Coup d'oeil sur le cinéma indien - Robert-Claude Bérubé - Érudit

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Coup d'oeil sur le cinéma indien - Robert-Claude Bérubé - Érudit
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Séquences
La revue de cinéma

Coup d’oeil sur le cinéma indien
Robert-Claude Bérubé

Cinéma et Terre des hommes I
Number 46, October 1966

URI: https://id.erudit.org/iderudit/51753ac

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Publisher(s)
La revue Séquences Inc.

ISSN
0037-2412 (print)
1923-5100 (digital)

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Bérubé, R.-C. (1966). Coup d’oeil sur le cinéma indien. Séquences, (46), 19–23.

Tous droits réservés © La revue Séquences Inc., 1966                              This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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Coup d'oeil sur le cinéma indien - Robert-Claude Bérubé - Érudit
Pather Panchali, de Satyajit Ray

              Coup d ' o e i l
                 sur le
            CINÉMA INDIEN
                           Robert-C. Bérubé

   Pour le monde occidental, le       diens présentés en circuit commer-
cinéma indien se résume presque       cial peuvent se compter sur les
à un seul nom, Satyajit Ray, l'au-    doigts d'une seule main. Aussi
teur de la trilogie d'Apu. A Mont-    n'est-il pas facile d'apprécier à sa
réal, en particulier, les films in-   valeur un cinéma national où la

OCTOBRE   1966                                                             19
Coup d'oeil sur le cinéma indien - Robert-Claude Bérubé - Érudit
production atteint en moyenne          cation habituelle de ces obstacles.
trois cent films de long métrage       Les variations s'inspirent du sys-
par année. C'est un peu comme          tème des castes, des coutumes sup-
si on vous demandait d'évaluer le      posant au remariage d'une veuve
volume et la forme d'un iceberg à      ou autres particularités locales.
partir d'un cube de glace qu'on        Tout cela raconté à un tythme ex-
en aurait détaché. Heureusement,       cessivement lent et coupé de chan-
il existe une certaine somme de        sons et de danses qui interviennent
documentation sur le sujet : des       dans le récit de façon le plus sou-
articles signés par Kobita Sarkar      vent arbitraire. Un autre genre
ont paru dans les Cahiers du Ci-       très apprécié, c'est le grand spec-
néma et dans Films and Filming ;       tacle à thème historique ou mytho-
un livre écrit en collaboration par    logique, à décors somptueux et
Erik Barntow et S. Krishnaswamy,       costumes rutilants. Setait-ce la tra-
The Indian Film, a été publié à        dition des conteurs populaires qui
New York en 1963. Il est donc          aurait préparé le public indien à
possible de se faire une idée, de      prendre goût à ces histoires in-
auditu, sinon de visu, de ce qu'est    terminables ? Peut-être. N o t o n s
la situation du cinéma en Inde.        toutefois que le goût du mélodra-
                                       me est universel et que Margot
                                       peut prendre autant de plaisir à
1. Larmes et chansons
                                       pleurer un bon coup que Sunila. Ces
                                       formules sont d'un bon rapport et
   Le cinéma indien se veut d'a-
                                       les producteurs indiens ne se pri-
bord un divertissement populai-
                                       vent pas d'en profiter. Une vedet-
re, à l'exemple de la production
                                       te, six chansons, trois danses, voi-
hollywoodienne des années 30. La
                                       là tous les éléments de succès, au
célèbre formule boy meets girl se-
                                       point que le réalisateur K.A. Ab-
ra donc à l'origine de nombreux
                                       bas s'est acquis une certaine no-
films, mais alors que, chez les A-
                                       toriété en 1954, parce que dans son
méricains, l'application détermi-
                                       film Munna, on ne trouvait aucu-
nait l'élaboration de situations co-
                                       ne chanson, fait unique jusque là
casses, en Inde, les conséquences
                                       dans le cinéma indien. Par contre,
seront plutôt d'ordre mélodramati-
                                       le vétéran Shantaram a acquis la
que. Les amoureux rencontrent
                                       sienne en devenant une sorte de
souvent des difficultés d'ordre so-
                                       Cecil B. de Mille de l'Inde, doublé
cial et leur idylle se heurte à di-
                                       d'un Busby Berkeley. C'est dire
verses embûches ; un adversaire
                                       l'importance de la partie musicale
aux menées sordides ou des parents
                                       dans les films indiens de toute ca-
irréductibles seront la personnifi-

20                                                           SEQUENCES    46
Coup d'oeil sur le cinéma indien - Robert-Claude Bérubé - Érudit
Une tradition du spectacle en Ind3

tégorie. Et agir autrement, c'est       différentes, elles - mêmes souvent
risquer un échec financier. Car les     subdivisées en dialectes. Si bien
auditoires sont farouchement atta-      qu'un film tourné dans une pro-
chés à cette forme de divertisse-       vince particulière est traité com-
ment au point même de négliger          me un film étranger dans d'au-
le cinéma américain ; c'est un fait     tres coins du pays, nécessitant des
que la production d'Hollywood ne        sous-tkres et une présentation
réussit à accrocher qu'à peine dix      spéciale. La production s'est ainsi
pour cent du marché de l'Inde a-        surtout centralisée en trois villes,
lors que, dans les pays voisins, cet-   à Madras pour les films en tamil,
te proportion s'élève à soixante ou     à Calcutta pour les films en ben-
soixante-dix pour cent.                 gali et à Bombay pour les films
                                        en hindi. C'est cette dernière lan-
2. Les cinémas indiens                  gue qui est la plus répandue et
                                        le gouvernement central l'a im-
   Ce marché national ne l'est d'ail-   posée officiellement ; cela ne va
leurs qu'en apparence car l'Inde        pas sans créer des tensions qui se
est séparée en régions de langues       traduisent par le rejet complet

