Comment faire entrer la poésie à l'école maternelle? - 05_04STA00268

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Comment faire entrer la poésie à l'école maternelle? - 05_04STA00268
Iufm de Nevers
                                               2004 –2005

   Concours de recrutement
  des professeurs des écoles

         Comment faire entrer la poésie

                     à l’école maternelle?

Carine Saint-André (PE2)
                                           soutenance du 18/05/05
                                                05_04STA00268
Sous la direction de Mme Nathalie Charvy
Comment faire entrer la poésie à l'école maternelle? - 05_04STA00268
Remerciements

              « la vie c’est soi- même et soi-même c’est les autres. »

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Merci à toute l’équipe de formateurs IUFM, pour leur attention et leur suivi, et en particulier
à Madame Nathalie Charvy, pour m’avoir guidée et soutenue dans l’élaboration de ce mémoire.
Je remercie aussi, les élèves de la classe de moyenne et grande section de maternelle de
l’école St Eloi ainsi que leur enseignante Madame Fanny Rochette.

Je tiens à remercier aussi Laouali Maman pour avoir su me toucher avec ses mots, et à travers
lui tous les poètes qui amoindrissent notre peine et permettent à notre joie de grandir.

Je remercie aussi Laurent Tartière, qui m’a convaincue de la place de la poésie en classe, et
montré le plaisir qu’elle peut procurer aux élèves. Ainsi que Marlène Mouillaud pour son travail
sur la poésie et son engagement passionné dans l’enseignement.

Un grand merci à ma famille pour m’avoir donné le goût de l’enseignement, cru en moi et
soutenu dans toutes les épreuves de ma vie.

Une pensée pour mon père.

                                                                                           2
Comment faire entrer la poésie à l'école maternelle? - 05_04STA00268
Sommaire
REMERCIEMENTS............................................................................................................2

INTRODUCTION................................................................................................................ 4

I. L’ÉCOLE ET LA POÉSIE..............................................................................................5
   A. QU’EST- CE QUE LA POÉSIE ?............................................................................................... 5
   B. LA POÉSIE ET LES INSTRUCTIONS OFFICIELLES...........................................................................6
     1. Les instructions officielles (IO) de 1923 à 1995........................................................ 6
     2. Les instructions officielles aujourd’hui..................................................................... 7
     3. Point sur la maternelle...............................................................................................8
   C. POURQUOI LA POÉSIE À L’ÉCOLE ?.........................................................................................9
     1. Développement de l’imaginaire................................................................................. 9
     2. Construction de soi, socialisation............................................................................10
     3. Maîtrise de la langue écrite et orale........................................................................ 11
     4. le rôle de l’école.......................................................................................................12
II .FAIRE ENTRER LA POÉSIE DANS LA CLASSE :............................................... 13

IMPRÉGNATION POÉTIQUE ET DÉCOUVERTE D’UN NOUVEAU GENRE
LITTÉRAIRE.....................................................................................................................13
   A.ECOUTER, LIRE................................................................................................................. 13
     1. L’écoute en maternelle.............................................................................................13
     2. Le rôle de l’enseignant.............................................................................................14
     3. Les poèmes, les poètes, les recueils ........................................................................ 15
   B. VOIR, RESSENTIR, RENCONTRER.......................................................................................... 17
     1. L’arbre à poèmes..................................................................................................... 17
     2. Les auteurs............................................................................................................... 17
   C. DIRE.............................................................................................................................. 18
     1. Dire une comptine, un poème...................................................................................18
     2. S’exprimer................................................................................................................ 19
III.PERMETTRE AUX ÉLÈVES D’ENTRER EN POÉSIE: ...................................... 20

LES JEUX POÉTIQUES AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT DE L’ESPRIT
CRÉATIF ........................................................................................................................... 20
   A. ECRIRE POUR DÉVELOPPER LA CRÉATIVITÉ ET FAIRE ÉMERGER LA NOTION D’IMAGE POÉTIQUE........ 20
     1. La spécificité de la maternelle................................................................................. 20
     2. Pourquoi créer des poèmes à l’école maternelle ?..................................................21
   B. JEUX POÉTIQUES AU SERVICE DE LA CRÉATION....................................................................... 21
     1. Jeux qui libèrent l’imaginaire et la créativité..........................................................21
     2. Jeux qui permettent une approche précise de la langue écrite................................ 22
     3. Jeux qui mettent en évidence certains procédés propres au langage poétique....... 23
   C. PRODUCTION D’ÉCRITS...................................................................................................... 24
     1. Réinvestissement à partir des jeux poétiques...........................................................24
     2. Processus de création.............................................................................................. 24
     3. Création d’un recueil............................................................................................... 26
CONCLUSION................................................................................................................... 27

BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................. 28

ANNEXES........................................................................................................................... 30

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Introduction

Il existe un flou pédagogique concernant la poésie et notamment en maternelle. En effet très
peu d’études ont été réalisées dans ce domaine. La culture poétique est encore très marginale,
pourtant elle est source d’apprentissages et de plaisir pour ceux qui la rencontrent. Le rôle de
l’école n’est il pas de permettre aux citoyens de demain, de s’enrichir culturellement afin de
mieux se connaître eux-mêmes et de s’ouvrir sur le monde?

Il s’agit à travers ce rapport de mettre en évidence le lien école-poésie: Comment faire
découvrir cette part de la culture littéraire souvent méconnue ou détournée de sa vocation et
ce dès le plus jeune age?

