ILS TUENT À LEUR GRÉ EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET AUTRES HOMICIDES ILLÉGAUX COMMIS PAR LA POLICE AU NIGERIA
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ILS TUENT À LEUR GRÉ EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET AUTRES HOMICIDES ILLÉGAUX COMMIS PAR LA POLICE AU NIGERIA
Amnesty International est un mouvement mondial regroupant 2,2 millions de personnes dans plus de 150 pays et territoires, qui luttent pour mettre fin aux graves atteintes aux droits humains. La vision d’Amnesty International est celle d’un monde où chacun peut se prévaloir de tous les droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans d’autres instruments internationaux relatifs aux droits humains. Essentiellement financée par ses membres et les dons de particuliers, Amnesty International est indépendante de tout gouvernement, de toute tendance politique, de toute puissance économique et de toute croyance religieuse. Amnesty International Publications L’édition originale en langue anglaise de ce rapport a été publiée en 2009 par Amnesty International Publications Secrétariat international Peter Benenson House 1 Easton Street Londres WC1X 0DW Royaume-Uni www. amnesty.org © Amnesty International Publications 2009 Index : AFR 44/038/2009 Original : anglais Imprimé par Amnesty International, Secrétariat international, Royaume-Uni. Tous droits de reproduction réservés. Cette publication, qui est protégée par le droit d’auteur, peut être reproduite gratuitement, par quelque procédé que ce soit, à des fins de sensibilisation, de campagne ou d’enseignement, mais pas à des fins commerciales. Les titulaires des droits d'auteur demandent à être informés de toute utilisation de ce document afin d’en évaluer l’impact. Toute reproduction dans d’autres circonstances, ou réutilisation dans d’autres publications, ou traduction, ou adaptation nécessitent l’autorisation préalable écrite des éditeurs, qui pourront exiger le paiement d’un droit. Photo de couverture : Policier nigérian à Katsina (21 avril 2007). © Associated Press/George Osodi
ILS TUENT À LEUR GRÉ EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET AUTRES HOMICIDES ILLÉGAUX COMMIS PAR LA POLICE AU NIGERIA SOMMAIRE 1 INTRODUCTION 1 MÉTHODOLOGIE 3 2 LA FORCE DE POLICE DU NIGERIA : UN SYSTÈME QUI MANQUE SÉRIEUSEMENT DE FONDS 4 UN MANQUE DE RESSOURCES CHRONIQUE 4 UN PERSONNEL SOUS-ENTRAÎNÉ ET SOUS-QUALIFIÉ 5 DE MAUVAISES CONDITIONS DE TRAVAIL 5 UNE MAUVAISE RÉPARTITION DU BUDGET 6 UNE IMAGE MÉDIOCRE 6 3 HOMICIDES ILLÉGAUX, DISPARITIONS FORCÉES ET TORTURE EN GARDE À VUE 8 TUÉS EN TOUTE ILLÉGALITÉ AU COURS D'OPÉRATIONS DE POLICE 8 TUÉS EN TOUTE ILLÉGALITÉ À DES POSTES DE CONTRÔLE DE LA POLICE 9 ABATTUS LORS D’UNE « FUSILLADE AVEC DES VOLEURS ARMÉS » 10 « IL A TENTÉ DE S’ÉVADER » : DES SUSPECTS ABATTUS APRÈS LEUR ARRESTATION 11 DES SOINS VITAUX REFUSÉS AUX VICTIMES 12 L’ORDONNANCE DE POLICE N° 237 16 Index : AFR 44/038/2009 Amnesty International - Décembre 2009
DES VICTIMES TORTURÉES À MORT 17 « TRANSFÉRÉS À ABUJA » : LES DISPARITIONS FORCÉES 19 EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET AUTRES HOMICIDES ILLÉGAUX : STATISTIQUES 21 4 L’IMPUNITÉ POUR LES HOMICIDES ILLÉGAUX 24 LES HOMICIDES ILLÉGAUX CAMOUFLÉS 25 ABSENCE D’ENQUÊTE 26 DES ENQUÊTES NI INDÉPENDANTES NI IMPARTIALES 27 DES MÉCANISMES DE SURVEILLANCE PEU PERFORMANTS 29 AUCUNE RÉPONSE SATISFAISANTE AUX PLAINTES 32 LES ENQUÊTES DU CORONER : UNE CHANCE D’OBTENIR JUSTICE 32 5 OBSTACLES À LA JUSTICE ET À LA RÉPARATION 35 LE COÛT DE LA JUSTICE 35 PROFITER DES MORTS 38 REFUS DE PAYER UNE INDEMNISATION 40 MANŒUVRES D’INTIMIDATION CONTRE LES FAMILLES ET LES MILITANTS 41 6 LES OBLIGATIONS INTERNATIONALES DU NIGERIA 42 7 CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS 44 ANNEXE/STATISTIQUES DE LA FORCE DE POLICE DU NIGERIA 52 NOTES 54 Amnesty International - Décember 2009 Index : AFR 44/038/2009
ILS TUENT À LEUR GRÉ iii EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET AUTRES HOMICIDES ILLÉGAUX COMMIS PAR LA POLICE AU NIGERIA ABRÉVIATIONS CID Criminal Investigation Department - Département de police judiciaire CLEEN Centre for Law Enforcement - Centre d’application de la loi CLO Civil Liberties Organisation - Organisation des libertés publiques FCT Federal Capital Territory - Territoire de la capitale fédérale, Abuja PIDCP Pacte international relatif aux droits civils et politiques PIDESC Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels IGP Inspector-General of Police - Inspecteur général de la police MOPOL Police mobile ONG Organisation non gouvernementale NHRC National Human Rights Commission - Commission nationale des droits humains NOPRIN Network on Police Reform in Nigeria - Réseau pour la réforme de la police au Nigeria NPF Nigeria Police Force - Force de police du Nigeria PSC Police Service Commission - Commission des services de police SIIB State Investigation and Intelligence Bureau - Bureau d’enquête et de renseignement de l’État SARS Special Anti-Robbery Squad – Brigade spéciale de répression des vols SOS Swift Operation Squad – Brigade d’intervention rapide Index : AFR 44/038/2009 Amnesty International - Décembre 2009
