Nouveaux arrangements de sécurité collective au Sahel : étude comparative de la MNJTF et du G-5 Sahel - Olawale (Wale) Ismail et Alagaw Ababu Kifle

 
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Olawale (Wale) Ismail et Alagaw Ababu Kifle

Nouveaux arrangements de sécurité
collective au Sahel : étude comparative
de la MNJTF et du G-5 Sahel
Olawale (Wale) Ismail et Alagaw Ababu Kifle

Nouveaux arrangements de sécurité
collective au Sahel : étude comparative
de la MNJTF et du G-5 Sahel
A propos des auteurs

Dr. Olawale (‘Wale) Ismail a plus de 15 ans d’expérience dans le domaine de la recherche sur les questions
de sécurité et de maintien de la paix. Il travaille actuellement comme chercheur principal associé au Centre
Africain de Leadership du King’s College de Londres. Il est titulaire d’un doctorat en études de la paix,
obtenu à l’Université de Bradford, et d’un master en relations internationales, obtenu à l’Université de
Cambridge. Ses principaux domaines d’expertise incluent la jeunesse et la violence, le secteur de la sécurité
et la réforme de la justice, le maintien de la paix et la reconstruction post-conflit, la radicalisation et le
terrorisme, l’urbanisation et la médiation et le dialogue dans le maintien de la paix. ‘Wale a travaillé pour
l’Institut International de recherche sur la Paix de Stockholm, le Groupe conflit, sécurité et développement
du King’s College de Londres et le Social Science Research Council de New York. Il est l’auteur de nombreux
ouvrages sur les questions de paix et de sécurité.

Alagaw Ababu Kifle est associé de recherche au Centre Africain de Leadership de Nairobi, au Kenya. Alagaw
est titulaire d’une Licence en Sciences Politiques et en Relations internationales de l’Université d’Addis Abeba,
en Ethiopie, en 2007 et d’un Master d’études sur la paix et la sécurité obtenu à l’Université d’Addis Abeba, en
Ethiopie (2011). Il est aussi titulaire d’un master en conflits, sécurité et développement obtenu, avec mention
en 2012, au King’s College de Londres. Alagaw a été boursier en sécurité et développement du Centre Africain
de Leadership de 2011 à 2013. Il a enseigné un module de Master portant sur l’analyse et la transformation
des conflits de l’Université du Somaliland et a, auparavant, servi comme enseignant à l’Université de Dilla,
en Ethiopie, où il a enseigné des cours sur l’Etat, le Gouvernement et la Société, la théorie et la pratique du
développement, les méthodes de recherche en sciences sociales et la philosophie politique.

Mentions légales

Friedrich-Ebert-Stiftung, Paix et Sécurité
Centre de Compétence Afrique Subsaharienne
Point E, Boulevard de l’Est, Villa n°30
BP 15416 Dakar-Fann, Sénégal
Tél. : (+221) 33 859 20 02
Fax : (+221) 33 864 49 31
Email : info@fes-pscc.org
www.fes-pscc.org

© Friedrich-Ebert-Stiftung 2018

Traduction de l’anglais :
Aïssatou Tounkara
datounkara@yahoo.com

Conception graphique : Green Eyez Design SARL,
www.greeneyezdesign.com

ISBN : 978-2-490093-11-3

L’utilisation commerciale des médias publiés par la Friedrich-Ebert-Stiftung (FES) est interdite sans
autorisation écrite de la FES. Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas forcément
celles de la Friedrich-Ebert-Stiftung (ou celle de l’organisation de l’auteur).
Sommaire

Remerciements                                                                                 04
Liste des acronymes                                                                           05
Résumé		                                                                                      06
I.   Introduction                                                                             07
II. Le contexte du Sahel                                                                      08
III. Les menaces sécuritaires contemporaines dans le Sahel                                    11
      Trafic de drogue et crime organisé                                                      11
      Extrémisme violent                                                                      13

IV. L’évolution de la coopération sécuritaire et des réponses aux menaces
    sécuritaires au Sahel                                                                     16
      Le CEMOC, l’UFL et la CEN-SAD : victimes de la rivalité entre l’Algérie et le Maroc ?   16
      Le processus de Nouakchott                                                              17
      Initiatives américaines contre le terrorisme                                            18
      Le processus d’Alger                                                                    18

V.   La Force multinationale conjointe (MNJTF) contre Boko Haram                              20
      Origine                                                                                 20
      Mandat                                                                                  20
      Stratégies et activités                                                                 20
      Les acteurs et leurs intérêts                                                           21
      Coordination avec la CEDEAO et l’UA                                                     22

VI. Le G-5 Sahel et sa Force conjointe                                                        23
      Origine                                                                                 23
      Mandat                                                                                  24
      Stratégies et activités                                                                 24
      Les acteurs et leurs intérêts                                                           24
      La relation entre la CEDEAO et l’UA                                                     25

VII. Conclusion : la MNJTF et le G-5 Sahel et la perspective
     d’une sécurité collective dans le Sahel                                                  26
Références                                                                                    31
Remerciements

Cette publication est le fruit d’une recherche scientifique rigoureuse, menée par le Centre de
Compétence Paix et Sécurité Afrique Subsaharienne de la Friedrich-Ebert-Stiftung (FES PSCC),
sur les interactions politico-économiques et conjoncturelles entre la criminalité organisée et les
groupes terroristes au Sahel. L’objectif étant de contribuer à la proposition de nouvelles approches
et réponses en matière de sécurité collective.

FES PSCC voudrait, par ailleurs, exprimer sa profonde gratitude au Dr. Olawale (‘Wale) Ismail,
chercheur principal associé au Centre Africain de Leadership du King’s College de Londres, et à
son collègue Alagaw Ababu Kifle, chercheur associé au Centre Africain de Leadership de Nairobi,
au Kenya, pour avoir rédigé en bonne et due forme cette publication conformément aux directives
de la FES.

