Abus de position dominante et big tech : Une affaire Apple Store après l'affaire Google Android ? - Concurrences
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Concurrences Revue des droits de la concurrence | Competition Law Review Abus de position dominante et big tech : Une affaire Apple Store après l’affaire Google Android ? International l Concurrences N° 4-2018 l pp. 215-222 Walid Chaiehloudj walid.chaiehloudj@gmail.com Maître de conférences Université Grenoble-Alpes – Centre de recherches juridiques (EA 1965), Saint-Martin-d’Hères
International Walid Chaiehloudj Abus de position constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection. walid.chaiehloudj@gmail.com Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art. L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document Maître de conférences dominante Université Grenoble-Alpes – Centre de recherches juridiques (EA 1965), Saint-Martin-d’Hères et big tech : Une affaire Apple Store après l’affaire Google Android ? Abstract 1. Été 2017, été 2018 : deux étés, deux condamnations pour Google. Pour la deuxième Pour la deuxième année consécutive, année consécutive, la Commission européenne a choisi la période de villégiature la Commission européenne a sanctionné et des grands chassés-croisés autoroutiers pour condamner le célèbre moteur de Google pour avoir abusé de sa position recherche. Elle lui a infligé l’amende la plus lourde de l’histoire de l’antitrust euro- dominante. Dans l’affaire Android, l’entreprise américaine a été condamnée pour avoir imposé péen. Les hostilités1 avaient débuté le 27 juin 2017. Par la décision Google Shopping2, des restrictions contractuelles qui ont étouffées Google s’était vu imposer une amende alors record de plus de 2 milliards d’euros la concurrence sur le marché. Cette affaire pour abus de position dominante en raison de la mise en œuvre d’une pratique Android présente de grandes similitudes avec l’affaire Apple Store actuellement pendante dite d’“effet de levier”3. Dans cette affaire, il a été jugé que Google utilisait sa devant la Cour suprême des États-Unis. position dominante sur le marché de la recherche en ligne pour avantager son De l’autre côté de l’Atlantique, Apple est accusé propre produit sur un marché adjacent, celui de la comparaison de prix sur in- de monopoliser le marché avec sa boutique ternet. Il était concrètement reproché à Google d’avoir favorisé son service de en ligne. A l’aune de l’affaire Android, cette étude se propose d’examiner comparateur de prix Google Shopping en modifiant les critères neutres de son si cette affaire Apple Store est susceptible algorithme de classement4 et en rétrogradant les services de comparateurs de prix de rebondir dans l’Union européenne. concurrents sur la page des résultats de la recherche. Ainsi, en mettant un terme à la neutralité de l’algorithme, il a été démontré que les mérites des concurrents de For the second year in a row, the European Commission has fined Google for abuse of dominance. In the Android case, the company was sentenced for imposing contractual restrictions that stifled competition on the market. This Android case is very 1 Google n’est pas le seul géant de l’internet visé par la Commission européenne. Depuis quelques années, ce sont les GAFA (Google, similar to the Apple Store case currently Amazon, Facebook et Apple) dans leur ensemble qui sont les cibles du droit de la concurrence. Sur le sujet : v. p. ex. D. Bosco, pending before the US Supreme Court. GAFA et droit de la concurrence, Contrats, conc., consom. 2016, no 4, repère 4. Une partie de la doctrine s’inquiète des nombreuses On the other side of the Atlantic, Apple is procédures contentieuses ouvertes par la Commission européenne et soutient que cette dernière instrumentalise le droit de la accused of monopolizing the market with concurrence en l’emmenant au-delà de la police des marchés. V. N. Petit et E. Le Noan, Amende Google :“une instrumentalisation its online store. In the light of the Android case, politique du droit de la concurrence”, Le Monde, 18 juill. 2018. this study aims to examine whether this Apple Store case is likely to rebound 2 Comm. eur., 27 juin 2017, Google Shopping, aff. AT.39740 : Contrats, conc., consom. 2018, no 3, p. 25, obs. D. Bosco ; Concurrences in the European Union. no 1-2018, p. 87, obs. F. Marty. Pour une analyse doctrinale très exhaustive de cette décision : v. E. Aguilera Valdivia, The Scope of the “Special Responsibility”upon Vertically Integrated Dominant Firms after the Google Shopping Case: Is There a Duty to Treat Rivals Equally and Refrain from Favouring Own Related Business?, 41 World Competition 43 (2018). 3 L’effet de levier désigne “la possibilité pour une entreprise détenant une forte position dominante sur un marché d’étendre ses ventes sur un second marché”. V. M. Malaurie-Vignal, Droit de la concurrence interne et européen, Sirey, 2017, 7e éd., no 598, p. 257. 4 Comme l’a relevé l’autorité de concurrence du Royaume-Uni (la Competition and Markets Authority), il existe plusieurs catégories d’algorithmes. L’algorithme de classement est celui qui permet de classer les résultats après des requêtes d’utilisateurs d’un moteur de recherche. En règle générale, ce type d’algorithme n’est pas public et peut même parfois faire l’objet d’une protection par brevet. V. Competition and Markets Authority, Online search: Consumer and firm behaviour: A review of the existing literature, 7 April 2017, p. 15. Concurrences N° 4-2018 I International I Walid Chaiehloudj I Abus de position dominante et big tech… 215
