FINANCIER TERRITORIAL - LA LETTRE DU

 
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FINANCIER TERRITORIAL - LA LETTRE DU
LA LETTRE DU
                                    FINANCIER TERRITORIAL
                                                                                               Mars 2021 - N° 363
                                                                                                         Cahier N° 1

 ÉDITORIAL

Le salut par la réforme des règles des finances publiques ?
La crise des finances publiques est-elle propice pour          bilan désabusé de la LOLF : « le cadre et la pratique
une réforme des règles et procédures financières et            budgétaires de l’État restent peu propices à
peut-on attendre de celle-ci des remèdes ? En 2020,            l’efficience de l’action publique. La recherche de
des propositions ambitieuses avaient été publiées, qui         l’efficience des politiques publiques reste marginale
partaient du constat que la LOLF n’a pas tenu toutes           par rapport à la préoccupation du maintien ou de
ses promesses. La Commission sur l’avenir des                  l’augmentation des enveloppes budgétaires. » Les
finances publiques, installée par le Premier ministre le       données sur la situation financière de l’État sont
4 décembre 2020, ne pourra pas les ignorer et en               incomplètes et insuffisamment utilisées. La Cour
rajoutera d’autres puisqu’elle devra « proposer des            présente des révisions dans trois directions : renforcer
scénarios de retour à l'équilibre des comptes publics          la programmation pluriannuelle des finances
» et traiter divers sujets : gestion de la dette due à la      publiques ; établir une vision globale des finances
Covid-19 ; améliorer les processus d’élaboration et            publiques en corrigeant les effets de la complexité de
d’exécution des budgets de l'État et des lois de               l’architecture financière des administrations publiques
financement de la Sécurité sociale; renforcer la               qui rend difficile l’évaluation de l’action publique ;
responsabilité des gestionnaires publics.                      assurer l’unité, l’universalité et l’efficience du budget
                                                               de l’État dans un cadre juridique rénové. C’est donc
La Commission pourra s’inspirer du rapport                     tout le dispositif qu’il conviendrait de revoir. Redresser
Responsabilisation des gestionnaires publics présenté          les comptes publics sans augmenter les impôts
en juillet 2020 par Jean Bassères, Directeur général           nécessitera, en effet, de sacrés gains de productivité !
de Pôle Emploi et ancien directeur général de la               Toutefois, ceci ne dépend pas à titre principal des règles
comptabilité publique. Dénonçant la rigidité de                budgétaires et comptables - la LOLF l’a démontré - mais
l’organisation entre ordonnateurs et comptables, il            de l’organisation des administrations, d’une répartition
propose de donner tous les leviers aux gestionnaires,          judicieuse des compétences, de la gestion des
en termes de marges de manœuvre et de sécurité                 ressources humaines, du pilotage politique.
financière, en contrepartie d’une professionnalisation
de la fonction et d’une véritable programmation                Citons encore le « Projet stratégique des juridictions
pluriannuelle. Dans sa partie la plus décapante le             financières » présenté le 4 février par le Premier
rapport affirme que la responsabilité personnelle et           Président de la Cour des comptes, qui vise à
pécuniaire des comptables publics « est un régime              « moderniser les travaux, les métiers et l’organisation »
contreproductif et à bout de souffle qui doit être             de la Cour des comptes et des organismes rattachés
supprimé » au bénéfice d’un régime unifié pour lequel          avec l’objectif de rendre ces institutions plus réactives
subsisterait une juridiction traitant les fautes graves        pour « renforcer leur ancrage dans le débat public. »
commises tant par les ordonnateurs que les comptables.         Plus d’évaluations pour mieux orienter les politiques !
La Cour des comptes a réagi par un communiqué sec :
« les exigences de probité, de régularité, de transparence     Voilà de gros chantiers, que la Commission précitée a
supposent plus que jamais que la responsabilité financière     dû retravailler. Ils demanderont des lois, alors que
soit soumise au regard d’un juge ». Faciliter les opérations   l’agenda parlementaire est plein, et aussi de la lucidité
comptables, simplifier les encaissements et décaisse-          car la France ne confortera pas sa position face à ses
ments auraient des effets bénéfiques, quoique d’ampleur        partenaires européens - dont dépend aussi notre sort -
limitée et qui mettront du temps à se concrétiser.             seulement par des sophistications juridiques dont les
                                                               gains potentiels seront lointains et faibles au
Le Rapport thématique de la Cour des Comptes, Les              regard des enjeux. Ne rêvons pas de faire l’économie
finances publiques : pour une réforme du cadre                 de réformes de fond, de coupes dans les dépenses et
organique et de la gouvernance (11/2020) dresse un             de hausses d’impôts plus ou moins déguisées.
SOMMAIRE

ECONOMIE ET MARCHÉS FINANCIERS
Économie
Perspectives et stratégie européennes en 2021 ................................................................................... 3
Marchés financiers
Le scénario de taux longs très bas très longtemps s’estompe ............................................................. 7
Financement du secteur public local
Les taux fixes commencent à remonter dans un marché destiné à rester
durablement accomodant .................................................................................................................... 10

BUDGET, COMPTABILITÉ ET CONTRÔLES FINANCIERS
Ressources et fiscalité
Les transferts financiers de l’État aux collectivités territoriales en 2021 ........................................... 14
Pour une réforme du cadre juridique et institutionnel de la gouvernance des finances
publiques locales .................................................................................................................................. 17

DROIT ET JURISPRUDENCE
Services publics
Le maire, socle du continuum de la sécurité intérieure. L’intégration des polices municipales
dans la sécurité intérieure : un engrenage pour des transferts de charges ................................... 22
Dépenses locales
Subventionner les lieux de culte : dépenses interdites, sauf exception ......................................... 22
Responsabilité administrative
Droit de l’urbanisme : illégalité du classement d’une zone en zone constructible
dans le PLU ........................................................................................................................................... 24
Coopération transfrontalière
Rapport d’audit de performance et de régularité. Taux d’exécution des dépenses
à améliorer ............................................................................................................................................ 24
Juridictions financières
Évolution des priorités des chambres régionales des comptes ...................................................... 25
Monnaies locales
Monnaies complémentaires locales : cadre d’utilisation par les collectivités territoriales .......... 26

