De quelques définitions de la sculpture au XXe siècle - Érudit

 
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De quelques définitions de la sculpture au XXe siècle - Érudit
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Espace Sculpture

Saskatchewan

De quelques définitions de la sculpture au XXe siècle
Michèle Deschênes

Number 31, Spring 1995

URI: https://id.erudit.org/iderudit/206ac

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Publisher(s)
Le Centre de diffusion 3D

ISSN
0821-9222 (print)
1923-2551 (digital)

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Deschênes, M. (1995). De quelques définitions de la sculpture au XXe siècle.
Espace Sculpture, (31), 32–35.

Tous droits réservés © Le Centre de diffusion 3D, 1995                         This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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De quelques définitions de la sculpture au XXe siècle - Érudit
Depuis les bas-reliefs cubistes jusqu'aux                  cupée par le lieu et les conditions de         ture et le non-paysage, termes qu'elle réu-
installations postmodernes, en passant par                 présentation des objets qu'elle met en         tilise, comme nous l'avons vu, dans leur
la sculpture ouverte, la sculpture ciné-                   scène. Krauss élabore ainsi un champ ou        condition négative ou positive pour con-
tique, la sculpture linéaire, la sculpture                 une structure quaternaire articulant quatre    ceptualiser le «champ logiquement élargi
objet, etc., le domaine de la sculpture au                 couples de termes d'opposition, comme          [expanded]» 2 de la sculpture. Suite à sa
XXe siècle a été marqué par la multiplicité                paysage/non-paysage ou paysage/archi-          démonstration, formulée en réaction à ce
et la nouveauté des formes sous lesquelles                 tecture, auxquels correspondent respec-        qu'elle nomme la critique moderniste: «Il
l'objet sculptural s'est présenté. Cette diver-            tivement quatre formes particulières de        (lui) apparaît clairement que la logique de
sité a contribué tout au long de ce siècle à               sculptures ou de constructions, telles         l'espace de la pratique post-moderniste
mettre en question de façon incessante la                  celles des sites marqués ou des structures     n'est plus induite par la définition d'un
définition de la notion de sculpture. L'une                axiomatiques. Selon elle, cette structure      médium donné en fonction du matériau
des plus récentes réflexions théoriques                    parvient aussi bien à définir de façon         ou de la perception du matériau. Elle
importantes à ce sujet, bien qu'elle                       globale et logique l'ensemble des produc-      s'organise au contraire, ajoute-t-elle, en
remonte déjà à une quinzaine d'années, a                   tions visées qu'à redonner un certain sens     mettant en jeu des termes perçus comme
été mise au point par Rosalind Krauss                      à la notion de sculpture dans le contexte      opposés à l'intérieur d'une situation cul-
dans son fameux texte Sculpture in the                     de l'art postmoderniste.                       turelle donnée.» 3
Expanded Fields                                               D'autre part, dans une perspective his-         Il faut reconnaître que la proposition de
                                                           torique, Krauss assimile la tradition sculp-   Krauss est intéressante par son originalité
Une d é f i n i t i o n de la s c u l p t u r e dans le    turale occidentale à la logique du monu-       et son apparente habileté à englober dans
contexte postmoderniste                                    ment qu'elle estime avoir été dissolue par     un raisonnement unifié plusieurs siècles
   Rappelons brièvement que Krauss, dans                   la sculpture moderniste. Elle définit cette    d'histoire de la sculpture occidentale.
ce court article, tente d'apporter une solu-               dernière comme une condition négative de       Mais il semble, à première vue, que cette
tion à ce problème définitionnel en foca-                  la logique du monument, c'est-à-dire une       proposition minimise l'importance capi-
lisant toutefois son attention sur la                      sculpture nomade, opérant néanmoins dès        tale que peut revêtir, dans l'analyse de
production sculpturale postmoderniste                      le début des années soixante à l'intérieur     l'objet sculptural, une réflexion sur les
qui, à son avis, est principalement préoc-                 d'un champ élargi entre la non-architec-       particularités du médium de la sculpture,

