Données du véhicule connecté et concurrence : quels enjeux économiques et juridiques ? - 9 janvier 2020 - CCFA
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Données du véhicule connecté et concurrence : quels enjeux économiques et juridiques ? 9 janvier 2020 Etude CCFA 2020 V4.indd 1 27/01/2020 14:03
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Données du véhicule connecté et concurrence : quels enjeux économiques et juridiques ? Résumé L’industrie automobile, important moteur ridique de ce choix de régulation ne semble Le dispositif de régulation ex ante de l’économie française, fait face à une avoir été engagé. apparaît dès lors dénuée de pertinence mutation technologique et numérique de voire même dangereux au vu de la très grande ampleur*. A cet égard, les inves- C’est cette analyse que le présent rapport situation du marché ainsi que du contexte tissements des constructeurs automobiles, propose d’effectuer. Il en résulte que la mise juridique et réglementaire. L’édiction de qu’ils les effectuent seuls ou en partenariat, en œuvre d’une régulation ex ante n’est ni cette régulation intervient à un moment sont essentiels pour leur permettre de nécessaire, ni justifiée et que l’intervention particulièrement inadéquat, alors que le demeurer innovants et performants. des pouvoirs publics est au contraire sus- marché automobile est en pleine mutation ceptible d’être contre-productive : et que le marché de l’accès à distance aux Ils seront à l’origine de production de •a ucune défaillance de marché n’est données et des services associés est à données portant sur les véhicules, qui démontrée : les forces concurrentielles peine émergent. sont susceptibles de créer de nouvelles présentes sur le marché suffiront le cas opportunités économiques et conduire à la échéant à discipliner les constructeurs au- Au regard de son impact sur la liberté mise en place d’écosystèmes de biens et de tomobiles. Ceux-ci ne sauraient d’ailleurs contractuelle et les droits les plus fonda- services ayant pour point central le véhicule être considérés comme étant en position mentaux des constructeurs automobiles connecté. dominante sur leurs marchés primaires. (droit à la protection légitime de leurs Moins encore, les données des véhicules secrets d’affaires, droit de propriété sur Assez naturellement, l’accès à ces données connectés ne sauraient être assimilées le résultat de leurs investissements), ce génère un intérêt de la part de nombreux à des « facilités essentielles » au sens du dispositif de régulation pose en outre de acteurs économiques désireux de proposer droit de la concurrence. Les constructeurs sérieuses interrogations de conformité à des services complémentaires aux véhi- sont en outre soumis à des incitations certains principes conventionnels et consti- cules, qu’il s’agisse des assureurs, de nou- fortes qui les conduisent à partager leurs tutionnels. velles entreprises qui entendent proposer données avec d’autres acteurs suscep- tibles de leur apporter les savoir-faire qui Les conclusions de l’analyse menée dans de nouvelles approches de la mobilité mais leur manquent. Ceux qui se tromperont le cadre du présent rapport démontrent la aussi des réparateurs – lesquels disposent en adoptant une politique trop restrictive nécessité, non pas d’intervenir pour réguler déjà d’un accès aux données de fonction- nement pertinentes. Tous ces acteurs y pourront être sanctionnés par le marché ; l’accès aux données des véhicules, mais au voient une aubaine considérable pour leur contraire de sécuriser le droit de propriété • r ien ne permet de douter que l’applica- activité, sans toutefois participer ni à l’in- des constructeurs sur leurs investissements tion des règles de concurrence ne sera vestissement, ni à la prise de risques que la et les innovations qui en résultent afin de pas suffisamment efficace pour corriger génération de données suppose. leur permettre de développer des véhicules rapidement d’éventuels problèmes de concurrence ou remédier rapidement aux connectés (et autonomes) sûrs et innovants C’est dans ce contexte que le législateur éventuelles défaillances, mêmes ponc- et de générer des données de qualité au français a prévu, dans le cadre de la loi tuelles, de marché qui pourraient appa- service des utilisateurs. La compétitivité d’orientation des mobilités**, un ensemble raitre. Le droit de la concurrence apparait et la capacité d’innovation de l’industrie de mesures visant notamment à imposer en outre bien plus adapté du fait de son automobile française et européenne ne s’en un accès non discriminatoire aux données approche au cas par cas, prenant en consi- trouveront que renforcée. pertinentes des véhicules pour le dévelop- dération l’ensemble des spécificités de pement d’un ensemble de services liés à chaque situation et fondée sur des dizaines la mobilité. Le législateur a ainsi choisi de d’années de pratique décisionnelle ; mettre en place une régulation ex ante de • le dispositif de régulation ex ante est l’accès aux données des véhicules connec- susceptible d’entrainer des effets tés, ce qui a nécessairement pour consé- néfastes majeurs pour l’industrie quence d’encadrer et de limiter les modèles automobile française et à terme eu- économiques pouvant être choisis par les ropéenne, en contraignant les choix de constructeurs automobiles. modèle économique, en limitant forte- ment les incitations des constructeurs au- Le choix et la mise en œuvre d’un tel mode tomobiles à investir et en compromettant de régulation restreint fortement la liberté de ce fait la dynamique d’innovation. La et les droits fondamentaux des construc- régulation ex ante est en outre susceptible teurs. Ils emportent des conséquences d’affaiblir l’industrie automobile française économiques déterminantes, sans même et européenne dans la concurrence inter- que l’analyse de l’impact économique et ju- nationale. * Avec notamment les impératifs environnementaux qui deviennent de plus en plus importants, les évolutions technologiques qui accélèrent la course au développement de véhicules automatisés et l’émergence de nouveaux modes de consommation de la mobilité. ** L oi n°2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités publiée au JORF n°0299 du 26 décembre 2019. 3 Etude CCFA 2020 V4.indd 3 27/01/2020 14:03
