COVID-19: prévoir les besoins à court terme des hôpitaux français - aposart

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COVID-19: prévoir les besoins à court terme des hôpitaux français - aposart
COVID-19: prévoir les besoins à court terme des hôpitaux
                                      français
                            Clément Massonnaud1,2∗, Jonathan Roux1∗, Pascal Crépey1†

                                                        16 mars 2020

              1Univ Rennes, EHESP, REPERES (Recherche en Pharmaco-Epidémiologie et
             Recours aux Soins) – EA 7449, 15 avenue du Professeur Léon Bernard, CS 74312,
                                                35043 Rennes, France .

2 Centre     hospitalier universitaire de Rouen, Unité de biostatistiques, 76031 Rouen, France.

1      Résumé
L'Europe est désormais considérée comme l'épicentre de la pandémie de SARS-CoV-2. En France, l’un
des pays les plus durement touchés, l'inquiétude grandit quant à la capacité du système de santé,
notamment des unités de soins intensifs, de faire face à l'épidémie. L’objectif de notre étude était de
prévoir les dynamiques de l'épidémie dans le pays et d'évaluer leurs répercussions sur les ressources
sanitaires des régions de France métropolitaine. Nous avons élaboré un modèle déterministe permettant
d’estimer le nombre de personnes susceptibles d'être infectées par le virus, et le nombre de personnes
exposées, infectées et guéries, par groupe d'âge et par circonscription hospitalière de référence pour le
COVID-19. Nous avons réalisé des simulations sur un mois (jusqu'au 14 avril 2020) et selon trois
scénarios différents (R0 = 1,5 ; R0 = 2,25 ; R0 = 3) : pour chacun d’eux, nous avons estimé le nombre
quotidien de cas de COVID-19, d'hospitalisations et de décès, le nombre de lits nécessaires dans les
unités de soins intensifs de chaque région et la date de dépassement des capacités. Au niveau national,
on estime que le nombre total de personnes infectées oscillera entre 222 872, pour les prévisions les plus
optimistes (R0 = 1,5), et 161 832, pour les plus pessimistes (R0 = 3), et que le nombre total de décès
s'élèvera entre 1 021 et 11 032. Au niveau régional, si le scénario le plus défavorable prévalait, toutes les
unités de soins intensifs seraient débordées. Dans le scénario médian, sept régions manqueraient de lits
en soins intensifs (R0 = 2,25) et, dans le scénario le plus optimiste, seulement une. Dans les trois
scénarios, ce sont les unités de soins intensifs de Corse qui pourraient être saturées en premier. Peu de
temps après, ce pourrait être le tour du Grand-Est et de la Bourgogne-Franche-Comté. Notre analyse
révèle que, même dans le meilleur des cas, le système de santé français sera très bientôt dépassé. Bien
que la prise de mesures de distanciation sociale drastiques puisse modifier nos résultats, il est impératif
de réorganiser massivement les unités de soins intensifs françaises afin d'accroître leurs capacités et de
faire face à la vague de malades graves du COVID-19 à venir.

2 Introduction
Le 31 décembre 2019, les autorités chinoises ont informé l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) de
la présence de cas groupés de pneumonie1, dont la majorité étaient liés au marché aux fruits de mer de
Huanan, dans la ville de Wuhan (province de Hubei). Le 7 janvier 2020, un nouveau coronavirus, le
SARS-Cov-2, a été identifié comme étant la cause de l'épidémie. Le 13 janvier, le premier cas hors de
Chine a été confirmé en Thaïlande2 et, le 24 janvier, les premiers cas sur le continent européen ont été
confirmés en France3. Le 30 janvier, l'OMS a déclaré que cette épidémie était une urgence internationale
en matière de santé publique4 et, le 11 février, a annoncé le nom de cette maladie: COVID-19

