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Luciana Vieira Caliman, Yves Citton
et Maria Renata Prado Martin
Introduction
Un nombre croissant de données statistiques et empiriques
indique que le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperac-
tivité (TDAH) est de plus en plus fréquemment diagnostiqué et
«L’attention médicamentée», Luciana Vieira Caliman, Yves Citton, Maria Renata Prado Martin
traité dans un nombre croissant de pays autour du monde. Des
recherches récentes suggèrent que le TDAH est maintenant le
ISBN 978-2-7535-8767-0, Presses universitaires de Rennes, 2023, www.pur-editions.fr
diagnostic psychiatrique le plus commun chez les enfants et les
adolescents, avec des estimations de prévalence mondiale entre 5 %
et 7,2 %. Les données montrent également que la consommation
mondiale de médicaments psychostimulants est en croissance tout
aussi significative (Bergey et al., 2018). Le dernier rapport de l’Orga-
nisation des Nations unies (ONU, 2016) montre que, au sein de la
production et de la consommation de psychotropes, la fabrication
mondiale de méthylphénidate, dont la forme la plus connue est la
Ritaline, a augmenté de plus de 580 % entre 1990 et 1999. Cette
hausse peut être attribuée à l’usage de cette substance pour le traite-
ment du TDAH, ce trouble ayant été mieux connu depuis les années
1990, avec une explosion mondiale du nombre des diagnostics.
Cet ouvrage collectif est le résultat d’un effort conjoint d’un
groupe diversifié de chercheur·es et de professionnel·les qui se sont
consacré·es à l’étude de l’attention et des processus qui traversent
la croissance parallèle des diagnostics de troubles attentionnels
7Luciana Vieira Caliman, Yves Citton et Maria Renata Prado Martin
et de la consommation de méthylphénidate. Dès le début, notre
intention a été de mettre en conversation, par le biais du processus
d’écriture, différentes voix et différents points de vue sur le sujet.
Ainsi, des psychologues, des spécialistes des sciences sociales et des
sociologues, des anthropologues, des philosophes, des neuroscien-
tifiques et des éducateurs de l’enfance ont contribué aux différents
chapitres de cet ouvrage. Avec eux et à travers les recherches et les
expériences racontées, sont prises en compte les voix des enfants
diagnostiqués avec un TDAH, des parents, des professionnels de
la santé et de l’éducation. La diversité des expériences présentées
est également relative à leurs pays d’appartenance : la France,
le Brésil et le Chili ont été choisis pour observer diverses façons
d’approcher, de définir et d’institutionnaliser les réponses portées
aux problèmes identifiés à des troubles attentionnels.
«L’attention médicamentée», Luciana Vieira Caliman, Yves Citton, Maria Renata Prado Martin
Le Brésil est l’un des plus gros consommateurs de méthylphé-
nidate au monde, après les États-Unis. Ce médicament constitue
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la principale option pharmacologique disponible au Brésil pour le
traitement des enfants diagnostiqués. Selon les données de l’Insti-
tut de médecine social de l’Université de l’État de Rio de Janeiro,
dans les derniers dix ans, il y a eu une augmentation de la consom-
mation du méthylphénidate de 775 %. En délimitant le scénario
brésilien autour des problèmes d’attention et d’hyperactivité, on
trouve des perspectives extrêmement polarisées, soit en faveur,
soit en opposition à la légitimité du diagnostic de TDAH et de
son traitement médicamenteux.
Si, aux États-Unis et au Brésil, le constat est que le recours aux
médicaments devient toujours plus important, en France, l’usage
de traitements pharmaceutiques reste limité, et surtout le nombre
de patients soignés est largement inférieur à l’univers d’enfants
diagnostiqués avec TDAH. Le problème potentiel pour le cas de
la France apparaît toutefois lorsque l’on observe la progression des
ventes de Ritaline, qui sont en croissance rapide, avec un retard
important sur le Brésil et les USA. On observe par ailleurs une
8Introduction
montée en puissance d’études neurologiques qui soutiennent une
reconnaissance univoque de cette « nouvelle maladie », considérée
comme un handicap qu’il convient de diagnostiquer au plus tôt
– notamment dans le cadre scolaire.
