Serious Games : A quoi jouent les futurs managers ?
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Serious Games : A quoi jouent les futurs managers ? Enjeux et stratégie d’intégration des jeux de simulation dans l’enseignement supérieur Hélène MICHEL (Grenoble Ecole de Management – helene.michel@grenoble-em.com) Imed BOUGHZALA (Institut TELECOM/T&M Sud Paris- imed.boughzala@it-sudparis.eu) Contexte et objectif En 2010, l’Institut de l’Entreprise, le Cercle de l’Entreprise et du Management et la FNEGE ont souligné la nécessité de « repenser la formation des managers ». Ils ont notamment préconisé de mieux intégrer les soft skills dans l’apprentissage. Ces savoir-être font référence de façon générale aux compétences relationnelles. Elles intégreraient également « l’esprit d’entreprise, le leadership, le sens de l’innovation, l’adaptation au changement, le sens du risque, le sens du compromis gagnant, en somme toute la diplomatie managériale par laquelle un manager, apprécié de ses subordonnés comme de ses supérieurs, atteint la création de valeur harmonieuse et sans heurts » (Institut de l’Entreprise, 2010). Comme le soulignent les auteurs, enseigner les soft skills est une gageüre pédagogique. Des initiatives existent, misant sur l’apprentissage par essai-erreur, les mises en situation, l’accompagnement individuel ou le coaching. Toutefois, alors que la qualité de ces dispositifs repose souvent sur une personnalisation du suivi, il reste complexe et extrêmement coûteux d’envisager leur déploiement sur des promotions importantes d’étudiant. Le développement des serious games ou jeux de simulation à vocation professionnelle et pédagogique ouvrent alors de nouvelles possibilités. En effet, ces simulations permettent aux apprenants de s’immerger dans des environnements 3D en jouant par exemple un manager effectuant un entretien de recadrage, un chef de projet délégant des tâches à son équipe, un commercial détectant le besoin d’un client etc. Aujourd’hui, les pratiques dans l’enseignement supérieur sont encore balbutiantes et très hétérogènes : Détournement de jeux existants, abonnement à des « stores », commande de simulations sur mesure ou expérimentation d’outil-auteur afin de créer soir-même ses serious games. Quel type d’intégration du serious game retenir pour un organisme 1 Serious Games : A quoi jouent les futurs managers ?
d’enseignement supérieur? En fonction de quels enjeux ? Avec quelles perspectives ? Cet article clarifiera la notion de serious games en tant que dispositif d’apprentissage. Il identifiera leurs critères de choix de type et proposera quatre stratégies d’intégration dans l’enseignement supérieur. 1. De l’entraînement des pilotes de chasse à l’enseignement des soft skills auprès des étudiants : Généalogie des serious games Alvarez (2007) définit les serious games comme des « applications informatiques, dont l’intention initiale est de combiner à la fois des aspects sérieux (Serious) [..], avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo (Game). Une telle association s’opère par l’implémentation d’un scénario pédagogique, qui sur le plan informatique correspondrait à implémenter un habillage (sonore et graphique), une histoire et des règles idoines, a donc pour but de s’écarter du simple divertissement». Ils s’inscrivent dans plusieurs courants théoriques et principes d’apprentissage : d’une part dans la lignée des environnements informatiques pour l’apprentissage humain, d’autre part dans les principes d’apprentissage par mise en situation, promulguant le droit à l’erreur. La généalogie des serious games peut se décomposer en quatre périodes (Michel et al, 2010). Tout d’abord, dès 1924, avec l’avènement des machines à apprendre telle que la Drum Tutor de Pressey (Figure1), l’apprenant devient responsable de son apprentissage. Figure 1 : Drum Tutor de Pressey (1924) 2 Serious Games : A quoi jouent les futurs managers ?
A partir de 1946 avec le projet Whirlwind du MIT, l’introduction de la simulation permet aux pilotes d’avions militaires de s’entraîner en univers contrôlé. L’apprentissage se fait alors par essai-erreur dans une approche systémique. Les apprenants sont complètement immergés dans ce qu'ils font, dans un état de concentration maximal. Cet état mental, le flow - ou état de flux, leur donner alors un sentiment d’engagement et de réussite (Csíkszentmihályi, 1990). Figure 2 : Projet Whirlwind (MIT- 1946) A partir de 1982, la démocratisation des jeux vidéo a permis de diffuser auprès du grand public le recours aux simulateurs, par exemple avec « Flight Simulator ». Figure 3: Flight Simulator 3 Serious Games : A quoi jouent les futurs managers ?
