Vivre dans la crainte - Comment le Canada a laissé tomber ses travailleurs de la santé par sa mauvaise gestion de la COVID-19

 
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Vivre dans la crainte - Comment le Canada a laissé tomber ses travailleurs de la santé par sa mauvaise gestion de la COVID-19
Vivre dans
la crainte
Comment le Canada a laissé
tomber ses travailleurs de la
santé par sa mauvaise gestion
de la COVID-19

Mario Possamai
Vivre dans la crainte - Comment le Canada a laissé tomber ses travailleurs de la santé par sa mauvaise gestion de la COVID-19
Vivre dans la crainte - Comment le Canada a laissé tomber ses travailleurs de la santé par sa mauvaise gestion de la COVID-19
Résumé
Le Canada ignore les leçons du SRAS,
et les travailleurs de la santé en
paient le prix
L’histoire de la COVID-19 au Canada est
l’histoire du courage, du dévouement et du               Des membres de la
professionnalisme des travailleurs de la santé
dont les voix ont été grandement ignorées.               famille à risque
Avec peu de protection, peu de ressources
et peu de reconnaissance, ils ont continué à             Angela (pseudonyme pour protéger l’identité
dispenser des soins malgré la peur ressentie             de cette travailleuse de la santé) est récep-
par rapport à leur propre sécurité, celle de             tionniste à la salle d’urgence. Elle est souvent
leurs collègues, êtres chers et autres patients.         le premier visage que voit le patient et la
                                                         première à les évaluer. Son mari est immuno-
Les travailleurs sont inquiets par rapport               supprimé. Elle porte un masque chirurgical,
aux risques auxquels ils sont confrontés à               et non un respirateur N95, parce que son
chaque jour. Représentant environ 20 pour                employeur ne lui fournit rien de plus.1
cent des cas de COVID-19 au Canada, les
travailleurs de la santé sont plus susceptibles
d’être infectés que la population générale. Ils              « J’ai vraiment peur
sont inquiets par rapport à leur famille, leurs              d’apporter [la COVID-19]
patients et leurs collègues, et ils ont peur de
les infecter sans le savoir. Ils sont inquiets par           chez-moi où il y a une
rapport à leurs collègues et à ce qui pourrait               personne recevant un traite-
arriver si un trop grand nombre de travailleurs
de la santé sont infectés et que le système                  ment de chimiothérapie. »
de soins de santé devient engorgé. Ils sont
inquiets du manque d’équipements adéquats                Michelle (autre pseudonyme) est travailleuse
de protection individuelle et du fait que leurs          de la santé dans un foyer de groupe. Son
employeurs semblent ignorer leurs inquiétudes            petit-fils a une maladie héréditaire pour
par rapport à leur santé et leur sécurité. Et ils        laquelle il n’y a pas de remède. Elle a aussi
sont inquiets par rapport à l’inconnu.                   une petite-fille encore nourrisson. Lorsqu’elle
                                                         a demandé des masques chirurgicaux, son
Les histoires de nos travailleurs de la santé dé-        superviseur a répondu : « Est-ce que votre
voués offrent une fenêtre sur les répercussions           client est malade? », Michelle a dit : « Non »,
physiques et émotionnelles de la COVID-19.               le superviseur a alors demandé : « Êtes-vous

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malade? », Michelle a répondu « Non » encore
une fois. Le superviseur a alors dit : « Si vous          Risques quotidiens
n’êtes pas malade, nous ne sommes pas
autorisés à vous fournir des masques. »2                  et anxiété accrue
                                                          Les travailleurs de la santé s’exposent à des
Se préparer au pire                                       risques majeurs à chaque jour de travail.

Partout au Canada, les travailleurs de la santé           Imaginez un inhalothérapeute à Toronto. Il est
et leur famille ont fait le type de préparatifs qui       confronté à des situations de vie ou de mort
sont généralement faits par ceux qui vont à la            à chaque jour, particulièrement lorsqu’il doit
guerre.                                                   aider à retourner un patient sur le ventre afin
                                                          de lui permettre de mieux respirer.
Une infirmière d’Edmonton mentionne que son
mari et elle ont fait leur testament juste avant          « Lorsque nous plaçons le patient en position
qu’elle commence à traiter des patients pré-              ventrale, ce dernier est branché à des fils qui le
sentant un cas possible de COVID-19.                      maintiennent en vie. Si ces fils se débranchent,
                                                          nous allons recevoir plein de gouttelettes, et
L’infirmière, mère de deux enfants, a dit :                cela représente un risque vraiment élevé de
« Plusieurs de mes collègues et moi avons                 contracter la COVID. »5 [Traduction]
décrit notre situation comme si nous étions au
bord d’un précipice et regardions en bas mais             Son anxiété est constante. À un moment
sans voir le fond ou savoir quand nous allions            donné, il s’est rendu à la salle d’urgence car
tomber. »3                                                ses douleurs au thorax l’inquiétaient. Il a appris
                                                          plus tard qu’elles étaient causées par l’anxiété.
Elle s’inquiète des pénuries d’équipements de
protection individuelle et de ce qui arriverait si        « La peur est là parce que je ne veux pas
elle ou son mari, un pompier, tombaient ma-               apporter ça à ma famille; je ne veux pas faire
lade. « Je ressens de l’anxiété mais ce n’est             mal à une autre personne. »6
pas nécessairement de la peur. »4

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Gérer un
« virus sournois »
Une infirmière d’expérience en Ontario a vécu
le SRAS, la H1N1 et l’Ebola. Mais cette pan-
démie, dit-elle, est différente.

« Le COVID-19 est un virus sournois. Cette
éclosion fait peur davantage parce que les pa-
tients peuvent transmettre le virus alors qu’ils
sont asymptomatiques. Avec le SRAS, c’était
plus clair de savoir qui était infecté. Avec le
COVID-19, nous avons moins d’indices qui
nous indiquent qu’une personne pourrait être
porteuse du virus. »7 [Traduction]

La COVID-19 augmente les risques – et les
pressions – généralement présentes à la salle
d’urgence.

