Vers une économie " verte et sociale - Oxfam-Magasins du monde

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Vers une économie « verte » et sociale ?
Le concept « d’économie verte » sera au centre de la prochaine Conférence de RIO+20, en juin prochain. En
effet, « l’économie verte dans le contexte du développement durable et de l’éradication de la pauvreté »
est l’un des deux thèmes majeurs de ce Sommet, l’autre étant la gouvernance du développement durable.
Un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement, de 2011, définit l’économie verte en ces
termes : une « économie qui entraîne une amélioration du bien être humain et de l’équité sociale tout en
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réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie des ressources » . Dans le
cadre de sa stratégie Europe 2020, l’Union Européenne, parle d’une « économie plus efficace dans
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l’utilisation des ressources, plus verte et plus compétitive » . Pour une transition vers une économie verte,
elle préconise d’investir dans les principales ressources et le capital naturel, de combiner instruments de
marché et instruments réglementaires, de renforcer la gouvernance et d’encourager la participation du
secteur privé. Quant à l’OCDE, elle utilise les termes de « croissance verte », dans son rapport de 2010 sur
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une Stratégie pour une croissance verte . En décembre 2011, elle signalait aussi que le fossé entre riches
et pauvres n’a jamais été aussi grand.

Comment aménager la transition vers une économie verte qui intègre la réduction des inégalités ? C’est
une des tâches auxquelles vont s’atteler, à la Conférence de Rio, négociateurs institutionnels et parties
prenantes dont les représentants de la société civile. La flambée des prix des matières premières,
alimentaires et énergétiques, la pénurie d’eau douce et les changements climatiques seront à l’arrière
plan des discussions. Le PNUE fait le constat que « de meilleures politiques publiques comportant entre
autres des mesures réglementaires et d’établissement des prix s’imposent donc pour changer les
mesures incitatives perverses responsables de cette mauvaise allocation des capitaux et aveugles aux
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externalités sociales et environnementales » . Une opportunité aussi pour tout un chacun de s’intéresser
à l’économie « verte » qui s’invite de plus en plus dans les débats sur les solutions à la crise écologique et
économique que nous connaissons…

Filières vertes
Par « économie verte » on entend entre autres le développement de secteurs qui touchent à
l’environnement. Les Etats les encouragent par le biais de commandes publiques, ce qui contribue à
réduire les prix des produits durables, bien que les plans d’austérité actuels ralentissent les
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investissements en la matière . Quand ils sont rentables, les secteurs verts attirent des investisseurs
privés et sont souvent liés aux nouvelles technologies. Ainsi « près de 627 milliards de dollars de capitaux
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privés ont déjà été investis entre 2007 et mi-2010 dans les énergies renouvelables » . Les domaines de
l’énergie, de l’industrie, du logement, des transports, de l’agriculture, de la pêche, de la foresterie, de
l’eau sont concernés. Le développement des filières de l’efficacité énergétique, d’énergies renouvelables,
des déchets, des écoproduits et de la chimie verte a permis de créer de nouveaux « métiers verts ». Ces
secteurs comptent souvent des PME et offrent une proportion appréciable d’emplois de proximité, plus
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intéressants en valeur travail qu’en consommation de ressources . La Commission européenne a calculé
que l’Union européenne pourrait créer 600 000 emplois en tirant 20% de ses besoins en énergie
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renouvelable et 400 000 autres en améliorant son efficacité énergétique de 20% . De plus, dans les pays
qui développent ces activités, la balance commerciale devient excédentaire sur ce segment de marché.

