DOCUMENTS DE TRAVAIL - Beta
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DOCUMENTS Hors-série spécial 50 ans du BETA DE TRAVAIL « Structure and Involuntary Unemployment » Auteurs Jean-Paul Fitoussi, Nicholas Georgescu-Roegen Document de Travail – Hors-série n°2022-05 Mars 2022 Notice introductive : Rodolphe Dos Santos Ferreira BETA Bureau d’économie théorique et appliquée Site : https://beta-economics.fr @beta_economics Contact : jaoulgrammare@beta-cnrs.unistra.fr
Jean-Paul Fitoussi & Nicholas Georgescu-Roegen, 1980. "Structure and Involuntary Unemployment," International Economic Association Series, in: Edmond Malinvaud & Jean-Paul Fitoussi (ed.), Unemployment in Western Countries, ch. 8, pp. 206-277, Palgrave Macmillan. NOTICE INTRODUCTIVE Les circonstances de l’élaboration et de la publication de cet article de Jean-Paul Fitoussi et Nicholas Georgescu-Roegen constituent un événement significatif dans la trajectoire des deux auteurs, important aussi dans l’histoire du BETA. Pour Jean-Paul Fitoussi, il s’agit de sa première publication internationale, insérée dans un volume consacré à une conférence de l’International Economic Association qu’il a co-organisée en 1978, au Bischenberg, avec le président sortant de l’Association, Edmond Malinvaud. C’est le premier pas vers une brillante carrière internationale, dont je n’évoquerai ici que les prolongements immédiats de cet épisode. Jean-Paul Fitoussi est alors à la veille de son départ à l’Institut universitaire européen de Florence, où il organisera une autre conférence de l’Association, dont il va assumer le secrétariat général à partir de 1984 et jusqu’en 2008. Pour Nicholas Georgescu-Roegen, cet article est l’occasion d’un retour à des préoccupations qu’il avait reléguées depuis quelque temps à un deuxième plan, en faveur de sa contribution à l’économie de l’environnement. Il s’agit surtout de la réflexion méthodologique initiée dans la partie introductive et originale de son ouvrage1 de 1966 et poursuivie dans son ouvrage de 1971, ainsi que d’une critique cruciale de la modélisation conventionnelle du processus de production, développée principalement dans le chapitre IX de ce dernier ouvrage. Pour le BETA, cet article est la consécration du travail de recherche poursuivi en collaboration, en son sein, par le premier des grands économistes ayant séjourné parmi nous. Ce travail est d’autant plus significatif que Nicholas Georgescu-Roegen était, avant même son séjour de deux ans à Strasbourg, un des auteurs ayant le plus marqué quelques-uns des membres fondateurs du laboratoire. Si l’on revient à l’article lui-même, le premier constat est celui d’une facture inhabituelle, surtout d’après les standards d’aujourd’hui, avec un corps de 21 pages (bibliographie comprise) et une annexe de 40 pages, traitée en fait comme un article autonome. Cette facture invite à s’adonner au jeu des identifications (qui des deux auteurs a écrit quoi) mais cela ne fonctionne que partiellement tant leurs deux pensées convergent, même si l’on peut identifier aisément les sources de maints passages. Sur le fond, le corps de l’article développe une théorie du chômage involontaire qui en impute l’émergence et la persistance à des changements qualitatifs structurels induits par le flux d’innovations mis en évidence par Schumpeter. Ce point de départ est intéressant en soi pour au moins trois raisons, que j’énoncerai un peu dans le désordre. Nicholas Georgescu-Roegen a entamé sa carrière d’économiste dans le cercle de Schumpeter, après son arrivée à Harvard en 1934. L’article se réclame de Schumpeter une décennie avant l’éclosion des théories néo-schumpetériennes, dont la version appliquée à la croissance par Philippe Aghion et Peter Howitt à partir de 1987 est celle qui s’est le plus largement répandue. L’association ainsi esquissée entre macro-économie et innovation et la cohabitation sous-jacente des deux figures tutélaires que sont Keynes et Schumpeter pourraient presque servir d’image de marque au BETA des années 1980. 1 Les références de cette notice figurent dans la bibliographie donnée dans le corps de l’article.