« À la salle d’urgence, nous nous occupons
encore des blessures causées par un acci-
dent de voiture, des crises cardiaques et des
accidents vasculaires cérébraux. En fait, tout
ce que vous pouvez imaginer et une dizaine
d’autres que vous ne pouvez pas imaginer. Et
tout cela est rendu plus compliqué en raison
de ce virus. Par exemple, mon équipe est en
code bleu en train de réanimer un patient.
Cela arrive souvent. Mais, maintenant, nous
devons penser au fait que nous ne pouvons
pas nous informer des antécédents médicaux
du patient ou de ses récents déplacements si
ce patient ne peut répondre. Nous ne pouvons
pas savoir s’il est infecté. En ce moment, nous
n’avons pas le luxe de nous tromper. Nous
devons présumer qu’il pourrait être porteur du
virus. »8 [Traduction]

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Introduction                                           Le principe de précaution englobe aussi
                                                       d’autres mesures pour contenir le virus en
                                                       cas de pandémie, par exemple la fermeture
Le système qui protège les travailleurs de la          des frontières et les masques obligatoires
santé du Canada a des failles. Nous devons les         pour le public. Lorsque les données ne sont
réparer avant la deuxième vague de COVID-19.           pas concluantes, il est mieux de privilégier la
                                                       prudence et la sécurité.
Ce n’est pas une coïncidence, si vous, lecteur,
voyez un parallèle entre ce discours et celui          Depuis le début de la COVID-19, les leçons
utilisé par le juge Archie Campbell pour dé-           du principe de précaution ont été grandement
crire les failles systémiques lors du syndrome         ignorées malgré les mises en garde répétées
respiratoire aigu sévère (SRAS) de 2003.9 Un           venant des travailleurs de la santé, des syndi-
discours similaire est utilisé pour décrire les        cats et des experts en sécurité au travail.
problèmes liés à la sécurité des travailleurs de
la santé, mis au jour par la COVID-19, et dont         Selon une analyse ponctuelle des données,
les causes et les manifestations s’apparentent         analyse en date du 23 juillet 2020 par
étrangement aux problèmes mis au jour lors             l’Institut canadien d’information de la santé,
du SRAS.                                               plus de 21 000 travailleurs de la santé au
                                                       Canada ont contracté la COVID-19. Les taux
Avec la COVID-19, le Canada est témoin d’un            d’infection les plus élevés, en proportion du
échec systémique qui aurait été évité si l’on          total des cas provinciaux, sont au Québec, au
avait tenu compte des leçons tirées de l’épi-          Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et
démie du SRAS en 2003. Échec parce que le              en Ontario.12
Canada ne s’est pas préparé adéquatement,
et n’a pas répondu de façon urgente et ap-             Dans l’ensemble du Canada, les travailleurs
propriée à l’urgence sanitaire la plus grave en        de la santé représentent près de 20 pour
matière de santé publique en un siècle.                cent des infections liées à la COVID-19,13 soit
                                                       presque deux fois le taux d’infection mondial
Le principe de précaution est la plus grande           chez les travailleurs de la santé (10 pour
leçon tirée du SRAS dans la foulée de l’impact         cent), tel que cité par l’OMS et le Conseil
foudroyant de cette maladie sur les travailleurs       international des infirmières.14 15
de la santé, qui représentaient 44 pour cent
des cas en Ontario,10 soit la plus grande              Au Canada, le taux d’infection des travailleurs
éclosion à l’extérieur de l’Asie.11                    de la santé est plus de quatre fois plus élevé
                                                       que celui de la Chine où les précautions
Devant tout nouveau pathogène, il faut privilé-        contre la transmission par voie aérienne
gier la sécurité : protection au niveau le plus        sont utilisées.16
élevé des travailleurs de la santé grâce à des
précautions contre la transmission par voie            Les travailleurs de la santé représentent 24,1
aérienne, y compris des masques N95 ou                 pour cent des cas au Québec et 16,7 pour
supérieurs, jusqu’à ce que nous comprenions            cent des cas en Ontario. Dans les provinces
mieux le nouveau virus; diminuer la protec-            atlantiques, ils représentent 18,8 pour cent
tion seulement si cela ne met pas la sécurité          des cas au Nouveau-Brunswick et 17,2 pour
à risque.                                              cent en Nouvelle-Écosse. Par contre, à l’Île-du-
                                                       Prince-Édouard et à Terre-Neuve-et-Labrador,

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les taux d’infection chez les travailleurs de la            Victoria Salvan, 64 ans, travailleuse de
santé sont 5,6 pour cent et 6,1 pour cent res-              la santé dans un établissement de soins
pectivement. Les données ponctuelles de l’Ins-              de longue durée de Montréal, où il y avait
titut canadien d’information sur la santé mettent           manque de personnel. Elle a contracté le
en relief les taux inférieurs à la moyenne                  virus peu de semaines avant de prendre
nationale dans les provinces de l’Ouest :                   sa retraite. Une collègue mentionne que
10,1 pour cent au Manitoba, 5,4 pour cent en                Victoria faisait toujours sourire ses pa-
Saskatchewan, 8,8 pour cent en Alberta et 7,6               tients « parce qu’ils savaient qu’ils seraient
pour cent en Colombie-Britannique.17                        traités avec amour et bienveillance. »23