Les Instructions Officielles citent la poésie à plusieurs reprises, mais il n’en est donné aucune
définition et les compétences à acquérir dans ce domaine apparaissent de façon succincte. Par
ses caractéristiques, la poésie est difficile à cerner et à définir. Sa place dans les classes se
résume souvent à la mémorisation d’un poème puis à sa récitation. Les enseignants se sentent-
ils démunisface à la poésie: quelles activités proposer, comment aborder ce genre littéraire?
La méconnaissance de la poésie par les enseignants est elle un frein à son introduction dans les
classes ou tout simplement ne voient –ils pas l’intérêt d’un tel apprentissage?

Pourtant de nombreux chercheurs ont montré les enjeux de la poésie en classe. Elle contribue
à la construction d’un socle essentiel à la mise en place d’apprentissages fondamentaux,
notamment en permettant le développement de l’imaginaire, la construction de soi, la
socialisation et la maîtrise de la langue écrite et orale.

La pratique poétique en classe ne permet d’atteindre ces objectifs que s’il existe une
interaction et une articulation entre écouter, lire dire et écrire des poèmes. Ces pratiques
complémentaires, doivent être mises en œuvre dès l’école maternelle. Comment alors faire
entrer la poésie à l’école maternelle? Comment faire découvrir ce genre littéraire souvent
méconnu à des enfants, pour lesquels un des apprentissages prioritaire est la maîtrise de la
langue orale? Quelles activités peuvent elles être mises en place alors que les élèves ne savent
pas encore lire ni écrire de façon autonome?

Afin d’apporter des éléments de réponse à cette problématique, ma réflexion s’articulera en
trois parties. Tout d’abord il s’agira d’éclaircir la notion de «poésie» en croisant plusieurs
définitions partielles et de faire un bref historique du positionnement des Instructions
Officielles afin de mettre en évidence les enjeux de la poésie à l’école. La didactique de la
poésie sera illustrée par des d’exemples issus de ma pratique. A travers les différentes voies
d’entrées en poésie: écouter, lire, dire, écrire, un examen des pratiques pédagogiques pouvant
être menées en classe sera présenté. Tout d’abord en soulignant la nécessaire mise en place
d’un « bain poétique » afin de permettre l’appropriation de ce nouveau genre littéraire, puis en
détaillant un panel d’activités pouvant être mises en place en maternelle et permettant la
création poétique.

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I. L’école et la poésie

A. Qu’est- ce que la poésie ?

Anciennement, selon le Littré, la poésie était ramenée à «l’art de faire des ouvrages en vers»,
toutefois on n’écrit guère plus en vers, et comme l’écrit Janine Hiu1 «Nous savons d’autre part
qu’il existe une prose poétique, par exemple celle de Chateaubriand et que les énoncés
mathématiques ou des recettes de cuisine peuvent être versifiés sans que l’on puisse, pour
autant parler de poésie.»

De par l’évolution des pratiques, la définition que l’on peut donner de la poésie a évolué.
 Selon l’Encyclopédie Universalis «la poésie est l’art du langage qui se caractérise par la mise
en jeu de toutes les ressources de la langue (lexicales, syntaxiques, mais aussi sonores et
rythmiques) afin de créer pour le lecteur ou l’auditeur un plaisir à la fois intellectuel et
sensible». Elle réside en toute production dont l’effet est moins d’informer que de
communiquer. Dans un poème l’information peut y être nulle, il arrive que les mots manquent
voire les lettres: nous ne savons pas ce que le poème veut dire. Cependant, il nous dit, parfois il
nous chante, toujours il communique une émotion. Les définitions plus récentes de la poésie
soulignent cette communication des émotions et des sensations notamment suscitées par les
images et le rythme obtenus par le jeu de langue. Ainsi en 2003 le Petit Larousse définit la
poésie comme «l’art de combiner les sonorités, les rythmes, les mots d’une langue pour évoquer
des images, suggérer des sensations, des émotions. Caractère qui touche la sensibilité qui
émeut: la poésie d’un paysage.»
Aucune définition universelle de la poésie ne peut être donnée. Pour George Jean la poésie est
«un langage du corps et de l’esprit, elle est un langage qui joue avec lui même.» 2. Pour
Marguerite Laurent –Delchet la poésie est «un état, une manière d’entrer en contact avec les
êtres et les choses qui constituent le monde réel »3. Pour Elliot, 9 ans, en CE2, la poésie
représente « quelque chose que l’on apprend, qui rime, qui est joli ». Enfin pour des élèves de
moyenne et grande section de maternelle, au terme d’une semaine d’imprégnation, la poésie
« c’est beau, c’est rigolo et parfois c’est triste ».

Pour Jean Pierre Siméon « la poésie ne se laisse pas enfermer dans une définition et c’est sa
richesse. Les formes poétiques sont multiples : la prose, le vers libre ; l’aphorisme, le proverbe
ou le dicton assument la poésie autant que le poème stricto sensu ». Il semble que la poésie ne
se définisse, mais qu’elle se désigne.

La poésie est un art du langage, une certaine manière de travailler le texte. L’étymologie
permet d’approcher le sens du terme « poésie » et donne une définition assez juste de la
multiplicité de la démarche poétique, il vient du grec poiein qui signifie, créer, fabriquer. On
peut donc définir la poésie comme une pratique qui utilise le langage (tous les moyens du
langage) pour fabriquer un poème. La poésie ne peut alors pas être l’objet d’une norme, elle ne
peut être réduite à des critères de reconnaissance formels, ni à un catalogue des effets
produits sur l’auditeur et le lecteur. La poésie ne doit pas être représentée uniquement par
l’existence d’une forme canonique, la présence de vers ou de rimes. La difficulté se retrouve

1
    Janine Hiu, Approches poétiques de la langue, cycle 2, enseigner aujourd’hui, Bordas Pédagogie.
2
    Georges Jean, Comment faire découvrir la poésie à l’école ?, Pédagogie Retz, 1997.

