COLLOQUE INTERNATIONAL - DE L'EAU AGRICOLE EN MEDITERRANEE : QUELS ENJEUX POUR QUELS SERVICES ?
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COLLOQUE INTERNATIONAL USAGES ECOLOGIQUES, ECONOMIQUES ET SOCIAUX DE L’EAU AGRICOLE EN MEDITERRANEE : QUELS ENJEUX POUR QUELS SERVICES ? UNIVERSITE DE PROVENCE, MARSEILLE, 20-21 JANVIER 2011 1 La gestion de l’eau souterraine de la Crau : enjeu territorial ? Atelier N°1 : De l’irrigation à la gestion durable de l’eau Elsa Martin1 1 AgroSup Dijon - CESAER, France, elsa.martin@dijon.inra.fr Introduction La plaine de la Crau est située en France, dans la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) et plus précisément dans le département des Bouches-du-Rhône (13). Elle forme un triangle compris entre les communes d’Arles, de Salon-de-Provence et de Fos-sur-mer. Elle domine une nappe d’eau superficielle d’environ 54 000 ha : la nappe de la Crau, dont deux- tiers des entrées proviennent des irrigations gravitaires des producteurs de foin de la zone (BRGM, 1995 ; ANTEA, 2001). Larcena (1995) a étudié de manière minutieuse les paysages de la région de la Crau ainsi que leur évolution. Elle s’est appuyée sur des images satellites datant de 1975 et de 1994 ainsi que sur une approche par les paysages pour arriver à la conclusion selon laquelle "trois types d’occupation du sol se sont particulièrement développés depuis 1975 et contribuent fortement à la mutation des paysages : les vergers, les serres, l’urbanisation." Cette tendance s’est accentuée dans les années récente et s’est faite au détriment de la culture du foin de Crau, comme tend à le montrer les chiffres d’occupation agricole du sol de la base de données COSNA de la chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône. Il en a résulté une pression accrue sur la ressource en eau souterraine et un approvisionnement moindre. Le CFC (2004) estime le coût de production du foin de Crau à 1 418 €/ha pour des revenus totaux (sans tenir compte des aides) de 1 483 €/ha. Protéger la production de foin de Crau suffirait-elle à protéger l’eau souterraine de la zone ? Certainement pas et pour deux raisons. Tout d’abord, pour ce qui est des entrées de la nappe, ce n’est pas uniquement la production de foin qui bénéficie au bilan quantitatif de la nappe mais l’ensemble des aménagements hydrauliques de la zone, comme en témoigne l’esquisse de répartition des eaux prélevées dans le canal EDF en Crau réalisée par la Société du Canal de Provence (SCP, 1993) qui fait état de 30% de retour à la nappe par les canaux en terre et les champs. Ensuite, en ce qui concerne les prélèvements en eau souterraine, leur caractère gratuit conduit à une situation de surexploitation, bien connue des économistes de l’environnement qui proposent un ensemble d’instruments correctifs (voir Martin, 2008 pour plus de détails appliqués à l’eau souterraine). Les producteurs de foin ne sont donc pas les seuls à être au centre des problèmes d’eau souterraine rencontrés sur la zone de la Crau. 1 Ce travail est issu de ma thèse doctorat financée par le Conseil Régional PACA. Il a été enrichi par un partenariat avec la Société du Canal de Provence et d’aménagement de la région provençale et par de nombreux échanges avec un certains nombre d’acteurs locaux. Je remercie ces structures ainsi que ces acteurs. Les erreurs restent les miennes. 1
Il n’en demeure pas moins que cette formation géologique fait l’objet de toutes les attentions dans la mesure où elle constitue le principal réservoir d’eau de qualité d’une région aride. Il s’agit donc pour l’économiste de l’environnement de proposer une politique de gestion de la ressource dite optimale, c’est-à-dire qui rend le bien-être économique de la société d’intérêt le plus élevé possible. Cette définition de l’optimalité, pour une situation aussi particulière que celle de la Crau, nous semble avoir comme préalable la prise en compte des spécificités territoriales de la zone et ainsi la définition du territoire sur lequel cette politique devra être mise en œuvre. Mais comme expliqué par Moquay (2009), les territoires n’existent pas a priori et proviennent d’une organisation particulière. Le territoire pertinent pour la définition d’une politique optimale de gestion de l’eau souterraine de la Crau ne peut donc pas résulter d’une construction purement théorique ; il doit ressortir d’analyses minutieuses des constructions socio-économiques et politiques réellement rencontrées sur la zone. Nous proposons dans ce travail de nous concentrer sur les territoires économiques de la Crau qui engloberont ce que nous appellerons les territoires d’agents et les territoires institutionnels. Les premiers se distinguent des seconds dans la mesure où ils constituent des constructions socio-économiques alors que les territoires institutionnels résultent plus de constructions politiques. La création récente du SYMCRAU (SYndicat Mixte d’étude et de gestion de la nappe de CRAU), ajoutée à une analyse de la situation cravenne du point de vue de l’économie de l’environnement, nous permettra finalement d’identifier un territoire pertinent pour la définition d’une politique optimale de gestion de l’eau souterraine de la zone. Nous allons commencer par présenter la plaine de la Crau en mettant en évidence les enjeux liés à la nappe d’eau souterraine. Nous présenterons ensuite les territoires économiques de la Crau que nous avons identifiés pour finalement proposer un territoire pertinent pour la définition d’une politique optimale de gestion de l’eau souterraine de la zone. I. La plaine de la Crau Nous allons commencer par présenter la plaine de la Crau au travers