ILS TUENT À LEUR GRÉ 1 EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET AUTRES HOMICIDES ILLÉGAUX COMMIS PAR LA POLICE AU NIGERIA 1/INTRODUCTION Chukwuemeka Matthew Onovo, un étudiant de vingt-deux ans, a quitté le domicile de son père à Enugu le matin du 4 juillet 2008. Ne le voyant pas rentrer dans l’après-midi, son père a signalé sa disparition à la police. Le lendemain, ayant appris par des voisins qu'il y avait eu un échange de coups de feu avec la police près de sa maison, il est parti à la recherche de son fils. « J’y suis allé et j’ai trouvé ses lunettes sur le sol », a-t-il déclaré à Amnesty International. Chukwuemeka Matthew Onovo avait été abattu par la police. La police a prétendu que Chukwuemeka Matthew Onovo venait de commettre un vol à main armée, mais d’après un témoin il n’avait pas d’arme lorsqu’il a été tué. L’autopsie, ordonnée par le tribunal, a confirmé qu’il était mort à la suite d'une blessure par balle mais la police n'a pas enquêté plus avant sur sa mort. Personne n’a été déclaré responsable. « Aujourd’hui encore j’ignore qui a tiré sur mon fils, a déclaré son père. Ça m’a tellement secoué. C’était mon premier et mon seul fils. » Chaque année, la Force de police du Nigeria (NPF) est responsable de centaines d’exécutions extrajudiciaires, autres homicides illégaux et disparitions forcées. Dans la majorité des cas, aucune enquête n’est ouverte et personne n’est puni pour ces crimes. Les familles des victimes n’ont généralement pas la possibilité de s’adresser à la justice ou d’obtenir réparation. Nombre d’entre elles ne découvrent même jamais exactement ce qui est arrivé à leurs proches. La police exploite la colère populaire engendrée par la forte criminalité pour justifier ses actions. Comme lors du meurtre de Chukwuemeka Matthew Onovo, les policiers prétendent souvent que la victime avait commis un vol à main armée et qu’elle a été tuée au cours d’une fusillade ou alors qu’elle tentait de s’évader de sa garde à vue. L’ordonnance de police n° 237 autorise les agents de police à ouvrir le feu sur des suspects © DR ou des détenus qui tentent de s'échapper ou d'éviter une arrestation. Dans la pratique, elle permet à la police de commettre des meurtres en toute impunité. Chukwuemeka Matthew Onovo La police ne se contente pas de tirer. Amnesty International a recensé des cas de suspects qui ont été torturés à mort en détention. Il arrive aussi que des personnes soient victimes de disparition forcée ; la police dit aux familles qu’elles ont été transférées vers un autre poste ou libérées sous caution, mais aucun document ne le confirme. Index : AFR 44/038/2009 Amnesty International - Décembre 2009
2 ILS TUENT À LEUR GRÉ EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET AUTRES HOMICIDES ILLÉGAUX COMMIS PAR LA POLICE AU NIGERIA La plupart du temps, les rapports des policiers ne sont pas remis en question et les plaintes ne sont pas traitées. Les enquêtes sont rares. Lorsqu’elles ont lieu, elles ne répondent pas aux normes internationales. Les quelques policiers soupçonnés d’avoir commis des exécutions extrajudiciaires sont envoyés en formation ou transférés dans d’autres États au lieu d’être poursuivis. Le mépris des droits humains prévaut au sein de la police. Les détenus sont souvent privés de leur droit, au regard de la loi, de consulter un avocat. Beaucoup doivent payer pour leur nourriture ou leurs soins médicaux, ou bien pour éviter d’être torturés ou autrement maltraités. Bien souvent, ils sont maintenus en garde à vue pendant des semaines, voire des mois, avant d’être inculpés et traduits devant un tribunal. Amnesty International a rassemblé des informations sur 29 victimes de disparition forcée et d’exécution extrajudiciaire qui n’avaient jamais été présentées devant un juge. Au Nigeria, les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires ou autres homicides illégaux n’ont pas lieu au hasard. Dans un pays où les pots-de-vin assurent la sécurité, ceux qui n’ont pas les moyens d’en verser risquent d’être tués par balles ou torturés à mort par la police. Souvent, les familles de victimes ne peuvent pas se permettre de demander justice ou réparation parce qu’elles sont incapables de payer un avocat ou les frais de justice. Dans de nombreux cas, elles n’ont même pas les moyens de récupérer le corps. La police manque aussi sérieusement de fonds. Seul un fragment du budget annuel de la NPF parvient aux postes de police locaux et des États et le manque de fonds et de ressources contribue à bon nombre des dysfonctionnements que l’on reproche aux forces de l’ordre. Les policiers ne disposent pas des équipements de base et demandent parfois aux victimes d’infractions de prendre en charge les frais nécessaires à la conduite d’une enquête, notamment l’essence et les fournitures de bureau. Dans ces conditions, la corruption devient rapidement la norme. À plusieurs reprises, le gouvernement du Nigeria a fait part de sa volonté de s’attaquer aux problèmes du système pénal, d’améliorer l’accès à la justice et de réformer la NPF. Cependant, malgré la mise en place de plusieurs groupes d’étude au cours de ces dernières années, et en dépit de leurs recommandations détaillées, il y a eu peu de changements. La révision de la Loi de 1990 relative à la police a débuté en 2004, mais l’avant-projet de loi est attendu depuis octobre 2006. Les lois, règlements et codes de conduite visant à protéger les droits humains ne sont pas appliqués. Les difficultés auxquelles doivent faire face les autorités pour faire cesser les exécutions extrajudiciaires et les autres homicides illégaux au Nigeria sont considérables, mais pas insurmontables. Tout projet visant à améliorer la situation doit se concentrer sur l'instauration d’une culture du respect des droits humains au sein de la NPF, veiller à ce que les victimes et leurs familles puissent accéder à la justice et mettre fin à l’impunité des policiers. C’est le seul moyen de garantir que les changements apportés à la loi sont efficaces. Amnesty International encourage le gouvernement du Nigeria à agir immédiatement pour mettre un terme à toutes les exécutions extrajudiciaires et aux autres homicides illégaux. Il doit abroger l’ordonnance de police n° 237 et annoncer publiquement que le recours à la force meurtrière n’est autorisé que s’il est absolument inévitable pour protéger des vies humaines. En outre, les autorités doivent mettre en place une commission chargée d’enquêter sur tous les homicides illégaux présumés perpétrés par la police, dont beaucoup pourraient avoir été des exécutions extrajudiciaires, et sur toutes les disparitions forcées survenues en garde à vue. Amnesty International - Décembre 2009 Index : AFR 44/038/2009
