Humanité - Une génération qui souffre 3
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Humanité 3 | 2021 Moldavie Une génération qui souffre Résilience Rendre l’enfant plus fort dans l’épreuve Ergothérapie et Covid long Aider au lent retour à l’autonomie Lutte contre le Covid-19 au Bangladesh Des millions de personnes en quête d’un revenu
Unis en faveur du développement durable La Croix-Rouge suisse s’engage pour les objectifs de développement durable de l’ONU, et en particulier pour onze d’entre eux. Plusieurs exemples de son action sont à lire dans cette édition. En savoir plus sur ces objectifs ➔ report.redcross.ch/fr 4 REPORTAGE – Moldavie Une génération qui souffre Impressum Soutenir le plus pauvre pays d’Europe Humanité, 3/2021 Août 2021 1 2 3 10 11 ISSN 1664-2015 12 PRÈS DE CHEZ VOUS – Ergothérapie et Covid long Photos de couverture et verso: Chişlari Oleg Aider au lent retour à l’autonomie Editeur: Croix-Rouge suisse, 3 4 Rainmattstrasse 10, Case postale, 3001 Berne Téléphone 058 400 41 11, info@redcross.ch, www.redcross.ch 14 RÉTROSPECTIVE – REDOG: 50 ans déjà Dons: CP 30-9700-0 Pionnier depuis un demi-siècle IBAN CH97 0900 0000 3000 9700 0 4 Conseil sur les legs: téléphone 058 400 42 83 Notification de changement d’adresse: par courriel 16 TÉMOIGNAGE – Soins ophtalmologiques au à don@redcross.ch ou par téléphone au 058 400 44 64 Soudan du Sud Adresse de la rédaction: Croix-Rouge suisse, Treize ans après, la vue recouvrée Rédaction Humanité, Case postale, 3001 Berne 1 3 10 humanite@redcross.ch, www.magazine-humanite.ch Rédaction: Tanja Reusser (rédactrice en chef), Sabrina 18 ENGAGEMENT – Programme Viens chez moi Hinder (Communication générale), Ursula Luder (Com- munication Santé et intégration), Katharina Schindler Un enrichissement mutuel (Communication Coopération internationale) 3 10 Contributions à la présente édition: Franziska Bundi, Sibylle Dickmann-Perrenoud, Célia Francillon, Thomas Heiniger, Markus Mader, Janine Michel, Marco Ratschiller, 22 SUR LE TERRAIN – Lutte contre le Covid-19 au Katrin Schöni, Dagmar Wurzbacher Bangladesh Abonnement: l’abonnement coûte 6 CHF par an et est offert aux donateurs de la CRS. Des millions de personnes en quête d’un revenu Parution: trimestrielle 1 3 10 Langues: français, allemand et italien Tirage: 130 929 exemplaires Copyright sur toutes les photos sans indication: 24 ENTRETIEN – Résilience Croix-Rouge suisse Rendre l’enfant plus fort dans l’épreuve Traduction: Service de traduction CRS 3 10 Graphisme et impression: Vogt-Schild Druck SA, Derendingen 26 GROS PLAN – Centres de quarantaine au Laos Prochaine édition: décembre 2021 L’essentiel pour une période difficile 1 2 29 PÊLE-MÊLE imprimé Recette, jeux, dessin humoristique myclimate.org/01-21-792201 Humanité est imprimé sur du papier recyclé à 100%. Parce que économiser les ressources, c’est préserver l’environnement. 2 Humanité 3/2021
É D ITOR I A L © Ruben Ung Savoir ses proches entre de bonnes mains Chère lectrice, cher lecteur, Quand on ne peut s’occuper soi-même de ses proches, on veut au moins savoir que quelqu’un prend bien soin d’eux. Les Moldaves obligés d’aller travailler à l’étranger ont rarement une telle certitude. Dans nos pays d’intervention, trop d’aînés tributaires de soins continuent de vivre dans des conditions indignes, totalement livrés à eux-mêmes. Nous voulons pour la Moldavie un système similaire à celui de la Suisse: un vaste réseau de bénévoles fiables s’occupant des personnes très âgées ou malades, aux côtés de services de soins à domicile professionnels. Dans notre pays, la Croix-Rouge suisse offre un soutien aux familles et aux proches aidants. Les prestations de ses associations cantonales sont une main tendue aux familles en difficulté et ont une influence durablement positive sur le développe- ment des plus jeunes. Je vous recommande à ce propos notre article en page 25. Bonne lecture! Thomas Heiniger Président de la Croix-Rouge suisse P.-S.: L’une de nos collaboratrices vient de nous envoyer un compte rendu de la situation au Bangladesh, où le coronavirus a plongé des millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté. La vaccination sera décisive pour prévenir une catastrophe encore pire. Rendez-vous en page 22. Humanité 3/2021 3
Moldavie Une génération qui souffre Le délégué de la CRS Viorel Gorceag aide Ion Dascal, 91 ans, à rejoindre sa terrasse. En Moldavie, de nombreuses personnes âgées vivent dans une extrême pauvreté, livrées à elles-mêmes. Les membres de leur famille susceptibles de les entourer sont souvent partis à l’étranger pour travailler. La CRS soutient le service de soins à domicile et les initiatives d’entraide des groupes de seniors. TEXTE: CÉLIA FRANCILLON PHOTOS: CHIŞLARI OLEG Humanité 3/2021 5
R E PO RTAGE E ugenia Jelihovschi, 76 ans, ajuste son foulard et jette un dernier coup d’œil dans le miroir avant de sortir de chez elle. Comme toutes les semaines, elle va retrouver le groupe de seniors Romantica, créé à Corpaci, un village d’un millier d’habitants situé dans le nord de la Moldavie. Il pleut à verse, mais rien ne peut l’arrêter: elle a hâte de rejoindre ses camarades – pour rompre la solitude, mais également pour se sentir utile en aidant les autres. Pourtant, la vie n’a pas été tendre avec elle. Il y a vingt ans, Eugenia Jelihovschi a perdu son mari des suites © Chişlari Oleg du diabète. Elle a aussi dû quitter son poste de professeure de roumain et de français pour des raisons de santé: elle souffre d’hypertension, d’athéro sclérose et d’une hépatite C. «J’ai com- structures défaillantes, bas salaires: les du bien au sexagénaire et lui permet mencé à m’occuper de moi. J’ai soigné raisons de cet exode sont multiples», de rester à la maison malgré son han- beaucoup de mes affections avec des explique Viorel Gorceag, délégué de dicap. Victor Gașco, en effet, a l’esprit plantes. Grâce à Internet, que ma fille la Croix-Rouge suisse (CRS) sur place. parfaitement clair et ne baisse pas les m’a appris à utiliser, j’ai approfondi mes Beaucoup de seniors se retrouvent bras: «Mon rêve est d’avoir un fauteuil connaissances.» Mais désormais, elle donc seuls, sans proche vers qui se tour- électrique pour pouvoir me déplacer est seule: sa fille est partie travailler en ner. «En outre, la pandémie a renforcé autour de chez moi.» Grèce, et son fils vit en Allemagne. l’isolement des personnes âgées, pré- cise le délégué. Et elle a provoqué une Précarité sociale Exode des jeunes diminution générale des revenus.» De Liubovi