La danse en Belgique 1930- 2021 - Charleroi Danse
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1930s Akarova 1961 Maurice Béjart — Boléro 1983 Anne Teresa De Keersmaeker — Rosas danst Rosas 1987 Wim Vandekeybus — What The Body Does Not Remember 1987 Jan Fabre — Das Glas im Kopf wird vom Glas 1989 Frédéric Flamand — La Chute d’Icare 1990 Michèle Anne De Mey — Sinfonia Eroïca 1994 Cie Mossoux-Bonté — Twin Houses 1995 Alain Platel — La Tristeza Complice 1996 Pierre Droulers — de l’air et du vent 1 2000 Sidi Larbi Cherkaoui — Rien de rien 2004 Olga de Soto — histoire(s) 2009 Thomas Hauert — La Valse 2013 Michèle Noiret — Hors-champ 2014 Thierry Smits — Cocktails 2014 Jan Martens — The Dog Days Are Over 2016 Serge Aimé Coulibaly — Kalakuta Republik 2018 Mercedes Dassy — i-clit 2019 Ayelen Parolin — WEG 2020 Alexander Vantournhout — Through the Grapevine
Comment évoquer la danse et ses Edito méconnu dont on sait qu’il accompagne développements historiques ? Comment tous les moments importants de la vie dédramatiser son approche pour un des hommes mais dont on repère encore large public ? Ces questions récurrentes avec difficulté les auteurs qui le portent nous ont conduit à imaginer un outil aujourd’hui sur scène. spécifique, une façon de partager l’histoire C’est parce que nous sommes convaincus de la danse en Belgique en valorisant, en que la danse mérite une meilleure priorité, les artistes qui l’ont écrite. Nous reconnaissance que nous avons choisi aurions pu emprunter d’autres chemins de mettre en valeur ces vingt parcours et nous ne prétendons pas à un travail choisis d’une histoire si riche qu’elle exhaustif et scientifiquement indiscutable autorise de nombreux accès que nous 3 mais nous tentons simplement de décrivons dans un dossier pédagogique. répondre à un désir de connaissance. Lequel vient, en complément, apporter Ce petit livret rend compte de la des éclaircissements sur la danse dans ses personnalité et la démarche de vingt chorégraphes qui ont largement compté nombreuses relations aux autres arts et dans l’évolution de la danse en Belgique sur sa place dans la société. depuis 1930. Il accompagne le visionnage L’ensemble constitue une mallette d’autant d’extraits d’œuvres filmés. Ces pédagogique à destination de tous ceux extraits ont acquis, avec le temps, le statut qui souhaitent porter un intérêt à la danse de document et à ce titre, ils témoignent et l’espoir qu’elle suscite vocations et de l’incroyable vitalité d’un art encore trop passions. Annie Bozzini, Directrice de Charleroi danse
1930s Connue sous le nom d’Akarova, pseudonyme choisi pour ses consonances russes, Marguerite Acarin naît à Bruxelles en 1904. Baignant dans les milieux d’avant-garde qui secouaient alors les arts plastiques, la musique, le théâtre, la littérature et l’architecture, elle appliquera à la danse des idées venant du constructivisme russe et du futurisme italien : une danse géométrique et plastique. Comme ses consœurs, Isadora Duncan, Ruth Saint Denis ou Loïe Fuller, Akarova rejette la danse conventionnelle du ballet classique avec sa grammaire gestuelle codifiée et sa trame narrative. Sa danse est plus théâtrale que narrative ; Akarova y incarne des « personnages » et cherche l’expressivité des émotions. Son geste est fait de poses hiératiques, de mouvements lents et saccadés, 5 de figurations dessinées fulgurantes. Si elle cherche le mouvement naturel comme Isadora Duncan, elle rejette la sensualité du corps. Davantage encore que sa danse, ce qui restera d’Akarova ne sont pas les œuvres chorégraphiques (L’Oiseau de feu, Les Lettres dansantes,…), dont on ne possède pas d’images filmées, mais le travail plastique à travers ses décors et surtout ses costumes, faits de lignes courbes et de formes géométriques, qu’elle fabrique avec son premier mari, le peintre constructiviste Marcel-Louis Baugniet. IM