Depuis les années 2000, ces jeux se professionnalisent. Leur approche ludique est mobilisée afin d’améliorer la motivation et la capacité perçue de l’individu à traiter une information complexe (Petty, R. E., & Cacioppo, 1986). Dans les années 2000, les entreprises, et majoritairement les grands comptes, les mobilisent dans le cadre de formation continue, non seulement pour des compétences techniques (gestion etc.) mais aussi, et surtout, pour des soft skills afin des valoriser des dimensions interrelationnelles et comportementales. De nombreux jeux ont ainsi été développé sur les thèmes de : savoir-vivre en entreprise, négocier avec un client, faire passer un entretien annuel etc. Figure 4 : Serious Game pour la formation continue Cependant, il faudra attendre les années 2010 pour que le monde académique, pourtant aguerri depuis plusieurs décennies aux simulations de gestion (avec des Business Games tels que Markstrat, Simgest etc.), commence à se saisir de ces outils. 2. Business Vs. Serious Games : le jeu des 6 différences De nombreuses questions émergent autour des différences entre business et serious games. Deux lectures coexistent permettant de comprendre comme s’articulent ces derniers. La première approche est intégrative. Elle considère les business games comme une catégorie des jeux pour l’apprentissage (ou learning games), eux-mêmes étant une catégorie des serious 4 Serious Games : A quoi jouent les futurs managers ?
games (parmi les jeux pour la communication externe, interne, de détection de potentiel etc.). Les business games seraient ainsi une forme de serious games destinés à la formation, initiale ou continue, sur les fondamentaux des sciences de gestion (gestion d’entreprise, marketing, stratégie etc.). Ils reposeraient sur des dimensions communes : mobilisation d’une interface technique, utilisation des ressorts du jeu selon Caillois (1967) : la compétition, le simulacre, le hasard, l’impression de vertige. Figure 6 : L’approche intégrative des Business et Serious Games Business Games Learning Games Serious Games La deuxième approche met en exergue les différences entre business et serious Games selon trois dimensions : pédagogie, technologie et animation. Ainsi, le Business Game vise généralement à faire acquérir à l’apprenant une compétence ou savoir-faire comme la gestion budgétaire, l’analyse financière etc. Pour ce faire, il lui proposera de prendre les manettes d’une entreprise virtuelle. L’interface technologique se présentera généralement sous forme de tableaux de bord. L’immersion sera favorisée par un environnement multi-joueurs, avec la présence simultanée dans cet environnement de plusieurs entreprises virtuelles jouées par des équipes concurrentes. Ceci fait monter le niveau de hasard et de challenge perçu et renforce la dimension ludique. La technique d’animation du dispositif passe souvent par la constitution d’équipes d’apprenants qui vont travailler ensemble et en présentiel sur une période assez longue (15h en moyenne) pour avancer dans la simulation. Le serious game, tel qu’il est communément cité aujourd’hui, semble se concentrer sur l’apprentissage (ou plutôt l’entraînement) à des comportements ou savoir-être (négocier, détecter un besoin client, savoir-vivre en entreprise etc.). L’unité jouée par l’apprenant n’est pas un individu mais un individu (manager, collaborateur, commercial etc.). L’interface 5 Serious Games : A quoi jouent les futurs managers ?
