informations du SCAR au CPS. PRINCIPALES RECOMMANDATIONS AU PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE L’UNION AFRICAINE Mettre en œuvre les recommandations issues du rapport d’août 2016 du Haut Représentant pour le Fonds de la paix et notamment celle concernant l'élaboration d'un cadre d'intégration du respect des droits humains dans les opérations de l'UA et la finalisation de la politique de l’UA en matière de déontologie et de discipline; Élaborer des directives sur le mandat, la conception, l’organisation et les méthodes de travail des observateurs des droits humains déployés pour surveiller les violations des droits humains dans les situations de conflit ou de crise; ÉVALUER LES AVANCÉES ET COMBLER LES LACUNES RENFORCER LA RÉPONSE DE L'UNION AFRICAINE AUX VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS LORS DE CONFLITS Amnesty International 11
Publier sans délai les rapports des observateurs des droits humains déployés pour surveiller les violations des droits humains commises dans les situations de conflit ou de crise; Faciliter l’élaboration d’une base de données exhaustive et transparente d’experts en droits humains qui pourraient être déployés à brève échéance comme observateurs de droits humains dans les situations de conflit et de crise. Prendre des mesures urgentes pour lutter contre l’impunité pour les auteurs de violations flagrantes des droits humains perpétrées par les parties au conflit de même que par les forces de maintien de la paix de l’UA. À cet égard, le Président de la Commission de l’UA doit : o mettre en place le Tribunal hybride du Soudan du Sud sans plus attendre ; o établir un mécanisme de surveillance, indépendant et permanent, chargé d’enquêter sur les violations des droits humains qui auraient été commises par les soldats du maintien de la paix de l’UA, et qui ressorteent des recommandations du Haut Représentant pour le fonds de la paix et de l’équipe responsable d’enquêter en 2014 sur les allégations d’exploitation et d’abus sexuels par les troupes de l’AMISOM. Veiller à ce que les missions de maintien de la paix de l’UA soient dotées d’un mandat clair, explicite et ferme en matière de protection des civils. Ces mandats devraient figurer dans tous les documents de la mission (par exemple dans les règles d'engagement, le concept des opérations et la stratégie de la mission) et accompagnés de ressources financières/humaines/matérielles suffisantes et d’un soutien logistique capable d’assurer une application efficace; Élaborer un cadre de respect des droits humains lors des opérations de maintien de la paix de l’UA comme le recommande le rapport d’août 2016 du Haut Représentant pour le fonds de la paix. Veiller à ce que la Commission de l’UA, les missions de maintien de la paix et les pays contributeurs de troupes mettent en œuvre ce cadre. Ce cadre doit couvrir les domaines suivants : la sélection, le filtrage et la formation des contingents du maintien de la paix de même que la mise en place de mécanismes efficaces garantissant que les troupes rendent compte de leurs actes. RECOMMANDATIONS À LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES Rétablir et utiliser efficacement son mandat prévu dans l’article 58 de la Charte africaine afin de signaler à la Conférence de l’UA l’existence d’un ensemble de violations massives et graves des droits humains de même que les situations d’urgence; Encourager vivement les États membres à lui octroyer une invitation permanente et ouverte afin qu’elle mène des missions d’information. Veiller à un suivi régulier des demandes en attente par l’intermédiaire de la Conférence de l’UA; Suivre la mise en œuvre des décisions émanant des procédures de communication et des recommandations issues des rapports de missions d’information et des résolutions thématiques ou sur les pays. Ce suivi peut être conduit par l’intermédiaire de différents mécanismes, notamment lors des missions de promotion et lors des processus d’examen des rapports des États parties; Accélérer la préparation de l’étude sur les droits humains dans les situations de conflit en Afrique et l’élaboration d’une stratégie et d’un cadre global pour répondre aux violations des droits humains commises dans les situations de conflit comme prévu dans la résolution 332. Ce processus doit permettre que toutes les parties prenantes concernées, notamment la société civile, soient consultées de manière adéquate; Veiller à instaurer un dialogue systématique, institutionnalisé et régulier avec le CPS et attirer notamment l’attention du CPS sur des informations concernant les violations systématiques de droits humains qui pourraient être source de conflits et/ou être perpétrées dans ce cadre. À cet égard, élaborer en priorité les modalités d’application de l’article 19 du Protocole du CPS qui prévoit la coopération avec le CPS; Créer au sein de son secrétariat une unité de recherche destinée à collecter et à analyser les informations sur les violations flagrantes de droits humains qui pourraient être sources de conflits ou de crises et/ou être perpétrées dans ces contextes. Cette unité de recherche doit être dotée des ressources et des capacités nécessaires pour mener à bien des études et des enquêtes sur les situations de conflit. ÉVALUER LES AVANCÉES ET COMBLER LES LACUNES RENFORCER LA RÉPONSE DE L'UNION AFRICAINE AUX VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS LORS DE CONFLITS Amnesty International 12
