Anticoagulation pour l'épuration extrarénale Anticoagulation for acute renal replacement therapy - SRLF

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Réanimation 14 (2005) 551–558
                                                                                                                 http://france.elsevier.com/direct/REAURG/

                                                                  Note technique

                               Anticoagulation pour l’épuration extrarénale
                       Anticoagulation for acute renal replacement therapy
                                                         M. Monchi *, D. Thebert
                      Département de médecine intensive, institut Jacques-Cartier, 6, avenue Noyer-Lambert, 91300 Massy, France

Résumé

    L’épuration extrarénale (EER) nécessite une anticoagulation afin de prévenir les risques de coagulation du circuit. Les thromboses répétées
du circuit d’EER engendrent une augmentation des coûts, de la charge en soins et des besoins transfusionnels. L’héparine peut induire un
risque hémorragique important. Ce risque a motivé le développement de techniques alternatives telles que la réduction des doses d’héparine,
l’association héparine–protamine, les héparines de bas poids moléculaire, la prostacycline, et l’anticoagulation régionale au citrate. Le but de
cet article est de présenter une revue des différentes possibilités d’anticoagulation en épuration extrarénale.
© 2005 Publié par Elsevier SAS pour Société de réanimation de langue française.

Abstract

   Renal replacement therapy (RRT) requires anticoagulation in order to prevent clotting of the extracorporeal circuit. Recurrent filter clotting
and the need for frequent circuit replacement would be economically undesirable and the source of blood transfusion in critically ill patients.
Heparin may be associated with a high-risk of hemorrhagic complications. Various alternative methods have been developed for the anticoa-
gulation of the circuit; including heparin minimization and heparin-free RRT, regional heparin anticoagulation with protamine infusion, low
molecular weight heparins, prostacyclin, and regional citrate anticoagulation. This paper reviews our current anticoagulation strategies for
RRT, according to the bleeding risk of the patient.
© 2005 Publié par Elsevier SAS pour Société de réanimation de langue française.

Mots clés : Insuffisance rénale aiguë ; Anticoagulation ; Hémodialyse ; Hémofiltration

Keywords: Renal replacement therapy; Anticoagulation; Acute renal failure

1. Introduction                                                                  ces anomalies [1], mais, nécessite une anticoagulation pour
                                                                                 limiter les risques de coagulation du circuit d’épuration.
   Nous aborderons dans cet article les possibilités d’anticoa-                      La coagulation inopinée du circuit d’EER est un évène-
gulation pour l’épuration extrarénale (EER) des patients de                      ment indésirable ayant des conséquences non négligeables :
réanimation. Cependant, le faible nombre d’études dans ce                          • une réduction de la « dose d’épuration » par diminution de
domaine nous oblige à prendre en compte certaines études                             la durée du traitement, alors que cette dose influe sur la
réalisées en hémodialyse chronique.                                                  mortalité [2,3] ;
   En absence d’épuration extrarénale, l’insuffisance rénale                       • une perte de sang et de facteurs de coagulation menant à
aiguë s’accompagne d’anomalies de l’hémostase primaire                               une augmentation des besoins transfusionnels [4] ;
liées à l’accumulation de « déchets urémiques » [1]. L’épu-                        • une augmentation de la charge en soins et des coûts d’EER.
ration extrarénale s’accompagne d’une correction partielle de                        À l’inverse, une anticoagulation excessive expose le patient
                                                                                 à un risque hémorragique.
                                                                                     La maîtrise des différentes techniques d’anticoagulation
 * Auteur correspondant.                                                         est donc un aspect essentiel à une bonne application de l’épu-
   Adresse e-mail : m.monchi@free.fr (M. Monchi).                                ration extrarénale.
1624-0693/$ - see front matter © 2005 Publié par Elsevier SAS pour Société de réanimation de langue française.
doi:10.1016/j.reaurg.2005.09.015
552                                            M. Monchi, D. Thebert / Réanimation 14 (2005) 551–558

