"Air Cocaïne" : l'or, la jet-set et les gendarmes de Saint-Tropez

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"Air Cocaïne" : l'or, la jet-set et les gendarmes de Saint-Tropez
"Air Cocaïne" : l'or, la jet-set et les
gendarmes de Saint-Tropez
Le Point - Publié le 10/03/2015 à 09:54

EXCLUSIF. En France, policiers et gendarmes enquêtent
sur un trafic de drogue. Il pourrait, en réalité, s'agir d'un
immense commerce d'or.

Le Falcon 50 dans lequel Alain Castany, Nicolas Pisapia, Pascal Fauret et Bruno Odos ont été
interpellés le 19 mars 2013. © DR

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                 Par Marc Leplongeon et Jérôme Pierrat

Couacs en série, corruption, investigations bâclées ... Le Point a enquêté pendant des
mois sur la très médiatique affaire "Air Cocaïne". Alors que le procès des quatre
Français jugés pour trafic de drogue en République dominicaine a été une nouvelle fois
suspendu lundi, tout laisse à penser que, faute de preuves tangibles, le dossier est en
passe de se dégonfler. Partout, à chaque stade des investigations, c'est le monde
extrêmement opaque de l'aviation d'affaires qui se révèle un peu plus. Blanchiment
"Air Cocaïne" : l'or, la jet-set et les gendarmes de Saint-Tropez
d'argent, investissements douteux... la France des riches est une véritable passoire. Dans
ce deuxième épisode, nous vous révélons les dessous d'un arrangement très juteux.

Franck Colin, un grand brun athlétique de 43 ans, ne boude pas son plaisir. Lui qui a grandi à
la chaude cité Berthe à la Seyne-sur-Mer, dans le Var, parcourt aujourd'hui les rues de Saint-
Trop en grosse cylindrée. Colin n'est pas un voyou, plutôt un renard : il a toujours su flairer la
bonne affaire. À 17 ans, il joue les portier et videur de boîte de nuit pour Louis Régnier, dit
"Loulou", le caïd local qui, à l'époque, règne sur les nuits varoises. Quelques années plus tard,
il transporte les enveloppes des recettes des clubs pour le successeur de Loulou, Jean-Louis
Fargette, surnommé "Savonnette" pour sa propension à échapper à la justice... Franck Colin
aime flamber. Surtout le pognon des autres. À force de fréquenter le beau-monde, il se fait des
relations et se lance dans la protection rapprochée de diverses stars. Il devient
particulièrement copain avec l'une d'elles : Marc Chouraqui, fils de Gérard, ancien directeur
général adjoint du groupe L'Oréal. Celui-là est richissime. Colin a déniché le gros lot.

Avec l'aide de Chouraqui à la fin des années 1990, il se lance dans les affaires immobilières
en Roumanie. En 2005, les deux hommes se brouillent. Mais qu'importe : Franck Colin, le
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petit videur de discothèque, a les poches pleines. Il s'est marié avec une magnifique femme,
fréquente la jet-set bling-bling et la Côte d'Azur où il passe tous ses étés. En août 2012,
justement, le voilà revenu sous les paillettes de Saint-Tropez. Un soir, il rencontre un certain
Daryan, la quarantaine, coupe de footballeur, qui se dit agent de célébrités et de joueurs de
football. Il conduit une Ferrari Modena F430 noire, immatriculée à Rome. Les deux hommes
sympathisent et se reverront, au Nikki Beach, d'abord, puis aux Caves du Roy, un autre club
de la jet-set où le Dom Pérignon et le Cristal coulent à flots. Colin montre de l'intérêt pour ce
Daryan qui porte au poignet une Patek Philippe, modèle Nautilus rose avec bracelet croco du
plus bel effet. Avec une montre à 45 000 euros, le business doit être juteux. Les deux hommes
échangent leur téléphone.