Pilipetcaia, 84 ans, a passé sa En Moldavie, c’est une triste réalité nombreuses personnes ont perdu leur vie à travailler dans les kolkhozes de pour les personnes âgées: en quête emploi, et il leur est devenu impossible l’ancienne Union soviétique. Son corps de travail, les jeunes quittent le pays de chercher du travail à l’étranger. Ne garde les traces de ce dur labeur. Veuve pour l’Europe ou la Russie. «Manque pouvant compter que sur de maigres de perspectives professionnelles, infra retraites et un système de santé fragile, «La pandémie a renforcé les aînés vivent dans une grande préca- l’isolement des personnes âgées rité. et provoqué une diminution Renversé par une voiture à l’âge de générale des revenus.» trois ans, Victor Gașco, 65 ans, souffre depuis d’une atrophie des membres depuis huit ans, elle reçoit un maigre inférieurs. Il reçoit 80 euros de pen- soutien financier de ses quatre enfants. sion par mois. Depuis le décès de ses Mais elle ne les voit presque jamais. Il y a parents et de son frère, il habite seul six mois, elle a fait une mauvaise chute, dans la maison familiale, dans le vil- qui l’a contrainte à rester longtemps lage d’Hitresti, à deux heures au nord alitée. Aujourd’hui, elle va mieux, grâce de Chișinău, la capitale. A cause de notamment aux soins prodigués par ses problèmes de mobilité, son quo- une infirmière de CASMED, qui lui rend tidien est très compliqué. Sa maison visite tous les jours. «Alina Draganel me n’est équipée ni de toilettes ni d’eau masse et m’aide à faire des exercices. courante. Il se déplace avec difficul- J’espère que je pourrai bientôt me dé- té, chaque mouvement lui prend du placer seule.» temps et de l’énergie. Heureusement, En Moldavie, tous les retraités béné- © Chişlari Oleg il peut compter sur le service de soins ficient d’une assurance-maladie pu- à domicile CASMED, qui est soutenu blique. Malheureusement, seules 20 % par la CRS. Plusieurs fois par semaine, des personnes dans le besoin profitent Jamais à court d’idées ni d’énergie lors- Valentina Donighevici l’aide dans son d’une prise en charge des soins à do- qu’il s’agit d’aider. ménage. Un contact extérieur qui fait micile, pourtant si nécessaires. «La CRS 6 Humanité 3/2021
R E PO R TAG E Eugenia Jelihovschi, ici en pleine danse folklorique, échappe à l’isolement en participant au programme varié du groupe de seniors. Après une grave chute, Liubovi Pilipetcaia, 84 ans, a reçu les soins © Chişlari Oleg d’une infirmière de CASMED. Elle lui en est très reconnais- sante. aide les personnes âgées qui, sans sou- tien, ne pourraient pas vivre dans la di- gnité», explique Viorel Gorceag. La CRS accompagne les autorités locales dans le développement et le déploiement de prestations adaptées aux aînés, dont le service de soins à domicile. De plus, elle s’engage pour une meil- leure allocation des fonds de l’assu- rance-maladie. La CRS cherche aussi à mettre sur pied un dispositif de finan- cement durable des soins. L’objectif fi- nal étant que CASMED soit autonome financièrement. © Chişlari Oleg Des seniors impliqués Ion Dascal a l’air d’un cow-boy frin- gant. Pourtant, il a 91 ans et ne bénéfi- Sans le service de soins à domicile, Victor Gașco ne pourrait plus vivre seul. Il est heureux que Viorel Gorceag l’aide aujourd’hui à accéder à son jardin avec son fauteuil roulant. cie d’aucune aide. Heureusement qu’il peut compter sur Eugenia Jelihovschi, accompagnée ce jour-là de deux autres temps avec le groupe, car nous voulons Par chance, malgré la pandémie de membres du groupe Romantica. Les aider celles et ceux qui sont moins bien coronavirus, CASMED n’a pas dû inter- trois seniors sont venus partager une lotis que nous.» Au fil des années, les rompre ses visites chez les personnes tasse de thé et lui apporter un sac de membres ont réalisé qu’ils pouvaient âgées. Et les membres du Romantica victuailles. faire davantage et ont commencé à ont gardé le contact par téléphone, do- Les groupes de seniors permettent de s’impliquer dans la vie politique et so- pés par la vitalité d’Eugenia Jelihovschi: maintenir le lien social et d’améliorer la ciale de leur village. Viorel Gorceag est «Grâce à Dieu, je n’ai pas été contami- situation des personnes âgées en Mol- enthousiaste: «Grâce à notre soutien, née par le virus. Je continue à renforcer davie. Le Romantica a été fondé en 2017 les groupes de seniors apprennent à dé- mon système immunitaire et à com- et propose diverses activités telles que fendre leurs intérêts auprès des autori- battre les maladies avec des plantes. Je danse, chant, jeux ou séances d’infor- tés locales. Par exemple, ils demandent respecte les mesures de protection. Et mation sur le coronavirus. Ses membres l’installation d’un banc à un arrêt de je suis optimiste: je suis sûre que tout s’investissent aussi auprès de la collec- bus.» La CRS finance les mesures utiles et ira bien.» tivité. Ils rendent visite aux plus dému- durables à hauteur de 30 % maximum. ➔ redcross.ch/moldavie nis, comme Ion Dascal. Cet engage- Les fonds restants sont récoltés par les ment fait du bien à Eugenia Jelihovschi, groupes de seniors au moyen d’opéra- qui explique: «Je passe beaucoup de tions de collecte. Humanité 3/2021 7
R E PO RTAGE Moldavie Soutenir le plus pauvre pays d’Europe L’exode des jeunes place la Moldavie face à de multiples problèmes. Pour soulager la dé- tresse de la population de ce petit pays d’Europe de l’Est, la CRS soutient les organisations locales dans leurs efforts pour mettre sur pied un service d’aide et de soins à domicile ac- cessible à tous. Les personnes malades ou handicapées reçoivent régulièrement de la visite et bénéficient d’une prise en charge médicale de base. TEXTE: CÉLIA FRANCILLON E n Moldavie, la pauvreté est une réa lité de tous les instants. A la cam- pagne, il faut la plupart du temps aller 3,3 millions d’habitants. Si la tendance se poursuit, ce chiffre pourrait tomber à moins de 2 millions d’ici à 2050, avec nelles sont autant de raisons pour les jeunes de partir à l’étranger en quête d’un emploi. Leur exode laisse un trou chercher l’eau au puits, et les toilettes se béant dans la main-d’œuvre qualifiée, trouvent dans la cour. L’hiver, il est diffi- En Moldavie, une récession est à en particulier dans le secteur médical. cile de chauffer les maisons, mal isolées. craindre à cause de la pandémie Et si l’assurance-maladie obligatoire a Les personnes malades et fragiles se re- de coronavirus. été introduite en 2004, de nombreux trouvent vite en grande difficulté. habitants