Au Chili, des études montrent un taux de prévalence diagnos-
tique plus de trois fois supérieur aux taux internationaux, au
point de représenter le deuxième plus grand problème de santé
mentale chez les enfants. En ce qui concerne la consommation de
méthylphénidate, on estime que l’importation de cette drogue a
augmenté d’environ 450 % entre 2006 et 2017.
Le fait de réunir des chercheurs et des professionnels de ces
différents pays, qui ont dès le début cru à l’importance d’organiser
ce travail à une échelle transnationale, est motivé par la certitude
que nous avons ici affaire à un problème qui dépasse largement sa
«L’attention médicamentée», Luciana Vieira Caliman, Yves Citton, Maria Renata Prado Martin
seule définition médicale, mais qui est plus largement pertinent
sur le plan politique, social et éthique. Avec ce livre, nous espérons
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contribuer à une réflexion plus large sur les problèmes exposés.
Nous valorisons la construction de points de vue dans lesquels
la singularité des processus étudiés et expérimentés est mise en
évidence, à la fois pour son intérêt propre et par sa contribution à
une compréhension différentielle et comparative. En mettant côte
à côte des études et des recherches visant à analyser des expériences
et des données venant du Brésil, de la France et du Chili, nous
cherchons à promouvoir une plus grande sensibilité à la complexité
des problèmes d’attention, à l’élargissement du diagnostic du
TDAH et aux enjeux de la consommation de psychostimulants.
Nous n’avons pas l’intention de présenter un argument unique
et linéaire dans ses conclusions. Dans les différentes contributions
de cet ouvrage, nous trouvons des analyses qui se parlent, mais
qui ne sont pas toujours pleinement d’accord entre elles. Plus
que de proposer un exercice de conversation dialectique visant à
atteindre un consensus ou une synthèse à tout prix, nous propo-
sons l’expérience dialogique d’une conversation dans laquelle il
9Luciana Vieira Caliman, Yves Citton et Maria Renata Prado Martin
est important d’accueillir et de faire attention à ce qui diverge et
à ce qui met en tension des angles de vue parfois contradictoires,
mais souvent complémentaires.
L’attention médicamentée. La Ritaline à l’école tresse trois lignes
qui se croisent tout au long de l’ouvrage. Le livre contribue à
la réflexion actuelle sur les problèmes d’attention qui sont de plus
en plus souvent évoqués comme jouant un rôle central dans les
questions que nos sociétés doivent confronter aujourd’hui. Ces
questions sont abordées ici dans le cas particulier de la définition
et de l’expansion du diagnostic du TDAH, qui inscrit certains
troubles attentionnels sous une catégorisation psychiatrique, pour
laquelle on prescrit une consommation de psychotropes dont les
chiffres de vente s’envolent à l’échelle mondiale. Enfin, on étudie la
médicalisation de l’attention dans le contexte particulier de l’école, qui
«L’attention médicamentée», Luciana Vieira Caliman, Yves Citton, Maria Renata Prado Martin
joue un rôle de pivot à la fois dans le désarroi face aux problèmes
attentionnels, dans la demande de diagnostics et dans les pressions
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normatives qui poussent à la consommation de psychotropes.
Davantage que de condamner ou de cautionner l’usage de la
Ritaline à l’école, l’un des principaux enjeux de cette publication
est de réfléchir à des alternatives possibles, basées sur d’autres
pratiques de soin comme sur d’autres conceptions de la pédago-
gie. S’il ne nous appartient pas de juger de la légitimité ou de
la nécessité de recourir à certains traitements chimiques pour
améliorer certaines situations particulières, il nous semble impor-
tant d’écouter celles et ceux qui, sur le terrain des institutions
médicales et scolaires, tentent de proposer d’autres approches des
questions attentionnelles, ainsi que des problèmes rangés sous
la catégorie clinique du TDAH. Notre conviction commune est
que les « déficits » attentionnels et les comportements « hyperac-
tifs » peuvent nous en apprendre beaucoup sur des dysfonctionne-
ments sociaux ainsi que sur des améliorations institutionnelles qui
impliquent d’autres gestes que la prescription de psychotropes.