STRATÉGIE ET PROSPECTIVE TERRITORIALES
Aménagement
La densification douce - La densification douce, portée et limites ................................................. 27

VEILLE DOCUMENTAIRE
Revue de Presse - Applications et outils .................................................................................... 31
Études et statistiques - Rapport public - Législation et réglementation ........................ 32

FICHE TECHNIQUE (Cahier n° 2)
Dispositifs de péréquation pour le secteur communal

                 LA LETTRE DU FINANCIER TERRITORIAL, publication éditée par INFODIUM, SAS au capital de 4 200 euros - siret : Paris B 494 345 309 00038 -
                69, avenue des Ternes - 75017 PARIS - Tél : 09 81 07 95 76 - Fax : 01 70 24 82 60 infodium@infodium.fr - Mensuel - 11 numéros par an - Abonnement :
 519 € - prix au numéro : 57 € - Directeur de la publication et de la rédaction : Laurent Queinnec - Conseiller scientifique : Robert Hertzog - Abonnements : Nadine
 Giraud - n° de CPPAP 0624 T 84973 n° ISSN : 0993-104X - Dépôt légal à date de parution - Conception graphique : Studio 2a - Imprimeur : Créatis à 78770 Thoiry -
 © INFODIUM reproduction interdite pour tous pays, sauf autorisation de l’éditeur. www.financierterritorial.fr.

                                                                                                                                                       LA LETTRE DU FINANCIER TERRITORIAL - N° 363 - Mars 2021
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ECONOMIE ET MARChÉS FINANCIERS
                                                                                                                                                                Economie
                                                                                                                                                        Par Pauline LESTERQUY

Perspectives et stratégie européennes en 2021
Un an après le début de la pandémie, la reprise économique est toujours conditionnée à l’évolution des
situations sanitaires, qui restent très hétérogènes et fluctuantes au sein de l’Union européenne. L’arrivée de
nouveaux variants et les mesures sanitaires restrictives en place dans plusieurs Etats depuis la fin d’année
2020 limitent le rebond anticipé à l’automne pour l’année 2021. La croissance du PIB de la zone euro serait
de 3,7 % en 2021 et 3,9 % en 2022 selon la Commission européenne. Toutefois, la reprise serait hétérogène
entre les Etats, certains revenant à leur niveau d’activité d’avant-crise dès la fin 2021 tandis que l’Italie devrait
attendre après 2022. Face au risque de fragilisation et de divergence dans la zone, l’UE tire les leçons de la
décennie passée. La stratégie commune reposera largement sur le déploiement des campagnes vaccinales
pour pouvoir relâcher progressivement les mesures de restriction, et sur un plan de relance européen
représentant un stimulus sans précédent. Les subventions sont réparties de manière à soutenir davantage à
court terme les économies présentant des vulnérabilités antérieures à la crise, et à renforcer la reprise à
moyen terme dans les économies fortement touchées par la crise et peinant à rebondir en 2021.

Le bilan sanitaire conditionne                                                 Israël à 37,8 %. Dans l’Union européenne, le Danemark a fini
                                                                               de vacciner 3,1 % de sa population, la France 2,1 % et
la reprise économique en 2021                                                  l’Allemagne 2,3 %.

Un an après le début de la crise sanitaire de la Covid-19, et
ce malgré des mesures plus ciblées et plus proportionnées,                            Nombre de doses de vaccins administrées (par 100 personnes)
la situation sociale et économique des différents pays est encore
fortement dépendante du contrôle des courbes locales de
contamination et d’admission dans les services de réanimation
mais aussi des développements sanitaires mondiaux avec
l’apparition de nouveaux variants du virus.

Au sein de l’Union européenne, les situations sanitaires des
Etats sont toujours hétérogènes et très fluctuantes. Début
2021, la courbe des infections semble s’améliorer dans
certains pays (Allemagne, Italie, Pologne, Pays-Bas) tandis
qu’elle s’empire dans d’autres (France, Irlande, Portugal). La
propagation des variants pose un risque à court-terme pour
certains Etats déjà sous pression, qui pourraient être
                                                                               Source : Official data collated by Our World in Data - Last updated 28 February, 08:30 (London time).
contraints de prendre des mesures plus coûteuses socialement
et économiquement. Les situations et les stratégies sanitaires
varient aussi largement dans le monde. Les taux de contamination                                     Part de la population pleinement vaccinée
et de mortalité ont été beaucoup moins contenus aux Etats-Unis
et au Royaume-Uni qu’en Europe sur les derniers mois (début
février 2021, le nombre de nouveaux cas Covid-19 y était 2,5
à 3 fois plus élevé qu’en UE, en % de la population). Dans le
même temps, les campagnes - fortement médiatisées - de
vaccination très rapide pourraient améliorer la situation
sanitaire à plus moyen terme.

Les campagnes de vaccination ont parfois mis plus de temps
se mettre en route en Europe et le déploiement semble aussi
plus lent : les pays ayant administré le plus de doses par 100
habitants sont Israël (92 doses) (1), suivi des Emirats Arabes
Unis (61), le Royaume-Uni (31) et les Etats-Unis (22). En
comparaison, l’Etat Membre de l’UE le plus actif, le Danemark,
                                                                               Source : Official data collated by Our World in Data - Last updated 28 February, 08:30 (London time).
a atteint 10 doses par 100 habitants (2). Le constat sanitaire
diffère toutefois lorsqu’on observe la part de population ayant
reçu toutes les doses, et reflète en partie des stratégies                     Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces retards relatifs (sans
vaccinales différentes, puisque le Royaume Uni en est à 1 %                    préjuger de leur caractère prudent ou prévoyant). L’UE aurait
de sa population pleinement vaccinée, les US à 6,45 %, et                      commandé trop peu de vaccins BioNTech-Pfizer et trop tard,
                                                                               au moment où son efficacité était déjà documentée. Les
                                                                               achats ont été retardés par l’absence d’autorisation accélérée,
(1) Source : données collectées par Our World in Data dans les rapports
                                                                               l’UE refusant de décharger les compagnies pharmaceutiques
officiels, dernière mise à jour au 26 février 2021.
                                                                               de la responsabilité en cas d’effets secondaires. La stratégie
(2) Le défi technique d’un déploiement à grande échelle est bien sûr aussi à
prendre en compte : Danemark a administré 594 000 doses, contre 5,9 et 4,5     industrielle de production aurait été lente à se mettre en
millions de doses en Allemagne et en France respectivement.                    place, alors que les usines des entreprises concurrentes