Données du véhicule connecté et concurrence : quels enjeux économiques et juridiques ? Executive Summary The automotive industry, a major driving contrary, government intervention is likely In view of its impact on contractual freedom force of the French economy, faces a to be counterproductive: and on the most fundamental rights of car large-scale technological and digital trans- manufacturers (right to the legitimate pro- formation*. In this regard, the investments •N o market failure has been demons- tection of their business secrets, property of car manufacturers, whether they make trated: the competitive forces in the right over the result of their investments), them alone or in partnership, are essential market will be sufficient, if necessary, to this regulation also raises serious ques- to allow them to remain innovative and discipline car manufacturers. Car ma- tions of conformity with certain conventio- efficient. nufacturers cannot be considered to be nal and constitutional principles. in a dominant position on their primary These investments will be at the origin of market. Even less so, the data of connec- The conclusions of the analysis conducted the production of vehicle data, which is ted vehicles cannot be assimilated to in this report demonstrate the need, not likely to create new economic opportuni- "essential facilities" within the meaning of to intervene to regulate access to vehicle ties and lead to the establishment of eco- competition law. Car manufacturers are data, but on the contrary to secure the systems of goods and services. Their focal also subject to strong incentives, which will property rights of car manufacturers over point is the connected vehicle. lead them to share their data with other their investments and the resulting innova- players likely to bring them the know-how tions. Securing car manufactures’ property Access to this data generates great interest they lack. Those who make a mistake by rights will enable them to develop safe on the part of many economic players adopting an overly restrictive policy will and innovative connected (and autono- wishing to offer complementary services likely be penalized by the market; mous) vehicles and generate quality data to vehicles, including insurers, new compa- for users. Furthermore, it will strengthen nies that intend to offer new approaches to •T here is no reason to doubt that the the competitiveness of the French and mobility and repairers, who already have application of competition policy rules European automotive industry and their access to the relevant operating data. All of will not be effective enough to correct innovative capacity. these players see vehicle data as a signifi- any competition problems or rectify any cant opportunity for their activity, without potential market failures that may arise. however participating in the investment or Competition law also appears to be much the risk taking that data generation entails. more suitable because of its case-by- case approach, taking into account all the In this context, the French legislator specificities of each situation and based has conceived, within the framework of on dozens of years of decision-making the “mobility orientation law”**, a set of practice; measures aimed in particular at imposing a non-discriminatory access to vehicle data •A n ex ante regulation is likely to cause relevant for the development of a set of major adverse effects for the French mobility services. Thus, the legislator chose and ultimately European automotive to implement an ex ante regulation of access industry. In particular, it would constraint to data generated by connected vehicles, car manufacturers in their choice of which necessarily has the consequence of economic model, thus strongly limiting framing and limiting the economic models their incentives to invest and thereby com- available to car manufacturers. promising the dynamics of innovation. An ex ante regulation is also likely to weaken The choice and implementation of this kind the French and European automotive of regulation severely restricts the freedom industry in international competition. and fundamental rights of car manufactu- rers. Although the analysis of the economic Considering the market situation as and legal impact of this choice of regulation well as the legal and regulatory context, has not been undertaken, its economic an ex ante regulation appears irrelevant consequences are critical. or even dangerous. The enactment of this regulation comes at a particularly inade- This is precisely the analysis that this report quate time, when the automotive market proposes to carry out. It follows that the is changing and the market for remote implementation of an ex ante regulation access to data and related services is just is neither necessary nor justified. On the emerging. * These transformations include increasingly important environmental requirements, technological evolutions that accelerate the race for the development of automated vehicles and the emergence of new modes of consumption of mobility. ** In French, « Loi d’orientation des mobilités ». « Loi n°2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités publiée au JORF n°0299 du 26 décembre 2019 ». 4 Etude CCFA 2020 V4.indd 4 27/01/2020 14:03
