DARK GLETSCHER In progress 2019 - 2021 Frédéric Fourdinier - Frederic Fourdinier
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DARK GLETSCHER 2019 - 2021... Travail en cours Les glaciers ou Gletscher en Allemand sont , sous leurs diverses environnement. S’en suit l’intérêt de l’impact de nos activités formes, des éléments importants du système atmosphérique sur ce milieu et le rôle que joue ces glaciers au niveau climato- terrestre , stockant d’immenses volumes d’eau douce, intera- logique, écologique et l’interférence directe sur nos modes de gissant avec l’hémisphère dans lequel ils se trouvent et contrô- vie, notre société, la politique, notre existence. lant les changements du niveau des mers. Ils créent un impact significatif et durable sur les paysages. L’étendue et l’inten- Ces masses de glace se caractérisent, depuis des temps sité, de chacun de ces impacts, varie dans le temps, à mesure géologiques reculés, par des variations cycliques qui traitent que les glaciers et les calottes glaciaires se développent et du phénomène d’expansion et de rétraction. Des actions se désintègrent en réponse aux mécanismes de l’évolution qui régissent l’ensemble de l’univers et les éléments qui le climatique. Dans la période géologique actuelle du quater- composent. En parallèle de cet intérêt pour les glaciers, je naire, souvent appelée ère glaciaire et couvrant les dernières m’interesse depuis plusieurs années au monde de la physique 2,6 millions d’années, les glaciers et les calottes glaciaires et de la cosmologie, sur les questions de la masse manquante se sont étendus à des périodes de glaciation maximale pour de l’univers. J’entends par masse manquante de l’univers, couvrir jusqu’à 30% de la surface de la terre. l’énergie sombre qui serait à l’origine de l’expansion et l’accé- lération du cosmos, ainsi que la matière noire qui éviterait les C’est dans une dynamique de déplacement que le travail dissociations des amas de matières ordinaires, comme ce qui Dark Gletscher s’inscrit, d’abord par des voyages, randon- compose les galaxies. Dark Gletscher invite à une immersion nées, traversées dans différents endroits des Alpes, à diverses dans ces recherches et ces réflexions. Je tente ainsi d’entrela- saisons et sur plusieurs années. Le contact physique avec le cer ces deux univers et propose de réfléchir sur ces questions minéral, l’observation des multitudes de variations des strates de mouvement, de limite, de présence et d’absence. Cette mise géologiques et l’érosion des roches, m’ont amené à aborder en parallèles n’est pas sans liens avec le sujet de l’évolution l’univers des glaciers. Cette rencontre, intrigue, effraie, climatique modifiant le milieu glaciaire et son environnement. fascine, pousse à la contemplation et provoque une volonté Les réalisations actuelles, pluri-techniques que je propose, d’en connaître plus à leur sujet. Plus précisément sur leurs permettent d’appréhender mon univers et mes questionne- mouvements, fluctuations, territoires, qui sont les fils conduc- ments, via différents points d’entrée. teurs de mon travail d’artiste depuis plusieurs années et se couplent avec les rapports qu’entretient l’être humain avec son
A PART OF MISSING MASS Photographies de fronts glaciaires occultés à 70% par une sur- face noire. Cette valeur réfère au pourcentage théorique d’énergie sombre qui composerait l’univers connu en expansion. Considérait comme une matière diaphane, cette énergie sombre laisse passer la lumière à travers le cosmos mais obstrue par la même la pos- sibilité d’en voir la fin, une forme de «sight non sight» Smithso- nienne. 6 formats - dimensions 93 x 62 cm chacun photographie argentique - impression jet d’encre contrecollée sur carton non acide - encre de serigraphie glaciers : Arolla - Moiry - mont Coulon - Rhône – Zinal
Rhône Moiry
mont Coulon Zinal
Arolla
Arolla
ANATOMIE Découpes d’empreintes cartographiques de réseaux de glaciers de différents massifs alpins européens. Ils proposent de montrer l’or- ganicité, les ramifications et connexions entre eux, tels des êtres vivants. Je les suspens par séries en leur extrémité la plus au nord, sans les déployer complètement, comme un constat de leur éten- due, de ce qu’il en reste, la dramaturgie de leur déclin. La couleur noire vient en assombrir l’esprit mais propose aussi d’en référer à la matière noire et l’énergie sombre. ANATOMIE II 2019 serie Valaisane, Suisse, extrait dimensions variables papier 120 gr et peinture aérosol noir mat
ANATOMIE I 2020 Massif du Mont Blanc format 170 x 120 cm papier 160gr et peinture aérosol noir mat
VIDEO projet et travail en cours 2019 – 2021 Projets vidéo numérique et argentique 8mm concernant le glacier du Rhône en Suisse à propos du tissu technique, dé- ployé à la surface du front glaciaire pour en limiter la fonte. photographies numériques préparatoire et de repérage Paillard Bolex double 8mm N/B
videogramme, rush numérique preparatoire : vent venant soulever phantomatiquement cer- taines parties du tissu technique recouvrant le front glaciaire. Vidéogramme - rushs numériques preparatoire de fronts glaciaires de divers glaciers, où la fonte et le mouvement se perçoivent par la chute ou glissement de blocs et roches, spectacu- lairement ou subtilement.
