Les formes graves du sepsis de l'enfant - SFMU
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Chapitre 17 Les formes graves du sepsis de l’enfant S. DAUGER, F. LE BOURGEOIS, S. JULLIAND Points essentiels ■ Malgré les importants progrès des 30 dernières années, la mortalité des états infectieux sévères de l’enfant varie encore aujourd’hui de 5 à 20 % dans les pays à hauts revenus. ■ Celle-ci dépend directement de la virulence du micro-organisme en cause et des caractéristiques intrinsèques du patient, mais aussi de la rapidité de mise en route d’un traitement efficace. ■ Afin de faciliter la conduite thérapeutique, celle-ci est artificiellement divisée en deux phases : la première heure suivant le diagnostic, et les six heures suivantes. ■ La reconnaissance et l’évaluation d’un état infectieux sévère de l’enfant reposent sur un examen clinique systématique et rapide, pratiqué chez un patient entièrement dénudé quel que soit l’âge. ■ Le traitement de la première heure vise à améliorer le transport en oxygène (oxygénothérapie au masque à haute concentration ; pose de deux voies d’abord veineuse périphérique, VVP, ou d’une voie intraosseuse, VIO ; trois expansions volumiques, EV, successives de 20 ml/kg chacune) et à injecter au plus tôt une antibiothérapie probabiliste, bactéricide et synergique, choisie Service de Réanimation et Surveillance Continue Pédiatriques, Hôpital Robert Debré, 48, boulevard Sérurier, 75019 Paris. Correspondance : Stéphane Dauger, Service de Réanimation et Surveillance Continue Pédiatriques, Hôpital Robert Debré, Assistance Publique - Hôpitaux de Paris et Université Paris Diderot, Paris 7, Sorbonne Paris-Cité, 48 boulevard Sérurier, 75019 Paris. Tél. : 01 40 03 21 87 – Fax : 01 40 03 47 60. E-mail : stephane.dauger@rdb.aphp.fr LES FORMES GRAVES DU SEPSIS DE L’ENFANT 1
selon la fréquence des micro-organismes potentiellement en cause selon l’âge, le point d’appel clinique et les antécédents du patient. ■ Durant cette première heure, l’évaluation de l’efficacité du traitement est purement clinique, et s’attache, en renouvelant le même examen clinique systématique entre chaque EV, à confirmer l’amélioration de l’état neurologique et donc de la perfusion cérébrale, la diminution de la fréquence cardiaque et le rétablissement de l’hémodynamique périphérique. ■ Cet examen clinique répété vise aussi à rechercher systématiquement l’absence de survenue d’une défaillance cardiaque congestive associant galop, râles crépitants, et hépatomégalie, qui modifierait alors radicalement la conduite diagnostique et thérapeutique. ■ Après la réalisation de trois EV, correspondant à une augmentation théorique de la pression veineuse centrale aux alentours de 10 à 12 mmHg, on visera à maintenir une pression de perfusion adéquate, définie par une pression artérielle moyenne théorique pour chaque tranche d’âge, éventuellement à l’aide d’amines vasopressives perfusées sur VVP ou VIO. ■ Le transport médicalisé vers une unité de réanimation pédiatrique (URP), que ce soit durant ou après cette phase de réanimation initiale, est une période critique qu’il faut savoir anticiper par une collaboration étroite entre les médecins urgentistes, transporteurs et réanimateurs. ■ Les six heures suivantes en URP viseront à la réduction de la consommation inappropriée d’oxygène par : i) la mise en place d’une assistance ventilatoire, ii) la réévaluation clinique mais surtout paraclinique systématique de l’état hémodynamique par la réalisation d’une échocardiographie transthoracique, iii) la mise en condition technique afin d’assurer la perfusion continue des amines vasopressives et de surveiller régulièrement la réduction de l’hyperlactatémie et l’amélioration des principales dysfonctions d’organes. 1. Introduction La mortalité des états septiques de l’enfant a nettement diminué dans les pays à hauts revenus depuis la fin de la seconde guerre mondiale (1). Elle semble diminuer aussi dans les pays en développement (2, 3). Néanmoins, les formes graves de sepsis de l’enfant et particulièrement du choc septique restent aujourd’hui grevées d’une mortalité allant de 5 à 20 % d’après les études les plus récentes (4-9), directement dépendante du micro-organisme en cause (1, 10), de la susceptibilité individuelle du patient (11-13) mais surtout de la précocité de la mise en route d’un traitement efficace (14, 15). La campagne « Survivre au Sepsis » se propose depuis plusieurs années de réduire la mortalité des formes graves de sepsis tant de l’adulte que de l’enfant à travers le monde, chaque pays devant adapter les grands principes de la conduite thérapeutique proposée à sa situation épidémiologique, économique et sanitaire. Nous résumons ici, à la lumière des publications pédiatriques récentes, ses grands principes revus en 2013 2 ■ FIÈVRE CHEZ L’ENFANT
