La danse en Belgique 1930- 2021 - Charleroi Danse

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La danse en Belgique 1930- 2021 - Charleroi Danse
La danse en   1930 —
Belgique      — 2021
La danse en Belgique 1930- 2021 - Charleroi Danse
1930s
        Akarova
1961
        Maurice Béjart — Boléro
1983
        Anne Teresa De Keersmaeker — Rosas
        danst Rosas
1987
        Wim Vandekeybus — What The Body Does
        Not Remember
1987
        Jan Fabre — Das Glas im Kopf wird
        vom Glas
1989
        Frédéric Flamand — La Chute d’Icare
1990
        Michèle Anne De Mey — Sinfonia Eroïca
1994
        Cie Mossoux-Bonté — Twin Houses
1995
        Alain Platel — La Tristeza Complice
1996
        Pierre Droulers — de l’air et du vent

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2000
        Sidi Larbi Cherkaoui — Rien de rien
2004
        Olga de Soto — histoire(s)
2009
        Thomas Hauert — La Valse
2013
        Michèle Noiret — Hors-champ
2014
        Thierry Smits — Cocktails
2014
        Jan Martens — The Dog Days Are Over
2016
        Serge Aimé Coulibaly — Kalakuta
        Republik
2018
        Mercedes Dassy — i-clit
2019
        Ayelen Parolin — WEG
2020
        Alexander Vantournhout — Through
        the Grapevine
La danse en Belgique 1930- 2021 - Charleroi Danse
Comment évoquer la danse et ses
Edito
                                                méconnu dont on sait qu’il accompagne
développements historiques ? Comment            tous les moments importants de la vie
dédramatiser son approche pour un               des hommes mais dont on repère encore
large public ? Ces questions récurrentes        avec difficulté les auteurs qui le portent
nous ont conduit à imaginer un outil            aujourd’hui sur scène.
spécifique, une façon de partager l’histoire    C’est parce que nous sommes convaincus
de la danse en Belgique en valorisant, en       que la danse mérite une meilleure
priorité, les artistes qui l’ont écrite. Nous
                                                reconnaissance que nous avons choisi
aurions pu emprunter d’autres chemins
                                                de mettre en valeur ces vingt parcours
et nous ne prétendons pas à un travail
                                                choisis d’une histoire si riche qu’elle
exhaustif et scientifiquement indiscutable
                                                autorise de nombreux accès que nous

                                                                                                         3
mais nous tentons simplement de
                                                décrivons dans un dossier pédagogique.
répondre à un désir de connaissance.
                                                Lequel vient, en complément, apporter
Ce petit livret rend compte de la
                                                des éclaircissements sur la danse dans ses
personnalité et la démarche de vingt
chorégraphes qui ont largement compté           nombreuses relations aux autres arts et
dans l’évolution de la danse en Belgique        sur sa place dans la société.
depuis 1930. Il accompagne le visionnage        L’ensemble constitue une mallette
d’autant d’extraits d’œuvres filmés. Ces        pédagogique à destination de tous ceux
extraits ont acquis, avec le temps, le statut   qui souhaitent porter un intérêt à la danse
de document et à ce titre, ils témoignent       et l’espoir qu’elle suscite vocations et
de l’incroyable vitalité d’un art encore trop   passions. Annie Bozzini, Directrice de Charleroi danse
La danse en Belgique 1930- 2021 - Charleroi Danse
1930s

    Connue sous le nom d’Akarova, pseudonyme
choisi pour ses consonances russes, Marguerite
Acarin naît à Bruxelles en 1904. Baignant dans les
milieux d’avant-garde qui secouaient alors les arts
plastiques, la musique, le théâtre, la littérature et
l’architecture, elle appliquera à la danse des idées
venant du constructivisme russe et du futurisme
italien : une danse géométrique et plastique. Comme
ses consœurs, Isadora Duncan, Ruth Saint Denis ou
Loïe Fuller, Akarova rejette la danse conventionnelle
du ballet classique avec sa grammaire gestuelle codifiée
et sa trame narrative. Sa danse est plus théâtrale que
narrative ; Akarova y incarne des « personnages » et
cherche l’expressivité des émotions. Son geste est fait
de poses hiératiques, de mouvements lents et saccadés,