Environ 13 000 travailleurs de la santé au              Malgré l’escalade du nombre de victimes chez
Canada ont fait une demande d’indemnisation             les travailleurs de la santé, les agences cana-
en raison de la COVID-19. Cela représente 75            diennes de la santé publique, et leurs conseil-
pour cent de toutes les demandes d’indemni-             lers, ont agi de bonne foi mais ont ignoré, à
sation au Canada. La majorité des demandes              répétition, les mises en garde des syndicats,
viennent du Québec et de l’Ontario.18                   des travailleurs de la santé, des experts en
                                                        sécurité au travail, car ils ont continué à :
Bien que les fonctionnaires fassent état de
12 travailleurs de la santé décédés de la               •   Ignorer qu’il était vital de respecter le
COVID-19,19 au moins 16 travailleurs de                     principe de précaution et de recourir aux
la santé sont décédés de la COVID-19 au                     protections contre la transmission par voie
Canada selon les syndicats.20 Ils comprennent :             aérienne qui, typiquement, signifie des
                                                            respirateurs N95;
    Flozier Tabangin, 47 ans, employé dans
    une résidence pour personnes handica-               •   Écarter le recours aux protections contre
    pées à Richmond en C.-B., et s’occupant                 la transmission par voie aérienne en
    de personnes handicapées intellectuelle-                excluant la possibilité que le SARS-CoV-2,
    ment et physiquement. Il avait plusieurs                le virus causant la nouvelle maladie, soit
    emplois afin de soutenir sa femme et sa                  transmis par de petites particules, con-
    jeune fille. Un collègue en parle en disant              nues sous le nom d’aérosols, flottant dans
    qu’il était « comme un père, un frère pour              l’air; et
    tout le monde. Si vous aviez besoin de
    quelque chose, vous [pouviez] compter               •   Affirmer avec beaucoup de certitude qu’on
    sur lui en tout temps. »21                              en savait suffisamment sur le SARS-CoV-2,
                                                            le virus causant la COVID-19 et cousin du
    Brian Beattie, 57 ans, infirmier dans                    SRAS, pour déterminer que les précau-
    une résidence pour personnes âgées à                    tions contre la transmission par contact ou
    London, Ontario. L’Association des infir-                par gouttelettes, y compris les masques
    mières et infirmiers de l’Ontario mentionne              chirurgicaux, étaient suffisantes, sauf lors
    ceci : « Brian était un infirmier autorisé               de procédures à risque élevé.
    qu’on aimait et respectait. Il était la défi-
    nition du dévouement et il considérait ses          Il y a plusieurs exemples de déconnection
    collègues et les résidents comme son                entre les directives des experts en infections
    autre famille. »22                                  et la réalité à laquelle les travailleurs de la
                                                        santé étaient confrontés sur le terrain.

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Aucun exemple n’est plus percutant que                     de recommander le port du masque,
l’exemple qui suit venant du Québec.                       d’équipement, ainsi que des mesures
                                                           préventives qui ne protègent pas contre ce
    « Nous avons été aban-                                 mode de transmission? »26
    donnés. Le mot est fort,                           Cet exemple n’est pas unique. Les agences
    mais c’est la réalité. »                           de la santé publique, et leurs conseillers,
                                                       ont constamment démontré leur aversion au
Le jour même où le plus grand spécialiste en           principe de précaution depuis le début de la
maladie infectieuse déclarait que la COVID-19          COVID-19.
a démontré « jusqu’à quel point il était rare
d’avoir besoin d’un masque N95 » et que les            En mars 2020, un document de la Santé pu-
masques chirurgicaux offraient une protec-              blique de l’Ontario énonce confidentiellement :
tion suffisante,24 les syndicats du Québec               « Les travailleurs de la santé dispensant des
publiaient un article citant le fait que plus de       soins aux patients atteints de la COVID-19
13 600 travailleurs de la santé de la province         dans d’autres provinces […] n’ont pas
avaient été infectés alors qu’ils s’étaient            contracté la COVID-19 pendant qu’ils utili-
appuyés sur ce conseil.25                              saient les précautions contre la transmission
                                                       par contact ou par gouttelettes, recomman-
Le président de la Confédération des syndicats         dées dans la province. »27 [Traduction]
nationaux, Jeff Begley, a reproché au gou-
vernement d’avoir envoyé ses membres aux               En mai 2020, un spécialiste des maladies in-
premières lignes avec si peu de protection :           fectieuses de Toronto affirme : « La raison pour
                                                       laquelle nous savons pourquoi [la COVID-19
    « Nous avons été abandonnés. Le mot est            ne se transmet pas par voie aérienne] c’est
    fort, mais c’est la réalité. Les recomman-         parce que nous avons des centaines de travail-
    dations de la santé publique, suivies aveu-        leurs de la santé qui portent des masques ré-
    glément par les établissements de santé,           guliers pendant qu’ils s’occupent des patients.
    n’ont pas réussi à protéger le personnel.          Si cela [était] transmis par voie aérienne, […]
    Et les travailleurs de la santé continuent         tous ces travailleurs de la santé tomberaient
    d’être à risque.                                   malades. »28 [Traduction]

    Depuis le début de la pandémie, alors que          Dans une lettre datée de mai 2020, et en-
    l’incertitude régnait sur le mode de trans-        voyée à un important quotidien canadien, un
    mission du virus, nous avons demandé une           groupe d’experts en contrôle des infections
    protection contre la transmission par voie         écrivaient : « Si la COVID-19 était une infec-
    aérienne, et on nous l’a refusée. La trans-        tion transmise par voie aérienne […], nous
    mission du virus par des aérosols semble           assisterions à de grandes éclosions généra-
    de plus en plus probable. L’Organisation           lisées dans les endroits qui font la prévention
    mondiale de la santé l’a reconnu récem-            contre la transmission par gouttelettes […]. Et
    ment et beaucoup d’études pointent dans            ce n’est pas le cas. »29 [Traduction]
    cette direction.
                                                       En juillet 2020, un autre expert des maladies
    Comment expliquer que notre autorité               infectieuses affirmait que si les masques
    en matière de santé publique continue              chirurgicaux et autres précautions contre la

                                                   9
transmission par contact ou par gouttelettes             cause la COVID-19, soit profondément diffé-
« ne fonctionnaient pas, on aurait des chiffres           rent de tous les autres pathogènes ayant ciblé
beaucoup plus élevés d’infection chez les                l’humanité et, par conséquent, justifiait une
travailleurs de la santé. »30 [Traduction]               approche de précaution.