1961 BOLÉRO Fils du philosophe Gaston Berger, Maurice Béjart naît à Marseille en 1927. En 1959, il crée à Bruxelles Le Sacre du printemps, dont la réception est divisée entre scandale critique et succès public. Maurice Huisman lui propose alors d’accueillir son travail dans la maison qu’il dirige, le Théâtre royal de la Monnaie. C’est donc là qu’en 1960 débutera l’aventure de sa compagnie : le Ballet du XXe siècle. Refusant les qualificatifs de « classique », de « moderne » ou de « contemporain », Béjart sera le chorégraphe qui fera venir le public à la danse, chacune de ses créations provoquant la liesse du public belge. À l’étranger, il sera l’un des plus grands ambassadeurs de la création belge. En 1971, il crée à Anderlecht l’école Mudra, une école multidisciplinaire et ouverte sur le monde, qui formera des générations de chorégraphes, 7 d’ici et d’ailleurs. En 1987, il quitte Bruxelles pour Lausanne, où il travaillera jusqu’à la fin de sa vie. Son Boléro sur la musique de Maurice Ravel, créé pour la danseuse Duska Sifnios, devient l’une de ses œuvres-phares. Elle sera reprise par Maïa Plissetskaïa en 1974, puis par Jorge Donn en 1979. Alors que le rythme est donné par un chœur de danseurs apparaissant autour d’une table ronde de couleur rouge, la mélodie est amenée par la·le soliste, dont l’ondulation et le déhanché perpétuel s’amplifient avec l’orchestre. Petit à petit, alors que la musique dévore l’espace, la scansion des danseurs enserre littéralement la·le soliste vêtu·e d’un justaucorps de couleur chair, les cheveux lâchés. Ce corps presque nu révèle une danse volontairement érotique. IM
1983 ROSAS DANST ROSAS Née en 1960, Anne Teresa De Keersmaeker a suivi un temps l’enseignement dispensé à Mudra, l’école ouverte par Maurice Béjart à Bruxelles, avant de partir à New York terminer sa formation. Elle commence à chorégraphier très jeune par un exercice de style sur des musiques répétitives de Steve Reich. La ligne musicale sera toujours au cœur des projets qu’elle continue à mener avec sa compagnie Rosas et au sein de l’école P.A.R.T.S. (Performing Arts Research and Training Studios) qu’elle dirige à Bruxelles. Elle a 23 ans lorsqu’elle signe la pièce Rosas danst Rosas qu’elle présente comme « une série de mouvements et d’attitudes repris à la vie quotidienne plutôt qu’au langage traditionnel de la danse ». Quatuor de femmes jeunes et énergiques, cette pièce repose sur un choix 9 musical minutieux, minimaliste réparti en quatre temps distincts. Le·la spectateur·trice a tout loisir de s’attacher à cette petite armée féminine qui met en scène chaque regard, chaque flexion du poignet, relâchement de la nuque ou du buste dans un phrasé très précis de vitesse, d’impulsions et de chutes. Cette pièce créée en 1983 est reprise régulièrement et signe le style ATDK. Depuis, la chorégraphe a réalisé près d’une soixantaine de pièces données dans le monde entier. En 2020, elle est partie pour New York signer la reprise de la comédie musicale West Side Story, succès dont les représentations ont malheureusement été interrompues par la pandémie COVID-19. AB
1987 WHAT THE BODY DOES NOT REMEMBER Il fut d’abord acteur chez Jan Fabre où sa présence crue et physique manifestait déjà ce que Wim Vandekeybus développera plus tard dans ses propres pièces ; la scène comme lieu d’un état d’urgence vitale où le corps retrouve une sorte d’instinct, qualité qu’il considère primordiale. En 1986, il crée sa compagnie Ultima Vez, à Bruxelles et l’année suivante, sa première œuvre What The Body Does Not Remember apparaît comme le manifeste de sa démarche. Composée de mouvements incessants de six danseur·se·s-acteur·trice·s en constants déplacements sur une musique percussive, la chorégraphie y met en scène, notamment, d’impressionnants lancés et rattrapages de briques dans un rythme effréné de courses. Chaque mouvement y est millimétré car le 11 danger est réel pour les danseur·se·s qui, déclare le chorégraphe, « ne doivent leur salut qu’à la sûreté de leurs réflexes » 1. Une forme de théâtralité de l’instinct se met en place à laquelle participe grandement la musique de Peter Vermeersch et Thierry De Mey produite par des sons brutaux qui engagent leur corps. Le chorégraphe développe ici une esthétique de l’urgence, une danse féroce et rageuse avec un sens aigu du rythme et de la composition. Tout au long de sa carrière et à travers ses nombreux films et créations scéniques, Wim Vandekeybus travaillera à cette finalité de transformation de la catastrophe en élégance de l’émotion. AB 1 Wim Vandekeybus, The Rage of Staging, Lannoo, Belgique, 2016, p.388