ILS TUENT À LEUR GRÉ 3 EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET AUTRES HOMICIDES ILLÉGAUX COMMIS PAR LA POLICE AU NIGERIA MÉTHODOLOGIE Ce rapport s’appuie sur des recherches et des entretiens menés en juillet 2007, juillet 2008 et juin/juillet 2009 au Nigeria. Les délégués d’Amnesty International se sont rendus dans les États d'Enugu, de Kano et de Lagos ainsi que dans le Territoire de la capitale fédérale (FCT), Abuja. En juillet 2007, Amnesty International a visité des prisons d’un bout à l’autre du pays et interrogé des détenus, notamment sur ce qu’ils ont vécu pendant leur garde à vue. En juillet et en octobre 2008, les prisons lui sont restées fermées. En juin 2009, elle a obtenu le droit d’accès, mais la délégation ne s’y est pas rendue parce qu’elle n'était pas autorisée à s'entretenir avec les détenus en privé. Les délégués ont rencontré des responsables de la police aux niveaux fédéral et des États, au ministère fédéral de la Police, à la Commission des services de police (PSC) et aux comités du Sénat chargés de la police, des affaires judiciaires, de la justice et des droits humains. Ils se sont entretenus avec des juges, des juristes, des membres des commissions d’État pour la justice et la santé, des avocats faisant ou non partie de l’assistance judiciaire et des ONG de défense des droits humains. Ils ont interviewé en détail des proches de personnes victimes d’exécutions extrajudiciaires commises par la police ou disparues en garde à vue et ont rassemblé des informations sur 39 cas de disparition forcée, d'exécution extrajudiciaire ou d’autres homicides illégaux. Ils se sont rendus dans des postes de police de l’État de Lagos en juillet 2008 et dans le Territoire de la capitale fédérale en juin 2009. Afin de respecter l’anonymat des personnes concernées, Amnesty International a modifié les noms de certaines d’entre elles. Le présent rapport s’appuie également sur des affaires judiciaires, des enquêtes – certaines menées par des coroners –, des documents d’orientation et des rapports des Commissions présidentielles chargées des réformes de la police (les rapports Dan Madami en 2006 et Yusuf en 2008). Amnesty International a cherché à obtenir des éclaircissements et des informations supplémentaires auprès de la NPF sur des cas particuliers et les conclusions générales présentées dans ce rapport mais n’a reçu aucune réponse à ce jour (décembre 2009). Les chercheurs d’Amnesty International ont grandement apprécié la disponibilité des membres de la NPF au quartier général, avant et pendant leur visite. L’organisation remercie également pour leur coopération la Commission des services de police, les autorités des États, les ONG locales, les avocats, les autorités judiciaires, les médecins et les membres du Parlement fédéral. Elle est particulièrement reconnaissante envers les proches de victimes d’homicide et de disparition qui ont accepté de parler à ses délégués. Les exécutions extrajudiciaires sont des homicides illégaux délibérés commis sur ordre direct de l’État, avec sa complicité ou avec son assentiment, ou par un agent de l’État agissant sans ordre. L’expression exécution illégale, ou homicide illégal, désigne les exécutions extrajudiciaires, mais aussi d’autres types d’homicides, tels ceux qui résultent d’un recours excessif à la force de la part de responsables de l’application des lois. Il s’agit d’une violation du droit à la vie, pourtant garanti par la Constitution du Nigeria, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Une personne est victime de disparition forcée lorsqu’elle est arrêtée, détenue, enlevée ou autrement privée de liberté par les autorités, leurs représentants ou des agents agissant avec leur autorisation, soutien ou assentiment, mais que ces mêmes autorités nient les faits, dissimulent le sort subi par cette personne ou ne dévoilent pas le lieu où elle se trouve, la plaçant de ce fait hors de la protection de la loi. Index : AFR 44/038/2009 Amnesty International - Décembre 2009