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Liste des acronymes

APSA         Architecture africaine de paix et de sécurité
AQMI         Al-Qaida au Maghreb Islamique
CAERT        Centre africain d’étude et de recherche sur le terrorisme
CBLT         Commission du Bassin du Lac Tchad
CEDEAO       Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest
CEMOC        Comité d’état-major opérationnel conjoint
CEN-SAD      Communauté des Etats sahélo-sahariens
CISSA        Comité des services de renseignement et de sécurité de l’Afrique
CMFAPR       Coordination des mouvements patriotiques et des forces de résistance
CRAN         Capacité régionale de l’Afrique du Nord
FAA          Force africaine en attente
GFAT         Groupe de lutte contre le terrorisme du Burkina Faso
GSPC         Groupe salafiste pour la prédication et le combat
HCUA         Haut conseil pour l’unité de l’Azawad
MINUSMA      Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies
             pour la stabilisation au Mali
MISAHEL      Mission de l’Union Africaine pour le Mali et le Sahel
MNJTF        Force multinationale mixte contre Boko Haram
MNLA         Mouvement National de Libération de l’Azawad
MUJAO        Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest
NU           Nations Unies
OCI          Organisation de la coopération islamique
ONUDC        Office des Nations Unies contre la drogue et le crime
OSES         Bureau de l’Envoyé spécial des Nations Unies pour le Sahel
TCC          Pays contributeurs de troupes
UA           Union africaine
UE           Union européenne
UFL          Centre de fusion et de liaison
UNOWAS       Office des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel

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Olawale (Wale) Ismail et Alagaw Ababu Kifle | Nouveaux arrangements de sécurité collective au Sahel

Résumé

Le présent document analyse les défis sécuri-              enseignements sont la nécessité d’intégrer
taires au Sahel dans leur contexte structurel.             une composante civile et non-étatique du fait
Il réfléchit sur les différents régimes et arran-          de la nature asymétrique de l’insécurité au
gements collectifs sécuritaires menés, au fil du           Sahel, l’urgence de s’adapter aux sensibilités
temps, par une variété d’acteurs sahéliens et              régionales au niveau stratégique et opéra-
non-sahéliens et compare, en particulier, les              tionnel, d’avoir des approches progressives
expériences récentes de la Force multinationale            qui priorisent les cibles et un sentiment et une
mixte (MNJTF) et du G-5 Sahel. De manière                  perception clairs d’appropriation régionale par
générale, il avance que le Sahel illustre par-             opposition aux intérêts sécuritaires et agendas
faitement la confluence des défis sécuritaires             des puissances étrangères.
locaux, nationaux et internationaux et leurs
dynamiques individuelles et collectives qui                La possibilité que le G-5 Sahel reproduise
continuent à modeler les trajectoires sécuri-              certains des modestes gains opérationnels de
taires au niveau de la région. Il est important            la MNJTF dépendra de sa capacité à gérer un
de noter que la solution aux défis sécuritaires            certain nombre de défis, notamment celui de
au Sahel se trouve au Sahel comme l’indiquent              la création de forces de sécurité et militaires
des leçons identifiables de ce qui fonctionne              assez robustes disposant de leviers de force
ou de ce qui est susceptible de fonctionner                suffisants, à suivre la dynamique en mutation
dans les expériences de coopération régionale              rapide dans le Sahel, notamment la configura-
en matière de sécurité de la MNJTF. Bien sûr,              tion toujours changeante des groupes armés,
la MNJTF n’est pas sans limites et connaît des             du degré de collaboration avec les populations
défis internes.                                            et communautés locales, surtout dans les
                                                           régions frontalières, et de l’intégration d’opé-
L’étude met aussi en lumière les principales               rations militaro-sécuritaires dans une stratégie
leçons que la force du G-5 Sahel pourrait tirer            plus globale portant sur des questions struc-
de l’expérience de la MNJTF pour inclure le rôle           turelles comme le changement climatique, la
de leadership régional et sa nécessité quand il            pauvreté, les problèmes de gouvernance et la
est, en particulier, exercé par un Etat « nodal »          corruption.
à l’image du Nigeria dans la MNJTF. D’autres

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Olawale (Wale) Ismail et Alagaw Ababu Kifle | Nouveaux arrangements de sécurité collective au Sahel

I. Introduction

Le Sahel relie les pays du Sahara et ceux de                niveaux qui doivent être compris dans leur
l’Afrique subsaharienne, deux régions très                  complexité (Strauss, 2011). Le Sahel illustre
différentes sur le plan de leur environnement               parfaitement la confluence des défis sécuri-
naturel et de leur composition sociale. Le Sahel            taires locaux, nationaux et internationaux et
comprend le Niger, le Mali, le Burkina Faso,                leurs dynamiques individuelles et collectives qui
la Mauritanie et des parties de la Libye et de              continuent à modeler les trajectoires sécuritaires
l’Algérie. D’une certaine manière, le Sahel peut            au niveau de la région. Certains des défis sécu-
être divisé en haut (comprenant des parties de              ritaires connus dans le Sahel incluent le crime
l’Algérie, la Mauritanie, la Libye et le Niger)             organisé, le trafic de drogue et le terrorisme ainsi
et bas (le Tchad, le Nigéria, le Burkina Faso, le           que des conditions structurelles sous-jacentes
Sénégal et le Cameroun) Sahel. Il peut être vu              comme le changement climatique, les vulnéra-
comme composé du Sahel oriental (comprenant                 bilités économiques et l’incapacité, en termes
le Soudan et les pays de la zone du bassin du               de gouvernance, de répondre aux besoins des
lac Tchad, notamment le Tchad, le Nigeria et le             citoyens. Une analyse compressive des menaces
Cameroun) ; du Sahel occidental (comprenant                 sécuritaires à chaque niveau exige une justifica-
la Mauritanie, l’Algérie, le Sénégal, le Burkina            tion empirique qui va au-delà des attributions
Faso et la Côte d’Ivoire) et du Sahel central               de ce document. Nous tentons, ici, de faire
(comprenant le Mali, le Niger et la Libye). En              une analyse et un état des défis sécuritaires
langage politico-diplomatique, le Sahel dépasse             au Sahel dans leur contexte structurel. Avant
les pays qui partagent des liens géographiques              tout, ce document réfléchit sur les différents
pour aussi inclure des Etats directement affectés           régimes et arrangements sécuritaires collectifs
par le flux et reflux de menaces et défis sécuri-           menés par une variété d’acteurs sahéliens et
taires. Ceci conforte l’inclusion de pays comme             non-sahéliens au fil du temps et compare, plus
le Cameroun et la Côte d’Ivoire dans la descrip-            particulièrement, les expériences récentes de la
tion du Sahel. Cette classification est essentielle         Force multinationale conjointe (MNJTF) et du
pour comprendre l’évolution, les changements                G-5 Sahel. Il affirme que la solution se trouve
et les continuités dans la dynamique sécuritaire            au Sahel, comme l’indiquent des leçons iden-
du Sahel dans le temps.                                     tifiables de ce qui fonctionne ou de ce qui est
                                                            susceptible de fonctionner dans les expériences
Le Sahel a incontestablement été l’épicentre de             de coopération régionale en matière de sécurité
défis sécuritaires interconnectés et à plusieurs            de la MNJTF.