5.
     ∗Les   auteurs ont contribué à parts égales. †Contact: pascal.crepey@ehesp.fr
COVID-19: prévoir les besoins à court terme des hôpitaux français - aposart
Au 5 mars, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) faisait état de 91 315 cas
confirmés de COVID-19 dans 81 pays et de 3 282 décès (3,4%). En Europe, des cas avaient été signalés
dans 38 pays, la majorité en Italie : 3 089 des 4 290 cas signalés (soit 72%) et 107 des 113 décès enregistrés
(soit 94,7%) étaient italiens. La France arrivait en seconde place avec 423 cas et 5 décès (soit 1,2%) 6. Le 11
mars, 118 628 cas ayant été confirmés et 4 292 décès (soit 3,6%) ayant été enregistrés dans 106 pays,
l'OMS a déclaré l'état de pandémie7. En Europe, le nombre de pays touchés était passé à 47, l'Italie restant
le pays concentrant la majorité des cas 8.
 La figure 1 montre le nombre de cas enregistrés en France métropolitaine entre le 22 janvier et le 14
 mars (source : Santé publique France). Le 10 mars, à minuit, on comptait 2 030 cas confirmés et 44
 décès (soit 2,2%)8. Les deux régions les plus touchées étaient le Grand-Est et l'Ile-de-France, avec
 respectivement 489 et 468 cas. Les personnes de plus de 75 ans représentaient 19% des cas mais environ
 75% des décès8 et 102 personnes, dont 38% âgées de moins de 65 ans, avaient été admises en soins
 intensifs. Le nombre de cas double environ toutes les 72 heures : on comptait 1 126 malades le 8 mars, 2
 269 le 11 mars et 4 469 le 14 mars. Il convient de noter qu'il est probable que le nombre de cas confirmés
 soit inférieur au nombre réel, tous les cas n'étant pas nécessairement enregistrés en raison de difficultés
 logistiques dans certaines régions8.

            4000

            3000

            2000

            1000

               0

                                 1er fév            15 fév               1er mar             15 mar

         Figure 1: Nombre de cas de COVID-19 confirmés en France entre le 22 janvier et le 14 mars

 Le SARS-CoV-2 est un virus zoonotique dont les chauves-souris seraient le réservoir. Néanmoins, de
 nombreux cas de transmission d'homme à homme ont été signalés9. La transmission se produit
 essentiellement par gouttelettes et au moyen d'objets lors de contacts étroits sans protection. Les
 informations sur les principaux modes de transmission restent relativement rares et peuvent varier en
 fonction des paramètres, des données et des méthodes utilisés.
 Le taux de reproduction de base (R0) a été estimé entre 1,4 et 7,23 selon les études9–19 . La plupart des
 pays ont désormais mis en place des stratégies de contrôle portant sur le suivi des interactions, la mise
 en quarantaine et la prise de mesures de distanciation, qui sont susceptibles de réduire la valeur R0. Sur
 la base de données détaillées relatives à des cas recensés en Chine, Li et ses collègues ont estimé le taux
de reproduction dans le cadre des mesures de contrôle (Rc)17 à 1,54. Zhou et ses collègues19 ont estimé
que ce même taux oscillait entre 1,46 et 2,99. Ils ont également estimé les durées d'incubation et de
contagiosité à respectivement 5 et 11 jours.
Abbott et ses collègues ont évalué le taux de reproduction de 24 pays sur 7 jours glissants en se fondant
sur des données publiques. En France, au 13 mars, il était estimé entre 1,4 et 3,220.
Plusieurs modèles ont déjà été élaborés afin d'anticiper les dynamiques de propagation de l'épidémie de
COVID-19 selon différents paramètres. Toutefois, on manque de tels modèles dans un contexte
européen. Danon et ses collègues ont étudié la transmission de la maladie en Angleterre et au Pays de
Galles en adaptant un modèle méta-populationnel stochastique existant21. Pinotti et ses collègues ont
modélisé l'importation internationale de cas de COVID-19 afin d'évaluer la rapidité du placement en
quarantaine, les effets des mesures prises et le nombre de cas non détectés22. À ce jour, aucun modèle
n'a été établi pour analyser les dynamiques de propagation du COVID-19 en France.

3 Objectif
Cette étude avait pour objectif d'estimer le nombre de cas de COVID-19, et le nombre d'hospitalisations
et de décès liés à ce virus en France, ainsi que d'évaluer les répercussions de l'épidémie sur les ressources
sanitaires en déterminant le nombre de lits nécessaires en soins intensifs dans chaque région pour toute
la durée de l'épidémie. Afin de procéder à une analyse de sensibilité et de déterminer les effets potentiels
des mesures de contrôle imposées à grande échelle, nous avons fait varier la valeur R0 de l'épidémie de
3 à 1,5.