1
    Vers une économie verte : pour un développement durable et une éradication de la pauvreté, synthèse à l’intention des décideurs,
PNUE, 2011
http://www.unep.org/greeneconomy/Portals/88/documents/ger/GER_synthesis_fr.pdf
2
  Une croissance durable, pour une économie plus efficace dans l’utilisation des ressources, plus verte et plus
compétitive, Commission Européenne Europe 2020 : http://ec.europa.eu/europe2020/targets/eu-targets/index_fr.htm
3
  Rapport intérimaire de la Stratégie pour une croissance verte : concrétiser notre engagement en faveur d’un avenir durable OCDE
http://www.oecd.org/document/46/0,3746,fr_2649_37465_44076206_1_1_1_37465,00.html
4
  PNUE , ibid.
5
  La crise gagne l’industrie verte, M-B Baudet et B. D’Armagnac, in Le Monde Bilan Planète 2010
6
  PNUE, ibid.
7
  Climat, emploi, même combat!, Alain Lipietz, in Alternative Economique, 26.02.10.
8
  Commission européenne, ibid.
Le développement des filières vertes n’est pas hors de portée ni hors de prix. Les connaissances sont
bien suffisantes pour nourrir en expertise les mutations nécessaires. En outre, dans toute modélisation
d’une économie plus verte, il faut compter avec les emplois indirects et induits, les ressources naturelles
épargnées, les bénéfices indirects (santé, aménagement du territoire, prévention des risques
climatiques…).

Mais quel état des lieux peut-on dresser sur les opportunités économiques « vertes », à la veille de la
Conférence de Rio+20 ?

Des opportunités à ne pas manquer
On estime que l’eau douce va manquer, à l’horizon 2030, à 20% de la population mondiale si rien n’est fait.
Pourtant 0,16% du PIB mondial serait suffisant pour atteindre les Objectifs du Millénaire en termes
d’approvisionnement en eau. Si on considère les gains en santé des populations et les emplois générés
par le secteur de l’eau (gestion des eaux et services d’assainissement), les gains l’emportent sur les
dépenses.

Dans le domaine agricole et alimentaire, une diminution de la consommation, donc de la production de
viande, une agriculture paysanne biologique ou intégrée, une moindre transformation industrielle des
produits, couplée à une réduction des emballages, le développement de circuits courts de distribution
sont au compte des solutions pour une alimentation plus « durable ». La réduction du gaspillage
alimentaire à tous les niveaux des filières alimentaires est aussi un préalable dans les pays développés ou
émergents. Dans les pays à moindre revenu une meilleure gestion de l’alimentation, de sa préservation
des prédateurs, de son stockage, de son transport rencontrerait un objectif de développement en même
temps qu’un objectif environnemental.

Le secteur de l’énergie est responsable de 2/3 des émissions de gaz à effet de serre mais représente
aussi un enjeu économique important pour la réduction de la pauvreté. Dans le monde, 1,7 milliard de
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personnes sont actuellement privées d’électricité tandis que 2,7 milliards sont dépendantes de la
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biomasse pour la cuisson de leur nourriture . Les solutions renouvelables et rentables sont celles hors
réseau qui permettent ainsi d’assurer l’indépendance des communautés (biomasse propre, énergie solaire
photovoltaïque...). Il en va aussi de la santé des utilisateurs puisque l’utilisation du charbon ou de la
biomasse traditionnelle provoque nombre de décès dus à la pollution. Consacrer 1% du PIB mondial à
l’efficacité énergétique et aux énergies renouvelables trouverait son pendant en emplois créés, comme
c’est le cas aujourd’hui dans des pays comme l’Allemagne, le Brésil, la Chine, les Etats-Unis et le Japon.

Dans le tri des déchets et leur recyclage les emplois peuvent être multipliés de manière importante,
surtout si on compare la situation au peu d’emplois générés par les décharges et l’incinération. Sans
parler des bénéfices environnementaux et sociaux d’une meilleure gestion des déchets pour les
populations. Mais le manque de volonté politique dans les questions liées aux déchets et le type
d’emplois créés sont les problèmes récurrents.

C’est l’occasion de rappeler que les métiers verts doivent intégrer les exigences du travail décent (salaire
suffisant pour vivre, pas de travail forcé, pas de travail des enfants, non discrimination, santé et sécurité
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professionnelles, protection sociale et liberté d’association) . Or dans le domaine du traitement des
déchets les problèmes sont plus nombreux que dans d’autres filières vertes. Que faire de ces green jobs
porteurs à la fois de promesses et de risques (contrats précaires, faibles rémunérations, exposition à des
métaux dangereux…) ?