NOUVELLES marcher - observer - photographier – écrire 2019 – 2020 Suite de nouvelles relatant des marches ou approches, d’un jour ou plus, à la rencontre d’un ou plusieurs glaciers UNE TRAVERSÉE laissées par le temps s’effacent mais se répéte- principal et se réunissent en une entité pour en- ront, le cycle universel, quoi!! Et nous au milieu suite être piégée dans une cuve en béton qui la Mardi 23 Juillet 2019, Suisse, Val d’Arolla, de tout ça... canalisera et la gérera, l’homme l’a décidé ainsi, 8 heure, lieu dit «les Magines», altitude 1968 2100 mètres. Passé le pont, le chemin part la nature n’a son mot à dire, ordre et rigueur à mètres. La route s’arrête face à une barrière, dans des lacets caillouteux, mise en jambe, en- toutes altitudes... au delà, accès autorisé pour le personnel de la viron deux kilomètres pour accéder au lit plus Au fur et à mesure le terrain devient plus acci- central hydroélectrique. Les étés helvètes sont récent du glacier d’Arolla. 2600 mètres. Là, at- denté et la signalétique plus précaire. Mieux vaut devenus caniculaires en fond de vallée. Ici, en tend un barrage de rétention, la porte de service fixer un point précis dans l’espace et suivre de altitude, une certaine fraicheur se maintient le verrouillée d’une conduite forcée, des panneaux loin le courant du torrent principal. La langue du matin, les températures grimperont inévitable- signalant le risques de lâcher d’eau, des instru- glacier apparait, l’empreinte laissée contraste ment. Ciel immaculé, bleu, carte postale. Cela ments de mesure météorologique et un tuyau avec ce qu’il est actuellement, timide, longiligne, le restera jusqu’à 13h. Une cohorte de nuages en PVC noir d’où sort une eau claire et buvable. noirâtre. fera incursion en provenance des versants ita- Durant l’ascension, à droite les séracs du gla- Approche... Un mélange de pierres et de li- liens, une accalmie pour les yeux. Sur le glacier cier du mont Collon déversent avec radicalité, le mon, plus ou moins stables, se confrontent au et le milieu minéral qui le soutient, la réverbéra- long d’une paroi fortement érodée, ses derniers front glaciaire, le tout jalonné de blocs erra- tion est intense. Reprise de l’incandescence vers amas de glace. Spectres en mouvements d’un tiques abandonnés pendant la débâcle. Fuite 17h. passé lointain, d’où carottages et analyses pré- momentanée orchestrée par nos soins. Je reste La route longe «la Borgne» d’Arolla, un tor- levés parleraient d’eux même. au moins 2h, contemplation, observation, inges- rent qui, dans l’ombre portée des montagnes, Sur le haut, le paysage s’ouvre, une large val- tion, consternation. passe à côté de la centrale où aboutissent les lée glacière, incurvée et ultra minéral. De part et L’accès sur le glacier se fait par le coté gauche conduites forcées nourrissant les turbines. Dans d’autre le massif du bouquetin et du Collon, aux de la montée, dans un chaos de roches où des cu- la progression, on transite d’un bitume crevas- parois inférieures tapissées de moraines aux gris lots de glace fossiles apparaissent. Le balisage sé par les intempéries à une terre tassée par la infinis et tachetées de névés lactés, convoient est inexistant, suivre les quelques traces spora- foulée humaine. La frontière ombre et lumière les eaux dynamiques d’un torrent. Chargées de diques des marcheurs précédents. La carte in- en mouvement révèle comme un scanner le sédiments arrachés à la roche, l’eau se teinte dique en gros l’endroit le plus adéquat pour tra- relief des moraines latérales, vestiges du «bas comme par mimétisme à son environnement, verser mais tout cela reste aléatoire, un glacier glacier d’Arolla». Cette fusion des deux glaciers une harmonie alpine hostile et accueillante à la ça évolue... Une bande de neige crée le lien, les en amont, celui du mont Collon et d’Arolla au fois qui guide vers un seul élément, le Glacier. marques de pas, partiellement fondues par le petit âge glacière, rappel que mouvement et ins- Dans le delta, les eaux sont de provenances mul- soleil, m’entraînent sur une surface granuleuse, tabilité sont maîtres dans l’absolu et les traces tiples, s’ajoutent par capillarités aléatoires au lit irrégulière et scintillante. Sur un camaïeu de