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II. Le contexte du Sahel                                     tandis que les communautés manquent de
                                                             capacités de résistance à de tels changements
                                                             (Crawford, 2015).

La tendance climatique qui a prévalu au cours                Une réponse sociétale évidente à de tels
des trois dernières décennies a constitué un défi            changements est la migration dans le cadre
pour le climat déjà aride et extrême du Sahel. Il            de laquelle beaucoup de Sahéliens, en parti-
y a eu une tendance constante à une hausse de                culier ceux d’origine Touareg, ont migré vers
la température, à la récurrence de la sécheresse             la Libye (Robin-Edward Poulton et Ibrahim
et à une variation extrême des précipitations                Ag Youssouf, 1998 ; PNUE, 2011). Alors que
(Crawford, 2015). Une source indique que la                  les migrants disposant de ressources finan-
température moyenne saisonnière de la région                 cières migrent vers la Libye, d’autres sont
a augmenté d’environ un (1) degré centigrade                 forcés de migrer vers des zones urbaines, ce
depuis les années 70, ce qui équivaut à environ              qui augmente la proportion de la population
deux fois l’augmentation globale, et que la                  urbaine vivant dans des bidonvilles. Ces der-
sécheresse est devenue un élément récurrent                  nières années, le Sahel est devenu la principale
de la région survenant en 2005, 2010 et 2012                 route de migration vers l’Europe (qui traverse
(ibid.). Une grande partie du Niger, du Mali,                la mer Méditerranée en passant par la Libye et
du Tchad et de la Mauritanie a été confrontée                le Maroc) pour des migrants des autres Etats
à entre six et dix périodes de sécheresse de                 sahéliens, en particulier ceux des pays d’Afrique
1982 à 2009 alors que, dans certaines régions,               subsaharienne comme le Nigeria, la Gambie, le
il y en a eu entre onze (11) et quinze (15).                 Sénégal, la Sierra Leone, etc. Depuis la chute du
L’érosion des sols de surface associée à la                  gouvernement de Kadhafi en 2011, l’absence
hausse des températures, aux inondations et                  d’une autorité centrale effective a rehaussé
à la variation des précipitations entraîne une               l’intérêt pour un certain nombre de réseaux cri-
baisse des rendements des produits agricoles,                minels organisés impliqués dans le trafic d’êtres
la diminution des pâturages et l’assèchement                 humains, et a aussi été accompagnée d’une
des plans d’eau (INSCT, 2014 ; PNUE, 2011). En               augmentation du nombre de disparus. En
retour, ces facteurs augmentent la compétition               2016, selon le projet sur les migrants disparus,
et les conflits pour accéder à ces ressources au             le nombre de morts et disparus cherchant à
sein des communautés qui ont peu d’autres                    rejoindre l’Europe en passant par l’Afrique
moyens de subsistance (Strauss, 2011 ; PNUE,                 du Nord, la Libye en particulier, a atteint cinq
2011). Du fait des facteurs climatiques, les                 mille quatre-vingt-dix-huit (5098) personnes.
éleveurs transhument de plus en plus vers le                 Ceci représente une augmentation d’environ
Sud, en particulier durant la saison sèche, tandis           35% de plus par rapport aux taux de 2015, et
que les agriculteurs cherchent à développer des              40% de plus par rapport aux morts de 2014
trajectoires pastorales et empiètent davantage               (Conférence de Munich sur la Sécurité, 2017 ;
sur le Nord. Ceci est demeuré une source de                  Aljazeera, 23 décembre 2016).
conflits entre les éleveurs et les agriculteurs ainsi
qu’au sein de chaque groupe, des conflits, qui,              D’autres communautés sahéliennes ont tenté
parfois, prennent des dimensions ethniques.                  de s’adapter aux changements des conditions
Ce qui est inquiétant, c’est l’incapacité des                climatiques et aux autres défis environnemen-
Etats de la région à s’adapter et à y répondre               taux en diversifiant leurs modes de vie et leurs