ne bénéficient pas de la prise Depuis son indépendance en 1991, la 35 % de personnes de plus de 60 ans. en charge des soins à domicile dont ils population de cette ancienne répu- Bas salaires, manque d’infrastructures auraient tant besoin – un problème de blique soviétique est passée de 4,3 à et absence de perspectives profession- santé publique majeur dans un pays en proie à un grave déclin démographique. Autre conséquence de ce déclin, un sys- tème de retraite précaire, fragilisé par le double phénomène de la diminution du nombre des cotisants et de l’augmenta- tion de celui des retraités. En outre, il est à craindre que la pandé- mie de coronavirus ne provoque une ré- cession en 2021. Avec la crise sanitaire, beaucoup de Moldaves ont perdu l’em- ploi qu’ils occupaient à l’étranger, alors que d’autres n’ont pas pu tenter leur chance hors du pays. Enfin, si la situa- tion politique est actuellement stable en Moldavie, une escalade de violence ne peut être exclue. La Transnistrie, région de la rive gauche du Dniestr, reste un territoire séparé sur lequel sont station- nées des troupes russes. Certes considé- rée comme indépendante, elle n’a été reconnue par aucun autre Etat et est © CASMED toujours revendiquée par la Moldavie. Depuis près de 30 ans, ce conflit larvé A l’extérieur des villes, la plupart des habitations n’ont pas l’eau courante. Le précieux menace la sécurité du pays. liquide doit être puisé au seau pour l’ensemble des besoins du foyer. ➔ redcross.ch/moldavie 8 Humanité 3/2021
R E PO R TAG E TROIS QUESTIONS Une collabora- trice du service de ALEXANDRA PAPIS soins à domicile Responsable de se rend chez un programme pour la client à vélo. Dans Moldavie, elle est © Chişlari Oleg les régions rurales, chargée du domaine beaucoup de routes Santé et vieillesse à la ne sont pas gou- Coopération interna- dronnées. tionale de la CRS. Elle est titulaire d’un MAS International Health. POURQUOI AIDER EN MOLDAVIE? Pays le plus pauvre d’Europe, cet Etat fait face à de nombreux problèmes. L’un d’eux est celui de l’émigration des jeunes, qui mène à une grave pé- nurie de main-d’œuvre, en particulier Les membres du dans le secteur médical. Notre action groupe de se- vise à améliorer les conditions de vie niors répartissent des personnes âgées, ce qui passe no- équitablement tamment par le financement et l’or- © Chişlari Oleg les maigres vivres ganisation de l’activité des auxiliaires disponibles avant de santé et par la reconnaissance des de les apporter aux services de soins à domicile, deux do- plus démunis. maines d’expertise de la Croix-Rouge suisse (CRS). À PROPOS LA CRS SOUTIENT-ELLE AUSSI LE SERVICE DE TRANSFUSION L’ENGAGEMENT DE LA CRS EN MOLDAVIE SANGUINE? Le travail actuel de la CRS vise à permettre aux personnes âgées de vivre Oui, là encore la CRS dispose de dignement. Il s’articule autour de la promotion d’une attitude positive compétences dont elle peut faire face au vieillissement et autour de l’intégration sociale des seniors. La CRS bénéficier directement la Moldavie. aide les autorités à mettre au point une stratégie Vieillesse tenant compte Nous avons déjà pu contribuer à la des besoins des aînés. formation du personnel et à la moder- nisation des appareils de traitement Depuis 2004: secours d’hiver du sang. Nous sommes actuellement Soutien du programme de secours d’hiver de la Croix-Rouge moldave (soupes dans la dernière phase, qui vise la populaires) et distribution d’articles d’hygiène et de denrées alimentaires dans mise aux normes européennes du le cadre de l’action 2xNoël. Depuis trois ans, les marchandises sont achetées système de transfusion sanguine sur place avec les recettes des colis en ligne. moldave. 2008–2011: santé communautaire COMMENT S’ASSURER QUE Collaboration avec l’ONG focus.dh dans quatre districts pour améliorer les L’AIDE VA AUX PERSONNES QUI connaissances des professionnels de la santé et les compétences en matière de EN ONT BESOIN? promotion de la santé ainsi que pour soutenir les femmes dans la réalisation de Nous travaillons avec des acteurs lo- projets générateurs de revenus. caux reconnus et de confiance, sélec- tionnés par appel d’offres. CASMED 2014–2022: transfusion sanguine est la référence en matière d’aide à Renforcement du système de transfusion sanguine dans tout le pays via la domicile. L’organisation est jeune, formation du personnel et la modernisation de l’infrastructure utilisée pour le dynamique et très connectée. Nous traitement du sang. collaborons aussi avec les institutions à un niveau régional et national, ce 2014–2023: santé des personnes âgées qui nous permet d’agir de manière Collaboration avec CASMED dans le nord du pays pour les soins à domicile et ciblée, efficace et durable. Enfin, le soutien aux groupes de personnes âgées. Contribution au niveau national notre délégué sur place est moldave à l’officialisation de la profession d’auxiliaire de santé et à l’amélioration de et dispose d’un très bon réseau. Nous l’accès aux soins à domicile. avons peu de frais de coordination, l’argent est injecté dans des projets 2018–2023: soutien des autorités dans le secteur de la santé qui profitent directement aux plus Sur mandat de la DDC, collaboration avec CASMED et HOMECARE pour ren- vulnérables. La Moldavie est un petit forcer des organisations civiles comme l’association médicale professionnelle pays: avec peu, nous pouvons faire et les groupes de patients. L’objectif est d’améliorer durablement l’accès aux beaucoup. soins et la qualité de ces derniers. Humanité 3/2021 9
Participez à des projets humanitaires. swisscanto.ch/croixrouge Avec le Swisscanto (CH) Bond Fund Sustainable Global Aggregate Swiss Red Cross (code ISIN : CH0511961432), vous effectuez un placement financier durable tout en soutenant des projets humanitaires. Et vous associez la Croix-Rouge suisse au succès de vos placements. Les parts de fonds peuvent être souscrites directement auprès de votre banque. Ces informations sont publiées à titre exclusivement publicitaire et ne constituent ni un conseil en placement ni une offre. Les seules sources d’information faisant foi pour l’acquisition de parts de fonds Swisscanto sont les documents publiés (contrats de fonds, conditions contractuelles, prospectus de vente et/ou informations clés pour l’investisseur ainsi que rapports de gestion). Ces documents peuvent être obtenus gratuitement sur le site swisscanto.ch et sous forme papier auprès de Swisscanto Direction de Fonds SA, Bahnhofstrasse 9, 8001 Zurich.