1987 DAS GLAS IM KOPF WIRD VOM GLAS Né à Anvers en 1958, Jan Fabre déclare très jeune ses intentions plastiques et physiques. Ses premières œuvres repérées le voient se mettre personnellement en scène dans des expériences d’hyper ventilation. Dans une œuvre foisonnante et protéiforme, Jan Fabre cherchera toujours le dépassement des limites du corps sans tenir compte des frontières habituelles entre les arts. La plupart de ses œuvres pour le plateau sont conçues comme de larges fresques où il s’attaque aux canons propres au théâtre qui privilégie une forme de narration et de discours au détriment du corps. En témoigne Das Glas im Kopf wird vom Glas (Le verre dans la tête devient verre) qui constitue la première partie de la trilogie The Minds of Helena Troubleyn. Elle représente 13 l’aboutissement de son iconographie théâtrale, centrée sur la problématique de l’art total. Comme dans l’opéra, il y est beaucoup question d’autodestruction à laquelle il joint une réflexion sur la discipline du ballet classique matérialisée par la rigueur et la géométrie scéniques. Pour Jan Fabre, la beauté est au prix d’une lutte contre la nature. Lui qui n’hésite pas à qualifier ses danseurs et danseuses de guerriers et guerrières de la beauté (« Warriors of Beauty ») s’autorise tous les excès à condition qu’ils soient au service de l’art. Il ne provoque pas mais cherche en permanence à altérer les composantes instituées du spectacle vivant. Si sa pratique continue des arts plastiques nourrit la picturalité de ses mises en scène, l’ensemble de son projet revient inépuisablement à écrire une histoire culturelle des corps. AB
1989 LA CHUTE D’ICARE Frédéric Flamand est né à Bruxelles en 1946. Imprégné de l’enseignement de Grotowski, il fonde, à Bruxelles, sa compagnie, le Plan K, en 1973. En 1979, il s’installe dans une ancienne raffinerie sucrière désaffectée de Molenbeek, qui deviendra l’antenne bruxelloise de Charleroi danse, qu’il dirigera de 1991 à 2000 avant de rejoindre la direction du Ballet de Marseille. Tout au long de son parcours, il s’interrogera sur les rapports du corps avec son environnement urbain. Fervent défenseur du décloisonnement artistique, Frédéric Flamand travaillera avec de nombreux architectes ( Jean Nouvel, Zaha-Hadid,…). Son interêt pour le dialogue entre danse et autres disciplines artistiques incitera la Biennale de Venise à lui confier la direction du premier Festival de Danse en 2003. Il crée une trilogie futuriste et mécaniste 15 avec le vidéaste italien Fabrizio Plessi. Il y sonde le rapport de l’homme à la technologie à travers trois moments de l’histoire des techniques : la Renaissance et la fabrication artisanale dans La Chute d’Icare (1989), la révolution industrielle dans Titanic (1992) et l’omniprésence de l’image et de la communication dans Ex Machina (1994). Dans La Chute d’Icare, qui prend pour appui le tableau de Brueghel, on observe des machines, des accessoires démesurés sur scène en même temps qu’une danse énergique et contrainte. Les danseur·se·s évoluent en groupe sur une musique frénétique et répétitive, pris dans des éléments de décors monumentaux. La scène emblématique de cette œuvre est celle du solo d’Icare traversant le plateau vêtu de deux ailes blanches, et lesté par deux écrans cathodiques sanglés aux pieds qui rendent la traversée laborieuse, à l’instar du poids de l’image dans nos sociétés. IM
