Conversation avec Julie-Anne Boudreau autour des études urbaines et de leurs revues (par Éric Charmes) - OpenEdition

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Métropoles
                          Hors-série 2018 | 2018
                          10 ans : Numéro anniversaire

Conversation avec Julie-Anne Boudreau autour des
études urbaines et de leurs revues (par Éric
Charmes)
Conversation with Julie-Anne Boudreau about urban studies and their journals
(by Éric Charmes)

Julie-Anne Boudreau et Éric Charmes

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/metropoles/5757
ISSN : 1957-7788

Éditeur
ENS Éditions

Référence électronique
Julie-Anne Boudreau et Éric Charmes, « Conversation avec Julie-Anne Boudreau autour des études
urbaines et de leurs revues (par Éric Charmes) », Métropoles [En ligne], Hors-série 2018 | 2018, mis en
ligne le 17 octobre 2018, consulté le 06 novembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/
metropoles/5757

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Conversation avec Julie-Anne
Boudreau autour des études
urbaines et de leurs revues (par Éric
Charmes)
Conversation with Julie-Anne Boudreau about urban studies and their journals
(by Éric Charmes)

Julie-Anne Boudreau et Éric Charmes

     Éric Charmes : Tu diriges le laboratoire Vespa (Ville et espaces politiques) à Montréal. Tu as
     aussi été l’une des éditrices de l’International Journal of Urban and Regional Research
     (IJURR) pendant cinq ans, de 2010 à 2015, revue à laquelle tu es toujours liée par le biais de
     ton implication dans la Fondation IJURR. Bref, tu t’engages activement pour faire vivre les
     études urbaines. Mais que faut-il entendre par là aujourd’hui ? Les études urbaines ont-elles
     encore une place dans un contexte où tout semble urbain ?
     Julie-Anne Boudreau : Il est vrai que l’urbain est aujourd’hui hégémonique et que,
     du coup, il est difficile de distinguer ce qui est urbain de ce qui ne l’est pas d’un
     point de vue empirique, et il est délicat de construire des objets qui seraient
     spécifiquement urbains. Néanmoins, les études urbaines ont plus que jamais un
     sens, en tant qu’elles ne visent plus seulement à étudier les villes, mais qu’elles
     expriment un rapport spécifique au monde. Ce rapport est avant tout constitué par
     l’interdisciplinarité. Les études urbaines, ce sont d’abord des études
     interdisciplinaires appliquées à un objet spécifique qui au départ est la ville, mais
     qui peut être autre chose. La spécificité des études urbaines réside de ce point de
     vue dans leur épistémologie, dans leur approche du savoir et de sa production.
     Les études urbaines, vues sous cet angle, peuvent être rapprochées des études
     féministes. Le projet épistémologique essentiel des études féministes ne réside pas
     seulement dans l’étude des femmes, il se trouve d’abord dans une manière
     d’approcher la recherche. On peut étudier plein d’autres choses et plein d’autres
     groupes sociaux que les femmes dans une perspective féministe.
     C’est en cela que, pour moi, les études urbaines, conçues comme une démarche
     pluridisciplinaire, se définissent avant tout en termes épistémologiques, à partir de
     ce qui caractérise l’urbain, à savoir l’éclatement des points de vue, le décentrement,
     l’ouverture, la mobilité, une sensibilité à l’affect. La généralisation de l’urbain