EN BREF Représentante Jeunesse au CCR ■ Samaritaine engagée depuis l’âge de six ans, la Fribourgeoise Aline Muller, 27 ans, a assumé au sein du mouvement diverses tâches dans plusieurs services. Aide d’urgence au Congo Au Conseil de la Croix-Rouge (CCR), cette ■ L’éruption d’un volcan dans l’est de L’architecte Regina Wenk accompagne économiste de formation souhaite pro- la République démocratique du Congo de jeunes bénévoles dans la construc- mouvoir les interactions entre les géné- a contraint plus de 400 000 personnes tion d’abris transitoires, tandis que deux rations, les régions et les organisations. à la fuite. La Croix-Rouge fournit des logisticiens de la CRS gèrent l’achat du Elle dispose d’un vaste réseau au sein du biens de première nécessité aux habi- bois de construction en donnant la prio- mouvement samaritain et des organisa- tants dont la coulée de lave a emporté la rité au marché local. Dès que la situa- tions de jeunesse de la CRS. Aline Muller maison. La CRS a dépêché trois experts tion le permettra, les familles touchées succède à Danielle Breitenbücher, qui a sur place pour coordonner l’aide d’ur- regagneront leurs villages et recons- inauguré la fonction de représentante gence du Mouvement international de truiront leurs maisons avec l’appui de la de la jeunesse au CCR en 2013. la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Croix-Rouge. B2Mission et B2Run: les entreprises bougent pour la bonne cause ■ ««B2Mission B2Mission nous a permis de conso- rassembler 3500 CHF pour en faire don tembre à Berne, à Bâle, à Zurich, à lider notre bon esprit d’équipe, et les à la CRS, ce qui a encouragé la Fonda- Saint-Gall et à Zoug pour faire bouger employés de notre service de livraison tion FWG à donner aussi 1000 CHF», les entreprises. C’est l’occasion de vivre à vélo ont eu beaucoup de plaisir à explique Manuel Wiesner, qui a lui aussi une expérience en équipe et de courir participer au défi», témoigne Manuel contribué à la récolte de points en fai- pour la bonne cause. Pour chaque per- Wiesner, codirecteur de Familie Wiesner sant du vélo. sonne inscrite, B2Run reverse un franc à Gastronomie (FWG) et lui-même livreur Après le défi B2Mission B2Mission,, place à la la CRS! à vélo à temps partiel (à gauche sur la B2Run!! La course aura lieu en sep- B2Run ➔ b2run.ch/fr photo). En Suisse alémanique, l’entre- prise familiale possède plusieurs restau- rants, tels que le Nooch Asian Kitchen ou le Neghishi Sushi Bar. Bar. Ces restaurants livrent à domicile par l’intermédiaire de coursiers à vélo, et c’est ainsi que FWG a décidé de prendre part au B2Mission Trophy: pour chaque kilo- Red Cross Trophy: mètre effectué à pied ou à vélo, les em- © Familie Wiesner Gastronomie ployés recueillaient des points. «C’était sympa de suivre l’évolution et les résul- tats de l’équipe sur l’application», ra- conte Joe, un livreur. «Dans le cadre de B2Mission,, grâce à nos collaborateurs B2Mission sportifs et engagés, nous avons réussi à Humanité 3/2021 11
PR ÈS DE CHEZ VOU S Ergothérapie et Covid long Aider au lent retour à l’autonomie Depuis six mois, une femme de 41 ans souffre de Covid-19 longue durée, caractérisé par la persistance des symptômes du coronavirus. Pour Mirjam Busch, ergothérapeute à la Croix- Rouge grisonne, accompagner ces patients particuliers est un travail de pionnier. Elle puise dans son expertise et son savoir-faire afin de faciliter leur retour à une vie normale. TEXTE: KATRIN SCHÖNI PHOTOS: MISES À DISPOSITION A ssise devant son ordinateur, la pa- tiente*, originaire de Suisse orien- tale, s’apprête à taper le code d’un bon de réduction. Si elle peut lire les chiffres, il lui est impossible de les traiter: son cerveau est en grève. «J’ai du mal à com- prendre ce qui m’arrive.» Il y a encore moins de six mois, elle était gestionnaire de contenus numériques dans un grand groupe international, ne comptait pas ses heures de travail et effectuait des tâches autrement plus exigeantes. En décembre, elle a attrapé le Covid-19 et développé les symptômes habituels de l’infection. Au bout de deux semaines, moment où la plupart des malades commencent à se «J’ai du mal à comprendre ce qui se passe dans mon corps.» rétablir, elle se sent encore épuisée. En février 2021, le doute n’est plus permis: cette femme de 41 ans souffre de Covid long. «On parle de Covid-19 longue durée lorsque des troubles subsistent douze semaines après l’infection», explique Mirjam Busch, ergothérapeute à la Croix-Rouge suisse (CRS) du canton des Grisons. L’ergothérapie s’adresse aux personnes A l’écart du monde du travail et des interactions sociales, la patiente se réfugie auprès de son chat dans les moments de solitude. de tout âge qui ont perdu en autono- mie à la suite d’une maladie ou d’un accident. Elle a pour but de leur réap- quand les mécanismes de perception de la Croix-Rouge qui possèdent leur prendre à vivre au quotidien avec des et de pensée sont perturbés. La Croix- propre centre d’ergothérapie. Actuel- fonctions corporelles altérées, y com- Rouge grisonne, à Coire, fait partie lement, Mirjam Busch accompagne pris au niveau cognitif, c’est-à-dire des quelques associations cantonales 21 personnes atteintes de Covid long, 12 Humanité 3/2021