Pour rencontrer les défis d’une transition vers une économie plus durable, il faut découpler la croissance
économique de l’utilisation des ressources naturelles et de ses impacts environnementaux. Les gains en
efficacité passent, par exemple, par l’allongement la durée de vie des produits industriels. Jeter les bases
d’une fabrication en cercle fermé implique une amélioration du recyclage des produits et de la valorisation
énergétique des déchets. En raison du développement économique de certains pays, et donc de

9
  World Development Report 2010 : Development and Climate Change, Banque mondiale 2009, p. 192
10
  Energy Poverty : How to make modern energy access universal ?, OCDE/AIE sept. 2010, p.7
11
   OIT : http://www.ilo.org/declaration/info/publications/WCMS_095896/lang--fr/index.htm
l’augmentation des déchets que cela entraîne, ces progrès se révèleront indispensables. Pourtant, les
taux de recyclage actuels peuvent être grandement améliorés. En outre, si on optimisait la filière, les
déchets de biomasse pourraient être compostés et valorisés pour produire engrais naturels et énergie ou
recyclés pour fabriquer de nouveaux produits.

Plus de la moitié de la population mondiale vit en ville et cela devrait augmenter, surtout dans les pays
émergents. Pour réduire ses impacts environnementaux, la ville gagnerait à être plus compacte et mieux
organisée. Des logements plus durables, en matière de construction et d’efficacité énergétique, pour un
prix supérieur de 10% à 15% maximum, sont indispensables. Pour réduire les coûts environnementaux et
sociaux liés au transport, davantage de transports publics et une amélioration des technologies
automobiles et des carburants sont incontournables. En effet, on a estimé que les polluants
atmosphériques, les accidents de la circulation et la perte de productivité liée aux encombrements
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peuvent dépasser 10% du PIB d’une région ou d’un pays , soit beaucoup plus que les sommes requises
pour entamer la transition vers une économie verte. Or le bon respect des normes de construction, des
réglementations en matière d’aménagement du territoire, d’une gestion transparente des réseaux
énergétiques relève d’une meilleure gouvernance et donc de choix politiques. Réforme des impôts, des
facturations et des subventions sont également le passage obligé vers une gestion plus intégrée de la
ville.

Une économie plus équitable ?
Développer des filières vertes semble une évidence mais faire des choix est pourtant nécessaire. En effet,
des controverses surgissent comme celle autour des agrocarburants car les cultures qui les génèrent
viennent remplacer des cultures vivrières et alimentent la spéculation sur les marchés des produits
alimentaires. Opportunité de marché pour un pays émergent comme le Brésil, plutôt que source durable de
développement pour les populations locales ? Selon l’ONG Via Campesina, le « verdissement » de
l’économie cherche à incorporer certains aspects de la « révolution verte » qui ont échoué, dans le but de
satisfaire les besoins du secteur industriel (promotion de l’uniformité des semences, semences brevetées
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par les grandes entreprises, les OGM, etc.) . L’accaparement de terres dans les pays du Sud, pour
ménager des puits de carbone dans le cadre du marché des crédits de carbone issus de la biomasse,
montre une réalité moins lisse. Un rapport du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE)
sur les emplois verts établit aussi que trop peu de ces emplois sont créés pour les plus vulnérables de ce
monde. Ils ne constituent pas non plus nécessairement un travail décent comme souvent c’est le cas pour
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le recyclage de déchets . De même, les nouvelles technologies de l’information et des
télécommunications (NTIC), tout en contribuant à la dématérialisation de l’économie, ont un impact
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environnemental important .

L’OCDE préconise la mise en place d’instruments de marché et de nouveaux indicateurs pour faire payer la
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pollution . Un autre moyen, proposé par la Commission européenne, est de découpler la croissance du PIB
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de l’utilisation des ressources naturelles. Cependant, il faudrait revoir les incitants fiscaux qui existent.
En effet, les systèmes d’écotaxes et de permis de polluer mis en place depuis le début des années 90 ne
font pas l’unanimité, soit parce que les taxes sont estimées trop marginales soit que le marché de droits à
polluer ne rencontre pas l’objectif de départ. Alors qu’il s’agissait de réduire les émissions de gaz à effet
de serre, surtout dans les pays développés, ceux-ci s’achètent une bonne conscience en troquant avec
les pays en voie de développement des permis d’émettre. Qui trompe-t-on sinon nous-mêmes ?