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de figurations dessinées fulgurantes.
    Si elle cherche le mouvement naturel comme
Isadora Duncan, elle rejette la sensualité du corps.
Davantage encore que sa danse, ce qui restera
d’Akarova ne sont pas les œuvres chorégraphiques
(L’Oiseau de feu, Les Lettres dansantes,…), dont on
ne possède pas d’images filmées, mais le travail
plastique à travers ses décors et surtout ses costumes,
faits de lignes courbes et de formes géométriques,
qu’elle fabrique avec son premier mari, le peintre
constructiviste Marcel-Louis Baugniet. IM
La danse en Belgique 1930- 2021 - Charleroi Danse
1961    BOLÉRO
    Fils du philosophe Gaston Berger, Maurice Béjart
naît à Marseille en 1927. En 1959, il crée à Bruxelles Le
Sacre du printemps, dont la réception est divisée entre
scandale critique et succès public. Maurice Huisman lui
propose alors d’accueillir son travail dans la maison qu’il
dirige, le Théâtre royal de la Monnaie. C’est donc là qu’en
1960 débutera l’aventure de sa compagnie : le Ballet
du XXe siècle. Refusant les qualificatifs de « classique »,
de « moderne » ou de « contemporain », Béjart sera le
chorégraphe qui fera venir le public à la danse, chacune
de ses créations provoquant la liesse du public belge.
À l’étranger, il sera l’un des plus grands ambassadeurs
de la création belge. En 1971, il crée à Anderlecht l’école
Mudra, une école multidisciplinaire et ouverte sur le
monde, qui formera des générations de chorégraphes,

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d’ici et d’ailleurs. En 1987, il quitte Bruxelles pour
Lausanne, où il travaillera jusqu’à la fin de sa vie.
    Son Boléro sur la musique de Maurice Ravel, créé
pour la danseuse Duska Sifnios, devient l’une de ses
œuvres-phares. Elle sera reprise par Maïa Plissetskaïa
en 1974, puis par Jorge Donn en 1979. Alors que
le rythme est donné par un chœur de danseurs
apparaissant autour d’une table ronde de couleur
rouge, la mélodie est amenée par la·le soliste, dont
l’ondulation et le déhanché perpétuel s’amplifient avec
l’orchestre. Petit à petit, alors que la musique dévore
l’espace, la scansion des danseurs enserre littéralement
la·le soliste vêtu·e d’un justaucorps de couleur chair,
les cheveux lâchés. Ce corps presque nu révèle une
danse volontairement érotique. IM
La danse en Belgique 1930- 2021 - Charleroi Danse
1983    ROSAS DANST ROSAS
    Née en 1960, Anne Teresa De Keersmaeker a suivi
un temps l’enseignement dispensé à Mudra, l’école
ouverte par Maurice Béjart à Bruxelles, avant de partir
à New York terminer sa formation. Elle commence
à chorégraphier très jeune par un exercice de style
sur des musiques répétitives de Steve Reich. La ligne
musicale sera toujours au cœur des projets qu’elle
continue à mener avec sa compagnie Rosas et au sein de
l’école P.A.R.T.S. (Performing Arts Research and Training
Studios) qu’elle dirige à Bruxelles.
    Elle a 23 ans lorsqu’elle signe la pièce Rosas danst
Rosas qu’elle présente comme « une série de mouvements
et d’attitudes repris à la vie quotidienne plutôt qu’au
langage traditionnel de la danse ». Quatuor de femmes
jeunes et énergiques, cette pièce repose sur un choix

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musical minutieux, minimaliste réparti en quatre temps
distincts. Le·la spectateur·trice a tout loisir de s’attacher
à cette petite armée féminine qui met en scène chaque
regard, chaque flexion du poignet, relâchement de la
nuque ou du buste dans un phrasé très précis de vitesse,
d’impulsions et de chutes. Cette pièce créée en 1983
est reprise régulièrement et signe le style ATDK.
Depuis, la chorégraphe a réalisé près d’une soixantaine
de pièces données dans le monde entier. En 2020,
elle est partie pour New York signer la reprise de
la comédie musicale West Side Story, succès dont
les représentations ont malheureusement été
interrompues par la pandémie COVID-19. AB
La danse en Belgique 1930- 2021 - Charleroi Danse
1987     WHAT THE BODY DOES NOT REMEMBER

   Il fut d’abord acteur chez Jan Fabre où sa présence
crue et physique manifestait déjà ce que Wim
Vandekeybus développera plus tard dans ses propres
pièces ; la scène comme lieu d’un état d’urgence vitale
où le corps retrouve une sorte d’instinct, qualité qu’il
considère primordiale.
    En 1986, il crée sa compagnie Ultima Vez, à Bruxelles
et l’année suivante, sa première œuvre What The Body
Does Not Remember apparaît comme le manifeste de sa
démarche. Composée de mouvements incessants de six
danseur·se·s-acteur·trice·s en constants déplacements
sur une musique percussive, la chorégraphie y met
en scène, notamment, d’impressionnants lancés et
rattrapages de briques dans un rythme effréné de
courses. Chaque mouvement y est millimétré car le

