Gilets jaunes : les leaders d'un mouvement sans leader - Cjoint

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               Gilets jaunes : les leaders d’un
               mouvement sans leader
               Par Vincent Glad
               6-7 minutes

               Qui dirige quoi ? Et y a-t-il seulement quelque chose à
               diriger ? L’organisation des gilets jaunes laisse circonspect
               les observateurs. Sans structure formelle, ce mouvement
               gazeux tient la distance tant bien que mal depuis deux
               mois. Contrairement aux apparences d’une mobilisation
               totalement chaotique, on constate en coulisses un début
               d’organisation. Ou plutôt des débuts d’organisation.
               Diverses structures de coordination nationale des gilets
               jaunes se sont montées ces dernières semaines, autour de
               trois légitimités différentes : celle des réseaux, celle des
               plateaux télé et celle du terrain.

               Les gilets jaunes sont à l’origine un mouvement
               décentralisé, éclaté entre de très nombreux ronds-points.
               Autant de micro-espaces politiques qui ne communiquaient
               pas forcément entre eux. Facebook s’est vite imposé
               comme le rond-point des ronds-points, comme une AG
               permanente du mouvement. Les gilets jaunes n’ont pas de
               «leaders revendiqués», comme l’assure Benjamin
               Griveaux, mais plutôt des leaders revendiquant le fait de ne

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               pas être des leaders : Eric Drouet, Maxime Nicolle ou
               Priscillia Ludosky. C’est un invariant des mouvements
               grassroots créés sur Internet, il existe toujours des leaders
               informels propulsés par leur influence sur les réseaux. «Les
               dynamiques propres à l’économie de l’attention en ligne – la
               course pour avoir le plus de likes ou de vues – crée des
               porte-parole de facto, écrit la sociologue Zeynep Tufekci
               dans son livre Twitter and Tear Gas. Ces leaders de facto
               se retrouvent eux-mêmes dans une position compliquée :
               ils attirent beaucoup d’attention sur eux, ce qui est
               profitable pour le mouvement, mais il leur manque la
               reconnaissance formelle de leur rôle de porte-parole.»

               Le cas d’Eric Drouet est emblématique de cette nouvelle
               manière de diriger un mouvement social sans en avoir l’air.
               Ce chauffeur routier de 33 ans exerce une influence
               considérable, mais de plus en plus critiquée en interne.
               Créateur de l’événement Facebook du 17 novembre qui a
               lancé la mobilisation, il est aujourd’hui l’administrateur d’un
               des principaux groupes Facebook du mouvement, «La
               France en colère !!!» (300 000 membres). Il a construit sa
               relation de confiance avec la base avec ses nombreux
               Facebook Live enregistrés en direct de son camion.

               Drouet conçoit sa fonction comme celle d’un «messager»
               qui relaie, fort de son audience, les initiatives qu’on lui
               transmet. «Vous me donnez beaucoup de choses à
               partager, j’essaye de faire le tri», disait-il dans un direct. Les
               gilets jaunes sont devenus une fourmillante boîte à idées :
               grève générale, marche des femmes, chaîne humaine à
               travers toute la France, «Nuit Jaune», marche des

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               blessés… Pour se concrétiser sur le terrain, les créateurs
               de ces événements ont besoin de l’audience et de l’onction
               que représente un partage par Eric Drouet ou Maxime
               Nicolle. Leur influence les rend incontournable. Une
               manifestation parisienne ne devient «officielle» pour les
               gilets jaunes que si elle est partagée par Eric Drouet.

               Exemple de post d’Eric Drouet sur son groupe «La France
               en colère !!!».

               «J’essaie de partager le maximum», répète sans cesse Eric
               Drouet dans ses lives. La vérité est plus contrastée. Il ne
               partage que les événements que lui et son équipe veulent
               bien partager. Le processus de sélection est tout sauf
               transparent. Des gilets jaunes le soupçonnent d’avoir mis
               en place une direction officieuse du mouvement, dont
               personne ne sait rien. Face à ces accusations, Eric Drouet

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               répond que les initiatives qu’il promeut ne font que
               retranscrire la volonté de la base.

               Le concept d’une «Nuit Jaune» viendrait ainsi directement
               d’un sondage mené sur son groupe, où il demandait aux
               internautes de lui soumettre de nouvelles idées. En se
               présentant comme un simple «messager» qui retranscrit la
               volonté de la base, il s’exonère de la responsabilité
               juridique et morale des événements. Interrogé sur l’antenne
               de RT France, Eric Drouet assurait ne pas en être
               responsable et ne faire que «relayer les informations».
               «C’est la remontée des réseaux sociaux», explique-t-il.

               A côté des leaders de Facebook, un rassemblement de
               gilets jaunes des plateaux télés s’est constitué autour
               d’Hayk Shahinyan. Ce «Collectif du 17 novembre» est à
               l’origine de la liste aux européennes menée par Ingrid

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               Levavasseur, une aide-soignante de 31 ans remarquée
               pour ses passages à la télévision. Ne bénéficiant d’aucune
               assise sur les ronds-points ou sur les réseaux, ces porte-
               parole autoproclamés des gilets jaunes ont reçu de très
               sévères critiques à l’annonce de la constitution de la liste.
               Défendre les gilets jaunes sur les plateaux ne suffit pas
               pour parler en leur nom, il faut l’onction des réseaux
               sociaux ou se soumettre à un long exercice démocratique
               sur le terrain.

               C’est le sens de la démarche d’une autre coordination des
               gilets jaunes, qui fait nettement moins parler d’elle. Le 30
               novembre, un rassemblement de ronds-points de
               Commercy, petite ville de la Meuse, lançait un appel à créer
               dans toute la France des «Assemblées populaires», selon
               des principes proches du municipalisme libertaire. Deux
               mois plus tard, le processus parvient à son terme et se
               tiendra ce week-end une «Assemblée des Assemblées»
               dans la Meuse où seront représentées une cinquantaine
               d’assemblées de toute la France. «On fait les choses par la
               base, avec des assemblées locales, explique Claude, un
               des membres de Commercy. La différence est
               fondamentale. Ce ne sont pas des leaders autoproclamés.
               Tout le monde prône la démocratie au sein des gilets
               jaunes. Nous, on essaye de la faire vraiment.»

               Vincent Glad

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