Vivre dans la crainte - Comment le Canada a laissé tomber ses travailleurs de la santé par sa mauvaise gestion de la COVID-19
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Vivre dans la crainte Comment le Canada a laissé tomber ses travailleurs de la santé par sa mauvaise gestion de la COVID-19 Mario Possamai
Résumé Le Canada ignore les leçons du SRAS, et les travailleurs de la santé en paient le prix L’histoire de la COVID-19 au Canada est l’histoire du courage, du dévouement et du Des membres de la professionnalisme des travailleurs de la santé dont les voix ont été grandement ignorées. famille à risque Avec peu de protection, peu de ressources et peu de reconnaissance, ils ont continué à Angela (pseudonyme pour protéger l’identité dispenser des soins malgré la peur ressentie de cette travailleuse de la santé) est récep- par rapport à leur propre sécurité, celle de tionniste à la salle d’urgence. Elle est souvent leurs collègues, êtres chers et autres patients. le premier visage que voit le patient et la première à les évaluer. Son mari est immuno- Les travailleurs sont inquiets par rapport supprimé. Elle porte un masque chirurgical, aux risques auxquels ils sont confrontés à et non un respirateur N95, parce que son chaque jour. Représentant environ 20 pour employeur ne lui fournit rien de plus.1 cent des cas de COVID-19 au Canada, les travailleurs de la santé sont plus susceptibles d’être infectés que la population générale. Ils « J’ai vraiment peur sont inquiets par rapport à leur famille, leurs d’apporter [la COVID-19] patients et leurs collègues, et ils ont peur de les infecter sans le savoir. Ils sont inquiets par chez-moi où il y a une rapport à leurs collègues et à ce qui pourrait personne recevant un traite- arriver si un trop grand nombre de travailleurs de la santé sont infectés et que le système ment de chimiothérapie. » de soins de santé devient engorgé. Ils sont inquiets du manque d’équipements adéquats Michelle (autre pseudonyme) est travailleuse de protection individuelle et du fait que leurs de la santé dans un foyer de groupe. Son employeurs semblent ignorer leurs inquiétudes petit-fils a une maladie héréditaire pour par rapport à leur santé et leur sécurité. Et ils laquelle il n’y a pas de remède. Elle a aussi sont inquiets par rapport à l’inconnu. une petite-fille encore nourrisson. Lorsqu’elle a demandé des masques chirurgicaux, son Les histoires de nos travailleurs de la santé dé- superviseur a répondu : « Est-ce que votre voués offrent une fenêtre sur les répercussions client est malade? », Michelle a dit : « Non », physiques et émotionnelles de la COVID-19. le superviseur a alors demandé : « Êtes-vous 3
malade? », Michelle a répondu « Non » encore une fois. Le superviseur a alors dit : « Si vous Risques quotidiens n’êtes pas malade, nous ne sommes pas autorisés à vous fournir des masques. »2 et anxiété accrue Les travailleurs de la santé s’exposent à des Se préparer au pire risques majeurs à chaque jour de travail. Partout au Canada, les travailleurs de la santé Imaginez un inhalothérapeute à Toronto. Il est et leur famille ont fait le type de préparatifs qui confronté à des situations de vie ou de mort sont généralement faits par ceux qui vont à la à chaque jour, particulièrement lorsqu’il doit guerre. aider à retourner un patient sur le ventre afin de lui permettre de mieux respirer. Une infirmière d’Edmonton mentionne que son mari et elle ont fait leur testament juste avant « Lorsque nous plaçons le patient en position qu’elle commence à traiter des patients pré- ventrale, ce dernier est branché à des fils qui le sentant un cas possible de COVID-19. maintiennent en vie. Si ces fils se débranchent, nous allons recevoir plein de gouttelettes, et L’infirmière, mère de deux enfants, a dit : cela représente un risque vraiment élevé de « Plusieurs de mes collègues et moi avons contracter la COVID. »5 [Traduction] décrit notre situation comme si nous étions au bord d’un précipice et regardions en bas mais Son anxiété est constante. À un moment sans voir le fond ou savoir quand nous allions donné, il s’est rendu à la salle d’urgence car tomber. »3 ses douleurs au thorax l’inquiétaient. Il a appris plus tard qu’elles étaient causées par l’anxiété. Elle s’inquiète des pénuries d’équipements de protection individuelle et de ce qui arriverait si « La peur est là parce que je ne veux pas elle ou son mari, un pompier, tombaient ma- apporter ça à ma famille; je ne veux pas faire lade. « Je ressens de l’anxiété mais ce n’est mal à une autre personne. »6 pas nécessairement de la peur. »4 4
Gérer un « virus sournois » Une infirmière d’expérience en Ontario a vécu le SRAS, la H1N1 et l’Ebola. Mais cette pan- démie, dit-elle, est différente. « Le COVID-19 est un virus sournois. Cette éclosion fait peur davantage parce que les pa- tients peuvent transmettre le virus alors qu’ils sont asymptomatiques. Avec le SRAS, c’était plus clair de savoir qui était infecté. Avec le COVID-19, nous avons moins d’indices qui nous indiquent qu’une personne pourrait être porteuse du virus. »7 [Traduction] La COVID-19 augmente les risques – et les pressions – généralement présentes à la salle d’urgence. « À la salle d’urgence, nous nous occupons encore des blessures causées par un acci- dent de voiture, des crises cardiaques et des accidents vasculaires cérébraux. En fait, tout ce que vous pouvez imaginer et une dizaine d’autres que vous ne pouvez pas imaginer. Et tout cela est rendu plus compliqué en raison de ce virus. Par exemple, mon équipe est en code bleu en train de réanimer un patient. Cela arrive souvent. Mais, maintenant, nous devons penser au fait que nous ne pouvons pas nous informer des antécédents médicaux du patient ou de ses récents déplacements si ce patient ne peut répondre. Nous ne pouvons pas savoir s’il est infecté. En ce moment, nous n’avons pas le luxe de nous tromper. Nous devons présumer qu’il pourrait être porteur du virus. »8 [Traduction] 5