Google avaient été étouffés5. Cette décision Google Shop- européenne8. Nous esquisserons à cet égard quelques ar- constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection. ping, laquelle a eu un immense retentissement à travers le guments qui nous semblent donner crédit et consistance Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art. L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document monde, a mis au jour une nouvelle forme d’abus de posi- à l’ouverture potentielle d’une procédure contentieuse tion dominante : l’abus par algorithme. Plus exactement, dans l’Union. l’abus revêtait dans cette affaire les habits d’un “abus à deux têtes” dans la mesure où c’est la combinaison de deux comportements distincts qui a conduit la Commis- sion à sanctionner le moteur de recherche : d’une part, celui consistant à favoriser son propre service et, d’autre I. L’affaire Android part, celui consistant à rétrograder par une manipulation 4. Teneur et enseignements de la décision Android. Bien algorithmique la position des concurrents sur la page de que nous ne disposions à ce jour que d’un communiqué résultats. de presse peu exhaustif, il est tout de même possible d’extraire de celui-ci la teneur de la décision de la Com- 2. Android. La deuxième attaque à l’encontre de Google mission (1.) et d’en inférer quelques enseignements pro- a quant à elle été déclenchée le 18 juillet dernier6. Cette visoires (2.). fois‑ci, la Commission s’en est prise au système d’exploi- tation mobile de Google : le système Android. Dans cette seconde affaire impliquant Google, l’amende a atteint 1. La teneur de la décision une nouvelle fois un niveau spectaculaire. Elle s’élève à 5. Le contexte de l’affaire. Android a été créé par une plus de 4 milliards d’euros. Pour l’heure, les seules infor- start-up fondée en 2003, laquelle cherchait à développer mations que nous possédons sur la décision sont celles un système d’exploitation pour les téléphones portables9. qui ont été dévoilées par le communiqué de presse de la Ce n’est qu’en août 2005 que le système d’exploitation a Commission. Bien que succinctes, ces informations per- été acheté par Google. En novembre 2007, soit 10 mois mettent cependant de brosser à grands traits le raisonne- après le lancement de l’iPhone par Apple, Google a dé- ment qui a été mené. Nous apprenons, entre autres, qu’au voilé son projet Open Handset Alliance, une alliance de moyen de plusieurs restrictions contractuelles, Google grandes entreprises de technologies destinée à collabo- s’est assuré une position dominante sur le marché des rer pour développer le système d’exploitation Android. applications pour téléphones intelligents et a consoli- A priori, Android aurait dû apparaître comme le princi- dé sa position dominante sur le marché des moteurs de pal concurrent du système d’exploitation d’Apple : iOS. recherche. En d’autres termes, le géant de l’internet a Mais ce ne fut – et ce n’est – pas le cas. Comme l’a souli- adopté un comportement qui n’était pas conforme à une gné une doctrine autorisée, “iOS n’est pas une alternative concurrence par les mérites7. réaliste à Android pour les fabricants d’appareils mobiles parce qu’il n’est pas possible d’installer iOS sur des appa- 3. De l’affaire Android à l’affaire Apple Store ? L’affaire reils tiers tels que ceux proposés par HTC, Lenovo, LG, Android est intéressante per se, et ce, à plusieurs égards Samsung et autres”10. En effet, iOS est un système d’ex- (I.). Elle révèle notamment comment une entreprise en ploitation fermé qui n’est compatible qu’avec les iPhones monopole peut totalement verrouiller le marché par d’Apple. Autrement dit, eu égard aux échecs des systèmes le jeu de clauses contractuelles très restrictives. Elle re- d’exploitation de Nokia et de Windows, les fabricants de tient aussi l’attention au-delà du cas d’espèce. En effet, téléphones intelligents ne bénéficient d’aucune alterna- de l’autre côté de l’Atlantique, l’entreprise Apple semble tive crédible à Android si bien que 80 % des téléphones elle aussi prise dans les filets de l’antitrust pour des pra- intelligents utilisés dans l’Union européenne et dans le tiques sensiblement comparables à celles venant d’être monde fonctionnent aujourd’hui sous Android. prohibées par la Commission. Aux États-Unis, Apple est accusé de monopoliser le marché des applications pour Toutefois, le fait que la plupart des téléphones intelligents l’iPhone via sa plateforme Apple Store (II.). Au regard de fonctionnent sous Android n’empêche pas les fabricants la récente affaire Android, il apparaît plausible que cette de ce type d’appareil de se doter d’une version d’Android affaire Apple Store – pour l’instant circonscrite aux fron- autre que celle développée par Google. Android est ce tières américaines – accouche d’une affaire Apple Store que l’on nomme un logiciel open source. Cela signifie qu’à chaque fois que Google élabore une nouvelle ver- sion d’Android, l’entreprise publie son code source en 5 C. Prieto, Les mérites étouffés des concurrents de Google ou l’abus par algorithme, RTD. ligne. Comme l’explique la Commission, “cela permet en eur. 2017, p. 429. Pour un autre regard sur l’affaire Google Shopping : v. p. ex. A‑S. Choné- Grimaldi, Google coupable d’abus de position dominante : les carottes sont-elles cuites ?, principe aux tiers de télécharger et de modifier ce code pour D. 2015, p. 2451. Dans cette étude, la professeure Choné-Grimaldi énonçait sous forme d’interrogation : “le référencement prioritaire de Google shopping par Google excède-t-il vraiment les bornes d’une concurrence ‘normale’ ? N’est-il pas ‘normal’ pour une entreprise de mettre en avant ses propres services ? Imaginerait-on d’interdire à une compagnie aérienne 8 Une fois encore, le droit américain pourrait avoir une influence sur le droit européen. de faire la publicité de ses lignes dans ses avions ou à un acteur de la grande distribution de Cela ne signifie pas pour autant que le phénomène inverse n’existe pas. V. J.