Tableau 1
Études comparant l’héparine et les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) en épuration extrarénale
Références                Nombre      Type et durée   HBPM             Dose HBPM                              Dose héparine
                          de          des EER
                          patients    (heures)
Borm 1986 [32]            10          HDI : 4         Dalteparine      Bolus de 18 UI/kg, puis 9 UI/kg par    Bolus de 36 UI/kg, puis 18 UI/kg par
                                                                       heure                                  heure
Anastassiades 1989 [33] 28            HDI : 4 à 7     Dalteparine      Bolus de 3000, 4000 ou 5000 UI,        Bolus de 5000 UI, puis 1500 UI/h
                                                                       puis 750 UI/h
Anastassiades 1990 [34] 24            HDI : 4 à 7     Dalteparine      Bolus de 3000 ou 4000 UI, puis         Bolus de 5000 UI, puis 1500 UI/h
                                                                       750 UI/h
Moia 1997 [35]            10          HDI : 3,5       Dalteparine      Bolus de 1100 UI, puis 750 UI/h        Bolus de 1750 UI, puis 1150 UI/h
Schrader 1988 [36]        70          HDI : 4,5 à 5   Dalteparine      Bolus de 34 UI/kg, puis 12 UI/kg par   Bolus de 62 UI/kg puis 17 UI/kg par
                                                                       heure                                  heure
Harenberg 1995 [37]       20          HDI : 3 à 4,5   Dalteparine      Bolus de 1750 UI puis 26 UI/kg         Bolus de 2650 UI puis 36 UI/kg par
                                                                       par heure                              heure
Reeves JH 1999 [38]       47          CVVHD           Dalteparine      Bolus de 20 UI/kg puis 10 UI/kg        Bolus de 2000 à 5000 UI, puis 500 à
                                                                       par heure                              2000 UI/h
Ryan 1991 [39]            8           HDI : 5 à 7     Tinzaparine      Bolus de 1250, 2500 ou 5000 UI         Bolus de 5000 UI, puis 1500 UI/h
Lord 2002 [40]            32          HDI : 4         Tinzaparine      Bolus de 4318 UI                       Bolus de 50 à 75 UI/kg, puis dose
                                                                                                              ajustée au temps de coagulation
                                                                                                              (150–200 secondes)
Saltissi 1999 [41]        36          HDI : 3 à 5     Énoxaparine      Bolus de 0,69 à 1 mg/kg                Bolus de 50 UI/kg, puis 1000 UI/h
Stefoni 2002 [42]         54          HDI : 4         Nadroparine      Bolus de 65 UI/kg                      Bolus de 500 UI, puis 1500 ± 500 UI/h
Nurmohamed 1991 [43]      70          HDI : 4 à 6     Nadroparine      Bolus de 80 UI/kg ou 100 UI/kg (si     Bolus de 2500 UI, puis 600 à 2200 UI/h
                                                                       Ht ≥ 30 % ou durée > quatre heures)
HDI : hémodialyse intermittente ; CVVHD : continuous venovenous hemodiafiltration.