4 ILS TUENT À LEUR GRÉ EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET AUTRES HOMICIDES ILLÉGAUX COMMIS PAR LA POLICE AU NIGERIA 2/LA FORCE DE POLICE DU NIGERIA : UN SYSTÈME QUI MANQUE SÉRIEUSEMENT DE FONDS « Ces dernières années, la lutte contre la criminalité repose pour ainsi dire sur la chance plutôt que sur l’application de données scientifiques et l’utilisation de renseignements fiables. » Commission présidentielle chargée des réformes de la police, 2006 1 La Force de police du Nigeria (NPF) est une organisation fédérale qui emploie environ 371 800 personnes, avec un rapport d’un policier pour 377 habitants. Environ un quart des effectifs exercent une responsabilité de garde ou assurent la protection d’une personne 2. La NPF a été créée aux termes de l’article 214 de la Constitution de 1999. La Loi de 1990 relative à la police décrit sa fonction, sa structure et son mode de fonctionnement. Rédigée en 1943, elle a été révisée pour la dernière fois en 1967. Le président du Nigeria dispose du contrôle opérationnel de la NPF. C’est lui qui nomme l'inspecteur général de la police, responsable du commandement de la police « selon les directives du président » ainsi que de la sécurité et de l’ordre publics. La gestion administrative, financière et logistique de la NPF dépend du ministère fédéral de la Police. Le quartier général de la police, les 12 commandements régionaux et les 36 commandements d’État disposent tous d’un département de police judiciaire (CID) chargé de mener les enquêtes judiciaires. Il existe plusieurs Forces spéciales, telles que la police mobile (MOPOL) paramilitaire, la Brigade spéciale de répression des vols (SARS) et la Brigade d’intervention rapide (SOS). L’Escadron X est l’organisme chargé d’enquêter sur la corruption au sein de la police. UN MANQUE DE RESSOURCES CHRONIQUE La NPF a une capacité limitée en matière de renseignement et d’investigations scientifiques. Les postes de police n’ont pas les ressources suffisantes pour enquêter sur des infractions complexes qui requièrent des compétences particulières, et bien que tous soient obligés de tenir des archives, beaucoup ne conservent pas des annales complètes de leur travail. Il n’y a pas de base de données pour les empreintes digitales ni aucune méthodologie systématique d’investigation médicolégale, et le budget ne permet pas de mener correctement des enquêtes. Les moyens d’investigation scientifique sont limités : il n’existe que deux laboratoires de police scientifique dans le pays et les services de médecine légale manquent de personnel. Amnesty International - Décembre 2009 Index : AFR 44/038/2009
ILS TUENT À LEUR GRÉ 5 EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET AUTRES HOMICIDES ILLÉGAUX COMMIS PAR LA POLICE AU NIGERIA En l’absence de fonds suffisants, la NPF peine à remplir son devoir. En 2006, la Commission présidentielle chargée des réformes de la police (Commission présidentielle) a averti que le manque de ressources entravait sérieusement le travail de la police : « Il n’existe qu’un seul expert en balistique dans la police et nous avons entendu dire qu'il allait bientôt prendre sa retraite. Il n’y a plus de spécialiste des empreintes digitales et le laboratoire de police scientifique n’arrive pas à démarrer… On constate de ce fait une multiplication inutile des efforts et un gaspillage des rares ressources de la part des différents commandements, qui peuvent rechercher un seul et même criminel alors que celui-ci est peut-être mort, a été arrêté par un autre commandement, ou est déjà en prison 3. » La Commission présidentielle a noté que par manque de fonds « le mécanisme de collecte d’informations et de renseignements s’est pratiquement disloqué 4 ». Il arrive souvent que la police demande à la population de prendre en charge les frais engendrés par une enquête, notamment le papier, les stylos et l’essence. Le gouvernement du Nigeria reconnaît que « de nombreux postes de police en viennent à dire aux gens qu’ils doivent fournir ces équipements [livres, guides et fournitures de bureau] s’ils veulent que leur affaire soit traitée 5 ». En l’absence de bases de données appropriées et d’archives complètes, la police a tendance à s'appuyer sur des « aveux », et ceux-ci constituent le point de départ d’environ 60 % des poursuites judiciaires 6. UN PERSONNEL SOUS-ENTRAÎNÉ ET SOUS-QUALIFIÉ Au cours des dernières années, la NPF a largement renforcé ses effectifs. Environ 40 % du personnel a été recruté ces sept dernières années. Après un gel des recrutements entre 1991 et 1999, une politique d’admission pouvant aller jusqu’à 40 000 nouvelles recrues par an a été en place entre 2000 et 2005. Cependant, les infrastructures de formation, d’une capacité de 14 000 personnes par an, n’ont pas pu faire face à cet afflux. En 2006, la Commission présidentielle signalait que « cette soudaine explosion, qui découle du recrutement de masse, a transformé les écoles plus en camps de concentration qu’en établissements de formation 7 ». Deux ans plus tard, elle constatait les effets de la vague de recrutement sur la police : « La nation s’est donc retrouvée en charge d’un très grand nombre d'agents non qualifiés, sous-entraînés et mal équipés, des hommes dont un grand nombre ne sont peut-être pas vraiment dignes de porter l'uniforme respecté de la NPF [et] la police doit désormais faire avec cette main-d’œuvre indésirable 8 ». Les établissements de formation de la NPF sont surchargés et manquent de ressources. Il existe quatre écoles de police, à Lagos (Ikeja), Kaduna, Maiduguri et Oji-River. Elles proposent toutes un programme de formation de base de six mois ainsi que plusieurs stages de recyclage et d’avancement 9. Des officiers du quartier général ont expliqué à Amnesty International que les recrues s’entraînent avec des armes à feu deux fois par semaine pendant trois mois. Les agents en fonction sont formés à la fois au Nigeria et à l’étranger. L’école des cadres de police de Jos prépare les agents aux postes de direction. Chaque année, jusqu’à 1 000 personnes y suivent des cours. DE MAUVAISES CONDITIONS DE TRAVAIL L’inefficacité et la corruption qui règnent au sein de la police nigériane sont généralement liées au bas niveau des salaires et aux difficultés des conditions de travai 10. La faiblesse de leurs revenus a ébranlé le statut social, le moral et l’amour-propre des employés de la police 11. Malgré une augmentation importante en 2008 – le salaire d’un policier, par exemple, est passé de 8 000 nairas (environ 35 euros) à 26 159 nairas (environ 116 euros) 12 –, la rémunération demeure très peu élevée. La plupart des postes de police sont mal entretenus et mal équipés. Les policiers n’ont pas suffisamment d’équipements essentiels, tels que des gilets pare-balles ou des menottes. Index : AFR 44/038/2009 Amnesty International - Décembre 2009