-Ch. Roda, mettre en avant ses produits sous marque de distributeur ?” L’influence des droits européens sur le droit américain, D. 2014, p. 157. 6 Comm. eur., 18 juill. 2018, Google Android, aff. AT.40099, décision non encore publiée. 9 L. Eadicicco, The Rise of Android: How a flailing startup became the world’s biggest computing platform, Business Insider, 27 March 2015. 7 Sur ce point, la commissaire européenne chargée de la concurrence, Mme Vestager, a déclaré que les pratiques de Google “ont privé ses concurrents de la possibilité d’innover 10 B. G. Edelman et D. Geradin, Android and Competition Law: Exploring and Assessing et de lui livrer concurrence par leurs mérites”. V. Comm. eur., communiqué IP/18/4581 du Google’s Practices in Mobile, 12 European Competition Journal 159 (2016), spéc. p. 163 18 juill. 2018, Pratiques anticoncurrentielles : la Commission européenne inflige à Google (traduction libre) : “(…) iOS is not a realistic alternative to Android for mobile device une amende de 4,34 milliards d’euros pour pratiques illégales concernant les appareils manufacturers because iOS is not available to install on third-party hardware such as the mobiles Android en vue de renforcer la position dominante de son moteur de recherche. devices offered by HTC, Lenovo, LG, Samsung, and others.” 216 Concurrences N° 4-2018 I International I Walid Chaiehloudj I Abus de position dominante et big tech…
créer des forks Android”11. Précisément, “le code source propose. Ce faisant, les consommateurs pourraient se constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection. Android ouvert contient les éléments de base d’un système détourner de leurs produits, car ils s’attendent à ce que Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art. L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document d’exploitation mobile intelligent, mais pas les applications ces applications soient préinstallées dans leur téléphone et services Android propriétaires de Google”12. En d’autres intelligent16. Les exemples Nokia et Amazon montrent termes, si les fabricants de téléphones intelligents dé- combien il est difficile d’exister sur le marché des appa- cident de doter leurs appareils d’un fork Android, alors reils mobiles sans la préinstallation des applications pré- ils ne pourront pas inclure dans ceux-ci les applications de férées des consommateurs. Par conséquent, même si les Google et la plateforme de boutique en ligne de Google : fabricants de téléphones intelligents ne sont théorique- Google Play. En revanche, si les fabricants de téléphones ment pas obligés de conclure un MADA avec Google, ils intelligents décident de faire fonctionner leurs appareils sont en réalité fortement incités à le faire. Se priver d’un sous Android, ils pourront alors bénéficier gracieusement tel accord pourrait avoir un effet quasi létal sur les ventes des applications de Google à condition de conclure avec de leurs appareils. le moteur de recherche un Mobile Application Distribution Agreement (MADA)13, c’est-à-dire un accord de distribu- 6. Les abus. Les problèmes de concurrence identifiés et tion d’applications pour mobile qui prend la forme d’un sanctionnés par la Commission découlent donc de ces contrat de licence. MADA que Google conclut avec les fabricants de télé- phones intelligents. La décision relève que trois types de Google indique que si Android est gratuit pour les fa- restrictions contractuelles tombent sous le coup de l’ar- bricants de téléphones intelligents, le système d’exploita- ticle 102 TFUE, lequel prohibe l’exploitation abusive tion n’en demeure pas moins coûteux à développer dans d’une position dominante sur le marché17. En imposant la mesure où il faut garantir sa sécurité et répondre aux ces restrictions, Google se serait écartée de la “responsabi- actions en annulation de brevet menées par des concur- lité particulière” qui pèse sur les entreprises dominantes18. rents. Aussi, pour se rémunérer et contrebalancer tous ces 1.1 Vente liée coûts, Google fait payer ses applications et les services que l’entreprise distribue via Android. On aurait donc ici affaire à un marché biface14 : l’une des faces du marché En premier lieu, Google a imposé dans ses MADA la vise les fabricants de téléphones intelligents ; l’autre face vente liée des applications de recherche et de navigation. du marché concerne les consommateurs d’applications et Les conditions d’octroi de la licence étaient en effet très de services fournis par Google, lesquels sont disponibles strictes. D’une part, Google obligeait les fabricants de té- grâce à Android. Le modèle économique de