2. Les méthodes d’anticoagulation en épuration                                 utilisé [6]. En effet, leur poids moléculaire (2000 à 10 000 Da)
extrarénale                                                                    est compatible avec une épuration par des membranes d’épu-
                                                                               ration à haute perméabilité, surtout avec une méthode connec-
2.1. Héparine et héparines de bas poids moléculaire                            tive (hémofiltration). Il semble donc logique de tenir compte
                                                                               des caractéristiques techniques de l’EER (type de mem-
    L’héparine non fractionnée a été la première méthode                       brane, mouvements convectifs) pour déterminer leur posolo-
d’anticoagulation utilisée en épuration extrarénale. Sa courte                 gie. Cependant, on ne dispose pas d’étude pharmacologique
demi-vie, son faible coût et la possibilité de l’antagoniser par               claire sur ce sujet et la surveillance de l’activité anti-Xa cons-
la protamine constituent les principaux arguments pour son                     titue la seule méthode d’ajustement des doses (objectifs : envi-
utilisation chez les patients de réanimation.                                  ron 0,5 UI/ml).
    Les héparines de bas poids moléculaire (HBPM), d’appa-
rition plus récente, ont pour principal avantage une plus grande               2.2. Association héparine–protamine
simplicité d’utilisation (possibilité d’utilisation de bolus IV
sans perfusion continue) et un risque plus faible de dévelop-                     La méthode la plus ancienne d’anticoagulation dite régio-
pement de thrombopénie immune induite par l’héparine [5],                      nale consiste en une injection continue d’héparine avant la
contrebalancé par une demi-vie plus longue, des possibilités                   membrane d’EER, associée à une injection de protamine
plus réduites d’antagonisation et une surveillance plus com-                   (environ 1 mg par 100 UI d’héparine) après la membrane
plexe.                                                                         (après le piège à bulle de préférence). Les doses d’héparine
    Il n’existe pas d’étude comparative établissant clairement                 et de protamine sont ensuite ajustées pour obtenir un temps
la supériorité d’une HBPM sur l’héparine ou sur une autre                      de céphaline activé (TCA) multiplié par 1,5 à 2,0 au contact
HBPM, quel que soit le paramètre choisi (coagulation du cir-                   de la membrane et un TCA proche de la normale chez le
cuit ou complications hémorragiques). Le Tableau 1 résume                      patient. Cependant, les ajustements de dose sont extrême-
les études les plus représentatives comparant les HBPM à                       ment complexes avec cette technique, du fait d’une épuration
l’héparine en épuration extrarénale.                                           partielle de l’héparine sur la membrane d’EER et un relar-
    On doit souligner le fait que la majorité de ces études ont                gage d’héparine chez le patient lors de la métabolisation des
été réalisées en hémodialyse chronique ou les risques hémor-                   complexes héparine–protamine par le système réticuloendo-
ragiques sont plus faibles, les volumes de distribution des anti-              thélial. Ce relargage peut avoir lieu pendant deux à dix heu-
coagulants moins élevés et la coagulation moins exacerbée.                     res après la fin de l’épuration extrarénale, prolongeant la
    Contrairement à l’héparine, les HBPM ont une élimina-                      période de risque hémorragique. Ainsi dans une étude com-
tion exclusivement rénale. Chez l’insuffisant rénal, leur éli-                 parant l’anticoagulation régionale par l’association héparine–
mination est considérablement ralentie. En épuration extra-                    protamine (122 hémodialyses) à une simple réduction des
rénale, leur élimination est influencée par le type de membrane                doses d’héparine sans emploi de protamine (133 hémodialy-
M. Monchi, D. Thebert / Réanimation 14 (2005) 551–558                                          553