LA LETTRE DU FINANCIER TERRITORIAL - N° 363 - Mars 2021
                                                                                                                                                                                       3
ECONOMIE ET MARChÉS FINANCIERS
Economie

auraient pu être mobilisées plus rapidement (par exemple en                   avec un déclin historique de l’emploi au 2e trimestre 2020,
Allemagne, l’usine de Sanofi produit désormais des vaccins                    dont une partie importante a ensuite été récupérée dès le
Pfizer). Enfin, l’aversion au risque et la défiance face à cette              trimestre suivant. Cependant, les hausses de chômage sont
nouvelle technologie vaccinale est aussi relativement élevée                  restées relativement contenues, notamment grâce aux
en Europe. Parmi eux, les Français sont toujours un peu                       interventions massives des Etats et aux différents dispositifs
moins disposés à se faire vacciner rapidement par rapport à                   de maintien de l’emploi. Après un pic à 8,7 % en juillet, le
leurs voisins : au 1er février 2021, seulement 40 % des Français              taux de chômage de la zone euro s’est ainsi doucement
indiquent qu’ils se feraient vacciner si la possibilité leur était            stabilisé à 8,3 % en décembre (après 6,9 % en février 2020).
offerte dans la semaine (3), contre 52 % des allemands, 53 %
des espagnols (après 58 % au début du mois), 60 % des
                                                                                                  Taux de chômage en 2020
italiens, 67 % des danois et 77 % des britanniques.

Toutefois, l’arrivée d’une étude écossaise sur le vaccin
AstraZeneca, testant son efficacité sur les formes graves de
la maladie y compris chez les plus de 65 ans, pourrait changer
la donne en Allemagne et en France qui avaient jusqu’ici
réservé ce vaccin aux moins de 65 ans.

Des capacités de résilience et de
reprise hétérogènes en Europe
Les prévisions d’hiver (4) de la Commission européenne
pour l’Union européenne font état d’une situation à court
terme moins positive qu’anticipé à l’automne dernier,
avant l’arrivée de variants plus contagieux qui ont amené                     Perspectives comparées dans
plusieurs Etats à affermir les mesures de confinement,
comme en atteste une hausse de l’indice de sévérité des
                                                                              les principales économies
mesures d’Oxford (5) au dernier trimestre de 2020 puis de                     européennes
nouveau en janvier. Les données d’enquête indiquent une
hétérogénéité entre les secteurs qui persiste en fin d’année                  Après une baisse du PIB de 8,3 % en France en 2020, année
2020, avec une reprise de la production industrielle et de la                 marquée par un fort rebond en été vite étouffé par les mesures
construction, une reprise partielle dans le secteur des services              restrictives de couvre-feu et de confinement mis en place peu
qui peine cependant à retrouver son niveau d’avant-crise, et                  après la rentrée, les mesures sanitaires particulièrement
une situation plus fluctuante dans la vente au détail qui a                   strictes maintenues durant tout le premier trimestre pèseraient
souffert du retour de mesures plus restrictives en particulier                en particulier sur la consommation de services, entrainant un
durant les fêtes de fin d’année.                                              nouveau recul de l’activité. La reprise légère au 2e trimestre
                                                                              s’accentuerait au 3e trimestre 2021 grâce au relâchement des
L’arrivée des vaccins pour une partie de la population                        mesures sanitaires et aux premiers effets du plan de relance
permettrait cependant d’entamer une reprise progressive                       national annoncé de 100 Md€, qui devraient représenter +1,6
avec le relâchement des mesures restrictives, qui serait                      point de PIB en 2021 (dont 0,7 points seraient financés par
surtout renforcée en deuxième partie d’année 2021 par un                      la Facilité de reprise et de résilience mise en place par l’UE).
regain de la consommation privée et du commerce international.                A ce titre, la phase d’engagement des projets s’étend sur
Il est à noter que l’accord entre l’UE et le Royaume-Uni a permis             2020 à 2022 et certains crédits pour les projets plus longs à
de réduire le coût du Brexit pour l’UE, et que le lancement                   engager pourront être versés sur un échéancier étendu jusque
d’un grand plan de relance européen permettant une relance                    2023 (investissements dans les réseaux d’assainissement
coordonnée viendra soutenir rapidement une reprise plus                       et d’eau potable par exemple). La croissance s’établirait à
durable (cf. infra).                                                          5,5 % en 2021 selon la Commission (en incluant les effets du
                                                                              plan) et à 4,4 % en 2022 (sans prise en compte des dépenses
Leur prévision de croissance du PIB de la zone euro se                        additionnelles liées au plan à ce stade, qui amèneraient
situe donc à 3,7 % en 2021 et 3,9 % en 2022. Toutefois, la                    une révision à la hausse). L’activité retrouverait son niveau
reprise serait hétérogène entre les Etats. Tandis que                         d’avant-crise au milieu de l’année 2022.
certaines économies retrouveraient leur niveau de production
pré-crise fin 2021 ou début 2022, d’autres, plus touchées par                 L’Allemagne a subi une chute de 5 % de son PIB en 2020,
la pandémie ou plus dépendantes de secteurs en difficulté                     après 10 années consécutives de croissance. La perte d’activité
comme le tourisme, mettraient plus de temps à revenir à ce                    est avant tout liée aux difficultés du secteur manufacturier,
rythme : ce serait notamment le cas de l’Italie et de l’Espagne.              du fait des perturbations dans les chaînes de valeur et du
                                                                              recul du commerce : les importations et exportations ont
Le marché du travail a enregistré des évolutions sans précédent,              baissé pour la première fois depuis 2009 (- 9,9 % et - 8,6 %
                                                                              respectivement). Malgré des mesures sanitaires restrictives
(3) Imperial College London YouGov Covid 19 Behaviour Tracker Data Hub.
                                                                              en place en début d’année, le niveau de confiance et les carnets
                                                                              de commande bien remplis dans l’industrie indiqueraient une
(4) Publiées le 11 février 2021.
                                                                              reprise prochaine des exportations, la manne d’épargne forcée
(5) Oxford COVID-19 Government Response Tracker (OxCGRT) rassemble les
données sur les différents types de politiques menées par les gouvernements   accumulée pourrait contribuer à relancer la consommation
pour gérer la pandémie et construit des indices composites par pays.          privée en deuxième partie d’année, et l’investissement public