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danger est réel pour les danseur·se·s qui, déclare le
chorégraphe, « ne doivent leur salut qu’à la sûreté de leurs
réflexes » 1. Une forme de théâtralité de l’instinct se met
en place à laquelle participe grandement la musique de
Peter Vermeersch et Thierry De Mey produite par des
sons brutaux qui engagent leur corps. Le chorégraphe
développe ici une esthétique de l’urgence, une danse
féroce et rageuse avec un sens aigu du rythme et de
la composition.
    Tout au long de sa carrière et à travers ses nombreux
films et créations scéniques, Wim Vandekeybus
travaillera à cette finalité de transformation de la
catastrophe en élégance de l’émotion. AB
   1
     Wim Vandekeybus, The Rage of Staging, Lannoo, Belgique,
2016, p.388
La danse en Belgique 1930- 2021 - Charleroi Danse
1987    DAS GLAS IM KOPF WIRD VOM GLAS
    Né à Anvers en 1958, Jan Fabre déclare très jeune
ses intentions plastiques et physiques. Ses premières
œuvres repérées le voient se mettre personnellement
en scène dans des expériences d’hyper ventilation.
Dans une œuvre foisonnante et protéiforme, Jan Fabre
cherchera toujours le dépassement des limites du corps
sans tenir compte des frontières habituelles entre
les arts.
     La plupart de ses œuvres pour le plateau sont
conçues comme de larges fresques où il s’attaque aux
canons propres au théâtre qui privilégie une forme
de narration et de discours au détriment du corps. En
témoigne Das Glas im Kopf wird vom Glas (Le verre dans
la tête devient verre) qui constitue la première partie de
la trilogie The Minds of Helena Troubleyn. Elle représente

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l’aboutissement de son iconographie théâtrale, centrée
sur la problématique de l’art total. Comme dans l’opéra,
il y est beaucoup question d’autodestruction à laquelle
il joint une réflexion sur la discipline du ballet classique
matérialisée par la rigueur et la géométrie scéniques.
    Pour Jan Fabre, la beauté est au prix d’une lutte
contre la nature. Lui qui n’hésite pas à qualifier ses
danseurs et danseuses de guerriers et guerrières de
la beauté (« Warriors of Beauty ») s’autorise tous les
excès à condition qu’ils soient au service de l’art. Il ne
provoque pas mais cherche en permanence à altérer
les composantes instituées du spectacle vivant. Si
sa pratique continue des arts plastiques nourrit la
picturalité de ses mises en scène, l’ensemble de son
projet revient inépuisablement à écrire une histoire
culturelle des corps. AB
La danse en Belgique 1930- 2021 - Charleroi Danse
1989    LA CHUTE D’ICARE
    Frédéric Flamand est né à Bruxelles en 1946. Imprégné
de l’enseignement de Grotowski, il fonde, à Bruxelles,
sa compagnie, le Plan K, en 1973. En 1979, il s’installe
dans une ancienne raffinerie sucrière désaffectée de
Molenbeek, qui deviendra l’antenne bruxelloise de
Charleroi danse, qu’il dirigera de 1991 à 2000 avant de
rejoindre la direction du Ballet de Marseille. Tout au
long de son parcours, il s’interrogera sur les rapports du
corps avec son environnement urbain. Fervent défenseur
du décloisonnement artistique, Frédéric Flamand
travaillera avec de nombreux architectes ( Jean Nouvel,
Zaha-Hadid,…). Son interêt pour le dialogue entre danse
et autres disciplines artistiques incitera la Biennale de
Venise à lui confier la direction du premier Festival de
Danse en 2003. Il crée une trilogie futuriste et mécaniste