ses) chez des patients à haut risque, les complications hémor-                     capillaires de la membrane d’EER reste laminaire en hémo-
ragiques ont été plus fréquentes avec l’association héparine–                      dialyse alors que la prédilution implique une filtration qui
protamine (19 vs 10 %, p = 0,037) [7].                                             crée des turbulences dans l’écoulement du sang, augmentant
                                                                                   le contact entre les facteurs de coagulation et la surface de la
2.3. Faibles doses d’héparine et épuration sans                                    membrane d’EER.
anticoagulant
                                                                                   2.4. Anticoagulation régionale par citrate
    La réduction des doses d’héparine a pour objectif de mini-
miser les risques hémorragiques en baissant d’au moins 50 %                            L’anticoagulation par citrate, décrite pour la première fois
la posologie d’héparine (ou d’HBPM) injectée au patient.                           en 1961 par Morita et al. [13] a été peu utilisée pendant plus
Classiquement, une forte concentration d’héparine (1000 à                          de 20 ans du fait des difficultés de mesure des paramètres
5000 UI/l) est utilisée lors de la préparation du circuit (dans                    indispensables à sa surveillance. Une plus grande disponibi-
le liquide de rinçage ou priming). Un bolus de 5 à 10 UI/kg                        lité des mesures de calcium ionisé plasmatique a été à l’ori-
d’héparine est fait en début d’EER, suivi d’une perfusion                          gine d’un grand regain d’intérêt pour cette méthode depuis
continue de 5 à 10 UI/kg par heure [2,8].                                          quelques années.
    L’efficacité de ces méthodes dépend beaucoup des capa-                             Le citrate exerce une activité anticoagulante par sa capa-
cités d’adsorption d’héparine sur la membrane d’EER. En                            cité à chélater le calcium (création de complexes citrate–
effet, les molécules d’héparine étant très électronégatives, leur                  calcium). Le calcium est indispensable à la cascade de la coa-
adsorption est plus élevée sur les surfaces chargées positive-                     gulation, mais également à l’activation des plaquettes, des
ment par rapport aux surfaces neutres [9]. Ainsi, les membra-                      granulocytes et de la voie alterne du complément. Ainsi,
nes cellulosiques (cuprophane ou celluloses modifiées), en                         l’absence de calcium au niveau du circuit d’EER empêche
polysulfone ou en AN69 ont une adsorption d’héparine qua-                          l’ensemble des interactions entre la membrane d’épuration et
tre à cinq fois inférieure à l’AN69ST, du fait de la présence                      les éléments sanguins. Il faut environ 4,3 mmol de citrate pour
de polymères cationiques polyéthylène-imine sur les surfa-                         neutraliser le calcium contenu dans 1 l de sang. L’emploi du
ces en AN69ST [9].                                                                 citrate doit s’accompagner du maintien d’un taux de calcium
    À l’extrême, la dose d’héparine injectée au patient peut                       ionisé normal chez le patient (environ 1,1 mmol/l), grâce à
être réduite à zéro. L’EER sans anticoagulant a été décrite il                     un apport adéquat de calcium (injection de citrate avant la
y a plus de 20 ans [10]. Cette méthode est fondée sur l’utili-                     membrane, injection de calcium au patient ou sur le circuit
sation d’un débit sanguin extracorporel le plus élevé possible                     de retour après le piège à bulles).
(classiquement 300 ml/minute), une prédilution d’au moins                              Le citrate injecté au niveau du circuit d’EER est en partie
1 à 2 l/heure [11] et un rinçage du circuit d’EER par 100 ml                       éliminé au niveau de la membrane d’épuration extrarénale
de cristalloïdes toutes les 20 minutes [10]. Cette méthode                         (environ 60 % des complexes citrate–calcium en hémodia-
induit donc une charge en soins assez importante, et s’accom-                      lyse conventionnelle, 20 à 40 % en épuration continue) [14].
pagne d’un risque non négligeable de coagulation prématuré                         Une partie du citrate est donc injectée au patient. Chez le
du circuit d’EER (risque ≥ 5 % pour des EER de moins de                            patient, le citrate est rapidement métabolisé par le cycle des
quatre heures).                                                                    acides tricarboxyliques au niveau du foie, des muscles et du
    Le rôle de la prédilution pour réduire les phénomènes de                       cortex rénal. La métabolisation des complexes citrate–
coagulation sur la membrane d’EER a été fortement remis en                         calcium s’accompagne d’un relargage de calcium. Le Ta-
cause par une publication récente [12]. En effet, dans cette                       bleau 2 résume le métabolisme du citrate chez des patients
étude, par comparaison avec une hémodialyse sans prédilu-                          hospitalisés dans un service de réanimation [15]. On peut noter
tion, une forte prédilution (injection de 200 ml/minute de                         une réduction d’environ 50 % de la clairance plasmatique du
solutés avant la membrane avec un débit sanguin de                                 citrate en cas de cirrhose.
300 ml/minute) s’accompagne d’une génération plus impor-                               Le Tableau 3 résume les principales études comparant
tante de D-dimères et de complexes thrombine–antithrom-                            l’anticoagulation au citrate à une anticoagulation systémi-
bine au niveau de la membrane. L’hypothèse soulevée par les                        que. L’anticoagulation régionale au citrate permet de dimi-
auteurs de cet article est que l’écoulement du sang dans les                       nuer les phénomènes de coagulation au contact de la mem-
Tableau 2
Métabolisme du citrate après injection IV chez des patients de réanimation [15]. Valeur exprimées : moyennes ± écarts-types
                                                              Patients non cirrhotiques (n = 16)      Patients cirrhotiques (n = 16)   p
Concentration plasmatique avant perfusion (mmol/l)            0,06 ± 0,13                             0,51 ± 0,13                      0,001
Concentration plasmatique maximale (mmol/l)                   1,01 ± 0,39                             1,60 ± 0,50                      0,007
Demi-vie (minute)                                             36 ± 18                                 69 ± 33                          0,001
Clairance plasmatique (ml/minute)                             710 ± 397                               340 ± 185                        0,002
Volume apparent de distribution (l)                           29 ± 10                                 27 ± 9                           0,52
Tmax (minutes)                                                114 ± 16                                115 ± 12                         0,93
Tmax : temps jusqu’à la concentration plasmatique maximale.
554                                                M. Monchi, D. Thebert / Réanimation 14 (2005) 551–558