10Introduction
En suivant les croisements et bifurcations produits entre
ces différentes lignes d’argumentation, le livre est organisé en
trois parties. Dans un premier temps, il présente une analyse des
problèmes d’attention et de l’expansion du diagnostic du TDAH,
en tenant compte de sa dimension macropolitique. Ensuite, il
apporte la contribution de recherches empiriques, situées dans le
temps et l’espace, qui analysent la réalité des trois pays étudiés
(Brésil, France et Chili), en essayant de tisser une conversation
entre eux. Enfin, nous donnons la parole à des expérimentations
et à des théorisations qui proposent des alternatives à la prescrip-
tion de psychostimulants pour faire face aux problèmes d’attention
rencontrés dans les milieux scolaires. Au fil de ces trois parties,
nous cherchons à construire quelques indices analytiques qui, loin
d’offrir des jugements définitifs sur les questions traitées, visent
«L’attention médicamentée», Luciana Vieira Caliman, Yves Citton, Maria Renata Prado Martin
à élargir et à affiner la compréhension et les pratiques de soin
prenant pour objet des problèmes attentionnels.
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La proposition d’un livre sur le problème de l’attention médica-
mentée et de la Ritaline à l’école repose sur la conviction que
c’est le statut même de l’école dans nos sociétés qui se voit éclairé
par les problèmes attentionnels auxquels l’institution scolaire se
trouve confrontée. Les analyses critiques concernant la croissance
et l’expansion du diagnostic du TDAH et de la consommation de
méthylphénidate sont intimement liées aux théories de la médica-
lisation de l’éducation. Le concept de médicalisation est au centre
d’une partie considérable des contributions regroupées dans cet
ouvrage. Ce concept fait référence à l’ascension d’une vision du
monde dans laquelle des questions larges et complexes, sociales,
institutionnelles et culturelles, sont traitées comme des problèmes
individuels d’ordre médical nécessitant une intervention médica-
mentée (Conrad, 2007). Dans le contexte éducatif, les analyses
critiques de la médicalisation dénoncent un processus croissant de
compréhension et d’intervention médicale dans des problèmes qui
sont principalement de nature pédagogique ou sociale. De ce point
11Luciana Vieira Caliman, Yves Citton et Maria Renata Prado Martin
de vue, le TDAH est presque toujours décrit comme le plus grand
exemple du processus de médicalisation dans l’éducation. Lorsque
l’intervention médicale privilégiée est le médicament, on a affaire à
un processus de pharmacologisation. En ce sens, la consommation
accrue de psychostimulants pour traiter les problèmes identifiés
dans le contexte scolaire mérite d’être considérée comme faisant
partie d’un processus plus général de médicalisation et de pharma-
cologisation de la vie.
Nous ne comprenons pourtant pas ce livre comme un ouvrage
uniquement destiné à dénoncer le processus de médicalisation des
problèmes d’attention à l’école. Bien que certaines analyses pointent
dans cette direction, nous tentons de faire sentir les nuances,
les différences et les problématisations complémentaires qui,
lorsqu’elles sont mises côte à côte, cherchent surtout à rendre visible
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la complexité du champ analytique construit autour des processus
de médicalisation. Plutôt qu’à juger, notre effort vise à déployer la
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large gamme de réponses possibles aux problèmes attentionnels – et,
autant que des statistiques de consommation croissante de Ritaline,
on trouvera dans les contributions de cet ouvrage de nombreux
fils qui le relient à des réflexions (ainsi qu’à des pratiques) menées
depuis longtemps du côté des pédagogies alternatives.