Sur le plan théorique les économistes ne sont pas toujours d’accord sur le mode de calcul qui intègre la
valeur des ressources naturelles. « Ainsi par exemple, l’évaluation dite contingente (c'est-à-dire visant à
quantifier directement les préférences des acteurs économiques) du prix d’une espèce vivante menacée
donne des résultats très différents selon qu’on interroge les gens sur leur consentement à payer (combien
seraient-ils prêts à payer pour préserver l’espèce ?), ce qui suppose qu’ils n’en sont pas propriétaires, ou
12
   Climate change mitigation and co-benefits of feasible transport demand policies in Beijing. Transportation research part D :
Transport and Environment, F. Creutzig et D. He Volume 14, Issue 2 (mars 2009) pp. 120-131.
13
   Prenons en main notre futur : Rio+20 et au-delà, Via Campesina 16.02.2012 : www.viacampesina.org
14
   Emplois verts : Pour un travail décent dans un monde durable, à faibles émissions de carbone, PNUE, 2008
15
   Greenpeace : http://www.greenpeace.org/belgium/fr/actualites-blogs/actualites/14-entreprises-de-lIT-passees-au-crible/
16
   OCDE, ibid.
17
   Commission européenne, ibid.
sur leur consentement à recevoir (combien faudrait-il leur donner pour qu’ils se résignent à sa
disparition ?), ce qui suppose qu’ils le sont. Les consentements à recevoir sont systématiquement très
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supérieurs aux consentements à payer. » .

Une manière de sortir du dilemme est précisément de questionner les indicateurs. Le PIB (produit intérieur
brut) est un indice des performances marchandes se basant sur des échanges monétaires. Il est
quantitatif et n’inclut pas des aspects sociaux comme le bien être humain. Il ne se réfère pas à l’aspect
qualitatif d’une croissance. C’est ainsi qu’une catastrophe naturelle liée au réchauffement climatique
génère des activités économiques qui contribueront positivement au PIB (reconstruction) alors qu’elles
sont issues d’une situation négative (intempéries). D’autres indicateurs comme l’indicateur de progrès
réel (IPR), l’indicateur du développement humain (IDH), le coefficient de Gini pour mesurer le degré
d’inégalité dans un pays, sont des indicateurs plus inclusifs que le PIB mais limités par le choix de leurs
composantes et considérés par certains comme insuffisamment précis. L’empreinte écologique, la
mesure en carbone et en consommation d’eau offrent des bases intéressantes pour de nouveaux
indicateurs.

C’est pourquoi un travail conceptuel sur les indicateurs est constamment en filigrane des propositions
faites par les uns et les autres. Certains diront que, si on veut objectiver une situation dans le but de
promouvoir le développement durable, autant rendre compte de la réalité complexe qui est derrière ce
concept. Une autre raison de changer de paradigme de mesure est de reconnecter économie financière et
économie réelle.

De nouveaux systèmes comptables sont imaginés pour intégrer dans la mesure de calcul l’amputation du
capital naturel lors d’activités de production et de consommation. Le SCEE (Système de comptabilité
environnementale et économique intégrée) de la division de Statistique des Nations unies est un exemple.
Mais la tâche est loin d’être simple. Les systèmes comptables pilotes doivent d’abord être mis au point
puis acceptés par différents pays volontaires, développés, émergents et en développement, et enfin
appliqués à titre d’essai, avant de tenter leur chance auprès d’un panel plus large de pays. Une des
recommandations faîtes par la société civile réunie, en 2011, autour d’une vision à long terme du
développement durable en Belgique, concernait précisément la réforme des indicateurs. « En s’inspirant
de l’Index of Sustainable Economic Welfare et du Genuine Progress Indicator, un indicateur de bien être
doit être développé pour remplacer le PIB comme norme de gouvernance et pour l’élaboration des
          19
budgets » .