ÎJ     ESPACE        31    PRINTEMPS          /   SPRING
De quelques définitions de la sculpture au XXe siècle - Érudit
sur ses constituantes et son organisation      tation spatiale évoque, de façon                       tile» 7 appliquées à la ronde-bosse. Read
                        spatiale à proprement parler, même             métaphorique, un paysage urbain assorti                conçoit ainsi la sculpture comme un objet
                        lorsqu'il s'agit d'étudier une installation    en "arrière-plan", tel un bas-relief sur l'un          tridimensionnel dont le volume ou la
                        sculpturale dont les unités combinées en       des murs, d'un paysage cosmique loin-                  masse, constitué de matière solide et
                        un tout et interreliées sont distribuées       tain. Au sein de cette mise en scène, un               compacte, est lié à l'occupation de
                        dans un espace architectural. D'ailleurs,      parallélépipède massif, au format "gigan-              l'espace physique. Envisageant l'art de la
                        même si au cours de son argumentation          tesque" par rapport aux autres objets de               sculpture comme un véhicule de symboli-
                        Krauss laisse entendre dans un premier         petit format, et juché à la verticale sur un           sation de nos expériences sensorielles,
                        temps que la catégorie moderniste de           "socle" improvisé, fait, quant à lui, figure           principalement de nos expériences tac-
                        sculpture est en théorie inactive à            d'une espèce de monument "commé-                       tiles aux côtés de nos expériences hap-
                        l'intérieur de la situation élargie de la      morant" la sculpture abstraite, et par là              tiques et visuelles, Read pose une
                        sculpture postmoderniste, elle réintroduit     une sculpture soucieuse de définir sa spé-             corrélation entre, d'une part, la solidité et
                        cette catégorie au sein de ce champ            cificité et qui a marqué la pensée mod-                la compacité tactile de la masse et,
                        lorsqu'elle associe la sculpture postmo-       erniste, bien que cette installation affiche           d'autre part, la notion de «sensibilité spé-
                        derniste de Joel Shapiro à la combinaison      par ce dispositif paradoxal, entre autres,             cifiquement plastique» 8 ou sculpturale.
                        binaire de termes qui particularise le         son inscription dans l'actualité historique            Celle-ci recouvre trois éléments qui pré-
                        fonctionnement du champ de la sculpture        et sa filiation à une certaine tradition               cisent la nature du volume de la sculp-
                        moderniste. Malgré cette correspondance,       sculpturale.                                           ture, la ronde-bosse et les qualités
                        elle soutient que les sculptures de Shapiro       Il importe donc ici de mettre en                    plastiques dont, toujours d'après lui, elle
                        sont de celles qui «reflètent, dans leur       exergue certaines des principales                      doit idéalement témoigner.
                        organisation et leur contenu, l'existence      hypothèses qu'ont développées dans le                     Le premier élément a trait à «une sensa-
                        de (l')espace logique» 4 de la pratique        contexte du modernisme certains auteurs                tion de la qualité tactile des surfaces»9,
                        sculpturale postmoderniste.                    pour définir leur conception de la sculp-              c'est-à-dire aux qualités texturales de la
                           Pour justifier mon point de vue, je         ture. Les auteurs auxquels je me référerai             matière qui stimulent le sens tactile. Le
                        prendrai ici à témoin une sculpture            sont l'historien d'art Herbert Read, les               second facteur concerne «une sensation
                        installative de Claude Mongrain présentée      artistes du constructivisme polonais                   de volume» 10 ou «de la masse entourée
                                                                                                                              par une série intégrée de plans surfaces»"
                                                                                                                              et réfère à la sensation de profondeur que
                                                                                                                              dégage le modelé de la sculpture. Enfin
                                                                                                                              le dernier élément de cette triade, et le
                                                                                                                              seul qui, selon Read, se rattache unique-
                                                                                                                              ment au domaine de la sculpture dans
                                                                                                                              toute sa spécificité et en détermine ainsi
                                                                                                                              l'unicité par rapport aux autres formes