d’une analyse historique qui mettra en perspective les enjeux liés à la nappe d’eau souterraine qui nous intéresse. Après avoir mis en évidence l’importance des aménagements hydrauliques du XVIème siècle lorsqu’il s’agit d’expliquer la présence actuelle d’une diversité originale de paysages, nous reviendrons sur l’histoire des usages de l’eau et du sol de la Crau. I.1 Une steppe désertique gorgée d’eau… A l’origine, la plaine de la Crau est le delta sec fossile de la Durance, constitué de cailloutis perméables. Cette perméabilité a permis la formation de l’aquifère de la Crau ; elle est à l’origine de l’absence de réseau hydrographique naturel. Tout au long du néolithique et jusqu’au XVIème siècle, la steppe désertique servait essentiellement de parcours aux troupeaux. Au XVIème siècle, un ingénieur hydraulicien provençal réputé, Adam de Craponne, amène l’eau de Durance dans la zone en lançant un vaste projet d’aménagements hydrauliques. L’idée de départ est d’éliminer les importantes famines dont la Provence est alors victime. La force motrice de l’eau est à l’époque utilisée par les moulins à farine mais aussi par des moulins "usiniers" comme les moulins à soie. Les paysans utilisaient l’eau ayant turbiné pour ensuite la remettre dans le réseau (essentiellement pour la culture des céréales et pour le foin de leur élevage). L’irrigation traditionnelle, dite gravitaire, devient alors possible sur la zone 2
de la Crau ; elle consiste à submerger les cultures pendant plusieurs heures. Elle peut s’effectuer de deux manières : • au calant2 : les eaux sont apportées à la partie la plus élevée de la parcelle par une filiole3 dérivée d’un canal de transport ; • à la raie : grâce à la fermeture d’une martelière4, l’eau déborde de la filiole pour être ensuite canalisée dans des sillons entre les plants. Les limons, déposés par ces eaux de Durance qui en sont fortement chargées, créent peu à peu un sol alluvionnaire filtrant, riche en minéraux et en oligo-éléments, sur lequel poussent les prairies de Crau, nécessaires au développement de l’élevage. Des paysages d’huerta font alors leur apparition sur la steppe originelle et la qualité de l’eau de la formation hydrogéologique existante en est améliorée. A la fin du XIXème siècle, une extension des aménagements hydrauliques autorise un développement important de la production de foin de Crau. Cette culture est à l’époque et reste de nos jours irriguée par gravité, au calant. Les études réalisées au Domaine expérimental du Merle, à Salon-de-Provence, montrent que la plante utilise moins de la moitié du volume d’eau apportée. Le reste est drainé dans des canaux et/ou percole à la nappe. I.2 …génératrices d’une diversité de paysages exceptionnelle La spécificité environnementale de cette zone géographique résulte de l’histoire de ses aménagements hydrauliques. Elle s’illustre par la diversité des paysages que l’on peut y rencontrer. Trois types de Crau sont généralement distingués sur la surface surplombant l’aquifère : • la "Crau humide", constituée par les étangs et marais (les exutoires de la nappe) et essentiellement présente en bordure extérieure Ouest de la nappe (qui s’écoule d’Est en Ouest) ; • la "Crau sèche", communément désignée sous l’appellation "coussoul" est constituée par la steppe herbacée ; • la "Crau centrale", constituée par les prairies vertes de foin de Crau irriguées de façon traditionnelle (irrigation gravitaire) à partir du réseau hydraulique de surface. Il faut également noter que le développement économique de la zone tout au long du XXème siècle, sur lequel nous reviendrons dans la section I.3, s’est accompagné d’une urbanisation massive qui est venue parsemer les trois types de paysages que nous venons de définir. I.3 L’histoire des usages de l’eau et du sol dans la Crau La première moitié du XXème siècle est marquée par le développement d’activités militaires avec, par exemple, la base aérienne d’Istres, les dépôts de munitions et les champs de tir. La décharge à ciel ouvert d’ordures ménagères de la ville de Marseille ainsi que la construction d’entrepôts de dynamite voient également le jour à cette époque. Autant de facteurs qui constituent des risques importants de pollution accidentelle de la nappe de la Crau. En outre, la construction du barrage de Serre-Ponçon, ayant initialement un double objectif énergétique (production d’électricité le long du canal EDF) et agricole, a entraîné une plus grande régularité des irrigations ainsi qu’une réduction des apports limoneux sur la zone de la Crau. En 1960, sa mise en service favorise le développement du maraîchage sur les coussouls, particulièrement celui de la production de melons. Dans la zone de la Crau, ce type de cultures possède alors les caractéristiques de passer par l’utilisation d’une eau faiblement chargée en limons, et de nombreux intrants (engrais et traitements). Elles sont plus particulièrement arrosées à partir d’eau souterraine qui permet d’éviter le colmatage du 2 Calant : bande de terrain rectangulaire dont l’axe longitudinal est implanté selon la ligne de plus grande pente. 3 Filiole : canal secondaire, en terre. 4 Martelière : vanne à commande manuelle permettant de déclencher l’irrigation d’une parcelle. 3