Mais il ne suffit pas de savoir mesurer pour gérer, il faut également réglementer, prendre des options
claires sur l’avenir. Pour faire évoluer une société en transition « verte », une gamme complète de mesures
incitatives, de réglementations juridiques, d’accords de commerce, de politiques stratégiques est
nécessaire, tant au niveau national qu’international. Or il ne faut pas seulement créer de nouveaux outils
mais détricoter également les anciens. En 2008, les combustibles fossiles bénéficiaient de subventions
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d’environ 650 milliards de dollars, ce qui n’incitait pas à investir dans les énergies renouvelables.
Pourtant, si ces subventions, correspondant à 1% du PIB mondial en 2008, étaient consacrées à l’énergie
propre, elles épongeraient une partie appréciable de l’effort nécessaire pour faire basculer l’économie
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mondiale vers une croissance bas carbone (1 à 2% du PIB ). Un des enjeux est précisément de réformer et
de réduire les subventions préjudiciables à l’environnement. Tel est le cas aussi pour les subventions qui
déforment le coût d’intrants agricoles en termes d’impact sur l’environnement, avec les conséquences
également sur les prix de l’alimentation.

Enfin une des solutions pour mieux appréhender la réalité est de mettre en lien d’un côté les biens et
services environnementaux offerts par les espèces vivantes et de l’autre leur valeur économique. Des
espèces offrent des biens et des services comme la nourriture, la fibre, du combustible, assurent la
pollinisation, mais aussi, dans un autre registre, servent de paysage, offrent l’inspiration pour les
designers... Pour prendre un exemple, la valeur économique de la contribution des insectes pollinisateurs

18
   Y a-t-il un ordre économique durable ?, Pierre-Noël Giraud, Communication 23 septembre, 2002 - Cerna
19
   Télescope : quand la société civile imagine une société durable en 2050, Associations 21, VODO, 2012, p. 38
20
   Analysis of the Scope of Energy Subsidies and Suggestions for the G20 Initiative. Rapport commun de l’AIE, l’OPEC, l’OCDE et la
Banque Mondiale soumis au Sommet du G20 de Toronto (Canada) les 26-27 juin 2010.
21
   World energy outlook 2009 : Executive summary, AIE, p.5
22
à la production agricole est d’environ 190 milliards de dollars par an . Cependant, même un chiffre
important comme celui-ci ne rend pas assez compte de l’importance cruciale des abeilles pour les
écosystèmes.

Oxfam milite contre une marchandisation des ressources naturelles, des services prestés par la nature
pour lui préférer le principe de l’équité en matière de bien communs. Equité d’usage et de droit plutôt que
mécanismes de marché.

Une transition plus juste
A côté du développement de filières vertes, il existe chez certains la volonté de changer le
fonctionnement même de l’économie en resituant les besoins sociaux et les droits humains au cœur de la
démarche. Il s’agit de monter en puissance mais aussi de rejoindre une vision plus holistique, relevant
précisément du développement durable. L’économie se définirait alors de manière plus conforme à la
définition originale du mot « économie » en grec (οἰκονοµία / oikonomía) qui évoquait « l’administration du
foyer ». Or, à l’image du rôle joué par la maison dans le foyer, l’économie n’est pas une fin en soi mais un
moyen pour atteindre le bien être collectif, de préférence sans surplus ni déchets inutiles.

Le concept de « croissance » est en question, du point de vue environnemental aussi. « Chez Greenpeace
on a clairement identifié la croissance comme un facteur de nuisance important vis-à-vis de
l’environnement, même si le mouvement ne se prononce pas sur des solutions telles que la décroissance.
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Mais il est clair qu’il faut remettre en cause le système actuel de la surconsommation » . En effet, la
consommation, dans les pays riches et émergents, est trop importante pour les capacités de notre
planète. De plus, l’analyse du cycle de vie du produit (LCA) révèle que les produits ne sont pas égaux en
termes d’impact environnemental. Outil de gestion, le LCA se révèle un bon outil de sensibilisation « à
l’enchaînement de causes et d’effets et la nécessité d’une économie circulaire renvoyant producteurs et
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consommateurs à leurs responsabilités respectives et interdépendantes » . La série des « story of stuff »
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en donne de bons exemples . Par ailleurs des solutions nombreuses et économiquement intéressantes
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pour chacun existent en matière d’éco-consommation .
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Des Objectifs de Consommation pour le Millénaire existent . Mais il faut que, en amont, les décideurs
politiques réglementent la production et l’importation de produits écologiquement et socialement
responsables. Or les modes de consommation sont ceux sur lesquels il y a le plus de mal à avancer
internationalement. D’ailleurs la phrase de la Déclaration de Rio de 1992 sur ce sujet sème le doute chez
celui qui veut un véritable changement de paradigme économique. « Les Etats devraient coopérer en vue
de promouvoir un système économique mondial favorisant la croissance et le développement durable
dans tous les pays. Ils ne doivent pas se servir des politiques de l’environnement comme prétexte pour
justifier des restrictions aux échanges commerciaux ». L’environnement, un prétexte ?

