Comment coopérer avec ses concurrents ? - L'avènement de l'équipe-projet coopétitive
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ANNE-SOPHIE FERNANDEZ Université Montpellier 1 FRÉDÉRIC LE ROY Université Montpellier 1 ; Groupe Sup de Co Montpellier Comment coopérer avec ses concurrents ? L’avènement de l’équipe-projet coopétitive Les stratégies de coopétition consistent à coopérer et à rivaliser simultanément avec le même partenaire-adversaire. Management peu étudié dans les recherches antérieures, cette recherche1 se propose de répondre aux questions suivantes. Comment deux firmes concurrentes s’organisent-elles pour coopérer ? Comment gèrent-elles les tensions liées à la nature paradoxale de la coopétition ? Pour y répondre, une étude approfondie du programme conjoint lancé, dans le secteur des satellites de télécommunications, par Astrium (groupe EADS) et Thales Alenia Space (groupe Thales) est menée. L’étude de cas montre que, pour réaliser à bien ce programme, les deux entreprises ont constitué ensemble une équipe-projet dédiée au programme, l’« équipe-projet coopétitive » (EPC), séparée du reste de l’organisation et gouvernée par une structure mixte (Astrium et TAS). DOI:10.3166/RFG.232.61-80 © 2013 Lavoisier 1. Cette recherche a bénéficié du soutien du programme du Labex Entreprendre « Stratégies inter-organisationnelles et innovation », Université Montpellier 1.
62 Revue française de gestion – N° 232/2013 L a globalisation des économies et Weber, 2007 ; Chen, 2008). Pour Bengtsson la course à la technologie pous- et Kock (2000), ainsi que pour Pellegrin- sent les entreprises à coopérer avec Boucher et Fenneteau (2007), deux prin- leurs concurrents (Fernandez et Le Roy, cipes organisationnels permettent de mana- 2010). Les entreprises développent des stra- ger ces tensions : 1) la séparation structu- tégies de coopétition, qui sont des stratégies relle entre la compétition et la coopération simultanément coopératives et concurren- et 2) l’intégration par les individus du tielles (Brandenburger et Nalebuff, 1996 ; paradoxe de la coopétition. Au-delà de ces Bengtsson et Kock, 1999, 2000). Ces stra- deux recherches, il n’existe pas de travaux tégies sont nées dans les industries de haute qui traitent de façon détaillée et extensive technologie et se diffusent aujourd’hui dans de la mise en œuvre managériale de la la plupart des industries (Yami et Le Roy, coopétition. Cette recherche se propose de 2010 ; Yami et al., 2010). combler ce vide en tentant de répondre aux Les recherches antérieures sur les stratégies questions suivantes. Comment deux firmes de coopétition se sont attachées à identifier concurrentes s’organisent-elles pour coo- leurs déterminants, leurs formes principales pérer ? Comment gèrent-elles les tensions et leur impact sur la performance (Dagnino liées la nature paradoxale de la coopétition ? et al., 2007 ; Yami et Le Roy, 2010 ; Yami et Afin d’apporter des éléments de réponse al., 2010). La mise en œuvre des stratégies à ces questions, cette recherche étudie un de coopétition et leur management sont cas de coopétition entre Astrium (EADS) et beaucoup moins étudiés (Walley, 2007). Or Thales Alenia Space (Thales), dans le sec- ces questions sont essentielles, puisque la teur de la construction de satellites de télé- réussite de la coopération entre concurrents communications. Plus précisément, cette dépend grandement de la gestion organisa- recherche étudie le programme Yahsat, qui tionnelle et opérationnelle de la coopération est un programme de construction de satel- (Gnyawali et al., 2008). Chaque partenaire/ lites réalisé conjointement par les deux adversaire doit s’organiser pour profiter au entreprises. Les résultats permettent de maximum des ressources et compétences mettre en évidence un mode d’organisation mutualisées tout en prenant garde à ce que original : la mise en place d’une équipe- l’autre coopétiteur ne se renforce pas trop à projet composée de salariés des firmes leur détriment. Le management de la coo- concurrentes. Nous nommons cette forme pétition est donc un maillon essentiel de la organisationnelle équipe-projet coopétitive réussite de la stratégie de coopétition (EPC). Nous en proposons une définition Quand la question du management de la et nous en montrons les principales carac- coopétition est traitée, il est reconnu que la téristiques. Dans cette EPC, le management coopétition, du fait qu’elle soit constituée de la coopétition combine les principes de deux forces contraires, crée des tensions de séparation et d’intégration. Le principe au sein de l’organisation. Ces tensions de séparation est lié à l’existence même ne doivent pas être éliminées mais mana- de l’équipe, qui est située en marge des gées pour que la coopétition produise ses structures organisationnelles existantes. Le effets positifs (Das et Teng, 2000 ; Oshri et principe d’intégration repose sur la création