technique utilise la 3D immersive et permet à l’apprenant de plonger un avatar personnalisable dans un environnement virtuel au graphisme rappelant les jeux vidéo. Il joue non par contre d’autres apprenants, mais contre une intelligence artificielle. D’un point de vue animation, le serious game est souvent conçu pour être utilisé auto-formation par un apprenant seul plutôt qu’une équipe et de façon courte (1h en moyenne). Aujourd’hui, business et serious games constituent deux dispositifs très complémentaires. Tableau 1: Comparaison entre business et serious games Dimensions Critères Business Game Serious Game Dimension travaillée Compétences Comportements grâce au dispositif Pédagogie Unité jouée Entreprise Individu Ergonomie Tableaux de bords, 3D immersive, avatar Technologie fichier Nombre de joueurs en Multi-joueurs Mono-joueur ligne Conditions de jeu Souvent en équipe se Souvent individuel, Animation retrouvant en présentiel en auto-formation Durée moyenne du jeu 15h 1h 3. Identifier les enjeux du dispositif d’apprentissage Choisir un dispositif d’apprentissage pour des apprenants nécessite d’identifier au préalable les principaux enjeux auxquels l’organisation souhaite répondre par ce procédé. En effet, les enjeux d’un dispositif d’apprentissage dépassent largement la seule mission de la formation. Cela questionne également l’organisation et sa stratégie. Et cela se traduit par des objectifs, indicateurs de performance et critères de choix du dispositif très différents. Dans cette perspective, Kirkpatrick (1994) met en évidence quatre dimensions dans l’évaluation d’un dispositif d’apprentissage : - Les réactions : est-ce que ce dispositif vise à améliorer la satisfaction des apprenants ? 6 Serious Games : A quoi jouent les futurs managers ?
- L’apprentissage : est-ce que cela cherche à accroitre leur niveau de connaissance théorique ? - Le comportement : est-ce que cela a pour objectif de faire évoluer leur comportement et leur pratique ? - Les résultats organisationnels : est-ce que l’organisation qui met en place le dispositif cherche des bénéfices tels que la cohésion d’équipe, la valorisation d’un positionnement etc. ? Nous intégrons également la dimension proposée par Philips (2003) : - Retour sur investissement : Est-ce que l’institution vise un gain économique grâce à ce dispositif ? Figure 5 : Modèle d’évaluation de la performance d’un dispositif d’apprentissage Philips (2002) Retour sur investissement Résultats Comportement Knowing- Doing Gap Pfeffer J. and Sutton R. (2000) Apprentissage Réactions Kirkpatrick (1994) Les serious games, en offrant un apprentissage par essai-erreur grâce à la simulation se présentent comme des dispositifs intéressants pour la formation aux soft skills. Ils permettent ainsi de travailler sur une dimension complémentaire du modèle : le Knowing-Doing gap 7 Serious Games : A quoi jouent les futurs managers ?
(Pfeffer et Sutton, 2000). En effet, en permettant d’expérimenter les comportements dans une réalité –virtuelle, même virtuelle, les serious games offrent un système d’aller-retour entre les connaissances théoriques développées (le Knowing) et la mise en pratique (le Doing). Ce procédé pouvant favoriser le transfert entre connaissance théorique et application et ainsi réduire le gap. 4. Les modes d’intégration des Serious Games dans la formation L‘utilisation encore très récente des serious games dans l’enseignement supérieur offre peu d’éléments d’évaluation homogènes. Pour mieux saisir les stratégies mises en œuvre, nous avons mené 2 études de cas au sein de 3 Business School Françaises utilisant des serious games avons conduit des entretiens auprès de 20 parties-prenantes : directeurs d’établissement, directeurs de programme, professeurs responsables de modules, responsable e-learning, directeurs d’entreprise de serious games afin de saisir les enjeux, perspectives d’utilisation et critères de choix dans l’intégration des serious games. Les résultats permettent d’identifier les objectifs privilégiés et de définir quatre modes d’intégration différents des serious games dans l’enseignement supérieur. Lorsqu’un formateur, un responsable de programme ou un directeur d’organisation d’enseignement supérieur souhaite intégrer un serious game dans son dispositif de formation, quatre possibilités s’offrent à lui. Pour définir l’option la mieux adaptée à sa situation, il peut prendre en compte les cinq dimensions de Kirkpatrick (1994) et Philips (2002), dénommées ainsi : • Satisfaction : la satisfaction des apprenants a été principalement envisagée par les acteurs sous l’angle de l’immersion et du plaisir à utiliser le dispositif: Le dispositif favorise-t-il l’immersion de l’apprenant, son état de flux par son graphisme, ses ressorts ludiques etc. ? Ceci se détecte, par exemple, par de meilleures notes d’évaluations des enseignements. • Apprentissage : les répondants ont souligné la nécessité de l’adéquation pédagogique : Le sujet traité dans le serious game correspond-il exactement aux objectifs pédagogiques du formateur, au niveau des étudiants etc. ? • Comportement : quelle transférabilité entre ce qui est appris dans le jeu et la réalité du monde professionnel ? Les répondants sont ici intéressés par des critères tels que les 8 Serious Games : A quoi jouent les futurs managers ?
