COVID-19: prévoir les besoins à court terme des hôpitaux français - aposart
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COVID-19: prévoir les besoins à court terme des hôpitaux français Clément Massonnaud1,2∗, Jonathan Roux1∗, Pascal Crépey1† 16 mars 2020 1Univ Rennes, EHESP, REPERES (Recherche en Pharmaco-Epidémiologie et Recours aux Soins) – EA 7449, 15 avenue du Professeur Léon Bernard, CS 74312, 35043 Rennes, France . 2 Centre hospitalier universitaire de Rouen, Unité de biostatistiques, 76031 Rouen, France. 1 Résumé L'Europe est désormais considérée comme l'épicentre de la pandémie de SARS-CoV-2. En France, l’un des pays les plus durement touchés, l'inquiétude grandit quant à la capacité du système de santé, notamment des unités de soins intensifs, de faire face à l'épidémie. L’objectif de notre étude était de prévoir les dynamiques de l'épidémie dans le pays et d'évaluer leurs répercussions sur les ressources sanitaires des régions de France métropolitaine. Nous avons élaboré un modèle déterministe permettant d’estimer le nombre de personnes susceptibles d'être infectées par le virus, et le nombre de personnes exposées, infectées et guéries, par groupe d'âge et par circonscription hospitalière de référence pour le COVID-19. Nous avons réalisé des simulations sur un mois (jusqu'au 14 avril 2020) et selon trois scénarios différents (R0 = 1,5 ; R0 = 2,25 ; R0 = 3) : pour chacun d’eux, nous avons estimé le nombre quotidien de cas de COVID-19, d'hospitalisations et de décès, le nombre de lits nécessaires dans les unités de soins intensifs de chaque région et la date de dépassement des capacités. Au niveau national, on estime que le nombre total de personnes infectées oscillera entre 222 872, pour les prévisions les plus optimistes (R0 = 1,5), et 161 832, pour les plus pessimistes (R0 = 3), et que le nombre total de décès s'élèvera entre 1 021 et 11 032. Au niveau régional, si le scénario le plus défavorable prévalait, toutes les unités de soins intensifs seraient débordées. Dans le scénario médian, sept régions manqueraient de lits en soins intensifs (R0 = 2,25) et, dans le scénario le plus optimiste, seulement une. Dans les trois scénarios, ce sont les unités de soins intensifs de Corse qui pourraient être saturées en premier. Peu de temps après, ce pourrait être le tour du Grand-Est et de la Bourgogne-Franche-Comté. Notre analyse révèle que, même dans le meilleur des cas, le système de santé français sera très bientôt dépassé. Bien que la prise de mesures de distanciation sociale drastiques puisse modifier nos résultats, il est impératif de réorganiser massivement les unités de soins intensifs françaises afin d'accroître leurs capacités et de faire face à la vague de malades graves du COVID-19 à venir. 2 Introduction Le 31 décembre 2019, les autorités chinoises ont informé l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) de la présence de cas groupés de pneumonie1, dont la majorité étaient liés au marché aux fruits de mer de Huanan, dans la ville de Wuhan (province de Hubei). Le 7 janvier 2020, un nouveau coronavirus, le SARS-Cov-2, a été identifié comme étant la cause de l'épidémie. Le 13 janvier, le premier cas hors de Chine a été confirmé en Thaïlande2 et, le 24 janvier, les premiers cas sur le continent européen ont été confirmés en France3. Le 30 janvier, l'OMS a déclaré que cette épidémie était une urgence internationale en matière de santé publique4 et, le 11 février, a annoncé le nom de cette maladie: COVID-19 5. ∗Les auteurs ont contribué à parts égales. †Contact: pascal.crepey@ehesp.fr