                                                                                                 LA LETTRE DU FINANCIER TERRITORIAL - N° 363 - Mars 2021
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ECONOMIE ET MARChÉS FINANCIERS
                                                                                                                                                     Economie

serait soutenu par des projets financés par le plan de relance                                      l’économie italienne. L’activité ne retrouverait pas son niveau
de 130 Md€ annoncé par le gouvernement. Le PIB rebondirait                                          de 2019 à la fin de l’année 2022. Les mesures liées au plan
de + 3,2 % en 2021 pour retourner à son niveau pré-crise dès                                        européen de relance ne sont cependant pas encore prises en
la fin d’année et continuerait de croitre en 2022 (+ 3,1 %).                                        compte dans ces prévisions, qui sont donc sujettes à des
                                                                                                    révisions à la hausse conséquentes, d’autant plus que l’Italie
L’Espagne, qui a été la plus touchée économiquement en                                              serait la première bénéficiaire de la Facilité pour la Reprise et
zone euro avec une chute du PIB de 11 % en 2020, a d’ores                                           la Résilience.
et déjà décidé de préalimenter son budget 2021 avec
27 Md€ en prévision des subventions européennes du plan
de relance, pour accélérer et renforcer la reprise économique.                                      Les plans de relance et
La contraction de l’activité a été particulièrement forte durant                                    de résilience : enjeux, calendrier
le premier semestre 2020, mais une forte reprise de la
consommation et de l’investissement a permis un fort rebond                                         et répartition
dès le 3e trimestre, avant un ralentissement lié à une baisse
des activités sociales en fin d’année. L’économie souffre                                           Le plan de relance européen prévoit un soutien financier de
aussi fortement de la baisse du tourisme, qui pourrait reprendre                                    750 Md€ à l’économie européenne (dont 390 Md€ en
de la vigueur en 2022. La croissance du PIB serait de 5,6 %                                         subventions et 360 Md€ en prêts) mis en œuvre en grande
en 2021 puis de 5,3 % en 2022 selon la Commission, hors                                             partir à travers NextGenerationEU, un instrument temporaire
impact des fonds du plan de relance et de résilience.                                               pour soutenir la reprise et construire une économie « plus
                                                                                                    verte, plus numérique et plus résiliente ». Il s’agit du plan
La situation de l’Italie, régulièrement taxée de « maillon faible »                                 grand train de mesures de relance jamais financé par l’UE.
ou « parent pauvre » de l’Union européenne par certains                                             L’instrument financier principal est la Facilité pour la Reprise
commentateurs, présente en effet des difficultés particulières                                      et la Résilience qui permettra de mobiliser 312,5 Md€ d’aides
puisque l’économie connait une croissance proche de zéro                                            (soit 80 % des aides du plan) et contribuera en grande partie
en termes réels sur les vingt dernières années. En février                                          à l’octroi des prêts, qui pourront représenter jusqu’à 4,7 %
2020, à l’époque où la Commission européenne tablait                                                du PIB national pour chaque Etat.
encore sur une croissance de 1,2 % en zone euro en 2020 et
2021 entérinant une période de croissance faible (mais                                              Les plans nationaux, contenant un ensemble de projets
toutefois positive), l’Italie était déjà le pays frappé par le plus                                 d’investissement et de réformes à mettre en œuvre d’ici 2026
fort ralentissement avec une croissance nulle et une hausse                                         avec des objectifs et des cibles concrètes, doivent être
du chômage, tiré en partie par le ralentissement de l’industrie                                     présentés à la Commission avant la fin avril 2021. Les plans
allemande et les tensions commerciales en 2019. Première                                            seront ensuite évalués par la Commission dans les 2 mois
touchée par l’arrivée du virus et donc première à expérimenter                                      puis approuvés par le Conseil dans un délai d’un mois, avant
des mesures de confinement, elle a également enregistré                                             le paiement par la Commission de 13 % de la somme allouée
l’une des chutes du PIB les plus importantes de la zone euro                                        dans les 2 mois pour engager la reprise rapidement. Ce qui
(- 8,8 % en 2020). En rajoutant une dette publique record à                                         renvoie les premiers versements au moins à l’été 2021
plus de 132 % du PIB avant l’entrée en crise, l’Italie faisait                                      pour les plans qui seront validés. Le calendrier prévoit
peser un risque de sortie de la zone euro pris au sérieux par                                       que 70 % des fonds du plan seraient versés d’ici fin 2022,
la BCE. L’arrivée à la présidence du Conseil italien de Mario                                       et que les 30 % restant seraient versés durant l’année
Draghi, ex-président de la BCE crédité du sauvetage de l’euro                                       2023. Les intérêts de l’emprunt seront remboursés à partir de
et qui clame l’insoutenabilité d’une zone euro sans Italie,                                         2023, grâce notamment à la création de nouvelles ressources
rassure les partenaires, les investisseurs et suscite un certain                                    propres de l’UE (ex : taxation carbone, taxe sur les GAFA,
nombre d’espoirs dans la reprise. D’ici au terme de l’actuelle                                      impôt sur les sociétés…) ou une hausse des contributions
législature en début d’année 2023, sa mission consistera à                                          nationales en cas d’échec des négociations. Le remboursement
piloter un plan de relance de grande ampleur de 209 Md€ et                                          du capital interviendrait à partir de 2028 et s’étalerait jusqu’en
à mener un train de réformes structurelles destinées notamment                                      2058.
à améliorer la capacité du pays à mettre en œuvre les
investissements nécessaires dans les délais requis. La                                              Les plans ne sont pas conditionnés à un train de réformes
Commission prévoit un rythme de croissance modéré proche                                            conforme aux recommandations par pays de la Commission,
de 3,4 % en 2021 et 2022, grâce à des mesures sanitaires                                            mais les Etats Membres doivent toutefois argumenter sur la
mieux ciblées qui préserveraient l’activité de construction et                                      cohérence du plan avec celles-ci. Par ailleurs, les fonds ne
surtout l’activité industrielle dont dépend une large part de                                       sont pas fléchés - comme c’est le cas pour les fonds