matériel d’irrigation. Il en résulte que d’un côté, de nombreux forages sont mis en service et de l’autre, les sols fragiles sont épuisés. Ces derniers n’étant plus en mesure d’assurer leur rôle de filtre, des polluants agricoles s’infiltrent dans la nappe et polluent l’eau qu’elle contient. Ce phénomène est aggravé par le fait que le niveau de la nappe diminue, ce qui réduit d’autant la dilution des polluants qui s’y infiltrent. Dans les années 1960-1970, la Zone Industrialo-Portuaire (ZIP) de Fos-sur-Mer est créée. Elle occasionne une imperméabilisation des sols ainsi que l’exploitation de carrières dans la "Crau centrale". Ces dernières permettent d’assécher la zone Sud du pourtour de l’étang de Berre, autrefois marécageuse, à l’aide des matériaux alluvionnaires qui y sont extraits. Elles représentent cependant aujourd’hui encore un risque de pollution important pour la nappe de la Crau dans la mesure où le sol n’y joue plus son rôle de filtre. De nombreuses industries pétrochimiques, gourmandes en eau souterraine, s’installent alors sur la ZIP. La pression sur la ressource en eau souterraine est donc accrue sans que des retours à la nappe ne soient pour autant autorisés par infiltration/percolation comme dans le cas de l’irrigation, car ces activités occasionnent une imperméabilisation des sols. En outre, la ZIP est implantée dans une zone côtière où eau souterraine douce et eau salée ne se mélangent pas, grâce à la présence d’un biseau salé. La localisation de ces nouveaux prélèvements augmente pourtant le risque de remontée de ce biseau salé et, par la suite, de salinisation de l’eau souterraine et, à terme, des terres surplombant l’aquifère. En lien avec cette forte croissance industrielle, les années 1970-1980 ont été marquées par une forte extension périurbaine, ainsi que par un déploiement important des infrastructures routières et gazoducs/oléoducs. Au niveau agricole, les années 1980-1990 se caractérisent par le développement des serres et des vergers. Il en a résulté une augmentation du nombre de forages dans la nappe pour l’alimentation en eau potable et l’irrigation, ainsi que des risques accrus de pollutions accidentelles et diffuses. II. Les territoires économiques de la Crau Les principaux enjeux liés à la nappe ayant été présentés, l’objectif est maintenant de déterminer un territoire pertinent pour définir une politique optimale de gestion de l’eau souterraine de la Crau. Pour ce faire, nous proposons dans cette partie de recenser l’ensemble des territoires économiques présents sur la plaine de la Crau. La présentation des principaux territoires des agents, sur la base des regroupements dont ils font l’objet, nous permettra de voir en quoi ces agents s’approprient l’espace des coussouls et la ressource en eau souterraine. Nous mettrons alors en évidence les liens étroits qu’il existe entre eau souterraine, nature et occupation du sol dans la Crau pour ensuite finir avec une présentation des territoires institutionnels de protection de la nature cravenne. Ces derniers territoires ont vu le jour dans la période récente et participent pleinement à construction des territoires économiques de la Crau. La question sera ensuite (dans la section III) de savoir s’ils sont les plus pertinents pour définir une politique optimale de gestion de l’eau souterraine de la Crau. II.1 Les territoires des agents Les différents agents économiques identifiés sur la Crau sont : les agriculteurs, les résidants et les communes, les industriels, l’armée ainsi que Electricité De France (EDF). Ils diffèrent, principalement, par le secteur économique dans lequel ils interviennent respectivement : agricole, public, industriel, militaire et industriel. EDF est identifié comme un agent à part entière car il est le premier fournisseur d’eau de surface de la zone de la Crau ; il l’est également pour l’eau souterraine mais de manière indirecte dans la mesure où l’aquifère de Crau est principalement alimenté par l’eau de la Durance, transportée dans le canal EDF. Par 4
ailleurs, il est évident qu’un même individu peut par exemple être à la fois un agriculteur et un résidant. A un niveau économique, ces agents peuvent être décrits essentiellement à partir de deux éléments : • les regroupements auxquels ils appartiennent, • la nature de leur activité économique : examen des principaux inputs et outputs de production, de l’origine de l’eau qu’ils utilisent ainsi que de leur niveau de valorisation de la nappe d’eau souterraine5. Nous allons présenter ici les regroupements des trois principaux types d’agents (agriculteurs, résidants et industriels) afin de définir les territoires économiques de la Crau. Le lecteur est renvoyé à Martin (2008) pour ce qui est des autres agents et points. Les agriculteurs de la Crau sont fédérés au sein de nombreuses structures qui peuvent essentiellement être réparties en trois catégories : • les regroupements traditionnels de la profession agricole : Chambres d’Agriculture, Syndicat de la propriété agricole, Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FDSEA), Centre Départemental des Jeunes Agriculteurs… • les regroupements de producteurs locaux : Syndicat du Mérinos d’Arles, Comité du Foin de Crau… • les regroupements d’irrigants : Associations Syndicales d’irrigation et d’assainissement qui peuvent être des Associations Syndicales Autorisée (ASA), Libres (ASL) ou Forcées (ASF) ; Union du canal commun de Boisgelin-Craponne, Syndicat mixte de gestion des associations syndicales du pays d’Arles et de Camargue… La dernière catégorie mérite une attention particulière dans la mesure où elle a trait à la gestion de l’eau dans la zone étudiée. Les irrigants y sont regroupés en associations qui suivent, pour la plupart, la loi de 1865 sur les associations syndicales de propriétaires. D’existence reconnue depuis le Moyen Age, ces dernières naissent du rassemblement de personnes "établi pour un bien commun à ceux qui sont de ce corps et qui ait aussi son rapport au bien public". Dans le cas de l’irrigation, ces associations détiennent, sur