Tableau 3
Principales études comparant le citrate à une anticoagulation systémique
Référence                      Patients et type d’EER                   Comparaison                  Résultats
Flanigan MJ 1987 [44]          HDI, patients à haut risque              Faibles doses d’héparine     18 % de saignement en cours de dialyse avec le citrate vs
                               hémorragique                                                          50 % sous héparine
Hofbauer 1999 [45]             HDI, hémodialysés chroniques             Héparine et daltéparine      Score de coagulation sur la membrane diminué
                                                                                                     d’environ 85 % avec le citrate
Monchi 2004 [46]               CVVH, patients à faible risque           Héparine                     Augmentation de la durée de vie des circuits (70 vs
                               hémorragique                                                          40 heures) et réduction de 80 % des transfusions
                                                                                                     d’érythrocyte
Kutsogiannis 2005 [47]         CVVHD, patients à faible risque          Héparine                     Augmentation de la durée de vie des circuits (124 vs
                               hémorragique                                                          38 heures) et réduction du risque de saignement (risque
                                                                                                     relatif = 0,14)
HDI : hémodialyse intermittente ; CVVH : continuous venovenous hemofiltration ; CVVHD : continuous venovenous hemodiafiltration.

brane, tout en minimisant les risques de saignement, même                           citrate impose l’emploi d’un liquide de dialyse ou d’hémofil-
chez des patients sans risque hémorragique évident [46,47].                         tration sans calcium et sans magnésium (sauf si le liquide
La plupart des études publiées ont eu pour objectif une réduc-                      d’hémofiltration est injecté après la membrane, en post-
tion des taux sériques de calcium ionisé à moins de 0,3 mmol/l                      dilution). En effet, une source de magnésium ou de calcium
au contact de la membrane d’EER. Cependant, on peut tolé-                           au contact de la membrane peut créer une compétition au
rer des taux proches de 0,5 mmol/l en cas de risque d’accu-                         niveau des complexes citrate–calcium et aboutir à un relar-
mulation de citrate (hépatopathies).                                                gage de calcium. Cependant, l’emploi de liquides contenant
   Le Tableau 4 résume les principaux risques potentiels de                         du magnésium ne semble pas poser de problème [47] et il
l’anticoagulation au citrate.                                                       existe des publications décrivant l’utilisation de liquides de
   Une surveillance adaptée est indispensable à l’utilisation                       substitution contenant du calcium, moyennant une augmen-
d’une anticoagulation régionale au citrate, surtout en cas                          tation des doses de citrate [16].
d’EER prolongée. La surveillance la plus communément                                   Le Tableau 6 résume les doses initiales de citrate (à injec-
admise en épuration continue est résumée dans le Tableau 5                          ter avant la membrane) et de calcium (à injecter après le piège
[43–45]. Logiquement, l’utilisation d’une anticoagulation par                       à bulle ou chez le patient) en EER continue lorsque le liquide
Tableau 4
Effets secondaires possibles en cas d’utilisation du citrate
Risque                                                  Comment éviter le risque
Hypernatrémie en cas d’utilisation de solutés           • Diminution de la concentration en sodium du liquide de dialyse (d’hémofiltration) ou
concentrés (hyperosmolaires) de citrate trisodique      • Utilisation de solutés iso-osmolaires de citrate (dont le volume représente 200 à 1000 ml/heure)
Alcalose métabolique (la métabolisation du citrate      • Diminution (parfois jusqu’à zéro) de la concentration en bicarbonate du liquide de dialyse
engendre la production de trois molécules de              (d’hémofiltration) + maintien d’une dose d’épuration suffisante pour éliminer l’excès de bicarbonate
bicarbonate).                                             ou
                                                        • Apports de citrate sous forme de mélange citrate–acide citrique pour ne pas générer un excès de
                                                          bicarbonate.
Hypomagnésiémie (le citrate est également un            • Augmenter les apports de magnésium IV ou son taux dans le liquide de dialyse (de 0,5 à 1 mmol/l)
chélateur du magnésium)
Hypocalcémie ou hypercalcémie (en cas d’apports         • Surveillance du taux de calcium ionisé chez le patient pour ajuster les apports de calcium.
inappropriés de calcium)
Accumulation de citrate en cas d’insuffisance           • Éviter l’emploi du citrate chez l’insuffisant hépatique ou commencer par de très faibles doses et
hépatique (ou cirrhose même compensée)                    augmenter lentement (objectifs : Ca ionisé à 0,5 mmol/l au contact de la membrane). Bien ajuster les
                                                          apports de bicarbonate. Surveillance très rapprochée.
                                                        • Surveiller le rapport calcium sanguin total/calcium ionisé toutes les une à deux heures initialement
                                                          (son augmentation reflète l’accumulation du citrate).