Comment coopérer avec ses concurrents ? 63 d’une structure de gouvernance bicéphale, l’accent sur le caractère paradoxal, dual, de qui pousse au développement de capacités la coopétition qui lui donne sa nature propre managériales coopétitives par les chefs de (Yami et Le Roy, 2010). projet. La coopétition ainsi définie est porteuse d’un grand nombre d’avantages pour I – LE MANAGEMENT D’UNE l’entreprise, mais également d’un certain STRATÉGIE DE COOPÉTITION : nombre de risques (Park et Russo, 1996). ENJEUX ET PRINCIPES Le risque principal est celui des pillages des 1. Les enjeux du management connaissances par le coopétiteur. Si l’un des de la coopétition deux coopétiteurs accède à plus de com- Le concept de coopétition a été introduit pétences nouvelles que l’autre, de facto, il par Brandenburger et Nalebuff (1996) dans renforce sa compétitivité au détriment de leur modèle de réseau de valeur. Pour ces l’autre. Cet accès aux compétences par le auteurs, la coopétition s’applique à tout rival est un risque tel qu’il peut dissuader type d’acteur susceptible de développer des d’entrer dans une relation de coopétition. complémentarités pour créer de la valeur Ce risque est spécifique à la relation de pour le client. Bengtsson et Kock (2000) coopétition en ce sens que dans sa nature adoptent une conception plus étroite dans même, il s’agit de coopérer avec un rival, une définition qui fait référence. La coopé- c’est-à-dire de coopérer avec une entreprise tition est limitée à la relation de coopération qui souhaite l’emporter dans la course à la entre concurrents directs. Ainsi, la coopé- performance (Yami et Le Roy, 2010). tition est une « relation dyadique et para- Tout le problème est donc de manager la doxale qui émerge quand deux entreprises coopétition pour que ce risque spécifique coopèrent dans quelques activités, et sont ne se réalise pas. Autrement dit, il s’agit en même temps en compétition l’une avec de s’organiser pour profiter au maximum l’autre sur d’autres activités » (Bengtsson et des ressources et compétences mutualisées, Kock, 2000, p. 412). tout en prenant garde à ce que le rival ne Pour Yami et Le Roy (2010), la coopétition se renforce pas de façon trop asymétrique. n’est pas liée à une forme organisationnelle. Le management de la coopétition est donc Elle se définit comme un principe de simul- tanéité de compétition et de coopération un maillon essentiel de la réussite de la qui peut se retrouver dans des formes diffé- stratégie de coopétition (Das et Teng, 2000 ; rentes (alliances dyadiques, réseaux, entre Oshri et Weber, 2007 ; Chen, 2008). les divisions ou les services, dans les rela- Dans cette réflexion, Luo (2007) considère tions entre des individus, etc.). Nous adop- que, pour que les retours financiers de la tons cette définition dans cette recherche. stratégie de coopétition soient optimisés, La coopétition est définie comme une rela- les managers ont intérêt à équilibrer simul- tion entre deux acteurs économiques qui tanément coopération et compétition. Il ne combine de façon simultanée les deux s’agit pas de nier l’existence des forces dimensions contraires que sont la coopéra- contraires que sont la coopération et la tion et la compétition. Cette définition met compétition, ni de chercher à supprimer
64 Revue française de gestion – N° 232/2013 l’une ou l’autre, mais de les maintenir en de valeur, comme la R&D, et rivaliser sur un équilibre (Clarke-Hill et al., 2003). autre élément de la chaîne de valeur, comme La coopétition est une combinaison simul- la commercialisation. Le directeur du dépar- tanée de deux modes relationnels contraires tement R&D gère une relation essentielle- que sont la compétition et la coopération. ment coopérative alors que le directeur du Cette combinaison de forces contraires crée département commercial gère une relation une instabilité et des tensions au sein de essentiellement concurrentielle. De manière l’entreprise (Gnyawali et Park, 2011 ; Das générale, pour Bengtsson et Kock (2000), et Teng, 2000). La mise en œuvre de dis- plus les activités sont loin du marché final, positifs managériaux appropriés est alors plus deux concurrents peuvent coopérer. considérée comme déterminante pour obte- Inversement, plus les activités sont proches nir l’équilibre et le préserver au cours du du marché final, plus les entreprises sont en temps (Gomes-Casseres, 1994 ; Chen et al., compétition. Une autre façon de séparer la 2007 ; Chen, 2008). compétition et la coopération peut consister à coopérer sur certains marchés ou pour 2. Principes du management de la coopétition certains produits et à rivaliser sur d’autres marchés ou d’autres produits (Bengtsson et Malgré le fait que le management de la Kock, 2000). coopétition soit reconnu comme un élément Pellegrin-Boucher et Fenneteau (2007) capital, peu de recherches sont consacrées reprennent l’idée de séparation de à cette question. À notre connaissance, il Bengtsson et Kock (2000), en considérant n’existe que deux recherches académiques, que les grandes entreprises du secteur TIC celle de Bengtsson et Kock (2000) et celle qu’ils étudient adoptent un modèle orga- de Pellegrin-Boucher et Fenneteau (2007), nisationnel « compartimenté » pour gérer qui identifient les dispositifs managériaux la coopétition. Ce « compartimentage » se mis en place par les entreprises dans des fait en fonction des marchés, des produits et situations de coopétition. Pour ces auteurs, les entreprises ont intérêt à adopter deux des technologies. Par exemple, deux SBU2 principes : un principe de séparation entre de firmes concurrentes peuvent coopérer la compétition et la coopération et un prin- pour répondre à un même appel d’offres cipe d’intégration de la nature paradoxale alors que deux autres SBU des mêmes de la coopétition par les individus. firmes concurrentes vont rivaliser pour un autre appel d’offres. Dans cette logique Le principe de séparation de compartimentage, Pellegrin-Boucher et Pour manager la coopétition, un premier Fenneteau (2007) mettent en avant le rôle principe, dans une tradition taylorienne de d’un acteur particulier, celui du mana- spécialisation, réside dans la séparation ou ger d’alliance. Ce manager d’alliance est le compartimentage entre la compétition chargé de développer la coopération sur et la coopération. La séparation peut être un marché, un produit, un appel d’offres, fonctionnelle. Par exemple, deux entreprises une technologie, etc. Il n’est pas, a priori, peuvent coopérer sur un élément de la chaîne impliqué dans des logiques de compétition. 2. Stategic Business Unit.