un périmètre donné, un certain droit d’eau (généralement mesuré par un débit) fixé au moment de leur création. Elles fonctionnent grâce aux cotisations acquittées chaque année par les adhérents en fonction de la surface irrigable souscrite et aux subventions qui s’y ajoutent parfois. Cela leur permet d’assurer la gestion courante des canaux (salaires des personnels, travaux d’entretien, etc.) ainsi que les travaux de modernisation éventuels. L’Etat exerce une tutelle administrative et budgétaire (contrôle a priori sur tous les actes) sur ces associations par l’intermédiaire des préfectures et sous-préfectures. Différents niveaux d’associations coexistent en Crau : l’Union Boisgelin-Craponne est une union d’associations en tête de réseau, l’Association des Arrosants de la Crau assure la distribution de l’eau à la parcelle ou à d’autres associations d’irrigants plus petites (les ASA, ASF, ASL). La plupart de ces associations est adhérente au Syndicat mixte de gestion des associations syndicales du pays d’Arles et de Camargue qui assure la partie administrative de leur travail. Le système des associations syndicales d’irrigation présente l’intérêt de permettre aux producteurs agricoles de gérer eux-mêmes leur facteur essentiel de production, l’eau. Les modalités de la gestion, et plus particulièrement le montant de la cotisation, suivent alors les variations de la production. Le système de gestion est ainsi inhérent aux réalités du territoire concerné. L’investissement personnel des adhérents est important en termes de temps de 5 La notion de valorisation de la nappe d’eau souterraine correspond à la valeur économique dégagée par son utilisation. L’analyse se limite ici à la seule valeur d’usage actuel de cette ressource, qui est alors considérée en tant qu’actif induit (facteur de production). 5
travail (pour l’entretien du réseau) et de respect des horaires d’arrosage (tour d’eau) notamment. Les nouveaux adhérents sont de moins en moins issus du milieu agricole et sont moins sensibles à ces principes et modes de fonctionnement, ce qui soulève de nombreuses réflexions quant à l’évolution de ces associations. Au cours des dernières décennies, la Crau s’est fortement peuplée en raison de la mise en valeur agricole, rendue possible grâce à l’évolution des techniques d’irrigation, et surtout du développement industriel. Selon les données recueillies dans le cadre de la réalisation du document d’objectif Natura 2000 du CFC (2001), la population de la zone approchait alors les 200 000 habitants. La densité n’est pas uniforme : les vastes espaces de "coussoul" ont une densité de population extrêmement réduite, contrairement aux "bordures" de la Crau, constituées de zones largement urbanisées. La commune de Saint-Martin-de-Crau est la seule à être véritablement implantée dans la Crau. Les zones Ouest et Nord ont connu des augmentations de population relativement faibles depuis les années 60 (en particulier Arles et Salon-de-Provence). Les communes plus rurales ont par contre connu une croissance plus importante (Aureille, Eyguières), due à l’installation de rurbains. La nappe de la Crau est concernée par quatre structures intercommunales à fiscalité propre : • la communauté de communes de la vallée des Baux et des Alpilles, • le syndicat d’agglomération nouvelle du nord-ouest de l’étang de Berre, • la communauté d’agglomérations Agglopôle Provence, • la communauté d’agglomérations Arles-Crau-Camargue-Montagnette. Elle concerne partiellement les territoires de onze communes en termes d’occupation du sol ; elle est aussi liée aux communes de Port-de-Bouc et de Saint-Mitre-les-remparts par l’utilisation qu’elles font de son eau. La plupart des onze communes précédentes font partie du Syndicat Intercommunal d’Assainissement de la Crau (SIAC), créé en 1936, qui a plus récemment été réactivé dans la cadre de la lutte contre les inondations. Dans les années 1960 à 1970, le programme d’aménagement du port de Fos-sur-mer a eu un impact considérable sur l’industrialisation de la Crau avec les travaux liés aux installations portuaires et la mise en place du complexe industriel associé (sidérurgie, pétrochimie). Il couvrirait une superficie de 10 000 ha (CFC, 2001). Le Port Autonome de Marseille (PAM) a joué un rôle essentiel dans le développement des fonctions d’échanges, de commerce mais aussi de transformation industrielle ; il est maître d’œuvre de l’espace industrialo-portuaire et propriétaire des zones de Fos-sur-mer et de Lavera dont il est l’aménageur et le gestionnaire. Les principales filières implantées sur cet espace sont le pétrole, la chimie et la pétrochimie, la sidérurgie et la construction métallique ; elles sont fédérées au sein de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Marseille-Provence. La Crau est également devenue un pôle logistique d’envergure par l’intermédiaire de ses plates-formes multimodales. Notons également la création d’un parc éolien. A côté de cela, des essais automobiles ont lieu sur les quelques pistes situées sur la zone (500 ha selon les données recueillies par le CFC en 2001) et des explosifs sont fabriqués en Crau. En outre, de par sa structure géologique, la Crau est un site intéressant pour l’exploitation de carrières. Le "poudingue"6 et les cailloutis de Crau sont ainsi exploités depuis longtemps pour la construction de bâtiments, de murs et de routes. Les matériaux extraits sont des sables et des graviers silico-calcaires. L’exploitation s’est d’ailleurs particulièrement accrue lors de l’aménagement de la zone industrielle de Fos-sur-mer, alors marécageuse. Ce type d’industries est regroupé au sein de l’"Union nationale des industries, des carrières et des matériaux de construction". II.2 Liens entre eau, nature et occupation du sol dans la Crau 6 Près de la surface (30 à 40 cm), les eaux souterraines, chargées en carbonate, ont cimenté les galets, formant une croûte très dure, le « poudingue ». 6