par un comité international d’experts (16). Ceux-ci sont fondés sur une mise en condition rapide et un examen clinique systématique, une reconnaissance précoce et une évaluation précise de la situation initiale, la pose urgente d’une voie d’abord, la réalisation d’une antibiothérapie parentérale et de plusieurs expansions volumiques (EV) suivant des critères précis de surveillance, puis le recours aux amines vasopressives avant un transfert en unité de réanimation pédiatrique (URP) où les pédiatres-réanimateurs poursuivront cette approche systématisée. 2. Mise en condition et premier examen clinique Pour remplir ces objectifs à la fois de qualité et de rapidité du premier examen clinique, l’installation du patient est fondamentale. Celle-ci doit être pratiquée par une autre personne que le médecin afin qu’il puisse se consacrer entièrement à l’examen clinique de l’enfant. L’organisation du personnel intervenant auprès du patient tend ainsi à se rapprocher de celle recommandée pour la prise en charge initiale d’un polytraumatisé, avec des rôles précis dévolus à chacun, et un médecin référent « chef d’orchestre ». Tout patient pédiatrique suspect d'état infectieux sévère est examiné entièrement dénudé quel que soit l’âge, tout en veillant à respecter son intimité. Le patient doit être scopé pour mesurer de manière continue la fréquence cardiaque (FC), la fréquence respiratoire (FR), la saturation transcutanée en oxygène (SpO2TC) et la pression artérielle (PA) avec un brassard adapté à la taille de l’avant-bras, en se méfiant des nourrissons « potelés » et des enfants obèses. On prendra sa température. On mettra en place systématiquement une oxygénothérapie au masque à haute concentration, quelle que soit la SpO2TC qui très souvent n’est pas recueillie compte tenu du mauvais signal pléthysmographique liée à la grande vasoconstriction. On posera une poche de recueil des urines quel que soit l’âge du patient afin d’évaluer la diurèse. L’examen doit s’attacher à vérifier au plus vite l’absence de tâches purpuriques pouvant faire craindre la survenue d’un purpura fulminans (PF), forme extrêmement sévère et très rapidement évolutive de sepsis, essentiellement liée à Neisseria meningitidis. Puis l’examen clinique suit le plan de toute situation d’urgence : liberté des voies aériennes, état ventilatoire (FR, murmure vésiculaire clair et symétrique, ampliation thoracique), état circulatoire (FC, pouls périphériques et centraux, temps de recoloration cutanée (TRC), diurèse, PA), état neurologique (score de Glasgow adapté à l’âge, recherche de signes méningés, d’hypertension intracrânienne, ou de localisation), état abdominal (respiration, défense, douleur). On vérifiera systématiquement la glycémie et la calcémie ionisée. Une hypoglycémie peut aggraver franchement le pronostic neurologique d’un nourrisson en état de choc septique. LES FORMES GRAVES DU SEPSIS DE L’ENFANT 3
3. Reconnaissance, confirmation, évaluation initiale Si un état de choc a été évoqué, ce diagnostic est vrai jusqu’à preuve du contraire, c’est-à-dire jusqu’à être totalement réfuté par le médecin prenant en charge le patient. Tout doit donc être fait, de manière protocolaire et systématique pour confirmer le diagnostic et évaluer l’état initial du patient. Dans un contexte d’altération de l’état général avec hypo ou hyperthermie, la présentation clinique la plus fréquente d’un état septique sévère du nourrisson est celle d’un « choc froid » avec résistances vasculaires périphériques augmentées, c'est-à-dire un profil hémodynamique hypokinétique associant tachycardie, extrémités froides, avec gradient entre températures périphérique et