Données du véhicule connecté et concurrence : quels enjeux économiques et juridiques ? Avertissement La présente note a été préparée par les cabinets Deloitte et Fréget & Associés à la demande du Comité des constructeurs français d’automobiles (ci-après « CCFA ») selon la portée et les limites énoncées ci-dessous. La note a été préparée dans le seul but de présenter notre analyse de la pertinence d’une régulation ex ante de l’accès aux données des véhicules. Elle ne doit pas être utilisée à d’autres fins ou dans un autre contexte et Deloitte et Fréget & Associés déclinent toute responsabilité en cas d’utilisation non conforme. La note est destinée à l’usage exclusif du CCFA, qui peut la diffuser sous sa responsabilité. Aucune autre partie que le CCFA n’a le droit de se fonder sur la note pour quelque motif que ce soit et Deloitte et Fréget & Associés déclinent toute responsabilité envers toute autre partie que le CCFA à l’égard de la note ou de son contenu. Les informations contenues dans la note sont le fruit de notre analyse, nous ont été transmises par le CCFA ou proviennent d’autres sources clairement référencées dans les sections pertinentes de la note. Bien que cette note ait été préparée en toute bonne foi et avec le plus grand soin, Deloitte et Fréget & Associés ne garantissent, de manière expresse ou implicite, l’exactitude ou l’exhaustivité des informations qu’elle contient. En outre, les résultats de l’analyse contenue dans la note se fondent sur les informations disponibles au moment de la rédaction de la note (septembre 2019). Les exemples figurant dans la note n’ont qu’un caractère illustratif et ne constituent en aucun cas une recommandation ou une approbation par Deloitte et Fréget & Associés d’investir dans l’un des marchés cités ou l’une des sociétés mentionnées ou d’utiliser leurs services. Deloitte et Fréget & Associés déclinent toute responsabilité découlant de l’utilisation de la note et de son contenu, y compris toute action ou décision prise à la suite d’une telle utilisation. 5 Etude CCFA 2020 V4.indd 5 27/01/2020 14:03
Données du véhicule connecté et concurrence : quels enjeux économiques et juridiques ? Sommaire 8 1. Introduction 1.1 Contexte 10 1.2 L es dispositions relatives à l’accès aux données des véhicules promulguées dans la loi d’orientation des mobilités 12 es enjeux d’une régulation ex ante dans le contexte actuel 1.3 L de rupture technologique et environnementale 14 Page 6 16 2. Une intervention publique via l’établissement d’une régulation ex ante de l’industrie n’est ni nécessaire ni justifiée 2.1 L es principes prévalant au sein d’une économie de marché imposent de limiter le recours à des régimes de régulation ex ante, comme le montre la régulation au sein du secteur des télécoms 18 Page 14 2.2 A ucune défaillance de marché conduisant à l’absence de concurrence effective n’est constatée 21 2.3 L ’application des règles de droit commun de la concurrence est suffisamment efficace pour prévenir d’éventuels problèmes de concurrence ou défaillances persistantes de marché 28 6 Etude CCFA 2020 V4.indd 6 27/01/2020 14:03
Données du véhicule connecté et concurrence : quels enjeux économiques et juridiques ? 32 3.Une intervention des pouvoirs publics pourrait être contre-productive 3.1 U n risque d’effets néfastes sur l’investissement et l’innovation 34 3.2 D es distorsions qui fragilisent les acteurs français par rapport aux autres constructeurs européens et mondiaux 40 Page 30 42 4. L e dispositif d’intervention est inadapté au contexte du marché en cause Page 40 48 5. Conclusion Page 46 7 Etude CCFA 2020 V4.indd 7 27/01/2020 14:03
Données du véhicule connecté et concurrence : quels enjeux économiques et juridiques ? 1. Introduction 8 Etude CCFA 2020 V4.indd 8 27/01/2020 14:03
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Données du véhicule connecté et concurrence : quels enjeux économiques et juridiques ? 1.1 Contexte font des véhicules autant de « centres de recueil de données digitalisées » tenant tant L’industrie automobile représente un poids au fonctionnement interne de ces véhicules considérable dans l’économie française, qu’à leurs interactions avec l’extérieur. Ainsi, avec un chiffre d’affaires de 155 milliards à mesure que les constructeurs implé- d’euros en 2018, selon les chiffres fournis mentent dans leurs véhicules des capteurs par la Direction générale des entreprises. de plus en plus sophistiqués et précis, Cela correspond à pas moins de 18 % du ils les mettent en situation de pouvoir chiffre d’affaires de l’ensemble de l’indus- produire des données et de les échanger trie manufacturière en France et à près de entre véhicules (V2V), entre le véhicule et 400 000 emplois1. En outre, la filière automo- l’infrastructure (V2I) et entre le véhicule et bile est celle qui dépose le plus de brevets un tiers extérieur quel qu’il soit (V2X). Les en France, avec un investissement de plus constructeurs s’assurent que le système de 5,8 milliards d’euros en Recherche & Dé- du véhicule peut effectuer ces échanges veloppement (« R&D ») en 20182. Au niveau via plusieurs technologies, du WIFI (G5) européen, 13,3 millions de personnes jusqu’au réseau de télécommunications (4G travaillent directement ou indirectement aujourd’hui, mais demain 5G). dans ce secteur, ce qui représente 6 % de l’ensemble des travailleurs européens3. Les données recueillies à l’aide des nouvelles technologies et pouvant être échangées Cette industrie est aujourd’hui confrontée sont très variées. Elles peuvent concerner à une rupture technologique majeure, la circulation et son environnement, l’état dont on peut distinguer trois axes de des infrastructures, la conduite, mais aussi transformation : le fonctionnement du véhicule et de ses • en premier lieu, les