Comment coopérer avec ses concurrents ? 65 De façon générale, le principe de sépara- liser simultanément avec le même parte- tion est recommandé explicitement pour naire-adversaire. Cela permet aux salariés gérer les paradoxes (Poole et Van de Ven, d’accepter les différentes contributions 1989 ; Josserand et Perret, 2003). Toute- individuelles à la coopétition, qui ensemble, fois, l’application de ce principe pose un permettent la performance de l’entreprise. certain nombre de problèmes, dont le plus Le conflit entre la coopération et la com- important est celui de l’unité de l’organi- pétition se retrouve intégré au niveau indi- sation. Ainsi, dans le cas de la coopétition, viduel. Chaque individu accepte que ce il peut y avoir un conflit direct entre deux conflit soit consubstantiel à la coopétition et départements qui gèrent l’un la coopéra- nécessaire au succès de l’entreprise. tion et l’autre la compétition. Le directeur Pellegrin-Boucher et Fenneteau (2007) commercial, qui gère la compétition, peut identifient un certain nombre de dispositifs considérer que le directeur de la R&D est qui permettent l’intégration du paradoxe un « traitre » au sein de l’organisation et coopétitif par les salariés. Le premier de qu’il collabore avec « l’ennemi ». Encou- ces dispositifs est la formalisation de la rager la séparation revient ainsi à créer stratégie de coopétition et de ses avantages. des divisions au sein de l’organisation. Le La direction générale produit un discours, directeur de la R&D peut être amené à se oral et écrit, afin d’expliquer à l’ensemble sentir plus proche du directeur de la R&D des salariés de l’entreprise l’intérêt de de son concurrent que du directeur com- la coopétition et le rôle des managers mercial de sa propre entreprise. Il est donc d’alliance. Un deuxième dispositif est la nécessaire, pour les entreprises, de mettre procédure d’arbitrage. Dans l’industrie des en place des dispositifs organisationnels et TIC, sur un marché, les managers d’al- managériaux qui évitent ces divisions et, liance peuvent se retrouver en concurrence finalement, l’implosion de l’entreprise. directe avec des commerciaux de leur entreprise qui appartiennent à une autre Le principe d’intégration SBU. C’est alors à la direction générale Pour éviter les divisions internes, d’arbitrer le conflit. Bengtsson et Kock (2000) considèrent qu’il Bengtsson et Kock (2000) insistent essen- est extrêmement important d’informer les tiellement sur le principe de séparation. salariés de l’intérêt de coopérer et de riva- Pour ces auteurs, il est très difficile pour les Figure 1 – Les principes du management de la coopétition Compétition Principe de séparation spatiale de la gestion de la coopération et de la gestion de la compétition Management Stratégies de Tensions des tensions coopétition coopétitives Principe d’intégration de la gestion du paradoxe coopétitives par les individus Coopération
66 Revue française de gestion – N° 232/2013 individus de se retrouver dans une situation Au-delà des recherches de Bengtsson et dans laquelle ils doivent gérer simulta- Kock (2000) et de Pellegrin-Boucher et nément la compétition et la coopération. Fenneteau (2007), il n’existe pas d’autres Pour manager la coopétition il faudrait travaux qui montrent comment les entre- donc appliquer le plus possible le prin- prises managent la coopétition. Les disposi- cipe de séparation ou de compartimentage. tifs organisationnels et managériaux mis en Le problème est que l’application de ce œuvre par les entreprises et qui permettent principe crée des clivages forts au sein de de maintenir ensemble la compétition et l’entreprise et menace son unité. Pellegrin- la coopération au sein de l’organisation Boucher et Fenneteau (2007) insistent donc restent mal connus. Les questions suivantes beaucoup sur la nécessaire intégration par restent donc posées et sont au cœur de cette les individus de la logique coopétitive. recherche. Comment deux firmes concur- UNE ÉTUDE DE CAS APPROFONDIE Ce travail de recherche vise à comprendre comment deux firmes concurrentes s’organisent pour coopérer. Une démarche exploratoire fondée sur la compréhension de phénomènes plutôt que sur le test semble plus appropriée (Charreire-Petit et Durieux, 2007). Un design de recherche par étude de cas est alors recommandé (Miles et Huberman, 2003). L’étude de cas permet d’appréhender un phénomène encore peu étudié, à différents niveaux, sans être contraint par un choix préalable d’outils ou de types de données à utiliser (Eisenhardt, 1989 ; Yin, 2003). L’objet de l’étude a pu être considéré à deux niveaux d’analyse, au niveau organisationnel et au niveau opérationnel. Les unités d’analyse sont respectivement la firme et l’équipe-projet. Les mutations de la structure de management ont pu être étudiées en profondeur. La recherche s’appuie sur des données primaires collectées à partir de 51 entre- tiens semi-directifs et des données secondaires provenant de documents internes et externes. Les dirigeants et les responsables stratégiques des deux industriels sont d’abord interrogés. Leur vision est complétée par celle des responsables des business units télécommunications, puis des chefs de programmes. Le point de vue des industriels est confronté à celui des institutions. Les témoignages de plusieurs chefs de projets sont recueillis : ceux des deux programmes étudiés réalisés en coopétition mais également des chefs de projets affectés à des programmes concurrentiels. Les managers ainsi