Introduction Le principe de précaution englobe aussi d’autres mesures pour contenir le virus en cas de pandémie, par exemple la fermeture Le système qui protège les travailleurs de la des frontières et les masques obligatoires santé du Canada a des failles. Nous devons les pour le public. Lorsque les données ne sont réparer avant la deuxième vague de COVID-19. pas concluantes, il est mieux de privilégier la prudence et la sécurité. Ce n’est pas une coïncidence, si vous, lecteur, voyez un parallèle entre ce discours et celui Depuis le début de la COVID-19, les leçons utilisé par le juge Archie Campbell pour dé- du principe de précaution ont été grandement crire les failles systémiques lors du syndrome ignorées malgré les mises en garde répétées respiratoire aigu sévère (SRAS) de 2003.9 Un venant des travailleurs de la santé, des syndi- discours similaire est utilisé pour décrire les cats et des experts en sécurité au travail. problèmes liés à la sécurité des travailleurs de la santé, mis au jour par la COVID-19, et dont Selon une analyse ponctuelle des données, les causes et les manifestations s’apparentent analyse en date du 23 juillet 2020 par étrangement aux problèmes mis au jour lors l’Institut canadien d’information de la santé, du SRAS. plus de 21 000 travailleurs de la santé au Canada ont contracté la COVID-19. Les taux Avec la COVID-19, le Canada est témoin d’un d’infection les plus élevés, en proportion du échec systémique qui aurait été évité si l’on total des cas provinciaux, sont au Québec, au avait tenu compte des leçons tirées de l’épi- Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et démie du SRAS en 2003. Échec parce que le en Ontario.12 Canada ne s’est pas préparé adéquatement, et n’a pas répondu de façon urgente et ap- Dans l’ensemble du Canada, les travailleurs propriée à l’urgence sanitaire la plus grave en de la santé représentent près de 20 pour matière de santé publique en un siècle. cent des infections liées à la COVID-19,13 soit presque deux fois le taux d’infection mondial Le principe de précaution est la plus grande chez les travailleurs de la santé (10 pour leçon tirée du SRAS dans la foulée de l’impact cent), tel que cité par l’OMS et le Conseil foudroyant de cette maladie sur les travailleurs international des infirmières.14 15 de la santé, qui représentaient 44 pour cent des cas en Ontario,10 soit la plus grande Au Canada, le taux d’infection des travailleurs éclosion à l’extérieur de l’Asie.11 de la santé est plus de quatre fois plus élevé que celui de la Chine où les précautions Devant tout nouveau pathogène, il faut privilé- contre la transmission par voie aérienne gier la sécurité : protection au niveau le plus sont utilisées.16 élevé des travailleurs de la santé grâce à des précautions contre la transmission par voie Les travailleurs de la santé représentent 24,1 aérienne, y compris des masques N95 ou pour cent des cas au Québec et 16,7 pour supérieurs, jusqu’à ce que nous comprenions cent des cas en Ontario. Dans les provinces mieux le nouveau virus; diminuer la protec- atlantiques, ils représentent 18,8 pour cent tion seulement si cela ne met pas la sécurité des cas au Nouveau-Brunswick et 17,2 pour à risque. cent en Nouvelle-Écosse. Par contre, à l’Île-du- Prince-Édouard et à Terre-Neuve-et-Labrador, 7
les taux d’infection chez les travailleurs de la Victoria Salvan, 64 ans, travailleuse de santé sont 5,6 pour cent et 6,1 pour cent res- la santé dans un établissement de soins pectivement. Les données ponctuelles de l’Ins- de longue durée de Montréal, où il y avait titut canadien d’information sur la santé mettent manque de personnel. Elle a contracté le en relief les taux inférieurs à la moyenne virus peu de semaines avant de prendre nationale dans les provinces de l’Ouest : sa retraite. Une collègue mentionne que 10,1 pour cent au Manitoba, 5,4 pour cent en Victoria faisait toujours sourire ses pa- Saskatchewan, 8,8 pour cent en Alberta et 7,6 tients « parce qu’ils savaient qu’ils seraient pour cent en Colombie-Britannique.17 traités avec amour et bienveillance. »23 Environ 13 000 travailleurs de la santé au Malgré l’escalade du nombre de victimes chez Canada ont fait une demande d’indemnisation les travailleurs de la santé, les agences cana- en raison de la COVID-19. Cela représente 75 diennes de la santé publique, et leurs conseil- pour cent de toutes les demandes d’indemni- lers, ont agi de bonne foi mais ont ignoré, à sation au Canada. La majorité des demandes répétition, les mises en garde des syndicats, viennent du Québec et de l’Ontario.18 des travailleurs de la santé, des experts en sécurité au travail, car ils ont continué à : Bien que les fonctionnaires fassent état de 12 travailleurs de la santé décédés de la • Ignorer qu’il était vital de respecter le COVID-19,19 au moins 16 travailleurs de principe de précaution et de recourir aux la santé sont décédés de la COVID-19 au protections contre la transmission par voie Canada selon les syndicats.20 Ils comprennent : aérienne qui, typiquement, signifie des respirateurs N95; Flozier Tabangin, 47 ans, employé dans une résidence pour personnes handica- • Écarter le recours aux protections contre pées à Richmond en C.