impératifs environ- équipements. Par exemple, il est possible nementaux exigent le développement et de recueillir des informations concernant l’adoption de véhicules à faibles émissions, la pression des pneus, le kilométrage, la une priorité qui nécessite d’importants consommation de carburant et la charge efforts et investissements ; des batteries d’un véhicule. Ces données • en deuxième lieu, les évolutions techno- pourraient être échangées à distance avec logiques accélèrent la course au dévelop- d’autres acteurs tant au sein de l’écosys- pement des véhicules automatisés. Cette tème d’un véhicule donné (équipementiers, course requiert de lourds investissements, et le cas échéant d’autres constructeurs notamment de la part des constructeurs automobiles), qu’à l’extérieur de celui-ci automobiles français ; (les conducteurs du véhicule, les gestion- • en dernier lieu, l’émergence de nouveaux naires d’infrastructures, les collectivités modes de consommation de la mobilité, locales, etc.). comme les services de transport à la demande ou l’autopartage, tend à L’enjeu de cette transformation numé- transformer les rapports entre parties rique de l’industrie automobile française prenantes et sollicite également un et européenne est considérable. Elle investissement important de la part doit permettre de concevoir des véhicules des constructeurs automobiles pour y performants et sûrs tout en permettant de répondre et adapter leurs offres et leurs générer des services de qualité appuyés modèles économiques. sur les données. Les investissements des constructeurs automobiles, seuls ou en Dans ce contexte de profonde mutation partenariat, permettront d’atteindre ces et de course au véhicule électrique et au- objectifs et l’émergence d’écosystèmes per- tomatisé, les constructeurs automobiles formants au bénéfice des utilisateurs. engagent actuellement des investisse- ments considérables et envisagent d’y La réussite de cette transformation nu- consacrer des sommes importantes sur les mérique est également primordiale pour prochaines années. Ces investissements assurer la compétitivité de l’industrie au- portent à la fois sur l’architecture des tomobile française et européenne au plan véhicules, le développement de nouvelles mondial, notamment face aux nouveaux technologies de stockage de l’électricité, constructeurs américains et chinois. À l’adaptation des moteurs, la conception et l’heure où le secteur de l’automobile doit l’intégration de capteurs, le développement relever des défis majeurs liés aux impéra- de nouveaux systèmes informatiques et de tifs environnementaux et à l’arrivée des solutions d’interopérabilité. Ces derniers nouveaux services de mobilités, l’exploita- 1 https://www.entreprises.gouv.fr/secteurs-professionnels/industrie-automobile-france 2 Ibid. 3 Association des constructeurs européens d’automobiles. Voir : https://www.acea.be/statistics/tag/category/employment-trends 10 Etude CCFA 2020 V4.indd 10 27/01/2020 14:03
Données du véhicule connecté et concurrence : quels enjeux économiques et juridiques ? Figure 1. Les marchés des données et de la vente d’automobiles Marché des données Fournisseurs de données ou de solutions pour la collecte de données Données Autres acteurs Constructeurs automobiles Fournisseurs de services Assurance Info-divertissement Réparation Ecosystème 1 Ecosystème 2 Ecosystème 3 Marché automobile Source : Deloitte tion des données des véhicules connectés collectées par les véhicules sans avoir à est au cœur de ces transformations avec supporter les investissements en capteurs l’émergence de nouvelles opportunités de collecte des données et systèmes de économiques. Qu’il s’agisse ainsi des traitement automatisés de ces données. sociétés d’assurance, des réseaux de répa- rateurs automobiles, des équipementiers, Le modèle économique des services des gestionnaires d’infrastructures ou émergents autour des données du encore des fournisseurs de systèmes de véhicule et les relations entre les différents divertissement embarqués ou mobiles, acteurs restent à construire. Pour mieux de nombreux acteurs s’intéressent aux appréhender ces relations, il est utile de données des véhicules connectés pour distinguer deux marchés : le marché des développer des services personnalisés en données d’une part, et celui de la construc- lien avec la mobilité. Ces acteurs anticipent tion automobile d’autre part. La figure 1 ainsi les gains de productivité qu’ils pour- (ci-dessus) représente ces deux marchés raient réaliser en profitant des données et les acteurs qui les animent. 11 Etude CCFA 2020 V4.indd 11 27/01/2020 14:03
Données du véhicule connecté et concurrence : quels enjeux économiques et juridiques ? Sur le marché des données (entouré en 1.2 Les dispositions relatives à l’accès vert sur la figure 1), les constructeurs auto- aux données des véhicules promul- mobiles font face à une concurrence avec guées dans la loi d’orientation des plusieurs acteurs en mesure de fournir des mobilités données ou des solutions de collecte de données à des fournisseurs de service tiers C’est dans ce contexte de rupture techno- situées au sein ou en dehors de la filière logique et concurrentielle que le législateur automobile (par exemple : compagnies a édicté des dispositions visant à encadrer d’assurances, acteurs de la réparation et l’accès aux données générées par les véhi- la maintenance, entreprises de divertisse- cules dans le cadre de la loi d’orientation ment, pouvoirs publics). Sur le marché au- des mobilités (ci-après « LOM » ou « Loi tomobile (entouré en bleu sur la figure 1), la d’orientation des mobilités »)6. Les principes digitalisation croissante des véhicules et les généraux édictés à l’article 32 de la loi interactions entre différents objets connec- d’orientation des mobilités seront