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avec le vidéaste italien Fabrizio Plessi. Il y sonde le rapport
de l’homme à la technologie à travers trois moments de
l’histoire des techniques : la Renaissance et la fabrication
artisanale dans La Chute d’Icare (1989), la révolution
industrielle dans Titanic (1992) et l’omniprésence de
l’image et de la communication dans Ex Machina (1994).
     Dans La Chute d’Icare, qui prend pour appui le tableau
de Brueghel, on observe des machines, des accessoires
démesurés sur scène en même temps qu’une danse
énergique et contrainte. Les danseur·se·s évoluent
en groupe sur une musique frénétique et répétitive,
pris dans des éléments de décors monumentaux.
La scène emblématique de cette œuvre est celle
du solo d’Icare traversant le plateau vêtu de deux
ailes blanches, et lesté par deux écrans cathodiques
sanglés aux pieds qui rendent la traversée laborieuse,
à l’instar du poids de l’image dans nos sociétés. IM
La danse en Belgique 1930- 2021 - Charleroi Danse
1990    SINFONIA EROÏCA
    Michèle Anne De Mey est née à Bruxelles en 1959
et se forme à la danse à Mudra. À sa sortie de l’école de
Béjart, elle danse dans plusieurs pièces d’Anne Teresa
De Keersmaeker, Fase et Rosas danst Rosas, entre autres.
Parallèlement, elle se lance comme chorégraphe avec
Passé simple (1981) et Ballatum (1984). En 2005, elle
rejoint, à la tête de Charleroi danse, le quatuor qu’elle
formera avec Pierre Droulers, Vincent Thirion et Thierry
De Mey. De ses années à Charleroi danse, le public
retiendra notamment Kiss & Cry, une création originale
de Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael, conçue
de manière collective avec Grégory Grosjean, Thomas
Gunzig, Julien Lambert et Sylvie Oliver. Le spectacle,
filmé en temps réel sur scène, mêle cinéma, danse, texte
et théâtre : à l’échelle d’un nano-monde où de simples

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mains deviennent des personnages dansant au beau
milieu de paysages miniatures.
    La musique est également un élément central du
travail de la chorégraphe ; c’est le cas de la 3e symphonie
de Beethoven dans Sinfonia Eroïca (1990). Dans cette
œuvre pour sept danseur·se·s qui explore la thématique
du couple et des jeux amoureux, la danse et la musique
participent du même élan. Un jeu de répétitions
et de variations chorégraphiques aux multiples
directions. Moments d’euphorie dans un mouvement
de danse répété faisant écho aux élans symphoniques
orchestraux ; mouvements plus décousus à des
interactions ludiques ; moments où les corps sont
immobiles et s’éloignent de l’impulsion sonore pour
mieux s’en imprégner. IM
1994    TWIN HOUSES
    Nicole Mossoux et Patrick Bonté sont tous deux
nés à Bruxelles en 1956. Lorsqu’ils se rencontrent en
1984, la première est danseuse formée à Mudra, l’école
de Maurice Béjart, et passionnée de psychanalyse ; le
second est dramaturge et metteur en scène. Le premier
spectacle, Juste Ciel, est créé au Plan K de Frédéric
Flamand en 1985. Depuis lors, leur collaboration a
donné lieu à plus de 30 œuvres où danse et théâtre
se fondent, générant un langage singulier qui sonde
l’inconscient autant que le monde sensible. L’étrange
est le premier mot qui vient pour dépeindre leur travail,
mais intimité, cruauté, humour grinçant et clair-obscur
suivent de près. La compagnie a su créer un véritable
langage chorégraphique et un répertoire qui tourne à
travers le monde.

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    Twin Houses, créé en 1994, est un monologue multiple
pour Nicole Mossoux et cinq mannequins articulés,
sans oublier la lumière, qui, comme souvent dans les
spectacles de la compagnie, est une présence à part
entière. La danseuse est confrontée à ses doubles dans
un corps-à-corps où l’on ne sait plus qui, de l’actrice ou
du mannequin, manipule qui, qui détient le pouvoir
sur l’autre. Le spectacle se présente comme une suite
de contes brefs et cruels. Il est entrecoupé de noirs,
tels des trous de mémoire d’où naîtraient ces forces
inquiétantes et étranges qui sont en nous. IM
1995    LA TRISTEZA COMPLICE
    Né à Gand en 1956, Alain Platel est orthopédagogue
de formation et metteur en scène autodidacte. Il fonde
avec des ami·e·s et membres de sa famille une troupe
fonctionnant en collectif, les ballets C de la B (ballets
Contemporains de la Belgique). Cette blague de potache
deviendra l’une des plus belles aventures de la vague
flamande, portée par des comédien·ne·s et danseur·se·s de
tous horizons qui convoquent la frustration, les angoisses,
et plus généralement l’altérité par le biais de l’humour ou
du grotesque.
    La Tristeza Complice (1995) met en scène différentes
figures souvent burlesques qui évoquent des personnages
de la rue. Comme chez Pina Bausch, grande inspiratrice de
Platel, l’incarnation du réalisme fait irruption sur scène,
déjouant ainsi toutes les conventions habituelles du