                                                                                                                              d'art traditionnelles, consiste en l'accom-
                                                                                                                              plissement synthétique de la rotondité de
                                                                                                                              la masse en rapport avec sa pondérabilité
                                                                                                                              ou son aspect gravitationnel. Cette défini-
                                                                                                                              tion générale de l'objet sculptural amène
                                                                                                                              toutefois cet historien à exclure du
                                                                                                                              domaine spécifique de l'esthétique de la
                                                                                                                              sculpture des objets d'art rejoignant les
                                                                                                                              problématiques du bas-relief et du haut-
                                                                                                                              relief pour ne privilégier comme modèle
                                                                                                                              sculptural que la ronde-bosse, le free-
                                                                                                                              standing sculpture, d'autant plus s'ils sont
                                                                                                                              constitués d'une masse compacte.
                                                                       Katarzyna Kobro et Wladyslaw                              En vertu de son caractère tangible et
                                                                       Strzeminski et, finalement, le sculpteur               palpable, en sa qualité de forme solide
                                                                       minimaliste Robert Morris. Il faut d'abord             autonome, la sculpture, selon Read, est
                                                                       mentionner, en guise de préambule, que                 un art du toucher et de palpation qui
                                                                       ces quatre auteurs ont tous cherché à for-             trouve son entière complétude dans
(gauche) Mane-                                                         muler leur conception de l'objet sculp-                l'objet sculptural imprégné de la pensée
France Brière, Sans     à la galerie Christiane Chassay, en 1989.      tural en opposant la bidimensionnalité du              vitaliste. Cette rhétorique implique, entre
titre, 1994. Granite,   Même si elle s'inscrit dans le contexte        plan pictural à la tridimensionnalité du               autres, que les techniques les plus aptes,
marbre, acier patiné,   postmoderniste, cette installation, qui        volume sculptural.                                     sinon les seules, à rendre compte des sen-
laine minérale. 2,03
                        incidemment s'intitule Paysage avec                                                                   sations que procure la perception de la
m x 6.7 m x 40 cm.
                        monument, présente à mon sens une syn-         La s c u l p t u r e c o m m e masse c o m p a c t e   forme sculpturale et de ses textures sont
Galerie Christiane
                        thèse de plusieurs problématiques abor-           L'esthétique de la sculpture proposée               celles de la taille directe et du moulage.
Chassay. Photo :
Denis Fartey.           dées par la sculpture de ce siècle.            par Herbert Read en 1956 5 , et qu'en                  Or, dépouillés des principes relatifs à la
                        Installée dans l'encoignure de deux murs       1964 6 il a tenté d'appliquer avec un                  doctrine vitaliste et de la stricte notion de
(droite) Katarzyna      adjacents de la galerie, Paysage avec          succès plutôt mitigé à l'ensemble de la                volume solide, les trois éléments repérés
Kobro. Composition      monument, qui regroupe à intervalles           sculpture moderne, est étroitement reliée              par Read pour qualifier la sensibilité plas-
spatiale, no 2, 1928.   réguliers six îlots circonscrits en forme de   à la conception traditionnelle de la forme             tique peuvent contribuer, en tout ou en
                        cercle, montre des petits chats placés en      sculpturale monolithique compacte. Cette               partie, à la description analytique des
                        divers endroits parmi des objets compos-       esthétique est axée sur les notions de                 variables visuelles et «tactiles» de divers
                        ites assemblés. L'ensemble de la représen-     solidité de la forme et de «compacité tac-             types d'objets sculpturaux, dont les