L’idée que l’économie est façonnée par un flux d’innovations à la fois créatrices et destructrices est évidemment au centre de la théorie schumpetérienne empruntée par les auteurs, qui soulignent toutefois la différence entre la conception cyclique du phénomène, avec des innovations intervenant par grappes, qui avait été proposée par Schumpeter et celle qu’il convient selon eux d’adopter après la deuxième guerre mondiale, dans un monde où la production d’innovations s’est en quelque sorte industrialisée et transformée ainsi en un processus continu. Ce processus modifie en permanence la structure de la demande et engendre en conséquence un chômage structurel persistant parce que continuellement recréé. Pour rendre compte de ce chômage persistant, point n’est besoin de faire appel à la modélisation en termes de prix fixes initiée par Barro et Grossman au début de la décennie et qu’Edmond Malinvaud venait de promouvoir en 1977. Une des principales faiblesses de cette modélisation, pointée par les deux auteurs, tient au fait que les prix y sont purement exogènes, hérités d’une histoire qui reste inexpliquée. La modélisation faisant appel à la concurrence imparfaite, avec des entreprises décidant de leurs prix, va tenter de corriger cette faiblesse mais un peu plus tard seulement, au début des années 1980. L’approche des deux auteurs se base quant à elle sur une dynamique d’ajustement des quantités offertes (et corrélativement des prix de marché) où l’asymétrie des réponses aux excès d’offre et de demande joue un rôle essentiel, déjà exploité dans la thèse de Jean-Paul Fitoussi (1971). En effet, si les quantités offertes (et produites) sont plus réactives aux excès d’offre qu’aux excès de demande, à la baisse plutôt qu’à la hausse, un simple déplacement d’un marché à l’autre d’une dépense globale croissant à un taux constant tend à ralentir la croissance réelle et à intensifier l’inflation. Dans sa critique de l’article, Franco Modigliani a exprimé sa méfiance à l’égard des asymétries en général et de celle postulée par les auteurs en particulier. Mais c’est la non-linéarité qui est en cause : la stricte convexité de la fonction d’ajustement des quantités en réponse à la demande excédentaire crée le même effet de ralentissement de la croissance et d’intensification de l’inflation à la suite d’une plus forte dispersion de la demande excédentaire. Un flux d’innovations recomposant en permanence la demande tend donc à engendrer en même temps des tensions inflationnistes et du chômage structurel persistants. L’annexe de l’article est consacrée à une critique détaillée des fondements des théories du déséquilibre, laquelle peut cependant être aisément étendue à une grande partie de la modélisation conventionnelle. Je ne m’appesantirai pas sur les considérations générales issues des réflexions méthodologiques antérieures de Nicholas Georgescu-Roegen déjà mentionnées, y compris celles qui portent sur les fonctions d’utilité et de production. Un point mérite cependant qu’on s’y arrête : les auteurs dénoncent avec force la confusion opérée par la modélisation conventionnelle entre la main d’œuvre employée et le travail qu’elle effectue au cours de la période concernée, entre le fonds et le service qu’il rend (pour utiliser les concepts de Nicholas Georgescu-Roegen) ou encore entre la force de travail et le travail lui-même (pour utiliser ceux de Karl Marx). Cette confusion fait disparaître une variable endogène essentielle qui est la durée du travail, efface la question de l’organisation du travail en équipes opérant sur des tours successifs (à laquelle est consacré plus d’un cinquième de l’annexe) et ne permet pas de tenir correctement compte de l’existence du chômage partiel. Lorsqu’ils abordent la discussion des règles de rationnement postulées par les théoriciens du déséquilibre, les auteurs observent en effet que le rationnement de la durée de travail n’est jamais envisagé. A la suite de cet article, j’ai moi-même essayé un moment d’introduire une durée endogène de travail dans un modèle à prix fixes et d’en analyser les implications, mais ce programme de recherche a avorté au bénéfice du projet d’endogénéisation des prix par la concurrence imparfaite qui s’est vite révélé plus prometteur.
Au-delà de cette critique générale des fondements des théories du déséquilibre, l’annexe s’engage dans l’examen détaillé des résultats analytiques obtenus dans le cadre du modèle de Malinvaud. La démarche surprend, tant on est alors loin de la théorisation proposée dans le corps de l’article, mais elle permet en tout cas de montrer que le fonctionnement du modèle est plus complexe que ne l’avait laissé apparaître son auteur – une complexité qui a été également mise en évidence à la même époque par d’autres économistes, parmi lesquels Werner Hildenbrand, dans un article de 1977 co-écrit avec son frère Kurt, cité par les auteurs et présenté à Strasbourg cette même année. L’article ne connut qu’un retentissement discret. Il est arrivé à un tournant marqué par l’étiolement des théories du déséquilibre discutées dans son annexe et par l’éclosion, en 1982, du modèle d'équilibre général dynamique stochastique, qui allait coloniser la théorisation macro-économique en laissant peu de place au type de modélisation exploité dans son corps. Mais il est intéressant de le revisiter aujourd’hui pour ce qu’il exprime de ce tournant et pour ce qu’il illustre des trajectoires dont s’est faite l’histoire du BETA. Rodolphe Dos Santos Ferreira, mars 2022
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