CLOS PUY ARNAUD CULTIVER L'HARMONIE
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E N°51
HI VE R 20 22 -2 02
3
CULTIVER L’HARMONIE
CLOS PUY ARNAUD
Ce fut le premier jour du reste de sa vie. Il s’était
jusqu’alors tenu à l’écart des vignes et du vin.
Mais lorsqu’en 2000 cet artiste, musicien accompli,
visite Clos Puy Arnaud, il plonge dans le grand bain
en un quart d’heure. Autodidacte, Thierry Valette
sera l’un des premiers biodynamistes du Bordelais.
Ce qu’il avait su lire ici au premier regard, sur ces
terres calcaires de la Rive droite, se révélera encore
au-dessus de ses espérances, portant haut le potentiel
de l’appellation Castillon-Côtes de Bordeaux.
Rencontre avec un soliste en quête d’harmonie.
PAR LÉA DELPONT PHOTOS OLIVIER ROUX
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BORDEAUX CLOS PUY ARNAUD
I
l aurait pu être danseur, vendeur de voitures ou saxo- Thierry Valette dansait avec Alwin Nikolais, le mentor de
phoniste. Thierry Valette est vigneron, il conduit des Carolyn Carlson, au Centre chorégraphique national d’Angers
tracteurs et fait valser les bouteilles à Belvès-de-Cas- quand le décès de son père, en 1979, le ramène à Paris. À 24 ans,
tillon. L’appellation Castillon-Côtes de Bordeaux vit l’artiste se retrouve dans le fauteuil d’un concessionnaire Peu-
à l’ombre de Saint-Émilion. Mais pas son Clos Puy geot, rue de Lyon, au volant de trois garages et 200 salariés.
Arnaud qui prend la lumière comme un soliste, au Cette route n’est pas la sienne. Il vend l’entreprise familiale en
firmament des domaines certifiés en biodynamie. 1982 pour s’installer dans un sous-sol rue de Tolbiac : il crée
Il était le 4e cru bordelais à rejoindre Biodyvin en 2010. Et et anime pendant sept ans l’association Les Notes Bleues, un
le 27 adhérent de l’association d’Olivier Humbrecht, Michel
e club de jazz-studio d’enregistrement dont il est « président et
Chapoutier, Anne-Claude Leflaive,
Alphonse Mellot ou Noël Pinguet. « Le
contact avec ces immenses vignerons, Castillon-Côtes de Bordeaux vit encore à l’ombre
bienveillants et encourageants, a changé
le destin de Puy Arnaud », estime avec
de Saint-Émilion. Mais pas Clos Puy Arnaud, au
le recul le sexagénaire au regard bleu, firmament des domaines certifiés en biodynamie.
un grand homme mince tout en bras et
jambes. Il vit entouré de livres, de
disques, entre son piano et ses cuves. Sa scène : 15 hectares femme de ménage ». Dans la succession, le saxophoniste est
d’argiles fines sur les calcaires à astéries du plateau de Saint- propulsé cogérant du Château Pavie à Saint-Émilion, acheté
Émilion. Ses coulisses : une bâtisse longue et basse aux volets par son grand-père pendant la guerre – l’une des 7 propriétés
lie-de-vin. Sa musique : la liberté du jazz. Sa troupe : des merlots acquises par Alexandre Valette dans le Bordelais dans les années
(70 %), des cabernets francs (25 %), des cabernets sauvignons 1940. Le jazzman passe les années 1980 entouré de musiciens
(5 %) conduits avec la foi de l’harmonie entre l’homme et la mais se rend régulièrement à Pavie pour les réunions. En 1988,
nature. Une confiance moins païenne que tournée vers l’inno- il donne un coup de main aux vendanges. Juché sur un tracteur
vation, pour « défendre une nouvelle vision pour les bordeaux rempli de corbeilles de raisins, il entend la petite chanson de
du XXIe siècle ». la vigne. Il sent le blues monter en lui, l’appel d’une autre vie.