blanc sale constellé de résidus aux provenances indigènes et exogènes, les écoulements d’eaux strient et sculptent la surface inclinée. Apparaît alors, subtilement la diagénèse du glacier, d’un bleu qui glace le sang et fait prendre conscience vertigineusement du volume qui se trouve sous les pieds. Le franchissement de la zone de transport se fait en deux parties, séparée par une moraine médiane aux concentrations de matériaux ro- cheux. De cet îlot central on embrasse les alen- tours avec délectation, s’ouvre alors en amont une fenêtre d’observation sur le la zone d’accu- mulation, là où l’organisme vivant polycristallin prend vie et prépare un corps à corps avec le monde minéral. Atteindre l’autre rive procure comme un sou- lagement, de courte durée, car l’objet de ma vi- site n’était pas de passer le col qui surplombe ce glacier, mais de faire le tour du propriétaire et de ressortir par la porte d’entrée via le même chemin, après l’heure du thé, avec discrétion, évitant le dérangement, tout en sachant que son temps est compté. Frédéric Fourdinier Texte 2019 -2020 Photographies noir et blanc 2019 - argentique Ikonta Zeis Ikon 520 2 - 1930 / focal 105mm / moyen format 6X9
UNE INCURSION Terrain de sport 1826 mètres, fin de la route, voiture sous les Grande antenne émettrice arbres, 8h30, 22 juillet 2019, beau temps. A cet Composition du territoire cartographique des Ligne électrique à haute tension étage subalpin, l’atmosphère est aux préparatifs lignes arrières du val de Ferpècle: Bassin d’ascension pour les marcheurs qui, en partie, Alimentation en eau ont dormi, soit dans leur voiture, soit sous tente. Les Haudères Barrage La plupart iront vers le refuge de Bricola et le Praz Do Lauc Cimetière glacier de la dent Blanche. Pour ma part je vais Le Plan Dò Beu Verger vers celui du mont Miné, plus près, moins haut, La Forclaz Cours d’eau moins spectaculaire, plus de temps à passer à La Tènda Zone humide son chevet. Séparation des troupes en aval du Le Légerèt pont barrage. La végétation dense indique une co- Lè brounes Saulèes Barrage de régulation lonisation déjà bien établie, lors de la seconde Lièfranc Courbes directrices guerre le glacier y tenait ses positions. Le viridis Sepéc Courbes de niveau a supplanté l’alba, pour un bon moment. Prafloric Points côtés Flanqué de ses deux tranchés glacières, le pic Renoillin Talus, talus de pierre de 2798 mètres, avant garde de la chaine du mont Les Salays Rocher, bloc de rocher, pierrier Miné, fonctionne comme un panoptique. Une Ferpècle Forêt Surveillance sans fin de l’évolution de la ligne de Route de 6m (>6m) revêtement dur Forêt clairsemée front. Il y a 23000 ans la glace l’érodait autour Route de 4m (>4m) revêtement dur Buissons des 2500 mètres d’altitude, plusieurs milliers Route de 3m (>3m) revêtement dur Arbre isolé, bosquet, haie d’années passent, les forets vinrent l’encercler Barrière Localité de 1000 à 2000 habitants à plus de 2000 m. S’en suit un petit âge glaciaire Téléski Localité de moins de 50 habitants du XIV siècle jusqu’en 1850 restaurant l’emprise Bâtiment Lieux dits glacial à cette même altitude, depuis cette date, Auberge isolée le déclin. Clocher / tour sacrée Ici vaches et êtres humains se partagent ce En 2019, zone de combat, d’un coté la vie, de Chapelle paysage bucolique Valaisan. Au centre du ta- l’autre la tectonique des plaques. Invasion pour Tour bleau un tapis roulant, le torrent de la Borgne l’un, technique de la terre brûlée pour l’autre. Oratoire de Ferpécle, évacue les restes d’un drame qui se Ecologie et géopolitique, peu de différences ici, Pare-avalanches joue en amont. tout est question de coalitions complexes où