Avant même de parler de « problèmes attentionnels », ce livre
espère contribuer à problématiser la façon même dont nous définis-
sons l’attention (et ses « problèmes »). Il est en effet curieux et
inquiétant de constater que les études qui prennent des positions
tranchées pour et contre le diagnostic du TDAH et l’utilisation
du médylphénidate ne prennent presque pas en considération une
analyse de la notion d’attention. Cette préoccupation est aggravée
lorsqu’on constate qu’une part importante de l’augmentation du
nombre de diagnostics de TDAH, en particulier pour le public
adulte, est de ceux qui sont identifiés comme « inattentifs », sans
hyperactivité. Lorsque l’on parle de fonctionnement attentionnel
dans les études sur le TDAH, on constate souvent une perspective
12Introduction
naturalisante et individualiste dans laquelle l’attention est décrite
et étudiée comme une compétence individuelle et naturelle néces-
saire dans le processus d’apprentissage. En nous inspirant d’une
perspective écologique sur l’attention (Citton, 2014a), nous
cherchons à rendre explicite le fait qu’au cœur des transformations
de nos modes de vie, nos manières d’être attentifs au monde sont
continuellement remodelées, entre les injonctions paradoxales des
demandes de focalisation et le bombardement de stimuli qui, de
plus en plus vite, sollicitent nos réactions (Crary, 1999).
Les trois contributions qui composent la première partie de
l’ouvrage, intitulée « L’attention médicamentée à l’école : enjeux
des débats », commencent par considérer les processus historiques
et sociaux qui conditionnent la pression exercée sur nos capacités
attentionnelles, la globalisation du diagnostic du TDAH et de la
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consommation de psychostimulants. Dans la première contribu-
tion, « Économie politique de l’attention médicamentée à l’âge
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du capitalisme égocidaire », Yves Citton s’attache à la dimen-
sion collective de l’attention, dans ses dimensions économiques et
politiques – l’utilisation de la Ritaline devant être située dans le
vaste contexte de l’industrialisation qui s’étend à nos productions
mentales. Dans son analyse, le processus actuel de médicalisation
de l’attention illustre une approche individualiste intimement liée
à la dynamique capitaliste qui régit l’industrie pharmaceutique et
l’idéologie de la compétitivité, conquérant à la fois les laboratoires
de recherche et les salles de classe. Cette première contribution pose
quelques repères de base qui situent les discussions ultérieures sur
l’arrière-fond de la situation états-unienne, qui a été le lieu d’émer-
gence de ces questions et des réponses qui leur ont été apportées.
Dans la deuxième contribution, « La crise culturelle de l’atten-
tion scolaire : paradigme industriel et choc des images », Danilo
Saretta Verissimo analyse le régime contemporain de l’attention à
la lumière de l’évolution au long cours des demandes portant sur
le travail depuis l’époque industrielle et des sollicitations portant
13Luciana Vieira Caliman, Yves Citton et Maria Renata Prado Martin
sur nos capacités perceptives dans des milieux de plus en plus
saturés d’images en mouvement. Ces analyses aident grandement
à comprendre ce qui conduit la salle de classe traditionnelle – celle
où un·e enseignant·e professe devant des élèves censés prendre des
notes – à devenir un point chaud des déphasages attentionnels qui
traversent la société dans son ensemble.
Dans la troisième contribution, « Situer la vie sociale des
TDAH : entre le médical, le local et le global », Sebastian Rojas
Navarro et Angela Marques Filipe dressent un tableau synthé-
tique ainsi qu’une analyse historique et sociale du diagnostic du
TDAH, du traitement de la toxicomanie et de sa globalisation,
en alertant sur la nécessité de toujours considérer (et en premier
lieu) ses croisements locaux et situationnels. En dialogue avec le
vaste champ des théories de la médicalisation, ils reconnaissent son
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importance, mais attirent l’attention sur le risque d’une adhésion
sans restriction à leurs thèses qui occulteraient d’autres détermi-
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nants sociaux et d’autres enjeux annexes. Afin d’encourager la
construction d’analyses plus inclusives et pluralistes, les auteurs
proposent une carte conceptuelle des défis et des questions à
traiter : les déterminants sociaux du TDAH dans une perspective
globale ; le diagnostic, le handicap et la neurodiversité ; le posthu-
manisme et les nouvelles études de l’enfance.