                                                                                                                     ESPACE   31   PRINTEMPS      / SPRING     1995
De quelques définitions de la sculpture au XXe siècle - Érudit
«objets trouvés» et même les reliefs, et par                    totalement la sculpture de l'espace envi-        ture des transformations de perspectives
conséquent, à l'analyse des rapports syn-                       ronnant. De même, dans un second                 dues aux changements de points de vue
taxiques entre ces variables, soit au sein                      temps, bien qu'ils considèrent de façon          du spectateur, ils soutiennent que «dans
d'une seule unité sculpturale, soit au sein                     positive les efforts de la sculpture gothi-      l'oeuvre d'art tridimensionnelle [le temps]
d'un assemblage de plusieurs unités inter-                      que ou architectonique pour lier ses             est manifeste à cause du mouvement du
reliées en liaison avec leur environ-                           formes aux formes de l'espace externe, en        spectateur autour de l'oeuvre». 18 De là, ils
nement.                                                         l'occurrence celles de son espace archi-         conviennent que la perception de la sculp-
                                                                tectural, ils contestent cette sculpture en      ture se déroule dans le temps.
La s p a t i a l i s a t i o n de la s c u l p t u r e          laquelle ils voient en fin de compte,
   Dans l'ensemble, les valeurs sculp-                          lorsque soutirée de son con-
turales que Read défend dans son esthé-                         texte environnemental, une
tique de la sculpture et qu'il érige en                         sculpture-volume, comme
valeurs traditionnelles, s'opposent à celles                    dans la sculpture égyptienne.
qu'ont soutenues et définies K. Kobro et                        Finalement, tout en reprochant
W . Strzeminski 12 dans une analyse des                         à la sculpture baroque, com-
éléments structurels de la sculpture qui                        posée d'un volume central
s'impose comme une théorie de l'unisme                          duquel émergent des pro-
sculptural. Dans celle-ci, ces deux auteurs                     tubérances, d'avoir conservé
formulent une conception de la sculpture                        un volume compact, ils lui
essentiellement basée, d'une part sur                           attribuent le mérite d'avoir
l'expérience visuelle et non sur l'expé-                        partiellement ouvert la sculp-
rience tactile et, d'autre part, sur l'ouver-                   ture à l'espace général. Cette
ture du volume sculptural à l'espace                            ouverture provient de l'amé-
ambiant. Toutefois, puisqu'ils systéma-                         nagement, dans les couches
tisent l'organisation spatiale de la sculp-                     périphériques de la sculpture,
ture uniste à partir de la mise en forme                        d'une zone de transition qui,
tridimensionnelle d'un rythme spatio-tem-                       limitée à l'intérieur de la
porel, leur réflexion porte non seulement                       sculpture par les limites
sur l'organisation spatiale de la sculpture                     virtuelles du volume central et                                                                  Joel Shapiro, Sans
en relation avec la question du lieu pro-                       en périphérie par la liaison des apex des        L ' o b j e t dans son espace d'accueil         titre, I975.
prement sculptural, mais sur les inci-                          protubérances, englobe aussi bien des                                                            Installation
                                                                                                                 Ce commentaire de Kobro et Strzeminski
                                                                espaces intérieurs ou positifs que des                                                           d'édicules en fonte
dences du temps dans la sculpture.                                                                               qui date de 1931, et que Michael Fried 19
                                                                 interstices d'espace extérieur ou négatif.                                                      et en plâtre.
   En prenant pour point de départ une                                                                           aurait assurément désapprouvé, nous le
                                                                C'est en étendant pour ainsi dire à              retrouvons également dans un texte fon-
première hypothèse selon laquelle
                                                                l'ensemble de la zone sculpturale le             damental de Robert Morris 20 publié en
l'espace général est le support de la sculp-
                                                                principe baroque de la zone de transition        1966 dans le cadre de l'art minimal
ture et une seconde hypothèse qui définit
                                                                que Strzeminski et Kobro définissent les         américain. La conception sculpturale de