Tableau 5
Surveillance de l’utilisation du citrate en EER continue [46–48]
                               Paramètre                            Intervalle de surveillance
Chez le patient                Chez le patient : calcium ionisé, pH • Toutes les quatre à six heures les premières 24 heures.
                               sanguin, bicarbonate.                • Toutes les six à huit heures après les premières 24 heures.
                                                                    • Toutes les une à deux heures si hypocalcémie inférieure à 0,90 mmol/l
                               Magnésiémie, natrémie                • Une fois par 24 heures
                               Calcium plasmatique total et rap-    • Toutes 24 heures en absence de cirrhose (valeur normale proche de 2, accumulation
                               port Ca total/Ca ionisé              de citrate si ≥ 3)
Au contact de la membrane Calcium ionisé au contact de la             • Une fois par 24 heures si valeur inférieure ou égale à 0,5 mmol/l, nécessité d’aug-
                          membrane                                    menter la dose de citrate et de recontrôler si valeur supérieure à 0,5 mmol/l
M. Monchi, D. Thebert / Réanimation 14 (2005) 551–558                                                      555

Tableau 6
Doses initiales de citrate et de calcium en épuration extrarénale continue, pour un soluté de substitution sans calcium (ajustements secondaires à faire selon les
dosages biologiques) [46,47]
Débit de la pompe à sang (ml/minute) a                                                         125      150         175         200         250        300
Dose de citrate (en mmol/heure) b                                                              31       38          45          52          65         77
Dose de CaCl2 en ml/heure d’une ampoule à 1 g/10 ml                                            8,3      10          12          13          17         20
  a
      Le débit d’hémofiltration en post dilution est de 35 ml/kg par heure et égal à 25 % du débit sanguin extracorporel.
  b
      Le poids molaire du citrate trisodique est de 287,2 g (soluté molaire = 28,7 %).

de substitution est dépourvu de calcium [46,47]. Ces doses                               2.5. Autres molécules
nécessitent bien entendu des ajustements secondaires selon
la surveillance biologique (adaptation par des modifications                             2.5.1. Le danaparoïde (Orgaran®) et la lépirudine
d’environ 10 % de la dose). Dans ces études, le liquide de                               (Refludan®)
substitution était dépourvu de bicarbonate. En cas d’emploi                                 Ce sont les molécules utilisables en Europe dans les cas de
de citrate trisodique molaire, le liquide était également plus                           thrombopénie immune à l’héparine. Leurs caractéristiques
pauvre en sodium (115 à 120 mmol/l).                                                     sont résumées dans le Tableau 8 [18–21].
    Le protocole pratique de la plus grande série publiée à ce                              L’utilisation de ces molécules en présence d’une insuffi-
jour en hémodialyse intermittente (1009 hémodialyses au                                  sance rénale s’accompagne d’un risque de surdosage par accu-
citrate) est résumé dans le Tableau 7 [17].                                              mulation. Une utilisation prolongée de la lépirudine induit le
    L’ensemble des publications semble démontrer la supério-                             risque de développement d’anticorps antilépirudine (44 % des
rité de l’anticoagulation au citrate non seulement chez des                              patients sans une série de 196 patients) [22]. L’apparition de
patients à haut risque hémorragique, mais également chez les                             ces anticorps est corrélée à la durée d’utilisation du produit.
patients ayant un faible risque de saignement. Cependant,                                Ces anticorps diminuent l’élimination de la lépirudine (par le
l’emploi de cette méthode suppose une surveillance rigou-                                rein ou l’EER), et augmentent les risques de surdosage en
reuse et une plus grande disponibilité des solutions nécessai-                           absence d’une surveillance stricte du TCA (objectifs de TCA :
res (le coût des solutions de citrate reste faible, de 10 à 25 Q                         1,5 à 2,0 fois le temps des témoins). La réintroduction de la
pour 24 heures).                                                                         lépirudine chez des patients porteurs d’anticorps antihiru-