-B., et s’occupant la transmission par voie aérienne en de personnes handicapées intellectuelle- excluant la possibilité que le SARS-CoV-2, ment et physiquement. Il avait plusieurs le virus causant la nouvelle maladie, soit emplois afin de soutenir sa femme et sa transmis par de petites particules, con- jeune fille. Un collègue en parle en disant nues sous le nom d’aérosols, flottant dans qu’il était « comme un père, un frère pour l’air; et tout le monde. Si vous aviez besoin de quelque chose, vous [pouviez] compter • Affirmer avec beaucoup de certitude qu’on sur lui en tout temps. »21 en savait suffisamment sur le SARS-CoV-2, le virus causant la COVID-19 et cousin du Brian Beattie, 57 ans, infirmier dans SRAS, pour déterminer que les précau- une résidence pour personnes âgées à tions contre la transmission par contact ou London, Ontario. L’Association des infir- par gouttelettes, y compris les masques mières et infirmiers de l’Ontario mentionne chirurgicaux, étaient suffisantes, sauf lors ceci : « Brian était un infirmier autorisé de procédures à risque élevé. qu’on aimait et respectait. Il était la défi- nition du dévouement et il considérait ses Il y a plusieurs exemples de déconnection collègues et les résidents comme son entre les directives des experts en infections autre famille. »22 et la réalité à laquelle les travailleurs de la santé étaient confrontés sur le terrain. 8
Aucun exemple n’est plus percutant que de recommander le port du masque, l’exemple qui suit venant du Québec. d’équipement, ainsi que des mesures préventives qui ne protègent pas contre ce « Nous avons été aban- mode de transmission? »26 donnés. Le mot est fort, Cet exemple n’est pas unique. Les agences mais c’est la réalité. » de la santé publique, et leurs conseillers, ont constamment démontré leur aversion au Le jour même où le plus grand spécialiste en principe de précaution depuis le début de la maladie infectieuse déclarait que la COVID-19 COVID-19. a démontré « jusqu’à quel point il était rare d’avoir besoin d’un masque N95 » et que les En mars 2020, un document de la Santé pu- masques chirurgicaux offraient une protec- blique de l’Ontario énonce confidentiellement : tion suffisante,24 les syndicats du Québec « Les travailleurs de la santé dispensant des publiaient un article citant le fait que plus de soins aux patients atteints de la COVID-19 13 600 travailleurs de la santé de la province dans d’autres provinces […] n’ont pas avaient été infectés alors qu’ils s’étaient contracté la COVID-19 pendant qu’ils utili- appuyés sur ce conseil.25 saient les précautions contre la transmission par contact ou par gouttelettes, recomman- Le président de la Confédération des syndicats dées dans la province. »27 [Traduction] nationaux, Jeff Begley, a reproché au gou- vernement d’avoir envoyé ses membres aux En mai 2020, un spécialiste des maladies in- premières lignes avec si peu de protection : fectieuses de Toronto affirme : « La raison pour laquelle nous savons pourquoi [la COVID-19 « Nous avons été abandonnés. Le mot est ne se transmet pas par voie aérienne] c’est fort, mais c’est la réalité. Les recomman- parce que nous avons des centaines de travail- dations de la santé publique, suivies aveu- leurs de la santé qui portent des masques ré- glément par les établissements de santé, guliers pendant qu’ils s’occupent des patients. n’ont pas réussi à protéger le personnel. Si cela [était] transmis par voie aérienne, […] Et les travailleurs de la santé continuent tous ces travailleurs de la santé tomberaient d’être à risque. malades. »28 [Traduction] Depuis le début de la pandémie, alors que Dans une lettre datée de mai 2020, et en- l’incertitude régnait sur le mode de trans- voyée à un important quotidien canadien, un mission du virus, nous avons demandé une groupe d’experts en contrôle des infections protection contre la transmission par voie écrivaient : « Si la COVID-19 était une infec- aérienne, et on nous l’a refusée. La trans- tion transmise par voie aérienne […], nous mission du virus par des aérosols semble assisterions à de grandes éclosions généra- de plus en plus probable. L’Organisation lisées dans les endroits qui font la prévention mondiale de la santé l’a reconnu récem- contre la transmission par gouttelettes […]. Et ment et beaucoup d’études pointent dans ce n’est pas le cas. »29 [Traduction] cette direction. En juillet 2020, un autre expert des maladies Comment expliquer que notre autorité infectieuses affirmait que si les masques en matière de santé publique continue chirurgicaux et autres précautions contre la 9
transmission par contact ou par gouttelettes cause la COVID-19, soit profondément diffé- « ne fonctionnaient pas, on aurait des chiffres rent de tous les autres pathogènes ayant ciblé beaucoup plus élevés d’infection chez les l’humanité et, par conséquent, justifiait une travailleurs de la santé. »30 [Traduction] approche de précaution. Malheureusement, au Canada, le nombre de La COVID-19 n’a cessé de surprendre la travailleurs de la santé infectés ou décédés communauté médicale avec sa gamme de s’est avéré pire que le nombre anticipé par les symptômes et autres complications : agences de la santé publique, et confirme les pires craintes des travailleurs de la santé, des « [L]e virus s’est traduit en lésions syndicats et des experts en sécurité au travail. cutanées, perte du goût et de l’odorat, problèmes cardiaques, accidents vascu- Cela démontre aussi le fort lien entre la sécu- laires cérébraux, lésions cérébrales et rité des travailleurs de la santé et les mesures autres effets secondaires, dont certains pour endiguer la pandémie. Réfléchissez à ce peuvent s’expliquer par la capacité du virus qui suit. En date du 31 août 2020 : à infecter les cellules endothéliales qui tapissent les parois des vaisseaux sanguins. • Le Canada compte davantage de cas Le virus semble aussi déclencher, chez