3
 Marguerite Laurent-Delchet, Approches poétique du langage enfantin, in Michel Cosem, Le pouvoir de la poésie,
Casterman, 1978 .

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aussi dans la définition du poème dont les formes sont si variées qu’on ne peut en tirer de
caractéristiques générales.

C’est pourquoi il est important de familiariser très tôt les enfants à toute poésie afin qu’ils
puissent en donner une définition autre que structurale. L’enjeu est de leur faire découvrir
toutes poésies, afin quelles deviennent source de plaisir. Jean Pierre Siméon va plus loin en
écrivant qu’« il faut problématiser la notion de poésie. Faire en sorte de proposer aux enfants
un répertoire si vaste, si large, si contradictoire à l’intérieur de lui-même, qu’il ne dise pas aux
enfants : « la poésie c’est ça », mais qu’il suscite chez les enfants, la question perpétuelle :
« Qu’est-ce que la poésie ? (…) Pour cela, il faut commencer par des lectures de poésie,
fondées sur la diversité, sur la fréquence et la régularité»

Il est à noter, en dernier lieu, que l’on appelle parfois un texte poétique une « poésie » : c’est
un emploi impropre, un texte poétique étant un « poème ».

Il n’est pas possible de soumettre la poésie à une seule définition, stable et immuable, car la
poésie est créée pour des raisons diverses, lyriques, épiques, cocasses…. Que la poésie aborde
tous les sujets, et que la poésie ne se réduit pas à un objet représentable avec une forme
réglementée. Elle ne s ‘enferme plus dans une discipline : apprentissage linguistique, étude d’un
genre littéraire, pratique artistique car les apprentissages et la connaissance qu’elle engendre
sont transversaux.

B. La poésie et les instructions officielles
Il semble intéressant de faire un bref rappel historique des conceptions scolaires de la poésie,
ceci à travers l’étude des Instruction Officielles de 1923 aux nouveaux programmes de 2002.
Pour cela je me réfère à l’article de Françoise Sublet, la poésie et l’instruction scolaire de
1923 à 1972. En effet, la place laissée à la poésie dans les écoles et les approches ont
beaucoup évolué au cours du siècle dernier, et ces engagements correspondent aux
orientations définies par les Instructions officielles.

1. Les instructions officielles (IO) de 1923 à 1995

Dans les IO de 1923-1925 il est très peu fait allusion à la poésie : elle est uniquement abordée
sous le chapitre de la récitation. Celle ci étant présentée comme un exercice qui est « l’un des
moyens d’enseigner aux enfants l’usage correct des mots et des tours de notre langue ». La
poésie s’apparente alors à un langage rythmé et harmonieux dont la forme diversifiée et rimée
facilite la récitation. Concernant « le fond » de la poésie, il s’agit selon les IO de 1938, de
« sentiments forts et d’idées généreuses ». Les pratiques pédagogiques qui en découlent sont
la récitation, la lecture orale prenant appui sur celle du maître, et l’explication de « texte »
(analyse des mots, du rythme, de l’harmonie des vers). Plus tard les IO de 1953 associent
poésie et morale. Les enseignants présentent des textes « qui réunissent un grande émotion,
de beauté (…) et la perception d’une haute qualité morale ».
Il va falloir plus de 20 ans et les IO de 1972, qui consacrent quatre pages à la poésie, pour
tenter de changer les représentations de la poésie et lui donner un nouveau statut dans la
classe. Même s’il est encore question du lien poésie-morale, d’une poésie assimilée au beau, à
l’expression des sentiments, une place importante est réservée aux rédactions personnelles de
l’enfant et à leur respect. Le choix des textes par l’enseignant se fait à partir de « la fonction
expressive du langage » et du niveau des élèves. Ainsi il est recommandé d’utiliser les
comptines et chansons pour les élèves du cours préparatoire. Dans ces nouvelles IO

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apparaissent de nouveaux auteurs comme Apollinaire ou Eluard ; il ne faut plus présenter que
les grands classiques. Cependant aucune mention n’est faite des textes produits après les
années 50.
A partir de ces textes poétiques, les activités pédagogiques préconisées sont encore
largement la récitation et l’explication de texte. Cependant le maître se doit aussi « d’inviter
les élèves à apprendre individuellement un poème à lire en classe (…) tout en respectant leur
liberté de choix ». Même si la lecture à voix haute par le maître reste prépondérante, les
élèves ont une part de liberté non négligeable dans le choix des poèmes pris dans des livres de
poésie présents dans la classe, et ce afin de procéder à des exercices de diction en lien avec
les activités de « rythmique musicale et corporelle ».
Les Instructions Officielles de 1995 consacraient à la poésie un paragraphe spécifique sous
l’intitulé : « L’usage poétique de la langue », ce qui d’une certaine manière en faisait un domaine
à part et la marginalisait.