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     apporte un rapport différent à l’organisation de nos sociétés, à l’espace, au temps, à
     la rationalité. La domination de l’État-nation qui a caractérisé les dernières
     décennies correspond à une organisation spécifique, mise en cause par
     l’urbanisation. Nos conceptions fondamentales de l’organisation sociale changent et
     il faut accorder nos façons de faire de la recherche à ce changement.
     Après, la traduction institutionnelle de ce changement est un autre sujet. On peut
     créer des départements d’études urbaines partout, mais ce n’est pas nécessaire ni
     important. L’essentiel est que l’approche urbaine se diffuse dans des sciences
     sociales qui sont nées avec la construction de l’État-nation. Là encore, la
     comparaison         avec    les    études    féministes     me     semble      pertinente.
     L’institutionnalisation des études féministes dans des départements dédiés est une
     question secondaire. Ce qui importe est la diffusion d’une sensibilité à un certain
     type de relations sociales.
     De ce point de vue, les études urbaines sont une réussite. Comme les études
     féministes, elles ont développé depuis les années 1970 un langage et une approche
     qui deviennent de plus en plus recevables, bien au-delà des champs qui sont
     supposés être les leurs. La pluridisciplinarité est devenue banale. Bien sûr, les
     disciplines restent importantes, particulièrement en France d’ailleurs, mais elles
     sont moins hégémoniques.
     Les approches pluridisciplinaires ne sont évidemment pas toujours faciles. Une de
     leurs difficultés réside dans la méthodologie. L’inscription dans une discipline
     fournit un cadre méthodologique bien défini, potentiellement très rigoureux. En
     études urbaines, la construction d’une méthodologie rigoureuse est plus délicate.
     Elle nécessite une réflexion approfondie pour éviter l’écueil d’emprunts mal
     maîtrisés. En même temps, s’affranchir des disciplines favorise des pas de côté
     souvent fructueux. Dans le cadre des disciplines, on est souvent prisonnier d’un
     canon, organisé autour de grands auteurs qui font référence. Ces approches
     canoniques posent de sérieux problèmes. La référence aux grands auteurs de la
     sociologie favorise par exemple une perspective eurocentrée. L’approche
     pluridisciplinaire peut rendre visible la domination qui réside dans la nécessaire
     allégeance à un canon.
     E. C. : L’International Journal of Urban and Regional Research (IJURR) fête cette année ses
     40 ans. Progressivement, depuis sa fondation en 1977, la revue a acquis une place
     prééminente au sein des études urbaines. Comment expliques-tu cela ?
     J.-A. B. : Oui, l’IJURR est aujourd’hui une des plus importantes revues d’études
     urbaines anglophones. Elle possède deux caractères distinctifs. Le premier est
     l’importance donnée à la perspective critique, même si évidemment l’IJURR n’est
     pas la seule revue à défendre une telle approche, que l’on retrouve par exemple
     dans Society & Space ou dans une moindre mesure dans Environment and Planning B.
     Le second est une interdisciplinarité particulièrement forte, ce qui a très
     certainement contribué à asseoir la place de la revue dans les études urbaines.
     D’autres revues revendiquent une forme de pluridisciplinarité, mais cette
     pluridisciplinarité est rarement totale. Beaucoup de revues tendent à avoir un
     ancrage disciplinaire marqué (la géographie pour Society & Space par exemple). L’
     IJURR elle-même a d’abord plutôt été une revue de sociologie urbaine, en lien avec
     le RC21 [le comité de recherche de l’Association internationale de sociologie
     consacré à la sociologie du développement urbain et régional], avant de s’ouvrir à
     d’autres disciplines, notamment la géographie critique. Celle-ci tend à être
     dominante aujourd’hui, mais d’autres approches ont leur place, la sociologie bien
     sûr, mais aussi des disciplines telles que l’anthropologie. L’ouverture n’est pas
     seulement disciplinaire. Elle est aussi géographique et théorique. Dans ce domaine,
     la revue a dès le départ cherché à multiplier les perspectives critiques, notamment
     en ouvrant un espace de dialogue entre les marxistes et les wébériens critiques.
     Évidemment le poids de la revue s’explique aussi par la place prise par l’anglais.
     L’internationalisation de la recherche a fait que l’IJURR s’est mise à recevoir des
     articles de partout dans le monde. Actuellement, la revue reçoit entre 500 et 600

