ALBERT EINSTEIN : UN GÉNIE EN TROUBLE D'APPRENTISSAGE ? ANALYSE DE SES DIFFICULTÉS
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ALBERT EINSTEIN : UN GÉNIE EN TROUBLE D’APPRENTISSAGE ? ANALYSE DE SES DIFFICULTÉS par Gaëtan Langlois, psychologue Commission scolaire de Magog Pour plusieurs parents, il est bien encourageant d’apprendre qu’Albert Einstein lui-même était un dyslexique et plusieurs organisations vouées aux intérêts des personnes qui ont des troubles d’apprentissage ont inclu Einstein dans leur liste de personnages célèbres qui ont surmonté des troubles d’apprentissage. Dans les civilisations anciennes, on avait tendance à déifier les personnages importants alors que dans les civilisations plus avancées qui, par démocratie, tentent de considérer chacun sur un pied d’égalité, on a tendance de plus en plus à humaniser nos héros, à leur trouver des failles : on le fait pour les politiciens, pour les athlètes, ou pour les écrivains comme dans le dernier roman de David Lodge : « Les quatre vérités ». Lorsqu’on prétend qu’Albert Einstein avait eu des troubles d’apprentissage, est-ce pour l’humaniser ou est-ce réellement parce qu’on a des renseignements objectifs qui nous permettent de poser un diagnostic posthume? L’auteur de cet article analyse cette question en rappelant d’abord les principales définitions des troubles d’apprentissage, en examinant ensuite comment on a pu arriver à croire qu’Einstein avait eu des troubles d’apprentissage, puis en retraçant les bases biographiques qui pourraient justifier cette croyance. Définitions des troubles d’apprentissage Les définitions retenues sont celles du DSM-IV, des terminologies des lois du « Rehabilitation Act of 1973 » et du « Americans with Disabilities Act of 1990 » ainsi que celle des normes sociales généralement acceptées. Le DSM-IV précise qu’on diagnostique un trouble d’apprentissage lorsque le rendement à des tests individuels et standardisés de lecture, de mathématique ou d’écriture est substantiellement inférieur à ce qu’on pourrait s’attendre compte tenu de l’âge, de la scolarisation et de l’intelligence du sujet. On y ajoute que certains comportements sont associés aux troubles d’apprentissage; tels sont le découragement, la faible estime de soi et les habilités sociales déficitaires. On y rapporte aussi que des difficultés avec les emplois et des difficultés d’ajustement social peuvent être consécutives aux troubles d’apprentissage et que 40% des décrocheurs ont des troubles d’apprentissage. Les terminologies juridiques soulignent de façon particulière que les difficultés d’apprentissage conduisent à des handicaps substantiels à l’employabilité ou dans des domaines importants de la vie comme l’ajustement à l’école. Les définitions sociales sont moins précises, elles mentionnent que la personne qui a des troubles d’apprentissage peut avoir de façon générale des difficultés à l’école ou de façon plus spécifique des difficultés en lecture, en écriture ou en langage.