Malheureusement, au Canada, le nombre de                 La COVID-19 n’a cessé de surprendre la
travailleurs de la santé infectés ou décédés             communauté médicale avec sa gamme de
s’est avéré pire que le nombre anticipé par les          symptômes et autres complications :
agences de la santé publique, et confirme les
pires craintes des travailleurs de la santé, des             « [L]e virus s’est traduit en lésions
syndicats et des experts en sécurité au travail.             cutanées, perte du goût et de l’odorat,
                                                             problèmes cardiaques, accidents vascu-
Cela démontre aussi le fort lien entre la sécu-              laires cérébraux, lésions cérébrales et
rité des travailleurs de la santé et les mesures             autres effets secondaires, dont certains
pour endiguer la pandémie. Réfléchissez à ce                  peuvent s’expliquer par la capacité du virus
qui suit. En date du 31 août 2020 :                          à infecter les cellules endothéliales qui
                                                             tapissent les parois des vaisseaux sanguins.
•   Le Canada compte davantage de cas                        Le virus semble aussi déclencher, chez
    de COVID-19 (129 888) que la Chine                       certains patients, une réaction immunitaire
    (85 048), Hong Kong (4 801) et Taiwan                    incontrôlable, connue sous le nom de
    (488) confondus; et                                      tempête de cytokine. »34 [Traduction]

•   Le Canada compte plus de décès liés à la             La caractéristique de la COVID-19 qui semble
    COVID-19 (9 164) que la Chine (4 634),               la plus surprenante est le grand nombre de cas
    Hong Kong (88) et Taiwan (7) confondus.              asymptomatiques, comme on les appelle géné-
                                                         ralement. Il s’agit de personnes qui contractent
En Chine, les travailleurs de la santé repré-            le virus mais n’affichent aucun symptôme ou
sentent 4,4 pour cent des cas de COVID-19.               ne se sentent pas assez mal pour aller chez
La plupart ont été infectés avant la mise en             le médecin. Ces cas appartiennent à deux
place des précautions contre la transmission             catégories. Il y a des personnes subcliniques35
par voie aérienne.31 À la fin juillet 2020, à             ou pré-symptomatiques.36 Les pré-sympto-
Hong Kong, cinq travailleurs de la santé                 matiques ne semblent pas malades mais,
avaient été infectés.32 Et, à Taiwan, aussi à            éventuellement, elles le deviennent. Et il y a les
la fin juillet, seulement trois travailleurs de la        personnes qui sont vraiment asymptomatiques
santé avaient été infectés.33                            et semblent en pleine forme pendant toute la
                                                         durée de leur infection.37

Litanie de problèmes                                     Avant la COVID-19, les données suggéraient
                                                         que la transmission par personnes asymptoma-
systémiques                                              tiques était généralement un « événement rare »
                                                         et que, historiquement, les pandémies n’étaient
                                                         pas alimentées par ce type de transmission.38
La COVID-19 a mis au jour un manquement
systémique, notamment garder l’esprit ouvert             Avec le recul, nous pouvons voir que les
à la possibilité que le SARS-CoV-2, virus qui            experts occidentaux n’ont pas adopté une

                                                    10
approche de précaution et ne semblaient pas             Contrairement au Canada, la Chine et la
ouverts à la possibilité que ce virus complète-         Corée du sud ont conclu que les preuves
ment nouveau puisse se comporter de façon               de transmission asymptomatique étaient
nouvelle et inattendue.                                 suffisantes pour adopter une approche de
                                                        précaution au tout début de la pandémie. Ils
Or, en Chine, il y avait des signes avant-cou-          ont décidé de tester toute personne ayant été
reurs de ces soi-disant « porteurs muets ».             en contact étroit avec un patient atteint de
                                                        la COVID-19, qu’importe si cette personne
Dans une lettre publiée dans The Lancet le 13           présentait ou non des symptômes. Certains
février 2020, des experts chinois soulignent, en        experts suggèrent que cela pourrait expliquer
se basant sur leur expérience aux premières             pourquoi ces deux pays asiatiques semblent
lignes, que les patients asymptomatiques                avoir stoppé la transmission du virus.42
sont un grave problème et qu’ils peuvent
transmettre la COVID-19. Selon eux, c’est une           Le fait que le Canada n’ait pas adopté une
raison suffisamment importante pour protéger              approche de précaution alors que la trans-
les travailleurs de la santé, sur une base              mission asymptomatique était une possibi-
préventive, en leur fournissant des protections         lité – comme l’ont fait la Chine et la Corée du
contre la transmission par voie aérienne :              sud – a eu des conséquences profondes sur
                                                        la protection des travailleurs de la santé et les
« Ces résultats justifient des mesures mus-              mesures de contrôle à la frontière.
clées (par exemple masques N95, lunettes
de protection et blouse de protection) pour             Si un « porteur muet » peut transmettre la
assurer la sécurité des travailleurs de la              maladie, le fait de mettre l’accent sur des
santé », concluent-ils.39 [Traduction]                  symptômes comme la fièvre, la toux et les pro-
                                                        blèmes intestinaux comme indicateurs de la
De plus, citant des données classifiées du               COVID-19 (comme le Canada l’a fait pendant
gouvernement chinois, on peut lire, en mars             trop longtemps) est une mesure inadéquate
2020, dans le South China Morning Post :                pour le triage des passagers arrivant dans les
                                                        aéroports canadiens.
    « Le nombre de ‘porteurs muets’ – des
    personnes infectées par le nouveau                  Avec le recul, l’approche du Canada pour
    coronavirus mais affichant tardivement                détecter les cas de COVID-19 à la frontière ou
    des symptômes ou n’en affichant pas –                 dans le système de soins de santé a créé un
    pourraient représenter jusqu’à un tiers             énorme angle mort.
    des personnes qui reçoivent un résultat
    positif. »40 [Traduction]
                                                        Réserves
Une étude publiée en août 2020 dans le
JAMA Internal Medicine confirme cette                    insuffisantes d’EPI
estimation et suggère que 30 pour cent des
cas de COVID-19 pourraient être asymptoma-              Il y a eu des problèmes systémiques per-
tiques. Selon le Dr Anthony Fauci, directeur            sistants et généralisés dans la gestion des
du National Institute of Allergy and Infectious         approvisionnements pendant la COVID-19,
Diseases aux États-Unis, ce chiffre pourrait             ce qui a entraîné des pénuries débilitantes
être aussi élevé que 40 pour cent.41                    d’équipements de protection individuelle,