                                                           Profil de croissance du PIB en volume (prévisions de la Commission)

                     (croissance annuelle en %)             (croissance trimestre sur trimestre, en %)
 État Membre           2020         2021         2022       2020 Q1 2020 Q2 2020 Q3 2020 Q4 2021 Q1 2021 Q2 2021 Q3 2021 Q4 2022 Q1 2022 Q2 2022 Q3 2022 Q4
 Allemagne             - 5,0          3,2          3,1        - 2,0        - 9,7     8,5     0,1    - 1,2    1,9      2,6     0,7      0,4     0,4     0,4      0,4
 France                - 8,3          5,5          4,4        - 5,9       - 13,7     18,5   - 1,3   - 1,3    1,0      4,4     0,9      0,7     0,5     0,4      0,3
 Italie                - 8,8          3,4          3,5          5,5       - 13,0     16,0   - 2,0   - 0,4    0,5      2,0     1,0      0,7     0,7     0,6      0,6
 Espagne              - 11,0          5,6          5,3          5,3       - 17,9     16,4    0,4    - 0,4    0,9      3,8     2,1      0,8     0,5     0,5      0,6
 Pays-Bas              - 4,1          1,8          3,0         - 1,5       - 8,5     7,8    - 1,3   - 1,0    1,4      2,4     0,7      0,4     0,4     0,4      0,4
 Belgique              - 6,2          3,9          3,1         - 3,4      - 11,8     11,6    0,2     0,0     0,7      1,4     0,8      0,7     0,7     0,7      0,6
Source : Commission européenne, European Economic Forecast, Winter 2021 (Interim).

LA LETTRE DU FINANCIER TERRITORIAL - N° 363 - Mars 2021
                                                                                                                                                                      5
ECONOMIE ET MARChÉS FINANCIERS
Economie

structurels, mais un élément de conditionnalité est inséré                           de co-décision sur les projets au niveau local, et (iii) des
dans l’évaluation de la Commission concernant 2 objectifs :                          difficultés liées à l’objectif de mise en œuvre rapide qui pourrait
au moins 37 % de dépenses en faveur du climat et 20 %                                réduire l’efficacité de la relance à plus moyen terme (par
des dépenses pour la transition numérique.                                           exemple, les objectifs par mission budgétaire fixés en termes
                                                                                     de crédits de paiement pourraient favoriser des entreprises
La répartition par pays est décidée selon plusieurs critères.                        avec une meilleure capacité administrative pour répondre
En 2021 et 2022, les allocations se font selon 3 critères : la                       rapidement aux appels à projets mais qui ne seraient pas
population, le PIB par habitant et le taux de chômage moyen                          toujours les plus productives pour mener le projet).
sur la période 2015-2019 (pour cibler les pays initialement
plus vulnérables donc moins résilients). En 2023, l’allocation
des 30 % restant se fera selon la population, le PIB par
habitant, et l’évolution du PIB en 2020 et 2021 (pour cibler
les pays les plus touchés par la crise) : ces montants sont
donc encore des prévisions.

L’Italie et l’Espagne seront les premières bénéficiaires de la
Facilité pour la reprise et la résilience en 2021-2022, avec
47,9 Md€ et 46,6 Md€, devant la France avec 24,3 Md€, la
Pologne qui touchera 20,3 Md€, et l’Allemagne avec 16,3
Md€ (6).

                  Répartition des plafonds de subventions
                  (Facilité pour la reprise et la résilience)

Plusieurs défis attendent les Etats Membres dans la mise en
œuvre des projets d’investissement liés aux plans de relance,
dont entre autres
• La sélection des projets : les projets rapides à mettre en
œuvre permettent d’accélérer la reprise mais ne sont pas
toujours de meilleure qualité ou les plus rentables à moyen
terme.
• Evaluation des dépenses grâce à un suivi précis et transparent
des dépenses et à la quantification des effets de la relance :
la France a par exemple mis en place une plateforme de suivi
des étapes de mise en œuvre de certaines mesures, qui
permet aussi de connaitre leur cartographie par département.
• Améliorer les procédures de marché public avec des
critères d’attribution clairs et communs, et des délais de
réponse adaptés.

Le rapport du Sénat identifie plusieurs limites spécifiques
pour la France, dont notamment (i) le besoin de compléter
les modalités de suivi par un dispositif d’évaluation des
dépenses, (ii) une « territorialisation » du plan très largement
portée par les pouvoirs déconcentrés et le corps préfectoral
visant un objectif d’information et de coordination plutôt que

(6) Il s’agit de l’ordre des bénéficiaires sur la base de la première phase de
versement. Sur le total des versements, l’Espagne pourrait être la première
bénéficiaire de la Facilité selon les estimations actuelles, et l’Allemagne serait
devant la Pologne.

                                                                                                         LA LETTRE DU FINANCIER TERRITORIAL - N° 363 - Mars 2021
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ECONOMIE ET MARChÉS FINANCIERS
                                                                                                                      Marchés financiers
                                                                                                             Par Grégoire VINCENOT, Cabinet Michel Klopfer

Le scénario de taux longs très bas très longtemps
s’estompe
Le rebond des taux longs s’accentue à mesure que le scénario d’une reprise marquée de l’économie à partir
de la mi-2021 se précise. Trois raisons soutiennent cette évolution du pronostic économique : le rebond plus
marqué que prévu de la fin 2020, l’efficacité des campagnes vaccinales et l’ampleur des plans de relance mis
en œuvre, en particulier aux États-Unis.