Malgré les précisions apportées par ces définitions, il reste difficile de faire, avec constance et validité, des diagnostics de trouble d’apprentissage pour les personnes vivantes et il est encore moins fiable de le faire de façon posthume puisqu’on ne peut pas administrer de tests à la personne et puisque que les données retrouvées dans les mémoires et registres scolaires manquent de précisions du fait qu’elles n’ont pas été colligées en fonction des critères des troubles d’apprentissage. Les diagnostics rétrospectifs nécessitent donc beaucoup de prudence et gardent une validité douteuse. Données sur les croyances au sujet d’Einstein Plusieurs organismes importants prétendent qu’Einstein a eu des troubles d’apprentissage. Ainsi une maison d’édition de matériel didactique (AGS) fait sa publicité en affirmant que «Même Einstein avait des troubles d’apprentissage». L’Orton Dyslexia Society de New York distribuait en 1994 un T-shirt affichant le logo : « Einstein, Edison and Me». Dans son site web, l’association des troubles d’apprentissage de Virginie plaçait, en 97, Einstein en tête de sa liste de personnages célèbres qui ont eu des troubles d’apprentissage. L’association du Connecticut pour les enfants en troubles d’apprentissage publiait même les détails suivants en 1994 : « Il était une fois un enfant de trois ans qui n’arrivait pas à apprendre à parler. À huit ans, il ne pouvait toujours pas lire. Ses enseignants pensaient qu’il était déficient. Il ne l’était pas. Albert Einstein avait des troubles d’apprentissage.» Ces croyances viennent d’abord de l’ouvrage Goertzel et Goertzel publié en 1962 au sujet de l’enfance de certaines célébrités et surtout d’un article de Thompson publié en 1971 dans le Journal of Learning Disabilities dans lequel l’auteur rapporte qu’apparemment Einstein avait eu des difficultés de langage durant son enfance et qu’il avait eu des difficultés à garder son premier emploi à cause de difficultés de langage. Vérification biographique des croyances L’auteur appuie sa vérification biographique sur un essai publié par la soeur d’Einstein, Maja Winteler-Einstein, sur la correspondance familiale colligée par Beck, sur les souvenirs personnels d’Einstein tels que rapportés par Bicky, sur des registres de classe et sur des échantillons de son écriture. Le retard d’apprentissage du langage Le retard de langage est souvent associé aux troubles d’apprentissage à l’école et de ce fait, il devient pertinent de vérifier quels ont été les troubles de langage d’Einstein. Les biographies rapportent qu’il n’a pas utilisé de mots-phrases et qu’il a attendu de pouvoir faire des phrases complètes avant de parler. Il a donc commencé à parler un peu plus tard que la moyenne des enfants. Par ailleurs, il a pris l’habitude de se répéter à voix basse ses énoncés avant de les exprimer à haute voix et il a gardé cette habitude jusque vers sept ans. Ce phénomène ressemble à un trouble du langage, mais il s’est estompé subitement alors qu’aucun trouble réel de langage ne disparaît par enchantement. D’après une anecdote rapportée par sa soeur,
Einstein avait plutôt une bonne habileté langagière dès son tout jeune âge. En effet, alors qu’il avait deux ans et demi, on lui avait annoncé que sa mère allait avoir un bébé et qu’il pourrait jouer avec lui. À son arrivée, il a trouvé le jouet un peu bizarre et a demandé : « Oui, mais où sont ses roues ? » Le retard d’apprentissage de la lecture Le retard de lecture peut être vérifié à partir de données sur le rendement dans un contexte formel et dans un contexte informel. L’aspect formel sera traité dans l’analyse de la dyslexie d’Einstein. De façon informelle Einstein a été guidé de 10 à 15 ans par un tuteur qui était un ami de la famille. Il s’agissait de Max Talmud qui fournissait des ouvrages en science populaire ainsi que les écrits philosophiques d’Emmanuel Kant. Et Talmud rapporte que les ouvrages de Kant, incompréhensibles pour le commun des mortels, paraissaient limpides pour Einstein alors qu’il n’avait que treize ans. Cette observation réfère à une exceptionnelle habileté à comprendre le langage écrit plutôt qu’à des difficultés d’apprentissage de lecture. La dyslexie Même si la dyslexie n’apparaît pas dans le DSM-IV, c’est une façon populaire de nommer les difficultés à décoder et à produire le langage écrit. Une définition phénoménologique de la dyslexie réfère à des variations extrêmes par rapport au fonctionnement normal du cerveau et des erreurs d’épellation, des erreurs de syntaxe dans l’écriture et des difficultés à traiter l’information de façon séquentielle. Les éditeurs des ouvrages d’Einstein ont rapporté que ses écrits contenaient beaucoup d’erreurs d’épellation, mais ces erreurs étaient surtout présentes dans l’orthographe des noms de personnes