PR È S D E C HE Z VO U S une forme de la maladie qui, selon une étude britannique récente, touche un tiers de tous les patients Covid-19. Brouillard cérébral L’ergothérapeute de 47 ans, qui suivait déjà des personnes souffrant de fatigue chronique, s’appuie sur cette expérience «J’oublie constamment les choses les plus simples et je perds de vue l’essentiel.» pour la prise en charge du Covid long. A la fatigue peuvent s’ajouter des varia- tions de la tension artérielle, une perte d’appétit ou des problèmes de sommeil. Les patients peuvent développer des troubles anxieux ou paniques ou som- brer dans la dépression. Le phénomène de brouillard cérébral est également ré- Mirjam Busch, ergothérapeute à la Croix-Rouge grisonne, recherche avec sa patiente des solutions pratiques qui ménagent le corps et le mental. pandu. C’est lui qui, souvent, prive les personnes de leur concentration. La patiente de le malaise post-effort, ou MPE. Cela peut centre commercial et de ne commencer Mirjam Busch le décrit ainsi: «J’oublie se manifester par des troubles cognitifs, ses emplettes qu’ensuite, en veillant à constamment les choses les plus simples de la fièvre, des douleurs musculaires ou ne pas se presser. et je perds de vue l’essentiel.» Le brouil- un épuisement. Il est donc crucial que les «Les échanges avec Mirjam Busch m’ap- lard cérébral explique également qu’elle personnes ménagent leurs ressources. portent beaucoup. Elle a des idées aux- soit incapable de saisir le code du bon de Durant la thérapie, elles apprennent à quelles je ne penserais pas moi-même. réduction. identifier les signes de MPE et à prendre Cela va des techniques de relaxation au davantage soin de leur corps.» recours à une femme de ménage pour Eviter le stress m’aider à la maison. J’espère que ces La patiente est en traitement depuis Travailler avec des solutions conseils m’aideront à retrouver petit à avril 2021. «Comment la semaine s’est- La patiente de Mirjam Busch est forte- petit une vie normale. Mon souhait est elle passée?», interroge l’ergothéra- ment limitée dans son quotidien: elle de pouvoir recommencer à travailler un peute. «J’ai de grandes difficultés de ne réussit pas à se lever avant midi. jour.» concentration. J’oublie des choses que Souvent, après s’être douchée, elle n’a je retenais auparavant sans problème. plus la force de se sécher les cheveux. Un savoir partagé Cela m’angoisse beaucoup», confie la «Heureusement, c’est l’été, le soleil me Au centre d’ergothérapie de la Croix- patiente. Mirjam Busch l’invite à don- tient lieu de foehn et j’en profite pour Rouge grisonne, les demandes de prise ner un exemple. «Avant la maladie, je me reposer», raconte-t-elle avec un sou- en charge du Covid long affluent. C’est connaissais la date de péremption de rire, tandis que Mirjam Busch l’écoute ce qui a décidé Mirjam Busch à faire bé- tous les aliments du frigo. Maintenant, attentivement. Leurs échanges doivent néficier ses pairs de son savoir. Parallèle- je dois la vérifier tous les jours et je finis permettre de trouver ensemble des so- ment à l’élaboration d’un concept thé- quand même par l’oublier», reprend son rapeutique spécifique, elle anime aux interlocutrice. Mirjam Busch s’enquiert «Les échanges avec Mirjam Busch côtés d’autres experts une formation ensuite des activités accomplies ces m’apportent beaucoup. en ligne destinée aux ergothérapeutes derniers jours. «Les patients Covid long Elle a des idées auxquelles je ne de la CRS. «Cette offre suscite un vif in- ont un niveau d’énergie limité, un peu penserais pas moi-même.» térêt car le Covid long va nous occuper comme une batterie qui ne serait jamais encore un bon bout de temps, déclare entièrement rechargée. Cette réserve lutions pratiques pour la vie de tous les la spécialiste. Mais avec l’ergothérapie, ne doit pas être surexploitée», avertit la jours. Ainsi, la patiente met un point nous facilitons le retour à l’autonomie praticienne expérimentée. «Une sollici- d’honneur à faire ses courses elle-même, des patients.» tation physique, intellectuelle ou émo- quitte à en revenir épuisée. L’ergothéra- ➔ redcross.ch/ergotherapie-fr tionnelle excessive risque d’entraîner peute lui suggère de souffler quelques une aggravation des symptômes: c’est minutes dans sa voiture à l’arrivée au *La patiente a souhaité garder l’anonymat. Humanité 3/2021 13
R É TRO SP ECT I VE REDOG: 50 ans déjà Pionnier depuis un demi-siècle REDOG fête ses 50 ans en 2021, l’occasion de revenir sur la mue d’une petite organisation pionnière en un pilier de la recherche et du sauvetage. Les secouristes vêtus d’orange et leurs chiens symbolisent à eux seuls la localisation de personnes disparues ou ensevelies. TEXTE: DAGMAR WURZBACHER PHOTOS: REDOG C eux qui ont connu Urs Ochsenbein évoquent son souvenir avec le plus grand respect. Et pour cause: c’est à lui cice difficile pour le chien. Mais il est tou- jours émouvant de le voir arpenter les décombres et se mettre à chercher.» Pe- souvient du travail fantastique mené par les conducteurs de chien de concert avec les autres intervenants. que l’on doit l’existence de REDOG, la So- ter Kradolfer a œuvré pour que l’Armée Au nombre des membres fondateurs ciété suisse pour chiens de recherche et suisse forme des maîtres-chiens aux se- de la Chaîne suisse de sauvetage en de sauvetage. A la fin des années 1960, cours en