6 ILS TUENT À LEUR GRÉ EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET AUTRES HOMICIDES ILLÉGAUX COMMIS PAR LA POLICE AU NIGERIA Le personnel peut être logé dans les baraquements de la police mais la demande est plus forte que l’offre. Moins de 10 % des policiers vivent dans ces logements. Bien que les conditions de vie y soient plus que médiocres, ils sont très recherchés car les policiers ont beaucoup de mal à trouver à se loger ailleurs 13. Si un agent meurt alors même qu’il travaille au sein de la NPF, sa famille est presque immédiatement expulsée des baraquements. Au Nigeria, le maintien de l’ordre est un métier dangereux. Le personnel n’a ni le matériel ni la formation nécessaires pour faire face au taux élevé de criminalité du pays. Un avocat a décrit à Amnesty International une affaire dans laquelle des policiers avaient été appelés pour arrêter des ravisseurs : « Il y avait cinq agents de police, ils n’avaient pas de gilets pare-balles. Les ravisseurs les ont tous descendus. » En moyenne, 110 policiers sont tués chaque année dans des échanges de coups de feu avec des délinquants 14. Selon certaines organisations de la société civile, la pression due à leur travail a mené à un fort taux de toxicomanie et d'alcoolisme parmi les policiers, ce qui peut altérer leur jugement. « Les policiers ne reçoivent aucune aide, a expliqué un avocat à Amnesty International. Aucun suivi médical, aucun soutien psychologique. Certains boivent et se droguent. Quand vous leur présentez le résultat de leurs actions, ils sont eux-mêmes surpris ». UNE MAUVAISE RÉPARTITION DU BUDGET Le financement de la police nigériane représente près de 7 % du budget national. La majeure partie sert à payer les salaires. En 2009, 6 % du budget de la NPF ont été alloués aux dépenses d’investissement, tels que des équipements et des structures de formation. Le quartier général bénéficie d’environ 70 % des dépenses d’investissement et des frais généraux. Les commandements des États sont donc obligés de compter sur les pouvoirs locaux et des États pour leur frais de fonctionnement. Les autorités font souvent don de véhicules, de carburant, de subventions et de matériel de communication à la police. UNE IMAGE MÉDIOCRE La population nigériane ne fait pas confiance aux forces de l’ordre et hésite généralement à coopérer avec les policiers. Elle a l’impression que la police est « l’amie des riches et des hors-la-loi », selon la déclaration d’un journaliste à Amnesty International. « La police n’est pas amicale, a dit un jeune homme de Lagos. Les policiers viennent et ils tirent. » D’après le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, le grand public n’apprécie pas « le port d’armes à feu en public par des policiers en civil, le port de l’uniforme par des agents alors qu’ils ne sont pas en service, ou la pratique généralisée au sein de la police qui consiste à réclamer un paiement pour garantir que des biens seront livrés sans entrave 15 ». Amnesty International - Décembre 2009 Index : AFR 44/038/2009
ILS TUENT À LEUR GRÉ 7 EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET AUTRES HOMICIDES ILLÉGAUX COMMIS PAR LA POLICE AU NIGERIA © Amnesty International Photos de policiers de la NPF tués dans l’exercice de leurs fonctions, Abuja (juillet 2009). Une étude menée en 2006 par une ONG, la Fondation CLEEN, sur le travail de la police a révélé que plus d’un tiers des personnes interrogées avaient été arrêtées au cours des douze mois précédents. La moitié de ces personnes avaient soudoyé des policiers pour « se tirer d’affaires ». Les habitants des États d’Abia, de Bayelsa, d’Ekiti, d’Imo, de Jigawa, de Lagos, de Nasarawa, d’Ogun, d’Oyo et de Rivers risquaient tout particulièrement d'être arrêtés par la police. Trois personnes interrogées sur quatre pensaient devoir payer des pots-de-vin pour que la police les aide. Trois sur 10 estimaient que les forces de l'ordre n’étaient d’aucun secours. Le mécontentement vis-à-vis des services de police était particulièrement fort dans les États d’Ekiti (73 %), de Bayelsa (presque 70 %), de Rivers (63 %), d’Oyo (46 %), d’Edo (43 %), de Lagos (42 %) et d’Abia (40 %). Dans ces États, un grand nombre de personnes interrogées pensaient que la police n’enrayait pas la criminalité. À l’échelle du pays, toutefois, plus de la moitié estimaient que la police nationale faisait du bon travail dans la lutte contre la délinquance 16. Index : AFR 44/038/2009 Amnesty International - Décembre 2009