Dès lors le scénario précédent de taux longs très bas très longtemps a du plomb dans l’aile. Cela ne signifie
pas pour autant que les taux longs vont s’envoler. Les banques centrales seront nécessairement attentives
à limiter cette progression, de façon à ce que les gigantesques encours de nouveaux emprunts contractés
par les États à l’occasion de la crise sanitaire restent soutenables.

Rapide remontée des taux longs                                            progressif qu’aux Etats-Unis, ce dont témoigne le creusement
                                                                          progressif du spread UE / USA :
aux Etats-Unis, qui se propage
                                                                          Les niveaux et les rythmes d’évolution sont très différenciés
à l’Europe                                                                de part et d’autre de l’Atlantique, ce qui est une constante
                                                                          depuis 2008, mais le mouvement de rebond des taux longs
La progression rapide des taux longs américains prend de
                                                                          n’en est pas moins sensible en Europe, où il atteint au total
l’ampleur de semaine en semaine à mesure que se précise la
                                                                          une trentaine de points de base depuis le début de l’année
perspective d’un gigantesque plan de relance largement
                                                                          (vs une soixantaine de pb aux Etats-Unis).
orienté vers le soutien de la demande des ménages américains
et que se confirment les résultats d’une campagne de
vaccination efficace, laissant augurer aux Etats-Unis l’atteinte          Rebond de l’inflation
de l’immunité collective, donc un retour à une vie économique
quasi-normale, pour l’été 2021.                                           Le changement de climat économique a été particulièrement
                                                                          brutal en matière d’inflation en zone euro. Après 4 mois
Des seuils symboliques ont été franchis début janvier et fin              successifs à - 0,3 %, un fort rebond était attendu en janvier,
février sur le taux interbancaire américain à 10 ans :                    s’expliquant notamment par des raisons techniques (hausse
                                                                          des taxes dont celle de la TVA allemande, report des soldes
• Le seuil des 1,00 % début janvier : la double victoire démocrate
                                                                          d’hiver en France et en Italie, nouvelles pondérations adoptées
lors des élections sénatoriales de Géorgie le 6 janvier a donné
                                                                          par Eurostat pour calculer l’inflation), avec un consensus à
une majorité démocrate au Sénat, condition nécessaire au
                                                                          + 0,3 %. Or la statistique a finalement atteint… + 0,9 % !
vote du plan de relance promis par Joe Biden ; dans la foulée
les taux longs US ont pris 20 pb et le taux à 10 ans est passé
de 0,90 % à 1,10 %.                                                                       Inflation en zone euro (taux en glissement annuel)

• Le seuil des 1,50 % le 25 février, soit à peine un mois et
demi plus tard, sous l’effet de statistiques de croissance
révisées en hausse pour la fin 2020, renforçant le scénario
d’un rebond une fois la crise sanitaire dépassée, et d’une
inflation vigoureuse.

Les taux européens remontent également dans le sillage des
taux américains, avec le passage du swap Euribor 10 ans
au-dessus de 0 % le 19 février, pour la première fois depuis
un an. Le rythme de remontée est cependant nettement plus

 Évolution des taux longs depuis le déclenchement de la crise sanitaire   Source : Cabinet Michel Klopfer.

                                                                          L’inflation « cœur » qui exclut les prix de la nourriture, de
                                                                          l’énergie, de l’alcool et du tabac a, quant à elle, bondi à 1,4 %, un
                                                                          niveau que l’on avait plus rencontré depuis très longtemps.

                                                                          Compte tenu des biais techniques évoqués, il faudra attendre
                                                                          un peu pour tirer de réels enseignements de ce rebond, qui
                                                                          n’en reste pas moins marquant, lesdits effets techniques
                                                                          ayant été largement annoncés…

                                                                          Si le rebond des prix se confirme, cela risque de compliquer
Source : Cabinet Michel Klopfer.                                          la tâche de la BCE dans un contexte marqué par son soutien

LA LETTRE DU FINANCIER TERRITORIAL - N° 363 - Mars 2021
                                                                                                                                                       7
ECONOMIE ET MARChÉS FINANCIERS
Marchés financiers