1990 SINFONIA EROÏCA Michèle Anne De Mey est née à Bruxelles en 1959 et se forme à la danse à Mudra. À sa sortie de l’école de Béjart, elle danse dans plusieurs pièces d’Anne Teresa De Keersmaeker, Fase et Rosas danst Rosas, entre autres. Parallèlement, elle se lance comme chorégraphe avec Passé simple (1981) et Ballatum (1984). En 2005, elle rejoint, à la tête de Charleroi danse, le quatuor qu’elle formera avec Pierre Droulers, Vincent Thirion et Thierry De Mey. De ses années à Charleroi danse, le public retiendra notamment Kiss & Cry, une création originale de Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael, conçue de manière collective avec Grégory Grosjean, Thomas Gunzig, Julien Lambert et Sylvie Oliver. Le spectacle, filmé en temps réel sur scène, mêle cinéma, danse, texte et théâtre : à l’échelle d’un nano-monde où de simples 17 mains deviennent des personnages dansant au beau milieu de paysages miniatures. La musique est également un élément central du travail de la chorégraphe ; c’est le cas de la 3e symphonie de Beethoven dans Sinfonia Eroïca (1990). Dans cette œuvre pour sept danseur·se·s qui explore la thématique du couple et des jeux amoureux, la danse et la musique participent du même élan. Un jeu de répétitions et de variations chorégraphiques aux multiples directions. Moments d’euphorie dans un mouvement de danse répété faisant écho aux élans symphoniques orchestraux ; mouvements plus décousus à des interactions ludiques ; moments où les corps sont immobiles et s’éloignent de l’impulsion sonore pour mieux s’en imprégner. IM
1994 TWIN HOUSES Nicole Mossoux et Patrick Bonté sont tous deux nés à Bruxelles en 1956. Lorsqu’ils se rencontrent en 1984, la première est danseuse formée à Mudra, l’école de Maurice Béjart, et passionnée de psychanalyse ; le second est dramaturge et metteur en scène. Le premier spectacle, Juste Ciel, est créé au Plan K de Frédéric Flamand en 1985. Depuis lors, leur collaboration a donné lieu à plus de 30 œuvres où danse et théâtre se fondent, générant un langage singulier qui sonde l’inconscient autant que le monde sensible. L’étrange est le premier mot qui vient pour dépeindre leur travail, mais intimité, cruauté, humour grinçant et clair-obscur suivent de près. La compagnie a su créer un véritable langage chorégraphique et un répertoire qui tourne à travers le monde. 19 Twin Houses, créé en 1994, est un monologue multiple pour Nicole Mossoux et cinq mannequins articulés, sans oublier la lumière, qui, comme souvent dans les spectacles de la compagnie, est une présence à part entière. La danseuse est confrontée à ses doubles dans un corps-à-corps où l’on ne sait plus qui, de l’actrice ou du mannequin, manipule qui, qui détient le pouvoir sur l’autre. Le spectacle se présente comme une suite de contes brefs et cruels. Il est entrecoupé de noirs, tels des trous de mémoire d’où naîtraient ces forces inquiétantes et étranges qui sont en nous. IM
1995 LA TRISTEZA COMPLICE Né à Gand en 1956, Alain Platel est orthopédagogue de formation et metteur en scène autodidacte. Il fonde avec des ami·e·s et membres de sa famille une troupe fonctionnant en collectif, les ballets C de la B (ballets Contemporains de la Belgique). Cette blague de potache deviendra l’une des plus belles aventures de la vague flamande, portée par des comédien·ne·s et danseur·se·s de tous horizons qui convoquent la frustration, les angoisses, et plus généralement l’altérité par le biais de l’humour ou du grotesque. La Tristeza Complice (1995) met en scène différentes figures souvent burlesques qui évoquent des personnages de la rue. Comme chez Pina Bausch, grande inspiratrice de Platel, l’incarnation du réalisme fait irruption sur scène, déjouant ainsi toutes les conventions habituelles du 21 spectacle vivant et marquant durablement l’imaginaire des spectateur·trice·s. La pièce se construit par éclatements à travers une multitude de saynètes et évolue entre fête populaire joyeuse et bal glauque. D’un assemblage de pratiques apparemment hétéroclite, Platel trouve le fil d’une humanité résistante en lutte pour sa survie. Loin d’une danse élitiste, Platel, avant tout le monde, aura mis en scène la vitalité extrême d’une société paupérisée aux personnages hauts en couleurs et dont la virtuosité ressemble à l’énergie du désespoir. Déjà dans La Tristeza Complice, des éclats de la musique de Henry Purcell (compositeur du XVIIe siècle) surgissaient sur le plateau, et par la suite, la démarche de l’artiste consistera à populariser les musiques les plus savantes, jusqu’à son Requiem de Mozart magistralement reconstruit par Fabrizio Cassol en 2018 et interprété par un groupe de musicien·ne·s des quatre coins du monde. AB