précisés tés participent d’une tendance croissante à par des mesures qui seront prises par voie l’achat non seulement de véhicules, mais de d’ordonnance par le Gouvernement dans « paquets » de biens et de services associés un délai de 12 mois7, puis ratifiées par le au véhicule : les constructeurs fournissent Parlement. des véhicules (biens primaires) auxquels sont associés des services complémen- Sur cette question de l’organisation et de taires, lesquels s’appuient de plus en plus l’encadrement de l’accès aux données des sur des données internes ou externes au véhicules, la LOM poursuit deux objectifs véhicule (services complémentaires). principaux, à savoir : • la réalisation de missions d’intérêt général On parle alors d’écosystèmes. Un éco- relatives à la détection et la préven- système est défini comme « un ensemble tion d’accidents, à la connaissance de d’entreprises produisant des biens et des l’infrastructure et du trafic routier, aux services concurrents ou complémentaires, missions judiciaires et d’enquêtes tech- qui fonctionnent conjointement afin de niques et de sécurité et à l’organisation de créer un nouveau marché et de produire la mobilité ; des biens et des services valorisés par les • le développement de biens ou services consommateurs 4. » Le principe clé des éco- complémentaires s’appuyant sur les systèmes réside dans la complémentarité données des véhicules connectés qui entre un bien « primaire » et un ensemble serait encouragé par l’ouverture de l’accès de biens et/ou services « secondaires », qui à ces données à des conditions tarifaires crée des effets de réseaux5. Plus un écosys- encadrées. tème est dynamique et attire de nouveaux offreurs/demandeurs, plus le service offert Plus précisément, la Loi d’orientation des est valorisé par les consommateurs. mobilités prévoit une série de dispositions organisant l’accès aux données du véhicule, Les constructeurs automobiles se re- notamment aux articles 25 et 32. trouvent ainsi au cœur d’un phénomène de transformation de l’automobile, qui les Certaines constituent des mesures d’ap- place en position d’offreurs de données, plication de plusieurs règlements euro- mais aussi d’animateurs-concepteurs péens, notamment le règlement délégué d’écosystèmes groupant leurs véhicules et 2017/1926 de la Commission du 31 mai de multiples services (notamment digitaux). 20178, qui concerne la mise à disposition, La parfaite compréhension de ces spéci- dans l’ensemble de l’Union, de services d’in- ficités est primordiale pour permettre aux formations sur les déplacements multimo- pouvoirs publics d’intervenir efficacement daux. Il en va ainsi de l’article 25 de la LOM sur ces marchés. qui concerne les données de déplacement et de mobilité, statiques ou dynamiques azlett et al. (2011), “Walled Garden Rivalry: The Creation of Mobile Network Ecosystems”. George Mason University Law and Economics Research Paper Series, 11 (50). 4H Voir aussi : Autorité de la concurrence, CMA (2014), « Analyse économique des systèmes ouverts et fermés ». 5L es effets de réseau font référence aux bénéfices ou à l’incrément de valeur que crée un utilisateur additionnel d’un bien ou d’un service sur les autres utilisateurs. Lorsque ce phénomène est présent, un nombre incrémental d’utilisateurs augmente donc la valeur d’un bien ou d’un service. oi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités publiée au JORF n° 0299 du 26 décembre 2019. 6L 7L ’article 32 de la Loi d’orientation des mobilités autorise ainsi le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de 12 mois à compter de la promulgation de la LOM, « toute mesure relevant du domaine de la loi afin de […] permettre un accès non discriminatoire aux données pertinentes des véhicules pour le développement des services liés au véhicule de réparation, de maintenance et de contrôle technique automobile, d’assurance et d’expertise automobile, des services s’appuyant sur la gestion de flottes, des services de distribution de carburants alternatifs tels que définis par la directive 2014/94/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs et des services innovants de mobilité attachée au véhicule ». èglement délégué (UE) 2017/1926 de la Commission du 31 mai 2017 complétant la directive 2010/40/UE du Parlement européen et du Conseil, publié au JOUE L 272 8R du 21 octobre 2017. 12 Etude CCFA 2020 V4.indd 12 27/01/2020 14:03
Données du véhicule connecté et concurrence : quels enjeux économiques et juridiques ? (taux d’affluence et de remplissage, tarifica- les conditions opérationnelles et financières tion pratiquée, circulation, géolocalisation, de l’accès aux données des véhicules selon etc.) et qui définit notamment les modalités différents contextes et usages. d’accès aux données en ce qui concerne les modes de transport à la demande, Cette obligation interdirait de facto aux par exemple, les voitures proposées en constructeurs automobiles de prévoir des libre-service par les constructeurs. exclusivités contractuelles — supprimant leur droit fondamental de propriété sur le D’autres ne résultent d’aucune disposition résultat de leurs investissements — et au issue du droit de l’Union, comme l’article marché de définir le retour sur investisse- 32 (6°) de la Loi d’orientation des mobilités ments adapté pour la fourniture de ces qui s’appliquerait dès lors exclusivement en données des véhicules connectés. France et non aux autres pays de l’Union européenne. L’objet de cette disposition, De ce fait, ce dispositif s’inscrit dans une introduite au cours du débat parlementaire, approche de régulation ex ante du modèle est d’organiser un accès à un spectre plus économique des relations d’affaires et de large de données que celles prévues par coopération entre les constructeurs auto- le règlement européen