centrale, pouls périphériques mal perçus, allongement très prononcé du TRC, différentiel tensionnel systolo-diastolique pincé et anurie. La pression artérielle est longtemps conservée (17) et n’est pas un élément diagnostique nécessaire à ce stade. Par contre, l’hypoperfusion cérébrale fait systématiquement partie du tableau et survient bien avant l’hypotension artérielle. Son expression clinique, variable selon l’âge, doit être parfaitement connue (conscience fluctuante, stupeur, coma, agitation, agressivité). C’est typiquement la présentation : i) du PF, ii) des infections néonatales tardives à Streptococcus agalactiae du groupe B et Escherichia coli, d’évolution là aussi très souvent fulminantes. Cette présentation clinique est totalement superposable à celle d’un état de choc purement hypovolémique, comme lors d’une diarrhée à Rotavirus, d’un état de choc cardiogénique à la phase initiale non encore congestive car hypovolémique, ou même d’un état de choc hémorragique comme lors d’une hémolyse aiguë chez un enfant drépanocytaire par exemple (on examinera systématiquement les conjonctives afin de suspecter une anémie profonde). Il sera donc parfois difficile de différencier formellement ces quatre états à leur phase initiale. Le traitement de l’état de choc sera donc démarré au plus vite en le considérant comme un choc septique, le diagnostic sera secondairement corrigé en fonction de la réponse au traitement et des nouveaux paramètres de l’anamnèse, obtenus typiquement en ré-interrogeant les parents. Depuis plusieurs années, il semblerait que l’on assiste à une augmentation de l’incidence des chocs toxiniques chez l’enfant et l’adolescent, essentiellement à Staphylococcus aureus ou Streptococcus pyogenes β-hémolytique du groupe A (18). La présentation est là en miroir de la précédente, avec un profil hémodynamique hyperkinétique (19) : extrémités chaudes, érythrose diffuse, TRC immédiat, pression artérielle diastolique effondrée avec élargissement de la différence systolo-diastolique, pouls périphériques trop bien perçus. La composante hypovolémique est très souvent importante en raison de vomissements et de diarrhées fréquents et abondants dans les heures précédant l’admission. Quelle que soit la nature de l’état de choc, l’examen clinique initial, en plus de confirmer le diagnostic, voire de suspecter la nature septique de celui-ci, s’attachera à enregistrer très précisément l’état du patient à la prise en charge. Cet examen initial servira de référence tout au long du traitement afin d’affirmer l’amélioration ou la détérioration de l’état du patient. 4 ■ FIÈVRE CHEZ L’ENFANT
Tableau 1 – Proposition de conduite thérapeutique durant les six premières heures suivant la suspicion d’un état de choc septique de l’enfant, d’après les dernières recommandations de la SRLF [25] et de la campagne « Survivre au Sepsis » [16]. M : minute ; AEG : altération de l’état général ; Strepto B : Streptococcus agalactiae du groupe B ; E.coli : Escherichia coli ; Pneumo : Streptococcus pneumoniae ; MHC : masque à haute concentration en oxygène ; FC : fréquence cardiaque ; FR : fréquence respiratoire ; PA : pression artérielle ; PF : purpura fulminans ; Méningo : Neisseria meningitidis ; TRC : temps de recoloration cutanée ; VVP : voie veineuse périphérique ; VIO : voie intraosseuse ; KTC : cathéter veineux central ; EV : expansion volumique ; Strepto A : Streptococcus pyogenes du groupe A ; Staph : Staphylococcus aureus ; IC : insuffisance cardiaque ; HM : hépatomégalie ; CAT : conduite à tenir ; KTA : cathéter artériel ; SU : sonde urinaire ; a métabolique : acidose métabolique ; BH : balance hydrique ; IRA : insuffisance rénale aiguë ; CIVD : coagulation intravasculaire disséminée. Chronomètre Phases Points-clés Pièges idéal de la conduite du traitement les plus thérapeutique fréquents 1 M0 - M2 Suspicion AEG avec hyper ou hypothermie – Nourrissons < 3 Contexte évocateur d’infection mois (Strepto B, E. sévère – Patient à risque coli) – Méningite (Pneumo) 2 M2 - M5 Mise Décubitus dorsal – O2 au MHC – Tâches purpuriques en condition Déshabillage complet - Scope (FC, du PF (Méningo) FR, PA, SpO2TC) – Glycémie capillaire – Recueil urinaire 3 M5 - M8 Confirmation Hyper ou hypothermie – Tachycardie Choc toxinique – Troubles de conscience TRC ou « choc chaud » allongé – Pouls mal perçus – Anurie (Strepto A, Staph) – HypoPA secondaire 4 M8 - M15 Pose d’une voie VVP de bon calibre – Retard à la pose d’abord VIO prétibiale (+++) – de la VIO KTC déjà en place 5 M15 - M45 Expansion 20 ml/kg de sérum physiologique le IC congestive volumique plus vite possible. Réévaluation (galop, HM, et réévaluation systématique entre chaque EV crépitants) 6 M30 Antibiothérapie Bithérapie intraveineuse, Désescalade selon probabiliste, bactéricide, synergique, bactériologie à H48 selon âge, point d’appel, antécédents 7 M45 Amines Noradrénaline sur VVP ou VIO après Pas de KTC = vasopressives 3 EV avec objectif tensionnel précis pas d’amine et réévaluation pour l’âge – Réévaluation par 5 HypoPA persistante minutes 8 M60 Transfert Communication paramédicale HypoPA persistante médicalisé et médicale entre urgentistes, faute de transporteurs et réanimateurs – CAT transmissions précise prédéfinie 9 M90 - M360 Admission et 1) Intubation-ventilation protectrice IC non soins en URP 2) Évaluation hémodynamique diagnostiquée clinique ET échocardiographique Choc septique 3) Mise en condition (KTC, KTA, SU) réfractaire et nursing + monitorage clinico- biologique (lactatémie, a métabolique, BH, IRA, CIVD) LES FORMES GRAVES DU SEPSIS DE L’ENFANT 5
4. Voie d’abord et expansion volumique À la limite prêt d’une étude réalisée en Afrique de l’Est rapportant une surmortalité chez les enfants ayant été remplis (20), l’expansion volumique (EV) demeure à ce jour un point fondamental du traitement d’un état de choc septique du nourrisson et de l’enfant car leur débit cardiaque, composante majeure du transport d’oxygène, est très dépendant de la précharge. C’est d’ailleurs aussi un point majeur de la prise en charge en milieu d’urgence du sepsis grave de l’adulte rapportée dans deux études très récentes (21, 22). « Remplir un patient » sous-entend lui trouver une voie d’abord, qui doit être posée le plus rapidement possible. Là non plus il ne faut pas perdre de temps. La voie d’abord du meilleur calibre possible doit être mise en place en moins de cinq minutes. Le médecin référent veillera rigoureusement au respect de ce délai. Que ce soit pour la facilité de pose ou pour les débits très élevés possibles, la voie intraosseuse (VIO) reste la voie d’abord d’urgence chez le nourrisson et le petit enfant (23), la mise en place de deux voies veineuses périphériques (VVP) comme il est encore fréquemment recommandé étant extrêmement aléatoire dans ce contexte. L’EV sera réalisée préférentiellement en utilisant la technique « pull and push » à l’aide d’une seringue de 50 ou 60 ml (24). On réalisera trois EV successives avec du sérum physiologique (16, 25) de 20ml/kg chacune, sans dépasser 500 ml par EV, soit 20 ml/kg pour un patient de 25 kgs. Cette limite de 500 ml permet de renouveler systématiquement l’examen clinique décrit précédemment avant chaque nouvelle EV avec deux objectifs : i) confirmer la réponse au traitement sur des critères cliniques précis d’amélioration, ii) rechercher l’apparition de signes cliniques d’insuffisance cardiaque (IC) congestive (26, 27). Dès la fin de la seconde EV, on contactera systématiquement une équipe d’URP afin d’envisager conjointement la suite de la conduite thérapeutique (amines vasopressives, organisation du transfert…). 5. Antibiothérapie L’antibiothérapie doit être administrée le plus tôt possible, tout retard aggravant la mortalité de l’état septique sévère de l’enfant comme chez l’adulte (28). La première dose sera intramusculaire dans le PF, intraveineuse ou intraosseuse dans tous les autres cas. C’est au minimum une bi-antibiothérapie, associant un aminoside dans la plupart des cas, probabiliste, bactéricide, synergique, choisie selon l’âge (infection maternofœtale, nourrisson de moins de deux ans), le point d’appel clinique (pulmonaire, cutané, abdominal, méningé, ostéoarticulaire, sur prothèses) et les antécédents du patient (suspicion de portage de bactéries résistantes, neutropénie ou immunodépression). Un protocole interne regroupant les principales situations pédiatriques aidera à une mise en route rapide. La 6 ■ FIÈVRE CHEZ L’ENFANT