que les membres des équipes-projets des deux cas étudiés sont également interrogés. La constitution de l’échantillon des personnes interrogées repose sur deux techniques recommandées par Miles et Huberman (2003) : le parrainage et l’effet boule de neige. La taille de l’échantillon n’a pas été préalablement définie. La saturation de l’information obtenue sur les différents thèmes du guide d’entretien représente le critère déterminant de la taille de l’échantillon. Le guide d’entretien utilisé dans cette recherche s’articule autour de six thèmes : l’identification de stratégies de coopétition, les déterminants des stratégies de coopétition, la mise en œuvre de stratégies de coopéti- tion, les tensions, les dispositifs managériaux envisagés pour gérer ces tensions, et enfin les implications des stratégies de coopétition. Les entretiens ont été conduits en face à face, à
Comment coopérer avec ses concurrents ? 67 l’exception de deux entretiens téléphoniques, de manière individuelle. Les entretiens ont été réalisés sur une période de dix-huit mois entre mai 2008 et novembre 2009. Les acteurs clés se répartissent entre les sites de Toulouse, Cannes et Paris pour les industriels, et Toulouse, Paris et les Pays-Bas pour les acteurs institutionnels. Les entretiens sont majoritairement réalisés en français à l’exception de deux entretiens conduits en anglais. La durée moyenne d’un entretien est évaluée à 1 h 17. Le corpus final représente une durée totale de 64 heures d’enregistrement soit un matériau brut de 957 pages. Chaque entretien est enregistré puis retranscrit dans son intégralité dans les plus brefs délais afin de préserver la qualité de l’in- formation. Le retour d’information est ainsi optimisé et le suivi des données facilité pour éviter les écarts et/ou erreurs d’interprétation. Le codage réalisé repose sur un processus en deux étapes (Miles et Huberman, 2003). La première étape de codage ouvert permet la construction de catégories à partir d’aller-retour successifs entre l’analyse du terrain et de la littérature. Un codage thématique est ensuite réalisé. En cohérence avec la structure du guide d’entretien, les nœuds obtenus renvoient aux déterminants, aux tensions induites par la mise en œuvre d’une stratégie de coopétition et à leur management. Une arborescence entre les nœuds est alors créée. L’analyse de contenu thématique est facilitée par l’utilisation du logiciel NVivo dans sa version 8. rentes s’organisent-elles pour coopérer ? opérateurs de télécommunications privés Comment gèrent-elles les tensions liées la sur les marchés commerciaux. nature duale de la coopétition ? L’industrie spatiale européenne se structure autour de deux leaders : Astrium et TAS. II – DE LA COOPÉTITION AUX Notre recherche se concentre sur les projets ÉQUIPES-PROJETS COOPÉTITIVES coopératifs menés par Astrium et TAS au sein du secteur des satellites. Plus préci- 1. Des projets menés en coopétition sément, elle est centrée sur un programme L’étude de cas a été conduite au sein de l’in- actuellement en cours et réalisé suivant une dustrie spatiale européenne et, plus précisé- logique coopétitive. En août 2007, Al Yah ment, sur le secteur de la construction de Satellite Communications Company (Yah- satellites de télécommunications. Ce sec- sat), filiale de Mubadala, signe un contrat avec Astrium et TAS pour la fabrication teur, avec 57 % du CA, est le plus important d’un système dual de télécommunications de toute l’industrie. C’est le secteur le plus par satellite. D’une valeur globale d’envi- concurrentiel puisque cinq industriels, trois ron 1,8 milliard de dollars, il représente l’un américains (Boeing Space System, Loc- des programmes les plus importants actuel- kheed Martin, Space System Loral) et deux lement en cours. La présence d’un compéti- européens (TAS et Astrium) s’affrontent teur américain commun et l’importance des sur le marché mondial. Ils répondent aux risques associés au programme représentent appels d’offres des agences spatiales sur les les principaux déterminants de l’alliance marchés institutionnels ainsi qu’à ceux des entre les deux industriels européens. La
68 Revue française de gestion – N° 232/2013 stratégie de coopétition adoptée par TAS et vernée par un bureau de gestion de pro- Astrium permet aux deux industriels euro- jets dénommé PMO (Project Management péens de remporter le marché face à leurs Office). Elle dispose d’un objectif clair concurrents américains. et de moyens technologiques, humains et Un satellite de télécommunications est un financiers pour l’atteindre. La structure de relais hertzien en orbite qui assure le trans- gouvernance du programme est organisée fert d’informations par le biais d’ondes autour du chef de projet. Ce chef de projet radio. Il se décompose en deux ensembles : vérifie que les délais soient respectés et que la plate-forme et la charge utile. Les mis- les performances techniques correspondent sions de réception, de traitement et de trans- bien aux spécifications du client. mission du signal sont assurées par la partie Le PMO se compose d’un chef de projet et charge utile du satellite. La plate-forme du d’adjoints techniques à différents niveaux. satellite également appelée bus est compa- L’extrême complexité des programmes spa- rable à une remorque. Elle assure le main- tiaux explique la présence d’au moins un tien de l’attitude du satellite, c’est-à-dire à responsable technique au sein de chaque la fois sa position orbitale et son orientation. programme. L’équipe