L’économie de marché est donc en question, tout comme les indicateurs de mesure tel que le PIB non
prévus pour quantifier biens communs et ressources naturelles, parties essentielles du
« foyer planétaire ». Qu’en est-il des nuisances dues à la pollution ou à l’inverse les aménités liées à
l’appréciation d’un environnement sain ? Dans les deux cas, il s’agit d’externalités qui ont une valeur mais
ne font pas spontanément l’objet d’achats et de ventes. Certains peuvent se dire aussi : « Pourquoi
économiser une ressource qui n’a pas de prix et dont l’utilisation n’aura pas d’impact immédiat sur mon
pouvoir d’achat ? ». Pourtant une vision plus large est indispensable.

22
   Economic Valuation of the Vulnerability of World Agriculture Confronted with Pollinator Decline, N. Gallai, J-M Salles, J. Settele et
B.E. Viassière, Ecological Economics (2009), Vol. 68 (3): 810-21
23
   Michel Genet, in Quand social et environnemental se rencontrent, in Déclics, Oxfam-magasins du monde, décembre 2010, p.14
24
   La vie des produits devient circulaire, in Regards croisés sur le développement durable : Boîte à outils à l’usage de la société civile,
Associations 21, 2011, p.22
25
   Anne Leonard : www.storyofstuff.org/international
26
   Voir les sites du Réseau Eco-consommation : www.ecoconso.be, de l’Observatoire bruxellois de la consommation durable
www.observ.be, de citoyens réunis autour de Poseco : www.economie-positive.be
27
   Objectifs de consommation pour le Millénaire : http://www.millenniumconsumptiongoals.org/, présentation de cette initiative en
français par Inter-environnement Wallonie : http://www.iewonline.be/spip.php?article4620
Comment garantir le travail décent et la lutte contre la pauvreté au Sud et au Nord ? Comment contrer les
véritables politiques d’ajustement structurel, qui ne disent pas leur nom, à présent partout en vigueur ?
Une révolution culturelle est-elle nécessaire ? « Ce qui importe fondamentalement c’est de savoir
comment les droits d’usage sur l’environnement peuvent se distribuer, et comment les bénéfices que l’on
tire de l’environnement (y compris ceux qui n’ont pas spontanément de valeur marchande) se répartissent
entre individus. Ces questions ne sont pas seulement pertinentes pour les pays développés, mais aussi
pour les pays en développement, dont les populations souhaitent légitimement s’affranchir d’une logique
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de survie au jour le jour » . Une économie de la fonctionnalité plutôt que de la propriété : innovation de
rupture ?

Pour répondre aux critères du développement durable, le verdissement de l’économie ne sera donc pas
suffisant. « Le calcul du PIB donne une idée du niveau de vie individuel relatif du pays en question. Il ne
donne en revanche aucune indication sur la façon dont sont réparties les richesses, ou encore sur
l’impact environnemental de l’activité économique nécessaire à la création de richesses, puisqu’il ne
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comptabilise que ce qui a un prix. » . Pourtant, à l’image de ce qui se passe avec les ressources
naturelles, des « ressources sociales » (santé, l’éducation, la cohésion sociale …) devraient être
davantage prises en compte. Ce sont aussi des conditions nécessaires à un développement économique.

De même, les dispositions politiques et institutionnelles devraient être reprises dans les indicateurs de
mesure. Cela permettrait d’avoir une appréciation plus correcte des politiques plus progressistes. Or,
aucun organisme ou institution n’est chargé aujourd’hui de coordonner une liste d’indicateurs de
développement durable. Leur construction ne fait pas l’objet d’un débat public ni d’une participation
organisée. C’est d’autant plus regrettable que les indicateurs pourraient aussi être des instruments de
sensibilisation auprès du public et des décideurs. Au sens littéral du terme, cela permettrait de remettre
l’économie au cœur de la société.