4 Méthode
Nous avons établi une liste des 138 hôpitaux désignés centres de référence dans le traitement des cas de COVID-19
en France. Parmi eux, 33 sont des centres de référence principaux et 98 des centres de référence secondaires en
France métropolitaine, et 7 se trouvent dans les départements d'outre-mer (non inclus). Nous avons divisé la France
métropolitaine en circonscriptions hospitalières en utilisant les polygones de Voronoï (figure 2). La structure
démographique de chaque circonscription a été déduite des données récoltées dans le cadre des recensements de
2016 et 2017, et fournies par l'Institut national de la statistiques et des études économiques (Insee)23. Les
circonscriptions ont ensuite été agrégées par régions métropolitaines [13 régions administratives comptant en
moyenne 4,75 millions d'habitants (minimum : 300,000 habitants en Corse ; maximum: 12,55 millions en Ile-de-
France)]. Les données sur le nombre de lits disponibles en soins intensifs dans chaque région sont tirées de la
Statistique annuelle des établissements de santé24.

  Figure 2: Cartes des circonscriptions hospitalières et des régions agrégées.

Nous avons élaboré un modèle déterministe et comportemental du nombre de personnes susceptibles d'être infectées,
exposées, infectées et guéries (SEIR), par groupe d'âge, qui se présente sous la forme d'équations différentielles (figure 3).
La population a été divisée en 17 groupes d'âge (tranches de 5 ans) et en quatre catégories : susceptible d'être infectée (S),
exposée au virus mais non contagieuse (E), infectée et contagieuse (I) ou guérie (R). Afin d'évaluer les interactions en
fonction de l'âge, nous nous sommes fondés sur une matrice de contacts interindividuels de la population française établie
par Prem et ses collègues25 .

                     Figure 3 : Diagramme du modèle SEIR structuré par groupes d'âge.

Nous sommes partis du postulat selon lequel les durées d'incubation et de contagiosité étaient respectivement de 5
et 11 jours19 , et les patients, tous âges confondus, séjournaient en moyenne 15 jours à l'hôpital et en soins intensifs.
Nous avons estimé le risque d’infection de chaque groupe d'âge en nous basant sur la répartition des cas en fonction
de l'âge établie par Wu et ses collègues pour la Chine 11. Nous avons adapté ces données à la population française
afin d'estimer la répartition probable des cas en fonction de l'âge en France. Ensuite, en utilisant R, nous avons
calculé le vecteur de risque en fonction de l'âge grâce à l'algorithme Subplex fourni par la matrice NLOPTR.
Sur la base des estimations du nombre de nouveaux cas quotidiens, nous avons inféré différents
résultats. Tout d'abord, nous avons calculé le nombre de cas graves en nous basant sur les travaux de
Guan et ses collègues18. Nous avons utilisé leurs estimations de la gravité des risques encourus en
fonction de l'âge pour quatre groupes d'âge, lesquels correspondaient aux 17 groupes d'âge définis dans
le cadre de notre étude (tableau 1). Sur la base de ces mêmes données, nous avons estimé le nombre de
cas qui nécessiteront une hospitalisation en soins intensifs 18 (tableau 1). En nous fondant sur les
données recueillies par Yang et ses collègues26, nous avons estimé à 0,711 (tous âges confondus) la
proportion de personnes qui devront être placées sous ventilateur. Nous avons estimé le nombre de
décès sur la base des données relatives aux risques de décès en fonction de l'âge (10 groupes d'âge)
fournies par l'Institut italien national de santé (Instituto Superiore di Sanità) (tableau 1)27.
Le modèle de transmission a été établi en C++. R a permis de collecter et gérer des données, de procéder
à des simulations, d’obtenir des résultats d'analyse et d’élaborer des comptes-rendus. Toutes les
données et tous les codes sources ont été réunis dans un paquet R, et une application Shiny a été
développée pour réaliser des simulations du modèle avec différents paramètres et étudier les différents
résultats obtenus (disponibles sur demande).