8 ILS TUENT À LEUR GRÉ EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET AUTRES HOMICIDES ILLÉGAUX COMMIS PAR LA POLICE AU NIGERIA 3/HOMICIDES ILLÉGAUX, DISPARITIONS FORCÉES ET TORTURE EN GARDE À VUE Le recours inutile et illégal aux armes à feux par la NPF ne se limite pas à quelques cas isolés : il s’agit d’un phénomène très répandu. De nombreux homicides illégaux ont lieu au cours d’opérations de police. Il arrive aussi que des policiers ouvrent le feu sur des conducteurs qui ne leur versent pas de pots-de-vin aux postes de contrôle et les tuent. Certaines personnes sont tuées dans la rue parce que, selon ce que prétendent les agents par la suite, elles avaient commis un vol à main armée. D’autres sont abattues après avoir été arrêtées parce qu’elles auraient tenté de s'échapper. Beaucoup disparaissent en garde à vue, probablement victimes d’exécutions extrajudiciaires. D’autres encore meurent parce qu’on leur a refusé des soins médicaux qui auraient pu leur sauver la vie. Bien souvent, la police profite d’une législation défaillante et inadaptée pour couvrir ses actes. TUÉS EN TOUTE ILLÉGALITÉ AU COURS D'OPÉRATIONS DE POLICE Chibuike Anams, un étudiant de vingt-trois ans, se trouvait avec des amis dans une pension à Elimgbu, dans l’État de Rivers, le 24 juillet 2009, lorsque la police y a fait irruption. Il a tenté de s’enfuir mais a été abattu. Ses amis ont été arrêtés puis relâchés. Sa famille, ne le voyant pas rentrer à la maison, a signalé sa disparition au quartier général de la police à Port-Harcourt. Elle s’est rendue dans plusieurs postes de police, mais ce n’est que près d’une semaine plus tard qu’elle a appris sa mort. Elle ne sait pas pourquoi les forces de © DR l’ordre ont tué Chibuike Anams ni de quel crime il était accusé. Aucune enquête n’a été menée sur les circonstances de sa mort. À la date de Chibuike Anams rédaction de ces lignes, son corps se trouve toujours à la morgue car la police refuse de le remettre à ses proches. Amnesty International - Décembre 2009 Index : AFR 44/038/2009
ILS TUENT À LEUR GRÉ 9 EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET AUTRES HOMICIDES ILLÉGAUX COMMIS PAR LA POLICE AU NIGERIA Christian Ugwuoke a été tué le 27 janvier 2009, alors qu’il prenait part aux funérailles de sa tante. D'après des témoins, un policier qui patrouillait dans un véhicule du commandement de Suleja a ouvert le feu sans sommation sur le groupe, pacifique, qui comptait une cinquantaine de personnes. Deux personnes ont été grièvement blessées et Christian Ugwuoke a été tué. Les témoins n’ont pas su dire pourquoi le policier avait tiré sur la foule. Christian Ugwuoke a été transporté dans les locaux du commandement de Suleja. La police n’a pas expliqué ce qu'il s’est passé et n’a pas dévoilé à la famille de Christian Ugwuoke le nom de l’agent qui l’avait tué. TUÉS EN TOUTE ILLÉGALITÉ À DES POSTES DE CONTRÔLE DE LA POLICE Les chauffeurs professionnels sont souvent arrêtés aux postes de contrôle de la police et sommés de verser des pots-de-vin. L’un d’eux a raconté comment cela se passe : « Ils [les policiers] arrêtent tous les véhicules et demandent de l’argent en fonction du poids. Les voitures paient moins que les bus. Ce sont les semi-remorques qui paient le plus cher. Si quelqu’un bouge, ils tirent. » Il arrive souvent que des policiers tirent sur les chauffeurs qui refusent de payer. Ils font également feu lorsqu’il y a désaccord sur le montant, ou quand il n'est pas clair si le versement a eu lieu ou non. Des badauds sont parfois touchés par erreur : le 5 avril 2009, des balles tirées par la police ont accidentellement atteint une petite fille de deux ans à un poste de contrôle de Lagos. Aneke Okorie, trente-neuf ans, père de quatre enfants, roulait en mototaxi le 15 mai 2009 à Emene, État d’Enugu ; à un poste de contrôle, il a refusé de verser un pot-de-vin à la police, qui a ouvert le feu sur lui. Il est mort sur le chemin de l’hôpital. Un témoin a raconté à Amnesty International qu’après avoir tiré sur Aneke Okorie dans le ventre, le policier lui avait accroché son arme autour du cou pour faire croire qu’il avait lui-même été victime d’un vol à main armée. « Je me suis rendu compte que le jeune homme était innocent […] J’ai dit au policier d’enlever l’arme de son cou […] L’homme était toujours vivant, il se mordait les doigts, il ne pouvait pas parler. Il souffrait. » Le témoin a été prié de ne pas parler à la presse. Cependant, lorsqu’il a été annoncé à la radio, dans l’État d’Enugu, que la police avait abattu un auteur de vol à main armée, le témoin et des membres éminents de la société civile se sont adressés à l’inspecteur général de la police pour dire qu'Aneke Okorie était innocent et demander que les coupables présumés soient traduits en justice. À la suite de cela, trois agents de police impliqués dans les coups de feu ont été arrêtés. Un policier a été renvoyé en septembre et poursuivi en justice ; il est actuellement en attente de son procès. Le même mois, après autopsie, le corps a été remis à la famille pour être enterré. À la date de rédaction de ces lignes, le rapport d’autopsie n’avait pas été communiqué à la famille. Joseph Onu (le nom a été modifié), chauffeur professionnel, a été tué par la police le 15 décembre 2008 dans l’État d’Imo pour avoir refusé de payer un pot-de-vin à un barrage routier. Il est parti au volant de son véhicule mais des policiers l'ont pris en chasse, l’ont arrêté et ont ouvert le feu sur lui. La police l’a emmené à l’hôpital, où il est mort peu après. Une autopsie a établi qu’il était décédé des suites de blessures par balles. Le directeur de la police de l’État d’Imo a promis de renvoyer l’agent impliqué dans cette mort, mais la famille de Joseph Onu ignore s’il l’a vraiment fait. Index : AFR 44/038/2009 Amnesty International - Décembre 2009