satellite se compose Dans le schéma de coopération industrielle, d’un responsable AIT (Assembly Integra- Astrium est responsable de la plate-forme tion and Test), d’un responsable qualité, et TAS réalise la charge utile. Les risques d’un ou plusieurs responsables des coûts et représentent un enjeu fondamental. Les des plannings et d’une équipe d’ingénierie deux partenaires estiment opportun de les technique. Une sous-équipe responsable de partager. Ils s’engagent à les assumer de la charge utile est constituée. Le respon- manière conjointe et solidaire, sur toutes sable de l’équipe charge utile occupe aussi les étapes du projet, au travers d’une règle des fonctions de chef de projet adjoint du dite de « risk sharing on no fault basis ». projet satellite. Cette règle marque une différence fonda- Le chef de projet ne dispose d’aucun pou- mentale avec la situation de simple rela- voir hiérarchique sur les membres de son tion de coopération verticale où chaque équipe. Les membres de l’équipe dépendent partenaire assume seul les risques relatifs fonctionnellement du chef de projet mais à son activité. Dans le cas Yahsat, Astrium pas hiérarchiquement. Les ressources sont et TAS n’entretiennent pas uniquement des prêtées par leurs services aux départements relations de sous-traitance, de gestion des respectifs le temps du projet : elles facili- interfaces, mais des véritables relations de tent les échanges et la communication au coopération horizontales. sein du programme. Après le lancement du satellite, les individus retrouvent leurs ser- 2. La création d’une équipe-projet vices respectifs en attendant d’être affectés coopétitive à un autre projet. Comme tous les acteurs de l’industrie, Ce fonctionnement par projet est également Astrium et TAS sont organisés par projets. appliqué quand les projets sont réalisés Une équipe-projet dédiée est constituée en coopération avec un concurrent. Une dès lors qu’ils décident de répondre à un forme organisationnelle particulière se met appel d’offres. Une équipe-projet est gou- en place : une équipe-projet mixte com-
Comment coopérer avec ses concurrents ? 69 posées de salariés des deux entreprises d’Astrium dispersés dans toute l’Europe. concurrentes. Au travers de la constitu- Yahsat mobilise les sites de TAS Toulouse, tion de ces équipes-projets, Astrium et de TAS Cannes (France), le réseau italien TAS créent et exploitent des synergies en de TAS ainsi que les sites d’Astrium de termes de développement et d’exploitation Portsmouth, de Stevenage et de Bonneton de connaissances. Nous proposons de nom- (Grande-Bretagne). La structure du pro- mer cette forme organisationnelle spécifique gramme confère à Thales Land and Joint « équipe-projet coopétitive ». Une équipe- (Groupe Thales) un rôle de sous-traitant projet coopétitive (EPC) est définie comme majeur. Au total, huit sites industriels diffé- une forme organisationnelle qui résulte de la rents participent au programme Yahsat. Un mutualisation de ressources technologiques espace unique est spécifiquement dédié à et financières entre deux firmes concur- l’équipe-projet coopétitive responsable de rentes. Ces ressources sont dédiées à la réa- la gouvernance du projet Yahsat. lisation d’un objectif commun dans un délai Astrium et TAS disposent de deux sites de déterminé. L’EPC comprend le PMO, qui est production autour de la ville de Toulouse. sa structure de gouvernance, ainsi que les Les deux sites ne sont séparés que par un membres dédiés par les deux coopétiteurs. bras de la Garonne. Cette proximité géo- Les EPC diffèrent des autres équipes-pro- graphique est porteuse de synergies poten- jets plus classiques du fait de leur dimen- tielles, territoriales, organisationnelles et sion coopétitive. Dès lors qu’un projet com- culturelles. Il a donc été décidé d’implanter mun a lieu entre des firmes concurrentes, l’EPC sur cette aire industrielle, au départ des tensions liées à la combinaison simul- sur le site industriel de TAS. Par la suite, tanée de la coopération et de la compétition l’EPC a déménagé sur le site d’Astrium apparaissent. Les tensions proviennent du pour préserver l’équité dans la relation fait que les équipes travaillent ensemble, partenariale. La localisation de l’EPC sur le de manière synchrone, sur les domaines site toulousain permet aux maisons-mères d’activités relatifs au projet en cours. La de garder un contrôle sur les membres de coopération et la compétition apparaissent l’organisation délocalisés. simultanément sur les mêmes activités. Les Les salariés des filiales toulousaines de TAS tensions coopétitives ne sont pas évitées et d’Astrium éprouvent certaines facilités à mais intégrées au sein des EPC. L’EPC travailler ensemble. Par exemple, il est plus bénéfice alors d’une indépendance mana- facile pour des salariés d’Astrium Toulouse gériale grâce à laquelle elle peut définir ses de travailler avec ceux de TAS Toulouse propres dispositifs managériaux pour gérer qu’avec leurs collègues britanniques d’As- les tensions coopétitives. trium Portsmouth ou de Stevenage. Ils par- lent la même langue. Ils se rencontrent faci- III – LE MANAGEMENT DES TENSIONS COOPÉTITIVES lement puisque les sites ne sont éloignés que d’une quinzaine de kilomètres. Les salariés 1. Une EPC avec un espace dédié de TAS Toulouse partagent ce sentiment. Ils La réalisation de Yahsat requiert l’implica- reprochent à leurs collègues cannois d’être tion de tous les sites industriels de TAS et peu ouverts et peu collaboratifs. Ils préfè-