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spectacle vivant et marquant durablement l’imaginaire des
spectateur·trice·s. La pièce se construit par éclatements
à travers une multitude de saynètes et évolue entre fête
populaire joyeuse et bal glauque. D’un assemblage de
pratiques apparemment hétéroclite, Platel trouve le fil
d’une humanité résistante en lutte pour sa survie. Loin
d’une danse élitiste, Platel, avant tout le monde, aura mis
en scène la vitalité extrême d’une société paupérisée
aux personnages hauts en couleurs et dont la virtuosité
ressemble à l’énergie du désespoir.
    Déjà dans La Tristeza Complice, des éclats de la
musique de Henry Purcell (compositeur du XVIIe siècle)
surgissaient sur le plateau, et par la suite, la démarche
de l’artiste consistera à populariser les musiques les plus
savantes, jusqu’à son Requiem de Mozart magistralement
reconstruit par Fabrizio Cassol en 2018 et interprété par
un groupe de musicien·ne·s des quatre coins du monde. AB
1996    DE L’AIR ET DU VENT
   Né à Lille en 1951, Pierre Droulers intègre l’école
de danse de Maurice Béjart Mudra, à Bruxelles, à
son ouverture en 1970. Après sa formation, il part en
Pologne et à New York attiré par des créateurs tels
que Jerzy Grotowski, Bob Wilson ou encore l’énergie
du free jazz et de la Beat Generation. Il développe une
œuvre chorégraphique autour de la notion de « rêves
de matière », articulant un travail sur les sensations
physiques et visuelles, les images poétiques et l’écriture
du mouvement.
   En 1996, de l’air et du vent est l’une de ses pièces
maîtresses. Dans cette œuvre profondément
plasticienne (créée en collaboration avec l’artiste belge
Ann Veronica Janssens), Pierre Droulers se confronte
de nouveau à la danse pure, à l’énergie des corps

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emportés dans une tempête de courses, de sons, de
gestes. Construit sur la singularité et l’engagement de
cinq magnifiques interprètes, le spectacle conjugue
la matérialité des choses et la délicatesse de l’air. Le
déchirement d’une feuille de papier résonne comme un
coup de tonnerre, l’envol de sachets en plastique évoque
une course de nuages...
    Textures sonores, couleurs, lumière, espace, objets,
Pierre Droulers aborde la scène et la danse en sculpteur
et paysagiste. Il nous invite à assembler les différents
éléments présents sur le plateau, en un poème dansant
d’où jaillit pensées, sensations et émotions. FA
2000     RIEN DE RIEN
   Issu d’une double culture flamande et marocaine,
Sidi Larbi Cherkaoui, né en 1976, commence la danse
en se produisant dans des émissions de variétés avant
de s’inscrire à P.A.R.T.S. (Performing Arts Research and
Training Studios), l’école dirigée par Anne Teresa De
Keersmaeker à Bruxelles. Il entre tout jeune dans la
galaxie des ballets C de la B auprès du très généreux
Alain Platel qu’il suit un temps avant de signer ses
propres chorégraphies.
    Rien de rien, sa première pièce, met déjà en
scène les principales préoccupations de cet homme
caoutchouc capable d’effectuer les plus improbables
figures. Totalement décomplexé des rigueurs de la
danse classique ou contemporaine, Cherkaoui ajuste
sa gestuelle à son propos. Travaillé par le choc des

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cultures, la religion, l’exclusion ou l’amour, il occupe
la scène comme un terrain de réconciliation et
d’intégration où les races, les religions, les cultures
et les âges cohabitent dans une humanité, chaotique
peut-être mais toujours bienveillante. Souvent jouées
avec des musicien·ne·s en direct, les œuvres de Sidi
Larbi Cherkaoui tendent à exorciser les humiliations
et les provocations nées du rejet de la différence.
En 2015, il a été nommé directeur artistique du Ballet
Royal de Flandre. AB
2004    HISTOIRE(S)
    Olga de Soto est une chorégraphe née en 1972 en
Espagne à Valence et installée à Bruxelles. Après des
études en danse dans sa ville natale, elle se forme au
CNDC d’Angers. À partir de 1992, elle crée ses propres
pièces dans lesquelles elle aborde les thèmes de la
mémoire et de la transmission. À ce titre, le spectacle
histoire(s) (2004) est exemplaire et révèle le travail
d’Olga de Soto à un plus large public en Europe et
à l’étranger. Le point de départ est le ballet Le Jeune
Homme et la Mort de Roland Petit et Jean Cocteau, créé
au Théâtre des Champs-Élysées à Paris le 25 juin 1946.
Plutôt que de reprendre la pièce, Olga de Soto décide
de mener l’enquête auprès de spectateur·trice·s qui ont
assisté à cette représentation marquante de l’histoire
de la danse. À travers huit témoignages vidéo et leurs