Un mystérieux agent de stars à l'origine de l'affaire

En novembre, Daryan passe un coup de fil à Colin. Il a besoin d'un avion et de pilotes pour
faire un voyage transatlantique, afin, lui dit-il, de ramener quelques objets de valeur pour
meubler une de ses villas. Colin appelle immédiatement un "broker", un gars capable de lui
trouver ce que veut Daryan en quelques jours. Ce sera Alain Castany, un vieux briscard de
l'aviation d'affaires qui, après avoir gagné puis perdu quelques millions dans les assurances et
dans la vente d'avions, joue aujourd'hui les apporteurs d'affaires pour les compagnies privées.
Alain Castany contacte Fabrice Alcaud, un des patrons de SN THS, une société qui vend des
heures de vol. La société possède en leasing l'avion d'Alain Afflelou, un Falcon 50, capable de
faire ces voyages longue distance. Fabrice Alcaud s'empresse de dire oui et se frotte les mains
en pensant à ce juteux contrat, qui devrait lui ramener 100 000 euros par trajet.

Daryan, tel que décrit par Nicolas Pisapia, lors de sa garde à vue. Il évoque l'agent d'un
certain Karim Benzema.

C'est ainsi que le 9 décembre 2012, vers 13 heures, les pilotes Bruno Odos et Pascal Fauret,
deux anciens militaires à l'excellente réputation, posent le Falcon 50 d'Alain Afflelou sur
l'aéroport du Bourget, achevant ainsi le premier vol (en provenance de Puerto Plata)
commandé par le mystérieux Daryan. À bord de l'avion, le seul passager est Nicolas Pisapia,
l'homme à tout faire de Franck Colin. Pisapia est un Marseillais qui avait tenté dans les années
2000 de faire du business dans l'immobilier en Roumanie. Les affaires n'étant pas très
florissantes, il s'était finalement mis à accomplir tout un tas de tâches pour Franck Colin, qui
subvenait à ses besoins et à ceux de sa famille. Dans les salons de l'aéroport, un douanier
toulonnais, François Xavier-Manchet, fait le pied de grue depuis 4 heures. Dès l'arrivée de
l'avion, il demande à ce que le portail soit ouvert, pour que Colin et Daryan puissent entrer sur
le tarmac de l'aéroport avec leurs voitures. Des témoins de la scène voient ensuite les
comparses charger les coffres de plusieurs grosses valises boueuses, qui doivent faire à vue de
nez une bonne trentaine de kilos.

Les gendarmes de Saint-Tropez sont avertis de cette curieuse scène et croient à un trafic de
stupéfiants. Tout le monde est filé et mis sur écoute. Les gendarmes apprennent ainsi que
François Xavier-Manchet, le douanier de Toulon, est un ami de Colin. Les gendarmes
s'interrogent : que pouvait-il bien faire à l'aéroport, en dehors de son ressort territorial ?
Quelques semaines plus tard, les gendarmes voient le Falcon, lors d'un deuxième vol, revenir
à vide de Quito. Ce n'est que lors d'un troisième voyage, en mars 2013, que les choses
s'accélèrent. Le Falcon 50 doit revenir de République dominicaine, et les gendarmes sont bien
décidés à "toper" les suspects dès leur retour. Ils n'en auront jamais l'occasion. Le 19 mars,
Pascal Fauret, Bruno Odos, Alain Castany et Nicolas Pisapia sont interpellés à Punta Cana
avec, selon les autorités dominicaines, 630 kilos de cocaïne à bord de l'avion.
L'hypothèse d'un commerce d'or

Dans les semaines qui suivent, Franck Colin, François-Xavier Manchet et Fabrice Alcaud et
son associé au sein de SN THS, Pierre-Marc Dreyfus, sont mis en détention provisoire.
Daryan, lui, a disparu. C'est une juge marseillaise, Christine Saunier-Ruellan, qui récupère le
dossier, persuadée qu'elle a affaire à un trafic de drogue international. Mais mis à part les
investigations fumeuses de République dominicaine (voir notre article : "Air Cocaïne", mais
où est passée la drogue ?), la juge n'a pas grand-chose pour le prouver. Une deuxième piste
semble pourtant se dessiner : celle du commerce d'or. Pendant que Franck Colin nie toute
implication personnelle dans ces vols, et assure n'avoir rien fait de plus que joué "les
entremetteurs", son homme à tout faire depuis des années, Nicolas Pisapia, passe à table. Le
23 mai, le suspect est interrogé en République dominicaine par la juge d'instruction française.
Il affirme être allé à Quito et en République dominicaine sur instruction de Franck Colin pour
ramener des "valises avec des valeurs à l'intérieur". Nicolas Pisapia ajoute : Franck Colin "a
précisé que c'était de l'or".