Au 5 mars, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) faisait état de 91 315 cas confirmés de COVID-19 dans 81 pays et de 3 282 décès (3,4%). En Europe, des cas avaient été signalés dans 38 pays, la majorité en Italie : 3 089 des 4 290 cas signalés (soit 72%) et 107 des 113 décès enregistrés (soit 94,7%) étaient italiens. La France arrivait en seconde place avec 423 cas et 5 décès (soit 1,2%) 6. Le 11 mars, 118 628 cas ayant été confirmés et 4 292 décès (soit 3,6%) ayant été enregistrés dans 106 pays, l'OMS a déclaré l'état de pandémie7. En Europe, le nombre de pays touchés était passé à 47, l'Italie restant le pays concentrant la majorité des cas 8. La figure 1 montre le nombre de cas enregistrés en France métropolitaine entre le 22 janvier et le 14 mars (source : Santé publique France). Le 10 mars, à minuit, on comptait 2 030 cas confirmés et 44 décès (soit 2,2%)8. Les deux régions les plus touchées étaient le Grand-Est et l'Ile-de-France, avec respectivement 489 et 468 cas. Les personnes de plus de 75 ans représentaient 19% des cas mais environ 75% des décès8 et 102 personnes, dont 38% âgées de moins de 65 ans, avaient été admises en soins intensifs. Le nombre de cas double environ toutes les 72 heures : on comptait 1 126 malades le 8 mars, 2 269 le 11 mars et 4 469 le 14 mars. Il convient de noter qu'il est probable que le nombre de cas confirmés soit inférieur au nombre réel, tous les cas n'étant pas nécessairement enregistrés en raison de difficultés logistiques dans certaines régions8. 4000 3000 2000 1000 0 1er fév 15 fév 1er mar 15 mar Figure 1: Nombre de cas de COVID-19 confirmés en France entre le 22 janvier et le 14 mars Le SARS-CoV-2 est un virus zoonotique dont les chauves-souris seraient le réservoir. Néanmoins, de nombreux cas de transmission d'homme à homme ont été signalés9. La transmission se produit essentiellement par gouttelettes et au moyen d'objets lors de contacts étroits sans protection. Les informations sur les principaux modes de transmission restent relativement rares et peuvent varier en fonction des paramètres, des données et des méthodes utilisés. Le taux de reproduction de base (R0) a été estimé entre 1,4 et 7,23 selon les études9–19 . La plupart des pays ont désormais mis en place des stratégies de contrôle portant sur le suivi des interactions, la mise en quarantaine et la prise de mesures de distanciation, qui sont susceptibles de réduire la valeur R0. Sur la base de données détaillées relatives à des cas recensés en Chine, Li et ses collègues ont estimé le taux
de reproduction dans le cadre des mesures de contrôle (Rc)17 à 1,54. Zhou et ses collègues19 ont estimé que ce même taux oscillait entre 1,46 et 2,99. Ils ont également estimé les durées d'incubation et de contagiosité à respectivement 5 et 11 jours. Abbott et ses collègues ont évalué le taux de reproduction de 24 pays sur 7 jours glissants en se fondant sur des données publiques. En France, au 13 mars, il était estimé entre 1,4 et 3,220. Plusieurs modèles ont déjà été élaborés afin d'anticiper les dynamiques de propagation de l'épidémie de COVID-19 selon différents paramètres. Toutefois, on manque de tels modèles dans un contexte européen. Danon et ses collègues ont étudié la transmission de la maladie en Angleterre et au Pays de Galles en adaptant un modèle méta-populationnel stochastique existant21. Pinotti et ses collègues ont modélisé l'importation internationale de cas de COVID-19 afin d'évaluer la rapidité du placement en quarantaine, les effets des mesures prises et le nombre de cas non détectés22. À ce jour, aucun modèle n'a été établi pour analyser les dynamiques de propagation du COVID-19 en France. 