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souvenirs – souvent lacunaires -, ils·elles nous racontent
le spectacle, mais aussi un peu de leur vie, de leur
personnalité et de l’époque. Sur scène, un subtil jeu
d’écrans, de déplacements, de cadrages vidéo, de noirs et
de silences installe un rythme et un espace où affluent
paroles, émotions et images, opérant de telle sorte que
le spectacle se recompose au gré de notre imagination.
    Olga de Soto poursuit cette recherche autour de
la mémoire corporelle, physique et perceptive des
spectateur·trice·s et des danseur·se·s (notamment avec
un vaste projet autour de La Table verte de Kurt Jooss)
dans des pièces où la dimension documentaire, visuelle
et plastique est toujours très importante.FA
2009    LA VALSE
    Thomas Hauert, né en Suisse en 1967, s’installe
à Bruxelles en 1991. Il danse pour Anne Teresa De
Keersmaeker et Pierre Droulers, avant de créer, en
1998, sa compagnie, ZOO, avec les danseur·se·s qui
l’accompagnent encore aujourd’hui. C’est l’un des
rares chorégraphes en Belgique à développer une
technique de composition qu’il enseigne autour du
monde. En partant de l’improvisation, sa compagnie
interroge les rapports entre l’individu et le groupe,
et laisse apparaître le désordre dans l’ordre et,
inversement, la naissance d’une forme dans ce qui
semble informe. Dans ses performances, la musique
tient une place de choix, ainsi que les costumes,
véritable fil rouge à travers ses spectacles.
    La Valse est un film de Thierry De Mey basé sur

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la chorégraphie créée par Thomas Hauert pour
le spectacle Accords. Le souffle du vent, celui des
danseur·se·s et La Valse de Maurice Ravel pour les
éléments sonores, et un décor architectural naturel
comme cadre visuel. Tantôt sur un toit dominant la
ville de Bruxelles, tantôt à l’intérieur d’un bâtiment
industriel, les danseur·se·s forment un chœur qui
tourne sur lui-même et se déplace passant de la
marche à la danse. Chaque individu possède une
dynamique de mouvement propre, mais le groupe
se meut ensemble à l’image d’une vague, jusqu’à ce
que subtilement l’un ou l’autre se désynchronise. IM
2013    HORS-CHAMP
   Michèle Noiret est issue de l’école Mudra de Maurice
Béjart. Elle travaille pendant quinze ans avec le
compositeur Karlheinz Stockhausen en tant que soliste
sur l’élaboration d’un mouvement chorégraphique à
partir de la partition musicale et monte sa compagnie
en 1986. Son héritage culturel l’engage très vite à
explorer la porosité entre la danse et les autres arts
(poésie, littérature, peinture, gravure, musique, cinéma).
    Dès 1997, Michèle Noiret expérimente
l’interactivité sonore et visuelle avec de nouvelles
technologies intégrées à ses chorégraphies pour
« augmenter » l’espace de création. Dans Hors-champ,
conçu en 2013, elle met en scène cinq personnages qui
évoluent dans un univers fait de décors de cinéma très
réalistes. Par le biais d’allers-retours incessants entre

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les déplacements des danseur·se·s filmé·e·s en réalité
et les images projetées, s’instaure un entre-deux entre
réalité et fiction. Michèle Noiret explore ainsi le registre
qui lui est cher de l’hallucination et, en élargissant la
dimension de la boîte noire, elle révèle la profondeur
d’autres émotions et de nouvelles perspectives.
    L’artiste aime à perturber la trame narrative
dont les contours deviennent flous et propose au·à
la spectateur·trice de se laisser porter entre rêve et
cauchemar pour approcher cette part de mystère
impalpable qui réside dans l’émotion. AB
2014    COCKTAILS
     Thierry Smits naît en 1963 à Koersel dans le
Limbourg. Premiers cours de danse classique dans
la ville minière de Beringen, puis à Bruxelles à 17
ans. Pour échapper au service militaire obligatoire,
il s’installe à Paris. Ce sont les débuts de la Nouvelle
danse française et de la visibilité gay. Thierry Smits
s’y engage pleinement, entre art, mode, culture
pop et activisme. De retour à Bruxelles, il passe
quelques mois à Mudra puis intègre le Plan K de
Frédéric Flamand. Son militantisme et son travail
chorégraphique ont toujours été intimement
liés. Thierry Smits a créé plus de 30 spectacles
qui oscillent entre danse pure et dramaturgie, à
l’esthétique tantôt pop et queer, tantôt épurée.
    En 2014, il crée Cocktails, pièce dans laquelle il