70 Revue française de gestion – N° 232/2013 rent travailler avec des salariés d’Astrium enjeux de pouvoir entre les coopétiteurs. La Toulouse. Le responsable technique du pro- question du leadership se pose dès les pre- gramme d’un industriel explique l’impor- mières phases du projet. L’attribution de la tance de cette proximité géographique : maîtrise d’œuvre représente pour les indus- « Et là c’est... mais si moi j’avais mon triels une reconnaissance de compétences. bureau de l’autre côté de la Garonne chez Être maître d’œuvre confère à l’industriel moi là, je pourrais pas, on pourrait pas, ça un avantage dans les négociations et dans la pourrait pas fonctionner quoi. Il faut que... gestion de la relation avec le client. le travail qu’on a il est vraiment au jour le Dans ce contexte de coopétition, une confi- jour pour tous les problèmes qu’on a et on guration classique de type client-fournis- est obligés d’être ensemble. » seur est difficile à envisager. Afin d’éviter Afin de faciliter les interactions au sein de les asymétries de pouvoir, Astrium et TAS l’équipe coopétitive, les directions estiment ont décidé de partager équitablement la opportun de dédier un espace à l’équipe- maîtrise d’ouvrage du programme Yahsat. projet intégrée. Des locaux exclusivement Ce partage égalitaire s’est traduit par la dédiés à l’EPC sont à la disposition de mise en place d’une structure de gouver- l’équipe, mais ces locaux restent en marge nance mixte dédiée à Yahsat. La mixité de du reste de l’entreprise. Les bâtiments la structure de gouvernance reflète la co- dédiés à l’EPC sont sur le site industriel des maîtrise d’œuvre décidée au niveau organi- partenaires et sont séparés par des grillages sationnel. Au sein du groupe projet intégré, et des accès limités. Les salariés d’Astrium les postes les plus critiques sont doublés : disposent d’un accès restreint à leur propre chefs de projets, contrôleurs de programme, organisation. Les salariés de TAS ne sont responsables de l’ingénierie systèmes, res- pas autorisés à circuler librement sur le site. ponsables industriels, responsables tech- Des contrôles magnétiques stricts empê- niques et satellites. Le responsable du seg- chent les membres de l’équipe d’accéder ment satellite du programme Yahsat pour un aux autres bâtiments d’Astrium. des industriels exprime l’intérêt d’un mode En revanche, au sein de l’équipe, le mélange organisationnel dupliqué : entre les individus est réel. Par exemple, « Ça permet de contrôler le quotidien dans sur les portes, les origines des différents les deux sens c’est-à-dire ça permet aux membres de l’équipe ne sont pas préci- sociétés de s’assurer qu’elles ont du person- sées. Aucune distinction n’apparaît entre nel à eux, à elles, à un niveau qui va bien les membres de TAS et ceux d’Astrium. qui assure qui leur permet de défendre leurs Ce mélange peut toutefois avoir un effet intérêts au quotidien. Et d’un autre côté ça pervers. Les salariés se sentent à l’écart de permet au programme d’avoir une visibilité leur propre entreprise et peuvent être perçus raisonnable en tant qu’entité programme et comme des « traîtres » par leurs propres de contrôler ce qui se passe dans chacune collègues. des sociétés par le personnel du PMO, enfin de cette unité projet, qui est dans ses 2. La structure bicéphale des EPC propres sociétés. » La constitution de la structure de l’EPC est Au niveau de l’équipe dédiée au pro- cruciale. La structure reflète notamment les gramme, une duplication poste à poste
Comment coopérer avec ses concurrents ? 71 apparaît. Les sous-ensembles du projet le, mais n’empêche qu’il a deux adjoints, un sont réalisés par les ressources propres de Astrium et un de Thales Land and Joint de chaque organisation suivant la répar- et que au niveau du segment sol, il y a une tition industrielle préalablement définie. co-maîtrise d’œuvre à trois parce qu’il y a La responsabilité de chaque segment du les trois sociétés qui participent. L’ingénie- programme Yahsat est confiée à un des rie système il y a un leader mais n’empêche industriels. La responsabilité du segment que comme cette ingénierie système on l’a sol est confiée à Astrium tandis que TAS est fait ensemble, et ben ils font ça à deux. » désigné comme garant du segment spatial. La mixité de la structure de gouvernance Les terminaux constituent l’enjeu majeur apparaît comme une duplication, une de compétitivité entre les partenaires sur redondance et pose la question de son inté- le segment sol. Astrium et TAS privilégient rêt. Un tel choix ne semble pas optimal du une approche équilibrée des responsabilités point de vue de l’allocation des ressources. dans l’esprit de la co-maîtrise d’ouvrage. Une structure duale mobilise des ressources Mais le nombre de segments à répartir est au sein de chaque organisation. Des écono- impair. Le partage de l’ingénierie systèmes mies seraient opérées s’il n’y avait qu’une fait l’objet de controverses. Les tensions seule responsabilité. De même, le reporting liées au leadership du programme et au du programme n’est pas facilité. Dans le partage des tâches forcent les entreprises cas d’un programme interne, le reporting à négocier. À l’issue de cette phase de ne concerne qu’une seule hiérarchie. Ici, le négociation, Astrium et TAS confient la reporting est double. Chaque société conso- gouvernance de l’ingénierie système à un lide ses propres comptes du programme et salarié d’Astrium. Un adjoint de TAS par- les communique à sa direction. La dualité