et de lieux et principalement dans la correspondance personnelle de l’auteur. Il ne s’agissait donc pas d’un problème global d’orthographe. L’examen des écrits non corrigés par les maisons d’édition et produits alors qu’Einstein avait de 12 à 16 ans fait ressortir des qualités de communication écrite qui éliminent la possibilité d’un trouble de la production du langage écrit. Les difficultés à l’école Si Einstein avait eu des difficultés d’ajustement à l’école cela pourrait constituer un indice indirect de troubles d’apprentissage. Il a lui-même rapporté qu’il avait des difficultés à l’école, particulièrement avec la mémorisation, de façon plus spécifique dans la mémorisation des mots et des textes. On sait par ailleurs que la pédagogie de la fin du 19ième siècle était principalement constituée de mémorisation. Les difficultés de mémorisation d’Einstein pouvaient donc constituer un handicap majeur. Il a aussi rapporté avoir été réprimandé à l’école parce qu’il posait trop de questions et avoir éprouvé des difficultés à apprendre; il aurait échoué la botanique, la zoologie et le français. Les données tirées des correspondances et des notes scolaires ne confirment pas ces affirmations. Alors qu’il avait sept ans, sa mère écrivait à une amie que son fils avait encore eu
sa promotion, étant le premier de sa classe avec un excellent bulletin. En fait, le bulletin final de ses notes à l’école cantonale d’Aargau à l’automne de 1896 lui attribue les plus hautes notes possibles en algèbre, géométrie et physique, des notes très supérieures en histoire naturelle et en chimie et des notes moyennes en français même s’il était plus jeune que la moyenne des élèves. Dans une lettre écrite à un oncle, il annonçait qu’il avait été admis à l’école polytechnique de Zurich et qu’il y appréhendait quelques difficultés car il avait deux ans de moins que l’âge régulier d’admission. En fait, les difficultés scolaires auxquelles on se réfère pour appuyer l’affirmation de troubles d’apprentissage sont plutôt des appréhensions personnelles d’Einstein et aussi quelques remarques désobligeantes de certains enseignants (comme cela ne se fait sans doute plus dans la pédagogie moderne des compétences transversales) qui lui disaient qu’il ne ferait jamais rien de bon dans la vie. Les difficultés d’ajustement à l’emploi Thompson rapporte qu’Einstein a changé trois fois d’emploi dans les deux premières années de sa vie de travailleur, et cela en raison de problèmes de langage. Toutefois d’autres facteurs ont pu être impliqués dans cette instabilité : il était réservé et peu loquace, le milieu était foncièrement anti-sémite et il était un citoyen de seconde classe pour avoir été naturalisé Suisse. Par ailleurs, pour le reste de sa vie il a présenté une bonne stabilité d’emploi. Les différences dans les manières d’apprendre Même si les données biographiques n’appuient pas les croyances populaires à propos des troubles d’apprentissage d’Einstein, elles justifient l’affirmation qu’il avait une manière d’apprendre différente de celle préconisée par l’enseignement hautement saturé en langage de l’époque. Il affirmait d’ailleurs lui-même que la pensée n’a pas besoin d’être verbale et que la pensée et la communication sont des entités distinctes. Conclusion Les données biographiques disponibles ne permettent pas de supporter les croyances de troubles d’apprentissage d’Einstein. Il n’y a pas eu administration de tests de rendement standardisés dans les matières de base, mais les caractéristiques associées aux troubles d’apprentissage telles que décrites dans le DSM-IV (découragement, faible estime de soi, faibles habiletés sociales, scolarité discontinuée et difficultés d’emploi) ne ressortent pas dans ce qu’on connaît de sa vie. La popularité de ces croyances n’est donc soutenue que par les encouragements qu’elles laissent autour des troubles d’apprentissage : si même un génie peut avoir eu des troubles d’apprentissage, les élèves en difficultés ont sûrement des potentialités cachées. Mes commentaires
Croire au génie caché des enfants en troubles d’apprentissage nous protège contre les émotions pénibles que leur état suscite, c’est un mécanisme de défense pour les freudiens ou une idée irrationnelle pour les cognitivistes. Ne serait-il pas plus constructif de composer avec leurs difficultés bien identifiées tout en tentant de les réduire ? Références Goertzel, M., & Goertzel, V. (1962). Cradles of eminence. Boston : Little, Brown. Thomson, L.J. (1971). Language disabilities in men of eminence. Journal of Learning Disabilities, 4, 34-45. Titre : Albert Einstein and LD – An Evaluation of the Evidence Auteur : Marlin, Thomas Année : 2000 Source : Journal of Learning Disabilities, Vol.33, p.149-157
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