10 ILS TUENT À LEUR GRÉ EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET AUTRES HOMICIDES ILLÉGAUX COMMIS PAR LA POLICE AU NIGERIA ABATTUS LORS D’UNE « FUSILLADE AVEC DES VOLEURS ARMÉS » Les responsables de la police nationale prétendent souvent que les victimes étaient des voleurs, qu’elles étaient armées et qu’elles ont été abattues au cours de « fusillades » avec la police. Amnesty International a des raisons de penser que bon nombre des personnes tuées ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires. Selon le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, « ce type de délit est certes un fléau répandu au Nigeria, mais on invoque très souvent le vol à main armée pour justifier l’emprisonnement et/ou l’exécution extrajudiciaire d’innocents 17 ». Le 10 août 2006, la police d’Abia, dans l’État d’Abia, a fait défiler devant les médias 12 hommes présentés comme les « auteurs de vols à main armée ». D’après une déclaration officielle, quatre autres suspects avaient été tués « au cours d’une fusillade » avec la police lors de leur arrestation. Les corps de ces 12 hommes ont été découverts dans une morgue le lendemain 18. Le gouvernement nigérian a fourni une explication sur ces morts dans une lettre au rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires : « À la vue de la police, la bande de voleurs présumés a ouvert le feu et la police a répliqué pour se défendre. Au cours de cet intense échange de tirs, trois suspects sont morts sur place tandis que neuf autres ont été blessés plus ou moins grièvement. Les neuf suspects restants, qui ont survécu à l'affrontement mais qui n’ont pas pu être soignés, sont morts des suites de leurs blessures 19. » Cette explication est peu convaincante, car les 12 hommes ont été présentés vivants devant les médias. Certains présentaient des blessures par balles. À la connaissance d’Amnesty International, aucune enquête n’a été menée sur ces morts. LES DÉFILÉS DE SUSPECTS DEVANT LES MÉDIAS La police fait souvent défiler devant les médias des « auteurs de vol à main armée » qui sont en garde à vue. La plupart du temps, ils n’ont pas encore été présentés devant un juge. Cette pratique enfreint la présomption d’innocence garantie par la Constitution du Nigeria et le droit international relatif aux droits humains. La Règle 45-1 de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus [ONU] dispose que « [l]orsque les détenus sont amenés à l'établissement ou en sont extraits, ils doivent être exposés aussi peu que possible à la vue du public, et des dispositions doivent être prises pour les protéger des insultes, de la curiosité du public et de toute espèce de publicité ». La Commission présidentielle a constaté en 2008 que la police nigériane considère le nombre d’« auteurs présumés de vol à main armée » tués ou blessés par la police comme un indicateur de réussite. « Au lieu de recourir aux statistiques pour évaluer leurs performances, les forces de l’ordre en viennent désormais à montrer comme des « auteurs présumés de vol à main armée », des suspects menottés ou qui ont été tués de manière extrajudiciaire afin de donner l’impression au grand public qu’elles font leur travail, alors qu’à ce stade les suspects devraient être présumés innocents et leurs droits humains protégés par la police 20 ». Le 4 septembre 2007, l’inspecteur général de la police d’alors, Mike Mbama Okiro, a félicité la NPF pour « la détermination, le zèle et la férocité avec lesquels [elle avait] mené [ses] opérations de Amnesty International - Décembre 2009 Index : AFR 44/038/2009
ILS TUENT À LEUR GRÉ 11 EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET AUTRES HOMI- CIDES ILLÉGAUX COMMIS PAR LA POLICE AU NIGERIA répression contre le vol dans le pays et au-delà ». Mike Mbama Okiro a déclaré qu’entre juin et août 2007, 785 « auteurs de vol à main armée » avaient été tués. Aucune enquête indépendante et impartiale n’ayant été menée sur les circonstances de leur mort, celles-ci n’ont pas été élucidées 21. « IL A TENTÉ DE S’ÉVADER » : DES SUSPECTS ABATTUS APRÈS LEUR ARRESTATION Certains agents de police considèrent le fait de tuer des « auteurs de vol à main armée » en détention comme une pratique acceptable. Amnesty International s’est entretenue avec un représentant de la police qui sous-entendait que les personnes qui portent une arme prennent elles-mêmes le risque de se faire tuer. Certains policiers se substituent à la justice en tuant des suspects « coupables ». Un avocat a déclaré à Amnesty International, à propos du responsable du poste de police où l’un de ses clients est mort : « Ce policier m’a dit “je peux jurer que je n’ai jamais tué un innocent de ma vie” ». La police affirme souvent que les suspects ont été tués alors qu’ils essayaient de s’évader. Ces affirmations sont en général extrêmement invraisemblables, car il est peu probable que les suspects aient réellement tenté de s’échapper. De toute façon, la question n'est pas là : les normes internationales interdisent de recourir à la force létale pour empêcher une évasion, sauf en cas de menace imminente pour la vie. Muhammad Yusuf, chef du groupe islamique Boko Haram, a été arrêté le 30 juillet 2009 à Maiduguri, dans l’État de Borno. Il a été filmé et interrogé durant sa garde à vue. Plus tard ce jour-là, la police a déclaré qu’il avait été tué alors qu’il tentait de s’évader. Le 13 août 2009, Michael Kaase Aondoakaa, le procureur général fédéral et ministre de la Justice, a déclaré que Muhammad Yusuf avait été « tué alors qu’il était détenu par la police ». Il a également affirmé que le gouvernement nigérian « dans son ensemble condamne les circonstances regrettables