retours faits par les entreprises sur les comportements des stagiaires dans les évaluations réalisées par les tuteurs. • Organisation : l’utilisation du serious game est-elle une démarche uniquement individuelle d’un formateur ou répond-elle à une volonté forte de l’organisation ? quel support organisationnel est fourni ? • Financier : les répondants envisagent cela selon deux temps : à court terme : comment l’acquisition du serious game va-t-elle impacter le budget ? A moyen et long terme : est- ce que l’organisation peut conserver des droits d’auteurs et distribuer ses propres jeux ? Et, ce faisant, faire évoluer son modèle économique ? Suite aux entretiens, nous avons caractérisé quatre stratégies pour intégrer un serious game dans un organisme d’enseignement supérieur : Commander un jeu sur mesure, utiliser des jeux gratuits, acheter des jeux sur étagère ou créer soi-même son jeu grâce à un outil-auteur (voir tableau 2). a. Commander un serious game sur mesure Plusieurs entreprises se sont spécialisées dans la réalisation de serious games sur les softskills. Elles créent des simulations sur mesure, notamment pour des grands comptes. Aujourd’hui, à notre connaissance, aucune institution d’enseignement supérieur n’a fait développer un tel type de serious game, pour des raisons financières. Ceci pourrait évoluer dans les prochaines années avec des coopérations autour de la contribution au scénario et la répartition des droits d’auteurs. • Satisfaction : Avec le développement d’un serious games sur mesure, par des professionnels, l’apprenant bénéficie d’un environnement virtuel soigné, de personnages animés grâce à un moteur d’émotion performant, d’un gameplay ou scénarisation ludique stimulante. Le niveau de satisfaction lié à l’immersion est généralement fort. • Apprentissage : Le jeu étant conçu sur mesure, il doit être en forte adéquation avec les objectifs pédagogiques de la formation et avec le niveau des étudiants. • Comportement : Le jeu étant conçu en respectant l’objectif pédagogique et avec une immersion forte, la transférabilité attendue est forte. • Organisation : Pour définir les objectifs pédagogiques, contribuer à la scénarisation, les équipes doivent se coordonner. C’est une implication d’un groupe projet dans l’organisation. Cela représente également d’échanger sur le cœur de métier, les messages à faire passer etc. Ce type de serious game implique ainsi un fort soutien organisationnel. 9 Serious Games : A quoi jouent les futurs managers ?
• Financier : Le soutien se manifeste également d’un point de vue budgétaire, le coût étant très élevé. Le prix d’un serious game est principalement calculé selon le temps de jeu envisagé (ou la richesse du scénario) et les technologies utilisés. Les prix d’entrée sont compris autour de 60 à 80 K euros. Une perspective est la négociation des droits d’auteurs. L’organisation académique pouvant accepter de céder une partie de ses droits sur le jeu en contrepartie d’une négociation financière. Des jeux sur mesure peuvent ainsi coûter « uniquement » 40 K euros. Mais l’entreprise de développement pourra, en contrepartie, utiliser une version générique de ce jeu pour le distribuer dans son « store » (voir ci-après). b. Utiliser un jeu gratuit La deuxième possibilité pour une institution académique est d’utiliser un serious game gratuit, pour un objectif pédagogique nouveau ou différent. Il s’agira ainsi d’utiliser un jeu gratuit, disponible en ligne ou sur smartphone et tablette ou de détourner l’usage que des étudiants font d’un jeu grand public. Par exemple : le jeu en accès libre www.macyberautoentreprise.pme.gouv.fr réalisé pour le Ministère de l’Industrie en 2010 permet de tester ses compétences d’entrepreneur. Plusieurs enseignants l’utilisent dans des séminaires en entrepreneuriat, via le mode administrateur. • Satisfaction : L’apprenant bénéficiera des qualités du jeu, tant d’un point de vue graphique, ergonomique, ludique pour proposer une immersion forte aux apprenants. • Apprentissage : Le formateur mobilisera ainsi un jeu en lui donnant une mission pédagogique. L’adéquation avec l’objectif pédagogique est faible au départ. La responsabilité pédagogique, la contextualisation repose entièrement sur l’enseignant. • Comportement : Même si l’immersion forte, le jeu n’est pas conçu en respectant un objectif pédagogique spécifique pour la formation. De ce fait, la transférabilité attendue est alors modérée. • Organisation : Ce type de dispositif est considéré comme le « dada » d’un passionné ou d’une personne aimant expérimenter d’autres processus pédagogiques. Le soutien organisationnel, financier, humain, etc. est souvent inexistant. L’organisation perçoit cela comme une initiative individuelle mais n’effectue pas de positionnement stratégique sur les serious games. 10 Serious Games : A quoi jouent les futurs managers ?