La deuxième partie de l’ouvrage, intitulée « Le TDAH – France,
Brésil et Chili », rassemble des rapports de recherches menées en
France, au Brésil et au Chili qui relèvent le défi d’étudier les spéci-
ficités et les complexités de l’expansion du diagnostic du TDAH
et de la consommation de psychostimulants de manière localisée.
Les auteurs s’accordent à mettre en relief la place centrale de l’école
dans les recherches effectuées, mais ils montrent aussi que ses
implications dans l’identification, l’orientation et la participation à
la conception des stratégies de soins sont très diverses. Les analyses
présentées ici questionnent l’argument selon lequel, à l’école, la
médicalisation de l’attention et des enfants agités révèle d’une
14Introduction
absence de responsabilité des enseignants. Une analyse minutieuse
des conditions politiques, sociales et institutionnelles qui condi-
tionnent le recours croissant aux soins médicaux et aux médica-
ments pour les questions d’éducation aide à esquisser de nouvelles
questions et de nouvelles pistes d’action qui, au lieu de reprocher
à l’école l’intensification de la médication de l’attention, invitent
à un exercice de composition et de réflexion commune avec l’école,
la santé, les parents et les enfants.
Dans la quatrième contribution, « Attentes professionnelles
face à l’agitation des enfants : une comparaison France/Brésil »,
Tatiana Barbarini, Aude Bellard, Eunice Nakamura, Lecy Sartori,
Yaël Tibi-Levy et Amélie Turlais suivent les expériences locales en
France et au Brésil en ce qui concerne le renvoi des demandes de
prise en charge scolaire vers les services de santé, en notant leurs
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similitudes et leurs différences. Ils proposent de réfléchir à ce que
les différents professionnels qui entourent l’enfant – ceux de l’école
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et ceux de la santé – attendent des diagnostics et des traitements
possibles. Tant en France qu’au Brésil, l’analyse montre l’impor-
tance du milieu scolaire dans les demandes de suivi de la santé
mentale des enfants. Dans les deux pays, les plaintes relatives aux
troubles attentionnels en milieu scolaire sont l’une des principales
raisons de renvoi vers les centres qui reçoivent les cas les plus
graves et vers les services plus généraux. Si le circuit diagnostique
commence souvent par l’école, c’est que celle-ci constitue le lieu
où les conduites sont officiellement traduites en problèmes parce
qu’elles perturbent la dynamique scolaire. Mais c’est là aussi où
un dialogue s’instaure avec les familles autour de l’enfant et de
l’éventuelle qualification de son problème. Les études montrent
que l’identification des problèmes de comportement et la construc-
tion des trajectoires des enfants sont des phénomènes complexes,
qui ne peuvent être analysés comme un simple déplacement des
problèmes scolaires vers la santé, ni comme un processus uniforme
de médicalisation des problèmes scolaires.
15Luciana Vieira Caliman, Yves Citton et Maria Renata Prado Martin
Dans la contribution suivante, « Variations sociales et natio-
nales autour du TDAH. Familles et écoles au Chili et en France »,
Pablo Cottet, Jean-Sébastien Eideliman, Maïa Fansten, Esteban
Radiszcz, Hugo Sir et Livia Velpry prennent comme point de
départ la perspective de la production sociale des troubles, en
adoptant l’approche de ses usages sociaux. Ils s’appuient sur deux
enquêtes parallèles menées au Chili et en France, qui ont cherché
à cartographier les spécificités macro-, méso- et microsociales de
l’expansion du TDAH et du méthylphénidate dans les deux pays.
Les auteurs montrent que le Chili et la France ont des systèmes
scolaires et de santé avec des différences très marquées, notamment
dans la répartition entre l’offre publique et privée, ainsi que dans
les inégalités sociales relatives à l’accès aux services. En outre, les
circuits de diagnostic et les politiques d’inclusion diffèrent sur
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des points essentiels, même si plusieurs éléments sont communs.