3 Objectif Cette étude avait pour objectif d'estimer le nombre de cas de COVID-19, et le nombre d'hospitalisations et de décès liés à ce virus en France, ainsi que d'évaluer les répercussions de l'épidémie sur les ressources sanitaires en déterminant le nombre de lits nécessaires en soins intensifs dans chaque région pour toute la durée de l'épidémie. Afin de procéder à une analyse de sensibilité et de déterminer les effets potentiels des mesures de contrôle imposées à grande échelle, nous avons fait varier la valeur R0 de l'épidémie de 3 à 1,5. 4 Méthode Nous avons établi une liste des 138 hôpitaux désignés centres de référence dans le traitement des cas de COVID-19 en France. Parmi eux, 33 sont des centres de référence principaux et 98 des centres de référence secondaires en France métropolitaine, et 7 se trouvent dans les départements d'outre-mer (non inclus). Nous avons divisé la France métropolitaine en circonscriptions hospitalières en utilisant les polygones de Voronoï (figure 2). La structure démographique de chaque circonscription a été déduite des données récoltées dans le cadre des recensements de 2016 et 2017, et fournies par l'Institut national de la statistiques et des études économiques (Insee)23. Les circonscriptions ont ensuite été agrégées par régions métropolitaines [13 régions administratives comptant en moyenne 4,75 millions d'habitants (minimum : 300,000 habitants en Corse ; maximum: 12,55 millions en Ile-de- France)]. Les données sur le nombre de lits disponibles en soins intensifs dans chaque région sont tirées de la
Statistique annuelle des établissements de santé24. Figure 2: Cartes des circonscriptions hospitalières et des régions agrégées. Nous avons élaboré un modèle déterministe et comportemental du nombre de personnes susceptibles d'être infectées, exposées, infectées et guéries (SEIR), par groupe d'âge, qui se présente sous la forme d'équations différentielles (figure 3). La population a été divisée en 17 groupes d'âge (tranches de 5 ans) et en quatre catégories : susceptible d'être infectée (S), exposée au virus mais non contagieuse (E), infectée et contagieuse (I) ou guérie (R). Afin d'évaluer les interactions en fonction de l'âge, nous nous sommes fondés sur une matrice de contacts interindividuels de la population française établie par Prem et ses collègues25 . Figure 3 : Diagramme du modèle SEIR structuré par groupes d'âge. Nous sommes partis du postulat selon lequel les durées d'incubation et de contagiosité étaient respectivement de 5 et 11 jours19 , et les patients, tous âges confondus, séjournaient en moyenne 15 jours à l'hôpital et en soins intensifs. Nous avons estimé le risque d’infection de chaque groupe d'âge en nous basant sur la répartition des cas en fonction de l'âge établie par Wu et ses collègues pour la Chine 11. Nous avons adapté ces données à la population française afin d'estimer la répartition probable des cas en fonction de l'âge en France. Ensuite, en utilisant R, nous avons calculé le vecteur de risque en fonction de l'âge grâce à l'algorithme Subplex fourni par la matrice NLOPTR. Sur la base des estimations du nombre de nouveaux cas quotidiens, nous avons inféré différents résultats. Tout d'abord, nous avons calculé le nombre de cas graves en nous basant sur les travaux de Guan et ses collègues18. Nous avons utilisé leurs estimations de la gravité des risques encourus en fonction de l'âge pour quatre groupes d'âge, lesquels correspondaient aux 17 groupes d'âge définis dans le cadre de notre étude (tableau 1). Sur la base de ces mêmes données, nous avons estimé le nombre de cas qui nécessiteront une hospitalisation en soins intensifs 18 (tableau 1). En nous fondant sur les données recueillies par Yang et ses collègues26, nous avons estimé à 0,711 (tous âges confondus) la proportion de personnes qui devront être placées sous ventilateur. Nous avons estimé le nombre de