chacun y trouvera son intérêt. Glace, minéral, eaux provenant de tout son être, inter-glaciaires, Linaria Alpina végétal, eau qui fait alliance avec qui ? Le vent, juxta-glaciaires, supra-glaciaires, marginales. Rumex Scutatus lui, semble survoler le conflit. Elles proviennent de loin, de ses entrailles, là- Salix Helvetica Sur les bas côtés du chemin, carcasses de bas, derrière les séracs, à plusieurs centaines Saxifraga Aizoides rochers usés, écrasés et fracturés par la glace de mètres, voir kilomètres. Lui glisse et flue Trifolium Repens s’abandonnent aux plantes et arbrisseaux. Le de sa zone d’accumulation vers l’affrontement. Tussilago Farfara tout dans un torrent de décibels liquides per- Sa puissance est palpable, visible. Sa fragilité et d’autres... manent. La végétation régresse, le champ vi- aveugle, un kamikaze. Il fond sur ses adver- suel s’ouvre. Une plaine alluviale forme un lac saires. Sait il au moins qu’un autre, plus fourbe Leurs forces ? Le soleil, l’eau, le substrat pro-glaciaire. Dans ce panorama me viennent en que ceux qu’il combat, l’assène d’un coup de poi- et une furieuse envie de vivre. Des machines tête les photos des missions lunaires Apollo. Des gnard dans le dos ? Je bas en retraite empli de de guerre. On dit, la nature à horreur du vide, monolithes, isolés et déposés sur une surface questions sur son fonctionnement, sa structure, mais de quoi donc alors est composé les neufs grise, la poussière lunaire devient gravier, limon son passé, la géologie qui l’entoure. Oiseau, se- dixièmes de l’univers, où gaz, minéraux, glaces, et sable alpin. On est au cœur de la conflagra- rait une fabuleuse expérience pour approcher au corps célestes,... gravitent. C’est le trou noir, tion. Nous, êtres humain, on y vient pour des plus près de l’inaccessible. l’inconnu! Comme la vie sur terre qui n’a pu ap- relevés scientifiques, des photos de tourisme et Dans la descente je prends le temps d’obser- paraître que par la présence d’une matière aux prendre l’air. ver les plantes rudérales et colonisatrices qui multiples facettes, l’Eau. La progression se fera à vue vers le front gla- partent à l’assaut. Impatientes, elles s’installent Je tente d’aller au glacier de Ferpècle. Aban- ciaire, dans un dédale abrupte de restes mo- coûte que coûte dans le lit glaciaire fraîchement don dans l’ascension, trop tard, trop loin, trop rainiques rythmés par quelques cairns et mar- abandonné. Ces éclaireuses, scouts, combat- escarpé. Retour dans les arrière-lignes, vers quages à la bombe fluorescente des différentes tantes se nomment : d’autres dissensions. positions du glacier de ces dernières années. Le constat est sévère, les deux décennies passées Alnus Viridis ont été un « blitzkrieg ». Androsace Vandellii La confrontation au glacier se passe dans Betula Pendula une pente escarpée, les débris rocheux qui le Campanula Rotundifolia recouvrent, glissent ou s’effondrent avec incer- Hieracium Staticfolium titude. Je garde mes distances face à lui. Cette Festuca Alpina Suter masse en mouvement imperceptible relâche par Gypsophila Repens son portail les fracas de ses écoulements. Des Leucanthemopsis Alpina
Frédéric Fourdinier Texte 2020 Photographies noir et blanc 2019 - argentique Ikonta Zeis Ikon 520 2 - 1930 / focal 105mm / moyen format 6X9