l'espace général comme équipotentiel,
                                                                termes de la notion de volume ouvert en          ce dernier s'articule principalement
Strzeminski et Kobro énoncent une
                                                                opposition à celle de volume compact ou          autour de la spécification de l'objet sculp-
théorie de «la spatialisation de la sculp-
                                                                fermé. Cette argumentation leur permet
ture»' 3 . C'est-à-dire une théorie où la                                                                        tural comme tel et de la mise en situation
                                                                d'affirmer que «la sculpture uniste ne pro-      de cet objet dans son espace d'accueil en
sculpture, conçue à l'image de son sup-
                                                                duit pas des sculptures. La sculpture            relation avec le temps et le corps du regar-
port avec lequel elle doit fusionner, en
                                                                (uniste), arguënt-ils, sculpte l'espace en le    dant.
serait une de «pures divisions d'espa-
                                                                condensant dans les limites de la zone
ces» 14 , alors que la forme au sein de la                                                                           Malgré un important décalage entre les
                                                                sculpturale». 17 De cette remarque               réflexions théoriques de Morris et de
sculpture serait, quant à elle, «l'expression
                                                                transparaît en quelque sorte la prise de
de relations spatiales»15, le tout étant                                                                         Read, la définition que propose celui-là
                                                                conscience par la sculpture moderne du           de l'objet sculptural rejoint, sous certains
ordonné dans les trois dimensions, en
                                                                phénomène des espaces négatifs en tant           angles, celle qu'a développée celui-ci,
hauteur, en largeur et en profondeur selon
                                                                que fait spatial et sculptural.                  notamment en ce qui concerne la dimen-
un système de rapports numériques iden-
tiques qui fonde le rythme spatio-temporel                         De concert avec cette analyse, ils met-       sion physique de l'objet sculptural et les
de la sculpture. Aux yeux de ces deux                           tent au point un petit système qui concep-       aspects perceptuel et conceptuel
artistes, le problème majeur soutenant une                      tualise un ensemble de relations que la          impliqués dans son appréhension globale.
telle théorie est celui du «rapport de                          sculpture entretient avec le phénomène de        Ainsi, à partir de la dimension foncière-
l'espace contenu dans la sculpture à                            la temporalité. Ils identifient ainsi trois      ment littérale ou concrète de la sculpture
l'espace situé hors de la sculpture»' 6 , qui                   genres de rythmes, à savoir le rythme du         qui se transcrit, en premier lieu, dans ses
implicitement soulève la question de la                         mouvement qu'ils retrouvent dans la              éléments constitutifs, soit l'espace, les
limite de la sculpture ou de l'espace                           sculpture baroque axée sur l'obliquité vec-      matériaux et la lumière, Morris insiste sur
sculptural.                                                     torielle et qu'ils estiment nuire à la percep-   le caractère spécifiquement tactile de
   Dans leur analyse, ils tracent un par-                       tion des formes au profit de la perception       l'objet sculptural, non pour mettre en
cours historique de la sculpture ponctué                        plus globale du mouvement; le rythme des         relief la texture de la matière, mais en
par trois principaux types de sculptures                        formes qu'ils appliquent aux formes hori-        l'identifiant à l'aspect volumétrique de la
qu'ils critiquent en fonction de ce rapport                     zontales et verticales de la sculpture uniste    forme sculpturale en laquelle il voit une
dialectique et de leur objectif. Ainsi, ils                     pour en régulariser le quotient énergétique      «masse résistante et bien réelle». 21 À ce
s'objectent d'abord au volume compact,                          et, enfin, le rythme spatio-temporel qui,        titre, il soutient que l'échelle, la propor-
fermé sur lui-même, de la sculpture égyp-                       lui, est directement lié au trajet de percep-    tion, la forme, la masse ainsi que les sur-
tienne, où la limite de l'objet coïncidant                      tion du spectateur autour de la sculpture.       faces sont, en raison de leur qualité
avec la surface de son volume coupe                             Puisque par ce trajet surgissent de la sculp-    physique, les valeurs essentielles de la