Google n’est léphones intelligents à préinstaller Google Search sur pra- pas condamnable en soi. Rien ne s’oppose à ce que le mo- tiquement tous les appareils Android de l’Espace écono- teur de recherche exploite un modèle économique biface. mique européen (EEE). D’autre part, l’entreprise obligeait En revanche, “le choix de Google d’exploiter un modèle de la même manière la préinstallation de son navigateur biface ne peut pas lui donner carte blanche pour éliminer la mobile Google Chrome. De cette façon, l’entreprise amé- concurrence”15. À cet égard, bien que les fabricants de té- ricaine assurait la préservation de sa position dominante léphones intelligents ne soient pas contraints de conclure sur le marché de la recherche en ligne. Comme l’a indiqué un MADA avec Google – et partant, de se soumettre aux la Commission, la préinstallation a provoqué “une distor- restrictions que l’accord contient –, en refusant de nouer sion de concurrence dite de statu quo”. Ce phénomène se ce lien contractuel, ils pourraient diminuer l’attractivité présente lorsque les utilisateurs maintiennent dans leur de leurs appareils mobiles. En arbitrant de la sorte, ils se téléphone intelligent les applications de recherche préins- priveraient de la préinstallation d’applications chéries par tallées et ne font pas l’effort de rechercher d’autres appli- les consommateurs, telles que Google Map, YouTube, cations tout aussi efficaces, voire supérieures, de sorte que Google Search et d’autres applications phares que Google la concurrence s’en trouve sclérosée sur le marché. 11 Comm. eur., communiqué de presse, préc. 16 Ibid. Pour étayer leurs propos, les auteurs prennent l’exemple de YouTube, qui est une 12 Ibid. application extrêmement populaire auprès des internautes et qui n’a pas réellement de concurrents. Les professeurs Edelman et Geradin avancent que Google a réalisé des 13 D. Auer, Appropriability and the European Commission’s Android Investigation, innovations telles avec YouTube qu’il est difficile aujourd’hui pour un utilisateur de 23 Columbia Journal of European Law 648 (2017), spéc. p. 650. porter un intérêt à une autre application. YouTube permet entre autres de conserver la recherche préférée des utilisateurs, de s’abonner à des myriades de chaînes, d’avoir des 14 Sur le sujet, v. not. E. Malavolti et F. Marty, La gratuité peut-elle avoir des effets recommandations personnalisées et propose des fonctions de partage sur les réseaux sociaux anticoncurrentiels ? Une perspective d’économie industrielle sur le cas Google, in aisément manipulables. Nous pouvons ajouter que la plus grande des difficultés pour les La gratuité, un concept aux frontières de l’économie et du droit, N. Martial-Braz et fabricants de téléphones intelligents serait par ailleurs de se passer de la plateforme Google C. Zolynski (dir.), LGDJ, 2013, p. 72 ; M. Behar-Touchais, Concurrence et gratuité, Play, laquelle permet la distribution des applications mobiles de Google, mais aussi in La gratuité, un concept aux frontières de l’économie et du droit, N. Martial-Braz et d’applications conçues par des développeurs indépendants. Sans Google Play, il serait C. Zolynski (dir.), LGDJ, 2013, p. 185. V. aussi L. Filistrucchi, D. Geradin et E. van impossible pour les consommateurs de se procurer des applications mobiles, ce qui viderait Damme, Identifying Two-Sided Markets, 36 World Competition 33 (2013), spéc. pp. 33‑34 le téléphone intelligent de sa substance essentielle : l’utilisation d’applications mobiles. où la plume des auteurs explique que“l’expression ‘marché biface’ désigne un type de marché spécifique : un marché dans lequel une entreprise vend deux produits ou services distincts à 17 Comme le souligne le professeur Petit,“en droit européen de la concurrence, existe un principe deux groupes de consommateurs différents (les deux ‘faces’) et sait que vendre à un groupe général en vertu duquel l’existence d’une position dominante au sens de l’article 102 TFUE affecte la demande de l’autre groupe, et peut-être vice versa” (traduction libre). Dans la n’est pas répréhensible : la position dominante est légale, seule son exploitation abusive est langue d’origine : “(…) the term ‘two-sided market’ refers to a specific type of market: illégale”. V. N. Petit, Droit européen de la concurrence, Montchrestien, 2013, no 834, p. 305. a market in which a firm sells two distinct products or services to two different groups of consumers (the two ‘sides’) and knows that selling more to one group affects the demand from 18 Depuis l’arrêt Michelin I, la Cour de justice juge qu’“il incombe à [l’entreprise the other group and possibly vice versa.” dominante], indépendamment des causes d’une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée 15 B. G. Edelman et D. Geradin, art. préc. : “Google’s choice of a two-sided business model dans le marché commun”. V. CJCE, 9 nov. 1983, Michelin c/ Commission européenne, cannot be carte blanche to eliminate competition”(traduction libre). aff. C-322/81, Rec., p. 3461, § 57. Concurrences N° 4-2018 I International I Walid Chaiehloudj I Abus de position dominante et big tech… 217