5     Résultats
5.1   Dépassement des capacités des unités de soins intensifs par région française
Notre objectif premier était de déterminer le moment à partir duquel les capacités des unités de soins
intensifs de chaque région seraient dépassées par l'épidémie de COVID-19. La figure 4 montre
l'évolution du nombre de lits en soins intensifs nécessaires pour traiter les cas graves dans chaque
région, ainsi que la limite théorique des capacités des unités de soins intensifs. Dans le scénario le plus
pessimiste, toutes les régions seront dépassées d'ici le 14 avril 2020. Comme indiqué dans le tableau 2,
il est probable que la totalité des unités de soins intensifs de Corse soient saturées avant la fin du mois
de mars 2020 (au mieux, le 28 mars, au pire, le 18 mars). Dans le cas où R0 = 2,25, la moitié des régions
françaises manqueront de capacités en soins intensifs d'ici la mi-avril.
                          Tableau 1: Paramètres utilisés pour calculer les principaux résultats.

                           Groupe d'âge         Gravité des Risques Risques de
                                                    risques d’hospita    décès
                                                  encourus     lisation
                                                              en soins
                                                             intensifs
                           0-4 ans                      0,11       0,02  0,000
                           5-9 ans                      0,11       0,02  0,000
                           10-14 ans                    0,11       0,02  0,000
                           15-19 ans                    0,12       0,02  0,000
                           20-24 ans                    0,12       0,02  0,000
                           25-29 ans                      0,12           0,02            0,000
                           30-34 ans                      0,12           0,02            0,002
                           35-39 ans                      0,12           0,02            0,002
                           40-44 ans                      0,12           0,02            0,002
                           45-49 ans                      0,12           0,02            0,002
                           50-54 ans                      0,17           0,07            0,008
                           55-59 ans                      0,17           0,07            0,008
                           60-64 ans                      0,17           0,07            0,027
                           65-69 ans                      0,29           0,21            0,027
                           70-74 ans                      0,29           0,21            0,108
                           75-79 ans                      0,29           0,21            0,108
                           80 ans et                      0,29           0,21            0,181
                           plus
Tableau 2: Estimation de la date de dépassement des capacités des unités de soins intensifs dans les 13 régions de France
métropolitaine ( R0 = 1,5 ; 2,25 ; 3). Les simulations portent sur la période allant du 10 mars au 14 avril 2020.

                       Région                               R0 1,5             R0 2,25              R0 3
                       Corse                                28 mars 2020       21 mars 2020         18 mars 2020
                       Grand-Est                                               28 mars 2020         22 mars 2020
                       Bourgogne-Franche-Comte                                 1er avril 2020       24 mars 2020
                       Bretagne                                                6 avril 2020         27 mars 2020
                       Hauts-de-France                                         7 avril 2020         28 mars 2020
                       Auvergne-Rhône-Alpes                                    10 avril 2020        30 mars 2020
                       Ile-de-France                                           14 avril 2020        1er avril 2020
                       PACA                                                                         5 avril 2020
                       Normandie                                                                    8 avril 2020
                       Pays de la Loire                                                             8 avril 2020
                       Nouvelle-Aquitaine                                                           9 avril 2020
                       Occitanie                                                                    9 avril 2020
                       Centre-Val de Loire                                                          12 avril 2020

Figure 4 : Estimations du nombre de lits en soins intensifs nécessaires dans les 13 régions françaises. La courbe rouge
représente la limite des capacités des unités de soins intensifs, la courbe en pointillés les prévisions pour R0 = 2,25, et les
courbes noires les prévisions les plus optimistes et pessimistes (pour, respectivement, R0 = 3 et R0 = 1,5). Chaque graphique
montre le dépassement des capacités dans le temps par région (de gauche à droite et de bas en haut).
Tableau 3 : Estimations du nombre d'infections, de cas graves et de décès, du 10 mars au 14 avril 2020, par région
(R0 = 1,5, ; 2,25 ; 3).