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INTRODUCTION L’Union africaine (UA) fait preuve d’une volonté croissante de diriger la conception et la mise en place de politiques et de réponses concrètes face aux situations de conflit et de crise en Afrique. Une évaluation d’impact menée en 2015 sur les opérations menées par l’UA dans le cadre de conflits indique que l’organisation est intervenue dans 51 % des conflits violents affectant le continent1. Le rapport décrit l’UA et les communautés économiques régionales (CER) comme « des acteurs irremplaçables pour garantir la paix et la sécurité en Afrique2 ». La volonté de l’UA de piloter les interventions dans le cadre des situations de conflit en Afrique prend ses racines dans l’idée que l’Afrique doit trouver les solutions aux problèmes qu’elle rencontre ; elle doit prendre en main le destin et l’avenir de ses populations. Cette ferme intention trouve son expression dans la devise « des solutions africaines aux problèmes africains ». Avant la création de l’UA en 2000, les Nations unies (ONU) étaient le principal acteur, voire le seul, sur les questions de paix et de sécurité en Afrique. Dans les années 1990, les efforts de l’Organisation de l'unité africaine (OUA) pour faire face aux situations de conflit étaient limités et relégués au second plan par ceux de l’ONU. Ainsi, le déploiement des opérations de maintien de la paix du temps de l’OUA relevait de la compétence exclusive de l’ONU3. Aujourd’hui, les opérations de maintien de la paix en Afrique représentent les trois quarts de celles déployées par l’ONU4, et par conséquent l’ONU joue toujours un rôle important et actif en matière de paix et de sécurité en Afrique. Toutefois, elle n’assume plus ce rôle de façon exclusive mais en partenariat avec l’UA5. Depuis sa création, l’UA s’est engagée à débarrasser le continent de ses conflits et à jouer un rôle de premier plan dans cette tâche. Elle a pris un certain nombre de mesures pour que cet engagement se concrétise. L’UA a notamment mis en place un cadre normatif et institutionnel global : l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA). L’APSA s’appuie sur les structures que l’OUA, l’institution qui a précédé l’Union africaine, avait commencé à mettre en place à la fin de son existence et les a améliorées. Face au grand nombre de guerres civiles sévissant dans de nombreuses régions d’Afrique à la fin des années 1980 et au début des années 1990, l’OUA avait commencé à s’intéresser, avec quelques réticences, aux conflits violents et à leurs effets dévastateurs. La Déclaration du Caire de 1993 établissait l’approche de l’OUA en la matière. En vertu de cette déclaration, l’OUA avait mis en place le Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits (MPGRC) en tant que structure permanente chargée de répondre aux conflits6. Il fut reproché à ce mécanisme un manque de «légitimité empirique et d’opérabilité fonctionnelle7 ». En bref, le MPGRC et l’OUA de manière générale n’ont pas été en mesure de prévoir avec précision les situations de conflit et de crise, et d’y répondre efficacement. La transformation de l’OUA en UA a permis de faire progresser le mécanisme régional normatif et institutionnel pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits. Cette amélioration s’exprime dans les normes et les opérations de l’APSA. Le Conseil de paix et de sécurité de l’UA (CPS) est le pilier principal de l’APSA. Mais l’APSA s’articule également autour d’autres piliers tels que : le Groupe des Sages, le Système 1 Deutsche Gesellschaft fur Internationale Zusammenarbeit (GIZ) GmbH, APSA impact report: The state and impact of the African Peace and Security Architecture (APSA) in 2015, 2016, p. 8 (ci-après appelé : GIZ, Rapport d’impact de l’APSA (en anglais), 2015) 2 GIZ, Rapport d’impact de l’APSA (en anglais), 2015, p. 8. 3 Commission de l’Union africaine, feuille de route de l’APSA 2016-2020, 2016, p. 12 (ci-après appelé CUA, feuille de route de l’APSA). 4 Parmi les 16 opérations de maintien de la paix en cours, neuf sont situées en Afrique. Voir http://www.un.org/fr/peacekeeping/operations/current.shtml (consulté le 21 décembre 2016). 5 Voir, de façon générale, Julian Brett, le rapport (en anglais) The inter-relationship between the African Peace and Security Architecture, the Global Peace and Security Architecture and Regional Initiatives (2013); Rapport en anglais du Conseil de sécurité Working together for peace and security in Africa: The Security Council and the AU Peace and Security Council (2011). 6 Doc OUA AHG/Decl.3/(XXIX). 7 J. Levitt « Conflict prevention, management, and resolution: Africa – regional strategies for the prevention of displacement and protection of displaced persons: The cases of the OAU, ECOWAS, SADC, and IGAD », (2001) 11 Duke Journal of Comparative & International Law 39, 56. ÉVALUER LES AVANCÉES ET COMBLER LES LACUNES RENFORCER LA RÉPONSE DE L'UNION AFRICAINE AUX VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS LORS DE CONFLITS Amnesty International 14