1.2 Paiements illégaux sur ce marché. Cette situation a conduit un auteur à sou- constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection. tenir que, dans l’Union européenne, “les écosystèmes Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art. L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document En deuxième lieu, les MADA prévoyaient des paiements fermés bénéficient d’une immunité antitrust tandis que les pour les fabricants de téléphones intelligents afin que ces licences ouvertes autorisent un examen antitrust”21. Nous derniers préinstallent exclusivement l’application Google verrons que cette analyse pourrait cependant être contre- Search. Autrement dit, Google imposait une obligation dite à l’avenir. Avec le maintien d’une telle méthodologie d’exclusivité19 aux fabricants de téléphones intelligents pour délimiter le marché pertinent, tout porte à croire en contrepartie d’incitations financières20. Ces paiements qu’Apple pourrait aussi à moyen terme être inquiétée ont été qualifiés d’illégaux par la Commission dans la par une procédure antitrust. La Commission pourrait mesure où, même si un moteur de recherche concurrent juger que l’entreprise fondée par Steve Jobs se trouve en à Google cherchait à adopter le même comportement, ce position dominante sur le marché des systèmes d’exploi- dernier n’aurait pas pu compenser les pertes de recette tation pour mobiles intelligents fermés et des boutiques liées aux paiements effectués par l’entreprise américaine. d’applications en ligne fonctionnant sous des systèmes Les paiements réalisés par Google semblent n’avoir été d’exploitation fermés. S’agissant de la délimitation du possibles qu’en raison de la position dominante de l’en- marché de la recherche en ligne, la Commission n’a fait treprise et de son pouvoir de marché très élevé. que reprendre son analyse développée dans la décision Google Shopping, qui montre que l’entreprise américaine 1.3 Restrictions au développement a clairement une position dominante dans l’EEE, où elle détient plus de 90 % des parts de marché. des systèmes d’exploitation et des applications mobiles 8. S’agissant des abus. Le deuxième enseignement concerne les abus. La Commission confirme tout d’abord En dernier lieu, les MADA empêchaient les fabricants son aversion pour les pratiques de vente liée dans les cas de téléphones intelligents d’utiliser une autre version où l’entreprise en cause est en position dominante. Il est d’Android que celle conçue ou approuvée par Google. reproché en l’espèce à Google d’avoir imposé le jumelage Si un fabricant déviait de cette obligation, alors il ne de la préinstallation de son moteur de recherche et de pouvait pas préinstaller sur son téléphone intelligent les sa boutique en ligne. On se souvient que cette pratique applications de Google. Cette restriction était redoutable. de jumelage fut déjà condamnée dans les années 2000. D’une part, elle privait les fabricants de téléphones in- Dans deux affaires Microsoft22, la Commission avait telligents de développer et vendre des appareils fonction- considéré que la pratique des ventes liées entravait la nant sous des forks Android. D’autre part, elle privait les concurrence sur le marché. Le standard pour caractériser développeurs d’applications mobiles d’un autre canal de un jumelage abusif fut scellé dans l’arrêt du Tribunal23. distribution. Aussi, pour commercialiser une application Toutefois, la Cour de justice, dans un arrêt Tetra Pak, mobile, les développeurs devaient nécessairement se lier avait énoncé que “même lorsque la vente liée de deux pro- contractuellement avec Google afin que l’entreprise pro- duits est conforme aux usages commerciaux ou lorsqu’il pose leurs applications sur sa boutique en ligne. existe un lien naturel entre les deux produits en question, elle peut néanmoins constituer un abus au sens de l’article [102], à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée”24. 2. Les enseignements À l’aune de cette jurisprudence, il est possible de déduire provisoires de la décision que les arguments de Google n’ont pas convaincu la Com- mission, ce que le communiqué de presse corrobore25. 7. S’agissant du marché pertinent et de la position domi- S’agissant ensuite des deux autres abus, il est difficile de nante. Le premier enseignement que l’on peut tirer de tirer des enseignements clairs avant la publication de la la décision Android concerne la délimitation du marché pertinent. La Commission a considéré que, s’agissant du marché des systèmes d’exploitation mobiles intelligents 21 N. Petit, EU engaged in antitrust gerrymandering against Google, The Hill, 31 juill. sous licence et du marché des boutiques d’applications 2018 (traduction libre): “In Europe, closed ecosystems give antitrust immunity, whereas en ligne, Google n’était pas en concurrence avec Apple. open licensing brings antitrust scrutiny.” Pour une analyse opposée sur cette question : Ce faisant, le marché pertinent est si étroit qu’il fait automa- v. C. Caffarra, O. Latham, M. Bennett, F. Etro, P. Régibeau et R. Stillman, Google Android: European “techlash”or milestone in antitrust enforcement?, Voxeu, 27 July 2018. tiquement de Google une entreprise en position dominante. Pour se justifier, la Commission souligne qu’Android 22 Dans l’affaire Microsoft I, l’entreprise fondée par Bill Gates a été condamnée pour avoir subordonné la vente de son système d’exploitation pour PC à l’acquisition de son logiciel est différent des autres systèmes d’exploitation commer- Windows Media Player. V. Comm. eur., 24 mars 2004, Microsoft I, aff. COMP/C-3/37.792. cialisés par Apple ou BlackBerry dans la mesure où les Dans l’affaire