cas de catastrophe. Les recrues 1981, REDOG est devenue en 1984 une des maîtres-chiens ont eu l’idée de faire ont toujours la possibilité de suivre cette organisation de sauvetage de la Croix- appel aux chiens d’avalanche pour re- formation, au terme de laquelle elles de- Rouge suisse (CRS). Dans son discours chercher des personnes ensevelies sous viennent membres de REDOG. prononcé à l’occasion du jubilé, Thomas les décombres. La cheville ouvrière du Si les chiens accompagnent les hommes Heiniger, président de la CRS, se montre projet: Urs Ochsenbein, journaliste et depuis des millénaires, il a fallu attendre reconnaissant: «REDOG s’illustre dans grand spécialiste de la relation entre le début du XXe siècle pour les voir à la recherche et la localisation de per- l’homme et le chien. Il pouvait jauger ra- l’œuvre dans le sauvetage: pour secou- sonnes, autant grâce à ses chiens qu’à pidement le potentiel d’un animal et son rir des victimes d’avalanche, des soldats son savoir-faire technique.» jugement, positif ou négatif, s’avérait blessés ou des personnes ensevelies sous toujours infaillible. Le groupe bricolait les décombres lors des bombardements Un rôle pionnier aujourd’hui encore sans relâche des scénarios d’entraîne- de la Seconde Guerre mondiale. Au vu des conséquences possibles du ment, déplaçait des gravats pour repro- «Nous apprenions par la pratique», ex- réchauffement climatique, la collabo- duire des décombres ou utilisait des mai- plique Peter Kradolfer. Chaque nouvelle ration fait figure d’enjeu majeur. Linda sons en démolition afin de s’exercer dans mission apportait son lot d’enseigne- Hornisberger, responsable du domaine des conditions aussi réelles que possible. ments. Peter Kradolfer et Urs Ochsenbein Recherche de personnes ensevelies, le Mais d’où est venue l’idée de former des sont intervenus deux fois avant que sait mieux que quiconque. En 2019, chiens à intervenir dans les décombres? l’organisation ne voie le jour: après un elle est mobilisée avec son border collie Peter Kradolfer, compagnon de route accident dans l’usine d’explosifs de lorsque deux personnes sont emportées d’Ochsenbein, note humblement: «Re- Dottikon et après un éboulement dans par un torrent lors d’un orage. «Nous chercher quelqu’un sous une avalanche le Wägital. Dans les deux cas, les chiens devons être prêts à affronter ce genre ou sous des gravats, ce n’est pas très dif- Gary et Ari sont parvenus à flairer les vic- de phénomènes naturels, dont la fré- férent.» times: le duo cynophile était sur la bonne quence promet d’augmenter.» voie. Peu après, des groupes locaux ont Aujourd’hui encore, REDOG est animée L’avènement d’une organisation de organisé des entraînements dans toute par l’esprit pionnier des origines. Dans sauvetage la Suisse. Fédérés sous la bannière de la les années 1980, elle a été l’une des pre- Peter Kradolfer, aujourd’hui âgé de SVKA, germanophones et francophones mières organisations à tester l’utilisation 82 ans, a été le premier président de ont œuvré à l’avènement d’un dispositif de dispositifs techniques modernes tels la Société suisse pour la formation des cynotechnique national, rejoint en 1974 que caméras et géostéréophones en chiens de catastrophe (SVKA), créée en par le groupe tessinois. complément du flair des chiens. Depuis 1971 et rebaptisée plus tard REDOG. En 1985, REDOG a acquis une renom- cinq ans, elle recourt à des drones pour L’ancien formateur de chiens de re- mée internationale à Mexico City. Neuf repérer des personnes sur de vastes cherche en avalanche puis de chiens personnes ensevelies sous des gravats étendues. Les dons permettent à REDOG de catastrophe raconte, les yeux bril- étaient retrouvées vivantes par ses de maintenir son professionnalisme et lants: «Evoluer sur un terrain jonché de équipes cynophiles engagées dans le d’adapter la qualité de ses prestations poutres, de pans de murs, d’armatures cadre de la Chaîne suisse de sauvetage. aux exigences nouvelles. et souvent de bris de verre est un exer- Toni Frisch, alors à la tête de celle-ci, se ➔ redog.ch/fr/les-50-ans-de-redog 14 Humanité 3/2021
1 6 11 2 7 12 8 3 13 4 9 5 10 14 1 P remière intervention en 1969 à Dottikon: 6 1 979: l’armée introduit la formation des 11 Japon, 2011: Linda Hornisberger (g) dirige Ari sur le site de l’usine d’explosifs chiens de recherche. l’intervention de REDOG après le séisme et 2 Sans lui REDOG n’existerait pas: Urs Ochsen- 7 Y ougoslavie, 1979: Urs Ochsenbein (g) le tsunami. bein en 1984. donne de dernières instructions. 12 Chamoson, Valais, 2019: sous l’effet du 3 Entraînement avec les sauveteurs: Peter 8 REDOG forme des chiens à la quête de réchauffement climatique, les catastrophes Kradolfer et Ari, vers 1973 surface depuis 1982. naturelles vont être plus fréquentes. 4 Açores, 1974: dès le début, des femmes ont 9 Yémen du Nord, 1982: première interven- 13 REDOG et la Rega: une collaboration 12 fait partie des équipes. tion avec la Chaîne suisse de sauvetage étroite (Yémen du Nord, 1982) 5 Frioul, 1976: seize personnes sont sauvées. 10 M exico-City, 1985: sauvetage de neuf 14 La technologie en appoint de la truffe: La presse mondiale s’en fait l’écho. personnes. Succès pour REDOG et la Chaîne la localisation technique introduite en suisse de sauvetage 1982 se modernise.