Ces territoires d’agents, caractérisés par des occupations du sol particulières, interagissent fortement avec la ressource en eau, mais aussi avec le milieu naturel. Comme déjà signalé, la nappe d’eau souterraine est alimentée, pour près des 2/3, par l’irrigation traditionnelle, essentiellement celle des prairies qui dépend du réseau hydraulique de surface. Il est important de préciser que ce réseau assure aussi des fonctions environnementales, au travers des canaux et des haies qui abritent une faune spécifique, ainsi que par son rôle d’évacuation des eaux pluviales, donc de protection contre les inondations. En outre, il exerce une importante pression sur l’écosystème hors de Crau, par le biais de forts prélèvements d’eau dans la Durance. En surface, l’activité de production de foin est en interaction avec celle d’élevage : le regain (ou 4ème coupe) de prairie est pâturé par les moutons en hiver. L’élevage, qui utilise les pâturages de la steppe du "coussoul" ayant une formation herbacée très riche, participe à l’entretien des espaces naturels qui abritent une faune et une flore particulières. Notons que l’activité d’élevage exerce également une influence positive sur les écosystèmes de montagne lors de la transhumance d’été. Par ailleurs, l’eau de la nappe est exploitée pour des usages divers : agricoles (maraîchage et vergers essentiellement), industriels et urbains. Ses exutoires, constitués par les étangs et marais, participent eux-aussi à la richesse de l’écosystème craven. Les différents usagers de la nappe peuvent aussi avoir un impact considérablement négatif sur le milieu naturel craven, notamment les usagers urbains et industriels. C’est pour cette raison qu’un certain nombre de mesures de protection de l’environnement se sont considérablement développées dans les années récentes. Nous allons maintenant revenir sur certaines d’entre elles. II.3 Les territoires institutionnels de protection de la nature cravenne Cinquante mille hectares de coussouls étaient comptabilisés à la fin du XIXème siècle. Il n’en reste plus que 12 000 ha au début du XXème siècle. L’ensemble des mutations précédentes, concrétisées par l’installation matérielle d’activités nouvelles, s’est donc en majorité effectué à leur détriment, alors qu’ils abritent une faune et une flore exceptionnelles. Il s’est également fait aux dépens de la nappe d’eau souterraine dont l’exploitation ainsi que les risques de pollution se sont fortement accrus. Les environnementalistes, puis les habitants de la Crau, et notamment ses agriculteurs, se sont mobilisés dès le début des années 1980. En 1982, la Crau a été ajoutée sur la liste des Zones de Protection Spéciale (ZPS) retenues pour pré-inventaire en application de la directive "Oiseaux" ; en 1984, elle a été classée site européen à conserver d’urgence.7 En 1999, le site Natura 2000 Crau centrale — Crau sèche est créé, et en 2001 des surfaces de coussoul commencent à être classées Réserve Naturelle. A partir de 1990, date à laquelle une ZPS "Crau sèche" de 11 500 ha est définie, débutent plusieurs programmes de soutien financier aux éleveurs dans la "Crau sèche" et aux producteurs de foin dans la "Crau centrale" parmi lesquels : • l’article 19 "Crau sèche" (1991-1995) ayant comme principale conséquence pour la nappe de freiner le développement des forages ; • l’article 19 "Crau humide" (1991-1995) constituant un premier pas vers une pérennisation de l’alimentation de la nappe par l’irrigation gravitaire.8 7 Ces mesures environnementales sont venues en réponse à la directive communautaire "Oiseaux" du 2 avril 1979 qui oblige les Etats membres de la CEE à protéger l’avifaune sauvage menacée. Elles représentent en Crau une alternative contractuelle à l’arrêté de biotope initialement envisagé par le préfet en 1986 mais aussitôt refusé par la profession agricole qui redoutait un gel autoritaire et généralisé de cet espace, figeant sans contrepartie les systèmes de production agricoles. Elles visaient essentiellement à assurer une meilleure maîtrise du foncier en "Crau sèche", une réserve naturelle devant être créée à terme. La directive "Habitats" de 1992 est apparue en complément. 8 Les mesures agri-environnementales s’inscrivent quant à elles dans le cadre de l’article 19 du règlement CEE 797/85 repris par le règlement 1760/87, qui cherche à favoriser le maintien de pratiques agricoles compatibles 7
Ces mesures de zonage environnemental et agri-environnemental sont à la base de la construction des territoires institutionnels de protection de la nature cravenne. Dans un certain sens, ces territoires ont participé à la protection de la ressource en eau souterraine cravenne (nous y reviendrons dans la section III.1). III. Vers un territoire et une politique pertinents pour une gestion économiquement optimale de l’eau souterraine de la Crau Afin d’identifier, parmi les territoires définis précédemment, un territoire pertinent pour la définition d’une politique optimale de gestion de l’eau souterraine de la Crau, nous proposons de commencer par revenir sur les différentes mesures qui ont favorisé la protection de la nappe dans le passé. Nous les mettrons dans la même section (III.1) en perspective avec les enjeux associés à l’évolution de l’occupation du sol surplombant la nappe de la Crau. Cette mise en perspective nous permettra de relativiser