2. Les instructions officielles aujourd’hui.

Les conceptions ont fortement évolué avec les programmes de 1995 qui soulignent « l’usage
poétique de la langue ». Il est intéressant de voir ce qu’il en est aujourd’hui dans les nouveaux
programmes 2002.
L’objectif principal de l’école primaire est « l’apprentissage et la maîtrise de la langue
française ». Ceci passe par un travail oral à l’école maternelle puis par l’introduction de la
lecture et de l’écriture à l’école élémentaire. A l’école élémentaire, les textes « étudiés » en
classe peuvent faire l’objet « d’un travail de diction, récitation… ». Ce sont autant d’occasions
« de donner sens et consistance au texte écrit, qu’il s’agisse de poésie ou de prose, avec un
travail sur le souffle et le corps qui renforce la confiance en soi ». Dès lors, la poésie n’est
plus uniquement un outil de mémorisation. Il est question de littérature, dans laquelle lire, dire,
écrire sont liés, autour des textes variés dont la poésie. Elle apparaît, alors comme partie
intégrante de la littérature : on évoque « les textes littéraires (indifféremment) en prose ou
en vers » et les approches poétiques de la langue se situent de façon transversale par rapport
à toutes les autres activités d’expression et de communication. On retrouvera donc des
recommandations concernant la poésie sous les rubriques diverses non seulement dans le
domaine de la maîtrise de la langue, comme « dire des textes », mais aussi au chapitre des
« activités graphiques » ou encore de l’ « éducation musicale ».

Plus spécifiquement les IO énoncent :
    • « faire des propositions d’interprétation pour oraliser un texte appris par cœur ou
        pour dire un texte en le lisant » pour le cycle 2,
    • « dire un poème ou un texte court parmi ceux qui ont été appris par cœur dans l’année
        (une dizaine) en l’interprétant, pour le cycle 2,
    • pour le cycle 3, être capable de restituer au moins dix textes (de prose, de vers ou de
        théâtre) parmi ceux qui ont été mémorisés », « dire quelques-uns de ces textes en
        proposant une interprétation (et en étant susceptible d’expliciter cette dernière) »,
        « mettre sa voix et son corps en jeu dans un travail collectif portant sur un texte
        théâtral ou sur un texte poétique » ;
    • Au niveau écrit toujours pour le cycle 3 : « écrire un fragment de texte poétique en
        obéissant à une ou plusieurs règles précises et en référence à des textes poétiques lus
        et dits ».

Le document d’accompagnement des dotations Poésie fait quelques propositions d’activités
pédagogiques comme : choisir un recueil, déambuler dans le livre que l’on a choisi, entrer dans
des recueils selon un monde ludique, confronter les manières de dire et les réceptions.

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3. Point sur la maternelle

A l’école maternelle le travail se fait essentiellement à l’oral, même si les apprentissages visés
concernent déjà la maîtrise de la langue écrite. En effet, même si l’apprentissage de la lecture
et de l’écriture n’est pas au programme, l’école maternelle doit donner l’occasion à tous les
élèves d’une imprégnation orale des mots et des structures de la langue écrite, préalable
indispensable à tout acte de lecture. Cette imprégnation se fait par rendez vous réguliers avec
la littérature. Ces derniers créent l’occasion d’engager un dialogue, de relire le texte qui a été
entendu et de construire progressivement des représentations communicables par des mots
et des images. Tout comme à l’école élémentaire les textes sont de genres divers : poésie,
roman, théâtre. La découverte de ces œuvres se prolonge par des activités d’interprétation qui
permettent aux élèves de s’approprier encore davantage le texte écrit : mise en voix, esquisse
de mise en scènes, récitation par cœur. Ces moments servent de support à des activités de
production de texte, notamment par le biais de détournement ou de pastiche. Cette
imprégnation se fait donc aussi par la dictée à l’adulte, qui offre à l’enfant qui ne sait pas
encore écrire la possibilité de bénéficier de l’aide d’un secrétaire pour construire des textes.
C’est l’occasion pour lui de parler les textes écrits et de mesurer la différence entre langage
oral et écrit. Parallèlement l’enfant découvre les multiples fonctions de la langue écrite et les
différentes écritures qui l’entourent. Il est nécessaire qu’il prenne conscience des réalités
sonores de la langue. Pour cela il est préconisé de lui permettre de dire souvent des poèmes,
des comptines, chansons ou jeux de doigts. Son attention aux rythmes et aux rimes lui fait
alors découvrir que les paroles sont composées de sons. En effet, par l’écoute et la
mémorisation de comptines et de poèmes, il s’agit « de familiariser les élèves avec le français
écrit et de construire une première culture littéraire ». Cela nécessite l’affichage des textes
lus dans la classe. Ces pratiques contribuent à la « construction progressive d’un riche
répertoire de représentations et de langage » et ont pour objectif « d’attirer l’attention sur
les unités distinctives de la langue ». De plus, la sensibilité et l’imagination qui sont les
instruments d’une relation au monde extérieur et intérieur, préconisent les activités qui
mettent en jeu la voix.

Les IO précisent quelques compétences devant être acquises en fin de maternelle, où l’on
retrouve spécifiquement la poésie ou la comptine :

Compétences concernant le langage d’évocation
    - Dire chanter chaque année au moins une dizaine de comptines, de jeux de doigts ou de
       poésies.
Compétences concernant le langage écrit et plus particulièrement la découverte des réalités
sonores du langage.
    - Produire des assonances et des rimes
Compétences concernant la voix et l ‘écoute :
    - Avoir mémorisé un répertoire varié de comptines et chansons.
    - Interpréter avec des variantes expressives un chant, une comptine, en petit groupe.