Dans les deux pays, l’identification du diagnostic de TDAH a lieu
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dans le système scolaire et donne lieu à une orientation vers les
soins médicaux, le diagnostic étant une question de gestion des
problèmes tant pour l’école que pour les parents.
La dernière contribution de cette partie s’avance plus préci-
sément dans la réalité de la situation brésilienne, pays qui est
le deuxième plus grand consommateur de psychostimulants au
monde après les USA. « D’une demande éducative à une demande
médicale : pratiques et récits autour du diagnostique de TDAH »,
rédigé par Luciana Bicalho Reis, Roger Elias Bernabé Machado
et Maria Renata Prado Martin, propose une analyse des récits des
professionnels de la santé sur la question des orientations scolaires.
La contribution montre comment les professionnels de la santé de
Vitória (une ville située dans l’État de l’Espirito Santo) cherchent
à contourner le processus de médicalisation et de pharmacolo-
gisation qui se produit souvent avant même que le diagnostic
« officiel » ne soit posé.
16Introduction
La dernière partie de l’ouvrage, intitulée « Approches
éducatives des problèmes attentionnels », se concentre sur
des expériences dans le domaine du soin et de l’éducation, qui
proposent quelques alternatives possibles aux traitements médica-
mentés. Ces expériences de soin et de pédagogies alternatives ne
sont pas apportées comme des modèles à suivre et à reproduire
tels quels. Nous les considérons comme des tentatives, comme
dirait Deligny (1970), qui inaugurent des possibilités et des ouver-
tures là où une seule issue semblait s’imposer, celle du recours aux
médicaments. Les études rassemblées ici s’accordent sur l’impor-
tance de la dimension relationnelle de l’attention. Il s’agit de repla-
cer l’attention dans l’environnement institutionnel qui structure
et conditionne les relations entre soignant·es et soigné·es, entre
élèves et enseignant·es, et d’imaginer des solutions alternatives
«L’attention médicamentée», Luciana Vieira Caliman, Yves Citton, Maria Renata Prado Martin
grâce à l’analyse fine de cet environnement institutionnel.
Dans la septième contribution, « Pratiques de soin et culture de
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l’attention avec les enfants », Luciana Vieira Caliman, Janaína César
Mariano et Virgínia Kastrup analysent une expérience brésilienne
dans laquelle des enfants diagnostiqués avec un TDAH ou avec
d’autres problèmes relationnels, utilisateurs d’un centre d’attention
psychosociale pour enfants, participent à un atelier de lecture de
littérature. S’inspirant du domaine de la santé mentale au Brésil, la
proposition d’un Atelier de parole est d’offrir une alternative à l’uti-
lisation des médicaments comme mode de traitement primordial, à
travers un dispositif collectif et participatif pour la lecture et pour
les soins. L’accent est mis sur la dimension conjointe de l’attention
et sur l’importance de construire des écosystèmes attentionnels dans
lesquels l’attention à soi-même et aux autres est cultivée au sein
d’un dialogue commun. Basé sur un point de vue écologique qui va
au-delà du biais individualiste et naturaliste de l’attention, le soin
des problèmes attentionnels apparaît comme un travail de culture
par correspondance et d’attention commune concentrée et ouverte,
impliquant la construction d’écosystèmes attentionnels favorables.
17Luciana Vieira Caliman, Yves Citton et Maria Renata Prado Martin
Les trois contributions suivantes se concentrent sur la question
de l’attention dans le contexte scolaire, et sur des expériences qui
proposent des alternatives au traitement médicamenté des problèmes
attentionnels. Dans « L’attention en classe. Structures et soins des
environnements attentionnels en milieux scolaires », Renaud Hétier
propose l’exercice d’observation des conditions générales de l’atten-
tion dans le contexte éducatif. S’intéresser aux conditions de l’atten-
tion suppose de la comprendre au-delà des capacités individuelles.