décès sur la base des données relatives aux risques de décès en fonction de l'âge (10 groupes d'âge) fournies par l'Institut italien national de santé (Instituto Superiore di Sanità) (tableau 1)27. Le modèle de transmission a été établi en C++. R a permis de collecter et gérer des données, de procéder à des simulations, d’obtenir des résultats d'analyse et d’élaborer des comptes-rendus. Toutes les données et tous les codes sources ont été réunis dans un paquet R, et une application Shiny a été développée pour réaliser des simulations du modèle avec différents paramètres et étudier les différents résultats obtenus (disponibles sur demande). 5 Résultats 5.1 Dépassement des capacités des unités de soins intensifs par région française Notre objectif premier était de déterminer le moment à partir duquel les capacités des unités de soins intensifs de chaque région seraient dépassées par l'épidémie de COVID-19. La figure 4 montre l'évolution du nombre de lits en soins intensifs nécessaires pour traiter les cas graves dans chaque région, ainsi que la limite théorique des capacités des unités de soins intensifs. Dans le scénario le plus pessimiste, toutes les régions seront dépassées d'ici le 14 avril 2020. Comme indiqué dans le tableau 2, il est probable que la totalité des unités de soins intensifs de Corse soient saturées avant la fin du mois de mars 2020 (au mieux, le 28 mars, au pire, le 18 mars). Dans le cas où R0 = 2,25, la moitié des régions françaises manqueront de capacités en soins intensifs d'ici la mi-avril. Tableau 1: Paramètres utilisés pour calculer les principaux résultats. Groupe d'âge Gravité des Risques Risques de risques d’hospita décès encourus lisation en soins intensifs 0-4 ans 0,11 0,02 0,000 5-9 ans 0,11 0,02 0,000 10-14 ans 0,11 0,02 0,000 15-19 ans 0,12 0,02 0,000 20-24 ans 0,12 0,02 0,000 25-29 ans 0,12 0,02 0,000 30-34 ans 0,12 0,02 0,002 35-39 ans 0,12 0,02 0,002 40-44 ans 0,12 0,02 0,002 45-49 ans 0,12 0,02 0,002 50-54 ans 0,17 0,07 0,008 55-59 ans 0,17 0,07 0,008 60-64 ans 0,17 0,07 0,027 65-69 ans 0,29 0,21 0,027 70-74 ans 0,29 0,21 0,108 75-79 ans 0,29 0,21 0,108 80 ans et 0,29 0,21 0,181 plus
Tableau 2: Estimation de la date de dépassement des capacités des unités de soins intensifs dans les 13 régions de France métropolitaine ( R0 = 1,5 ; 2,25 ; 3). Les simulations portent sur la période allant du 10 mars au 14 avril 2020. Région R0 1,5 R0 2,25 R0 3 Corse 28 mars 2020 21 mars 2020 18 mars 2020 Grand-Est 28 mars 2020 22 mars 2020 Bourgogne-Franche-Comte 1er avril 2020 24 mars 2020 Bretagne 6 avril 2020 27 mars 2020 Hauts-de-France 7 avril 2020 28 mars 2020 Auvergne-Rhône-Alpes 10 avril 2020 30 mars 2020 Ile-de-France 14 avril 2020 1er avril 2020 PACA 5 avril 2020 Normandie 8 avril 2020 Pays de la Loire 8 avril 2020 Nouvelle-Aquitaine 9 avril 2020 Occitanie 9 avril 2020 Centre-Val de Loire 12 avril 2020 Figure 4 : Estimations du nombre de lits en soins intensifs nécessaires dans les 13 régions françaises. La courbe rouge représente la limite des capacités des unités de soins intensifs, la courbe en pointillés les prévisions pour R0 = 2,25, et les courbes noires les prévisions les plus optimistes et pessimistes (pour, respectivement, R0 = 3 et R0 = 1,5). Chaque graphique montre le dépassement des capacités dans le temps par région (de gauche à droite et de bas en haut).