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professions, en particulier par le biais de l’adop-         Mauritanie (2236 km), le Niger (838 km) et le
tion de l’agro-pastoralisme. Ceci a entraîné de             Sénégal (489 km) (https://www.graphicmaps.
nouveaux conflits inter-communautaires ou                   com/mali). La vaste superficie et les frontières
accentué ceux existant. Dans leur tentative                 rendent difficile, pour l’Etat malien, le suivi et
de diversification de leurs moyens de subsis-               le contrôle des événements dans ses régions
tance, les paysans du Niger, par exemple, ont               frontalières, en particulier dans le Nord (la
étendu les zones de culture utilisées comme                 Mauritanie, l’Algérie et le Niger) (Cold-Ra-
voie de transit pour les éleveurs. L’intrusion de           vnkilde, 2013). Alors que le désert rend difficile
ces derniers sur les terres cultivées devient, en           le contrôle de la population, ses chaînes de
retour, une source de conflits inter-communau-              montagnes, ses grottes et vallées qui sillonnent
tés. La convergence des options de moyens de                le Niger et l’Algérie rendent insurmontable la
subsistance a aussi remis en cause les normes               lutte contre tout groupe armé.
de gestion des ressources naturelles auparavant
applicables soit aux éleveurs, soit aux agricul-            Troisièmement, un point qui doit nécessaire-
teurs. Le ressentiment envers ceux disposant                ment faire partie de cette discussion sur l’évo-
d’un meilleur accès au capital social et financier          lution des menaces sécuritaires dans le Sahel
et qui accèdent à une meilleure qualité de terre,           est le mode de gouvernance contesté des pays
par exemple, est devenu une source de conflits              sahéliens. La manière de gouverner ces pays
au Niger alors que le précédent conflit concer-             demeure problématique, en particulier l’inca-
nant l’accès au passage pastoral et la maîtrise             pacité à fournir des services sociaux de base
de la terre semble être davantage exacerbé                  aux citoyens, l’économie affaiblie, l’incapacité
(USAID, nd). Un processus similaire peut être               à maintenir l’ordre public, etc. D’autres pro-
observé à travers le Sahel, notamment au                    blèmes identifiés sont le manque de gestion
Mali et au Burkina Faso. Même si l’étendue                  efficace de la diversité, notamment l’incapacité
des conséquences de ce ressentiment sur la                  à développer le sentiment d’un traitement égal
sécurité nationale et régionale se verra au fur et          des différents groupes de populations au sein de
à mesure dans l’étude, son résultat immédiat,               l’Etat. Chacun des Etats du Sahel a été victime
en ce qui concerne le niveau d’insécurité locale,           d’une multitude de problèmes de gouvernance
est l’augmentation de la concurrence entre les              liés à l’accueil de groupes ethno-linguistiques
différentes communautés et du conflit pour le               mécontents. Le Mali, en particulier, a été l’épi-
contrôle et/ou l’accès à ces ressources.                    centre de ces défis. Tout au long de son histoire
                                                            post-indépendance, le pays a été confronté à
Ensuite et en rapport avec ce qui précède, la               la demande ethno-nationaliste Touareg pour
dynamique des menaces sécuritaires dans le                  une meilleure autonomie et un plus grand en-
Sahel a aussi été largement déterminée par                  gagement économique et politique. Ce qui a
la géographie de la région. La région contient              conduit à au moins quatre épisodes de rébel-
une vaste partie composée de zones peu                      lion armée, par exemple, en 1963-1964, 1990-
peuplées qui rendent extrêmement difficile le               1996, 2006-2009 et 2012-2013.
contrôle des frontières. Le Mali, par exemple, a
une superficie de 1.240.192 kilomètres carrés               Ces épisodes de rébellion ont été motivées
et est bordé par sept pays, notamment l’Algérie             par la marginalisation perçue et réelle du nord
(1359 km), le Burkina Faso (1325 km), la Côte               du Mali et de la communauté Touareg, la sé-
d’Ivoire (599 km), la Guinée (1062 km), la                  cheresse récurrente qui a mis en danger les

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moyens d’existence d’un grand nombre des                    Touareg durant les années 90 bien que la
communautés du Sahel, les réponses répres-                  réponse du gouvernement et la dispersion
sives du Gouvernement et la dynamique ré-                   spatiale des Touaregs au Niger soient différentes
gionale marquée par les liens que les Touaregs              de celles du Mali. Bien que les griefs des Touareg
entretiennent avec la Libye (Straus, 2011). Bien            à propos des conséquences environnementales
qu’un certain nombre de mesures pour intégrer               de l’exploration de l’uranium et de la margina-
les mouvements armés dans l’appareil sécuri-                lisation généralisée du processus politique et
taire pour accorder une plus grande autonomie               économique soient profondément ancrés, ils
au nord du Mali et améliorer son économie                   ne se sont pas manifestés sous la forme d’une
aient été initiées dans chaque série d’accords              rébellion aussi sérieuse et répétitive qu’au Mali.
de paix, la mise en œuvre de ces accords a                  Dans les années 90, la rébellion Touareg au
toujours été inférieure aux attentes de la com-             Niger s’est terminée par un accord de paix qui
munauté Touareg, entrainant d’autres séries de              prévoyait davantage de participation et d’im-
rébellions. En conséquence, les raisons les plus            plication de la communauté dans le processus
profondes de ces rébellions demeurent plus ou               politique national. La mauvaise mise en œuvre
moins intactes alors que de nouveaux facteurs               de cet accord, plus particulièrement l’incapa-
émergent comme en a témoigné, en 2012,                      cité à intégrer les anciens combattants dans un
la rébellion Touareg qui a eu lieu à côté de la             contexte de mécontentement croissant à propos
montée de mouvements extrémistes violents.                  de la faible croissance économique, a entraîné
                                                            l’émergence d’un mouvement armé appelé MNJ
La crise en Libye et l’afflux d’un grand nombre             qui a cherché à tirer profit de la cause Touareg
de Touaregs mieux armés et les opérations de                (International Crisis Group, 2013). Cependant,
mouvements islamistes plus disciplinés et mieux             la forte réponse militaire du gouvernement,
organisés a constitué un facteur supplémen-                 associée à la délégitimation du mouvement sur
taire. La division interne de la communauté                 le terrain (due à des plaintes accusant certains
Touareg, en particulier en fonction du statut et            des principaux leaders du MNJ d’être impliqués
du clan, n’a pas aidé les accords de paix suc-              dans le trafic de drogue), a aidé le régime à faci-
cessifs et ceci a exclu toute posture cohérente             lement neutraliser la rébellion (Ibid.).
vis-à-vis de l’Etat malien (Pezard et Michael,
2015). La sécheresse des années 70 et 80 a                  Les trajectoires différentes du Mali et du Niger
affaibli le tissu social des communautés Touareg            dans leur relation avec la communauté Touareg
et a forcé les jeunes Touaregs à émigrer vers               se reflètent dans la manière dont ils sont touchés
d’autres pays, en particulier la Libye. Cette plus          par la crise libyenne durant laquelle un impor-
jeune génération a une vision différente des                tant nombre de Touaregs originaires du Mali et
communautés Touareg comparée à celle qu’en                  du Niger et ayant une expérience militaire sont
avaient les anciennes générations et les chefs              retournés dans leurs pays respectifs. Le Niger
traditionnels. De même, la division de la société           a adopté une stratégie combinant le contrôle
Touareg sur la base du clan et du statut a suscité          des frontières et des primes attrayantes pour
une division des mouvements armés pendant la                les chefs des groupes rapatriés et a empêché le
négociation d’un accord de paix (ibid.).                    déclenchement d’un conflit armé. A l’inverse,
                                                            au Mali, la situation a dégénéré en conflit armé.
Le Niger, qui a une très grande population                  La dispersion géographique de la communauté
Touareg, a aussi été touchée par la rébellion               Touareg du Niger a aussi contribué au succès