massif à l’économie et alors qu’un attentisme prudent était         Un potentiel de rebond
attendu de sa part pour encore au moins un an. D’autant que
parallèlement, Outre-Altantique, les anticipations de hausse        nécessairement limité afin que
des prix s’envolent également, poussant les marchés à réviser
leurs hypothèses de premier tour de vis monétaire, que le
                                                                    les dettes souveraines restent
consensus repoussait jusqu’ici à 2024.                              soutenables
Un rebond surveillé de près                                         L’analyse du rebond observé sur les taux longs est
                                                                    indissociable de l’encadrement que souhaiteront y apporter
par les banquiers centraux                                          les banques centrales. De ce point de vue le débat sur ce
                                                                    qu’il convient de faire de la « dette covid » est éclairant.
L’hypothèse d’une reprise économique plus marquée que
prévu alimente ce regain d’optimisme. Au-delà des précédents        Christine Lagarde, Présidente d’une BCE qui détient
rebonds de l’été et de la fin 2020 que les marchés gardent à        aujourd’hui près de 25 % de la dette publique européenne, a
l’esprit, les précisions diffusées quant au contenu du plan de      ainsi souhaité mettre un terme rapide au débat naissant entre
relance américain ont contribué à renforcer la probabilité d’un     économistes, quant à une annulation de cette dette en
tel scénario. Pas moins de 1.900 Md$ (10 % du PIB américain)        contrepartie d’engagement d’investissements des Etats :
- en plus du premier plan de 900 Md$ approuvé en décembre           « L’annulation de la dette d’État détenue par la Banque
2020 par les élus républicains et démocrates - pourraient           centrale européenne est inenvisageable. Ce serait une
effectivement être injectés dans l’économie en cas d’accord,        violation du traité européen qui interdit strictement le
essentiellement sous la forme de mesures de soutien à la            financement monétaire des États. Cette règle constitue l’un
demande : salaire minimum fédéral relevé à 15 €/heure, aides        des piliers fondamentaux de l’euro », a-t-elle affirmé.
aux collectivités locales et aux services de transports en
commun, chèques de 1.400 $/personne distribués directement          Cette proposition de non-remboursement de l’emprunt peut
aux ménages américains, allocations chômage exceptionnelles         paraître saugrenue puisqu’elle obligerait sans doute à se priver
(en sus de celles versées par les Etats) réévalué à 400 $/          aussitôt de nouvel emprunt et donc à équilibrer brutalement
semaine, etc.                                                       et douloureusement les comptes publics. Il n’en reste pas
                                                                    moins un débat sous-jacent sur la soutenabilité de cette dette
L’effort sera de moindre ampleur en zone Euro, et avec des          et la capacité des Etats à la rembourser.
effets moins immédiats puisque les orientations retenues sont
à ce jour davantage axées sur les investissements de long           Si la dette de l’Etat français est passée en un seul exercice
terme. Ce contexte de relance tous azimuts fait cependant           de 98 % à 121 % de son PIB, cela ne s’est nullement traduit
craindre une surchauffe, et risque à tout le moins de générer       par une augmentation du service de la dette rapporté à ce
des corrections brutales.                                           même PIB. Autrement dit le surcroît d’endettement qu’a
                                                                    occasionné la crise sanitaire n’a à ce jour produit aucune
Cela transparaît déjà sur les marchés boursiers et obligataires,    pression budgétaire particulière. Tant qu’il se présentent des
directement dépendants du niveau des taux longs qui                 candidats pour souscrire aux émissions de dette de l’Etat,
déterminent la valorisation des flux futurs. Plus les taux longs    et tant que les taux ne remontent pas, cette dette reste
s’élèvent, plus le taux d’actualisation applicable aux flux         parfaitement soutenable.
futurs progresse et plus ces derniers, donc la valeur des
actifs, se déprécient. A contrario plus l’embellie économique
se confirme, plus les flux futurs anticipés progressent, du                        Endettement de l’État Français et service de la dette
                                                                                                 exprimés en % du PIB
moins pour les actions. Cet effet contradictoire explique la
forte volatilité des places boursières fin février.

Il s’agit également d’un ajustement entre secteurs économiques :
certains très grands perdants du cycle économique en train
de s’achever, en particulier les banques, voient l’horizon se
dégager à mesure que le scénario de taux longs très bas très
longtemps perd de la consistance. A contrario, l’emballement
sur les valeurs technologiques s’estompe quelque peu. Ces
analyses sectorielles très différenciées ajoutent à la volatilité
générale.
                                                                    Source : Cabinet Michel Klopfer.

Ces grands bouleversements sont suivis de près par les
                                                                    Tout est dans le « tant » : bien que cette soutenabilité soit
banquiers centraux, qui ne cessent de répéter, sans être très
                                                                    assurée aujourd’hui, puisque le ratio qui compte est celui
entendus pour l’instant, qu’ils ne laisseront pas les taux
                                                                    rapportant les intérêts au PIB, et non celui rapportant la dette
monter exagérément : Jerome Powell a ainsi affirmé fin
                                                                    au PIB, les Etats ne s’en placent pas moins, en laissant
février que la FED était encore loin de ses objectifs en termes
                                                                    l’encours monter en flèche, dans la main de leurs créanciers.
de croissance et d’emploi, et que l’inflation n’était pas
préoccupante à ce stade. Isabel Schnabel, membre du
                                                                    En effet, la sensibilité du ratio intérêts/PIB à une remontée
Directoire de la BCE, a pour sa part été jusqu’à envisager une
                                                                    des taux d’intérêt grimpe en flèche avec le ratio dette/PIB, et
augmentation du niveau de soutien de la BCE si les taux
                                                                    ce pour deux raisons :
d’intérêt réels progressaient avant la reprise effective de la
croissance économique.                                              • Tout d’abord, mathématiquement, la hausse de l’encours

                                                                                                       LA LETTRE DU FINANCIER TERRITORIAL - N° 363 - Mars 2021
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ECONOMIE ET MARChÉS FINANCIERS
                                                                                                    Marchés financiers

génère mécaniquement une hausse des volumes à refinancer            devant lui et que la remontée des taux va nécessairement
chaque année, et donc une hausse de l’assiette sur laquelle         plafonner sous l’action salvatrice de la BCE. Mais pour que
jouent les nouvelles conditions d’intérêts.                         la BCE puisse durablement piloter les taux longs, donc
                                                                    poursuivre sa politique d’assouplissement quantitatif, il va
• D’autre part, le niveau des emprunts n’a jamais été aussi
                                                                    falloir à terme qu’elle enfonce certains tabous. En particulier,
bas et a fortement diminué depuis 10 ans : un même ressaut
                                                                    elle devra faire accepter une répartition de ses achats d’actifs
de 100 pb des taux de financement conduirait, en pourcentage,
                                                                    s’écartant d’un strict prorata des parts détenus par chaque
à un ressaut vertigineux du coût d’emprunt (et à vrai dire
                                                                    pays de la zone Euro dans son capital social. À ce stade, elle
même incalculable puisque l’Etat français s’est financé en
                                                                    passe outre cette règle au nom de la pandémie, via son
moyenne à - 0,14 % à moyen et long terme en 2020 !), alors
                                                                    programme PEPP, mais comment fera-t-elle lorsque la
que cela n’aurait représenté qu’une progression de 10 %
                                                                    pandémie s’éloignera (et ce jour approche !) ?
d’une année sur l’autre du taux moyen dans les années 80.