leur pertinence quant à la protection de la nappe d’eau souterraine et nous amènera à nous intéresser plus en détail à la récente création du SYndicat Mixte d’étude et de gestion de la nappe de la CRAU (SYMCRAU), à la base de notre définition d’un territoire pertinent pour la définition d’une politique optimale de gestion de l’eau souterraine de la Crau. III.1 Comment la nappe a-t-elle été principalement protégée dans le passé ? En 1991 est lancée, pour une période de quatre ans, une Opération Générale d’Aménagement Foncier (OGAF) d’accompagnement destinée à aider à la remise en état du réseau d’irrigation qui était vieillissant et nécessitait des investissements de plus en plus importants. En outre, en 1993, les producteurs de foin de Crau doivent faire face à une grave crise liée à la dévaluation de la Lire, l’Italie étant leur principal client. Le cours boursier du foin de Crau chute, révélant la fragilité de cette activité agricole, d’autant plus que la concurrence européenne commence à se faire ressentir sur le marché des fourrages. Sur le moment, aucune mesure n’est pourtant prise afin de permettre directement à cette activité, génératrice de nombreuses aménités environnementales, de rester rentable. A la place, ce sont des mesures d’Aide Communautaire à l’Environnement (ACE) qui sont lancées en 1993 et 1994, sur la base des territoires institutionnels précédemment définis. Quelques années plus tard, à la suite de nombreuses tractations et opérations de communication de la part des producteurs de foin de Crau, certaines mesures d’aide aux agriculteurs, parmi l’ensemble de celles lancées en 1996, ont plus spécifiquement été destinées à soutenir la production de foin : • l’opération locale "Crau humide" (1996-2001), • l’opération locale "foin de Crau" (1996-20019), • l’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) foin de Crau (1996), • l’application d’un coefficient de restitution sur la redevance de prélèvement de l’Agence de l’eau (1997) destiné à en réduire le montant. L’implication de ces mesures sur la nappe d’eau souterraine de la Crau est claire : elles ouvrent la voie à une pérennisation de l’alimentation de l’aquifère par l’irrigation gravitaire avec des exigences de protection de l’environnement et des ressources naturelles. La Crau figure parmi les quatre pôles expérimentaux retenus au plan national pour bénéficier de ces mesures. Elles reconnaissent explicitement les relations étroites existant entre "Crau humide" - que nous avons désignée sous la dénomination de "Crau centrale" plus haut - et "Crau sèche", et visent à maintenir l’équilibre de ces relations en s’adressant à ces deux espaces. 9 A la date d’échéance de la plupart des programmes d’aide aux producteurs de foin de Crau (2001), des Contrats Territoriaux d’Exploitation (CTE) sont mis en place. Ils sont remplacés en 2002 par des Contrats d’Agriculture Durable (CAD) qui ne peuvent être conclus que jusqu’à un quota plafond de surfaces, largement inférieur à la superficie cultivée en foin de Crau. A partir de 2007, ce sont les Mesures Agri-Environnementales territorialisées (MAEt) qui les remplaceront. 8
des prairies de foin de Crau. Mais dans un contexte de politique agricole commune évolutive, la rentabilité de la production de foin de Crau est encore loin d’être pérennisée ; la surface totale en herbages court le risque de diminuer. D’autres problèmes subsistent cependant. En effet, au cours de la même période, l’aérodrome d’Istres est étendu et de nombreuses plates- formes multimodales voient le jour. De nouvelles surfaces sont imperméabilisées et les risques de pollutions accidentelles accrus. En outre, la période récente semble se caractériser par une urbanisation accrue de la zone de la Crau, accompagnée d’un développement des infrastructures routières. Cette extension urbaine est liée à l’évolution de la différence de la rente foncière entre terres bâties et terres agricoles. La non-reprise des exploitations par les jeunes, conséquence directe de cette évolution, entraîne un vieillissement de la population agricole de la zone. L’étude qualitative de Barbut, Cattan et Laurans (1995) met elle-aussi en évidence la supériorité du foin de Crau par rapport aux autres spéculations foncières en termes d’impacts positifs sur la nappe d’eau souterraine tout en la relativisant. Les principaux éléments de l’argumentaire proposé par ces auteurs sont repris dans le tableau 1. Tableau 1 : Enjeux associés à l’évolution de l’occupation du sol de la Crau, d’après Barbut, Laurans, Cattan (1995) Une mise en perspective des éléments présentés dans ce tableau, avec les mesures appliquées dans le passé et ayant participé à la protection de la nappe d’eau souterraine, fait ressortir la principale lacune de ces mesures : elles se concentrent presque exclusivement sur la production de foin, oubliant de favoriser d’autres spéculations végétales qui s’adapteraient à l’irrigation gravitaire. Il convient de mentionner qu’elles n’avaient pas comme objectif premier la protection de la ressource en eau souterraine de la zone. Il en résulte toutefois des pressions quantitatives et qualitatives accrues sur la ressource qui sont à l’origine de la création d’un syndicat mixte d’études et de gestion de la nappe de Crau en 2004 : le SYMCRAU. III.2 La récente création du SYMCRAU… Le projet de création de SYMCRAU a été initié par le Sous-préfet d’Istres qui, suite à une réflexion menée dans le cadre de la Directive Territoriale d’Aménagement (DTA) des Bouches-du-Rhône, a souligné que "la protection de la nappe de la Crau, qui fait l’objet de prélèvements pour l’alimentation en eau potable mais également à des fins agricoles et industrielles, constitue un enjeu de sécurité publique qu’il s’agisse de prévention des risques d’inondation ou de sauvegarde de la nappe tant en terme de quantité que de qualité". Il est largement inspiré de l’opération pilote de formation d’un syndicat mixte d’études et de travaux de l’Astien menée en Languedoc-Rousillon en 1990 (voir Laurent, 1993 pour plus de détails). Les membres de ce Syndicat Mixte sont constitués des principaux regroupements d’agents identifiés précédemment : • les communes d’Arles, Aureille, Eyguières, Lamanon, Martigues, Mouriès, Port-de- Bouc, Saint-Martin-de-Crau, Saint-Mitre-les-Remparts, Salon-de-Provence, • le Syndicat d’Agglomération Nouvelle (SAN) Ouest Provence, • les Chambres de Commerce et d’Industrie d’Arles et de Marseille, • la Chambre d’Agriculture. 9