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explore le corps, le sexe, le genre et la société dans
le style du cabaret. Il pousse celui-ci au paroxysme
tant dans la forme (burlesque, érotisme, paillettes,
transformisme) que dans le fond (succession de
numéros en prise immédiate avec l’actualité). La crise
écologique est évoquée à travers un homme dictateur
qui agit avec violence sur une femme-poupée fantasque
après avoir mimé une pénétration d’un globe terrestre.
Un solo d’une femme habillée en smoking affiche le
thème de l’argent. Une scène de deux hommes travestis
qui s’embrassent traite de l’homosexualité, tandis
qu’une chorégraphie avec des bébés en plastique
renvoie à la place de l’enfant dans le couple. IM
2014    THE DOG DAYS ARE OVER
    Jan Martens, né en 1984, a étudié notamment
au département de danse du Conservatoire Royal
d’Anvers. Depuis 2010, il créé ses propres pièces et
rencontre le succès tant en Belgique qu’à l’étranger.
Sa démarche s’articule autour de la pensée que chaque
corps peut exprimer quelque chose de singulier. Dans
ce sens, les formes chorégraphiques de l’artiste sont
transparentes et en communication directe avec le
public. Résistante à la question du style, son écriture
se réinvente en permanence selon ses projets.
    En témoigne The Dog Days Are Over (2014) qui
se présente comme un marathon de plus d’une
heure où huit danseur·se·s en ligne trottinent
inlassablement selon des trajectoires minimales dans
l’espace. Totalement synchrones, les performeur·se·s

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enchaînent impassiblement des pas et des rythmes
subtilement différents. Inspiré par les pratiques
culturelles contemporaines du clubbing autant
que par les danses folk répétitives, il en isole les
phrases chorégraphiques pour les répéter à l’infini.
La performance, d’une forte intensité physique,
détourne les attentes habituelles du public, par
exemple concernant l’effort, réel mais invisible pour
le·la spectateur·trice, héritage de la danse classique.
    À travers une très grande liberté et une réflexion
aiguisée sur la virtuosité, Jan Martens est en passe de
devenir une personnalité incontournable de la danse
en Belgique en en retournant tranquillement toutes
les caractéristiques. AB
2016    KALAKUTA REPUBLIK
   Serge Aimé Coulibaly est un danseur-chorégraphe
burkinabè-belge, né en 1972 à Bobo Dioulasso. Depuis
2001, il travaille en Europe, dans le monde entier et s’est
installé en Belgique. Sa culture africaine est la source
de son inspiration mais sa rencontre avec Alain Platel
sera déterminante et complètera son sens de l’humain.
Depuis la création de sa compagnie Faso Danse Théâtre
à Bruxelles en 2002, Serge Aimé Coulibaly travaille sur
des thèmes sociétaux complexes et tente de donner une
véritable impulsion positive aux jeunes générations.
    Kalakuta Republik (2016) est largement inspiré
par la musique et la figure de Fela Kuti, fondateur de
la maison Kalakuta Republik au Nigeria, creuset de
la contestation politique, sociale et musicale dans
les années 70. Sept danseur·se·s y évoluent comme

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emporté·e·s par une frénésie du mouvement pour
évoquer l’énergie physique et violente de la Révolution.
Durant toute la pièce, les souffles sont courts, haletants,
les corps sans arrêt secoués d’une pulsation rapide, qui
exalte la vie. « On a toujours besoin d’un poète », la phrase
scandée à la fin de Kalakuta Republik fait référence
à l’aspiration à une nouvelle révolution menée par la
musique et pourquoi pas, la danse.
    Avec son art, Serge Aimé Coulibaly tente de créer
une danse contemporaine énergique qui part du
sentiment mais porte aussi réflexion et espoir. La
puissance de son expressivité rend son travail universel
et compréhensible sur tous les continents. Attaché à
ses origines, il construit un centre chorégraphique dans
sa ville d’origine au Burkina Faso. AB
2018    I–CLIT
    Mercedes Dassy est une danseuse et chorégraphe
née à Bruxelles en 1990. Elle se forme à la Salzburg
Experimental Academy of Dance (SEAD) et à New York,
avant de danser pour des chorégraphes tels que Lisbeth
Gruwez, Oriane Varak ou Leslie Mannès. Active dans
les domaines de la danse, du théâtre, de la performance
et de la vidéo, elle développe un vocabulaire
chorégraphique autour d’un corps physiquement très
engagé et aborde les thèmes sociétaux liés à la culture
populaire des digital natives.
    Dans son solo i-clit, elle entre en scène en body,
jambes nues et veste à fausse fourrure sur le dos. Elle
chante en playback un titre de Beyoncé, « twerke » sur
un remix de Véronique Sanson, tout en portant un
masque en silicone à paillettes sur le visage. L’artiste