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     articles par an. L’augmentation a été très forte au cours des dernières années. Cela a
     pesé sur le taux d’acceptation, qui en une dizaine d’années a grosso modo été divisé
     par deux, pour être aujourd’hui de l’ordre d’un sur dix. Ce qui est bas.
     Cette augmentation des soumissions d’article est également due à la pression
     exercée par les universités sur les chercheurs. On le voit lors des périodes
     d’évaluation des universités au Royaume-Uni par exemple. Le nombre d’articles
     soumis par les enseignants de ces universités monte en flèche. Et ils nous
     demandent avec insistance quand ils auront la réponse de la revue car ils voient
     s’approcher la date limite de l’évaluation. Certains, s’ils pensent que la réponse de l’
     IJURR ne viendra pas assez vite, retirent leur article du processus d’évaluation pour
     le soumettre à une autre revue. Au-delà de l’anecdote, cela montre la force des
     pressions exercées sur les chercheurs, pressions qui se répercutent sur la revue.
     L’attractivité de la revue est évidemment un atout, mais elle est aussi une menace,
     notamment pour son projet de mise en dialogue des perspectives, des approches.
     Parce que, quand tu reçois beaucoup d’articles, tu peux faire des choix, tu peux
     notamment imposer une ligne éditoriale étroite, rester dans l’entre-soi. C’est un
     danger face auquel la revue essaie de rester vigilante. Elle s’efforce de maintenir
     son ouverture disciplinaire et veille par exemple à ne pas être trop sous l’emprise
     de la géographie critique d’inspiration philosophique, aujourd’hui largement
     dominante dans les études urbaines anglo-saxonnes et très présente dans la revue.
     E. C. : Au départ, l’International Journal or Urban and Regional Research était une revue
     bilingue français et anglais. Ce bilinguisme a été abandonné. Pourquoi ?
     J.-A. B. : Le bilinguisme a été abandonné un peu contraint et forcé, face aux logiques
     néolibérales du monde de l’édition anglo-saxon avec ses contraintes de rentabilité
     et de réduction des coûts. Quand j’ai rejoint le comité éditorial, au milieu des
     années 2000, l’IJURR était publié par Blackwell, à l’époque une petite maison
     d’édition britannique. Mais Blackwell a été rachetée par Wiley en 2006. La revue
     s’est alors trouvée confrontée aux logiques d’une multinationale avec ses
     contraintes de marché. Le nombre de pages des numéros de la revue était
     évidemment déjà une préoccupation, mais la pression pour contenir le nombre de
     pages allouées s’est renforcée alors que le nombre d’articles que nous recevions
     augmentait. Le français s’est trouvé mis en concurrence avec la nécessité de publier
     tous les articles acceptés. L’arrivée de la crise de 2008 n’a pas arrangé les choses.
     Ces exigences économiques ont largement contribué à imposer l’abandon du
     bilinguisme. L’importance prise par la bibliométrie et les facteurs d’impact a aussi
     pesé. C’est ainsi qu’on a même abandonné la publication des résumés en français.
     En même temps, pourquoi privilégier le français par rapport à l’allemand, le
     mandarin ou l’espagnol ?
     E. C. : Quelles sont les initiatives de la revue pour compenser la domination inhérente au fait
     d’être anglophone ? Comment les différences dans les traditions universitaires, et
     notamment dans les manières d’écrire des articles, sont-elles prises en compte ?
     J.-A. B. : La revue reçoit des articles venus véritablement du monde entier, avec
     récemment une montée des soumissions de chercheurs chinois ou indiens. Cela
     élargit le spectre des traditions culturelles et des modes d’écriture qui se trouvent
     mis en conversation dans l’IJURR. L’anglais joue un rôle ambivalent dans ces
     conversations. D’un côté, il peut contribuer à homogénéiser les pensées. D’un autre
     côté, il permet le dialogue entre des traditions intellectuelles, des mondes qui, sans
     la passerelle de l’anglais, s’ignoreraient. Et l’un des mandats principaux de l’IJURR,
     mandat que l’on peut dire politique, est de favoriser ce dialogue. Ce projet est à
     l’origine de la revue, son bilinguisme anglais et français en témoigne. Il y avait aussi
     dès l’origine des liens étroits avec des chercheurs italiens et avec l’Europe de l’Est,
     la Hongrie particulièrement.
     Converser par-delà les barrières linguistiques et culturelles n’est pas une chose
     naturelle. Il faut travailler pour établir le dialogue. Aujourd’hui, la revue fait des
     efforts pour publier des textes qui ne viennent pas seulement d’Amérique du Nord