Le surcroît d’endettement de l’Etat est donc à ce stade indolore,   Il faudra nécessairement un consensus politique fort pour
mais dope aussi fortement notre dépendance aux taux bas,            donner ce mandat à la BCE (cf. les échanges entre la Cour de
donc au pilotage des marchés par la BCE.                            Karlsruhe et le Bundestag). Et un tel consensus nécessitera
                                                                    un retour à l’orthodoxie budgétaire de la part des États membres
Or, l’interview déjà cité aborde également la vision stratégique    « laxistes » (dont la France).
de la BCE : « Tous les pays de la zone euro émergeront de
cette crise avec des niveaux de dette élevés… Il ne fait aucun      C’est pourquoi l’on peut pronostiquer, sans grand risque,
doute qu’ils parviendront à la rembourser. Les dettes se            d’une part, que nécessité faisant loi, la BCE trouvera une voie
gèrent dans le temps long ».                                        pour limiter le rebond des taux longs, et d’autre part, que du
                                                                    « quoi qu’il en coûte », d’aujourd’hui naîtra demain un retour
En conséquence, la BCE a anticipé (et va être forcée                assez abrupt à la rigueur budgétaire, non pour rembourser
durablement) de piloter les taux longs afin que la dette            cette dette gigantesque, mais pour construire le mandat
publique reste soutenable pour les États. On peut donc              politique permettant à la BCE de continuer à piloter les taux
conclure que l’assouplissement quantitatif a de beaux jours         longs afin que le service de cette dette reste soutenable.

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LA LETTRE DU FINANCIER TERRITORIAL - N° 363 - Mars 2021
                                                                                                                                 9
ECONOMIE ET MARChÉS FINANCIERS
Financement du secteur public local
Par Grégoire VINCENOT, Cabinet Michel Klopfer

Les taux fixes commencent à remonter dans un marché
destiné à rester durablement accommodant
La remontée des taux longs a commencé à faire sentir ses effets, à ce stade davantage sur le marché
obligataire que sur le marché bancaire, particulièrement atone en ce début 2021. Au-delà du calme traditionnel
du début d’année, les collectivités ont a nouveau emmagasiné d’importantes réserves financières fin 2020,
profitant de l’aubaine de prêts longs quasi-gratuits. Ces réserves, ainsi que la remontée des taux longs
atténuant les effets de floor qui ont poussé les marges à la hausse en 2020, constitueront des forces de rappel
pour atténuer la légère tendance à la détérioration des conditions de financement proposées.

Les conditions offertes aux                                                Solde du compte au Trésor des collectivités et établissements
                                                                                       publics locaux au 31/12 (Mds €)*
collectivités ont commencé à se
resserrer en 2021 sous l’effet
de la hausse des taux longs
Le rebond des taux longs, qui atteint une trentaine de points de
base depuis le début de l’année, se répercute mécaniquement
sur le niveau des taux fixes proposés aux collectivités.

Alors que des taux fixes voisins de 0,30 % pour un emprunt
15 ans amortissable formaient le standard de marché fin             * Hors HLM - source DGFIP - Cabinet Michel Klopfer.
2020, on se situe désormais plutôt autour de 0,60 % :
                                                                    l’État à l’orthodoxie budgétaire). Les ratios financiers du
          Taux fixes de marché homogènes à Euribor 3 mois + 65 pb   monde local n’ont pour l’instant pas été très affectés par la
                                                                    crise et l’Etat pourrait chercher, comme pour les ménages, à
                                                                    les inciter à puiser dans leurs bas de laine, afin de concilier
                                                                    soutien à l’investissement local et désendettement. On pourrait
                                                                    par exemple imaginer que la baisse des recettes issues des
                                                                    concours de l’État soit modulée, en plus d’un ratio type
                                                                    Cahors sur les dépenses de fonctionnement, en fonction du
                                                                    fonds de roulement disponible (ou de la variation de ce fonds
                                                                    de roulement), pour encourager les collectivités à continuer
                                                                    d’investir.

Source : Cabinet Michel Klopfer.                                    Hausse des taux longs = baisse
Pour autant, et comme il est de tradition en début d’année,         des marges ?
très peu de consultations ont été menées sur les premières
semaines de 2021, ce qui est peu propice à la mise à niveau         L’analyse des facteurs d’évolution des taux fixes proposés
des marges bancaires.                                               aux collectivités invite à distinguer les deux composantes qui
                                                                    rentrent dans leur construction :
L’attentisme du début 2021 résulte également de ce que les
taux extrêmement bas de la fin 2020 ont manifestement à             • d’une part le swap d’index, c’est-à-dire les conditions de
nouveau conduit, si l’on en croit les statistiques publiées par     refinancement que le prêteur anticipe pouvoir obtenir en
l’Etat sur l’encours du compte au Trésor des collectivités, à       moyenne sur la durée du prêt ;
de nouvelles mises en réserve significatives de contrats très       • d’autre part la marge facturée en sus.
bon marché. Au 31/12/2020, cet encours atteint en effet 67,5
Mds €, soit plus de 4 années d’emprunt ! La progression sur         La première s’enfonce en territoire négatif depuis l’été 2019 : si
un an atteint plus de 6 Mds €, certes imputables pour partie        cette situation a logiquement tiré les taux fixes vers le bas, le
aux encours NEU-CP de certaines collectivités.                      mouvement s’est interrompu ces derniers mois en raison du
                                                                    rebond parallèle des marges bancaires, réévaluées quant à
Ces réserves accumulées pourraient être un des facteurs de          elles d’une vingtaine de points de base (de + 0,45 % à + 0,65 %
pression sur les marges bancaires à l’avenir : elles raréfieront    en moyenne, d’après ce qui ressort des consultations menées
la demande pour des emprunts nouveaux si le coût de ces             par les collectivités sur cette période).
derniers progresse rapidement.
                                                                    Deux explications à cette augmentation :
Elles pourraient également inspirer l’État, dans l’hypothèse
du retour à un dispositif type Cahors à l’horizon 2023 (cf. ce      • d’une part l’application de plus en plus régulière d’un floor
qui précède sur le retour prévisible et néanmoins brutal de         au swap d’index - à l’image de ce qui se pratique depuis

                                                                                                   LA LETTRE DU FINANCIER TERRITORIAL - N° 363 - Mars 2021
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