UN CONSTAT plusieurs vitesses. La dynamique de mouvement de la nature. Les glaces reviendront, plus tard… des crevasses en surface reflète un flue continue après nous. Furkapass, Suisse, 21 juillet 2019, 13h, temps et déterminé, tel Kerouac sur sa route. Plus ra- Du haut des vestiges morainiques, je des- clair, nuages éparses. pide en son milieu qu’en ses bords, les chevrons cends par un « non » sentier dans l’arène touris- Deux options se présentent à moi, partir du latéraux attestent de la force glaciaire qui opére tique, qui propose d’admirer une mise en scène col de Furka, ou depuis l’hôtel du Belvédère, plus en ces lieux. Mais, dans cette impulsion primaire de crime en bord de plage. Corps recouvert et bas, via un aménagement touristique payant. de mobilité, tel un «road movie», une sensation petits panneaux éducatifs. Comme tout est bien Je pars du col. À 2429 mètres, il est le contact seconde, vient biaiser mon élan de rider de l’in- fait, la scientifique invite à parcourir, dans une entre la vallée du Rhône et celle d’Andermatt, fini. Il y a comme de l’hésitation, du recul, l’atti- cavité creusée dans la glace, les entrailles du point de passage par voie routière, ferroviaire et tude d’un animal prêt à fuir face à l’inconnu. Son cadavre encore chaudes. On peut y contempler pédestre du canton d’Uri et celui du Valais. De pourtour est comme en rétraction. La réalité est et toucher sa structure épidermique, entendre là un chemin tire sur le flan sud du Furkahorn. là, on le sait tous, sciences, medias, politiques, et constater son épanchement, c’est beau, c’est Terre, cailloux, herbes, il oscille modérément en réseaux sociaux nous le martèlent bien : ça fond, religieux, c’est morbide, les gens « like ». croisant quelques névés résiduels. Sa continui- ça disparaît. À croire que les temps sont au re- Sortie de la dépouille, on se pose devant, pour té dépose le marcheur dans la partie inferieur croquevillement, au protectionnisme, avec une se recueillir, au soleil, sur la roche usée par le du glacier et fige la marche en le surplombant. pointe de nationalisme… travail laborieux de la bête. Là, une situation me Le panorama est clair, de droite à gauche, pics Au moment où se succédent mes mots sur pris d’effroi, un vent léger venant du haut du gla- rocheux, arrêtes alpines, cirque glaciaire, zone l’écran, le COVID 19 nous mets à l’épreuve et cier souleva fantomatiquement quelques parties d’accumulation, zone de transport, zone d’abla- nous rappelle à l’ordre. Je n’en connais pas en- du suaire, lentement, sans à-coup, limite poé- tion, front glaciaire, lac pro-glaciaire, rupture core la finalité à l’heure où j’écris. A notre tour tique. J’en perçu le corps presque inerte, mon de pente convexe, anciennes vallées glaciaires peut-être de rétrograder, voir de décroitre. Pour voyeurisme était à son comble et une phrase me serpentant jusqu’au lac Léman, 160 kilomètres l’instant le glacier finit sa course en fusion, le nez vint, spontanément : «putain c’est glauque, la environ. Sculptées par deux grandes glaciations dans une marre d’eau glacée où, l’être humain, mort est belle!» – Riss – Würm. On se projette mal l’étendu et dans une forme de violence ou un acte délibé- La suite est classique, reprendre le chemin l’épaisseur de glace qui s’y est déplacée. Le pe- ré de bonne conscience, a déposé en partie, sur vers le col, afin de regagner la voiture, se dé- tit âge glaciaire, lui, sera moins prétentieux, il son front, un linceul technique blanc pour tenter lester du sac, changer de chaussures, boire un finira dans la vallée de Conches peu avant le vil- de protéger ce qu’il peut, et pouvoir dire : hé ! coup, manger quelques fruits secs, regarder au lage de Gletsch, environ 1 kilomètre et demi en Vous voyez on peut sauver la planète… !!! Proba- loin, consulter la carte, pour décider du trajet contre bas de sa position actuelle. blement que ce discours oubli l’essentielle, c’est vers le prochain glacier, se mettre au volant et Cette «interstates» californienne fonctionne à nous l’animal à secourir, voir à isoler du reste prendre la route.