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des mesures nigériennes contrairement au                    III. Les menaces sécuri-
Mali où ils sont concentrés dans le nord. Ceci a            taires contemporaines
semblé limiter l’opportunité d’une mobilisation
                                                            dans le Sahel
ethno-nationale collective même s’il y a une dis-
parité significative, au Niger, dans la représen-
tation des Touaregs dans des domaines comme                 Trafic de drogue et crime organisé
la santé et l’éducation (Ibid.). Les expériences
des jeunes Touaregs au Niger, au cours de la                Il semble y avoir un consensus sur le fait
dernière décennie, ont entraîné leur migration              que le trafic de drogue est devenu un enjeu
vers des groupes Touareg armés du nord du                   de sécurité, dans le Sahel, depuis à peu près
Mali et leur adhésion à ces groupes (ibid.).                le milieu des années 2000 période pendant
                                                            laquelle le commerce de la cocaïne de l’Amé-
La Mauritanie a aussi été un pays envahi par                rique latine avait ciblé l’Afrique de l’Ouest
le factionnalisme au sein d’une division mi-                comme route de transit vers l’Europe. Avant
litaire, sociale et raciale et de récessions éco-           cette période, le Sahel était un itinéraire
nomiques. Sa population arabe a été la force                utilisé pour la contrebande de produits illi-
dominante dans l’histoire du pays alors que le              cites comme la cigarette, le pétrole, le lait en
groupe Hirtan de teint clair et les Afro-mauri-             poudre, les dattes et les drogues comme le
taniens (ceux d’origine africaine) ont été exclus           haschich et le cannabis (Cold-Ravnkilde, 2013).
du processus politique et aussi systématique-               Dans ce contexte, les produits subventionnés
ment marginalisés des institutions étatiques, et            en Algérie comme le lait en poudre et le pétrole
certains des Afro-mauritaniens ont été expulsés             étaient emmenés au Mali et au Niger, et les
lors de l’ancienne junte (Boukhars, 2016). Alors            produits comme la cigarette étaient trafiqués
qu’il y a eu une tendance à réduire ce déséqui-             en direction de l’Algérie et de l’Europe. La ciga-
libre, le rythme de la réforme est tel que les              rette, spécifiquement, était importée à travers
tendances et les questions politiques dans le               la Mauritanie et passait en contrebande en
pays se radicalisent de plus en plus. Rien n’est            Algérie et en Europe à travers le Mali et le Niger
plus explicite que la contestation qui a suivi              (Rao, 2014). Le commerce illicite s’est consi-
lorsqu’un activiste anti-esclavagiste a brûlé une           dérablement développé depuis les années 80
partie de la loi religieuse musulmane qui cau-              et s’est manifesté avec l’émergence de gangs
tionne l’ordre social oppressif et lorsque que              organisés de trafiquants qui se sont regroupés
le tribunal a condamné à la peine de mort un                et qui opèrent à travers le Sahel, en particulier
certain journaliste qui avait produit des articles          entre la Mauritanie, le Mali, le Niger et l’Algérie.
contre les éléments oppressifs de certaines des             Ces gangs sont chargés de commercialiser, en
lois islamiques (ibid.). C’est pourquoi les contes-         Algérie, la cigarette provenant de la Mauritanie,
tations des processus de gouvernance ont                    du Mali et du Niger, ce qui a maintenu intact
constitué une composante essentielle de l’évo-              le réseau qui pourrait facilement être utilisé à
lution des menaces sécuritaires au niveau des               d’autres fins. Un des principaux agents d’AQMI,
pays en étant souvent des sources de conflits,              Mokthar Belmokthar, par exemple, s’adonnait
en leur sein et en-dehors, et ont aussi rendu les           au trafic de cigarettes (Lacher, 2012).
pays vulnérables aux menaces externes comme
le terrorisme, le crime organisé et le trafic de            Même si l’implication sécuritaire de ce qui
drogue.                                                     est décrit ci-dessus pourrait être discutée,