                                                   11
malgré les leçons tirées du SRAS relativement           N95 soumis à un essai d’ajustement, ou de
au stockage des EPI.                                    qualité supérieure, ainsi que les autres équi-
                                                        pements de protection individuelle, devaient
Ces problèmes ont mûri pendant des années               être une exigence minimale pour protéger
parce que le Canada s’est permis de dé-                 les travailleurs contre un nouveau pathogène
pendre des fabricants étrangers. Une succes-            comme le COVID-19.
sion de gouvernements fédéral et provinciaux
ont tourné le dos au problème, même après               Une infirmière relate une expérience négative
qu’il ait été mis au jour par le SRAS.                  avec sa direction après avoir refusé d’admi-
                                                        nistrer des tests de dépistage de la COVID-19
                                                        sans N95 :
    « Nous avons tellement peu
    de masques N95 qu’on                                    « Cela ne s’est pas bien passé. On m’a
                                                            traitée à la légère, et mes inquiétudes ont
    s’attend à ce que nous en-                              été ignorées. »45
    trions dans les chambres de
                                                        Une autre infirmière mentionne une anxiété si-
    patients COVID-19 avec des                          milaire lorsqu’elle devait s’occuper de patients
    masques chirurgicaux. »                             atteints de la COVID-19 sans équipement
                                                        adéquat de protection individuelle :
Le problème s’est accentué par la destruction
de stocks importants dans les années précé-                 « Nous avons tellement peu de masques
dant la COVID-19 :                                          N95 qu’on s’attend à ce que nous entrions
                                                            dans les chambres de patients COVID-19
•   Le gouvernement fédéral a détruit, en mai               avec des masques chirurgicaux qui ne sont
    2019, près de deux millions de masques                  pas efficaces contre ce virus. Non seule-
    respirateurs et n’a pas remplacé ces                    ment risquons-nous notre propre vie mais
    stocks. Ainsi, au début de la pandémie,                 nous mettons aussi la santé de nos enfants
    il en restait seulement 100 000 dans les                et de nos conjoints à risque. »46
    entrepôts fédéraux.43
                                                        Même les masques chirurgicaux étaient sou-
•   En 2017, l’Ontario a commencé à détruire            vent rationnés pendant la pandémie. Certains
    près de 55 millions des respirateurs N95            hôpitaux établissaient une limite d’un ou deux
    stockés à la suite de la recommandation             masques jetables par jour pour le personnel.
    de la Commission sur le SRAS, et dans
    le but de se préparer à une urgence en              « On nous traite comme si on était jetables »,
    matière de santé publique. On avait laissé          mentionne une infirmière dont l’identité a été
    ces respirateurs dépasser la date d’expira-         gardée confidentielle par CBC.47
    tion et on ne les avait pas remplacés.44
                                                        Une autre infirmière anonyme exprime des
En raison des pénuries de N95 pendant la                sentiments similaires au Toronto Star.
COVID-19, les travailleurs de la santé du
Canada ont dû utiliser des masques chirur-                  « Lorsque vous entrez [dans l’hôpital] et
gicaux, même si les experts en sécurité au                  prenez conscience du fait que tout ce
travail croyaient fortement que les respirateurs            que vous valez en tant qu’être humain se

                                                   12
limite à deux masques dans un sac brun –
    comme si vous ne valiez rien de plus pour              Ignorer les mises en
    l’hôpital, c’est tout ce que vaut votre santé,
    deux masques pour tout le quart de tra-                garde venant des tra-
    vail – vous vous dites, qu’est-ce que je fais
    ici? »48 [Traduction]                                  vailleurs de la santé
    « Je n’ai pas signé pour mourir au travail. »49        et des syndicats
Pour les travailleurs de la santé, se rendre au            Un problème systémique important pendant
travail signifiait mettre non seulement sa propre           la COVID-19 – et pendant le SRAS – est le
vie en danger mais celle de leur famille aussi.            fait que les gouvernements et les agences
                                                           de la santé publique ne considéraient pas
Le cas de Felicidad Maloles, aide-soignante de             les travailleurs de la santé et les syndicats
65 ans de Toronto, et très appréciée, souligne             comme des partenaires avec qui collaborer
les risques posés aux familles des travailleurs.           pour élaborer des lignes directrices et des
Elle s’est sortie de la COVID-19 mais a perdu              procédures en matière de sécurité. Malheu-
son mari de 69 ans, son compagnon pendant                  reusement, c’est encore le cas malgré le fait
40 ans, qui est décédé de la maladie.                      que le Système de responsabilité interne,
                                                           soit le principe sous-jacent à l’ensemble des
    « Je suis tellement stressée et je m’en                lois et des règlements relatifs à la sécurité
    veux parce que j’ai contracté le virus »,              des travailleurs, exige la participation des
    mentionne Maloles. Si je n’avais pas                   syndicats et des travailleurs pour assurer la
    contracté le virus, il ne serait peut-être pas         sécurité des lieux de travail.
    mort. »50 [Traduction]
                                                           Réfléchissez aux délais qui suivent démon-
Ces histoires bouleversantes de maladie et                 trant jusqu’à quel point il a été difficile pour
de mort, d’anxiété et d’angoisse – combinées               les syndicats de participer aux discussions de
aux taux élevés d’infections et de décès chez              l’Agence de la santé publique du Canada sur
les travailleurs de la santé – mettent en relief           la sécurité des travailleurs :
l’ampleur des failles dans le système visant
à protéger les travailleurs lors de la première                24 janvier 2020 : la Fédération cana-
phase de la COVID-19, et nous révèlent                         dienne des syndicats d’infirmières et
jusqu’à quel point on n’a pas tenu compte des                  infirmiers (FCSII) écrit à l’Agence de la
leçons tirées du SRAS.                                         santé publique du Canada (ASPC) pour
                                                               demander que les syndicats participent
Certes, d’autres pays, par exemple les États-                  directement à l’élaboration des directives
Unis, ont fait pire que le Canada. Cela offre                   pour la prévention des infections à la
peu de réconfort aux milliers de travailleurs                  COVID-19 et la sécurité des travailleurs,
de la santé canadiens infectés et à leur                       comme cela avait été fait lors de l’éclosion
famille. Des pays comme les États-Unis n’ont                   de la H1N1 en 2008 et de l’Ebola en
pas vécu le SRAS et n’ont pas eu l’occasion                    2013-2014.51
d’en tirer des leçons. Le Canada a vécu le
SRAS mais, malheureusement, n’a pas mis les                    28 janvier 2020 : l’ASPC refuse de laisser
leçons en pratique.                                            participer les syndicats infirmiers.