En maternelle l’oral est le vecteur principal de l’imprégnation poétique, mais il ne faut pas
négliger les possibilités de création des élèves qui peuvent se prolonger par une écriture
collective en dictée à l’adulte. La poésie, ici encore rassemble des compétences transversales,
tant dans le développement de l’imaginaire et de la création, que dans l’acquisition de la langue,
mais aussi dans l’apprentissage de la vie en collectivité, par la socialisation et la découverte de
soi.

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Ces rappels sur les Instructions Officielles permettent de comprendre l’ancrage de cette
recherche autour de la poésie. Elle s’appuie sur tout ce qui est contenu implicitement dans les
programmes, à savoir les enjeux de la poésie à l’école et l’intérêt des différentes pratiques
pédagogiques. Ces réflexions étant nécessaires à la mise en place d’une véritable pratique de
poésie en classe.
Les instructions officielles font du langage « un objet de jeu, de manipulation des sons, des
rythmes, des intonations, des mots et des structures ». Ainsi la poésie ne se limite pas à un
usage particulier de la langue, mais comprend à la fois une dimension ludique, patrimoniale et
créatrice.

C. Pourquoi la poésie à l’école ?
Le développement de l’imaginaire, l’apprentissage de la socialisation et la maîtrise de la langue
écrite et orale sont trois compétences visées par les nouveaux programmes. Le maître peut
atteindre ces objectifs utilisant la poésie.

1. Développement de l’imaginaire

Selon Janine Hiu, « l’imagination, c’est la faculté de concevoir par l’image ». Il est important de
noter que, contrairement aux représentations les plus souvent partagées, la poésie ne se limite
pas à l’imagination. En effet, la poésie se situe toujours à l’articulation entre le monde réel et
le monde imaginaire, «la poésie travaille l’imaginaire pour exprimer la réalité »4. Il n’est pas
rare qu’un enfant ne fasse pas de distinction entre le réel et l’imaginaire, il est donc du devoir
de l’enseignant de l’amener à pouvoir opérer cette séparation. Or la poésie, du fait de son
caractère duel, peut être un bon moyen de montrer à l’enfant comment utiliser l’imaginaire à
des fins d’investigation du réel.
Par la pratique de la poésie en classe, l’enseignant amène les élèves à se représenter des
images et à avoir un regard différent sur le réel. En effet, lors du jeu poétique et du premier
jet de création poétique « si j’étais... »5, les élèves de grande section de maternelle de St Eloi
avaient des propositions très réalistes ou proches du vécu de l’enfant « si j’étais un singe, je
monterais aux arbres pour manger toutes les bananes ». Puis l’imagination s’exprime peu à peu à
travers le langage poétique en rendant vivant et concret l’univers des sensations, des émotions,
en particulier par les métaphores et les comparaisons dont la poésie fait usage. La production
des élèves le montre lorsqu’ils écrivent « Si j’étais un dragon, je cracherais des feux
d’artifices ». Ce langage parle aux élèves, qui comprennent que la poésie n’est pas directement
accessible à la compréhension de chacun, mais elle nécessite l’intervention de l’imagination. Ce
propos est justifié par l’enthousiasme que montre les élèves à l’écoute d’Haïkus. Ils savent
apprécier ces petits textes sans qu’aucun ne me signifie qu’il ne comprend pas. La poésie
dépasse alors la monotonie du quotidien, elle « agite » les esprits, engendre un dynamisme
créatif chez celui qui souhaite s’en imprégner.
Ce pouvoir de la poésie se retrouve aussi bien dans la lecture, l’écoute, la diction ou l’écriture
poétique. En effet, il ne peut y avoir poésie que s’il existe une relation duelle entre le texte et
le lecteur ou auditeur. Le poème ravive l’imaginaire du lecteur, et tout poème est enrichi et
nourri de l’imagination du lecteur ou l’auditeur. En maternelle, l’enseignant est un intérimaire,
son l’interprétation orale du poème peut alors altérer l’appropriation personnelle du texte par
l’enfant.

4
    Georges Jean, Pour une pédagogie de l’imaginaire, Casterman, 1976
5
    cf. annexe :séquence poésie

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Comment faire entrer la poésie à l'école maternelle? - 05_04STA00268
2. Construction de soi, socialisation

S’exprimer c’est se libérer. Libéré des tensions du vécu, l’enfant découvre derrière la poésie
un espace de liberté. Certains enfants n’osent pas prendre la parole du fait d’un langage limité
qui ne leur permet pas d’exprimer ce qu’ils ressentent. Or le langage poétique permet aux
élèves de trouver un écho aux mots qu’ils s’inventent pour parler du réel. Elle leur permet de
communiquer ce qu’ils voient, ce qu’ils ressentent et donc participe à sa socialisation. La poésie
incite les élèves à traduire leurs émotions, elle les aide à se libérer et à mieux vivre avec les
autres. J’ai pu, en effet constater une augmentation de la participation active des élèves lors
des jeux poétiques. Le jugement ne faisant pas partie des séances de poésie, les élèves les plus
réservés ont peu à peu pris la parole et fait des propositions. Ils ont pu aussi bénéficier de
l’émulsion de la classe, les efforts d’imagination de certains élèves ont permis l’ouverture des
autres. Michel Cosem précise que « la poésie est découverte du monde, découverte de soi, des
autres ». L’enfant développe sa personnalité en apprenant à mieux se connaître et à découvrir
les autres. La poésie lui permet ainsi de découvrir d’autres modes de pensée et d’expression.