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     ou d’Europe de l’Ouest. Le comité de rédaction fait d’ailleurs chaque année le point
     sur l’origine des articles pour vérifier qu’il n’y a pas de déséquilibre.
     Un moyen d’éviter l’hégémonie des Britanniques et des Nord-Américains est
     d’identifier des textes clés en espagnol ou en mandarin et de les traduire. On
     demande aussi à des auteurs dont on sait qu’ils baignent dans deux mondes de faire
     une revue critique d’un débat qui se tient dans une sphère non anglophone, par
     exemple en Amérique latine.
     Un autre élément important est ne pas faire de la qualité de l’anglais un critère de
     sélection des articles. On indique clairement aux évaluateurs de la revue de ne pas
     en tenir compte. Derrière, la revue fait un travail d’édition pour mettre l’article aux
     normes. Cela a un coût évidemment, mais c’est essentiel si on veut limiter la
     domination des chercheurs dont l’anglais est la langue maternelle. Dans le comité
     éditorial, la majorité des personnes ont une langue maternelle autre que l’anglais,
     ce qui entretient la sensibilité à la question linguistique et aux relations de pouvoir
     qui y sont associées.
     Le problème ici posé n’est pas seulement une question de traduction. Écrire en
     français, c’est aussi écrire d’une manière spécifique. Les Français n’écrivent pas
     leurs articles scientifiques comme le font les Anglo-Saxons. Il en va de même avec
     les Espagnols, les Portugais, et aussi les Allemands, dont les textes sont souvent
     complètement à l’envers de ce qu’on pourrait attendre d’un point de vue anglo-
     saxon.
     L’évaluation est ainsi organisée de manière à ne pas imposer une norme d’écriture
     ou un cadre de pensée particulier. Pour ce faire, la revue s’efforce d’avoir un
     évaluateur qui connaît la sphère régionale de débat dans laquelle l’article a été
     élaboré, à côté d’un évaluateur qui connaît plus particulièrement le thème de
     l’article et qui n’est pas de la même région que l’auteur. L’idée est d’éviter une
     normalisation internationale tout en garantissant la possibilité d’un dialogue.
     La situation est loin d’être parfaite. En caricaturant, on peut dire qu’actuellement la
     pensée critique est dominée par deux perspectives, l’une marxiste, l’autre post-
     coloniale. Mais justement, la littérature post-coloniale publiée dans l’IJURR
     s’intéresse principalement aux anciennes colonies britanniques, l’Inde, l’Afrique du
     Sud, Singapour, Hong Kong… Les Suds anglophones sont privilégiés.
     La construction d’espaces de dialogue que vise l’IJURR n’a pas qu’une dimension
     géographique, les choses se jouent aussi au niveau disciplinaire. Par exemple, les
     historiens anglophones écrivent d’une façon proche de ce qui se pratique en France.
     De la même manière, les textes qui relèvent du champ littéraire ou des humanités
     sont écrits dans un style spécifique, et il faut que l’on soit capable d’accepter cette
     différence.
     Cette ouverture passe parfois par des choses très techniques, par exemple, la mise
     en forme des références. L’IJURR privilégie le système avec appel dans le corps du
     texte, entre parenthèses, mais, depuis quelques années, l’indication de la référence
     en note de bas de page est possible, ceci pour ménager une place plus confortable à
     certaines traditions intellectuelles, telles que celle des historiens. Et on a encore dû
     se battre avec Wiley car cela complique la mise en page, ce qui a un coût !
     E. C. : Ta langue maternelle est le français, mais tu passes une large part de ton activité
     universitaire dans des milieux anglophones, et tu connais aussi très bien le monde
     hispanophone, en particulier sud-américain. Cette position à l’intersection de trois sphères
     linguistiques majeures fait de toi une observatrice privilégiée de la place de l’anglais dans les
     études urbaines internationales et de la place des langues autres que l’anglais. Est-ce que tu
     pourrais discuter de cette question sous l’angle des revues ?
     J.-A. B. : Je pense que l’existence de revues non anglophones est très importante. On
     a besoin de débats qui se placent en dehors de l’espace de discussion international
     anglophone. Il y a d’abord des questions locales, qui n’ont pas nécessairement
     besoin d’être discutées à un niveau international. Mais, même pour la vitalité de la
     recherche internationale, il est aussi important d’entretenir des traditions de
     discussion, de recherche qui ne soient pas seulement internationales ou