continental d’alerte rapide (SCAR), la Force africaine en attente (FAA) et le Fonds pour la paix. L’évolution des différentes composantes de l’APSA a été inégale, mais la plupart d’entre elles sont presque totalement fonctionnelles8. Les activités de l’APSA sont censées être complétées par l’Architecture africaine de la gouvernance (AAG). L’AAG correspond au cadre normatif et institutionnel de l’UA destiné à promouvoir, harmoniser et maintenir un ensemble de trois « valeurs communes » spécifiques : la démocratie, la bonne gouvernance et les droits humains9. L’AAG vise, entre autres, à accroître la synergie, la coordination et la coopération entre les organes de l’UA, les institutions et les CER sur les questions de démocratie, de gouvernance, de droits humains et d’aide humanitaire10. L’AAG cherche également à soutenir les engagements pris de façon concertée dans le domaine de la prévention des conflits et des processus de reconstruction et de développement après un conflit11. Au total, 12 institutions sont membres de la plateforme de l’AAG12. Parmi les membres de cette plateforme figurent trois organes régionaux de suivi des traités relatifs aux droits humains : la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), le Comité africain d'experts sur les droits et le bien-être de l'enfant (CAEDBE) et la Cour africaine sur les droits de l’homme et des peuples (Cour africaine des droits de l’homme). Dans le cadre de leurs mandats respectifs, ces organes spécifiques réagissent souvent aux atteintes aux droits humains commises lors des conflits. Figure 1 : Composantes de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA) 8 Rapport d’impact de l’APSA (en anglais), 2015, p. 17-32 9 Pour une présentation de l’AAG, voir la Commission de l’Union africaine, le Cadre de l’Architecture africaine de la gouvernance, (non daté), disponible sur : http://aga-platform.org/AGA%20%20Frame%20work%20%20-%20Online%20FINAL.pdf 10 Commission de l’Union africaine, Deepening democracy : the African Governance Architecture and Platform - Rapport annuel de 2014, 2015, p. 12 (appelé ci-après : CUA, Rapport annuel 2014 de l’AAG). 11 CUA, Rapport annuel 2014 de l’AAG, p. 12. 12 Ces institutions sont les suivantes : le CPS, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), la Commission de l’Union africaine (CUA), la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Cour africaine), le Mécanisme africain d'évaluation par les pairs (MAEP), la Commission de l’Union africaine pour le droit international, le Conseil consultatif de l’Union africaine sur la corruption, le Comité africain d'experts sur les droits et le bien-être de l'enfant (CAEDBE), l’Agence de planification et de coordination du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), le Conseil économique, social et culturel, et les CER. ÉVALUER LES AVANCÉES ET COMBLER LES LACUNES RENFORCER LA RÉPONSE DE L'UNION AFRICAINE AUX VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS LORS DE CONFLITS Amnesty International 15
Malgré les avancées d’ordre normatif et institutionnel réalisées jusqu’à présent, il reste un grand nombre de points d’interrogation concernant l’efficacité, la régularité et la cohérence des réponses de l’UA face aux atteintes aux droits humains qui génèrent des conflits ou qui sont commises lors de conflits. Ce rapport examine dans quelle mesure le respect, la promotion et la protection des droits humains sont intégrés dans les processus de paix et de sécurité de l’UA. Quatre questions spécifiques sont traitées ici : Le droit de l’UA d’intervenir dans un État partie pour empêcher ou faire cesser la commission des crimes spécifiques suivants aux termes du droit international : crimes contre l’humanité, crimes de guerre et génocide. La réponse des organes de suivi des traités régionaux relatifs aux droits humains face aux violations de droits humains commises en temps de conflit. Concernant cette question, le rapport se penche sur les pratiques de la CADHP, du CAEDBE et de la Cour africaine des droits de l’homme. La réponse du CPS aux violations des droits humains commises dans le cadre de conflits. À cet égard, le rapport s’intéresse particulièrement aux mécanismes de réaction du CPS qui sont les suivants : l’alerte précoce et la prévention, les opérations de maintien de la paix, le déploiement d’observateurs des droits humains, les missions d’information et les commissions d’enquête. Le degré de synergie et de coordination entre les organes de l’UA et les institutions qui interviennent face aux violations des droits humains commises en période de conflit. En bref, le rapport analyse implicitement dans quelle mesure l’APSA se réfère à l’AAG dans le cadre des liens existants entre paix, sécurité et droits humains. Comme indiqué ci-dessus, le mandat de l’UA sur la paix et la sécurité est partagé avec l’ONU qui porte la responsabilité première du maintien de la paix et de la sécurité internationale. Ces deux institutions