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l’introduction du trafic de cocaïne dans le                 s’élevant à 1 milliard de dollars américains
Sahel a aggravé les problèmes sécuritaires.                 (US$), sont passés par l’Afrique de l’Ouest et
Le Sahel a été incorporé dans le casse-tête                 qu’en 2010, 18 tonnes de cocaïne ont été
du narco-trafic des gangs latino-américains.                trafiquées, ce qui correspond à une valeur
La route sahélienne est ainsi découpée : les                monétaire de 1,25 milliard de dollars américains
stupéfiants importés arrivent en Afrique de                 (US$). Ce chiffre est de loin supérieur au
l’Ouest à travers la Guinée Bissau à partir d’où            budget de défense du Mali qui s’élevait à
ils sont transportés vers les régions frontalières          180 millions de dollars au cours de la même
du Mali et de la Mauritanie pour pouvoir entrer             période. Ceci témoigne de la profondeur du
au Mali (Titi, 2014). Les drogues illicites sont            réseau de contrebande ou, au moins, de sa
transportées de la partie nord du Mali vers                 ramification plus profonde et plus vaste dans
le Niger et jusqu’en Egypte et au Moyen-                    une région connue pour sa pauvreté et sa mal
Orient ou à travers l’Algérie en direction de               gouvernance. Par conséquent, bien qu’il n’y ait
l’Europe (Ibid.). Au cours du processus, de                 seulement qu’une petite partie de la cocaïne
très importants hubs se sont développés tout                passant par l’Afrique de l’Ouest qui entre au
au long de l’itinéraire : au Mali, par exemple,             Sahel, ses conséquences sur la société locale
les hubs de trafic de narcotiques incluent                  et la dynamique sécuritaire pourraient, en cela,
Bou Djebeha, Lere et Ber, dans la région de                 être très importantes. Alors qu’il semble y avoir
Tombouctou; Menaka, Tarkint, Almoustrat,                    une baisse du processus de contrebande dans
et Bourem, dans la région de Gao et Anefis,                 des pays comme la Mauritanie (il y a eu une
In Khalil, Tinzaouaten, Aguelhoc, Tessalit,                 baisse significative dans les saisies annuelles
Talahandak, Boghassa, Intadjedit et Tin-Essako              depuis 2008) à travers la poursuite active
dans la région de Kidal (ibid.). Bien qu’il soit            d’une politique qui lutte contre le trafic, au
difficile de déterminer la période exacte à                 Mali, la contrebande semble s’adapter au
laquelle ces réseaux préexistants ont été                   développement politique du pays (Titi, 2014).
adaptés pour le trafic de cocaïne, la plupart des
observateurs disent que ce trafic date du milieu            Le trafic de drogue a compromis la sécurité de
des années 2000. Vigh (2012), par exemple, n’a              la région de différentes manières, avec quelques
trouvé aucun document mentionnant le trafic                 pays de la région qui sont devenus plus vulné-
de cocaïne entre 2002 et 2004 alors qu’entre                rables à ses conséquences que d’autres. D’un
2005 et 2010, il a pu trouver 223 rapports,                 côté, il a perturbé l’économie locale en y injec-
articles et bulletins portant sur la question au            tant un grand montant de capitaux illicites. Alors
niveau de la région. De même, des entretiens                que ce fait pourrait représenter une excellente
avec la communauté locale au Mali indiquent                 occasion pour beaucoup de jeunes chômeurs du
qu’ils sont devenus conscients du problème                  Sahel, il a aussi entraîné des rivalités féroces pour
dans la période allant de 2006 à 2007 quand                 le contrôle des itinéraires de contrebande, des
le secteur immobilier local a changé du fait                institutions et agents de l’Etat corrompus, et a
de l’afflux de l’argent de la drogue (Cold-                 augmenté les ressources financières à la disposi-
Ravnkilde, 2012).                                           tion des groupes terroristes. Comme l’indiquent
                                                            les études sur le Mali, les communautés locales
L’Office des Nations Unies contre la Drogue et              affectées par des sécheresses successives ont
le Crime indique qu’en 2008, environ 14% de                 abandonné l’activité traditionnelle d’élevage
la cocaïne consommée en Europe (20 tonnes),                 de bovins pour l’entreprise plus lucrative de

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trafic de drogue en guise de stratégie d’adap-              le monde. L’évolution des trois principales or-
tation. De même, l’émergence du narco-trafic                ganisations terroristes du Sahel, notamment
a provoqué l’apparition de milices irrégulières,            Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), le
partout, ainsi que d’entreprises de protection              Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique
armée autour des nœuds de contrebande qui,                  de l’Ouest (MUJAO) ainsi qu’Ansar Dine, en est
parfois, génèrent la rivalité parmi les « Big men           une indication. AQMI est le résultat direct de
» qui cherchent à contrôler ces ressources.                 la guerre civile algérienne. AQMI était, aupa-
                                                            ravant, connu sous le nom de Groupe Salafiste
Un phénomène plus inquiétant est la collusion               pour la Prédication et le Combat (GSPC) formé
et la complicité passives et/ou actives des élites          en 1998 en Algérie qui a, par la suite, étendu
locales et nationales de certains pays sahéliens.           son champ d’opération de l’autre côté de
Il a été allégué que l’ancien dictateur maurita-            la frontière avec le Mali et le Niger (Morten,
nien Ould Taya et l’ancien président du Mali,               2015). Le GSPC a, par exemple, établi une base
Amadou Toumani Touré, étaient indirectement                 arrière au Mali en 1998, et s’est battu contre les
impliqués dans le business du trafic de drogue.             Forces armées nigériennes et la Force spéciale
Ce dernier aurait retardé l’enquête sur le Boeing           américaine en 2003. Bien qu’il ait renoncé à
727 qui s’était écrasé dans le désert du Mali               appuyer Al-Qaïda en 2001 et qu’il l’ait réaf-
lors de son vol retour (Cold-Ravnkilde, 2013).              firmé en 2003, ils ont, finalement, fusionné en
Même si ceci apparaît comme un événement                    2007 formant Al-Qaïda au Maghreb Islamique
ponctuel, la participation générale des respon-             (ibid.). Le GSPC a fait sentir sa présence dans
sables gouvernementaux dans le processus de                 le monde entier quand il enleva, en 2003, 23
contrebande semble indiscutable et a pour                   allemands qui furent libérés seulement après
résultat final l’affaiblissement de l’Etat et de            le versement d’une rançon. Selon Castelli, le
l’état de gouvernance général. Au niveau local,             groupe tire plus de 90% de ses revenus des
la majorité des élites politiques et du monde               rançons payées par les gouvernements des
des affaires a été intégrée dans l’économie                 personnes enlevées. Entre 2008 et 2013, le
politique de la contrebande, une évolution qui              groupe a généré environ 65 millions d’euros
a contribué à la délégitimation de l’Etat et de             grâce aux rançons, et a utilisé le nord du Mali
sa capacité à assurer une administration impar-             comme un sanctuaire où il emmenait les otages
tiale (Titi, 2014). Enfin, les liens opportunistes          pendant que la négociation sur la rançon se
avec des acteurs extrémistes violents, qui béné-            faisait (Laurent, 2014). Le groupe investit,
ficient directement ou indirectement du trafic,             probablement, les revenus tirés des rançons
sapent les opérations de stabilisation dans le              et des enlèvements dans le trafic de drogue.
Sahel (Mathieu, 2014).                                      Selon Raineri et Strazzari (2015), l‘intensifica-
                                                            tion du défi, auquel AQMI a été confronté face
                                                            aux forces de sécurité algériennes, a forcé le
Extrémisme violent                                          mouvement à remettre l’argent obtenu des
                                                            rançons à des trafiquants qui, en fonction de
Alors que certains pays de la région sont ef-               la situation, donne à AQMI jusqu’à la moitié de
fectivement victimes d’un radicalisme national,             ses bénéfices souvent utilisés pour acheter des
le terrorisme au Sahel est largement le résultat            armes, des munitions et des véhicules 4x4. La
de la confluence des griefs locaux et du réveil             chute de Kadhafi et la prolifération des armes
des mouvements islamistes en Algérie et dans                ont facilité l’accès aux armes pour AQMI.