Microsoft II, l’entreprise fut jugée coupable d’abus de position dominante pour avoir jumelé la vente de son système d’exploitation à l’acquisition de son fabricants de téléphones intelligents ne peuvent se voir navigateur internet, Internet Explorer. V. Comm. eur., 16 déc. 2009, Microsoft II, concéder une licence. Aussi, en faisant de la licence le aff. COMP/C-3/39.530. Sur la saga Microsoft : v. not. C. Prieto, La condamnation de critère essentiel de son évaluation, la Commission a pu Microsoft ou l’alternative européenne à l’antitrust américain, D. 2007, p. 2884. délimiter le marché pertinent de manière si restrictive 23 TPICE, 17 sept. 2007, Microsoft Corp. c/ Commission européenne, aff. T-201/04, Rec. II, que seul le moteur de recherche semble réellement actif p. 3601, § 842 et s. 24 CJCE, 14 nov. 1996, Tetra Pak International SA c/ Commission des Communautés européennes, aff. C-333/94 P, Rec. I, p. 5951, § 37. 19 Sur le sujet : v. D. Bosco, L’obligation d’exclusivité, préf. C. Prieto, Bruylant, 2008, 620 p. 25 Comm. eur., communiqué de presse, préc. :“La Commission a également examiné en détail les arguments de Google selon lesquels la vente liée de l’application Google Search et du navigateur 20 Le communiqué de presse de la Commission européenne ne dévoile pas le montant de ces Chrome était nécessaire, notamment pour permettre à Google de rentabiliser son investissement paiements, mais insiste sur leur niveau anormalement élevé. dans Android, et est parvenue à la conclusion que ces arguments étaient non fondés.” 218 Concurrences N° 4-2018 I International I Walid Chaiehloudj I Abus de position dominante et big tech…
décision. Il faudra s’armer de patience pour effeuiller la Quant aux appareils qui circulent actuellement sur le constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection. théorie du dommage qui a été façonnée. Nous pouvons marché russe, Google s’est engagé à développer une fe- Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art. L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document toutefois d’ores et déjà relever, s’agissant du dernier abus, nêtre de choix active pour le navigateur Chrome qui, au que, selon la Commission, une entreprise dominante en- moment de la prochaine mise à jour, permettra à l’uti- freint l’article 102 TFUE lorsqu’elle se réserve le canal lisateur de choisir son moteur de recherche par défaut. de distribution des applications mobiles et, ce faisant, Un porte-parole de Google, satisfait de cet épilogue, a bloque le développement d’applications mobiles des tiers. déclaré au sujet du règlement amiable : “Nous sommes Ce comportement traduirait une entrave à l’innovation heureux d’avoir conclu un accord commercial avec Yandex et devrait être qualifié de pratique d’éviction26. Comme et un règlement amiable avec l’autorité de la concurrence nous le verrons, l’entreprise Apple risque aussi de voir sa russe mettant un terme au problème de concurrence concer- responsabilité antitrust engagée en raison d’une pratique nant la distribution des applications Google sur Android”30. semblable mise en œuvre par le biais de sa boutique en Au regard de cette déclaration, on peut s’interroger sur ligne. les raisons qui poussent Google à contester la décision de la Commission alors même que celle-ci met au jour des 9. S’agissant de la défense de Google. Enfin, le dernier en- pratiques identiques à celles interdites par l’autorité russe. seignement a trait à la défense de Google. À notre sens, L’absence de cohérence de l’entreprise américaine dans sa celle-ci devra être très solide pour convaincre le Tribunal27. défense pourrait constituer un obstacle dirimant au renver- La raison tient à ce que le moteur de recherche a déjà été sement de la décision devant le Tribunal. Celui-ci pourrait condamné par d’autres autorités de concurrence dans le se montrer très sévère eu égard au comportement ambi- monde, et ce, pour les mêmes pratiques que celles identi- valent de Google. En effet, Google semble déployer un fiées par la Commission. En effet, en septembre 201528, double discours. En Russie, l’entreprise indique qu’elle l’autorité russe de la concurrence a jugé que Google a accepte sa condamnation et prend toutes les mesures abusé de sa position dominante sur le marché russe de nécessaires pour mettre fin aux problèmes de concur- la recherche en ligne, des systèmes d’exploitation pour rence. Dans l’Union, alors qu’elle est poursuivie pour les mobiles et des applications mobiles. La procédure mêmes pratiques, elle clame son innocence et excipe que contentieuse avait été ouverte à la suite d’une plainte du son comportement n’a aucun effet sur la concurrence. moteur de recherche russe Yandex. Après cette condam- En réalité, la stratégie du moteur de recherche résiderait nation, Google a décidé de conclure le 17 avril 201729 un peut-être plus simplement dans la seule volonté d’obtenir règlement amiable fort contraignant avec l’autorité de une réduction de l’amende31. La contestation au fond ne concurrence. Aux termes de l’accord transactionnel, l’en- serait vraisemblablement qu’une posture, un moyen pour treprise américaine s’est engagée : diminuer la gigantesque facture antitrust32. – à ne plus imposer d’obligation d’exclusivité s’agissant de la préinstallation de ses applications sur les appareils fonctionnant sous Android ; II. L’affaire – à ne pas s’opposer à la préinstallation d’autres