L’auteur montre comment, dans le domaine de l’éducation et de la
pédagogie, demander de l’attention de la part des élèves exige de
fournir des mécanismes durables qui aident à construire une culture
institutionnelle de l’attention. Cette contribution dresse la carte
du réseau des supports qui permettent et soutiennent l’attention à
l’école dans ses différentes dimensions : l’attention de l’enfant, de
«L’attention médicamentée», Luciana Vieira Caliman, Yves Citton, Maria Renata Prado Martin
l’enseignant, de l’institution éducative elle-même. Ce sont toutes
ces médiations qu’il faut cultiver et entretenir si l’on espère stimuler
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la curiosité et l’attention des élèves en milieu scolaire.
La contribution suivante, « Éduquer l’attention avant
de la médicamenter », apporte la précieuse contribution de
Jean-Philippe Lachaux et l’expérience du programme Attentif à
l’école – (ATOLE), qui mobilise les acquis des neurosciences au
service d’une pédagogie de l’attention. Pour Lachaux, la propo-
sition d’éduquer l’attention exige un premier geste consistant à
situer les problèmes d’attention dans une vue panoramique qui
évoque une multiplicité de dispositions différentes. La première
est de situer ces questions dans notre immersion au sein d’une
économie (numérique) de l’attention. Mais le plus important est
d’apprendre à connaître le fonctionnement concret de notre atten-
tion, afin de comprendre ses limites, d’apprendre à observer les
forces qui la dirigent et la captent, ainsi que nos possibilités de lui
donner ses propres contours. L’auteur nous aide ainsi à inverser la
relation communément établie entre l’attention et l’apprentissage
– plus que de souligner la nécessité d’un certain type d’attention
18Introduction
pour assurer un bon apprentissage à l’école, il s’agit de proposer
un apprentissage de l’attention – apprendre à faire attention dans
sa propre attention. C’est sans aucun doute un apprentissage qui
demande du temps et du travail, mais pour Lachaux, c’est le travail
de l’éducation par excellence.
Dans la dernière contribution du livre, « Troubles de l’atten-
tion ou exigences inappropriées des institutions ? », Raphaël
Mellado rapporte des expériences pédagogiques soutenues par un
travail sensible d’accueil, d’écoute et de disponibilité à la parti-
cipation de l’autre (enfant, famille, école). La pédagogie passe
ici par un ajustement mutuel des enseignant·es, des élèves et
des parents, des individus singuliers et des institutions qui les
accueillent, à travers des exercices de dialogue et de conversation
respectueuse. Il s’agit donc d’un processus de construction d’un
«L’attention médicamentée», Luciana Vieira Caliman, Yves Citton, Maria Renata Prado Martin
environnement équitable et bienveillant, dans lequel les enfants et
les adultes peuvent apprendre à se comporter de manière plus saine
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envers eux-mêmes et le monde. À cette fin, un travail de soutien
et d’accompagnement est nécessaire, impliquant non seulement
les enfants diagnostiqués (ou non) avec un TDAH, mais aussi les
adultes qui s’occupent d’eux. Pour l’auteur, avant d’en arriver au
choix du traitement médicamenté des problèmes d’attention et
de comportement, plusieurs types d’actions sont possibles dans
les conditions d’accueil des élèves au sein d’un environnement
scolaire dont il faut pouvoir repenser constamment la plasticité.
Cet ouvrage se termine avec quelques considérations conclu-
sives qui visent plutôt à ouvrir des perspectives de prolongation
qu’à donner le dernier mot des discussions menées au long de
l’ouvrage. C’est en regardant avec attention le problème de l’atten-
tion et de sa médicalisation, tel qu’il est présenté dans les diffé-
rentes contributions, que nous essayons offrir quelques pistes de
développements possibles.
19«L’attention médicamentée», Luciana Vieira Caliman, Yves Citton, Maria Renata Prado Martin ISBN 978-2-7535-8767-0, Presses universitaires de Rennes, 2023, www.pur-editions.fr
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