précité. Sont ainsi mobiles et le reste des parties prenantes. Le concernées non seulement des données de terme de régulation ex ante est ici utilisé au déplacement, mais également des données sens large pour faire référence à l’interven- techniques et potentiellement sensibles tion des pouvoirs publics sur le marché par pour la sécurité du véhicule (données l’édiction de règles visant à fixer les condi- moteur, données de vitesse, géolocalisation, tions d’accès aux données des véhicules et à usure des pneus, etc.), relatives au fonction- réglementer les types de relations possibles nement, à l’entretien ou la réparation des sur le marché (quand bien même il n’est pas véhicules. L’accès à ces données aurait une envisagé à ce stade d’intervention active finalité purement commerciale liée au déve- d’un régulateur spécialisé). loppement de services de mobilités. Alors que les investissements des construc- C’est très précisément cette disposition, teurs automobiles doivent impérativement ainsi que les modalités d’application qui être protégés afin de permettre l’émergence seront définies ultérieurement par le Gou- d’un écosystème et de données de qualité vernement par la voie de l’ordonnance, tout en protégeant la sécurité des véhicules purement nationale et ne dérivant pas et des utilisateurs, la Loi d’orientation des d’un texte réglementaire européen, qui est mobilités ainsi que le projet d’ordonnance l’objet de la présente note. en préparation tendent au contraire à forcer une ouverture de ces données à des tarifs En pratique, cette disposition de la Loi réglementairement fixés via une régulation d’orientation des mobilités et l’ordonnance ex ante que rien n’appelle, ce qui ne peut associée tendront à limiter la possibili- que conduire à l’effet inverse. té pour les constructeurs automobiles intervenant sur le marché français de L’objet de ce présent rapport est d’analyser définir, selon leurs objectifs et stratégie les risques que ce mode de régulation en commerciale, l’accès aux données qui vont voie de définition peut entraîner. être produites et collectées par leurs véhi- cules et qui sont le produit de leurs seuls investissements. Le législateur prévoit de 1.3 Les enjeux d’une régulation ex ante permettre un accès non discriminatoire aux dans le contexte actuel de rupture données pertinentes des véhicules pour technologique et environnementale le développement d’un ensemble large de services spécifiquement énumérés (répa- L’importance des chiffres cités en introduc- ration, maintenance, contrôle technique tion met en lumière la portée des enjeux automobile, assurance, expertise auto- relatifs à la mise en place d’une régulation mobiles, gestion de flottes, distribution de portant sur les véhicules connectés. La mise carburants alternatifs) et, d’une manière en place d’un encadrement réglementaire encore plus large, « des services innovants nouveau ne représenterait pas un enjeu de mobilité attachée au véhicule ». aussi fondamental si cette régulation ne présentait pas la double particularité déter- Afin de mettre en œuvre cette notion minante : d’accès non discriminatoire, le projet •de vouloir régler non seulement les d’ordonnance en cours de préparation rapports entre les constructeurs automo- envisagerait de permettre aux pouvoirs biles et leurs clients, mais aussi l’écosys- publics français — et eux seuls — de fixer tème qu’ils ont structuré autour de leurs 13 Etude CCFA 2020 V4.indd 13 27/01/2020 14:03
Données du véhicule connecté et concurrence : quels enjeux économiques et juridiques ? produits (fournisseurs et équipementiers prises de produire les biens et/ou services D’un point de vue en amont, acteurs de la maintenance/ré- qu’elles désirent, et tout particulièrement économique, aucune paration et autres acteurs en aval) et leurs leur liberté de choisir leurs partenaires interactions avec des acteurs relevant commerciaux, emporte plus d’effets régulation ou de secteurs économiques foncièrement pervers que de possibilités de gains. Ce réglementation n’est différents comme les assureurs ou les fournisseurs de services d’info-divertis- type de réglementation prédétermine en effet par avance l’issue des discussions « en soi » bénéfique sement à l’aval pour ne citer que les plus entre les parties prenantes, en accordant évidents ; à un des acteurs (ici le fournisseur de si elle ne vise pas un • d ’intervenir au moment d’une rupture services) une position plus avantageuse supplément d’efficacité technologique plus globale, liée à l’élec- et donc en favorisant les solutions qu’il trification et à l’automatisation des veut promouvoir au détriment de celles économique. Elle ne véhicules ainsi qu’à la mutualisation des de son partenaire (ici le constructeur). En services de mobilité, qui mobilise toute la réaction, celui-ci va alors tenter de limiter peut et ne doit être chaîne de valeur. les conséquences de l’obligation qui lui a envisagée que lorsqu’il été imposée par les moyens dont il dispose, Dans ce contexte, il est capital d’exami- c’est-à-dire en diminuant ses investisse- a été constaté que ner la pertinence et la nécessité de cette ments. L’atténuation de la rivalité entre les constituants de l’offre (les vendeurs) et la certains marchés ne régulation sur un plan économique et juridique sur le fondement des mêmes canalisation de la demande des acheteurs fonctionnaient pas de grilles d’analyse juridique et économique qui s’ensuit va ainsi affecter les décisions qui sont appliquées de manière commune d’investissement, de production, de dis- manière optimale. aux autres secteurs technologiques (télé- tribution et de consommation. Pour les communications, énergie) depuis près de consommateurs, ces restrictions vont par 30 ans et l’auraient été si le texte en cause conséquent réduire leur