Tableau 3 : Estimations du nombre d'infections, de cas graves et de décès, du 10 mars au 14 avril 2020, par région (R0 = 1,5, ; 2,25 ; 3). Infections Cas graves Décès Région R0 1,5 R0 2,25 R0 3 R0 1,5 R0 2,25 R0 3 R0 1,5 R0 2,25 R0 3 Auvergne-Rhône-Alpes 2714 7352 19306 545 1624 4692 121 385 1317 Bourgogne-Franche-Comte 1851 5044 13280 374 1117 3233 84 266 909 Bretagne 1029 2805 7415 208 621 1806 47 148 508 Centre-Val de Loire 229 624 1654 46 138 403 10 33 113 Corse 536 1450 3764 108 321 916 24 77 257 Grand-Est 5984 16171 41973 1202 3571 10191 267 847 2856 Hauts-de-France 2706 7319 19105 542 1613 4637 120 381 1298 Ile-de-France 4418 11851 30754 879 2602 7448 192 611 2079 Normandie 472 1286 3403 95 285 828 21 68 233 Nouvelle-Aquitaine 682 1866 4960 138 414 1209 31 99 341 Occitanie 775 2112 5594 156 468 1362 35 111 383 Pays de la Loire 346 941 2484 70 208 604 16 49 170 PACA 1128 3073 8139 228 681 1982 51 162 558 Total 22872 61896 161832 4590 13663 39311 1020 3237 11025 5.2 Prévisions par région Selon notre analyse, la région la plus touchée sera le Grand-Est, avec, dans le scénario le plus pessimiste, jusqu'à 42 000 infections, 10 000 cas graves et plus de 2 800 décès entre le 10 mars et le 14 avril. Dans le même scénario, l'Ile de France et l'Auvergne-Rhône-Alpes seront les deuxième et troisième régions les plus touchées avec, respectivement, jusqu'à 2 000 et 1 300 décès. Dans le scénario médian (R0 = 2,25) et le scénario le plus optimiste (R0 = 1,5), les taux de morbidité et de mortalité représenteront, respectivement, environ 30% et 10 % des chiffres susmentionnés. Notre analyse révèle que, en France, entre 2 500 et 25 000 personnes pourraient être hospitalisées en soins intensifs, et qu'entre 1 800 et 18 000 autres pourraient être placées sous ventilateur. Le tableau 4 montre, pour les trois scénarios R0, les estimations du nombre total de lits (standards et équipés de ventilateurs) qui seront nécessaires en soins intensifs dans chaque région, ainsi que la capacité totale des unités de soins intensifs par région, étant entendu que la durée moyenne d'hospitalisation est de 15 jours. Nous constatons que les résultats varient grandement entre les deux scénarios les plus extrêmes (de 305 à 4 260 lits en Ile-de-France) et que les estimations du scénario médian sont très proches des capacités régionales actuelles des unités de soins intensifs ou supérieures à celles-ci, ce qui limitera la coopération interrégionale et les transferts de patients. 6 Analyse Compte tenu du peu de données de modélisation disponibles sur l'épidémie de COVID-19 en France, l'objectif de notre étude était de prévoir sur un mois les dynamiques de propagation du virus dans toutes les régions de France métropolitaine, et d'évaluer la charge qui pèsera sur les hôpitaux, notamment le nombre de lits disponibles en soins intensifs et les besoins en ventilateurs. Nous avons modélisé la propagation du COVID-19 du 10 mars au 14 avril dans toutes les régions de France métropolitaine. Au niveau national, on estime que le nombre total de personnes infectées oscillera entre 222 872, pour les prévisions les plus optimistes (R0 = 1,5), et 161 832, pour les plus pessimistes (R0 = 3). On attend entre 1 021 et 11 032 décès. Au niveau régional, si le scénario le plus pessimiste prévalait, les unités de soins intensifs de toutes les régions seraient saturées. La dernière à l’être serait la région Centre-Val de Loire, le 12 avril. Dans le scénario médian, sept régions pourraient manquer de lits en soins intensifs (R0 = 2,25) et, dans le meilleur des cas, seulement une. 7