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En 1989, il quitte Paris, s’installe à Bordeaux, se forme au lycée la blancheur de la roche qui affleure entre les rangs nus. Au
professionnel de La Tour Blanche et à l’Enita, l’école d’ingénieurs nord, vers Castillon et plus encore Francs, le plateau calcaire
des travaux agricoles. Il effectue ses premières vinifications à s’épaissit sous une couche d’argile. Mais Puy Arnaud, qu’on
Bergerac, puis dans les Corbières, revient dans la région comme pourrait traduire par « nid d’aigle », se situe sur le versant maigre,
ouvrier agricole en 1993 à Pavie Macquin chez Maryse Barre, juché au-dessus de la vallée de la Dordogne à l’est de Saint-
déjà en biodynamie. « Ça inquiétait les gens, ils s’imaginaient Émilion. Sur des calcaires à astéries similaires au cœur de la
qu’on clouait des chouettes sur les portes », sourit-il. Dans les colline aux mille châteaux. « J’ai pris ma décision en un quart
vignes, il taille au coude à coude avec un jeune maître de chai d’heure, en tentant de dissimuler mon excitation. J’ai beaucoup
polyvalent, Stéphane Derenoncourt. douté, dans ma vie, mais pas ce jour-là. »
Mais le néovigneron ne se sent pas
encore mûr. La musique l’appelle
encore une fois. Entre 1994 et 2000, il L’outsider a construit son style progressivement.
reprend son saxo, enregistre deux
disques. C’est la vente de Château
Il a commencé par déboiser les vins, est allé
Pavie en 1998 qui fait tout basculer. Il chercher la sève, la vie, sous l’écorce.
a désormais les moyens d’acheter son
propre domaine. Mais que faire lorsque
l’on a pris goût à un premier grand cru classé de Saint-Émilion ? Le nouveau propriétaire rappelle son ami et voisin du domaine
S’éloigner du grand chêne semble la solution la plus sensée. Il de l’A, Stéphane Derenoncourt, qui l’accompagnera durant
regarde Madiran, Pacherenc, même l’Espagne… mais un coup trois ans. En 2003, il rencontre Anne Calderoni, œnologue spé-
de téléphone du notaire, en janvier 2000, l’invite à venir voir cialisée en biodynamie qui sera sa compagne jusqu’en 2016.
« un beau terroir » sur le plateau dont il a tenté de s’extraire. « J’étais déjà sur la pente bio, sans certification – il y a vingt
Comme pour tous les endroits qu’il a étudiés depuis deux ans, ans, on ne subissait pas encore la pression des consommateurs
il se plonge dans la carte IGN, le doigt sur les courbes de niveau. sur les labels. Mais Le Cours aux agriculteurs de Rudolf Steiner
Nicolas Legrand,
Ce qu’il lit entre les lignes serrées lui fait battre le cœur. Il visite me semblait bien ésotérique. » Sa complice à la vie et la vigne maître de chai
et maître de culture
Clos Puy Arnaud sous un soleil hivernal, presque aveuglé par lui demande un dynamiseur et un pulvérisateur, rien de plus, assisté par Léa Chiron.