liberté de choisir provenait de la Commission européenne. les biens/services qui leur conviennent le mieux parmi l’éventail des possibilités sur D’un point de vue économique, aucune le marché puisque la réglementation aura régulation ou réglementation n’est « en prédéterminé les biens qui peuvent leur soi » bénéfique si elle ne vise pas un sup- être proposés. plément d’efficacité économique. Elle ne peut et ne doit être envisagée que lorsqu’il Dès lors, et avant même de concevoir des a été constaté que certains marchés ne règles affectant l’un des paramètres de la fonctionnaient pas de manière optimale rivalité entre entreprises, notamment lors- et qu’il apparaît possible de définir des qu’il s’agit de l’obliger à fournir ses services règles qui résoudraient cette sous-op- à un tiers ou de restreindre la manière timalité sans créer des effets pervers. dont il fixe et conçoit ses prix, deux ques- Ainsi, comme le rappellent de manière tions doivent être posées. constante les autorités de concurrence9, la rivalité entre acteurs de marché, qu’ils La première est celle de la nécessité, soient concurrents ou à des niveaux diffé- mesurée et objectivement établie, d’une rents de la chaîne de production, stimule régulation. La régulation proposée ré- l’esprit d’entreprise et la productivité et pond-elle à une ou plusieurs défaillances permet de faire baisser les prix, d’élargir la de marché qui justifieraient une telle variété et d’améliorer la qualité des biens intervention ? Quels sont les risques spé- et services. La régulation des marchés n’in- cifiques qu’elle adresserait ? Il ne s’agit pas tervient donc que dans des circonstances de retenir dans l’abstrait une projection exceptionnelles et pour remédier à des de ce que pourrait ou devrait être de son défaillances de marché bien identifiées10. point de vue une organisation optimale En pratique, c’est le cas lorsque les essais du marché, mais de se demander si et erreurs des acteurs économiques, celui-ci est à ce point défaillant qu’il faille agissant librement, ne permettent pas le contraindre. d’atteindre la meilleure allocation de ressources possible du point de vue de La seconde question est celle de ses effets l’efficacité économique. indésirables. Ces effets néfastes peuvent constituer des effets collatéraux de l’objec- En l’absence d’une défaillance de marché tif visé ou être dus à la survenance d’effets identifiée, restreindre la liberté des entre- non anticipés, au-delà de l’objectif visé. Il 9V oir par exemple l’explication de la Commission européenne quant à l’importance de la politique de la concurrence pour les consommateurs, disponible à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/competition/consumers/why_fr.html, ou l’explication de l’Autorité de la concurrence dans les sections « choix » et « concurrence » de la publication « 50 mots pour comprendre la concurrence », disponible à l’adresse suivante : http://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/50mots.pdf. 10 L es défaillances de marchés sont des situations où l’allocation de biens et de services dans un marché n’est pas efficiente, ce qui réduit le bien-être. Elles peuvent émerger lorsqu’il existe des problèmes d’asymétries d’information, des externalités, des biens publics, des monopoles naturels, etc. 14 Etude CCFA 2020 V4.indd 14 27/01/2020 14:03
Données du véhicule connecté et concurrence : quels enjeux économiques et juridiques ? s’agit notamment des effets de distorsion Or, notre analyse montre au contraire sur les incitations à l’investissement et qu’il existe des doutes sérieux quant à la Notre analyse montre partant sur l’innovation, ainsi que sur les pertinence d’une telle régulation : qu’il existe des doutes relations de concurrence/coopération entre • s a nécessité n’est pas démontrée : les parties prenantes. forces concurrentielles présentes sur le sérieux quant à la Il apparaît que le législateur, dans le cadre marché suffisent à discipliner les construc- teurs automobiles et à assurer des incita- pertinence d’une telle de l’édiction des dispositions de la LOM qui tions fortes à l’efficacité et l’innovation ; régulation. prévoit une régulation ex ante de l’accès •e lle est porteuse d’effets néfastes aux données du véhicule connecté, n’a majeurs pour l’industrie française et effectué aucune analyse approfondie sur plus vraisemblablement européenne ces deux points, ni plus largement sur la puisque la plus grande part des véhi- compatibilité d’une telle régulation aux cules mis sur le marché français est des principes fondamentaux relatifs à la liberté véhicules conçus par des Européens, à de commerce et à la propriété intellectuelle, la fois en termes d’innovations et d’affai- comme en témoigne l’absence de réponse blissement dans la concurrence interna- à ces questions les travaux parlementaires. tionale ; Il n’apparaît pas non plus que ce texte ait • le dispositif envisagé ne paraît pas per- été soumis préalablement à la Commission tinent au vu du contexte juridique et régle- européenne alors que cette procédure est mentaire. Il soulève en effet de sérieuses obligatoire lorsqu’un État membre entend interrogations de conformité à certains imposer de nouvelles réglementations tech- principes constitutionnels (au regard niques et règles relatives aux services de la notamment du droit de propriété et de la société de l’information11. liberté de commerce et d’industrie). La démonstration de la pertinence d’une La section 2 analyse la question de la né- régulation ex ante n’a donc pas même été cessité d’une telle régulation, à la fois sous engagée. l’angle économique et juridique. La section 3 met en évidence les effets néfastes poten- tiels de la régulation. La section 4 montre que, même en cas d’accord sur le principe d’une intervention (quod non), le dispositif envisagé n’apparaît pas pertinent. 11 C onformément à la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, publiée au JOUE L 241 du 17 septembre 2015, p. 1-15. 15 Etude CCFA 2020 V4.indd 15 27/01/2020 14:03