                                                      13
29 janvier 2020 : à la suite du refus               blique, leurs experts et conseillers. Il va sans
    de l’ASPC de les faire participer à l’éla-          dire que personne n’a souhaité ces niveaux
    boration de directives ayant un impact              élevés et inacceptables de maladie et de
    direct sur la sécurité des travailleurs, les        mortalité chez les travailleurs de la santé du
    syndicats infirmiers se tournent vers la             Canada. Nous utilisons le recul non pas pour
    Dre Theresa Tam pour faire leur demande.52          diaboliser ou trouver un bouc émissaire mais
                                                        plutôt pour déterminer les ratés et tirer des
    29 janvier 2020 : les syndicats infirmiers           leçons de nos erreurs.
    se tournent vers l’honorable Patty Hajdu,
    ministre fédérale de la Santé, pour de-             Nous ne saurons jamais avec certitude
    mander que l’ASPC les laissent participer           jusqu’à quel point nous aurions pu diminuer
    aux discussions sur la sécurité des travail-        le nombre élevé d’infections et de décès chez
    leurs de la santé.53                                les travailleurs de la santé si on avait tenu
                                                        compte des mises en garde formulées par les
    1er février 2020: les syndicats infirmiers           syndicats, les travailleurs de la santé et les
    reçoivent un exemplaire, sous embargo,              experts de la sécurité au travail.
    de la première édition des directives pour
    assurer la sécurité des travailleurs en             Ce que nous savons – et nous allons le dé-
    soins actifs (Prévention et contrôle de la          montrer dans ce rapport – c’est que d’autres
    maladie COVID-19 : Lignes directrices               pays qui ont vécu le SRAS, comme la Chine,
    provisoires pour les établissements de              Hong Kong et Taiwan, ont été en mesure de
    soins actifs).                                      tirer profit de l’expérience et de mettre en
                                                        pratique les leçons vitales pour assurer la
    3 février 2020 : l’ASPC publie, en ligne,           sécurité des travailleurs de la santé. Et leurs
    les lignes directrices avant la réponse de          travailleurs de la santé s’en sont tirés beau-
    la FCSII.                                           coup mieux que les nôtres.

Nous parlerons davantage de cela plus loin
dans ce rapport et préciserons comment                  Sur qui repose
les consultations subséquentes entre les
agences de la santé publique, les syndicats et          le blâme?
les travailleurs ne se sont généralement pas
déroulées dans un esprit de collaboration et            Bien que l’on soit tenté de pointer du doigt
de coopération, ni de façon à refléter les prin-         certaines personnes ou groupes particuliers,
cipes du Système interne de responsabilité.             et de les blâmer pour les manquements à
                                                        la sécurité, ces manquements sont, en fait,
                                                        systémiques.
Avec le recul
                                                        Dans le rapport final de la Commission sur
Le Canada aurait dû faire beaucoup plus pour            le SRAS, le juge Campbell met en relief des
protéger ses travailleurs de la santé.                  conclusions qui s’avèrent aussi pertinentes
                                                        aujourd’hui qu’elles l’étaient en 2006 :
Nous sommes en mesure de dire cela grâce
au recul. Cet outil n’était pas disponible pour             « C’est trop facile de trouver des boucs
les agences canadiennes de la santé pu-                     émissaires. Le jeu du blâme commence

                                                   14
après chaque tragédie publique. Ceux qui                laissés tomber, et nous devrions avoir
    cherchent quelqu’un à blâmer vont toujours              honte parce que nous n’avons pas insisté
    le trouver, mais les erreurs de bonne foi               auprès de ces gouvernements pour qu’ils
    sont inévitables dans tout système humain.              nous protègent mieux. »56
    Il y aura toujours assez de personnes à
    blâmer si les erreurs de bonne foi commises         En raison des failles systémiques, le Canada
    dans le feu de la lutte sont, avec le recul,        voit resurgir plusieurs problèmes liés à la
    jugées répréhensibles. »54 [Traduction]             sécurité des travailleurs, et mis au jour par le
                                                        juge Campbell et la Commission sur le SRAR.
Les leaders de la réponse du Canada à la                Or, ce sont ces failles systémiques que les
COVID-19 – comme leurs prédécesseurs lors               conclusions et les recommandations de la
du SRAS – sont dévoués, compétents, bien in-            Commission ciblaient tout particulièrement.
tentionnés, hautement qualifiés et travailleurs.
Les leaders en 2003 et en 2020 ont agi de               Pendant l’épidémie du SRAS, comme c’est
bonne foi et avec les meilleures intentions.            le cas maintenant avec la pandémie de
                                                        COVID-19, il y a eu un débat passionné
Ne pas avoir tenu compte des leçons du                  pour déterminer si les précautions contre la
SRAS et ne pas avoir protégé suffisamment                 transmission par gouttelettes ou par contact
les travailleurs de la santé pendant la pan-            (y compris les masques chirurgicaux) ou la
démie actuelle sont des failles systémiques55 –         transmission par voie aérienne (y compris les
engendrées par les lacunes, déficiences                  respirateurs N95 soumis à un essai d’ajuste-
et imperfections organisationnelles – et ne             ment ou de qualité supérieure), protégeaient
relèvent pas directement d’une personne ou              suffisamment les travailleurs de la santé
d’un groupe.                                            contre un nouveau pathogène.

Le juge Campbell a parlé du SRAS d’une                  Le fait que ce débat se poursuit encore
façon qui s’applique aussi à la COVID-19 :              pendant la COVID-19 démontre le large fossé
                                                        entre les principes liés à la sécurité des
    « C’était une faille dans le système. Nous          travailleurs du secteur de la santé et l’éthos
    en faisons tous partie parce que nous               des agences de la santé publique et de leurs
    avons le système public de santé et le              conseillers. Les premiers s’inscrivent dans le
    système hospitalier que nous méritons.              cadre du principe de précaution qui privilégie
    Nous avons le système de gestion des                la prudence devant l’incertitude scientifique;
    urgences que nous méritons et la prépara-           les derniers se basent sur les niveaux de
    tion en cas de pandémie que nous méri-              certitude scientifique les plus pertinents pour
    tons. Le manque de préparation en cas               introduire, de façon sécuritaire, de nouveaux
    de maladies infectieuses, le déclin de la           médicaments et vaccins.
    santé publique, l’échec des systèmes qui
    devaient protéger le personnel infirmier,            La meilleure preuve de la transmission du
    les ambulanciers paramédicaux, les méde-            SRAS par voie aérienne, sous certaines
    cins et les travailleurs de la santé contre         conditions, a été fournie qu’un an environ
    les infections au travail, tous ces déclins         après l’éclosion.
    et failles ont persisté sous trois gouverne-
    ments successifs appartenant à différents
    partis politiques. Nous nous sommes tous