de COVID-19 (129 888) que la Chine certains patients, une réaction immunitaire (85 048), Hong Kong (4 801) et Taiwan incontrôlable, connue sous le nom de (488) confondus; et tempête de cytokine. »34 [Traduction] • Le Canada compte plus de décès liés à la La caractéristique de la COVID-19 qui semble COVID-19 (9 164) que la Chine (4 634), la plus surprenante est le grand nombre de cas Hong Kong (88) et Taiwan (7) confondus. asymptomatiques, comme on les appelle géné- ralement. Il s’agit de personnes qui contractent En Chine, les travailleurs de la santé repré- le virus mais n’affichent aucun symptôme ou sentent 4,4 pour cent des cas de COVID-19. ne se sentent pas assez mal pour aller chez La plupart ont été infectés avant la mise en le médecin. Ces cas appartiennent à deux place des précautions contre la transmission catégories. Il y a des personnes subcliniques35 par voie aérienne.31 À la fin juillet 2020, à ou pré-symptomatiques.36 Les pré-sympto- Hong Kong, cinq travailleurs de la santé matiques ne semblent pas malades mais, avaient été infectés.32 Et, à Taiwan, aussi à éventuellement, elles le deviennent. Et il y a les la fin juillet, seulement trois travailleurs de la personnes qui sont vraiment asymptomatiques santé avaient été infectés.33 et semblent en pleine forme pendant toute la durée de leur infection.37 Litanie de problèmes Avant la COVID-19, les données suggéraient que la transmission par personnes asymptoma- systémiques tiques était généralement un « événement rare » et que, historiquement, les pandémies n’étaient pas alimentées par ce type de transmission.38 La COVID-19 a mis au jour un manquement systémique, notamment garder l’esprit ouvert Avec le recul, nous pouvons voir que les à la possibilité que le SARS-CoV-2, virus qui experts occidentaux n’ont pas adopté une 10
approche de précaution et ne semblaient pas Contrairement au Canada, la Chine et la ouverts à la possibilité que ce virus complète- Corée du sud ont conclu que les preuves ment nouveau puisse se comporter de façon de transmission asymptomatique étaient nouvelle et inattendue. suffisantes pour adopter une approche de précaution au tout début de la pandémie. Ils Or, en Chine, il y avait des signes avant-cou- ont décidé de tester toute personne ayant été reurs de ces soi-disant « porteurs muets ». en contact étroit avec un patient atteint de la COVID-19, qu’importe si cette personne Dans une lettre publiée dans The Lancet le 13 présentait ou non des symptômes. Certains février 2020, des experts chinois soulignent, en experts suggèrent que cela pourrait expliquer se basant sur leur expérience aux premières pourquoi ces deux pays asiatiques semblent lignes, que les patients asymptomatiques avoir stoppé la transmission du virus.42 sont un grave problème et qu’ils peuvent transmettre la COVID-19. Selon eux, c’est une Le fait que le Canada n’ait pas adopté une raison suffisamment importante pour protéger approche de précaution alors que la trans- les travailleurs de la santé, sur une base mission asymptomatique était une possibi- préventive, en leur fournissant des protections lité – comme l’ont fait la Chine et la Corée du contre la transmission par voie aérienne : sud – a eu des conséquences profondes sur la protection des travailleurs de la santé et les « Ces résultats justifient des mesures mus- mesures de contrôle à la frontière. clées (par exemple masques N95, lunettes de protection et blouse de protection) pour Si un « porteur muet » peut transmettre la assurer la sécurité des travailleurs de la maladie, le fait de mettre l’accent sur des santé », concluent-ils.39 [Traduction] symptômes comme la fièvre, la toux et les pro- blèmes intestinaux comme indicateurs de la De plus, citant des données classifiées du COVID-19 (comme le Canada l’a fait pendant gouvernement chinois, on peut lire, en mars trop longtemps) est une mesure inadéquate 2020, dans le South China Morning Post : pour le triage des passagers arrivant dans les aéroports canadiens. « Le nombre de ‘porteurs muets’ – des personnes infectées par le nouveau Avec le recul, l’approche du Canada pour coronavirus mais affichant tardivement détecter les cas de COVID-19 à la frontière ou des symptômes ou n’en affichant pas – dans le système de soins de santé a créé un pourraient représenter jusqu’à un tiers énorme angle mort. des personnes qui reçoivent un résultat positif. »40 [Traduction] Réserves Une étude publiée en août 2020 dans le JAMA Internal Medicine confirme cette insuffisantes d’EPI estimation et suggère que 30 pour cent des cas de COVID-19 pourraient être asymptoma- Il y a eu des problèmes systémiques per- tiques. Selon le Dr Anthony Fauci, directeur sistants et généralisés dans la gestion des du National Institute of Allergy and Infectious approvisionnements pendant la COVID-19, Diseases aux États-Unis, ce chiffre pourrait ce qui a entraîné des pénuries débilitantes être aussi élevé que 40 pour cent.41 d’équipements de protection individuelle, 11