• Financier : D’un point de vue budgétaire, le coût est gratuit. Toutefois, le formateur et l’organisation ne pourront prétendre à aucun droit d’auteur sur le dispositif. c. Acheter des Serious Games dans un Store Pour obtenir une meilleure adéquation pédagogique, les organismes de formation peuvent acquérir des serious games « sur étagère » auprès d’entreprise de développement de jeux. Ces jeux ont été quasiment tous été créés au départ sur une commande d’un client (généralement un grand compte). Puis une version « générique » a été proposée pour un plus large public, comemrcialisée sous la forme de licence ou d’abonnement. • Satisfaction : Ces jeux proposent un environnement graphique soigné. Même si la dimension ludique est assez limitée, le niveau d’immersion offert est assez important. • Apprentissage : L’objectif pédagogique est clairement défini. Le jeu ayant souvent été réalisé sur une demande d’entreprise au départ, il correspond à des besoins spécifiques et « validés » professionnellement (par exemple : apprendre à détecter un besoin chez un client, conduire une réunion etc.). Ce type de serious game permet une prise en main rapide par des apprenants. Le formateur a moins d’efforts à faire pour créer le lien pédagogique. • Comportement : Ces jeux ayant souvent été d’abord créés sur mesure sur des commandes d’entreprise, puis rendus « génériques », le formateur doit jouer un rôle fort pour contextualiser l’apprentissage et créer une distance critique avec un savoir qui peut être perçu comme « formaté ». • Organisation : Choisir d’acheter un produit sur étagère implique un coût, donc des choix organisationnels. L’abonnement à un store entier renforce cet engagement organisationnel, en nécessitant de définir des conditions d’utilisation, pour quels cours, dans quels programmes etc. • Financier : Ce type de serious game est commercialisé à la licence. Par exemple un jeu coûte autour de 30 euros/étudiant pour une utilisation qui dure en moyenne 1h. La commercialisation se fait également par abonnement. Par exemple le même jeu est commercialisé pour 7.000 euros par an pour une utilisation illimitée. Le modèle de « store » permettant un abonnement complet à l’ensemble des jeux créés par une entreprise existe ainsi depuis 2012. Par exemple, l’abonnement à un store d’une dizaine 11 Serious Games : A quoi jouent les futurs managers ?
de jeux coûte entre 23.000 à 37.000 euros par an. L’investissement financier est donc important. Par ailleurs, l’organisation ne bénéficie d’aucun droit d’auteur. d. Créer soi-même son jeu grâce à un outil-auteur Depuis 2011, des outils-auteurs se développent. Ils doivent permettre à des publics sans expertise technique (de développement, d’informatique, de scénarisation) de créer eux-mêmes leur propre serious game. Des formateurs et professeurs se lancent ainsi dans la scénarisation de leur propre jeu. • Satisfaction : L’outil-auteur offre un support à la scénarisation, un moteur d’émotion, des environnements graphiques et avatars à mobiliser. L’immersion offerte est intéressante mais ne rivalise pas avec les réalisations abouties des offres professionnelles. • Apprentissage : Le jeu étant conçu par un expert du thème, l’adéquation pédagogique est très forte. • Comportement : L’immersion est assez faible, mais l’adéquation pédagogique très forte. De ce fait, la transférabilité est estimée comme forte. • Organisation : Ce dispositif implique un très fort engagement de l’organisation dans la démarche serious game. En effet, au-delà du coup financier, c’est une volonté de l’institution de capitaliser sur des expertises pour les valoriser et les transmettre de façon différente. Créer un jeu n’est pas perçu comme une démarche solitaire d’un enseignant. Cela mobilise et/ou intéresse l’ingénierie pédagogique, la communication, les systèmes d’information etc. La seule création du jeu de 15 minutes un temps homme estimé à minimum 30 jours/homme. • Financier : Utiliser un outil-auteur pour créer un jeu implique un investissement à court terme. Ainsi, acheter une licence d’utilisation d’outil-auteur coûte 7.000 euros minimum pour créer un serious game de 40 minutes, dont 15 minutes de simulation à proprement parler. A cela peuvent se rajouter des frais complémentaires, tels que la création d’un avatar ou environnement graphique personnalisé et un soutien de l’entreprise pour conseiller dans les premières phases de scénarisation. Un jeu peut ainsi revenir à 13.000 euros. Toutefois, tous les droits d’auteurs restent sur l’organisation qui à développer le jeu. Elle peut ainsi l’utiliser indéfiniment, voire le commercialiser directement ou le mettre dans un « store » de serious games qui s’en chargera. A la façon des études de 12 Serious Games : A quoi jouent les futurs managers ?