désescalade thérapeutique avec réadaptation des doses après récupération des résultats microbiologiques est fondamentale, au maximum à la 48e heure. 6. Réévaluation et confirmation de l’efficacité La réévaluation hémodynamique est un point crucial. Cette évaluation a fait défaut récemment au sein d’une équipe médicale et paramédicale pourtant entraînée à évaluer et réévaluer les enfants en état de choc septique (29). Elle mérite donc une attention permanente toute particulière du médecin référent. L’évaluation hémodynamique est à ce stade purement clinique, sans recours à aucun examen complémentaire. Seule la radiographie thoracique peut permettre d’interpréter l’index cardiothoracique ou de confirmer un épanchement pleural ou une pneumopathie. En renouvelant systématiquement entre chaque EV le même examen clinique que celui réalisé à l’admission, le médecin référent s’attachera à mettre en évidence des signes de bonne réponse au traitement, ou au contraire des signes de dégradation voire d’aggravation. La bonne réponse lors des EV se manifeste successivement par l’amélioration de l’état neurologique et donc de la perfusion cérébrale, par la diminution de la FC et par le rétablissement de l’hémodynamique périphérique. La réascencion voire la normalisation de la PA et la reprise de la diurèse seront secondaires. Il faut aussi systématiquement rechercher une aggravation sous forme d’une IC congestive associant galop, râles crépitants et hépatomégalie (16). C’est le cas par exemple d’une myocardite aiguë virale arrivant aux urgences en hypovolémie modérée apparue progressivement les jours précédant par défaut d’apport (refus des biberons par essoufflement) et augmentation des pertes insensibles (fébricule, vomissements et diarrhée par bas débit mésentérique). Alors que la présentation clinique est celle d’un état de « choc froid » mimant un choc septique, l’EV va très rapidement dégrader la situation et non l’améliorer : agitation, augmentation de la FC, dégradation de la SpO2TC, et signes d’IC congestive. 7. Les amines vasopressives Maintenant que le patient est correctement rempli, c’est-à-dire que sa pression dans l’oreillette droite est en théorie montée aux alentours de 8 à 12 mmHg suite aux trois EV (30), on visera à maintenir une pression de perfusion correcte. Les objectifs tensionnels deviennent alors primordiaux et sont définis selon l’âge en visant une pression artérielle moyenne de 50 mmHg avant l’âge de un mois, 55 mmHg de un à 12 mois, 60 mmHg de 12 à 24 mois, et 65 mmHg au-delà de l’âge de deux ans (16). Il faut aussi tenir compte de la PA habituelle du patient : à l’instar de l’adulte, certains enfants sont hypertendus de manière chronique et vont nécessiter des objectifs tensionnels plus élevés que ceux des LES FORMES GRAVES DU SEPSIS DE L’ENFANT 7
recommandations usuelles pour l’âge. Ce point doit être systématiquement vérifié dans les antécédents. Le recours à la mise en route d’une perfusion continue d’amines vasopressives sur la voie d’abord disponible sera le plus rapide possible, que ce soit une VVP, une VIO ou par défaut un cathéter central déjà en place, et ce malgré le risque potentiel que ce cathéter central soit le point de départ d’une éventuelle bactériémie, compte tenu de la difficulté à mettre en place une voie d’abord en urgence chez un nourrisson en état de choc. La campagne « Survivre au Sepsis » recommande la dopamine en première intention en cas de « choc froid », puis l’adrénaline. La Société de Réanimation de Langue Française recommande la noradrénaline en première intention depuis 2006 que le choc soit « froid » ou « chaud » (24). La majorité des équipes françaises utilise la noradrénaline en première intention. Le point crucial de la conduite thérapeutique est l’augmentation par paliers de trois à cinq minutes du débit de perfusion continue afin d’atteindre les objectifs tensionnels prédéfinis pour l’âge et la situation. En cas de doute sur l’apparition d’une dysfonction myocardique, le médecin référent peut adjoindre une perfusion continue d’inotrope type dobutamine, dans l’attente d’une évaluation hémodynamique paraclinique plus précise à l’arrivée en URP. C’est typiquement une situation que l’on peut discuter avec l’équipe médicale de l’URP avant le transfert. 