moteurs de recherche et d’applications concur- Apple Store rents, y compris sur l’écran d’accueil et en tant 10. L’affaire Apple Store, une affaire américaine suscep- que moteur de recherche ou applications par tible de rebondir dans l’Union ? L’affaire Android est l’une défaut ; des premières affaires qui s’attaquent au marché des – à s’abstenir d’encourager la préinstallation de systèmes d’exploitation et applications pour téléphones Google Search en tant que seul moteur de re- intelligents. En tant que précédent, elle pourrait ouvrir cherche par défaut ; – à ne pas appliquer les précédentes obligations 30 S. Perez, Google reaches $7.8 million settlement in its Android antitrust case in Russia, contractuelles contenues dans les MADA qui Techcrunch, 17 avril 2017 (traduction libre) : “We are happy to have reached a commercial contredisent le règlement amiable conclu ; agreement with Yandex and a settlement with Russia’s competition regulator, the Federal Antimonopoly Service (FAS), resolving the competition case over the distribution of Google – à garantir les droits des tiers à inclure leurs mo- apps on Android.” teurs de recherche dans la “fenêtre de choix” 31 Sur le sujet des amendes : v. not. L. Bernardeau et J.-Ph. Christienne, Les amendes (the choice window). en droit de la concurrence : pratique décisionnelle et contrôle juridictionnel du droit de l’Union, Larcier, 2013, p. 867 et s. ; D. Bosco, La compétence de pleine juridiction du juge de l’Union quant aux amendes prononcées par la Commission européenne en matière de concurrence, in Contentieux de l’Union européenne : Questions choisies, S. Mahieu (dir.), Larcier, 2014, p. 231 ; W. Wils, The Increased Level of EU Antitrust Fines, Judicial Review and the ECHR, 33 World Competition 5 (2010) ; E. Combe et C. Monnier‑Schlumberger, Les amendes contre les cartels : La Commission européenne en 26 Sous la plume du professeur Choné-Grimaldi, on peut lire qu’il y a abus d’éviction à fait-elle trop ?, Concurrences no 4-2009, p. 41. chaque fois qu’une entreprise cherche “à évincer du marché ses concurrents actuels, à ralentir leur développement ou à empêcher des concurrents potentiels d’entrer sur le marché”. 32 Pour ce faire, Google pourrait démontrer que la Commission s’est fourvoyée s’agissant de V. A.-S. Choné-Grimaldi, Les abus de domination : essai en droit des contrats et en droit de la durée de l’infraction, de son point de départ ainsi que du moment où l’entreprise a mis un la concurrence, préf. B. Teyssié, Economica, 2010, no 93, p. 62. terme à la pratique et, en conséquence, obtenir une baisse sensible de l’amende prononcée. V. L. Idot, Réflexions sur l’évolution de la preuve des pratiques anticoncurrentielles devant 27 Google a fait appel de la décision. les autorités de concurrence, Concurrences no 4-2017, p. 45, qui souligne que,“compte tenu 28 Russian Competition Autority, 18 sept. 2015, Yandex v. Google, case no 1-14-21/00-11-15. des méthodes de calcul des amendes, utilisées tant par la Commission que par l’Autorité [de la concurrence], il ne suffit plus d’apporter la preuve de l’existence de l’infraction. La preuve de 29 Russian Competition Autority, 17 avril 2017, FAS Russia Reaches Settlement with la durée de l’infraction, de son point de départ, mais également du moment où elle a pris fin, Google, disponible sur : http://en.fas.gov.ru/press-center/news/detail.html?id=49774. est devenue tout aussi cruciale”. Concurrences N° 4-2018 I International I Walid Chaiehloudj I Abus de position dominante et big tech… 219
la voie à d’autres poursuites pour des pratiques sem- pale spécificité d’Apple tient au fait que cette entreprise constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection. blables et mises en œuvre par d’autres entreprises telles est verticalement intégrée. D’une part, elle fabrique ses Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art. L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document qu’Apple. Outre-Atlantique, les juridictions ont déjà été téléphones intelligents ainsi que le système d’exploitation saisies s’agissant de cette dernière, les consommateurs fermé qui leur permet de fonctionner. D’autre part, elle américains l’accusant de monopolisation (1.). Reste à distribue les applications mobiles pour ses téléphones savoir si l’affaire états-unienne aura des incidences dans via sa boutique en ligne Apple Store, qui est préinstallée l’Union (2.). sur tous ses appareils mobiles. Cette situation soulève de nombreux problèmes de concurrence. 1. Une affaire actuellement En premier lieu, Apple détiendrait une position mono- polistique avec sa boutique en ligne37. L’entreprise aurait traitée sous l’angle le contrôle sur les applications qu’elles souhaitent pro- de la monopolization poser à ses clients sur l’Apple Store. L’affaire Wikileaks App illustre parfaitement bien l’étendue de ce contrôle. aux États-Unis Ab initio, Apple avait d’abord approuvé l’application Wikileaks, laquelle fut vendue pendant un temps sur la 11. La monopolization aux États-Unis. Aux États-Unis, boutique en ligne. Elle l’a cependant ensuite supprimée, il n’existe pas de texte sanctionnant l’abus de position et ce, sans raison. Ce faisant, Apple semble avoir la capa- dominante. Pour réprimer une entreprise qui abuserait de cité d’évincer des concurrents38 de sa boutique en ligne et, son pouvoir de monopole, les juridictions peuvent cepen- par