  « Le mot, quand il est création, dénude. La première vertu de la poésie, aussi bien pour le
   poète que pour le lecteur, est la révélation de l’être. La conscience des mots amène à la
                    conscience de soi : à se connaître, à se reconnaître. »

                  Octavio Paz à propos de Lopez Velarde, 1950 in Céa, op. cit.

La création poétique en groupe classe peut avoir une fonction de socialisation et d’affirmation.
Les élèves apprennent à s’écouter les uns les autres, sans jugement, et ainsi à participer à une
dynamique créative. Au fil des séances, les élèves ont remarqué que l’adhésion aux idées des
pairs ne suffisait plus, la poésie ouvre, il est vrai, un champ de possibles et valorise la
différence ; ce qui a permis à chacun de lancer de nouvelles idées. La recherche d’originalité
peut alors être pour les élèves une manière de se démarquer positivement du groupe classe.
Cette affirmation de soi fait partie de la construction de la personnalité. De plus comme dans
toute action créatrice, on voit souvent une adhésion et une participation forte des élèves dits
« en difficultés ». En effet j’ai pu constater qu’en proposant une activité nouvelle, faisant
appel à la création, les élèves perdaient leur repères quant aux «leaders » de la classe. Nos
séances de création poétique permettaient de laisser une place à chaque idée, les plus réalistes
pouvant être mélangées aux plus imagées afin de produire des effets.

L’écriture poétique individuelle permet aussi à l’enfant de se révéler de façon plus intime.
« Les poèmes en disent long sur les drames ou les plaisirs cachés que vit l’enfant», cette
remarque de Georges Jean illustre bien ce propos.
Par ailleurs, la place des poèmes dans la classe est importante car ils participent à la
construction de la mémoire collective et culturelle commune. J’ai donc choisi de privilégier la
trace écrite des poèmes lus, entendus et produits, et ce sous différentes formes, affiche,
arbres à poèmes et recueils…, afin que chaque élève puissent s’en saisir quand il le souhaite.

La poésie amène aussi les élèves à développer leur sens critique. Les élèves à l’écoute et à la
lecture de poésie peuvent opérer un choix, apprécier ou non un texte. Il faut les amener à
pouvoir exercer leur propre jugement, et à adopter une attitude réflexive qui laisse une place
au doute, à la perplexité et à l’incertitude.

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3. Maîtrise de la langue écrite et orale

En explorant le patrimoine poétique, en rencontrant des poètes modernes et d’autres plus
anciens, en découvrant des poèmes francophones ou traduits, l’élève construit sa culture. Se
cultiver, c’est s’enrichir, s’ouvrir sur le monde pour partager cette richesse.

Pour Michel Cosem « l’enseignement du français prend toute son importance si on veut bien
considérer que c’est le développement de l’individu qui est en jeu, son imagination, son sens
critique, sa vision globale du monde .»6 L’élève quand il découvre la poésie, découvre un langage
à part : rimes, rythme, métaphore, champs sémantiques, expression verbale et graphisme
poétique, qui va lui permettre de construire des connaissances importantes pour
l’apprentissage et la maîtrise de la langue. J’ai choisi, afin de faire prendre conscience aux
élèves des différentes formes écrites que peut recouvrir la poésie, de leur présenter des
poèmes ayant diverses dispositions (calligrammes « Le cheval» et « l’œillet »7, « L’automne »,
et « Dans Paris »8). Pour les calligrammes, il fallait deviner de quoi il s’agissait, « c’est un
cheval ! Un cheval dessiné avec des lettres …avec des mots…Tu peux le lire ?». Je l’ai lu…
« c’est une poésie ! ». Pour « L’automne » et « Dans Paris », suite à l’écoute, les élèves devaient
qualifier la forme générale des textes.

En écoutant, lisant et écrivant des textes poétiques, l’enfant prend, de plus, possession de
compétences linguistiques qui lui permettront de s’exprimer plus aisément. Selon Georges Jean
l’enfant qui apprend à parler rencontre trois types de difficultés :des difficultés
articulatoires ou globalement phonétiques ; des difficultés d’ordre lexical concernant les mots,
leur sens, leur polysémie, leur emploi propre etc. des difficultés d’ordre syntaxique et
morphologique, relatives tout particulièrement à l’organisation des phrases autour des verbes
et à l’usage des pronoms. La poésie par sa richesse permet de contribuer à diminuer ces
difficultés. En pratiquant le jeu du corbillon9, par exemple, les élèves de maternelle, se
familiarisent avec la nature des mots. Dans ce jeu, ils devaient trouver des « mots- rimes »,
mais aussi plus implicitement des noms. Un adverbe, un adjectif ou un verbe n’auraient pu
constituer une réponse à la question « Qu’est-ce qu’il y a dans mes chaussons ?» .
En effet, les poèmes enrichissent le lexique par les thèmes qu’ils évoquent, et la syntaxe par
les structures qu’ils utilisent. L’enfant au contact de la poésie se familiarise et acquiert un
vocabulaire riche et susceptible d’être réinvesti. Lors du jeu poétique « si j’étais » les élèves
étaient amenés à augmenter la diversité de verbes utilisés, en effet, nous avons pu constater
que les verbes manger et faire, ne permettaient pas de grandes perspectives d’actions à nos
animaux et entraînaient une redondance lassante. Dans le processus de création les élèves ont
du chercher de nouveaux verbes, ce qui a certainement permis un élargissement des idées et
des images, comme le souligne « je me baignerais dans le soleil ».
  De même l’élève intègre un métalangage propre à la poésie en côtoyant régulièrement, les
rimes, les vers, les strophes … elle lui permet aussi d’être plus sensible aux possibilités
phoniques de sa langue. Les rimes, les allitérations, les assonances, etc. présentes dans les
poèmes donnent à l’enfant l’occasion de s’imprégner des différents phonèmes de la langue et lui
permet d’acquérir des intonations, des rythmes, de développer sa diction. La diction tout
comme la lecture d’un poème est un apprentissage à part entière, respiration, mélodie,
accentuation, elles doivent donc être travaillées au service de l’esthétique et du sens.
C’est pourquoi j’ai choisi de développer avec les élèves, lors de la diction d’une comptine10,
outre la prise de parole en public, des compétences relatives à l’articulation et au volume