Frédéric Fourdinier Texte 2020 Photographies noir et blanc 2019 - argentique Canon EOS 100 / focal 50mm / format 24x36
LA MASSE MANQUANTE Les particules reconnaissables milieu des pâturages. Le son de la Navisence, 100 – 200 kg/m3 qui coule en contrebas, est plus intense que la L’eau sur terre : veille. Ambiance Humide et simple, ciel dégagé. Cristaux de neige fraiche au printemps Des tentes sur un terrain, sans délimitations, 1 400 000 000 km3 200 – 300 kg/m3 sans véhicules, à l’ombre des montagnes. Fruits secs, infusion d’Achillée Millefeuilles, orties et Eau Salée : 97,2 % Les grains fins porridge d’avoine. Les abris se replient les uns 1 320 000 000 km3 200 – 400 kg/m3 après les autres, les marcheurs décampent tiè- Les grains à face plane et les gobelets dement, empreintes géométriques nocturnes Calottes glaciaire et glaciers : 1,8 % 250 – 350 kg/m3 sur le sol. 25 000 000 km3 Les grains ronds A 6 kilomètres environ, plein sud à une alti- Eaux souterraines : 0,9 % 350 – 500 kg/m3 tude de 2100 m, la langue du glacier de Zinal se 13 000 000 km3 terre dans son lit au milieu des moraines, avec Après une saison de fonte sa couverture minérale. Il sera l’objectif de la Eau douce, lacs, mers intérieurs, fleuves : 400 – 830 kg/m3 journée. 0,02 % 7h30, sur les Plats de la Lé, passage aux 250 000 km3 Glace abords du stade de football qui s’efforce d’exis- 830 – 910 kg/m3 ter en plein milieu alpin. En 2016, à cet endroit, Eau liquide sous forme de vapeur d’eau atmos- le 27–28 mai, des éboulements et laves tor- phérique : 0,001 % Une nuit d’orage sous tente c’est comme, en- rentiels s’épanchèrent violemment depuis les 13 000 km3 fant, être dans l’attente du passage du père Noël. pentes du massif supérieur par les veines des 509 000 000 km2 Des périodes d’écoute, d’excitation, de calme, de ruisseaux. Aujourd’hui la végétation a déployé à doute, de relâchement et au final, un sommeil nouveau son tapis et la surface sportive revenue 72 % de la surface terrestre profond la dernière heure. Une absence dans les de six pieds sous terre. Le Limon poussiéreux abîmes du cerveau, qui nous fera rater la venue et grisâtre, ainsi que les roches qui composent, Densité de la neige vers la glace : de l’être insaisissable tant attendu. chemins, bas côtés et autres, témoignent de la capacité de recouvrement des éléments ter- Cristaux de neige fraiche en hiver 25 juillet 2019, Zinal, altitude 1676 m, 6h00, restres. L’avant goût d’une plongée au milieu 50 – 150 kg/m3 Camping de Tsoucdanna, en bout de village au des strates géologiques alpines.
La progression s’exécute en ligne droite sur mites maximales du glacier qui faisait pression immobilité longue et attentive ouvre une porte environ 2 kilomètres. Le terrain faussement sur le socle minéral alpin. Une glace arrivée à vers un champ de perception sensorielle abys- plat et les pans de montagnes latéraux forment son taux de densité maximal, venant, grâce à sal, le mouvement. Une vague en reflux dans un comme une hausse de fusil, la cime du Besso la pesanteur, la vitesse et le temps, arracher et ralenti infini qui se décompose tout en déferlant. à 3668 m, elle, dessine le guidon. Tout deux at- polir une croûte terrestre composée à cette al- La chute d’un bloc de bonne taille non loin de tendent un alignement parfait pour offrir une titude d’anciens sédiments marins. Dans cette moi, m’invite à prendre une alternative de point fenêtre de tir dans le vide atmosphérique. Une partie des alpes les sous-sols s’appellent : Dolo- de vue. J’opte pour un panorama plus large mire géomorphologique vers le néant. mie, Gabbro, Gneiss, Métabasalte, Micaschiste, en prenant le chemin vers la cabane du «petit Le passé géologique de la terre se conjugue Schiste lustré, Schiste noir, Quartzite. Une bande Mountet», reprendre là où le balisage officiel en strates, celui de l’être humain en vestiges his- de jeunes qui ont comme objectif de conquérir le guide vers le haut de la moraine latérale. Soleil toriques, relatant les activités d’un passé nostal- ciel, mais que deux fluides, air et eau, viennent au zénith, appuyant bien la montée