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en disant : « Je m’occupe de tout. » À l’époque, le domaine ne sont désormais élevés en jarres de terre cuite toscanes. À la
faisait que 7 hectares. Depuis lors, Thierry Valette a acheté vigne, la 500, la 501 et le compost Maria Thun, les indispen-
27 hectares en vingt-deux ans. La moitié de bois. Et une parcelle sables de la biodynamie, ont fait leur œuvre. Thierry élabore
qui porte quelques chênes truffiers. « Le luxe de l’espace… » lui-même ces préparats dans son « quartier des simples », un
Il a « vu l’état des sols s’améliorer et le pH des raisins s’abais- ancien chai transformé en tisanerie. Grâce à la corne de bouse
ser ». Convaincu du bénéfice des tisanes et de ces mystérieuses (la 500) qui agit sur le sol, l’argile revigorée, constellée de
préparations de bouse et de silice enterrées dans des cornes de pépites calcaires, a retrouvé son éclat orangé. À force de soins
vache au solstice, il régularise sa conversion en bio puis en bio- et de labours délicats, la terre a repris une texture grumeleuse,
dynamie. « Côtoyer les gens de Biodyvin, mais aussi les grands un crumble chocolaté limono-sableux qui coule entre les doigts
vignerons de Renaissance des Appel-
lations, Lalou Bize-Leroy, François
Chidaine, André Tissot, m’a décom- Dans le chai, où un petit Bouddha a supplanté
plexé par rapport à la puissante hié-
rarchie bordelaise, particulièrement
le dieu Bacchus, un quart des volumes sont
écrasante dans une appellation comme désormais élevés en jarres de terre cuite toscanes.
Castillon, passée à côté des classe-
ments et de la reconnaissance. Ici, il
faut se mettre dans une école. La biodynamie, c’est l’école de en laissant sur les mains une odeur d’infusion. La 501 ou corne
la diversité. Et, en étant atypique, j’ai échappé aussi au piège de silice parle au végétal, souple et vigoureux. Même durant la
du Bordeaux bashing. » canicule de l’été 2022, les ceps profondément ancrés dans des
L’outsider a construit son style progressivement. Il a com- sols vivants ont trouvé la force de propulser vers le ciel leur
mencé par déboiser les vins, raccourcissant les élevages et rem- ramure aérienne. Thierry n’a pas hésité à tordre les principes
plaçant la barrique bordelaise par le fût bourguignon à la chauffe de Rudolf Steiner qui préconise de passer la 500 l’hiver : « J’en
légère. Il est allé chercher la sève, la vie, sous l’écorce. Dans le ai mis tout l’été à la moindre pluie pour capter la fraîcheur. Ce
chai, où un petit Bouddha a supplanté le dieu Bacchus, les pre- n’était pas le moment de pulvériser de la silice et d’ajouter la
mières amphores sont apparues en 2018. Un quart des volumes chaleur à la chaleur », estime-t-il.
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Les années défilent et l’acidité des raisins augmente. Les baies nés les uns après les autres par la maladie. Malheureusement,
sont moins alcooleuses et plus résistantes à l’oxydation. Les toutes les boutures ont échoué. Il donne son nom au second
vins moins sulfités. Et tant pis pour la cuvée Bistrot, retoquée vin. Le 2020 diffuse un subtil parfum de rose et de pivoine.
successivement en Côtes de Castillon, Bordeaux Supérieur et Malgré le millésime chaud, il est tout en pureté et fraîcheur,
Bordeaux. Systématiquement stigmatisée pour « défauts préservées par un élevage sans bois, en amphores et cuves
mineurs », elle a descendu tous les barreaux du classement ciment. Après quelques moulinets de poignet, la pulpe du fruit
jusqu’au Vin de France, où ces 3 000 bouteilles revendiquent remonte dans le verre et vient câliner les papilles, s’évanouissant
leur esprit « gamay primeur ». De cabernet franc (et un tiers dans une caresse mentholée. Le Grand Vin 2019 assume sa
de merlot) vinifié à la beaujolaise, en semi-carbonique. Pas de famille avec des notes boisées, sans excès, juste ce qu’il faut
bois, juste du fruit, avec une pointe de
rugosité tannique. Un plaisir précoce
qui se déguste sur un camembert à Puy Arnaud, qu’on pourrait traduire par
l’époque des premières fraises. Les
autres vins en appellation Castillon,
« nid d’aigle », est posé sur des calcaires à astéries
l’entrée de gamme Pervenche, le second similaires au cœur de la colline aux mille châteaux.
couteau Les Ormeaux et le Grand Vin
sont plus bordelais dans l’âme et dans
leur assemblage majoritairement merloté. Mais ils ne veulent pour arrondir des tanins élégants. La puissance des fruits noirs
pas être oubliés à la cave. Ils arborent, telle une marque de nais- est vibration, élévation. Le cabernet franc si délicat sur les cal-
sance indélébile, une tonalité juvénile. « Ce n’est pas le résultat caires déploie sa corolle florale. Et bien que robuste, le Grand
de ma seule volonté : c’est l’expression du lieu, solaire et joyeux », Vin cligne de l’œil avec gourmandise. « On pourrait le siffler
affirme son propriétaire. sans l’attendre », glisse Thierry Valette.