                                                       13
Olawale (Wale) Ismail et Alagaw Ababu Kifle | Nouveaux arrangements de sécurité collective au Sahel

Le niveau et le moment des attaques terroristes               AQMI a exploité l’absence et l’incapacité re-
menées par AQMI dans le Sahel varient d’un                    latives de l’Etat malien, au nord du Mali, en
pays à un autre. En Mauritanie, par exemple,                  fournissant des services et fonctions analogues
il a mené, entre 2005 et 2011, un certain                     à ceux de l’Etat. Mais, AQMI s’est aussi livré
nombre d’attaques meurtrières et a été capable                à de violents actes, dont des enlèvements et
de recruter un certain nombre de Mauritaniens                 des prises d’otages d’Européens, et a même
dans ses rangs (Ibrahim, 2014). Depuis lors,                  assassiné un officier supérieur des services de
cependant, les mesures militaires et politiques               renseignements maliens en représailles aux
prises par la Mauritanie ont limité l’espace pour             raids des forces armées maliennes (Gebrie,
AQMI sur son sol. Ces mesures incluent le renfor-             2016). Les manières dont AQMI s’est engagé
cement de l’armée, l’amélioration de ses capaci-              au Mali semblent différentes de celles utilisées
tés à lutter contre les terroristes et la surveillance        en Mauritanie, et les attaques terroristes n’ont
des prédications religieuses pour s’assurer que               pas été les premiers moyens utilisés, du moins
des idéologies radicales ne sont pas diffusées                jusqu’en 2009, date à laquelle l’armée malienne
(Ibid.). En conséquence, un certain nombre de                 a commencé à établir ses bases au nord du
jihadistes suspectés ont été arrêtés, d’autres ont            Mali et a mené quelques attaques contre AQMI
été forcés de fuir le pays et le contrôle des fron-           (Lacher, 2013).
tières a été renforcé. Les mesures politiques ont
inclus l’autorisation donnée à un parti politique             Comme indiqué précédemment, l’attaque
musulman modéré de lutter pour le pouvoir                     d’AQMI, au Niger, a eu lieu en 2003 lorsque le
tout en autorisant un débat télévisé entre les                GSPC s’est engagé dans une bataille contre les
jihadistes détenus et les musulmans modérés                   forces armées nigériennes et les forces spéciales
sur l’utilisation de la violence pour des raisons             américaines. Selon certaines informations,
religieuses. Cependant, la Mauritanie n’est pas               jusqu’en 2010, le groupe a confié la tâche
complètement exempte d’attaques de groupes                    d’enlèvement des Européens aux organisations
extrémistes violents du fait de la présence d’un              criminelles locales, réaffirmant ainsi le lien
grand nombre de jihadistes mauritaniens au                    entre les acteurs criminels opportunistes et les
niveau d’AQMI et des crises en Libye et au Mali               organisations fondées sur une idéologie et or-
(Boukhars, 2016).                                             ganisées au niveau mondial (International Crisis
                                                              Group, 2013). Cependant, depuis 2010, AQMI
Le GSPC-AQMI a commencé à se fixer au                         a commencé une action directe contre l’armée
nord du Mali dès 1998, en mettant en place                    nigérienne et, en mars, il a attaqué une caserne
des bases d’opération, des réseaux et des                     militaire près de la frontière malienne tuant cinq
connexions avec les locaux, en distribuant de                 soldats et, en septembre, un petit groupe de
l’argent, en offrant des services médicaux ainsi              membres d’AQMI détenant des explosifs a été
que des cartes SIM et des crédits de commu-                   interpellé (ibid.). Le Niger a aussi été touché
nication aux populations (Morten, 2015). Ses                  par les répercussions de la rébellion de Boko
membres se sont aussi mariés avec des gens                    Haram provenant du Nigéria et du bassin du
à faible statut, s’identifiant ainsi au grand                 lac Tchad. Bien qu’au début le pays fût un
nombre de personnes pauvres. Le groupe a                      refuge pour les populations déplacées, le Niger
progressivement tissé des relations avec les ma-              a été progressivement entraîné dans le conflit,
rabouts (prêcheurs religieux) et les a convertis              au fur et à mesure de l’expansion des attaques
à son idéologie islamiste radicale (ibid.). Ainsi,            de Boko Haram, entre 2013 et 2016. Tout ceci

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Olawale (Wale) Ismail et Alagaw Ababu Kifle | Nouveaux arrangements de sécurité collective au Sahel