8. Le transport médicalisé Le transfert d’un enfant en état infectieux sévère nécessite toutes les précautions habituelles du transport d’une situation avec risque vital engagé. Le risque majeur du transport est de perdre de vue les objectifs tensionnels prédéfinis avec les équipes de soins ayant pris en charge le patient initialement et de ne pas adapter les traitements, laissant le patient hypotendu durant plusieurs dizaines de minutes voire plusieurs heures. La communication inter-équipes, médicales et paramédicales, entre urgentistes, transporteurs et réanimateurs est fondamentale pour organiser au mieux cette étape cruciale de la conduite thérapeutique. 9. La suite en réanimation pédiatrique Les grands principes de la poursuite de la conduite thérapeutique en URP durant les six heures suivant l’admission sont: i) discuter l’intubation et la mise en route d’une ventilation assistée d’emblée protectrice, pour diminuer la consommation d’oxygène dont le premier « poste » est la ventilation dans ce contexte, surtout chez le nourrisson de moins de deux ans en raison de ses particularités physiologiques et anatomiques ; ii) réévaluer systématiquement l’état hémodynamique du patient dès l’admission puis toutes les deux heures, en associant à chaque nouvel examen clinique une échocardiographie 8 ■ FIÈVRE CHEZ L’ENFANT
transthoracique (31). Celle-ci permet de confirmer, si le patient demeure hypotendu, l’existence d’une réserve d’EV sur des marqueurs statiques mais surtout dynamiques (32, 33), l’absence d’HTAP survenant facilement en cas de dysoxie dans les deux premiers mois de vie, et enfin l’absence de dysfonction ventriculaire gauche essentiellement systolique qui pourrait bénéficier d’un support inotrope (la dysfonction diastolique est en cours d’évaluation dans ce contexte chez l’enfant (34) ; iii) mettre en place un cathéter veineux central multilumière, un cathéter artériel et une sonde urinaire, afin de surveiller régulièrement la réduction de l’hyperlactatémie (35) et l’amélioration des principales dysfonctions d’organes, tout en débutant une alimentation entérale précoce sur sonde naso-gastrique, une surveillance métabolique, et un nursing infirmier rigoureux dans le but de prévenir au maximum toutes les complications de réanimation (infections liées aux soins sur prothèses, complications de décubitus, inconfort, douleur et anxiété). 10. Conclusion La conduite thérapeutique en cas d’état infectieux sévère du nourrisson et de l’enfant doit débuter dans la minute où le diagnostic est évoqué. Dès confirmation, les premières mesures thérapeutiques doivent être exécutées en une heure. La réévaluation clinique permanente de l’efficacité des traitements entrepris et la parfaite coordination entre les différents intervenants sont les points-clés de cette prise en charge. Ce diagnostic précoce et cette continuité des soins rigoureuse tout au long des six premières heures devraient pouvoir encore faire baisser la mortalité du choc septique à cet âge. Références 1. Carcillo J.A., Tasker R.C. Fluid resuscitation of hypovolemic shock: acute medicine’s great triumph for children. Intensive Care Med 2006 ; 32 : 958-61. 2. Wang Y., Sun B., Yue H., et al. An epidemiologic survey of pediatric sepsis in regional hospitals in China. Pediatr Crit Care Med 2014 ; 15 : 814-20. 3. Jaramillo-Bustamante J.C., Marín-Agudelo A., Fernández-Laverde M., et al. Epidemi- ology of sepsis in pediatric intensive care units: first Colombian multicenter study. Pediatr Crit Care Med 2012 ; 13 : 501-8. 4. Wolfler A., Silvani P., Musicco M., et al. Incidence of and mortality due to sepsis, severe sepsis and septic shock in Italian Pediatric Intensive Care Units: a prospective national survey. Intensive Care Med. 2008 ; 34 : 1690-7. 5. Inwald D.P., Tasker R.C., Peters M.J., et al. Emergency management of children with severe sepsis in the United Kingdom: the results of the Paediatric Intensive Care Society sepsis audit. Arch Dis Child. 2009 ; 94 :348-53. 6. Thompson G.C., Kissoon N. Sepsis in Canadian children: a national analysis using administrative data. Clin Epidemiol 2014 ; 6 : 461-9. LES FORMES GRAVES DU SEPSIS DE L’ENFANT 9
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