là même, de fixer des prix supraconcurrentiels au dé- dant appliquer la section 2 du Sherman Act, laquelle in- triment des consommateurs. La gestion par Apple de sa terdit aux entreprises de monopoliser ou de tenter de mo- boutique en ligne serait “équivalente à celle d’un fabricant nopoliser le marché33. Pour rappel, la monopolization vise d’imprimantes autorisant uniquement les cartouches fabri- “des pratiques de marché conduisant à acquérir, étendre, quées ou approuvées par lui dans ses imprimantes puisque consolider une position de marché sur d’autres bases que seules les applications approuvées par Apple peuvent être celle des mérites”34. Contrairement à l’article 102 TFUE, téléchargées depuis l’Apple Store”39. la section 2 du Sherman Act ne dresse aucune liste d’abus si bien que la tâche de délimiter les pratiques susceptibles En deuxième lieu, Apple impose aux développeurs d’ap- d’être qualifiées de monopolisation anticoncurrentielle plications des MADA avec des restrictions contractuelles est laissée aux juges. Cette tâche est d’ailleurs complexe, significatives. Précisément, si l’application est approuvée car “presque toute conduite d’une entreprise en position do- par Apple, les développeurs devront, aux termes de l’ac- minante qui rend la vie difficile aux rivaux pourrait être ca- cord, partager leurs revenus avec l’entreprise américaine. ractérisée de ‘monopolisation’”35. Aussi, il s’avère difficile Les revenues se répartissent de la façon suivante : 30 % de séparer le bon grain – les comportements bénins pour pour Apple, 70 % pour le développeur de l’application40. la concurrence ou proconcurrentiels – de l’ivraie – les De plus, si l’application approuvée est distribuée sur comportements anticoncurrentiels. La même difficulté se une autre boutique en ligne que celle d’Apple, les déve- retrouve dans l’affaire Apple Store concernant la qualifi- loppeurs doivent s’engager à ce que le prix proposé aux cation juridique de la conduite de l’entreprise. Le nœud consommateurs ne soit pas moins élevé que celui arrêté gordien réside dans le fait de savoir si Apple s’est livré à sur l’Apple Store. Partant, les consommateurs n’ayant une pratique abusive avec sa boutique en ligne. Dit au- pas d’iPhone mais un téléphone intelligent concurrent trement, l’entreprise a-t-elle monopolisé ou tenté de mo- payeraient des applications à des prix plus élevés que nopoliser le marché des applications pour iPhone ? Cette ceux qui résulteraient du libre jeu de la concurrence. question devrait être prochainement résolue par la Cour suprême des États-Unis, laquelle a été saisie le 18 juin En dernier lieu, Apple empêcherait les développeurs dernier36. d’utiliser certaines plateformes permettant aux appli- cations de fonctionner sur d’autres appareils mobiles 12. Le contexte de l’affaire. Avec la mise sur le marché concurrents d’Apple41. Cette restriction contractuelle de son iPhone en 2007, Apple a élaboré un écosystème – qui ressemble à s’y méprendre à une obligation d’exclu- totalement fermé. Son système d’exploitation, iOS, et sa sivité – aurait pour effet de réduire le choix du consom- boutique en ligne, Apple Store, ne sont accessibles que pour les détenteurs d’un iPhone. Par ailleurs, la princi- 37 A. Daly, Recent issues for competition law on the Internet, Presented at the 5th Competition Law and Economics European Network (CLEEN) Workshop, European 33 Sur le sujet : v. p. ex. R. Joliet, Monopolisation et abus de position dominante. Essai University Institute, 9-10 May 2011, p. 7, disponible sur ssrn.com. comparatif sur l’article 2 du Sherman Act et l’article 86 du Traité de Rome, RTD eur. 1969, p. 42 ; B. E. Hawk, À propos de la “concurrence par les mérites” : Regards croisés sur 38 Le terme “concurrent” sied parfaitement à la situation puisqu’Apple développe aussi des l’article 82 CE et la section 2 du Sherman Act, Concurrences no 3-2005, p. 33. applications que l’entreprise propose à la vente sur sa boutique en ligne. 34 F. Marty, La révolution n’a-t-elle pas eu lieu ? De la place de l’analyse économique dans le 39 L. Bornico et I. Walden, Ensuring competition in the clouds: the role of competition contentieux concurrentiel de l’Union européenne, in Contentieux du droit de la concurrence law?, 12 Journal of the Academy of European Law 265 (2011), spéc. p. 266 (traduction de l’Union européenne : Questions d’actualité et perspectives, V. Giacobbo-Peyronnel et libre) :“[the management of the App Store is the] equivalent of a printer manufacturer only Ch. Verdure (dir.), Bruylant, 2017, p. 27, spéc. p. 35. allowing cartridges made by it or approved by it to be used in its printers since only Apps approved by Apple may be downloaded from the App Store”. 35 H. Hovenkamp, The Antitrust Enterprise: Principle and Execution, Harvard University Press, 2005, p. 151 (traduction libre) : “Almost any conduct by a dominant firm that makes 40 D. Mac Sithigh, App law within: rights and regulation in the smartphone age, life more difficult for rivals could be characterized as ‘monopolization.’” 21 International Journal of Law and Information Technology 154 (2013), spéc. p. 159. 36 U.S. Supreme Court, Apple Inc. v. Pepper, TBD U.S. _ , No. 17-204 (2018). 41 A. Daly, art. préc., p. 8. 220 Concurrences N° 4-2018 I International I Walid Chaiehloudj I Abus de position dominante et big tech…
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