tage la responsabilité. Cette décision garan- du programme complexifie le reporting. tit l’équilibre de la relation partenariale et Pourtant, cette structure mixte est essen- reflète la co-maîtrise d’ouvrage. Le chef tielle. Elle reflète la co-maîtrise d’œuvre du du programme Yahsat explique ainsi cette programme (cf. figure 2). structure de gouvernance : Le doublement des responsabilités prin- « Yahsat est réparti entre un segment sol, cipales dans l’équipe de gouvernance du un segment spatial et un système ingénie- programme maintient l’équité entre les par- rie. Bon en fait le segment spatial même tenaires et la symétrie de leur relation. L’ap- si c’est nous qui avons la responsabilité du parente redondance des ressources assure la système spatial avec M. Y, n’empêche que parité et l’implication des deux parties lors M. Y il a un adjoint qui est M. X, chez le de la prise de décision. Lorsqu’un aspect concurrent et qui est responsable du satel- du programme est discuté avec le client, lite. Donc il y a ces deux-là qui travaillent Astrium et TAS se réunissent d’abord pour main dans la main au niveau du segment discuter d’une position commune à adopter spatial. C’est une co-maîtrise d’œuvre au vis-à-vis du client. Astrium, le mandataire, niveau du segment spatial. Le segment sol ne dispose d’aucun pouvoir décisionnel sur c’est Astrium qui a la maîtrise d’œuvre du l’équipe-projet de TAS. Aucun partenaire segment sol. Donc en Angleterre il y a un n’a le pouvoir de faire cavalier seul et de certain monsieur qui s’appelle M. R, qui a traiter directement avec le client.
72 Revue française de gestion – N° 232/2013 Figure 2 – La structure des équipes-projets coopétitives Astrium TAS Management Office Resp. projet Resp. projet Project Resp. Syst. Resp. Indus Resp. seg sol Resp. seg spatial Adjoint Adjoint Adjoint Adjoint Ingénieurs & Managers Ingénieurs & Managers Équipe-Projet Coopétitive L’obligation de parvenir à un consensus Les deux organisations ont les mêmes pour toute décision prise pour le programme responsabilités et les mêmes droits d’in- provoque une certaine lourdeur. Comparé à terface avec le client. Les relations entre un processus purement interne, le processus le responsable du segment et l’adjoint d’accord entre deux partenaires concurrents ne sont pas hiérarchiques mais fonction- est plus lent à mettre en œuvre. Des ten- nelles. Ils partagent la gouvernance et le sions apparaissent au cours de cette phase, pilotage du programme. Toute décision notamment lors de difficultés techniques. relative au programme est prise en com- Chaque individu recommande une solu- mun. Le processus de négociations entre tion qui avantage son organisation mais les partenaires est permanent. Comme qui induit des coûts supplémentaires chez l’explique le responsable du segment le partenaire. Le processus de décision spatial d’un des industriels, les processus devient l’expression de tensions entre les de négociation occupent une place impor- partenaires. tante au quotidien : Cette double boucle dans le processus de « Il y a... enfin... il faut bien voir que dans décision donne une meilleure visibilité ces, comment dirais-je, ces processus de interne au niveau des équipes. Les décisions coopétition le mode de fonctionnement et les choix des directions paraissent plus général c’est le consensus parce que les légitimes aux opérationnels. Les ingénieurs deux entreprises ont un poids égal donc acceptent plus facilement des directives il n’y en a pas une qui peut imposer sa lorsque celles-ci émanent de leur supérieur décision à l’autre donc on est obligés de hiérarchique plutôt que d’un chef de pro- négocier et d’arriver à un consensus donc... jet d’une entreprise concurrente. La com- c’est un équilibre en permanence, pas en munication et l’implication sont facilitées permanence remis en cause mais qui est lorsqu’elles proviennent d’un individu issu difficile à trouver au début, au moment où de la même organisation que lorsqu’elles chacun prend ses marques, où chacun s’in- proviennent du concurrent. terroge sur ce qu’il doit faire. »
Comment coopérer avec ses concurrents ? 73 3. Un comité de direction mixte le responsable du programme Yahsat pour Les interactions permettent aux organisa- un des industriels : tions de parvenir à un consensus lors de « Quand il y a un, un problème grave qu’on la prise de décision et par conséquent de n’arrive pas à résoudre on va dire à mon rétablir l’équilibre de la relation partena- niveau, enfin en l’occurrence ça commence riale. Lorsqu’une difficulté survient, les par le niveau en dessous, ensuite ça remonte responsables au niveau de chaque segment à mon niveau avec mon homologue côté disposent du pouvoir de les résoudre. Ils concurrent, on essaie de, d’abord on dit ah représentent respectivement leur organisa- ben tiens ce gars-là il n’a pas voulu trans- tion et réalisent à leur niveau les arbitrages mettre de document, c’est con parce que ce nécessaires sans perturber le déroulement n’est pas vraiment confidentiel, est-ce que tu du programme. Au sein de ce duo managé- peux débloquer la situation ? La plupart du rial, chaque manager dispose d’un pouvoir temps on essaie de résoudre ça localement de décision équivalent. Il n’est donc pas et puis au bout d’un moment on est bloqués nécessaire de mobiliser un niveau de mana- et on appelle une réunion exceptionnelle et gement du programme supérieur. Compte on essaie de trancher au niveau plus haut. Et tenu de l’importance du programme, une puis si