malgré les leçons tirées du SRAS relativement N95 soumis à un essai d’ajustement, ou de au stockage des EPI. qualité supérieure, ainsi que les autres équi- pements de protection individuelle, devaient Ces problèmes ont mûri pendant des années être une exigence minimale pour protéger parce que le Canada s’est permis de dé- les travailleurs contre un nouveau pathogène pendre des fabricants étrangers. Une succes- comme le COVID-19. sion de gouvernements fédéral et provinciaux ont tourné le dos au problème, même après Une infirmière relate une expérience négative qu’il ait été mis au jour par le SRAS. avec sa direction après avoir refusé d’admi- nistrer des tests de dépistage de la COVID-19 sans N95 : « Nous avons tellement peu de masques N95 qu’on « Cela ne s’est pas bien passé. On m’a traitée à la légère, et mes inquiétudes ont s’attend à ce que nous en- été ignorées. »45 trions dans les chambres de Une autre infirmière mentionne une anxiété si- patients COVID-19 avec des milaire lorsqu’elle devait s’occuper de patients masques chirurgicaux. » atteints de la COVID-19 sans équipement adéquat de protection individuelle : Le problème s’est accentué par la destruction de stocks importants dans les années précé- « Nous avons tellement peu de masques dant la COVID-19 : N95 qu’on s’attend à ce que nous entrions dans les chambres de patients COVID-19 • Le gouvernement fédéral a détruit, en mai avec des masques chirurgicaux qui ne sont 2019, près de deux millions de masques pas efficaces contre ce virus. Non seule- respirateurs et n’a pas remplacé ces ment risquons-nous notre propre vie mais stocks. Ainsi, au début de la pandémie, nous mettons aussi la santé de nos enfants il en restait seulement 100 000 dans les et de nos conjoints à risque. »46 entrepôts fédéraux.43 Même les masques chirurgicaux étaient sou- • En 2017, l’Ontario a commencé à détruire vent rationnés pendant la pandémie. Certains près de 55 millions des respirateurs N95 hôpitaux établissaient une limite d’un ou deux stockés à la suite de la recommandation masques jetables par jour pour le personnel. de la Commission sur le SRAS, et dans le but de se préparer à une urgence en « On nous traite comme si on était jetables », matière de santé publique. On avait laissé mentionne une infirmière dont l’identité a été ces respirateurs dépasser la date d’expira- gardée confidentielle par CBC.47 tion et on ne les avait pas remplacés.44 Une autre infirmière anonyme exprime des En raison des pénuries de N95 pendant la sentiments similaires au Toronto Star. COVID-19, les travailleurs de la santé du Canada ont dû utiliser des masques chirur- « Lorsque vous entrez [dans l’hôpital] et gicaux, même si les experts en sécurité au prenez conscience du fait que tout ce travail croyaient fortement que les respirateurs que vous valez en tant qu’être humain se 12
limite à deux masques dans un sac brun – comme si vous ne valiez rien de plus pour Ignorer les mises en l’hôpital, c’est tout ce que vaut votre santé, deux masques pour tout le quart de tra- garde venant des tra- vail – vous vous dites, qu’est-ce que je fais ici? »48 [Traduction] vailleurs de la santé « Je n’ai pas signé pour mourir au travail. »49 et des syndicats Pour les travailleurs de la santé, se rendre au Un problème systémique important pendant travail signifiait mettre non seulement sa propre la COVID-19 – et pendant le SRAS – est le vie en danger mais celle de leur famille aussi. fait que les gouvernements et les agences de la santé publique ne considéraient pas Le cas de Felicidad Maloles, aide-soignante de les travailleurs de la santé et les syndicats 65 ans de Toronto, et très appréciée, souligne comme des partenaires avec qui collaborer les risques posés aux familles des travailleurs. pour élaborer des lignes directrices et des Elle s’est sortie de la COVID-19 mais a perdu procédures en matière de sécurité. Malheu- son mari de 69 ans, son compagnon pendant reusement, c’est encore le cas malgré le fait 40 ans, qui est décédé de la maladie. que le Système de responsabilité interne, soit le principe sous-jacent à l’ensemble des « Je suis tellement stressée et je m’en lois et des règlements relatifs à la sécurité veux parce que j’ai contracté le virus », des travailleurs, exige la participation des mentionne Maloles. Si je n’avais pas syndicats et des travailleurs pour assurer la contracté le virus, il ne serait peut-être pas sécurité des lieux de travail. mort. »50 [Traduction] Réfléchissez aux délais qui suivent démon- Ces histoires bouleversantes de maladie et trant jusqu’à quel point il a été difficile pour de mort, d’anxiété et d’angoisse – combinées les syndicats de participer aux discussions de aux taux élevés d’infections et de décès chez l’Agence de la santé publique du Canada sur les travailleurs de la santé – mettent en relief la sécurité des travailleurs : l’ampleur des failles dans le système visant à protéger les travailleurs lors de la première 24 janvier 2020 : la Fédération cana- phase de la COVID-19, et nous révèlent dienne des syndicats d’infirmières et jusqu’à quel point on n’a pas tenu compte des infirmiers (FCSII) écrit à l’Agence de la leçons tirées du SRAS. santé publique du Canada (ASPC) pour demander que les syndicats participent Certes, d’autres pays, par exemple les États- directement à l’élaboration des directives Unis, ont fait pire que le Canada. Cela offre pour la prévention des infections à la peu de réconfort aux milliers de travailleurs COVID-19 et la sécurité des travailleurs, de la santé canadiens infectés et à leur comme cela avait été fait lors de l’éclosion famille. Des pays comme les États-Unis n’ont de la H1N1 en 2008 et de l’Ebola en pas vécu le SRAS et n’ont pas eu l’occasion 2013-2014.51 d’en tirer des leçons. Le Canada a vécu le SRAS mais, malheureusement, n’a pas mis les 28 janvier 2020 : l’ASPC refuse de laisser leçons en pratique. participer les syndicats infirmiers. 13