6
   Michel Cosem, le pouvoir de la poésie, GFEN, Casterman, 1978
7
   cf. annexe calligrammes.
8
   cf. annexe : poèmes de l’arbre à poèmes.
9
   cf. annexe : séquence poésie.
10
   cf. annexes : séquence poésie et j’aime mon sapin

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d’élocution. Cependant, il serait dommage que la poésie soit utilisée en classe simplement pour
travailler la diction orale.

Parmi les registres et niveaux de langue, la poésie représente un remarquable cas particulier,
et il est tout à fait légitime d’examiner ce qui constitue l’essence même du poème, dans sa
forme comme dans son fond (rimes, images, sonorités et musiques…), sans dénaturer le poème,
c ‘est un texte français, et à ce titre, il peut être l’objet d’observations et d’analyses pour
affirmer le sens et la maîtrise de la langue. Mais encore une fois, cet exercice ne doit pas être
fait de manière systématique et ne doit pas constituer la seule voie d’approche de la poésie en
classe.

Enfin la production d’écrit permet de fixer à l’écrit une image ou une figure rhétorique qui les
séduit. Si elle est collective elle permet, de plus, de favoriser l’émergence des idées et de
diversifier le lexique de classe.

4. le rôle de l’école

Beaucoup d’enfants n’ont de rapport avec la poésie qu’à travers l’école. La poésie de part sa
spécificité est souvent étrangère ou peu développée dans le quotidien des élèves. En effet
dans la plupart de familles, on ne lit pas ou peu de poésie et elle est de même quasi- absente
des médias.
La problématique de la présence de la poésie à l’école se situe au niveau de l’image sociale de la
poésie telle qu’elle est perçue par la majorité. Les enseignants n’échappent pas à ces idées
reçues. Il est temps de considérer la poésie comme autre chose q’une « élévation de l’âme » !
« On découvre enfin que la poésie c’est d’abord des mots, des images, des métaphores, qui
ouvrent les portes de la réalité du monde, du rêve, de l’imaginaire », comme l’écrivait Michel
Cosem, dans une fiche poésie du JDI de …1976 !
Certes, la poésie est un plaisir mais c’est aussi la formation de l’esprit critique et un appel à
l’éveil aux choses du monde. Il est nécessaire d’envisager la poésie sous une autre forme que
celle de la récitation.

Comme nous le verrons dans la seconde partie, faire entrer la poésie à l’école c’est mettre en
place au sein de la classe un dispositif stimulant et dynamique qui développe chez chaque élève
le désir de lire, d’entendre, de dire et de produire des poèmes.

Jacques Fournier écrit en 1997 dans éducation enfantine « La poésie à la maternelle ? Elle y
occupe une place non négligeable, peut- être même plus importante qu’à l’école élémentaire si
l’on pense aux histoires et aux chansonnettes qui concourent à l’éveil des enfants. Mais la
poésie la vraie celle qui joue avec les mots et les sons, qui fait sourire ou pleurer et marque à
jamais une mémoire, cette poésie là, loin des fables et des comptines, est plutôt oubliée.
Pourtant, dans sa richesse et sa modernité, la poésie peut se faire pédagogie. »
Il est important de ne pas seulement faire dire la poésie, il faut la faire vivre, même si nous ne
sommes pas poète, tout comme nous pouvons enseigner les mathématiques sans être
mathématicien, ou la grammaire sans être grammairien. Parce que la poésie, au même titre que
toutes les matières enseignées à l’école, fait partie du patrimoine culturel, de la mémoire
collective.

Parce que la poésie contribue au développement de la personnalité, à la qualité de vie et à
l’apprentissage de la langue, il est essentiel qu’elle ait sa place à l’école et qu’elle soit incluse
dans la pratique des enseignants.

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II .Faire entrer la poésie dans la classe :
        Imprégnation poétique et découverte d’un nouveau
        genre littéraire.
                « L’enfant n’est pas un vase que l’on remplit mais un feu que l’on allume »
                                                                                     Rabelais.

Il est indispensable de créer une relation, de faire exister la poésie quotidiennement à l’école.
Elle doit être à portée de main, d’oreille, de regard. Car comme nous l’avons vu en première
partie, la poésie, état de la parole, ne se décrit pas mais se fonde sur la sensibilité, la capacité
de l’enfant à s’imprégner de ce qui l’entoure. Jean- Pierre Siméon écrit d’ailleurs : « Si on lit
régulièrement de la poésie en la qualifiant de poésie et en parlant de poèmes, les enfants vont
très vite intégrer ce qu’est la poésie... »
C’est pourquoi, avant de mettre en place des situations faisant appel à la créativité, jeux
poétiques, production de texte, il est indispensable de faire entrer la poésie dans la classe,
c’est à dire de faire bénéficier les élèves d’un bain poétique, afin qu’il puissent apprivoiser, ce
nouveau genre littéraire11. En effet, c’est en se familiarisant avec du langage poétique (les
structures, le lexique, les sonorités et les images), employé dans les textes poétiques, que les
élèves construiront des connaissances pouvant être réinvesties dans leurs productions et ainsi
entrer dans leur poésie .
Mais si l’imprégnation est une étape préalable à la production de textes poétiques, elle doit
rester présente en classe tout au long de l’année.