ça ne va pas, on monte encore d’un telle organisation soulage les chefs de pro- cran en mettant les deux PDG dans la boucle. gramme. Si le conflit persiste, que les Il faut bien qu’on y arrive à l’arrivée. » responsables au niveau des segments ne Dans la situation extrême où le comité de s’accordent pas, les chefs de programme se direction ne trouve pas de solution accep- retrouvent impliqués. table pour les deux parties, les directions Dans l’hypothèse où les deux chefs de générales des deux organisations sont ame- programme ne parviennent pas à se mettre nées à intervenir. Bien que ce niveau d’in- d’accord sur une politique commune, le tervention soit prévu par les organisations, GME (groupement momentané d’entre- au moment où nous menons notre enquête prises) prévoit la procédure à suivre. Un terrain, les directeurs des deux organisa- comité de direction mixte est mobilisé. Il tions ne sont pas sollicités à cette fin. Seul traite ce genre de situation potentiellement le comité de direction est mobilisé, comme conflictuelle et paralysante. Connu dans en témoigne le responsable du programme l’industrie sous l’acronyme « codir », cet Yahsat pour un des industriels : organisme de régulation se réunit périodi- « Et à la limite, même si au niveau de ce quement tous les trois ou quatre mois. Il comité de direction on n’arrive pas à trou- comprend deux représentants d’Astrium et ver de décision ça monte au niveau direc- deux représentants de TAS, tous les quatre tion générale des deux entreprises. Enfin membres du PMO. Les directeurs de l’en- pour l’instant ça n’est jamais arrivé. Qu’on semble des programmes de télécommunica- soit obligés de faire intervenir le codir tions de chaque firme siègent à l’assemblée. pour trancher oui c’est arrivé. Bon nous on Le codir arbitre les litiges non résolus au essaie au maximum avec XX de régler les niveau du programme, comme en témoigne problèmes à notre niveau, c’est évident ».
74 Revue française de gestion – N° 232/2013 Les membres de cette structure de gou- À travers ces différentes tâches quoti- vernance ne disposent d’aucun lien de diennes, il maintient des niveaux accep- nature hiérarchique entre eux. Ils assurent tables de coopération et de compétition tout de même des fonctions de veille réci- au sein de l’équipe. Il contrôle l’intensité proque. Ils assurent à leurs organisations des tensions qui émergent et propose des respectives que le partenaire a bien réalisé moyens pour gérer ces tensions. Il dispose la part dont il est responsable. Ils contrô- des habilités particulières nécessaires à lent les flux informationnels et vérifient l’intégration du paradoxe de la coopétition. que l’information nécessaire au programme En raison de l’importance du chef de projet circule comme il se doit et que la pro- dans le management des tensions liées au priété individuelle des données stratégiques contexte de coopétition, le choix de l’indi- confidentielles est préservée. Une gouver- vidu est primordial pour les organisations. nance partagée constitue l’un des prérequis Le processus d’affectation des chefs de indispensables pour qu’un programme soit projet à la direction d’un programme spatial réalisé conjointement par deux industriels ne repose pas sur un processus formelle- concurrents. Elle gère les tensions liées ment établi. Le responsable du programme à l’ambiguïté du contexte de coopétition. Yahsat pour un des industriels nous livre sa En dépit d’un gaspillage de ressources propre expérience sur le programme : apparent au travers d’une structure mixte « Alors j’avais dit à mon chef que c’étaient de gouvernance, l’équité de la relation par- des choses qui m’intéressaient et puis mon tenariale est préservée. L’existence de ten- projet s’est terminé en 2008 et il se trouve sions coopétitives ne remet pas en question que celui qui était à ma place, qui était la réussite du programme. assis là avant à ma place, il se trouve qu’il a décidé qu’il en avait eu assez pour son 4. Le management de l’EPC compte, parce que c’est quand même pas par les chefs de projet facile tous les jours et donc il a décidé de Dans une équipe-projet traditionnelle faire autre chose. Et mon chef comme il interne, le chef de projet apparaît comme savait que ça pouvait m’intéresser, que je la figure emblématique de la coordination. faisais partie de la liste, il m’a contacté. » Dans un programme tel que Yahsat, le chef Les politiques de gestion de carrière internes de projet revêt un rôle supplémentaire. ne valorisent pas toujours la participation C’est un ingénieur issu du cœur de com- des individus à des programmes de ce type. pétences de l’entreprise. Cette expertise lui Pour certains individus, le contexte de coo- confère une légitimité forte auprès de ses pétition est rédhibitoire, pour d’autres, il équipes et auprès du partenaire. Le chef de est stimulant. Certains managers perçoivent projet Yahsat est le premier défenseur du Yahsat comme un ensemble de contraintes, projet. Il est garant de la réussite du pro- d’autres managers se focalisent sur les défis gramme. Dotés de compétences et de capa- du programme. La motivation, l’implica- cités managériales spécifiques, il est amené tion et le dévouement du chef de projet sont à développer un état d’esprit coopétitif et à autant d’éléments qui favorisent l’aboutis- devenir le personnage emblématique de la sement d’un programme comme Yahsat. coopétition. Le chef de projet intègre les raisons de ce
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