29 janvier 2020 : à la suite du refus blique, leurs experts et conseillers. Il va sans de l’ASPC de les faire participer à l’éla- dire que personne n’a souhaité ces niveaux boration de directives ayant un impact élevés et inacceptables de maladie et de direct sur la sécurité des travailleurs, les mortalité chez les travailleurs de la santé du syndicats infirmiers se tournent vers la Canada. Nous utilisons le recul non pas pour Dre Theresa Tam pour faire leur demande.52 diaboliser ou trouver un bouc émissaire mais plutôt pour déterminer les ratés et tirer des 29 janvier 2020 : les syndicats infirmiers leçons de nos erreurs. se tournent vers l’honorable Patty Hajdu, ministre fédérale de la Santé, pour de- Nous ne saurons jamais avec certitude mander que l’ASPC les laissent participer jusqu’à quel point nous aurions pu diminuer aux discussions sur la sécurité des travail- le nombre élevé d’infections et de décès chez leurs de la santé.53 les travailleurs de la santé si on avait tenu compte des mises en garde formulées par les 1er février 2020: les syndicats infirmiers syndicats, les travailleurs de la santé et les reçoivent un exemplaire, sous embargo, experts de la sécurité au travail. de la première édition des directives pour assurer la sécurité des travailleurs en Ce que nous savons – et nous allons le dé- soins actifs (Prévention et contrôle de la montrer dans ce rapport – c’est que d’autres maladie COVID-19 : Lignes directrices pays qui ont vécu le SRAS, comme la Chine, provisoires pour les établissements de Hong Kong et Taiwan, ont été en mesure de soins actifs). tirer profit de l’expérience et de mettre en pratique les leçons vitales pour assurer la 3 février 2020 : l’ASPC publie, en ligne, sécurité des travailleurs de la santé. Et leurs les lignes directrices avant la réponse de travailleurs de la santé s’en sont tirés beau- la FCSII. coup mieux que les nôtres. Nous parlerons davantage de cela plus loin dans ce rapport et préciserons comment Sur qui repose les consultations subséquentes entre les agences de la santé publique, les syndicats et le blâme? les travailleurs ne se sont généralement pas déroulées dans un esprit de collaboration et Bien que l’on soit tenté de pointer du doigt de coopération, ni de façon à refléter les prin- certaines personnes ou groupes particuliers, cipes du Système interne de responsabilité. et de les blâmer pour les manquements à la sécurité, ces manquements sont, en fait, systémiques. Avec le recul Dans le rapport final de la Commission sur Le Canada aurait dû faire beaucoup plus pour le SRAS, le juge Campbell met en relief des protéger ses travailleurs de la santé. conclusions qui s’avèrent aussi pertinentes aujourd’hui qu’elles l’étaient en 2006 : Nous sommes en mesure de dire cela grâce au recul. Cet outil n’était pas disponible pour « C’est trop facile de trouver des boucs les agences canadiennes de la santé pu- émissaires. Le jeu du blâme commence 14
après chaque tragédie publique. Ceux qui laissés tomber, et nous devrions avoir cherchent quelqu’un à blâmer vont toujours honte parce que nous n’avons pas insisté le trouver, mais les erreurs de bonne foi auprès de ces gouvernements pour qu’ils sont inévitables dans tout système humain. nous protègent mieux. »56 Il y aura toujours assez de personnes à blâmer si les erreurs de bonne foi commises En raison des failles systémiques, le Canada dans le feu de la lutte sont, avec le recul, voit resurgir plusieurs problèmes liés à la jugées répréhensibles. »54 [Traduction] sécurité des travailleurs, et mis au jour par le juge Campbell et la Commission sur le SRAR. Les leaders de la réponse du Canada à la Or, ce sont ces failles systémiques que les COVID-19 – comme leurs prédécesseurs lors conclusions et les recommandations de la du SRAS – sont dévoués, compétents, bien in- Commission ciblaient tout particulièrement. tentionnés, hautement qualifiés et travailleurs. Les leaders en 2003 et en 2020 ont agi de Pendant l’épidémie du SRAS, comme c’est bonne foi et avec les meilleures intentions. le cas maintenant avec la pandémie de COVID-19, il y a eu un débat passionné Ne pas avoir tenu compte des leçons du pour déterminer si les précautions contre la SRAS et ne pas avoir protégé suffisamment transmission par gouttelettes ou par contact les travailleurs de la santé pendant la pan- (y compris les masques chirurgicaux) ou la démie actuelle sont des failles systémiques55 – transmission par voie aérienne (y compris les engendrées par les lacunes, déficiences respirateurs N95 soumis à un essai d’ajuste- et imperfections organisationnelles – et ne ment ou de qualité supérieure), protégeaient relèvent pas directement d’une personne ou suffisamment les travailleurs de la santé d’un groupe. contre un nouveau pathogène. Le juge Campbell a parlé du SRAS d’une Le fait que ce débat se poursuit encore façon qui s’applique aussi à la COVID-19 : pendant la COVID-19 démontre le large fossé entre les principes liés à la sécurité des « C’était une faille dans le système. Nous travailleurs du secteur de la santé et l’éthos en faisons tous partie parce que nous des agences de la santé publique et de leurs avons le système public de santé et le conseillers. Les premiers s’inscrivent dans le système hospitalier que nous méritons. cadre du principe de précaution qui privilégie Nous avons le système de gestion des la prudence devant l’incertitude scientifique; urgences que nous méritons et la prépara- les derniers se basent sur les niveaux de tion en cas de pandémie que nous méri- certitude scientifique les plus pertinents pour tons. Le manque de préparation en cas introduire, de façon sécuritaire, de nouveaux de maladies infectieuses, le déclin de la médicaments et vaccins. santé publique, l’échec des systèmes qui devaient protéger le personnel infirmier, La meilleure preuve de la transmission du les ambulanciers paramédicaux, les méde- SRAS par voie aérienne, sous certaines cins et les travailleurs de la santé contre conditions, a été fournie qu’un an environ les infections au travail, tous ces déclins après l’éclosion. et failles ont persisté sous trois gouverne- ments successifs appartenant à différents partis politiques. Nous nous sommes tous 15