                                          Infections                 Cas graves                     Décès
  Région                         R0 1,5   R0 2,25       R0 3    R0 1,5   R0 2,25   R0 3    R0 1,5   R0 2,25    R0 3
  Auvergne-Rhône-Alpes            2714       7352       19306     545      1624    4692      121        385    1317
  Bourgogne-Franche-Comte         1851       5044       13280     374      1117    3233       84        266     909
  Bretagne                        1029       2805        7415     208       621    1806       47        148     508
  Centre-Val de Loire              229        624        1654      46       138     403       10         33     113
  Corse                            536       1450        3764     108       321     916       24         77     257
  Grand-Est                       5984      16171      41973     1202      3571    10191      267       847    2856
  Hauts-de-France                 2706       7319      19105      542      1613     4637      120       381    1298
  Ile-de-France                   4418      11851      30754      879      2602     7448      192       611    2079
  Normandie                        472       1286       3403       95       285      828       21        68     233
  Nouvelle-Aquitaine               682       1866       4960      138       414     1209       31        99     341
  Occitanie                        775       2112        5594     156        468    1362      35        111     383
  Pays de la Loire                 346        941        2484      70        208     604      16         49     170
  PACA                            1128       3073        8139     228        681    1982      51        162     558
  Total                          22872      61896      161832    4590      13663   39311    1020       3237   11025
5.2 Prévisions par région
Selon notre analyse, la région la plus touchée sera le Grand-Est, avec, dans le scénario le plus
pessimiste, jusqu'à 42 000 infections, 10 000 cas graves et plus de 2 800 décès entre le 10 mars et le
14 avril. Dans le même scénario, l'Ile de France et l'Auvergne-Rhône-Alpes seront les deuxième et
troisième régions les plus touchées avec, respectivement, jusqu'à 2 000 et 1 300 décès. Dans le
scénario médian (R0 = 2,25) et le scénario le plus optimiste (R0 = 1,5), les taux de morbidité et de
mortalité représenteront, respectivement, environ 30% et 10 % des chiffres susmentionnés.
Notre analyse révèle que, en France, entre 2 500 et 25 000 personnes pourraient être hospitalisées en
soins intensifs, et qu'entre 1 800 et 18 000 autres pourraient être placées sous ventilateur. Le tableau
4 montre, pour les trois scénarios R0, les estimations du nombre total de lits (standards et équipés de
ventilateurs) qui seront nécessaires en soins intensifs dans chaque région, ainsi que la capacité totale
des unités de soins intensifs par région, étant entendu que la durée moyenne d'hospitalisation est de
15 jours. Nous constatons que les résultats varient grandement entre les deux scénarios les plus
extrêmes (de 305 à 4 260 lits en Ile-de-France) et que les estimations du scénario médian sont très
proches des capacités régionales actuelles des unités de soins intensifs ou supérieures à celles-ci, ce
qui limitera la coopération interrégionale et les transferts de patients.

6 Analyse
Compte tenu du peu de données de modélisation disponibles sur l'épidémie de COVID-19 en France,
l'objectif de notre étude était de prévoir sur un mois les dynamiques de propagation du virus dans toutes
les régions de France métropolitaine, et d'évaluer la charge qui pèsera sur les hôpitaux, notamment le
nombre de lits disponibles en soins intensifs et les besoins en ventilateurs.
Nous avons modélisé la propagation du COVID-19 du 10 mars au 14 avril dans toutes les régions de France
métropolitaine. Au niveau national, on estime que le nombre total de personnes infectées oscillera entre 222 872,
pour les prévisions les plus optimistes (R0 = 1,5), et 161 832, pour les plus pessimistes (R0 = 3). On attend entre 1
021 et 11 032 décès. Au niveau régional, si le scénario le plus pessimiste prévalait, les unités de soins intensifs de
toutes les régions seraient saturées. La dernière à l’être serait la région Centre-Val de Loire, le 12 avril. Dans le
scénario médian, sept régions pourraient manquer de lits en soins intensifs (R0 = 2,25) et, dans le
meilleur des cas, seulement une.

                                                           7
Tableau 4 : Estimations du nombre de lits nécessaires en soins intensifs au 14 avril 2020, par région (R0 = 1,5 ; 2,25 ; 3).