Depuis des années, un marché parallèle s'est développé en République dominicaine. Le
gouvernement et le géant canadien Barrick Gold, qui exploite sur l'île une immense mine d'or,
se livrent une lutte sans merci sur le montant des taxes. Et les trafiquants en profitent pour
faire sortir en douce quelques kilos d'or sale. Mais pourquoi vouloir ramener de l'or de
République dominicaine ? Là encore, c'est Nicolas Pisapia qui donne la réponse : "Ça leur sert
à faire des investissements immobiliers", dit-il aux enquêteurs. Franck Colin, lui, nie en bloc :
"Absolument pas. Je comprends les conditions dans lesquelles il se trouve. Je ne veux pas lui
faire plus de mal mais je n'ai aucun lien avec des notaires ou des agents immobiliers à Quito".
Colin se décharge de toute responsabilité et affirme n'avoir fait que l'intermédiaire entre
Daryan et Nicolas Pisapia.

Tout au long de ses auditions par la police, Nicolas Pisapia nie farouchement avoir
transporté de la drogue.

La version de Pisapia tient pourtant la route. La Roumanie est en effet un des rares pays en
Europe où l'on peut encore payer ses achats en liquide ou en lingots d'or. De nombreux
investisseurs s'y pressent pour acheter des terrains à des paysans avant de les revendre à des
promoteurs qui en font des centres commerciaux. Le paiement en or ou en cash permet de ne
pas s'acquitter de la taxe sur les virements bancaires, mais aussi, et surtout d'éviter
d'éventuelles questions dérangeantes sur l'origine des fonds. L'anecdote est confirmée par un
caïd marseillais fiché au grand banditisme, qui se souvient lui aussi de quelques voyages pour
blanchir son argent...

D'autres vols suspects

Largement sous-estimée, la piste du commerce d'or est également confirmée par d'autres vols
suspects à destination de la Belgique. Pour le compte d'un riche client dubaïote, en 2011 et
2012, des pilotes de SN THS racontent aux policiers avoir fait des voyages à destination de
Sint-Truiden, un aérodrome belge non surveillé et difficile d'accès. À l'intérieur de l'avion,
une fois encore, des valises particulièrement lourdes sont transportées. Selon les pilotes, les
consignes du client sont claires : "Si on ne pouvait pas atterrir à Sint-Truiden, on devait faire
demi-tour et retourner au Bourget", racontent-ils. Interrogé, le broker de ces vols, un certain
Jean L., n'a jamais changé de version. L'homme a toujours dit avoir affrété un avion afin de
transporter de l'or. Rien d'illégal si l'on possède les certificats douaniers...

En réalité, ce genre de voyages sont légion. "La règle dans l'aviation d'affaires, c'est la
discrétion. C'est une vraie culture. On ne pose pas de questions", explique ainsi Alain Castany
à la juge. Des propos approuvés par les nombreux pilotes que Le Point.fr a pu interroger, et
notamment confirmés par Pascal Fauret qui lâche lors de sa garde à vue : "Pour faire fuir le
client, on ne fait pas mieux." Bien plus qu'un trafic de drogue, l'affaire "Air Cocaïne" lève le
voile sur le monde opaque de l'aviation d'affaires, utilisée par les puissants de ce monde pour
déplacer discrètement leurs avoirs ou blanchir leur argent. Dans le prochain épisode, nous
vous montrerons à quel point la France des riches est une immense passoire. Auditionné par la
juge d'instruction française, en mai 2013, Franck Colin a cette phrase savoureuse : "Tout
aéroport ou salon privé sont des passoires. On sait qui sont les VIP et on les contrôle
beaucoup moins. Entre 2004 et 2011, mes bagages n'ont jamais été contrôlés ni mon passeport
à l'aéroport de Genève. Comment pensez-vous que la Suisse s'enrichit ? Ce n'est certainement
pas avec le chocolat, mais avec toutes ces personnes qui ne sont pas contrôlées."
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