collaborent généralement dans leurs réponses aux situations de conflit en Afrique. Cette collaboration est prise en considération dans ce rapport. Mais pour mieux circonscrire cette étude, les liens entre les activités de l’UA et celles de l’ONU sur les questions de paix et de sécurité en Afrique ne seront pas abordés de façon approfondie. De même, le rapport n’examine pas en détail la collaboration entre l’UA et les CER en Afrique. Les CER ont des mandats en matière de paix et de sécurité dans le cadre de leurs sphères de compétence spécifiques au niveau sous-régional et ont adopté un protocole d’accord sur la coopération dans le domaine de la paix et de la sécurité avec l’UA. ÉVALUER LES AVANCÉES ET COMBLER LES LACUNES RENFORCER LA RÉPONSE DE L'UNION AFRICAINE AUX VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS LORS DE CONFLITS Amnesty International 16
MÉTHODOLOGIE Depuis des décennies, Amnesty International surveille la situation des droits humains et recueille des informations sur les atteintes aux droits humains commises dans les situations de conflit et de crise en Afrique. Ce rapport s’appuie sur ce vaste ensemble de travaux. Il repose également sur l’examen et l’analyse de documents importants, notamment des rapports, des communiqués et des articles de presse issus des organes et des institutions concernés de l’UA. Cette recherche documentaire a été complétée par des entretiens avec des questions ouvertes auprès de parties prenantes concernées, notamment des responsables de l’UA, des représentants des gouvernements, des partenaires de développement et des représentants de la société civile13. De surcroît, Amnesty International a organisé deux tables rondes pour recueillir des informations et des contributions des participants en vue de la rédaction du rapport. En marge de la 55e session ordinaire de la CADHP organisée en avril 2015 à Luanda en Angola, Amnesty International a organisé une table ronde sur le thème « Conflits en Afrique et CADHP ». L’objectif principal de cet événement était d’étudier le besoin et la possibilité de mettre en place un mécanisme spécial pour aider la CADHP à prendre des mesures face aux situations de conflit et de crise en Afrique. Suite à cette réunion, Amnesty International a organisé une autre table ronde en marge du 25e Sommet de l’UA tenu en juin 2015 à Johannesburg en Afrique du Sud. Celle-ci a surtout porté sur le bilan de l’UA dans la prévention et la lutte contre les violations des droits humains dans le cadre de conflits. Les participants étaient issus des organes et des institutions de l’UA, du milieu universitaire et des organisations de la société civile. Le rapport s’appuie également sur une analyse statistique de documents publics provenant du CPS et de la CADHP, et concernant les situations de conflit. L’objectif de l’analyse statistique est d’évaluer la manière dont le CPS et la CADHP réagissent aux différents types de conflits. L’analyse a examiné les publications de ces deux institutions, notamment les communiqués, les articles de presse, les décisions, les déclarations et les résolutions. Ces documents mis à la disposition du public permettent une assez bonne évaluation de la réaction institutionnelle dans la mesure où leur contenu rend compte des mandats et des activités de chaque institution. Ces documents ont été régulièrement publiés par le CPS et la CADHP depuis leur création et couvrent largement les actions passées et présentes de ces deux institutions. Enfin, l’analyse a été restreinte aux documents faisant référence aux conflits passés ou en cours en Afrique. Les documents du CPS et du CADHP étant publiés en ligne, des techniques d’extraction d’informations (« web-scraping ») ont été utilisées pour télécharger et organiser les données textuelles. Grâce à ces techniques d’extraction, 575 documents du CPS et 234 documents du CADHP publiés entre 2004 et 2015 ont été récupérés. Ces fichiers ont été fusionnés dans une base de données de synthèse CPS-CADHP où chaque fichier a été identifié par son titre, sa date de publication, le ou les pays visés, le(s) domaine(s) thématique(s) et le texte du document dans son intégralité. Cette grande base de données textuelles a été analysée grâce à des techniques de traitement du langage naturel. À partir d’algorithmes informatiques, des centaines de textes ont été analysés simultanément, permettant une analyse sémantique d’envergure. Plus précisément, la base de données de synthèse CPS-CADHP a été utilisée pour établir si et dans quel contexte des expressions spécifiques apparaissent dans des textes spécifiques. Ces expressions ont ensuite servi à évaluer l’intensité de la réponse institutionnelle, depuis le commentaire de pure forme jusqu’à de véritables demandes d’intervention. 13 Amnesty International a mené des enquêtes avec les différentes parties prenantes concernées à Addis Abeba en Éthiopie du 16 au 20 mai 2016. ÉVALUER LES AVANCÉES ET COMBLER LES LACUNES RENFORCER LA RÉPONSE DE L'UNION AFRICAINE AUX VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS LORS DE CONFLITS Amnesty International 17
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