qui ont entraîné la mort de Muhammad Yusuf durant sa garde à vue 22 ». Une commission a été mise en place pour faire la lumière sur ces faits et une enquête est actuellement en cours. Ken Niweigha a été arrêté le 26 mai 2009. Conduit au département de la police judiciaire (CID) de l’État à Yenagoa, il a été présenté à la presse. D’après les policiers, Ken Niweigha a ensuite accepté de les emmener jusqu’à sa cachette, avant de tenter de s’enfuir et d’être abattu. D’après les recherches menées par Amnesty International, il est peu probable que Ken Niweigha ait été emmené hors des locaux du CID. On pense que c’est là qu’il est mort. Des témoins affirment qu’il portait des traces de balle à une jambe et à la poitrine et qu’il avait été frappé à la nuque. Son corps a été transporté au Centre médical fédéral de Yenagoa avant d'être enterré par les autorités en un lieu tenu secret. Le lendemain de son arrestation, la police serait retournée chez lui et aurait mis le feu à ses documents et à son ordinateur portable 23. David Idoko, Stanley Okghara (leurs noms ont été modifiés) et trois autres hommes ont été arrêtés en avril 2005 car ils étaient soupçonnés d’avoir participé à un vol à main armée. Ils ont été placés en garde à vue au poste de police d’Ogui et dans les locaux du CID de l’État d’Enugu. Les cinq hommes ont été présentés aux médias le 27 avril 2005. À la fin du mois de juin de la même année, la police a annoncé qu’ils avaient tenté d'échapper à la garde de la police après avoir été autorisés à aller aux toilettes en même temps, un scénario extrêmement improbable. Ils ont été tués par balle. Selon les informations dont dispose Amnesty International, ils ont succombé à des blessures par balle à la tête et à la poitrine. Ces hommes étaient en garde à vue depuis près de deux mois. Ils n’avaient pas été présentés devant un juge et leurs familles n’ont pas été averties de leur arrestation ni de leur mort. À la connaissance de l’organisation, aucune enquête n’a été menée. Index : AFR 44/038/2009 Amnesty International - Décembre 2009
12 ILS TUENT À LEUR GRÉ EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET AUTRES HOMICIDES ILLÉGAUX COMMIS PAR LA POLICE AU NIGERIA Pour les personnes soupçonnées de vol à main armée, le risque d’être victime d’une exécution extrajudiciaire est élevé. Les policiers sont inquiets pour leur propre sécurité lorsque ces personnes sont libérées. « Quand un suspect est remis en liberté par le tribunal, il va tuer les policiers, a déclaré un défenseur des droits humains à Amnesty International. C’est pourquoi certains ne veulent pas présenter les personnes soupçonnées de vol à main armée devant un juge. Ils règlent ça à leur manière. » Des policiers ont déclaré aux chercheurs du Réseau pour la réforme de la police au Nigeria (NOPRIN) qu’ils tueraient des suspects dans des affaires de vol à main armée à cause de « l’incapacité supposée de la justice » à les « mettre en cage 24 ». Lors d’un entretien avec Amnesty International en juin 2009, un policier haut gradé du quartier général de la police nigériane a déclaré : « La police ne prend aucun plaisir à tuer des gens qui s’évadent durant leur garde à vue […] C’est mieux pour elle de montrer les coupables au public. Si on les tue, le peuple ne saura pas qu’on travaille. » DES SOINS VITAUX REFUSÉS AUX VICTIMES Amnesty International a reçu de nombreuses informations faisant état de policiers empêchant les personnes sur lesquelles ils avaient tiré ou qu’ils avaient torturées de recevoir des soins médicaux. Certaines victimes peuvent attendre plusieurs heures, voire des jours, avant d'être soignées. En conséquence, beaucoup meurent durant leur garde à vue. Aux termes du droit international, il s’agit d’exécutions extrajudiciaires. Le 6 août 2008, un policier travaillant comme agent de sécurité pour une agence de la banque UBA à Lagos a ouvert le feu sans avertissement sur Femi Enyi (le nom a été modifié), chauffeur professionnel, alors que celui-ci se disputait avec un autre chauffeur. Aucun de ces deux hommes n’était armé. La femme et le frère de Femi Enyi sont arrivés sur les lieux et ont vu qu’il perdait du sang et qu’il souffrait. Ils ont confié à Amnesty International que la police ne leur a pas permis de s’approcher du blessé et a refusé d’autoriser son transport à l’hôpital. Il est mort peu après. Samson Adekoya n’a pas non plus été autorisé à recevoir des soins. Arrêté pour vol le 6 février 2008, il a été placé en détention dans les locaux de la Brigade spéciale de répression des vols (SARS) de l’État de Lagos. Sa famille a pu le voir dans les tout premiers jours qui ont suivi son arrestation. Le 26 février, la police a informé la famille que Samson Adekoya était tombé malade et était mort à l’hôpital le 11 février. Le 30 avril, l’ONG Access to Justice a envoyé au directeur de la police et au premier magistrat de l’État de Lagos une requête demandant une enquête sur la mort de Samson Adekoya. L’enquête judiciaire menée par le coroner a révélé qu’il avait succombé durant sa garde à vue et qu’il était donc déjà mort lorsqu’il est arrivé à l’hôpital général d’Ikorodu le 12 février. Cependant, comme la police elle-même a omis d’informer le coroner des faits, aucune autopsie n’a été pratiquée et les causes de sa mort n’ont toujours pas été élucidées 25. Son corps n’a pas été rendu à sa famille. Samson Adekoya a été enterré dans une fosse commune. Amnesty International - Décembre 2009 Index : AFR 44/038/2009
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