Selon le juge Campbell, cela justifiait une santé (OMS). La lettre, signée par 239 experts approche de précaution : de 32 pays, demande à l’OMS de remettre en question sa résistance profondément enracinée « Les connaissances sur le mode de aux données de plus en plus nombreuses sur transmission du SRAS ont évolué de la transmission par voie aérienne. Et on sou- façon importante depuis l’éclosion. Des ligne que c’est précisément en période d’incer- études récentes suggèrent une transmis- titude scientifique que le principe de précaution sion par voie aérienne, et cela donne du doit être adopté. Les auteurs écrivent : poids à une approche de précaution afin de protéger les travailleurs de la santé « Nous comprenons que la transmission contre une nouvelle maladie encore mal par voie aérienne du SARS-CoV-2 n’est comprise. »57 [Traduction] pas encore acceptée universellement; mais, selon notre évaluation collective, il y Comparativement à l’absence de données pen- a suffisamment de données en appui et le dant l’éclosion du SRAS, il y a maintenant de principe de précaution devrait s’appliquer. plus en plus de données sur la transmission Dans le but de contrôler la pandémie, et possible par voie aérienne du SARS-CoV-2. en attendant la disponibilité d’un vaccin, toutes les voies de transmission doivent Pendant la COVID-19, les travailleurs de la être bloquées. »58 [Traduction] santé, les syndicats, et les experts en sécurité au travail ont présenté, maintes et maintes La lettre a été ignorée par la santé publique fois, des études sur la transmission par voie du Canada et les experts en contrôle des aérienne et par aérosols, non pas comme infections. Ils n’ont pas retenu le message de preuve définitive mais comme preuve suffisam- précaution. Ils ont seulement retenu qu’elle ne ment convaincante pour adopter le principe prouvait pas la transmission par voie aérienne. de précaution. Un dirigeant de la santé publique l’a qualifiée À répétition, les agences de la santé publique de « tempête dans un verre d’eau ».59 et leurs conseillers ont mal interprété les documents soumis par les syndicats, et les Un expert en maladies infectieuses a dit : experts en sécurité, sur la transmission par voie aérienne. Selon les agences, il s’agissait « Nous ne faisons que ressasser les de tentatives infructueuses à prouver défini- mêmes arguments que nous avons en- tivement que le SARS-CoV-2 se transmettait tendus en février, mars, avril et jusqu’à lorsque la personne respirait, parlait, chantait maintenant. Je ne sais pas pourquoi on fait et toussait. Or, les syndicats et les experts tant d’histoires avec tout ça. »60 [Traduction] en sécurité du travail n’essayaient pas de présenter une preuve définitive. Ils voulaient Le débat autour de la lettre adressée à l’OMS simplement démontrer la nécessité d’adopter rappelle la mise en garde du juge Campbell une approche de précaution en attentant les dans le rapport final de la Commission sur le données scientifiques concluantes. SRAS relativement à l’importance du principe de précaution : Un exemple flagrant est la réaction de la com- munauté de la santé publique du Canada à une « Il ne s’agit pas de savoir qui a raison ou lettre adressée à l’Organisation mondiale de la qui a tort au sujet de la transmission par 16
voie aérienne. Il ne s’agit pas de science Nous devons reconnaître que nos leaders mais de sécurité. Les connaissances scien- de la santé publique ont agi de bonne foi et tifiques évoluent constamment. Le dogme avec les meilleures intentions pour réparer scientifique d’hier est la fable que nous les failles systémiques engendrées au fil de rejetons aujourd’hui […] Nous ne devrions plusieurs années. pas être motivés par le dogme scientifique d’hier ou par le dogme scientifique d’au- Toutefois, le fait que les problèmes soient jourd’hui. Nous devrions être motivés par systémiques et requièrent des solutions sys- le principe de précaution selon lequel des témiques ne signifie pas que les actions des mesures raisonnables pour réduire les décideurs ne doivent pas être révisées sur risques ne devraient pas attendre la certi- une base régulière. tude scientifique. »61 [Traduction] Cela devrait se faire non pas pour trouver des boucs émissaires mais pour déterminer qui Blâme et reddition est le plus qualifié pour régler les problèmes systémiques mis au jour par la COVID-19. de compte La force des enquêtes comme celle de la Com- Protéger les mission sur le SRAS est de permettre de mettre au jour les causes systémiques profondes et de travailleurs de proposer des solutions systémiques. la santé, protéger Toutefois, elles ont aussi une faiblesse. Parce qu’elles ne peuvent pas rejeter la respon- la collectivité sabilité civile ou criminelle sur quelqu’un, aucune personne et aucun groupe ne sont Dans la foulée de la première vague de la tenus responsables. Aucune personne n’a été COVID-19, le Canada a peu à célébrer. Il a congédiée après le SRAS. Aucune personne payé cher en maladie, décès, angoisse et n’a vu ses actions ou ses omissions passées anxiété car il a ignoré les leçons du SRAS et au peigne fin. n’a pas adopté une approche de précaution. Il y a eu plusieurs leaders remarquables Le tableau pointage du Canada par rapport à pendant le SRAS, par exemple la Dre Sheela la pandémie est pour le moins décourageant. Basrur alors à la tête de la santé publique de Toronto, maintenant décédée. Elle a été Plus de 21 000 travailleurs de la santé ont partie intégrante du succès de la réponse au contracté la COVID-19. Ils représentent SRAS malgré l’absence de leadership efficace. environ un cas sur cinq. Par rapport à l’en- Mais il y a aussi ceux dont les actions ont été diguement de la pandémie, nous avons un inférieures aux normes fixées par les actions plus grand nombre de cas et de décès que la et le leadership louables de la Dre Basrur. Chine, Hong Kong et Taiwan confondus, pays qui ont aussi vécu le SRAS.62 Cela nous amène à se poser la question sur la meilleure façon de régler les problèmes La COVID-19 a fait ressortir une leçon impor- systémiques mis au jour par la COVID-19. tante laissée par le SRAS : la sécurité des 17