                                                   15
Selon le juge Campbell, cela justifiait une              santé (OMS). La lettre, signée par 239 experts
approche de précaution :                                de 32 pays, demande à l’OMS de remettre en
                                                        question sa résistance profondément enracinée
    « Les connaissances sur le mode de                  aux données de plus en plus nombreuses sur
    transmission du SRAS ont évolué de                  la transmission par voie aérienne. Et on sou-
    façon importante depuis l’éclosion. Des             ligne que c’est précisément en période d’incer-
    études récentes suggèrent une transmis-             titude scientifique que le principe de précaution
    sion par voie aérienne, et cela donne du            doit être adopté. Les auteurs écrivent :
    poids à une approche de précaution afin
    de protéger les travailleurs de la santé                « Nous comprenons que la transmission
    contre une nouvelle maladie encore mal                  par voie aérienne du SARS-CoV-2 n’est
    comprise. »57 [Traduction]                              pas encore acceptée universellement;
                                                            mais, selon notre évaluation collective, il y
Comparativement à l’absence de données pen-                 a suffisamment de données en appui et le
dant l’éclosion du SRAS, il y a maintenant de               principe de précaution devrait s’appliquer.
plus en plus de données sur la transmission                 Dans le but de contrôler la pandémie, et
possible par voie aérienne du SARS-CoV-2.                   en attendant la disponibilité d’un vaccin,
                                                            toutes les voies de transmission doivent
Pendant la COVID-19, les travailleurs de la                 être bloquées. »58 [Traduction]
santé, les syndicats, et les experts en sécurité
au travail ont présenté, maintes et maintes             La lettre a été ignorée par la santé publique
fois, des études sur la transmission par voie           du Canada et les experts en contrôle des
aérienne et par aérosols, non pas comme                 infections. Ils n’ont pas retenu le message de
preuve définitive mais comme preuve suffisam-              précaution. Ils ont seulement retenu qu’elle ne
ment convaincante pour adopter le principe              prouvait pas la transmission par voie aérienne.
de précaution.
                                                        Un dirigeant de la santé publique l’a qualifiée
À répétition, les agences de la santé publique          de « tempête dans un verre d’eau ».59
et leurs conseillers ont mal interprété les
documents soumis par les syndicats, et les              Un expert en maladies infectieuses a dit :
experts en sécurité, sur la transmission par
voie aérienne. Selon les agences, il s’agissait              « Nous ne faisons que ressasser les
de tentatives infructueuses à prouver défini-                mêmes arguments que nous avons en-
tivement que le SARS-CoV-2 se transmettait                  tendus en février, mars, avril et jusqu’à
lorsque la personne respirait, parlait, chantait            maintenant. Je ne sais pas pourquoi on fait
et toussait. Or, les syndicats et les experts               tant d’histoires avec tout ça. »60 [Traduction]
en sécurité du travail n’essayaient pas de
présenter une preuve définitive. Ils voulaient           Le débat autour de la lettre adressée à l’OMS
simplement démontrer la nécessité d’adopter             rappelle la mise en garde du juge Campbell
une approche de précaution en attentant les             dans le rapport final de la Commission sur le
données scientifiques concluantes.                       SRAS relativement à l’importance du principe
                                                        de précaution :
Un exemple flagrant est la réaction de la com-
munauté de la santé publique du Canada à une                « Il ne s’agit pas de savoir qui a raison ou
lettre adressée à l’Organisation mondiale de la             qui a tort au sujet de la transmission par

                                                   16
voie aérienne. Il ne s’agit pas de science         Nous devons reconnaître que nos leaders
    mais de sécurité. Les connaissances scien-         de la santé publique ont agi de bonne foi et
    tifiques évoluent constamment. Le dogme             avec les meilleures intentions pour réparer
    scientifique d’hier est la fable que nous           les failles systémiques engendrées au fil de
    rejetons aujourd’hui […] Nous ne devrions          plusieurs années.
    pas être motivés par le dogme scientifique
    d’hier ou par le dogme scientifique d’au-           Toutefois, le fait que les problèmes soient
    jourd’hui. Nous devrions être motivés par          systémiques et requièrent des solutions sys-
    le principe de précaution selon lequel des         témiques ne signifie pas que les actions des
    mesures raisonnables pour réduire les              décideurs ne doivent pas être révisées sur
    risques ne devraient pas attendre la certi-        une base régulière.
    tude scientifique. »61 [Traduction]
                                                       Cela devrait se faire non pas pour trouver des
                                                       boucs émissaires mais pour déterminer qui
Blâme et reddition                                     est le plus qualifié pour régler les problèmes
                                                       systémiques mis au jour par la COVID-19.
de compte
La force des enquêtes comme celle de la Com-           Protéger les
mission sur le SRAS est de permettre de mettre
au jour les causes systémiques profondes et de         travailleurs de
proposer des solutions systémiques.
                                                       la santé, protéger
Toutefois, elles ont aussi une faiblesse. Parce
qu’elles ne peuvent pas rejeter la respon-             la collectivité
sabilité civile ou criminelle sur quelqu’un,
aucune personne et aucun groupe ne sont                Dans la foulée de la première vague de la
tenus responsables. Aucune personne n’a été            COVID-19, le Canada a peu à célébrer. Il a
congédiée après le SRAS. Aucune personne               payé cher en maladie, décès, angoisse et
n’a vu ses actions ou ses omissions passées            anxiété car il a ignoré les leçons du SRAS et
au peigne fin.                                          n’a pas adopté une approche de précaution.