L’économie sociale : un bon exemple « durable »
Le fonctionnement de l’entreprise conditionne la durabilité des activités économiques. C’est ainsi que
l’économie sociale incarne une vision plus large de l’économie verte que le seul développement de filières
vertes. Les plus connues sont les coopératives, les mutuelles et les associations. Leur éthique de
primauté de l’être humain sur le capital correspondrait mieux à la composante sociale du développement
durable que la « responsabilité sociétale des entreprises » (RSE), qui reste basée sur le profit. « En
éclaircissant quelque peu les deux concepts, on prend rapidement conscience qu’une entreprise qui
s’inscrit dans une stratégie de durabilité ne joue pas le même jeu qu’une entreprise d’économie sociale.
La première vise essentiellement à maximiser son profit en s’assurant de minimiser son empreinte
environnementale et en essayant de créer un bon climat social à travers une série de mécanismes de
gestion. La seconde, l’entreprise d’économie sociale, si elle ne se soustrait pas à la concurrence du
marché, travaille essentiellement sur la dynamique sociale, la rentabilité financière étant cette fois une
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condition de réalisation de l’objectif et non plus une fin en soi. Il y a là un monde de différence. » . Même
« verte », l’entreprise n’aura pas comme objectif le plein emploi ou l’intégration des plus défavorisés. En
cas de problème, l’entreprise privée supprimera des emplois plutôt que de réduire les bénéfices des
actionnaires.

Dans le secteur de l’économie sociale, l’indivisibilité des réserves correspondent mieux au patrimoine
collectif et impartageable de l’environnement. Même quand il ne s’agit pas à proprement parler
d’entreprises d’économie sociale structurées, l’invention de solutions collectives est un signe parlant : le
covoiturage organisé, les SEL, les monnaies locales complémentaires, les groupes d’achat communs, les
éoliennes citoyennes… Ce sont aussi des initiatives qui ont aussi l’intérêt de dépasser l’individuation de la
responsabilité du consommateur. C’est le cas également des travailleurs du secteur de l’économie
sociale.

28
     Développement durable et économie, Olivier Beaumais, in Le développement durable : approches plurielles, sous la direction
d’Yvette Veyret, Hatier 2005
29
 Développement durable et économie, ibid.
30
 Economie sociale et développement durable : des valeurs communes, deux démarches distinctes, S. Evrard et P. Biélande, SAWB,
2006 : http://www.saw-b.be/EP/2006/A14ESetDD.pdf
La finalité explicite au service de la collectivité (intérêt général et utilité sociale) du secteur de l’économie
sociale permet de rencontrer à la fois l’objectif et la méthode. En effet, rien ne vaut l’exercice pratique
d’une gestion collective pour épouser le contenu éco-systémique de l’environnement. Dès lors, il n’est
pas étonnant que des responsables d’économie sociale se soient réunis fin 2011 pour un forum où se sont
dégagés 5 projets et 20 propositions pour un changement de modèle, en vue de Rio + 20. Ces
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recommandations figurent dans une lettre ouverte aux responsables des Nations unies . Démocratiser
l’économie et réguler la finance, promouvoir la gouvernance collective, des choix sociaux et humains et
mieux nourrir la planète sont les priorités.

Le processus de décision démocratique qui sous-tend l’organisation même des entreprises d’économie
sociale intègre une des bases du développement durable qu’est la notion de participation. « Il en résulte
que la participation ne saurait se résumer au droit de vote, mais implique que le citoyen ait le moyen de
faire entendre sa voix dans toutes les décisions susceptibles de l’affecter, et cela à tous les niveaux et
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dans tous les domaines, y compris l’économique » . En économie sociale, il y a un enjeu politique
collectif qui sous-tend l’activité économique.

Concevoir le travail en commun, exprimer son avis en assemblée, gérer l’information, pratiquer la
consultation, la concertation et la co-décision, l’évaluation, dégager des mandats opérationnels clairs en
groupe sont des pratiques qui forment à la complexité des approches. Le concept de développement
durable vise aussi un objectif complexe et holistique auquel la pratique de l’économie sociale, en
évolution constante, apporte donc des outils essentiels.