OCTOBRE   1966                                                                     21
Coup d'oeil sur le cinéma indien - Robert-Claude Bérubé - Érudit
des films en langue hindi dans lignent le caractère d'intérêt pu-
 certaines régions du sud de l'Inde. rement local de ces films en même
    Le cas de Satyajit Ray illustre temos que leur rythme curieuse-
 bien ces particularités linguistiques ment flasque ou monotone. On se
 qui séparent les provinces. Tous souvient peut-être à Montréal de
 les films de cet auteur sont tournés l'exode massif provoqué dans l'au-
 en bengali ; si bien qu'ils restent ditoire par la présentation, au Fes-
 méconnus de la majorité de la po- tival international du film de
 pulation de l'Inde et, comme ils 1964, d'un Go Daan ahurissant de
 rompent avec une longue tradi- simplisme dans la mise en scène.
tion du spectacle cinématographi- Le mot naïf est celui qui revient
que, ils ne sont pas tellement ap- le plus souvent sous la plume des
 préciés par le public local. Pather observateurs.
 Panchali, qui fut produit avec des
                                           Le grand homme du cinéma là-
moyens de fortune, n'a fait que
                                        bas, c'est, de l'aveu des critiques
de maigres profits en Inde ; mais
                                        locaux, le réalisateur Mehboob dont
le marché international lui fut ou-
                                       on a eu l'occasion de voir ici l'oeu-
vert et seuls les honneurs reçus
                                       vre maîtresse, Mother India, pré-
à l'étranger permirent à l'auteur
                                       sentée en français sous le titre Les
de continuer une carrière engagée
                                       Bracelets d'or. Après avoir épuisé
sous des auspices aussi précaires.
                                       ses réserves de surprise devant
Le gouvernement central se ré-
                                       l'exotisme du cadre et des coutu-
jouit de la notoriété ainsi acquise
                                       mes, après avoir apprécié un cer-
par le cinéma indien mais il se
                                       tain sens de la mise en place, le
trouva plusieuts       fonctionnaires
                                       spectateur occidental ne peut man-
pour déplorer que l'Inde fût con-
                                       quer d'être ennuyé par l'outrance
nue à l'étranger sous un aspect dé-
                                       dans la psychologie des personna-
favorable, celui de la misère du pe-                              ,v
                                       ges et l'avalanche ^         >eurs qui
tit peuple.
                                       s'abattent sur la tête de l'héroïne ;
                                       les spécialistes italiens du mélo-
3. Les artisans d'une tradition drame ont là de quoi pâlir d'envie.
   Mais l'exemple de Ray ne fut           Les vedettes sont, semble-t-il,
pas suivi. Chaque année quelques       peu nombreuses et doivent tourner
films indiens sont présentés en        à la fois dans plusieurs films ; l'ac-
compétition dans les festivals in-     teur no 1 des studios de Madras,
ternationaux ; aucun n'est honoré      Sivaji Ganesan, causa même une
même d'une mention et les criti-       certaine panique lorsqu'il fit un
ques qui nous en parviennent sou-      voyage aux Etats-Unis en 1962,

                                                              SÉQUENCES   46
laissant en plan une douzaine de
films dont le tournage était com-
mencé. Par ailleurs, l'actrice Wa-
heeda Rehman qualifia d'expérien-
ce extraordinaire l'occasion qu'elle
eut de se concentrer pendant quin-
ze jours sur un seul rôle sous la
direction de Satyajit Ray.
   C'est le paradoxe du cinéma in-
dien d'être à la fois l'un des plus
productifs au monde et l'un des
moins connus. On y travaille dans
la gangue rigide de la tradition et
le succès remporté sur le plan local
interdit les expériences témérai-
res. Séquences a rapporté l'an der-
nier les impressions d'un voya-
geur ( 1 ) sur la popularité dont                                      Une     v e d e t t e : Waheeda     Rehman
jouit cette production artificielle :
des salles archi-combles pour des
                                                           vre d'auteur. Cela nous rend d'au-
films qui tiennent l'affiche des
                                                           tant plus sympathiques ces oeuvres
mois durant. Comme on dit aux
                                                           à la fois artistiques et proches de
Etats-Unis : Why rock the boat ?
                                                           la vie que sont Pather Panchali,
              * *     *
                                                           Aparajito, Le Monde d'Apu, Teen
   On mesure donc la dose de cou-                          Kenya et Le Lâche, pour ne nom-
rage et d'esprit d'indépendance                            mer que celles que nous avons eu
qu'il a fallu à un cinéaste comme                          l'occasion de voir.
Ray pour se poser en faux de-
vant cette situation et faire oeu-                          ( 1 ) Séquences, no 40, p. 44.

                              ADIEU À JEAN-YVES BIGRAS
           L'annonce de la m o r t de Jean-Yves Bigras nous a atteint avec stupeur.
   Nous l e savions si actif q u e nous ne pensions n u l l e m e n t q u ' i l p o u r r a i t s'arrêter
   s o u d a i n e m e n t . Nous n'oublions pas q u ' i l avait collaboré à Séquences et aux
   Stages d e cinéma. Il a p p o r t a i t t o u j o u r s son expérience jamais épuisée e t sa
   générosité toujours r e n o u v e l é e . Jean-Yves Bigras était l'ami des jeunes q u i
   l u i r e n d a i e n t b i e n leur amitié par l'intérêt q u ' i l s p o r t a i e n t à Images en t é t a .
   Nous garderons d e Jean-Yves Bigras le souvenir d ' u n animateur q u i v i v a i t p l e i -
   n e m e n t son r ô l e .

OCTOBRE       1966
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