 (4      ESPACE         31      PRINTEMPS            / SPRING   1995
NOTES :
sculpture, la forme étant, dans son esprit,      gissement de l'espace sculptural à la
                                                                                                 1. October, no 8, printemps1979, p. 31-44.
la plus importante d'entre elles. Ces            mesure des dimensions architecturales de        2. "La sculpture dans le champ élargi" (1979),
affinités se manifestent aussi dans l'objec-     la pièce d'accueil, il établit un groupe de         L'originalité de l'avant-garde et autres mythes
tion de Morris au bas-relief. Il estime que      relations spatiales entre l'objet, la pièce         modernistes, trad, par Jean-Pierre Criqui, Paris,
cette forme d'art tend à partager avec le        et le corps du regardant. Dans cette situa-         Macula, 1993, p. 119.
                                                                                                 3. Ibid., p. 126.
tableau son espace bidimensionnel et à           tion, comme il le dit lui-même, «l'objet
                                                                                                 4. Ibid., p. 127.
échapper aux forces de la pesanteur. Cet         n'est plus qu'un terme [parmi d'autres]         5. The Art of Sculpture (1956), |New York],
effet amenuise, selon lui, le caractère tout     de la nouvelle esthétique». 26                      Bollingen Series XXXV°3, Pantheon Books, 1964,
à fait objectai que doit posséder une            Même si Morris imagine l'objet sculptural           152 pages.
                                                                                                 6. A Concise History of Modem Sculpture (1964),
sculpture.                                       comme une antithèse de l'objet sculptural
                                                                                                     [London], Thames and Hudson, 1983, 310 pages.
    D'autre part, en s'appuyant sur certaines    de petite ou moyenne dimension qui              7. The Art of Sculpture, p. 103. Toutes les citations
hypothèses de la théorie de la Gestalt, par-     aménage dans son espace propre des                  tirées des ouvrages de Read sont traduites par
ticulièrement celle de la complétude de la       relations spatiales entre les composantes,          l'auteure.
                                                                                                 8. Ibid., p. 71.
"bonne forme", et compte tenu du fait que        (ce à quoi correspond l'organisation spa-
                                                                                                 9. Ibid.
la sculpture est accessible à l'oeil dans sa     tiale de la sculpture uniste telle que          10. Ibid.
totalité à partir d'un seul point de vue sur     pensée par ses théoriciens), sa réflexion       11. A Concise History of Modem Sculpture, p. 107.
elle, Morris entend affirmer le caractère        recoupe celle de Strzeminski / Kobro            12. "La composition de l'espace : Le calcul du rythme
                                                 puisqu'il pose, comme eux, le problème              spatio-temporel" (1931), L'espace uniste : Écrits
volumétrique de la sculpture posée au sol,                                                           du constructivisme polonais, Lausanne, l'Age
non seulement par sa présence physique,          de la relation entre l'espace interne de la         d'Homme, 1977, p. 85-125.
mais par la visualisation de sa forme dans       sculpture et l'espace externe, question-        13. Ibid., p. 108.
l'espace mental. À cette fin, il restreint le    nant les limites de l'espace sculptural,        14. Ibid., p. 106.
                                                 particulièrement dans un contexte simi-         15. Ibid.
champ des configurations de la forme
                                                                                                 16. Ibid., p. 85.
tridimensionnelle à des volumes simples,         laire à celui de la sculpture gothique, le
                                                                                                 17. Ibid., p. 106.
comme le parallélépipède ou la poutre            sujet en plus. Dans cette perspective, on       18. Ibid., p. 116
inclinée, qu'il associe à des «tout(s) indi-     peut se demander si la conception du            19. Voir "Art and Objecthood" (1967), Artstudio, no.
                                                                                                     6, 1989-90, p. 11-27.
visible^) et indissoluble(s)»22 les qualifiant   sculptural chez Morris ne soulève pas une
                                                                                                 20. "Notes sur la sculpture" (1966), Regards sur l'an
de «formes unitaires». La notion d'image         certaine ambivalence quant à la détermi-
                                                                                                     américain des années soixante, Paris, Territoires,
mentale à laquelle il réfère se rapproche        nation de la localisation de la limite de           1979, p. 84-92.
de celle d'image mnésique que Read               l'espace sculptural, du fait que le sujet, le   21. Ibid., p. 8b.
                                                 regardant, par sa position dans l'espace        22. Ibid., p. 90.
utilise dans son esthétique de la sculpture