                                                  Lits en soins intensifs                       Lits en soins intensifs équipés
                                                                                                de ventilateurs
  Région                                R0 1,5     R0 2,25      R0 3      R0 1,5 R0 2,25             R0 3     Capacité totale des
                                                                                                                 unités de soins
                                                                                                                        intensifs
  Corse                                      37         147      518          26          105         368                      18
  Grand-Est                                 414        1645     5782         294         1169        4111                     465
  Bourgogne-Franche-Comte                   128         515     1843          91          366        1310                     198
  Bretagne                                   71         286     1032          51          204         734                     162
  Hauts-de-France                           187         745     2646         133          530        1882                     438
  Auvergne-Rhône-Alpes                      188         749     2682         134          533        1907                        559
  Ile-de-France                             305        1205     4260         217          857        3029                       1147
  PACA                                       78         314     1134          56          223         806                        460
  Normandie                                  33         131      474          23           93         337                        240
  Pays de la Loire                           24          96      346          17           68         246                        181
  Nouvelle-Aquitaine                         47          191      692          34         136         492                       412
  Occitanie                                  54          216      780          38         153         554                       474
  Centre-Val de Loire                        16           64      231          11          45         164                       180

 Dans les trois scénarios, mais avec une semaine de différence à chaque fois, la Corse pourrait être la
 première région à voir ses unités de soins intensifs débordées en raison du faible nombre de lits (18).
 Les deux autres régions dont les capacités seront dépassées peu de temps après sont le Grand-Est et la
 Bourgogne-Franche-Comté, en dépit de leur nombre élevé de lits (465 et 198, respectivement).
 Le risque de décès dû au COVID-19 dépend non seulement des caractéristiques propres au virus mais
 aussi des capacités sanitaires, notamment des soins intensifs. Les capacités des unités de soins intensifs
 italiennes, ainsi que de plusieurs hôpitaux français, sont déjà insuffisantes. Toutefois, peu d'études ont
 tenté d'anticiper leurs besoins. Grasselli et ses collègues ont utilisé des modèles linéaires et exponentiels
 pour estimer la demande en soins intensifs en Lombardie (Italie) entre le 7 mars et le 20 mars 28. Ils ont
 conclu que le système de santé ne serait pas en mesure de faire face à une épidémie incontrôlée et qu'il
 était indispensable de mettre en place des mesures de confinement. Remuzzi et Remuzzi ont élaboré des
 modèles exponentiels et estimé que le système de santé italien pourrait être débordé d'ici le 14 mars 29 .
 En France, même dans le meilleur scénario, les résultats obtenus montrent que les capacités des unités
 de soins intensifs seront rapidement dépassées dans plusieurs régions. Faute de pouvoir traiter les
 malades de manière adéquate, le nombre déjà élevé de décès pourrait encore augmenter.
Outre les limites inhérentes à chaque modèle de transmission, nos travaux comportent plusieurs limites
particulières. Des simulations ont été réalisées pour chacune des circonscriptions hospitalières mais nous
n'avons pas modélisé les mouvements de population entre lesdites circonscriptions. Une modélisation
est faisable en théorie mais elle n'est pas nécessaire dans ce contexte. Des cas d'infections ont déjà été
signalés dans la plupart des circonscriptions, ce qui signifie que la transmission du virus se fera
certainement essentiellement à l'échelle locale et non par transferts entre les circonscriptions. De plus,
des mesures de contrôle sont déjà en place pour limiter les mouvements de population. Nous ne
présentons des prévisions que sur un mois car, compte tenu du peu de données disponibles, il est difficile
d'établir des prévisions à long terme de manière fiable et de calibrer le modèle de l'épidémie en France.
Le facteur essentiel qui reste inconnu à ce jour est l'incidence potentielle de la saisonnalité sur les
dynamiques de transmission du COVID-19. Danon et ses collègues ont modélisé la transmission
saisonnière en introduisant un taux de transmission variant dans le temps21. Ils ont estimé qu'une
diminution de 50% de la transmission aux beaux jours permettrait de réduire l'épidémie avant l'été mais
                                                                  8
serait suivie d'une résurgence des cas durant l'hiver. Toutefois, on ne peut affirmer avec certitude que la
transmission du SARS-CoV-2 sera modifiée par les variations saisonnières. De nombreuses maladies
infectieuses, comme la grippe ou d'autres coronavirus, sont saisonnières, mais les nouveaux virus
peuvent se comporter différemment. Plusieurs experts suggèrent que l'incidence de la saisonnalité sur la
transmission du COVID-19 pourrait être très limitée30,31 , raison pour laquelle nous n'avons pas inclus ce
paramètre dans notre modèle pour le moment. Nous avons décidé de ne réaliser des simulations qu'avec
des valeurs de R0 comprises entre 1,5 et 3, car, selon Abbot et ses collègues, celles-ci semblent être les
estimations les plus fiables à l'heure actuelle20. Enfin, nous n'avons pas établi de distinction entre les cas
symptomatiques et asymptomatiques, contrairement à d'autres études dans lesquelles ceux-ci font l'objet
de deux catégories différentes (infections asymptomatiques et infections symptomatiques). Nous
pensons que, dans ce contexte, cette distinction n'est pas pertinente car notre étude ne porte ni sur la
détection, ni sur les mesures de contrôle. Cela ne devrait pas influer sur l'interprétation de nos résultats.