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Données du véhicule connecté et concurrence : quels enjeux économiques et juridiques ? 2. U ne intervention publique via l’établissement d’une régulation ex ante de l’industrie n’est ni nécessaire ni justifiée 17 Etude CCFA 2020 V4.indd 17 27/01/2020 14:03
Données du véhicule connecté et concurrence : quels enjeux économiques et juridiques ? La réponse à la question de la nécessité 2.1.1 La liberté contractuelle et com- de la régulation passe par une analyse à merciale des acteurs comme la fois des conditions économiques des principe cardinal marchés concernés et des conditions juridiques qui rendent légitimes une inter- La liberté de chaque acteur de mener vention étatique sous forme de régulation sa politique commerciale comme il ex ante. l’entend et de contracter avec les per- sonnes de son choix, en application du Après avoir rappelé les principes enca- principe de liberté de commerce et d’in- drant la mise en place d’une régulation ex dustrie, a valeur constitutionnelle12. L’une ante et l’autorisant à certaines situations des raisons fondamentales pour laquelle spécifiques de marché (2.1.), une analyse les opérateurs doivent pouvoir choisir les des conditions des marchés sur lesquels partenaires avec lesquels ils contractent et évoluent les constructeurs automobiles sous quelles conditions tient à ce qu’ils sont démontre que la mise en place d’une régu- les seuls à pouvoir évaluer le retour qu’ils lation ex ante est parfaitement injustifiée. estiment adéquat sur les investissements L’absence d’une quelconque défaillance de consentis et supporter les conséquences marché est ainsi flagrante — et ce d’autant de leurs éventuelles erreurs (pertes) ou plus que le législateur n’invoque aucune réussites (profits). De cette liberté découle défaillance de marché actuelle au soutien le principe selon lequel tout acteur sur un des dispositions édictées —, les construc- marché doit avoir la possibilité de choisir les modalités auxquelles il souhaite contrac- teurs automobiles étant disciplinés par la ter et organiser l’accès à son produit. Le concurrence naturellement présente sur respect de ce principe est d’autant plus les marchés en cause (2.2.). Quand bien fondamental lorsque les investissements même d’éventuels problèmes de concur- consentis portent sur des actifs immatériels rence ou défaillance de marché venaient à comme les données des véhicules connec- se faire jour dans le futur — ce qui n’est ab- tés dont la propriété est plus difficile à faire solument pas démontré —, ces problèmes respecter : il faut alors admettre que celui de concurrence et défaillance pourront qui a consenti à un investissement dispose être adéquatement traités par le droit de la du droit exclusif d’autoriser ou de refuser concurrence (2.3.). l’accès à ses investissements. Le respect de cette liberté est particulière- 2.1 Les principes prévalant au sein ment défendu par le droit de l’Union euro- d’une économie de marché péenne comme étant un acquis des ordres imposent de limiter le recours à juridiques de tous les États membres. des régimes de régulation ex ante, L’Avocat Général Jacob a ainsi rappelé que comme le montre la régulation au « les droits des États membres [de l’Union sein du secteur des télécoms européenne] considèrent tous la liberté de contracter comme un élément essentiel de La mise en place d’une régulation la liberté du commerce13» et « le droit de ex ante, telle que prévue dans la Loi choisir ses partenaires contractuels et de d’orientation des mobilités, contraindrait disposer librement de sa propriété sont fortement les acteurs présents sur le des principes universellement consacrés marché, en restreignant sensiblement leur dans les systèmes juridiques des États liberté commerciale et contractuelle en membres, en revêtant parfois un caractère violation des principes fondamentaux en constitutionnel » de sorte que « les atteintes vigueur dans une économie ouverte. Ces à ces droits exigent d’être soigneusement principes, parmi lesquels figure le principe justifiées14. » de liberté de commerce et d’industrie, imposent que la régulation reste canton- Le droit de propriété est en effet, comme née à certaines situations spécifiques, l’a rappelé l’Autorité de la concurrence, comme il ressort d’ailleurs des conditions « l’un des fondements nécessaires au imposées par le droit européen dans le fonctionnement de l’économie de marché cadre de la régulation du secteur des télé- et au développement dynamique de nos communications. sociétés15. » La préservation du droit de pro- 12 L e Conseil constitutionnel juge ainsi de manière constante que la liberté contractuelle induit le droit de contracter ou de refuser de contracter (décision du Conseil constitutionnel du 18 décembre 2003, n° 2003-487-DC), le droit de choisir son cocontractant (décision du Conseil constitutionnel du 13 juin 2013, n° 2013-672-DC) mais également le droit de choisir le contenu du contrat que l’on souhaite conclure (décision du Conseil constitutionnel du 18 décembre 2003 précitée). 13 Conclusions de l’avocat général M.F.G. Jacobs présentées le 28 mai 1998 dans l’affaire Bronner (C-7/97), point 53. 14 Conclusions de l’avocat général M.F.G. Jacobs présentées le 28 mai 1998 dans l’affaire Bronner (C-7/97), point 56. 15 A vis n° 02-A-08 du Conseil de la concurrence du 22 mai 2002 relative à la saisine de l’Association pour la promotion de la distribution de la presse, page 9. 18 Etude CCFA 2020 V4.indd 18 27/01/2020 14:03
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