En entrant dans la classe la poésie permet le développement de nombreux apprentissages,
l’écoute et la lecture à travers la lecture des poèmes, l’expression orale par l’expression des
émotions et la diction, l’éveil des sens par la mise en place d’une ambiance privilégiée, agréable
et originale. C’est en créant cet univers que l’enseignant va permettre aux élèves d’être
attentifs, curieux et bienveillants vis à vis de la poésie.

        A. Ecouter, lire.

1. L’écoute en maternelle.

En maternelle lire de la poésie, c’est l’écoute des poèmes lus par l’enseignant bien sûr, mais
c’est aussi le contact avec les recueils, les anthologies présents dans la classe et que manipule
l’enseignant lorsqu’il lit.

A la maternelle, surtout dans les petites sections, ce qui doit être privilégié, c’est l’éducation à
l’écoute. En précisant que l’écoute du poème ne ressemble à aucune autre écoute, qu’elle a une
particularité très forte. Nous avons une telle densité de langue et de représentations à
travers ce langage, que cela suppose une écoute particulièrement mobilisée, il faut donc
proportionner l’étendue du poème et sa complexité aux capacités des enfants.

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     cf. annexe :séquence poésie

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Afin de rendre l’écoute efficace, et le moment agréable pour tous, il est nécessaire de créer
une ambiance, Il faut, comme l’écrit Jean-Pierre Siméon, « une sorte d’immobilité, de suspens
de tout » pour créer cet événement de la parole, solennel mais toutefois bref.

Selon Jacques Fournier dans éducation enfantine, le bain de poésie dans lequel sont plongés
les enfants par la lecture quotidienne de textes poétiques renforce et/ou crée en eux
plusieurs paramètres nécessaires à la constitution de la personnalité.
    • Le sens critique, parce que l’enfant fera le choix parmi les textes proposés;
    • L’appropriation esthétique, parce que la poésie procède, au niveau émotionnel, de la
        même manière que les autres arts, que sont la musique, la peinture, la danse, le
        théâtre ;
    • L’appropriation d’un vocabulaire, qui parfois existe déjà mais dans lequel l’enfant n’ira
        pas, naturellement, puiser pour la phase de création qui suivra souvent l’écoute;
    • La familiarisation avec l’image poétique, dont bon nombre de textes sont chargés et
        dont l’enfant, d’abord par imitation et sous l’impulsion de l’enseignant, usera dans la
        phase de création.

2. Le rôle de l’enseignant

Vivre en poésie, c’est d’abord éprouver du plaisir dans des conditions d’activités originales à
des moments privilégiés et réguliers. Des moments institutionnalisés, constitués des
rencontres régulières pour lire, dire des poèmes que l’on a choisis ou écrits, rencontrer de
nouveaux auteurs et plus largement s’imprégner du langage poétique. Mais aussi des moments
informels où, grâce à un milieu sollicitant, l’enfant lui même va chercher des poèmes à lire, à
regarder, les recopier, les échanger avec un camarade, et ainsi nourrir une production libre et
plus personnelle. Ces rendez- vous sont des moments de communication. Le moment doit être
judicieusement choisi pour favoriser la concentration ; il peut par exemple, commencer ou finir
une demi- journée. Un lieu intimiste sera choisi, un coin regroupement accueillant, un endroit
propice à l’extérieur de la classe, dans la cour, un coin d’herbe dans un rayon de soleil...Une
fois l’instant trouvé, l’enseignant doit être attentif à ce que chacun soit installé
confortablement, et puisse voir les autres, il doit assurer au groupe calme et détente afin de
lui permettre de vivre cet instant comme un moment chaleureux au cours duquel chaque enfant
pourra découvrir un nouvel aspect de la poésie à travers la voix de l’adulte.

Pour rendre l’écoute des poèmes attractive, compréhensible, le texte choisi doit être préparé.
Il sera lu une première fois. Afin de donner vie au texte, l’enseignant jouera de sa voix pour
éviter la monotonie, jouera avec le texte, suspendra les mots avant de continuer le poème,
alternera le sourire et le grave pour susciter l’intérêt . Nous nous trouvons en maternelle en
face d’apprentis lecteurs, il est primordial de donner aux élèves le goût de la lecture, et qui a
t-il de plus agréable que de partager un texte lu avec expressivité. La lecture par exemple du
poème de Jacques Prévert « Soyez polis »12 permet de montrer que malgré la longueur du
texte, lu avec expressivité les élèves de moyenne et de grande section de maternelle restent
suspendus aux lèvres de l’enseignant. La lecture n’est pas qu’informative, elle est
communicative certes, mais représente aussi réelle source de plaisir lorsqu’on la partage. Le
danger toutefois est de faire trop de théâtralisation. L’interprétation personnelle de
l’enseignant chasse l’auditeur de sa propre lecture. Ainsi Jean-Pierre Siméon13 met en garde
les enseignants sur ce fait « Si vous caractérisez trop par votre interprétation la lecture du
poème, alors l’enfant est obligé d’admettre votre lecture et d’une certaine façon, vous imposez
12
     cf. annexe : autres poèmes.
13
     Jean-Pierre Siméon sur remue_net.htm

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