 Concernant les prévisions sur le nombre de lits nécessaires en soins intensifs, les chiffres utilisés dans
 cette étude sont théoriques et tirés de données annuelles 24, et peuvent différer des capacités actuelles
 des unités de soins intensifs. Tout écart éventuel serait vraisemblablement minime et ne devrait pas
 influer sur l'interprétation des résultats. Nous sommes partis de principe que la totalité des capacités
 des soins intensifs seraient affectées au traitement des cas graves de COVID-19. En France, les unités de
 soins intensifs ont un taux d'occupation de plus de 80% (données issues de communications
 personnelles avec des médecins). Dans notre étude, nous avons supposé une importante réorganisation
 des soins aux patients, doublant presque de moitié les capacités actuelles. Conformément à ce qui a été
 observé dans d'autres pays, nous avons supposé une durée moyenne d'hospitalisation en soins intensifs
 de 15 jours. Cette valeur peut varier d'un patient et d'un lieu à l'autre, et pourrait légèrement fausser nos
 estimations du nombre de lits nécessaires en soins intensifs. Afin d'y remédier, nous prévoyons de
 mettre à profit les données relatives à l'hospitalisation fournies par des agences régionales de santé, et
 d'ainsi mieux évaluer les besoins en lits.
 Nous avons limité notre modèle à la France métropolitaine, les régions d'outre-mer étant à un stade moins avancé
 de l'épidémie pour le moment et les dynamiques de transmission étant susceptibles de différer. Enfin, il convient
 de noter que la division spatiale du territoire français utilisée dans ce modèle ne reflète pas exactement le découpage
 administratif des régions françaises car il est basé sur la fusion de chaque polygone de Voronoï représentant les
 circonscriptions hospitalières rattachées à un centre de référence. Néanmoins, une telle division permettra peut-
 être d'estimer la charge pesant sur les centres de référence, car il est fort probable que les patients seront aiguillés
 vers eux en fonction de leur éloignement géographique et non du découpage administratif.
 Afin d'atténuer l'épidémie, le Gouvernement français a annoncé une série de mesures nationales de plus en plus
 restrictives. Le 29 février, les rassemblements dans des lieux confinés ont été limités à 5 000 personnes. Ce seuil a depuis
 été revu à la baisse : 5000 personnes le 8 mars puis 100 personnes le 13 mars. Le 12 mars, les écoles et universités
 ont été priées de fermer à compter du 16 mars et il a été recommandé aux personnes de plus de 70 ans
 de se confiner volontairement chez elles et de prendre des mesures de distanciation sociale. Enfin, le 14
 mars, le stade 3 de l'épidémie a été déclaré. Tous les espaces publics non essentiels (à savoir les magasins
 autres qu'alimentaires, les restaurants, les bars...) ont été fermés, et la population a été encouragée à
 rester chez elle et à limiter ses interactions sociales et ses déplacements autant que possible. Notre étude
 n'a pas directement tenu compte de ces mesures d'atténuation mais leurs effets ont été évalués
 indirectement en modifiant la valeur du taux de reproduction.
 7     Conclusion
 Bien que préliminaire, notre analyse révèle que, même dans le meilleur des cas, le système de santé
 français sera très bientôt dépassé. Certes, les mesures de distanciation sociale drastiques peuvent
 modifier nos résultats, mais il est impératif de réorganiser massivement les unités de soins intensifs
 françaises et d'accroître leurs capacités afin de faire face à la vague de malades graves du COVID-19 à
 venir.

                                                             9
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