1996 DE L’AIR ET DU VENT Né à Lille en 1951, Pierre Droulers intègre l’école de danse de Maurice Béjart Mudra, à Bruxelles, à son ouverture en 1970. Après sa formation, il part en Pologne et à New York attiré par des créateurs tels que Jerzy Grotowski, Bob Wilson ou encore l’énergie du free jazz et de la Beat Generation. Il développe une œuvre chorégraphique autour de la notion de « rêves de matière », articulant un travail sur les sensations physiques et visuelles, les images poétiques et l’écriture du mouvement. En 1996, de l’air et du vent est l’une de ses pièces maîtresses. Dans cette œuvre profondément plasticienne (créée en collaboration avec l’artiste belge Ann Veronica Janssens), Pierre Droulers se confronte de nouveau à la danse pure, à l’énergie des corps 23 emportés dans une tempête de courses, de sons, de gestes. Construit sur la singularité et l’engagement de cinq magnifiques interprètes, le spectacle conjugue la matérialité des choses et la délicatesse de l’air. Le déchirement d’une feuille de papier résonne comme un coup de tonnerre, l’envol de sachets en plastique évoque une course de nuages... Textures sonores, couleurs, lumière, espace, objets, Pierre Droulers aborde la scène et la danse en sculpteur et paysagiste. Il nous invite à assembler les différents éléments présents sur le plateau, en un poème dansant d’où jaillit pensées, sensations et émotions. FA
2000 RIEN DE RIEN Issu d’une double culture flamande et marocaine, Sidi Larbi Cherkaoui, né en 1976, commence la danse en se produisant dans des émissions de variétés avant de s’inscrire à P.A.R.T.S. (Performing Arts Research and Training Studios), l’école dirigée par Anne Teresa De Keersmaeker à Bruxelles. Il entre tout jeune dans la galaxie des ballets C de la B auprès du très généreux Alain Platel qu’il suit un temps avant de signer ses propres chorégraphies. Rien de rien, sa première pièce, met déjà en scène les principales préoccupations de cet homme caoutchouc capable d’effectuer les plus improbables figures. Totalement décomplexé des rigueurs de la danse classique ou contemporaine, Cherkaoui ajuste sa gestuelle à son propos. Travaillé par le choc des 25 cultures, la religion, l’exclusion ou l’amour, il occupe la scène comme un terrain de réconciliation et d’intégration où les races, les religions, les cultures et les âges cohabitent dans une humanité, chaotique peut-être mais toujours bienveillante. Souvent jouées avec des musicien·ne·s en direct, les œuvres de Sidi Larbi Cherkaoui tendent à exorciser les humiliations et les provocations nées du rejet de la différence. En 2015, il a été nommé directeur artistique du Ballet Royal de Flandre. AB
2004 HISTOIRE(S) Olga de Soto est une chorégraphe née en 1972 en Espagne à Valence et installée à Bruxelles. Après des études en danse dans sa ville natale, elle se forme au CNDC d’Angers. À partir de 1992, elle crée ses propres pièces dans lesquelles elle aborde les thèmes de la mémoire et de la transmission. À ce titre, le spectacle histoire(s) (2004) est exemplaire et révèle le travail d’Olga de Soto à un plus large public en Europe et à l’étranger. Le point de départ est le ballet Le Jeune Homme et la Mort de Roland Petit et Jean Cocteau, créé au Théâtre des Champs-Élysées à Paris le 25 juin 1946. Plutôt que de reprendre la pièce, Olga de Soto décide de mener l’enquête auprès de spectateur·trice·s qui ont assisté à cette représentation marquante de l’histoire de la danse. À travers huit témoignages vidéo et leurs 27 souvenirs – souvent lacunaires -, ils·elles nous racontent le spectacle, mais aussi un peu de leur vie, de leur personnalité et de l’époque. Sur scène, un subtil jeu d’écrans, de déplacements, de cadrages vidéo, de noirs et de silences installe un rythme et un espace où affluent paroles, émotions et images, opérant de telle sorte que le spectacle se recompose au gré de notre imagination. Olga de Soto poursuit cette recherche autour de la mémoire corporelle, physique et perceptive des spectateur·trice·s et des danseur·se·s (notamment avec un vaste projet autour de La Table verte de Kurt Jooss) dans des pièces où la dimension documentaire, visuelle et plastique est toujours très importante.FA