Le Comité du foin de Crau (CFC), le Conservatoire des Ecosystèmes de Provence (CEEP), le Groupement Maritime et Industriel du Golfe de Fos, la Fédération Départementale des Structures Hydrauliques (FDSH) des Bouches-du-Rhône, le Port Autonome de Marseille (PAM) participent au Syndicat Mixte en qualité de membres associés avec voix consultatives. Il est mentionné dans le projet de statuts de ce syndicat, datant du 22 octobre 2004, qu’il a pour objet "l’étude et la coordination de toute intervention relative à la nappe phréatique de la Crau et à l’aménagement du réseau hydraulique". III.3 …à élargir du point de vue de ses membres permanents et de ses compétences Afin d’étudier dans quelle mesure les compétences et les membres permanents de SYMCRAU doivent être élargis, nous proposons une lecture de la situation cravenne en termes d’économie de l’environnement. Plus précisément, nous allons nous intéresser à des interactions entre agents que nous qualifierons d’"environnementales". Ce qualificatif signifie que ce sont des éléments naturels (eau de surface, souterraine ou sol) qui vont constituer le principal vecteur des interdépendances sur lesquelles nous allons nous concentrer. La question est de savoir si ces interactions s’exercent sur un marché ou non. La figure 1 constitue un récapitulatif des principales relations existant entre les différentes activités économiques recensées dans la Crau, via le milieu naturel. Les interactions environnementales de marché sont représentées en bleu. Une interaction se caractérise ici par l’influence réciproque ou pas de deux activités économiques. Les effets externes positifs ne sont généralement pas réciproques ; ils sont alors représentés par une flèche simple verte (dans un seul sens). En rouge figurent les effets externes négatifs (qui ont des doubles flèches car ils sont exercés par les agents les uns sur les autres). Figure 1 : Interactions entre les différentes activités économiques de la Crau Dans la Crau, les interactions environnementales réciproques de marché ont essentiellement lieu entre deux ensembles d’agents : • les éleveurs d’ovins et les producteurs de foin, via le sol, d’une part, • les irrigants et EDF, via l’eau de surface, d’autre part. Pour le premier ensemble, le système de prix résulte d’une négociation entre les parties alors que pour le second, il a plutôt tendance à exister en dehors d’elles (système ancestral de droits d’eau). La présence d’interactions de marché est alors beaucoup moins évidente mais le fait que des droits de propriété sur la ressource soient définis la garantit. Le lecteur est à nouveau renvoyé à Martin (2008) pour une description détaillée de ces interactions de marché mais aussi des interactions externes au marché n’ayant pas un lien avec la ressource en eau souterraine dans la mesure où nous allons plutôt nous concentrer ici sur la description des interactions externes aux marchés qui ont un lien avec cette ressource. L’irrigation gravitaire des prairies de Crau représente une partie importante des entrées de la nappe d’eau 10
souterraine. Ce phénomène représente un effet externe positif dont l’ensemble des utilisateurs de la nappe (maraîchage, vergers, communes et industriels) bénéficie dans la mesure où sont ainsi garantis un niveau élevé de la nappe mais aussi une bonne qualité de son eau. En effet, la culture des prairies labellisées AOC ne se fait qu’avec très peu d’engrais et phytosanitaires, et les flux importants d’eau "propre" générés par leur irrigation favorise la dilution des polluants éventuellement être présents dans la nappe. En revanche, les différents utilisateurs de la nappe (maraîchage, culture de vergers, industriels et résidants) exercent mutuellement des effets externes négatifs les uns sur les autres, dans la mesure où : • l’eau souterraine consommée par un agent ne peut l’être par un autre (effet externe dit de stock), • par ailleurs, lorsqu’un individu exploite l’eau d’une nappe, il en résulte une baisse de son niveau qui génère elle-même une augmentation des coûts de pompage (notamment en énergie) des autres utilisateurs qui vont alors être contraints de puiser l’eau plus profond (effet externe dit de coût de pompage). Cette analyse des interactions est valable à activités économiques actuellement présentes sur la zone. Aussi, il faut par exemple noter que les effets sur la nappe d’eau souterraine seraient exactement du même ordre si les prairies étaient remplacées par toute autre spéculation végétale conservant un système d’irrigation gravitaire relativement « propre ». Notons en outre que les effets bénéfiques sur la nappe de ces irrigations gravitaires sont considérablement liés à la présence d’un réseau hydraulique de surface en état de fonctionnement. Cette analyse nous amène à reconsidérer la composition