L’autonomie de gestion garantit à l’entreprise d’économie sociale une plus grande indépendance vis-à-
vis des marchés. Bien que, dans les faits, ces entreprises sont confrontées à l’existence d’un marché, un
autre cadre de référence s’interpose entre le marché et elles, surtout si elles se multiplient et collaborent
entre elles. La transparence dans les méthodes et les enjeux de l’entreprise servent aussi l’autonomie de
gestion. C’est aussi un secteur qui a précisément vocation d’oeuvrer sur base de principes propres.

On peut observer qu’en économie sociale, l’ancrage des entités est davantage sectoriel et territorial et
tient donc mieux compte des spécificités locales, aussi importantes en matière de développement que
d’environnement. Or, de plus en plus on désigne par « application concrète » de développement durable,
les projets locaux ou sectoriels qui font exister le concept plus global auquel le terme fait aussi allusion.
En pratique, il s’agit d’entreprises actives dans la gestion des déchets, les énergies renouvelables, la
vente de consommables, le recyclage…

L’économie sociale invite à dépasser le cadre strict des filières vertes pour emprunter le chemin d’une
économie plus équitable. Nous avons montré que ses outils sont plus proches de la finalité du
développement durable que les structures d’une entreprise classique. Or le commerce équitable
d’économie sociale existe. Il se différencie des entreprises qui vendent des produits labellisés fairtrade
par son mode de fonctionnement et ses missions. Oxfam-Magasins du monde est un mouvement de
bénévoles qui pilote la vente de produits issus du commerce équitable et la vente de vêtements de
seconde main.

Dans ces deux activités, Oxfam-Magasins du monde s’inscrit dans des initiatives collectives. Dans le cas
des vêtements de seconde main, la charte du label éthique Solid’R est partagée par une cinquantaine
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d’organisations actives dans ce secteur . Pour l’activité de commerce équitable, certaines organisations
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du Sud sont des coopératives . Les projets de développement et les missions d’éducation permanente
d’Oxfam se rejoignent. « Dans l’économie mondiale du début du XXIème siècle, l’enseignement est peut-
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être la condition préalable la plus importante pour une bonne participation au commerce mondial » .

31
     www.rencontres-montblanc.coop/sites/default/files/mbm_-_letter_to_the_heads_of_state.pdf
32
     Les indicateurs de développement durable : un défi scientifique, un enjeu démocratique, P-M Boulanger (Institut pour un
développement durable, Belgique), Les séminaires d’IDDRI no. 12, p. 20 : http://ide.consultant.free.fr/IMG/pdf/IDDRI_-
_Indicateurs_DD_-_Juillet_2004.pdf
33
   Charte du label éthique Solid’R : http://www.res-sources.be/projets/solidr#charte
34
   Des coopératives pour démocratiser l’économie, François Graas, Oxfam-Magasins du monde, Janvier 2012, p.16 :
http://www.oxfammagasinsdumonde.be/wp-content/uploads/2012/03/2012-des-cooperatives-pour-democratiser-l-
economie.pdf
35
   Human resource development and globalisation : What should low income developing countries do ? P. Bennel, Background paper
for UK white paper on globalisation and development , Brighton : University of Sussex, Institute for development studies, in Le
On peut développer une économie locale et sociale au Nord comme au Sud, partager les fruits (les
produits) et les enseignements (les projets) d’activités croisées.

Puisque nombre d’observateurs s’accordent à dire que nous vivons à l’ère de la mondialisation des
échanges mais que les limites à nos projets sont planétaires, pourquoi ne pas socialiser les outils de
développement en accord avec une vision universelle des droits humains ? Démocratiser l’économie ?
Prôner un modèle et des initiatives qui remettent l’économie au service du citoyen, du producteur et du
consommateur ? Oxfam-Magasins du monde érige ce modèle en projet politique et souhaite porter cette
parole à Rio.

commerce international en faveur des pays pauvres, in Deux poids deux mesures : commerce, globalisation, et lutte contre la
pauvreté, Oxfam, 2002, p. 273
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