2009 LA VALSE Thomas Hauert, né en Suisse en 1967, s’installe à Bruxelles en 1991. Il danse pour Anne Teresa De Keersmaeker et Pierre Droulers, avant de créer, en 1998, sa compagnie, ZOO, avec les danseur·se·s qui l’accompagnent encore aujourd’hui. C’est l’un des rares chorégraphes en Belgique à développer une technique de composition qu’il enseigne autour du monde. En partant de l’improvisation, sa compagnie interroge les rapports entre l’individu et le groupe, et laisse apparaître le désordre dans l’ordre et, inversement, la naissance d’une forme dans ce qui semble informe. Dans ses performances, la musique tient une place de choix, ainsi que les costumes, véritable fil rouge à travers ses spectacles. La Valse est un film de Thierry De Mey basé sur 29 la chorégraphie créée par Thomas Hauert pour le spectacle Accords. Le souffle du vent, celui des danseur·se·s et La Valse de Maurice Ravel pour les éléments sonores, et un décor architectural naturel comme cadre visuel. Tantôt sur un toit dominant la ville de Bruxelles, tantôt à l’intérieur d’un bâtiment industriel, les danseur·se·s forment un chœur qui tourne sur lui-même et se déplace passant de la marche à la danse. Chaque individu possède une dynamique de mouvement propre, mais le groupe se meut ensemble à l’image d’une vague, jusqu’à ce que subtilement l’un ou l’autre se désynchronise. IM
2013 HORS-CHAMP Michèle Noiret est issue de l’école Mudra de Maurice Béjart. Elle travaille pendant quinze ans avec le compositeur Karlheinz Stockhausen en tant que soliste sur l’élaboration d’un mouvement chorégraphique à partir de la partition musicale et monte sa compagnie en 1986. Son héritage culturel l’engage très vite à explorer la porosité entre la danse et les autres arts (poésie, littérature, peinture, gravure, musique, cinéma). Dès 1997, Michèle Noiret expérimente l’interactivité sonore et visuelle avec de nouvelles technologies intégrées à ses chorégraphies pour « augmenter » l’espace de création. Dans Hors-champ, conçu en 2013, elle met en scène cinq personnages qui évoluent dans un univers fait de décors de cinéma très réalistes. Par le biais d’allers-retours incessants entre 31 les déplacements des danseur·se·s filmé·e·s en réalité et les images projetées, s’instaure un entre-deux entre réalité et fiction. Michèle Noiret explore ainsi le registre qui lui est cher de l’hallucination et, en élargissant la dimension de la boîte noire, elle révèle la profondeur d’autres émotions et de nouvelles perspectives. L’artiste aime à perturber la trame narrative dont les contours deviennent flous et propose au·à la spectateur·trice de se laisser porter entre rêve et cauchemar pour approcher cette part de mystère impalpable qui réside dans l’émotion. AB
2014 COCKTAILS Thierry Smits naît en 1963 à Koersel dans le Limbourg. Premiers cours de danse classique dans la ville minière de Beringen, puis à Bruxelles à 17 ans. Pour échapper au service militaire obligatoire, il s’installe à Paris. Ce sont les débuts de la Nouvelle danse française et de la visibilité gay. Thierry Smits s’y engage pleinement, entre art, mode, culture pop et activisme. De retour à Bruxelles, il passe quelques mois à Mudra puis intègre le Plan K de Frédéric Flamand. Son militantisme et son travail chorégraphique ont toujours été intimement liés. Thierry Smits a créé plus de 30 spectacles qui oscillent entre danse pure et dramaturgie, à l’esthétique tantôt pop et queer, tantôt épurée. En 2014, il crée Cocktails, pièce dans laquelle il 33 explore le corps, le sexe, le genre et la société dans le style du cabaret. Il pousse celui-ci au paroxysme tant dans la forme (burlesque, érotisme, paillettes, transformisme) que dans le fond (succession de numéros en prise immédiate avec l’actualité). La crise écologique est évoquée à travers un homme dictateur qui agit avec violence sur une femme-poupée fantasque après avoir mimé une pénétration d’un globe terrestre. Un solo d’une femme habillée en smoking affiche le thème de l’argent. Une scène de deux hommes travestis qui s’embrassent traite de l’homosexualité, tandis qu’une chorégraphie avec des bébés en plastique renvoie à la place de l’enfant dans le couple. IM