Tableau 4 : Estimations du nombre de lits nécessaires en soins intensifs au 14 avril 2020, par région (R0 = 1,5 ; 2,25 ; 3). Lits en soins intensifs Lits en soins intensifs équipés de ventilateurs Région R0 1,5 R0 2,25 R0 3 R0 1,5 R0 2,25 R0 3 Capacité totale des unités de soins intensifs Corse 37 147 518 26 105 368 18 Grand-Est 414 1645 5782 294 1169 4111 465 Bourgogne-Franche-Comte 128 515 1843 91 366 1310 198 Bretagne 71 286 1032 51 204 734 162 Hauts-de-France 187 745 2646 133 530 1882 438 Auvergne-Rhône-Alpes 188 749 2682 134 533 1907 559 Ile-de-France 305 1205 4260 217 857 3029 1147 PACA 78 314 1134 56 223 806 460 Normandie 33 131 474 23 93 337 240 Pays de la Loire 24 96 346 17 68 246 181 Nouvelle-Aquitaine 47 191 692 34 136 492 412 Occitanie 54 216 780 38 153 554 474 Centre-Val de Loire 16 64 231 11 45 164 180 Dans les trois scénarios, mais avec une semaine de différence à chaque fois, la Corse pourrait être la première région à voir ses unités de soins intensifs débordées en raison du faible nombre de lits (18). Les deux autres régions dont les capacités seront dépassées peu de temps après sont le Grand-Est et la Bourgogne-Franche-Comté, en dépit de leur nombre élevé de lits (465 et 198, respectivement). Le risque de décès dû au COVID-19 dépend non seulement des caractéristiques propres au virus mais aussi des capacités sanitaires, notamment des soins intensifs. Les capacités des unités de soins intensifs italiennes, ainsi que de plusieurs hôpitaux français, sont déjà insuffisantes. Toutefois, peu d'études ont tenté d'anticiper leurs besoins. Grasselli et ses collègues ont utilisé des modèles linéaires et exponentiels pour estimer la demande en soins intensifs en Lombardie (Italie) entre le 7 mars et le 20 mars 28. Ils ont conclu que le système de santé ne serait pas en mesure de faire face à une épidémie incontrôlée et qu'il était indispensable de mettre en place des mesures de confinement. Remuzzi et Remuzzi ont élaboré des modèles exponentiels et estimé que le système de santé italien pourrait être débordé d'ici le 14 mars 29 . En France, même dans le meilleur scénario, les résultats obtenus montrent que les capacités des unités de soins intensifs seront rapidement dépassées dans plusieurs régions. Faute de pouvoir traiter les malades de manière adéquate, le nombre déjà élevé de décès pourrait encore augmenter. Outre les limites inhérentes à chaque modèle de transmission, nos travaux comportent plusieurs limites particulières. Des simulations ont été réalisées pour chacune des circonscriptions hospitalières mais nous n'avons pas modélisé les mouvements de population entre lesdites circonscriptions. Une modélisation est faisable en théorie mais elle n'est pas nécessaire dans ce contexte. Des cas d'infections ont déjà été signalés dans la plupart des circonscriptions, ce qui signifie que la transmission du virus se fera certainement essentiellement à l'échelle locale et non par transferts entre les circonscriptions. De plus, des mesures de contrôle sont déjà en place pour limiter les mouvements de population. Nous ne présentons des prévisions que sur un mois car, compte tenu du peu de données disponibles, il est difficile d'établir des prévisions à long terme de manière fiable et de calibrer le modèle de l'épidémie en France. Le facteur essentiel qui reste inconnu à ce jour est l'incidence potentielle de la saisonnalité sur les dynamiques de transmission du COVID-19. Danon et ses collègues ont modélisé la transmission saisonnière en introduisant un taux de transmission variant dans le temps21. Ils ont estimé qu'une diminution de 50% de la transmission aux beaux jours permettrait de réduire l'épidémie avant l'été mais 8
serait suivie d'une résurgence des cas durant l'hiver. Toutefois, on ne peut affirmer avec certitude que la transmission du SARS-CoV-2 sera modifiée par les variations saisonnières. De nombreuses maladies infectieuses, comme la grippe ou d'autres coronavirus, sont saisonnières, mais les nouveaux virus peuvent se comporter différemment. Plusieurs experts suggèrent que l'incidence de la saisonnalité sur la transmission du COVID-19 pourrait être très limitée30,31 , raison pour laquelle nous n'avons pas inclus ce paramètre dans notre modèle pour le moment. Nous avons décidé de ne réaliser des simulations qu'avec des valeurs de R0 comprises entre 1,5 et 3, car, selon Abbot et ses collègues, celles-ci semblent être les estimations les plus fiables à l'heure actuelle20. Enfin, nous n'avons pas