Il y a eu plusieurs leaders remarquables               Le tableau pointage du Canada par rapport à
pendant le SRAS, par exemple la Dre Sheela             la pandémie est pour le moins décourageant.
Basrur alors à la tête de la santé publique
de Toronto, maintenant décédée. Elle a été             Plus de 21 000 travailleurs de la santé ont
partie intégrante du succès de la réponse au           contracté la COVID-19. Ils représentent
SRAS malgré l’absence de leadership efficace.            environ un cas sur cinq. Par rapport à l’en-
Mais il y a aussi ceux dont les actions ont été        diguement de la pandémie, nous avons un
inférieures aux normes fixées par les actions           plus grand nombre de cas et de décès que la
et le leadership louables de la Dre Basrur.            Chine, Hong Kong et Taiwan confondus, pays
                                                       qui ont aussi vécu le SRAS.62
Cela nous amène à se poser la question sur
la meilleure façon de régler les problèmes             La COVID-19 a fait ressortir une leçon impor-
systémiques mis au jour par la COVID-19.               tante laissée par le SRAS : la sécurité des

                                                  17
travailleurs de la santé et l’endiguement de             ils ont pris soin des patients atteints de la
l’éclosion vont de pair.                                 COVID-19, souvent dans des établissements
                                                         de soins de longue durée présentant des
Protéger les travailleurs de la santé brise la           niveaux exceptionnellement élevés de risque
chaîne de transmission. S’ils sont protégés, ils         et de maladie, sans parler des conditions de
ne peuvent pas être infectés par leurs pa-               travail pour le moins bouleversantes.
tients, résidents ou collègues. Et, vice-versa,
s’ils sont protégés, ils ne peuvent pas infecter         Nous avons aussi une énorme dette envers
leurs patients, résidents, collègues ou leurs            les autres travailleurs essentiels aux pre-
familles.                                                mières lignes de plusieurs secteurs, et aux
                                                         millions de personnes au Canada qui ont suivi
                                                         les directives de la santé publique et persé-
    « Une des leçons les plus                            véré malgré les défis énormes. Grâce à toutes
    percutantes du SRAS est                              ces personnes, et à leur respect profond des
                                                         valeurs sociétales fondamentales au Canada,
    le fait que la santé et la                           nous avons réussi à aplatir la courbe pendant
    sécurité des travailleurs de                         la première vague de COVID-19.
    la santé, et autres premiers                         Pendant des décennies, les travailleurs de la
    intervenants, sont vitales lors                      santé ont été directement témoins du manque
                                                         de personnel, de l’engorgement et du manque
    d’une urgence en matière de                          constant de financement, qui ont fragilisé, de
    santé publique. »                                    façon chronique, les établissements de soins
                                                         de longue durée, et qui ont maintenant été
Comme le fait remarquer le juge Campbell,                mis au jour par la COVID-19. Et, pendant des
le fait de protéger les travailleurs de la santé         décennies, les gouvernements, les proprié-
pendant une pandémie a un effet de conta-                 taires et exploitants d’établissements de soins
gion à la baisse, et permet de mitiger les               de longue durée ont détourné le regard et se
répercussions négatives de la pandémie sur le            sont appuyés sur le dévouement et le courage
plan humain, sociétal et économique.                     des travailleurs de la santé pour qu’ils servent
                                                         de colle pour réparer l’irréparable, notamment
    « Une des leçons les plus percutantes du             les nombreuses failles profondes, persistantes
    SRAS est le fait que la santé et la sécurité         et de longue date dans ce secteur.
    des travailleurs de la santé, et autres pre-
    miers intervenants, sont vitales lors d’une          Au début septembre 2020, environ 80 pour
    urgence en matière de santé publique.                cent des décès causés par la COVID-19 au
    Le SRAS a démontré jusqu’à quel point                Canada étaient dans le secteur des soins de
    des niveaux élevés de maladie et de qua-             longue durée, ce qui dépassait grandement les
    rantaine chez les travailleurs de la santé           décès causés par la COVID-19 dans les hô-
    peuvent nuire grandement à la réponse en             pitaux ou les collectivités. Pendant la même pé-
    cas d’urgence sanitaire. »63 [Traduction]            riode, environ une résidence pour personnes
                                                         âgées sur cinq comptait une éclosion.64
Nous avons une énorme dette envers la dizaine
de milliers de travailleurs de la santé du Ca-           Pendant que la COVID-19 exposait les fis-
nada, et ils méritent notre gratitude. Bravement,        sures et les failles dans ce secteur, les travail-

                                                    18
leurs de la santé en payaient le prix. Depuis le        Il n’y a plus d’excuse pour ne pas protéger
début de la pandémie, plus de 10 000 travail-           complètement nos travailleurs de la santé de
leurs de la santé ont contracté la COVID-19             la COVID-19.
dans le secteur des soins de longue durée,
représentant ainsi le tiers de tous les cas             Les failles systémiques, mises au jour par la
dans les foyers de soins.65                             COVID-19, doivent être réparées rapidement.

Ces problèmes doivent être réglés de                    Même si la COVID-19 pourrait persister
façon urgente.                                          jusqu’en 2022, des mesures urgentes sont
                                                        nécessaires maintenant pour régler les pro-
Nous ne pouvons pas gaspiller la petite pé-             blèmes mis au jour par la pandémie.
riode de temps où nous pouvons respirer avant
la venue d’une deuxième vague potentielle de
COVID-19. Les agences de la santé publique et
les gouvernements doivent agir impérativement
pour réparer les failles systémiques par rapport
à la sécurité des travailleurs, et mises au jour
par la pandémie actuelle. Ils doivent aussi ap-
prendre des autres pays, dont la Chine, Hong
Kong et Taiwan, qui ont adopté le principe de
précaution pour protéger leurs travailleurs et
mieux endiguer la pandémie.

Dans son rapport final de décembre 2006, le
juge Campbell écrit :

    « Le SRAS nous a appris qu’il faut être
    prêts pour l’inconnu. C’est l’une des leçons
    les plus importantes du SRAS. Bien que
    personne n’ait anticipé et, peut-être, ne
    pouvait anticiper, l’unique convergence de
    facteurs qui ont fait du SRAS la tempête
    parfaite, nous savons maintenant que les
    nouvelles menaces microbiennes, comme
    le SRAS, arrivent et peuvent encore arriver.
    Toutefois, il n’y a plus d’excuse pour les
    gouvernements et les hôpitaux pour être
    pris au dépourvu, et il n’y a plus d’excuse
    pour ne pas avoir le niveau maximal de
    protection pour les travailleurs de la santé
    grâce aux équipements adéquats et à la
    formation. »66 [Traduction]

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