travailleurs de la santé et l’endiguement de ils ont pris soin des patients atteints de la l’éclosion vont de pair. COVID-19, souvent dans des établissements de soins de longue durée présentant des Protéger les travailleurs de la santé brise la niveaux exceptionnellement élevés de risque chaîne de transmission. S’ils sont protégés, ils et de maladie, sans parler des conditions de ne peuvent pas être infectés par leurs pa- travail pour le moins bouleversantes. tients, résidents ou collègues. Et, vice-versa, s’ils sont protégés, ils ne peuvent pas infecter Nous avons aussi une énorme dette envers leurs patients, résidents, collègues ou leurs les autres travailleurs essentiels aux pre- familles. mières lignes de plusieurs secteurs, et aux millions de personnes au Canada qui ont suivi les directives de la santé publique et persé- « Une des leçons les plus véré malgré les défis énormes. Grâce à toutes percutantes du SRAS est ces personnes, et à leur respect profond des valeurs sociétales fondamentales au Canada, le fait que la santé et la nous avons réussi à aplatir la courbe pendant sécurité des travailleurs de la première vague de COVID-19. la santé, et autres premiers Pendant des décennies, les travailleurs de la intervenants, sont vitales lors santé ont été directement témoins du manque de personnel, de l’engorgement et du manque d’une urgence en matière de constant de financement, qui ont fragilisé, de santé publique. » façon chronique, les établissements de soins de longue durée, et qui ont maintenant été Comme le fait remarquer le juge Campbell, mis au jour par la COVID-19. Et, pendant des le fait de protéger les travailleurs de la santé décennies, les gouvernements, les proprié- pendant une pandémie a un effet de conta- taires et exploitants d’établissements de soins gion à la baisse, et permet de mitiger les de longue durée ont détourné le regard et se répercussions négatives de la pandémie sur le sont appuyés sur le dévouement et le courage plan humain, sociétal et économique. des travailleurs de la santé pour qu’ils servent de colle pour réparer l’irréparable, notamment « Une des leçons les plus percutantes du les nombreuses failles profondes, persistantes SRAS est le fait que la santé et la sécurité et de longue date dans ce secteur. des travailleurs de la santé, et autres pre- miers intervenants, sont vitales lors d’une Au début septembre 2020, environ 80 pour urgence en matière de santé publique. cent des décès causés par la COVID-19 au Le SRAS a démontré jusqu’à quel point Canada étaient dans le secteur des soins de des niveaux élevés de maladie et de qua- longue durée, ce qui dépassait grandement les rantaine chez les travailleurs de la santé décès causés par la COVID-19 dans les hô- peuvent nuire grandement à la réponse en pitaux ou les collectivités. Pendant la même pé- cas d’urgence sanitaire. »63 [Traduction] riode, environ une résidence pour personnes âgées sur cinq comptait une éclosion.64 Nous avons une énorme dette envers la dizaine de milliers de travailleurs de la santé du Ca- Pendant que la COVID-19 exposait les fis- nada, et ils méritent notre gratitude. Bravement, sures et les failles dans ce secteur, les travail- 18
leurs de la santé en payaient le prix. Depuis le Il n’y a plus d’excuse pour ne pas protéger début de la pandémie, plus de 10 000 travail- complètement nos travailleurs de la santé de leurs de la santé ont contracté la COVID-19 la COVID-19. dans le secteur des soins de longue durée, représentant ainsi le tiers de tous les cas Les failles systémiques, mises au jour par la dans les foyers de soins.65 COVID-19, doivent être réparées rapidement. Ces problèmes doivent être réglés de Même si la COVID-19 pourrait persister façon urgente. jusqu’en 2022, des mesures urgentes sont nécessaires maintenant pour régler les pro- Nous ne pouvons pas gaspiller la petite pé- blèmes mis au jour par la pandémie. riode de temps où nous pouvons respirer avant la venue d’une deuxième vague potentielle de COVID-19. Les agences de la santé publique et les gouvernements doivent agir impérativement pour réparer les failles systémiques par rapport à la sécurité des travailleurs, et mises au jour par la pandémie actuelle. Ils doivent aussi ap- prendre des autres pays, dont la Chine, Hong Kong et Taiwan, qui ont adopté le principe de précaution pour protéger leurs travailleurs et mieux endiguer la pandémie. Dans son rapport final de décembre 2006, le juge Campbell écrit : « Le SRAS nous a appris qu’il faut être prêts pour l’inconnu. C’est l’une des leçons les plus importantes du SRAS. Bien que personne n’ait anticipé et, peut-être, ne pouvait anticiper, l’unique convergence de facteurs qui ont fait du SRAS la tempête parfaite, nous savons maintenant que les nouvelles menaces microbiennes, comme le SRAS, arrivent et peuvent encore arriver. Toutefois, il n’y a plus d’excuse pour les gouvernements et les hôpitaux pour être pris au dépourvu, et il n’y a plus d’excuse pour ne pas avoir le niveau maximal de protection pour les travailleurs de la santé grâce aux équipements adéquats et à la formation. »66 [Traduction] 19
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