cas, cela devient une façon de formaliser et capitaliser sur l’expertise du corps professoral pour ensuite la rendre visible et valoriser. Tableau 2 : Les quatre stratégies d’intégration de Serious Games dans la formation Objectifs Visés Modes d’intégration du Serious Game Objectifs Variables Sur mesure Jeu gratuit/ Store Outil- Détournement Auteur 1. Satisfaction Immersion Forte Très forte Modérée Faible 2. Apprentissage Adéquation Forte Faible Modérée Très forte pédagogique 3. Comportement Transférabilité Forte Faible Modérée Forte 4. Organisation Implication Forte Faible Modérée Très forte organisationnelle 5. Financier Budget Elevé Gratuit Modéré Modéré Droits d’auteur Aucun ou Aucun Aucun Propriétaire négociable Conclusion Ce travail souligne le droit à l’erreur et l’importance de l’apprentissage par simulation dans la formation des futurs managers, notamment pour l’enseignement des softskills. En présentant les serious games comme un dispositif innovant pour cette démarche, l’article décrit les enjeux de leur intégration dans les formations académiques. Ainsi, le niveau d’implication organisationnelle traduit la volonté de l’institution de dépasser le cap d’expérimentation individuelle par un enseignant pour s’engager dans une véritable posture pédagogique, avec des répercussions humaines et économiques fortes. Dans cette idée, une organisation peut intégrer l’utilisation des serious games en plusieurs temps, selon quatre stratégies différentes : Elle peut tout d’abord faire expérimenter des serious game gratuits, en accès libre par des enseignants. Puis elle peut engager une démarche d’investissement dans un store, en achetant des jeux « sur étagère » destinés à la formation académique. Ensuite, elle peut commander un jeu sur mesure, sur un de ces champs d’expertise fort. Finalement, elle peut développer de nouvelles compétences en interne en créant de toutes pièces ses ressources pédagogiques grâce à un outil-auteur. Cette dernière étape permet d’envisager une visibilité forte non seulement sur des thèmes d’expertise, mais également sur des dispositifs d’apprentissage innovants. 13 Serious Games : A quoi jouent les futurs managers ?
Bibliographie Alvarez J. (2007), Du jeu vidéo au Serious Game : Approches culturelle, pragmatique et formelle, Thèse Université de Toulouse, p51. Caillois R. (1967), Les jeux et les hommes, Gallimard, Paris. Csikszentmihalyi, M. (1990), Flow: The psychology of optimal experience, New York: Harper and Row. Gee J. (2007), Good video games and good learning: collected essays on video games, learning, and literacy, Peter Lang, New York. Institut de l’entreprise, le Cercle de l’Entreprise et du Management et la FNEGE (2010), Repenser la formation des managers, Les Notes de l’Institut. Kirkpatrick, D.L. (1994), Evaluating Training Programs: The Four Levels, San Francisco, CA: Berrett-Koehler Michel H., Kreziak D., Héraud. (2010), Evaluation de la performance des Serious Games, pour l’apprentissage : Analyse du transfert de comportement des éleveurs virtuels de Vacheland, Système d’Information Management. Petty, R. E., & Cacioppo, J. T. (1986), Communication and persuasion: Central and peripheral routes to attitude change, New York: Springer-Verlag. Pfeffer, J., & Sutton, R. (2000), The knowing-doing gap, Boston, MA: Harvard Business School Press. Philips J. (2003), Return on Investment in Training and Performance Improvement Programs, 2nd Edition, Jack J. Phillips, Butterworth-Heinemann, Burlington, MA. 14 Serious Games : A quoi jouent les futurs managers ?
Vous pouvez aussi lire