Tableau 7
Protocole d’anticoagulation au citrate utilisé lors de 1009 hémodialyses intermittentes [17]
Liquide de dialyse
   Na                                  136 mmol/l (dose habituelle réduite de 2 à 5 mmol/l)
   Ca                                  0
   Mg                                  0,5 mmol/l
   Bicarbonate                         Dose habituelle réduite de 4 mmol/l, médiane = 29 mmol/l
Débit sanguin                          Médiane à 320 ml/minute, extrêmes : 150 à 400 ml/minute
Débit de dialysat                      500 ml/minute
Dose de citrate                        50 mmol/heure (solution de citrate trisodique à 0,5 mmol/ml)
Dose de calcium initial                17,5 mmol/heure, ajustement par modifications de 1,25 à 2,5 mmol/heure pour maintenir le calcium ionisé à ± 10 % de
                                       la valeur de départ
Surveillance                           Calcium ionisé au début (H0), H + 15 minutes, puis toutes les deux heures.
                                       Contrôle du calcium ionisé 30 minutes après chaque modification de la dose de calcium.

Tableau 8
Molécules utilisables en Europe en cas de thrombopénie induite par l’héparine [18–21]
Molécule                                        Danaparoïde                                              Lépirudine
Poids moléculaire (Da)                          5500                                                     6979
Réactivité croisée avec les anticorps           10 à 50 %                                                Non
anti-PF4–héparine
Mode d’action                                   Inhibiteur indirect du facteur Xa                        Inhibiteur direct du facteur IIa
Voie d’élimination normale                      Rénale (glomérulaire)                                    Rénale (glomérulaire)
Demi-vie en absence d’insuffisance rénale       1,7                                                      25
(heures)
Surveillance                                    Activité anti-Xa (objectifs 0,5 à 0,8)                   TCA (objectifs 1,5 à 2,0) ou temps de coagulation à
                                                                                                         l’Ecarine
Posologie pour hémodialyse intermittente        Bolus de 30 à 35 UI/kg, ajusté sur activité anti-Xa      Bolus initial de 0,05 mg/kg (parfois jusqu’à
de quatre heures                                                                                         0,1 mg/kg)
Posologie pour épuration continue               Bolus de 750 UI, puis 50 à 200 UI/h                      Bolus de 0,007 à 0,025 mg/kg, puis
                                                                                                         0,006–0,009 mg/kg par heure
556                                       M. Monchi, D. Thebert / Réanimation 14 (2005) 551–558

dine s’est traduite dans de rares cas par des rashs cutanés               En épuration extrarénale intermittente, la supériorité du
sans aucun risque de thrombose.                                        citrate a été démontrée sur un plan biologique (coagulation
   En cas de surdosage avec insuffisance rénale, étant donné           sur la membrane [45]) et clinique (dose d’épuration, [30]),
l’absence d’antidote pour ces molécules, l’hémofiltration avec         mais ces avantages restent modestes et les héparines de bas
une membrane à haute perméabilité et des débits de filtration          poids moléculaires sont nettement plus simples d’emploi.
très élevés reste la seule thérapeutique possible [23].                Cependant, en présence d’un état d’hypercoagulabilité menant
                                                                       à des thromboses répétées du circuit d’EER, l’utilisation du
2.5.2. La prostacycline et ses dérivés
                                                                       citrate est une solution intéressante.
   La prostacycline et ses dérivés (4 à 20 ng/kg par minute)
                                                                          En épuration extrarénale continue, même chez les patients
ont également été proposés en épuration extrarénale conti-
                                                                       à faible risque hémorragique, les deux études prospectives
nue, parfois en association avec de faibles doses d’héparine
                                                                       randomisées dont on dispose actuellement [46,47] retrou-
[24,25]. Cependant, ce type d’anticoagulation est associé à
                                                                       vent une supériorité du citrate en termes de durée de vie des
des effets secondaires non négligeables (10 à 35 % d’hypo-
                                                                       circuits et des besoins transfusionnels. Ces deux études prou-
tension artérielle), un coût important (environ 200 Q par jour),
                                                                       vent que l’emploi du citrate ne doit pas être réservé unique-
et une faible durée de vie des circuits d’épuration extrarénale
(souvent inférieurs ou égaux à 24 heures). Le citrate a des            ment aux patients à haut risque hémorragique.
performances et un rapport coût/efficacité nettement meilleurs
que les dérivés des prostaglandines [25].                              4.2. Patient à haut risque hémorragique