établi de distinction entre les cas symptomatiques et asymptomatiques, contrairement à d'autres études dans lesquelles ceux-ci font l'objet de deux catégories différentes (infections asymptomatiques et infections symptomatiques). Nous pensons que, dans ce contexte, cette distinction n'est pas pertinente car notre étude ne porte ni sur la détection, ni sur les mesures de contrôle. Cela ne devrait pas influer sur l'interprétation de nos résultats. Concernant les prévisions sur le nombre de lits nécessaires en soins intensifs, les chiffres utilisés dans cette étude sont théoriques et tirés de données annuelles 24, et peuvent différer des capacités actuelles des unités de soins intensifs. Tout écart éventuel serait vraisemblablement minime et ne devrait pas influer sur l'interprétation des résultats. Nous sommes partis de principe que la totalité des capacités des soins intensifs seraient affectées au traitement des cas graves de COVID-19. En France, les unités de soins intensifs ont un taux d'occupation de plus de 80% (données issues de communications personnelles avec des médecins). Dans notre étude, nous avons supposé une importante réorganisation des soins aux patients, doublant presque de moitié les capacités actuelles. Conformément à ce qui a été observé dans d'autres pays, nous avons supposé une durée moyenne d'hospitalisation en soins intensifs de 15 jours. Cette valeur peut varier d'un patient et d'un lieu à l'autre, et pourrait légèrement fausser nos estimations du nombre de lits nécessaires en soins intensifs. Afin d'y remédier, nous prévoyons de mettre à profit les données relatives à l'hospitalisation fournies par des agences régionales de santé, et d'ainsi mieux évaluer les besoins en lits. Nous avons limité notre modèle à la France métropolitaine, les régions d'outre-mer étant à un stade moins avancé de l'épidémie pour le moment et les dynamiques de transmission étant susceptibles de différer. Enfin, il convient de noter que la division spatiale du territoire français utilisée dans ce modèle ne reflète pas exactement le découpage administratif des régions françaises car il est basé sur la fusion de chaque polygone de Voronoï représentant les circonscriptions hospitalières rattachées à un centre de référence. Néanmoins, une telle division permettra peut- être d'estimer la charge pesant sur les centres de référence, car il est fort probable que les patients seront aiguillés vers eux en fonction de leur éloignement géographique et non du découpage administratif. Afin d'atténuer l'épidémie, le Gouvernement français a annoncé une série de mesures nationales de plus en plus restrictives. Le 29 février, les rassemblements dans des lieux confinés ont été limités à 5 000 personnes. Ce seuil a depuis été revu à la baisse : 5000 personnes le 8 mars puis 100 personnes le 13 mars. Le 12 mars, les écoles et universités ont été priées de fermer à compter du 16 mars et il a été recommandé aux personnes de plus de 70 ans de se confiner volontairement chez elles et de prendre des mesures de distanciation sociale. Enfin, le 14 mars, le stade 3 de l'épidémie a été déclaré. Tous les espaces publics non essentiels (à savoir les magasins autres qu'alimentaires, les restaurants, les bars...) ont été fermés, et la population a été encouragée à rester chez elle et à limiter ses interactions sociales et ses déplacements autant que possible. Notre étude n'a pas directement tenu compte de ces mesures d'atténuation mais leurs effets ont été évalués indirectement en modifiant la valeur du taux de reproduction. 7 Conclusion Bien que préliminaire, notre analyse révèle que, même dans le meilleur des cas, le système de santé français sera très bientôt dépassé. Certes, les mesures de distanciation sociale drastiques peuvent modifier nos résultats, mais il est impératif de réorganiser massivement les unités de soins intensifs françaises et d'accroître leurs capacités afin de faire face à la vague de malades graves du COVID-19 à venir. 9
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