                                                                                                 23. Ibid..
pour désigner les différentes perspectives       par rapport à l'objet sculptural, circonscrit
                                                                                                 24. Ibid..
que prélève le regardant sur l'objet au          une certaine limite de l'espace sculptural,     25. Ibid..
cours de son trajet de perception et qu'il       alors que les cloisons de la pièce font de      26. Ibid., p. 89.
                                                 même, s'intégrant ainsi physiquement à          27. "La sculpture dans le champ élargi", p. 111-127.
engramme dans sa mémoire pour se figu-
rer une image mentale tridimensionnelle          l'espace sculptural.
du volume de la sculpture. Ce rapproche-                                                         The multiple transformations through which sculpture
ment est d'autant plus justifié que Morris       Une saisie qui déstabilise                      has evolved during the present century has led a
veut confronter le regardant à ce qu'il          Hormis le particularisme de chacun des          number of authors to attempt various new definitions
nomme «le constant connu», 23 c'est-à-dire       trois précédents points de vue sur l'objet      ofthe medium. Michèle Deschênes isolates and
l'image gestaltienne de la forme unitaire,       de la sculpture et un certain dogmatisme,       confronts some of these and tries to extract their
au «variable expérimenté», 24 c'est-à-dire       ce corpus de textes offre un ensemble de        relative merits.
les transformations de perspectives de           problématiques générales qui, tour à
l'objet découlant des changements de                                                             In Sculpture in the Expanded Re/d, Rosalind Krauss
                                                 tour, en s'entremêlant, nourrissent la
points de vue du spectateur. Avec cette          "théorie" de la sculpture au XXe siècle.        states that postmodern sculpture is especially
idée, liée aux conditions de présentation        Ces problématiques, dont les modalités          concerned with the site and conditions of its scenic
et de réception de l'objet, Morris, tout         conceptuelles et descriptives demandent         presentation. She delineates the nomadic character of
comme l'ont fait avant lui Strzeminski et        à être développées plus amplement, sont         sculpture, whose field has been widening ever since
Kobro, affirme que «l'expérience de l'oeu-       celles, par exemple, de l'opposition ou         the '60s.
vre se fait nécessairement dans le temps».25     du dialogue entre le volume compact et
                                                                                                 Other critics before Krauss have attempted to
   Parallèlement à ces commentaires, il          le volume ouvert ou partiellement ouvert,
                                                 entre la peinture et la sculpture, du rap-      redefine sculpture. Among them are Herbert Read,
ressort que les quatre auteurs étudiés
envisagent la sculpture comme un                 port de l'espace interne de la sculpture à      constructivist artists Katarzyna Kobro and Wladyslaw
moteur d'expériences kinesthésiques              l'espace externe ou environnant, de la          Strzeminski, as well as the minimalist sculptor Robert
chez le spectateur. Cet aspect                   volumétrie en relation avec les modes           Morris. Interestingly enough, all of them have sought
kinesthésique, et donc corporel, de              visuel, conceptuel et corporel de préhen-       to oppose, in their search for a new definition, the
l'expérience de l'objet sculptural revêt         sion, etc. Par delà la conception post-
                                                                                                 two-dimensionality ofthe pictural plane with the
toutefois une signification capitale dans        moderniste de la sculpture proposée par
                                                                                                 three-dimensionality ofthe sculptural volume.
la pensée sculpturale de Morris, en ce           Rosalind Krauss,27 l'objet sculptural (une
sens qu'il considère que c'est la distance       sculpture "autonome", une sculpture             These theoretical concerns (over the opposition
du spectateur par rapport à l'objet sculp-       installative, un site marqué, un relief,        between compact and open volume, between painting
tural, en corrélation avec sa dimension          etc.) définit par l'entremise de ces problé-    and sculpture, between internal space and
ou son échelle, qui détermine les limites        matiques une organisation spatiale              environmental space) have all contributed to the
du champ visuel du spectateur. En adop-          particulière dotée d'une signification par-     critical sculptural discourse of the twentieth century.
tant le mode public de la perception qui         ticulière dont la saisie déstabilise parfois
convient aux objets de grand format              notre perception de l'espace, du lieu
dénués de détails et qui autorise un élar-       sculptural. I

                                                                                        ESPACE   31    PRINTEMPS          / SPRING         1995         35
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