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     anglophones. Ces traditions peuvent nourrir des débats, des points de vue qui, avec
     un certain degré d’élaboration, peuvent venir alimenter des discussions
     internationales. Comme je le disais, l’IJURR se nourrit en large part des débats
     hispanophones ou francophones pour développer des discussions internationales.
     Beaucoup de philosophes ou de sociologues français (qui sont les auteurs qui
     s’exportent le mieux à l’étranger) ont développé leur pensée dans un cadre français
     avant que celle-ci ne se diffuse dans d’autres sphères. Des philosophes et
     sociologues tels que Rancière, Bourdieu, Latour, Touraine, Lefebvre… nourrissent la
     théorie critique internationale.
     En revanche, toute la tradition critique construite de manière inductive autour
     d’enquêtes empiriques très riches, très rigoureuses est très peu connue à l’étranger,
     que ce soit dans la sphère anglophone ou dans la sphère hispanophone. C’est
     dommage car la recherche française produit là des choses très intéressantes.
     Dans leur rapport à l’international, les revues en français ne sont pas comparables
     avec les revues espagnoles. Beaucoup plus qu’en français, il y a une sphère
     hispanophone qui se suffit à elle-même. Dans cette sphère, il y a beaucoup moins de
     pression et d’intérêt à participer à des conversations anglophones, en publiant dans
     l’IJURR par exemple. Cela tient au fait qu’il y a beaucoup plus de chercheurs qui
     utilisent l’espagnol que de chercheurs qui utilisent le français, d’autant que les
     sphères lusophones et hispanophones sont largement associées (le portugais peut
     être lu par les hispanophones et réciproquement).
     Mais ce n’est pas qu’une question de poids démographiques des sphères
     universitaires. La sphère hispanophone est aussi beaucoup plus intégrée et
     internationalisée que la sphère francophone. Cette dernière est plus centralisée (les
     revues importantes sont d’abord en France, avec des comités de rédaction plutôt
     franco-français), alors que les revues hispanophones importantes sont plus
     dispersées entre des pays comme l’Espagne, la Colombie, le Chili ou même le Brésil
     (pays dans lequel les études urbaines sont très fortes).
     Dans ce contexte, la force d’attraction de l’espagnol est telle qu’il y a beaucoup de
     revues états-uniennes et même australiennes ou britanniques qui publient dans
     cette langue. Du coup, pour la plupart des Latino-Américains, l’exigence de publier
     dans des revues étrangères se traduit le plus souvent par des publications dans leur
     langue. Publier à l’international ne veut pas dire changer de langue. C’est très
     différent avec le français, je pense. Si je prends mon cas, qui n’a pas valeur générale
     bien sûr, quand je publie en français, je le fais surtout dans des revues québécoises
     parce que je discute de sujets qui concernent d’abord les Québécois. Quand je veux
     publier à l’international, je n’ai pas le réflexe d’aller vers les revues françaises.
     Donc peut-être que la sphère universitaire francophone peut reprendre du poids
     avec la poussée démographique annoncée de l’Afrique et avec le développement de
     la recherche que l’on peut espérer sur ce continent, mais il faudrait que les revues
     francophones jouent vraiment le jeu de l’internationalisation.
     E. C. : Avis à Métropoles !

RÉSUMÉS
Cet entretien avec Julie-Anne Boudreau revient sur son expérience éditoriale au sein de l’
International Journal of Urban and Regional Research. Sont abordés des enjeux relatifs à l’évolution
des études urbaines, aux standards internationaux en matière de publication ou aux règles
éditoriales.

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This interview with Julie-Anne Boudreau covers her editorial experience at the heart of the
International Journal of Urban and Regional Research. Some of the themes discussed focus on the
evolution of urban studies, international standards of social sciences publication, or official
editorial practices.

INDEX
Mots-clés : revues, internationalisation, règles éditoriales, approches disciplinaires
Keywords : journals, internationalization, editorial practices, disciplinary perspectives

AUTEURS
JULIE-ANNE BOUDREAU
Docteure en études urbaines de l’université de Californie à Los Angeles, Julie-Anne Boudreau est
aujourd’hui professeure à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) à Montréal et a
été titulaire de 2005 à 2015 de la chaire de recherche du Canada sur l’urbanité, l’insécurité et
l’action politique. Elle a travaillé sur les processus de gouvernance métropolitaine et les enjeux
démocratiques qui s’y rattachent. Plus récemment, elle s’est intéressée aux mécanismes de
l’informel ouvrant une réflexion plus générale et originale sur l’urbanité contemporaine. Elle est
l’auteure de nombreux articles parus dans plusieurs revues internationales (Urban Studies,
Politique et sociétés, Progress in Planning, Environment and Planning A, City…) et de plusieurs
ouvrages : The Megacity Saga : Democracy and Citizenship in this Global Age (Montréal, Black
Rose Books, 2000) et, avec R. Keil et D. Young, Changing Toronto : Governing Urban Neoliberalism
(Toronto, University of Toronto Press, 2009). Elle vient récemment de publier un ouvrage livrant
une réflexion sur la transformation des processus politiques dans un monde urbanisé : Global
Urban Politics : Informalization of the State (Cambridge, Polity Press, 2017). Elle a par ailleurs été
codirectrice de l’International Journal of Urban and Regional Research de 2010 à 2015. Cette
expérience a motivé le projet de l’interroger sur les évolutions marquant aujourd’hui les études
urbaines et le champ éditorial.

ÉRIC CHARMES
Directeur de recherche à l’ENTPE, laboratoire Rives de l’UMR CNRS EVS

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