T É M O IGNAGE Soins ophtalmologiques au Soudan du Sud Treize ans après, la vue recouvrée Une mère voit ses enfants pour la première fois. Aveugle treize années durant faute d’accès à des soins, elle a retrouvé la vue grâce à un camp ophtalmologique de la Croix-Rouge. TEXTE: FRANZISKA BUNDI PHOTOS: TATJANA GERBER A dau Diing Maduol avait fini par tota- lement perdre la vue. Cataracte aux deux yeux. C’était il y a treize ans, après de la Croix-Rouge sud-soudanaise, du diocèse catholique de Wau, du ministère de la santé et de l’hôpital universitaire de la naissance de son cinquième enfant: Wau. Installé à Wau, soit à une centaine Adau Diing Maduol était aux champs de kilomètres, ce camp temporaire per- quand elle a soudain ressenti des dou- met aux habitants des régions reculées leurs dans l’œil gauche. Sa vue s’est d’avoir accès à des soins ophtalmiques. dégradée, jusqu’à ce qu’elle la perde Parmi eux, des gens atteints d’affections complètement. Puis la même chose s’est graves mais curables, comme Adau Diing répétée avec l’œil droit. «J’étais effon- Maduol. Dans les campagnes, où les ha- drée, se souvient-elle. Je ne pouvais plus bitants n’ont ni l’eau potable ni l’électri- rien faire seule et j’avais très mal.» Heu- cité, l’assistance sanitaire est quasi inexis- reusement, son mari et ses enfants ont tante. Le Soudan du Sud compte cinq pris le relais. Deux des garçons ont com- Adau Diing Maduol, aveugle depuis treize ophtalmologues pour 14 millions d’habi- ans, attend son tour avec son petit dernier mencé à s’occuper de leur mère et à faire dans les bras. tants – en Suisse, on en dénombre 1080. la cuisine – des tâches pourtant réservées aux femmes dans la culture sud-sou- enfants alors qu’elle était déjà aveugle. Trois sites d’examens préliminaires danaise. Aujourd’hui âgés de 9 et 13 ans, «C’était très dur pour moi de ne pas les La nouvelle de l’arrivée du camp s’est ils ne vont toujours pas à l’école. Cette fa- voir», soupire-t-elle. vite répandue. Afin d’éviter un long tra- mille de paysans vit dans des conditions jet inutile aux personnes souffrant de très rudimentaires: «Parfois, je devais Des soins quasi inexistants maladies non guérissables, des visites aller demander de l’aide aux voisins et Le destin va toutefois finir par lui sou- préliminaires sont organisées dans trois leur donner un peu d’argent pour qu’ils rire, sous la forme d’un camp ophtalmo- localités. L’affluence est énorme. Le per- travaillent nos champs.» Adau Diing Ma- logique mis en place grâce aux efforts sonnel de l’hôpital de Wau, appuyé par duol a donné naissance à trois autres conjoints de la Croix-Rouge suisse (CRS), les bénévoles de la Croix-Rouge, examine Les bénévoles de la Croix-Rouge aident au bon fonctionnement du Les bénévoles de la Croix-Rouge sont aussi chargés d’enregistrer camp ophtalmologique et au respect des gestes barrières. les patients souffrant de maladies oculaires. 16 Humanité 3/2021
TÉ MO IG N AG E En attendant la prise en charge, patients et accompagnants se Une charrette tirée par un âne emmène des patients à la visite mettent à l’abri – il fait plus de 40°C. préliminaire. L’opération a réussi, Adau Diing Maduol peut enfin voir tous ses enfants – un vrai bonheur. Après l’opération, les patients rentrent en transport col- lectif. plus de 1000 personnes. Pour certaines, il Les bénévoles de la Croix-Rouge sud-sou- la Croix-Rouge n’ont d’autre choix que n’y a malheureusement plus rien à faire. danaise s’occupent des aspects orga- de refuser beaucoup d’entre elles. Cer- Les autres sont inscrites sur une liste d’at- nisationnels: accueillir les patients, leur taines cependant ont de la chance et tente. Priorité est donnée ici aux patients indiquer où attendre, les accompagner obtiennent une place qui vient de se li- atteints de cataracte, car il suffit pour leur jusqu’à la salle d’opération – tout en bérer. rendre la vue d’une rapide intervention veillant au respect des gestes barrières. chirurgicale consistant à remplacer le Le lendemain de l’intervention, les oph- Un succès immense cristallin opacifié par une lentille artifi- talmologues procèdent à un contrôle de Depuis la première en 2019, le camp cielle. Adau Diing Maduol est l’une des la vue. Les résultats sont satisfaisants: 1% ophtalmologique au Soudan du Sud est 586 personnes, dont neuf enfants, qui seulement des opérations ne donne au- un franc succès, ce grâce notamment vont pouvoir bénéficier de cette opéra- à la bonne collaboration de toutes les tion. Elle a encore du mal à croire à ce Chaque jour, ce sont plus de parties prenantes: la Croix-Rouge, le miracle: «Pour être honnête, j’avais perdu 600 personnes qui viennent personnel soignant local et le diocèse tout espoir de retrouver un jour l’usage spontanément solliciter des catholique de Wau, chargé de l’orga- de mes yeux. Nous sommes une famille soins au camp. nisation dans son ensemble. L’offre est pauvre et sans ressources.» très appréciée de la population et des cune amélioration. Un mois plus tard, un autorités régionales. Jürg Graf, respon- 56 opérations par jour second contrôle est effectué. sable de programmes de la CRS pour le Trois ophtalmologues et des assistants Il suffit d’un coup d’œil à la liste d’at- Soudan du Sud, souligne l’importance médicaux ont fait le déplacement depuis tente pour les visites préliminaires des camps: «Ce sont des initiatives très la capitale Djouba, à 600 km de là. Ils pour comprendre à quel point les Sud- précieuses et très efficaces. Il suffit d’une commencent par contrôler le diagnostic Soudanais souffrent de la quasi-absence opération simple pour rendre la vue et l’état de santé des personnes placées de soins oculaires. De même, ce sont ou soigner un déficit visuel. Les bénéfi- sur liste d’attente. S’ensuivent douze plus de 600 personnes qui se présentent ciaires peuvent à nouveau travailler et jours d’intervention à l’hôpital régional chaque jour spontanément au camp de retrouver une vie sociale, ce qui est un de Wau, à raison de dix heures de travail Wau dans l’espoir de bénéficier d’une plus pour l’ensemble de la société.» et 56 opérations par jour en moyenne. opération salvatrice. Les bénévoles de ➔ redcross.ch/ophtalmologie Humanité 3/2021 17