a affecté négativement l’industrie touristique               Une autre organisation terroriste opérant dans
nigérienne, l’économie locale et maintenu                    le Sahel est le MUJAO qui s’est séparé d’AQMI
la pauvreté et l’insécurité (ibid.). Alors que le            en 2011 (Bruce, 2015). Le groupe a contrôlé
secteur touristique se portait bien au début                 des parties de Gao, dans le nord du Mali, et a
des années 2000, il y a eu, depuis lors, une                 imposé sa version dure de la règle de la Sharia,
baisse du nombre de touristes occidentaux par                en 2012, avant d’être chassé par les forces fran-
craintes d’enlèvements et de prises d’otages                 çaises. Depuis cette période, le groupe a été
alors que ceux qui visitent le pays se limitent à            plus actif à travers la région. Au Mali, le groupe
la capitale.                                                 a mené un certain nombre d’attaques contre
                                                             les forces armées maliennes, les infrastructures
Le relativement stable Burkina Faso a récem-                 socio-économiques et la MINUSMA. Au Niger,
ment vécu des périodes d’attaques terroristes                le MUJAO a été rejoint par une autre faction dis-
facilitées par les liens entre les réseaux islamistes        sidente d’AQMI, du nom d’Al Moulathamine,
locaux, les forces de sécurité du précédent                  pour former Al Mourabitoune.
régime et les réseaux terroristes mondiaux. Un
certain nombre d’attaques, notamment dans la                 Le groupe a mené des attaques coordonnées
capitale Ouagadougou, ont été perpétrées au                  contre la base de l’armée nigérienne à Agadez
cours de ces dernières années. Il s’agit notam-              et dans une mine d’uranium d’Arlit. En mars
ment de l’attaque d’un hôtel de Ouagadougou,                 2014, il a revendiqué la responsabilité de la
en janvier 2016, qui a tué 30 personnes,                     première attaque terroriste à Bamako et plu-
l’attaque de deux postes de police, en mars                  sieurs autres dans le pays qui ont tué trente (30)
2017, qui a tué trois personnes et l’attaque                 soldats maliens ainsi que cinq (05) agents des
de septembre 2016 qui a tué 12 soldats. Une                  Nations-Unies (Ibid.). L’attaque terroriste la plus
série de raids, menés par le Groupe de Lutte                 sévère du groupe a eu lieu à Gao en 2017 et a
contre le Terrorisme du Burkina Faso (GFAT) en               causé la mort de quatre-vingts (80) personnes.
fin 2017, a permis l’arrestation de plus de 200              La MINUSMA a déjà perdu plus de soixante-dix
personnes soupçonnées d’extrémisme violent                   (70) soldats de maintien de la paix, ce qui en fait
et la destruction de camps d’entraînement et                 la deuxième opération de maintien de la paix
d’autres infrastructures d’appui (Daily Highlight            la plus meurtrière après l’AMISOM (la mission
d’ECOWARN de la CEDEAO, 16 janvier 2018).                    de l’Union africaine en Somalie). Le problème
Alors qu’AQMI était responsable de l’attaque                 est, en partie, dû à l’absence de contrôle de
de l’hôtel à Ouagadougou, un nouveau groupe                  l’intégralité du nord du Mali où les attaques
terroriste local appelé Ansa rul Islam (défen-               terroristes sont planifiées. D’autres anciennes
seur de l’Islam) a été créé par un imam radical              brigades du MUJAO sont aussi censées opérer
du nom d’Ibrahim Malam Dicko, un ancien                      dans le pays. En plus de son attaque terroriste,
membre du MUJAO, avant son arrestation au                    le groupe a aussi été actif dans le business du
Mali. Après sa libération, il est retourné dans              kidnapping dans le cadre duquel il a kidnappé,
son pays et a créé un nouveau mouvement                      à des moments différents, trois (03) diplomates
(ibid.). Les liens présumés entre le nouveau                 algériens et quatre (04) maliens qui travail-
mouvement et les ex-soldats du groupe d’élite                laient pour le Comité International de la Croix-
présidentiel soulignent les liens réels et poten-            Rouge et un journaliste français (Koepf, 2014).
tiels entre les groupes extrémistes violents et
les fonctionnaires de l’Etat (ibid.).

                                                        15
Olawale (Wale) Ismail et Alagaw Ababu Kifle | Nouveaux arrangements de sécurité collective au Sahel

Il semble aussi que les différents groupes ter-             IV. L’évolution de la
roristes dans le Sahel sont engagés dans la                 coopération sécuritaire et
Libye du sud post-Kadhafi qui est devenue un
                                                            des réponses aux menaces
sanctuaire. Bien que ceci n’ait pas été définiti-
vement prouvé, et que le niveau d’interaction               sécuritaires au Sahel
apparaisse comme modéré, ces groupes sont
en train de tisser des liens avec Boko Haram,               Un certain nombre d’initiatives bilatérales,
au Nigéria, les réseaux terroristes de la Libye et,         multilatérales, régionales et continentales ont
vraisemblablement, Al-Shabaab, en Somalie,                  été entreprises dans l’objectif de stabiliser le
par le biais de la formation et l’échange d’argent          Sahel bien que les impacts de ces initiatives
et d’armes (Ibid.). C’est pour cette raison que             demeurent, jusqu’ici, limités. Le sujet central
nous assistons plutôt, ces dernières années, à              de cette étude est la MNJTF et le G-5, cepen-
une résurgence des attaques terroristes. Enfin,             dant, nous y traitons d’autres initiatives anté-
un des groupes terroristes locaux, Ansar Dine,              rieures comme le processus d’Alger sur le Mali,
a été constitué par d’anciens nationalistes                 le CEMOC, la CEN-SAD et le processus de
Touaregs, et plusieurs de ses membres ont une               Nouakchott pour contextualiser les expériences
double casquette de membres du Haut conseil                 et les leçons dans le domaine de la coopération
pour l’unité de l’Azawad et renoncèrent au                  sur la sécurité et la réponse dans le Sahel.
terrorisme (ibid.).

                                                            Le CEMOC, l’UFL et la CEN-SAD :
                                                            victimes de la rivalité entre l’Algérie
                                                            et le Maroc ?
                                                            Le Comité d’état-major opérationnel conjoint
                                                            (CEMOC) basé à Tamanrasset, dans le sud
                                                            de l’Algérie, était une initiative algérienne
                                                            qui a cherché à créer une patrouille militaire
                                                            et des opérations militaires transfrontalières
                                                            conjointes entre les forces de sécurité ma-
                                                            liennes, nigériennes et algériennes. Après
                                                            sept mois, le CEMOC a été complété par un
                                                            service de renseignement appelé Centre de
                                                            fusion et de liaison (UFL) chargé de faciliter le
                                                            partage de renseignements entre les huit (08)
                                                            pays du Sahel et du Sahara : le Mali, le Niger,
                                                            la Mauritanie, l’Algérie, le Nigéria, la Libye, le
                                                            Tchad et le Burkina Faso. Cependant, ces deux
                                                            organes n’ont pas fonctionné du fait, princi-
                                                            palement, de la méfiance et des doutes sur la
                                                            volonté de l’ancien président malien à s’en-
                                                            gager contre les groupes extrémistes violents.
                                                            Il a été allégué que le Mali, sous le Président

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