2.5.3. La supplémentation en antithrombine III                            Chez les patients à haut risque hémorragique sans insuffi-
   Elle a été proposée pour augmenter la durée de vie des              sance hépatocellulaire, le citrate constitue indiscutablement
circuits d’épuration extrarénale, cependant, son rapport               l’anticoagulant de choix, en épuration intermittente et en épu-
coût/efficacité et ses effets secondaires n’ont jamais été bien        ration continue (Tableau 3).
évalués.                                                                  On ne dispose pas encore d’études décrivant un protocole
                                                                       précis d’utilisation du citrate en présence d’une cirrhose ou
2.5.4. Patients déjà traités par protéine C activée                    d’une insuffisance hépatocellulaire. On ne peut donc pas
   Chez les patients déjà traités par protéine C activée, en cas
                                                                       encore se prononcer sur son utilisation chez ce type de
d’épuration extrarénale, l’addition d’un autre anticoagulant
                                                                       patients.
systémique semble inutile [26].
                                                                          En absence de possibilité d’utilisation du citrate, les stra-
                                                                       tégies de réduction des doses d’héparine semblent une alter-
3. Rôle de la technique d’épuration                                    native plus fiable que l’association héparine–protamine [7].
    La voie d’abord vasculaire (le cathéter) joue un rôle fon-
                                                                       4.3. Patient ayant une thrombopénie induite par l’héparine
damental [27]. Quelle que soit l’intensité de l’anticoagula-
tion, un abord vasculaire de mauvaise qualité induit des irré-
                                                                          Chez les patients ayant un diagnostic récent de thrombo-
gularités de débit sanguin aboutissant à une coagulation
                                                                       pénie induite par l’héparine, une anticoagulation systémique
prématurée du circuit [28].
                                                                       par lépirudine ou danaparoïde est indispensable [18].
    Nous avons déjà souligné (paragraphe 2.3.) les interac-
                                                                          Chez les patients ayant un antécédent de thrombopénie
tions entre la membrane d’épuration et l’anticoagulation, per-
mettant une réduction des doses d’héparine avec certaines              induite par l’héparine, les anticorps anti-PF4-héparine dispa-
membranes ayant une capacité d’adsorption d’héparine lors              raissent en environ quatre mois et l’emploi de l’héparine est à
de la purge du circuit [9]. Nous ne disposons pas encore               nouveau possible [31] Il est cependant recommandé de réser-
d’étude permettant d’évaluer objectivement la relation entre           ver l’emploi de l’héparine aux thérapeutiques lourdes comme
la largeur de la surface de la membrane et les probabilités de         la chirurgie cardiaque et d’éviter autant que possible de réex-
coagulation du circuit.                                                poser ces patients à l’héparine [18]. L’emploi du citrate est
    La durée de la technique d’épuration joue également un             dans ce cas une solution intéressante.
rôle important. Les techniques d’épuration intermittente per-
mettent l’emploi de plus faibles doses d’anticoagulant [29].
    Le rôle contesté de la prédilution a déjà été abordé (para-        5. Conclusion
graphe 2.3.) [12]
                                                                          Chez les patients de soins intensifs et de réanimation, les
                                                                       problèmes de voie d’abord (qualité du cathéter) et la coagu-
4. Choix thérapeutique selon le patient                                lation prématurée du circuit sont les principaux facteurs limi-
4.1. Patient à faible risque hémorragique                              tant l’efficacité de la technique et aggravant la charge en soins.
                                                                       L’optimisation de ces deux aspects est donc fondamentale.
   Chez les patients à faible risque hémorragique, toutes les             L’héparine et ses dérivés ont été pendant une longue
techniques décrites restent possibles. L’héparine et les HBPM          période la seule méthode d’anticoagulation en EER. L’opi-
restent les techniques les plus utilisées.                             nion des auteurs de cet article est que les héparines ne sont
M. Monchi, D. Thebert / Réanimation 14 (2005) 551–558                                                  557

plus les anticoagulants de référence pour les EER des patients                  [20] Saxer SB, Smith BS, Gandhi PJ, Tataronis GR, Krikorian SA. Recom-
de réanimation et que l’anticoagulation régionale au citrate                         mended and actual lepirudin doses in patients with renal insufficiency.
                                                                                     Am J Health Syst Pharm 2003;15(60):2588–93.
est devenue actuellement la méthode de référence.
                                                                                [21] Lindhoff-Last E, Betz C, Bauersachs R. Use of a low molecular
                                                                                     weight heparinoid (danaparoid sodium) for continuous renal replace-
                                                                                     ment therapy in intensive care patients. Clin Appl Thromb Hemost
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