E N GAGE MENT «Je prends volontiers du temps pour répondre aux questions d’Ali ou pour aborder avec lui des sujets importants.» Programme Viens chez moi Un enrichissement mutuel Bénévole à la Croix-Rouge zurichoise, Ursula Santer accueille régulièrement chez elle Ali, jeune Tchadien de 19 ans. Cette maman de jumeaux de 14 ans entend déconstruire les préju- gés tout en montrant que ce type d’engagement est conciliable avec le travail. Récit sincère d’une expérience qui s’est révélée des plus enrichissantes. PROPOS RECUEILLIS PAR TANJA REUSSER PHOTOS: RUBEN UNG I l y a trois ans environ, j’ai décidé de rendre un peu de ce que la vie m’avait donné. Je me suis mise en quête d’un chez moi m’a immédiatement séduite: chaque semaine, des enfants ou de jeunes adultes allophones se rendent et peuvent eux aussi s’investir à leur niveau. Avec l’accord de mes jumeaux Aela et Manolo, alors âgés de 11 ans, j’ai engagement porteur de sens, compa- dans une famille ou chez une per- aussitôt contacté la Croix-Rouge zuri- tible avec ma vie de femme active et sonne germanophone pour pratiquer la choise. La coordinatrice met en relation de maman célibataire, et qui fasse par- langue locale et se familiariser avec la vie les gens de sorte que le profil des jeunes, ticiper mes enfants. Je tenais aussi à en Suisse. Cela correspond parfaitement qu’elle connaît tous, convienne aux bé- déconstruire les préjugés dont sont vic- aux valeurs que je souhaite transmettre névoles et à leur entourage. Rien n’est times les réfugiés. C’est au Credit Suisse, à mes enfants: l’ouverture sur le monde, laissé au hasard. Grâce à la CRS, je me où je travaillais alors, que j’ai entendu le souci de l’autre et l’entraide. En dé- suis sentie bien préparée. parler de la collaboration avec la Croix- couvrant d’autres parcours de vie, ils Lors de la première rencontre, la coor- Rouge suisse (CRS). Le programme Viens comprennent la chance qui est la nôtre dinatrice était présente et a répondu à 18 Humanité 3/2021
E N G AG E M E N T nos questions, ce qui, en plus d’être utile, ne pouvait pas dormir suffisamment et nous a mis en confiance. Les premières n’appréciait pas le désordre laissé par semaines sont une prise de contact sans son camarade. Ali n’a pas de famille en engagement. Tant la famille que l’hôte Suisse. Parfois, il parle de sa vie d’avant peuvent décider de ne pas donner suite et et de son périple depuis le Tchad, qu’il a en informer la CRS sans se justifier. Malgré fui car il refusait de subir une injustice. Il les cinq ans d’écart entre Ali et les jumeaux, décrit le quotidien de ces gens qui n’ont le courant est vite passé. Aujourd’hui, Ali a qu’un accès limité aux soins, et dont la 19 ans, et mes enfants en ont 14. Quand vie est conditionnée par le statut social. nous l’avons connu, Ali n’était en Suisse Durant le Ramadan, Ali, qui est musul- que depuis quelques mois. Il vivait dans man, nous raconte comment il se porte un foyer pour mineurs non accompagnés et combien la rupture du jeûne est une originaires de régions en crise, et parlait fête magique à ses yeux. et comprenait déjà étonnamment bien Ali a depuis longtemps cessé d’être un notre langue. A sa majorité, il a suivi un hôte pour devenir un membre de la fa- cours d’intégration où des connaissances mille. Les jumeaux sont un repère pour de base sont dispensées aux personnes lui car il est difficile, dans sa situation, migrantes éloignées de la formation. de trouver de vrais amis. Quand nous Cette année, en août, il va commencer un avons déménagé, nous avons pu bien apprentissage de deux ans qui débouche- sûr compter sur son aide. A Noël, il était ra sur une attestation de formation pro- parmi nous. Comme il n’avait pas assez fessionnelle (AFP) de praticien en pneu- d’argent pour acheter des cadeaux, il matiques. Si cela a été possible, c’est parce a écrit une carte de vœux à chacun. Ses qu’Ali a été encouragé par des gens bien messages WhatsApp me font toujours intentionnés à son égard. Quoi de plus chaud au cœur. Parfois, c’est une photo normal: le fait d’être stimulé et inspiré est d’un plat que nous avons préparé en- un besoin universel. semble et qu’il a ensuite cuisiné tout seul. Pour nous comme pour Ali, les choses J’y vois une grande marque de confiance. Moment de convivialité à la cuisine: «J’ob- serve avec plaisir les liens d’amitié qui se ont beaucoup changé en deux ans et De temps en temps, j’ai une conversa- sont tissés entre Ali et les jumeaux.» demi. Il a tissé avec nous des liens de tion sérieuse avec lui, pour aborder par confiance. Il parle affectueusement de exemple la valeur de l’argent. Nous discu- les relations, le genre de cadeau à faire moi comme sa deuxième mère. Il voit tons de l’importance d’avoir un objectif à quelqu’un. Je suis parfois surprise du mon fils Manolo comme un petit frère, financier et de résister dans l’immédiat à manque de communication qui règne bien qu’ils fassent désormais la même certaines tentations. J’étaye mes propos entre les professionnels et les services taille. Sa relation avec ma fille Aela est par des exemples tirés de ma vie quoti- chargés de l’intégration d’Ali. Mais à part dienne. Récemment, nous avons parlé de cela, je n’ai rien à redire. Je choisirais à «J’ai à cœur d’agir pour combler responsabilité et de ses obligations d’ap- nouveau sans hésiter ce programme les fossés qui se creusent dans prenti. Nous avons défini ensemble ce d’intégration. J’ai très à cœur d’agir à notre société.» qu’il était important de faire pour obte- mon échelle pour combler les fossés qui nir l’AFP. Ali apprécie le travail physique, se creusent dans notre société et mettre empreinte de cordialité. Ali a trouvé sa mais il aura probablement des difficultés un terme aux préjugés. Car on n’a peur place dans notre tribu. Il connaît mon à assimiler le programme scolaire car il ne que de ce qu’on ne connaît pas. Voilà compagnon Tom depuis le début et maîtrise pas assez bien la langue écrite. pourquoi je voudrais encourager celles et quand mes enfants vont chez leur père Nous cherchons donc une personne pour ceux qui me lisent: rejoignez-nous, don- Hans-Jürg, il y est lui aussi toujours bien lui donner des cours de soutien. Il est nez un peu de votre temps! Soyez sûrs reçu. conscient de la chance qui lui est offerte. que vous recevrez beaucoup en retour. Ali était plutôt timide au départ. Il a Nous avons fêté avec lui l’acceptation de ➔ redcross.ch/viens-chez-moi toujours été très poli. Aujourd’hui, il son dossier par l’entreprise formatrice et me salue comme un gentleman: «Bon- espérons que tout se passera au mieux. jour Uschi, quel plaisir de te voir! Com- En amont, j’ai contacté son maître d’ap- URSULA SANTNER ment vas-tu?» On lui donnerait plus de prentissage pour qu’il puisse me faire Agée de 50 ans, cette 19 ans. C’est quelqu’un de chaleureux, part d’éventuelles réticences. coach et business mana- de respectueux et de très ordonné. Par J’ai le sentiment qu’Ali apprécie nos ger vit dans la région de moments, il a eu du mal à partager sa discussions. Elles portent souvent sur Zurich avec son compa- gnon et ses deux enfants chambre avec un autre réfugié. Il se des choses qui peuvent paraître ba- dont elle partage la garde sentait dérangé pendant qu’il étudiait, nales, comme la lessive, les paiements, avec leur père. Humanité 3/2021 19
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