jusqu’au lieu gique obsolète, néanmoins utile, pour une bonne contrer en stoppant leur élan de croissance par promis où, cabane en bois et drapeau de la ré- partie. Ici une étable et fromagerie de la fin du une force érosive sans pitié. gion invitent à se désaltérer en terrasse afin de 19éme remise à neuf. Cela ponctue la montée, profiter du spectacle. c’est joli, rassure le marcheur, et rappelle que la Le glacier fait mur. Sa masse grise bleue montagne n’est plus un lieu sauvage depuis bien sale s’extrait des amas de pierres morainiques, Aout 2001, Mormon Mesa, Overton, Neva- longtemps. comme un bunker des sables dunaires. S’éti- da, USA, à la rencontre de Double Négative1 de La transition a lieu. Du végétal on passe au rant sur une largeur d’immeuble de banlieue Michael Heizer2, soleil tiède au levant, soleil minéral. Sortie de virage dans le premier lacet et d’une hauteur avoisinant celle d’une maison de plomb à midi. Les souvenirs refont surface. allant vers «le petit Mountet». On oubli les che- bourgeoise, il est comme une apparition en plein Le paysage diffère peu en fin de compte, deux mins aménagés, un cairn en pierre marque le désert. La communication est plus que compli- territoires grandioses, une zone désertique, du début du sentier menant vers le front glaciaire. quée. Chutes et glissements de pierres posent minéral, peu de végétation, du relief, de la vue, Pour les trois quarts se sera un chaos de roches les règles d’une distanciation sociale de rigueur. mais surtout une œuvre dans chaque site. Les avec un balisage très vague. L’autre quart, des Les plans inclinés génèrent une multitude de ri- techniques divergent, l’un avec des moyens mé- plages d’alluvions transitoires délavées. goles verticales où sédiments et eau s’écoulent caniques, l’autre avec les forces naturelles. Le Le pas est lent et le son du torrent grisant. inlassablement en période estival. En son extré- résultat de l’action semble similaire tout deux Le corps s’arrête entre les blocs, ou dessus, un mité gauche le portail béant de la grotte, prisée présentent des traces de déplacements et l’em- prétexte à la contemplation. Seul au milieu du pour son accessibilité en hiver, évacue l’essen- preinte d’un élément sur la terre ou plutôt le lit glaciaire, le vertige s’installe, la hauteur des tielle des eaux. négatif, la masse manquante. L’un en fin de pro- moraines latérales marquent nettement les li- Face à l’accueil de ce monolithe de glace, une cessus, l’autre finalisé. Tout deux sont dans une
dynamique de disparition entamées dés le début de leur création, une obsolescence programmée dans un cycle infini répétitif. Petite différence entre eux tout de même, l’échelle de l’objet ab- sent. Dans le chalet deux petites photos prises à un intervalle de cent vingt ans, 1899 – 2019, montre l’état des lieux du paysage se trouvant face au spectateur, que dire? 1. Double Negative est une longue tranchée dans la terre, large de 13 mètres, profonde de 15 mètres et longue de 457 m. Sa construction dura de 1969 à 1970. Elle résulte du déplacement de 244 800 tonnes de roches, principalement de la rhyolite et du grès. La tranchée est à cheval sur un canyon naturel, dans lequel les matériaux ont été dé- versés. Le « négatif » du titre de l’œuvre fait référence à la fois à l’espace négatif naturel et artificiel. L’œuvre consiste essentiellement dans ce qui n’est pas présent, dans ce qui a été déplacé. L’œuvre est la propriété du musée d’art contemporain de Los Angeles 2. MICHAEL HEIZER, né en Californie en 1944, artiste contemporain spécialisé dans les sculptures à grande échelle et dans le Land art Frédéric Fourdinier Texte 2020 Photographies noir et blanc 2019 - argentique (1-2) Canon EOS 100 / focal 50mm / format 24x36 (3) Ikonta Zeis Ikon 520 2 - 1930 / focal 105mm / moyen format 6X9
(1) (3) (2) (1-2) Michael Heizer, double negative, 1969-1970 (vue aérienne) Photographie Gianfrranco Gorgoni, sygma (3-4) Michael Heizer, double negative, 1969-1970 Photographie Frédéric Fourdinier, 2001 (4)
frederic-fourdinier.com
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