2014 THE DOG DAYS ARE OVER Jan Martens, né en 1984, a étudié notamment au département de danse du Conservatoire Royal d’Anvers. Depuis 2010, il créé ses propres pièces et rencontre le succès tant en Belgique qu’à l’étranger. Sa démarche s’articule autour de la pensée que chaque corps peut exprimer quelque chose de singulier. Dans ce sens, les formes chorégraphiques de l’artiste sont transparentes et en communication directe avec le public. Résistante à la question du style, son écriture se réinvente en permanence selon ses projets. En témoigne The Dog Days Are Over (2014) qui se présente comme un marathon de plus d’une heure où huit danseur·se·s en ligne trottinent inlassablement selon des trajectoires minimales dans l’espace. Totalement synchrones, les performeur·se·s 35 enchaînent impassiblement des pas et des rythmes subtilement différents. Inspiré par les pratiques culturelles contemporaines du clubbing autant que par les danses folk répétitives, il en isole les phrases chorégraphiques pour les répéter à l’infini. La performance, d’une forte intensité physique, détourne les attentes habituelles du public, par exemple concernant l’effort, réel mais invisible pour le·la spectateur·trice, héritage de la danse classique. À travers une très grande liberté et une réflexion aiguisée sur la virtuosité, Jan Martens est en passe de devenir une personnalité incontournable de la danse en Belgique en en retournant tranquillement toutes les caractéristiques. AB
2016 KALAKUTA REPUBLIK Serge Aimé Coulibaly est un danseur-chorégraphe burkinabè-belge, né en 1972 à Bobo Dioulasso. Depuis 2001, il travaille en Europe, dans le monde entier et s’est installé en Belgique. Sa culture africaine est la source de son inspiration mais sa rencontre avec Alain Platel sera déterminante et complètera son sens de l’humain. Depuis la création de sa compagnie Faso Danse Théâtre à Bruxelles en 2002, Serge Aimé Coulibaly travaille sur des thèmes sociétaux complexes et tente de donner une véritable impulsion positive aux jeunes générations. Kalakuta Republik (2016) est largement inspiré par la musique et la figure de Fela Kuti, fondateur de la maison Kalakuta Republik au Nigeria, creuset de la contestation politique, sociale et musicale dans les années 70. Sept danseur·se·s y évoluent comme 37 emporté·e·s par une frénésie du mouvement pour évoquer l’énergie physique et violente de la Révolution. Durant toute la pièce, les souffles sont courts, haletants, les corps sans arrêt secoués d’une pulsation rapide, qui exalte la vie. « On a toujours besoin d’un poète », la phrase scandée à la fin de Kalakuta Republik fait référence à l’aspiration à une nouvelle révolution menée par la musique et pourquoi pas, la danse. Avec son art, Serge Aimé Coulibaly tente de créer une danse contemporaine énergique qui part du sentiment mais porte aussi réflexion et espoir. La puissance de son expressivité rend son travail universel et compréhensible sur tous les continents. Attaché à ses origines, il construit un centre chorégraphique dans sa ville d’origine au Burkina Faso. AB
2018 I–CLIT Mercedes Dassy est une danseuse et chorégraphe née à Bruxelles en 1990. Elle se forme à la Salzburg Experimental Academy of Dance (SEAD) et à New York, avant de danser pour des chorégraphes tels que Lisbeth Gruwez, Oriane Varak ou Leslie Mannès. Active dans les domaines de la danse, du théâtre, de la performance et de la vidéo, elle développe un vocabulaire chorégraphique autour d’un corps physiquement très engagé et aborde les thèmes sociétaux liés à la culture populaire des digital natives. Dans son solo i-clit, elle entre en scène en body, jambes nues et veste à fausse fourrure sur le dos. Elle chante en playback un titre de