De bonnes ondes traversent le domaine. Comment expliquer À mesure que les récentes plantations entrent en production
sinon la survivance d’un orme magnifique, géant bicentenaire – des sélections massales de Lilian Bérillon, réalisées in situ –,
aux branches arachnéennes, devant la porte de Puy Arnaud ? les cabernets franc et sauvignon augmentent dans l’assemblage.
Cet arbre comme on n’en voit plus défie ses congénères condam- Le vigneron y croit beaucoup, comme à la touche poivrée du
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malbec. Sans oublier qu’ici, il s’appelle pressac, « le nom d’un la recherche en « biophotonique », comme vecteur de commu-
grand cru classé de Saint-Émilion, preuve qu’il a dû y en avoir nication entre les cellules, pour échanger des informations.
pas mal autrefois ». Il fait aussi des essais avec le mancin, un Enerlab étudie les biophotons dans le vin en comparant l’effet
vieux cépage local. D’après le Guide Féret de 1874, il en était des différentes pratiques – conventionnelles, biologiques, bio-
planté 20 % dans le secteur de Belvès. Dans ce même ouvrage, dynamiques, nature – sur l’intensité de l’énergie vitale encore
le mage de Puy Arnaud a découvert à l’occasion d’une réédition présente dans la bouteille. Sur 3 000 vins analysés, souvent à
que son domaine, gratifié d’une notule fort aimable (« un vin la demande de grands châteaux qui préfèrent rester confidentiels,
des plus recherchés de la contrée »), jouissait à la fin du XIXe siècle les 600 premiers sont bio, biodynamiques ou nature. Et Puy
du statut de premier cru. Et que les régions de Castillon et Arnaud ? Le Grand Vin est troisième. De la même manière que
Francs faisaient partie du « Grand
Saint-Émilionnais » au même titre que
les satellites de la prestigieuse appella- « Côtoyer les gens de Biodyvin et les vignerons de
tion et que Pomerol. Thierry Valette ne
s’explique pas la chute de Castillon tout
Renaissance des Appellations m’a décomplexé
au long du XXe siècle, évincé des crus par rapport à l’écrasante hiérarchie bordelaise. »
bourgeois dans les années 1930, puis
du classement en 1955. « Castillon est
un terroir d’avenir, le dernier avec des surfaces calcaires impor- le Castillonnais s’est ouvert à la biodynamie, puis à l’invisible
tantes », assure son meilleur ambassadeur, déjà entouré de forts avec « la lumière interne des plantes », il s’intéresse aussi à la
beaux domaines au sein du club Castillon Caractères, dont cer- bioénergie. Armé d’une baguette de sourcier, il a « activé » des
tains ont percé le plafond de verre. pierres levées dans ses parcelles en les « reliant » à un grand
L’avenir, pour lui, c’est aussi le travail d’Olivier Salières au menhir de 9 tonnes transpercé par le soleil aux équinoxes, placé
laboratoire Enerlab sur les biophotons. La découverte de ces par un géobiologue. Ésotérisme farfelu ? Le vigneron sourit en
faibles émissions de lumière ultraviolette par tous les systèmes embrassant le paysage d’un grand geste de bras. « Je pense que
vivants a plus d’un siècle. Dans les grandes universités du l’on aura bientôt des explications scientifiques à tout cela. Par
monde, des physiciens et médecins de renom ont approfondi la physique quantique. » /
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