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joue avec les références et les archétypes féminins, les
décompose et ouvre la porte à de nouveaux imaginaires
féministes. Oscillant entre formes d’oppression et
d’affranchissement du corps, elle interroge dans
sa pièce les paradoxes de cette nouvelle vague du
féminisme propre à sa génération : un féminisme
pop, ultra-connecté, et ultra-sexué. Avec la pièce i-clit,
Mercedes Dassy reçoit en 2018 le Prix Jo Dekmine et
s’impose comme l’une des artistes émergentes de la
scène belge. AG
2019    WEG
    Ayelen Parolin, née en Argentine en 1976,
suit sa formation à l’École Nationale de Danse
et au Théâtre San Martin à Buenos Aires. Après
sa formation e.x.e.r.c.e à Montpellier, elle vit et
travaille à Bruxelles depuis 2004. Ses créations
explorent différents thèmes de société et de la
diversité humaine, en lien avec ses origines.
    Dans l’espace pastel à l’équilibre instable de WEG
(2019), les mouvements différents des neuf danseur·se·s
et d’une pianiste témoignent des multiples possibles
identitaires dans une « polyphonie kaléidoscopique ».
Les « chemins » (traduction de weg en néerlandais),
les répertoires et les mouvements sont variés, les
registres burlesques et extravagants, décomplexés et
mêlés. La chorégraphe s’inspire de la théorie du chaos

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et des phénomènes de structuration de la matière.
Fascinée par les liens invisibles dans la nature, Ayelen
pose la question des formes d’auto-organisation qui
se font au sein d’une communauté. Le·la danseur·se
est comme l’Homme, un être social, même si empli
de sentiments irrationnels et incohérents.
   Ayelen Parolin, tiraillée entre rigueur et
spontanéité, ne cesse d’éprouver le processus de
création à l’aune d’une personnalité exubérante,
nourrie des souvenirs et de la culture d’un autre
continent, qui ancre définitivement sa singularité
dans le paysage chorégraphique belge. AB
2020    THROUGH THE GRAPEVINE
    Alexander Vantournhout, né en 1989, a étudié
la roue simple, l’acrobatie et le jonglage à l’ESAC
(École Supérieure des Arts du Cirque, Bruxelles).
Parallèlement il s’est initié à la danse contemporaine
à P.A.R.T.S. (Performing Arts Research and Training
Studios, Bruxelles) et auprès du grand artiste américain
Steve Paxton. Ce double parcours – chorégraphique
et circassien – a libéré chez lui un langage physique
particulier marqué par deux constantes : sa
recherche du potentiel créatif et cinétique dans
la limitation physique, et une approche patiente
de la frontière entre le performeur et l’objet.
   Through the Grapevine rassemble Alexander et
Axel Guérin, faux jumeaux, dont les différences
morphologiques vont servir de base à un brillant

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tandem, manifeste contre les formes pétrifiées et
joyeux éloge de la singularité. Le duo se construit
comme un exercice d’équilibre permanent entre
deux corps qui affirment leur présence, sans artifice,
dans un rapport de collaboration symétrique qui se
remodèle constamment. Grâce à la virtuosité des deux
performeurs, hallucinants de précision, s’installe
un jeu perpétuel de formes qui laisse la place à une
poétique de l’inachevé parfaitement maîtrisée.
   Rétif à la catégorisation des arts, Alexander
Vantournhout s’emploie à incorporer de nouvelles
pratiques à chacune de ses créations. L’apprentissage
de la contorsion ou du yoga Iyengar par exemple,
ne sont pour lui que prétextes à une écoute plus
étendue du corps et de ses infinies possibilités. AB
Une production de
Charleroi danse – Centre
chorégraphique de Wallonie-
Bruxelles, en partenariat avec
Contredanse, qui a bénéficié des
subventions de la Fédération
Wallonie-Bruxelles, de la Région
de Bruxelles-Capitale et de
visit.brussels, dans le cadre
de Brussels, dance! 2021.

Graphisme et illustration : The Real Camille
Rédaction : Fabienne Aucant, Annie Bozzini,
Anne Golaz, Isabelle Meurrens
Recherche documentaire : Apolline Borne
Remerciements aux chorégraphes et aux compagnies

© Charleroi danse, 2021

www.charleroi-danse.be
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