Beyoncé, « twerke » sur un remix de Véronique Sanson, tout en portant un masque en silicone à paillettes sur le visage. L’artiste 39 joue avec les références et les archétypes féminins, les décompose et ouvre la porte à de nouveaux imaginaires féministes. Oscillant entre formes d’oppression et d’affranchissement du corps, elle interroge dans sa pièce les paradoxes de cette nouvelle vague du féminisme propre à sa génération : un féminisme pop, ultra-connecté, et ultra-sexué. Avec la pièce i-clit, Mercedes Dassy reçoit en 2018 le Prix Jo Dekmine et s’impose comme l’une des artistes émergentes de la scène belge. AG
2019 WEG Ayelen Parolin, née en Argentine en 1976, suit sa formation à l’École Nationale de Danse et au Théâtre San Martin à Buenos Aires. Après sa formation e.x.e.r.c.e à Montpellier, elle vit et travaille à Bruxelles depuis 2004. Ses créations explorent différents thèmes de société et de la diversité humaine, en lien avec ses origines. Dans l’espace pastel à l’équilibre instable de WEG (2019), les mouvements différents des neuf danseur·se·s et d’une pianiste témoignent des multiples possibles identitaires dans une « polyphonie kaléidoscopique ». Les « chemins » (traduction de weg en néerlandais), les répertoires et les mouvements sont variés, les registres burlesques et extravagants, décomplexés et mêlés. La chorégraphe s’inspire de la théorie du chaos 41 et des phénomènes de structuration de la matière. Fascinée par les liens invisibles dans la nature, Ayelen pose la question des formes d’auto-organisation qui se font au sein d’une communauté. Le·la danseur·se est comme l’Homme, un être social, même si empli de sentiments irrationnels et incohérents. Ayelen Parolin, tiraillée entre rigueur et spontanéité, ne cesse d’éprouver le processus de création à l’aune d’une personnalité exubérante, nourrie des souvenirs et de la culture d’un autre continent, qui ancre définitivement sa singularité dans le paysage chorégraphique belge. AB
2020 THROUGH THE GRAPEVINE Alexander Vantournhout, né en 1989, a étudié la roue simple, l’acrobatie et le jonglage à l’ESAC (École Supérieure des Arts du Cirque, Bruxelles). Parallèlement il s’est initié à la danse contemporaine à P.A.R.T.S. (Performing Arts Research and Training Studios, Bruxelles) et auprès du grand artiste américain Steve Paxton. Ce double parcours – chorégraphique et circassien – a libéré chez lui un langage physique particulier marqué par deux constantes : sa recherche du potentiel créatif et cinétique dans la limitation physique, et une approche patiente de la frontière entre le performeur et l’objet. Through the Grapevine rassemble Alexander et Axel Guérin, faux jumeaux, dont les différences morphologiques vont servir de base à un brillant 43 tandem, manifeste contre les formes pétrifiées et joyeux éloge de la singularité. Le duo se construit comme un exercice d’équilibre permanent entre deux corps qui affirment leur présence, sans artifice, dans un rapport de collaboration symétrique qui se remodèle constamment. Grâce à la virtuosité des deux performeurs, hallucinants de précision, s’installe un jeu perpétuel de formes qui laisse la place à une poétique de l’inachevé parfaitement maîtrisée. Rétif à la catégorisation des arts, Alexander Vantournhout s’emploie à incorporer de nouvelles pratiques à chacune de ses créations. L’apprentissage de la contorsion ou du yoga Iyengar par exemple, ne sont pour lui que prétextes à une écoute plus étendue du corps et de ses infinies possibilités. AB
Une production de Charleroi danse – Centre chorégraphique de Wallonie- Bruxelles, en partenariat avec Contredanse, qui a bénéficié des subventions de la Fédération Wallonie-Bruxelles, de la Région de Bruxelles-Capitale et de visit.brussels, dans le cadre de Brussels, dance! 2021. Graphisme et illustration : The Real Camille Rédaction : Fabienne Aucant, Annie Bozzini, Anne Golaz, Isabelle Meurrens Recherche documentaire : Apolline Borne Remerciements aux chorégraphes et aux compagnies © Charleroi danse, 2021 www.charleroi-danse.be
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