des membres permanents de SYMCRAU qui nous semble surreprésenter les activités génératrices d’effets externes négatifs au détriment de celles qui génèrent des effets positifs. Cette surreprésentation est sans aucun doute due au fait que ces membres contribuent financièrement au SYMCRAU. Mais il en résulte que le CFC et la FDSH des Bouches-du-Rhône se retrouvent simples membres associés avec voix consultatives et les associations d’irrigants n’y siègent pas. Le territoire pertinent de gestion de l’eau souterraine de la Crau nous semble pourtant devoir inclure de tels membres de manière permanente. Ceci constitue d’ailleurs le point de départ d’un travail récent (voir Martin et Stahn, 2009) dans lequel nous allons plus loin dans la définition d’une politique optimale de gestion de l’eau souterraine de la Crau en démontrant théoriquement qu’il est toujours possible pour une structure telle que SYMCRAU de mettre en place un schéma fiscal global limitant la surexploitation de la nappe d’eau souterraine par différents utilisateurs tout en favorisant son approvisionnement optimal par une association d’irrigants. Les effets externes précédemment évoqués sont ainsi complètement internalisés. Conclusion Après avoir présenté la plaine de la Crau sur la base d’une analyse historique mettant en perspective les enjeux liés à la nappe d’eau souterraine de la zone, nous avons défini l’ensemble des territoires économiques et institutionnels de la zone. Le principal enseignement de cette analyse est qu’il existe une diversité potentielle de territoires de gestion de l’eau souterraine de la Crau. Au regard des évolutions institutionnelles récente, le territoire sur lequel le SYMCRAU agit semble être le plus pertinent pour la question qui nous intéresse. Il correspond spatialement plus ou moins à l’espace recouvert par la nappe d’eau souterraine et est composé des principaux regroupements d’agents que nous avons recensés. Une lecture de ce territoire de gestion à l’aulne de la théorie économique de l’environnement nous a ensuite permis d’envisager l’élargissement des membres permanents du SYMCRAU aux structures génératrices d’effets externes positifs comme le CFC, la FDSH, voire les associations d’irrigants de la zone. Cet enseignement est à la base d’un travail récent dans 11
lequel nous définissons une politique optimale de gestion de la ressource en eau souterraine de la Crau (voir Martin et Stahn, 2009). La gestion de l’eau souterraine de la Crau constitue donc un enjeu territorial lorsqu’on considère qu’une politique pertinente de gestion doit être territorialisée. Moquay (2009) explique que la territorialisation repose sur le concept de la différenciation de l'intervention publique en fonction de spécificités territoriales et qu’en pratique, elle se traduit par l'élaboration de projets de territoire : les outils utilisés dans le cadre de la mise en place de politiques territoriales ont le plus souvent une base contractuelle, et sont le fruit d'une négociation explicite entre les différentes parties prenantes concernées par le territoire en question. Mais la territorialisation des politiques n’est pas suffisante : les politiques, même territorialisées doivent aussi être coordonnées. Nous proposons dans un travail récent (Martin et Stahn, 2010) de regarder en quoi une application non coordonnée de politiques territorialisées agri-environnementales et de l’eau dans la Crau peut générer des inefficiences supplémentaires par rapport à celles déjà à l’œuvre. Bibliographie Antéa (2001) Etude des prélèvements d’eau en nappe de Crau - Rapport de fin d’étude. Etude commandée par la DDAF 13, n°A21566 Version A Barbut L., A. Cattan, Y. Laurans (1995) Gestion de la ressource en eau et préservation du milieu naturel en Crau. Etude ASCA commandée par l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée- Corse BRGM (1995) MARTCRAU : actualisation du modèle de la nappe de la Crau. Etude commandée par la DIREN et la DRIRE PACA, R 38199 CFC (2001) Document d’objectif Natura 2000 Crau centrale - Crau sèche CFC (2004) Foin de Crau - Quel enjeu?, Plaquette Région Provence-Alpes-Côte d’Azur Larcena D. (1995) Approche méthodologique pour l’étude des processus de transformation des paysages - L’exemple de la Crau 1975-1994. In Utilisation de l’imagerie satellitale pour l’étude des paysages et de leur évolution, LATES-EHESS, pp. 26-32 Laurent A. (1993) La gestion en bien commun des eaux souterraines : la nappe des sables astiens de Valras-Agde (Hérault), une opération pilote en Languedoc-Roussillon, Thèse de doctorat en Géosciences (Dir. C. Drogue), Université de Montpellier II Martin E. (2008) Aspects économiques de gestion de l’eau souterraine, Thèse de doctorat en économie (Dir. Pr. Deissenberg), Université de la Méditerranée, Marseille Martin E., Stahn H. (2009) Pourrait-on réallouer des redevances acceptables de pompage de l’eau souterraine de la Crau à l’association d’irrigants de la zone ? Revue d’Economie Régionale et Urbaine, Vol. 3, pp. 517-548 Martin E., Stahn H. (2010) Can the lack of coordination between an agricultural authority and a water agency generate inefficiencies?, 84th Annual Conference of the Agricultural Economics Society, March 29-31, Edinburgh, Ecosse Moquay P., 2009 : Défis de la territorialisation de l'intervention publique pour les services de l'État. In F. Aubert, V. Piveteau, B. Schmitt Politiques agricoles et territoires, Editions Quae, pp. 199-218. SCP (1993) Usages globaux des eaux agricoles en Basse-Durance. Etude commandée par l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse 12
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